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Jean-Pierre Olivier de Sardan

La revanche
des contextes
Des mésaventures de l’ingénierie
sociale, en Afrique et au-delà
Pourquoi les projets de développement, les interventions des ONG ou
les politiques publiques nationales sont-ils tous soumis à d’importants
écarts entre ce qui était prévu et ce qui se passe effectivement ? Cet
ouvrage apporte une réponse documentée à ce « problème des écarts ».

Les politiques publiques standardisées, telles les politiques de


développement omniprésentes en Afrique, méconnaissent les contextes
dans lesquels elles sont mises en œuvre. Dans cette confrontation,
les acteurs locaux jouent un rôle majeur. Les multiples stratégies de
contournement des directives et protocoles officiels suivent des « normes
pratiques » implicites ignorées des experts internationaux, mais que
l’observation du terrain peut mettre en évidence. C’est un phénomène
qui va au-delà du développement : tout se passe comme si l’Afrique
révélait de façon paroxystique une revanche des contextes dont on peut
trouver des exemples dans le monde entier.

Pour analyser ces processus, un dialogue est noué entre d’une part des
données de terrain particulièrement riches, et d’autre part une vaste
littérature en sciences sociales revisitée afin de mieux rendre compte
des réalités observées.

Le diagnostic est structuré autour de quelques concepts clés : modèles


voyageurs, normes pratiques, modes de gouvernance et logiques
sociales. Tout entier consacré à une démarche analytique rigoureuse,
sans complaisance et sans polémique, il se termine néanmoins par une
prise de risque face à la redoutable question « que faire ? », en suggérant
de mettre les normes pratiques au centre de toute intervention et de
valoriser les « experts contextuels » aujourd’hui invisibles.

Ce livre constitue une contribution majeure à l’analyse des effets


inattendus des politiques publiques.

Jean-Pierre Olivier de Sardan est directeur de recherche émérite au CNRS,


directeur d’études à l’EHESS, chercheur au LASDEL (Niger), responsable
scientifique du master de socio-anthropologie de la santé à l’Université Abdou
Moumouni (Niger). Deux de ses nombreux ouvrages sont devenus des
références internationales : Anthropologie et développement (Karthala, 1995),
et La rigueur du qualitatif (Académia, 2008).

hommes et sociétés
LA REVANCHE DES CONTEXTES
Karthala sur internet :
www.karthala.com
(paiement sécurisé)

Couverture : Tableau intitulé Ostéosynthèse © Jean-Pierre Chauveau, 2014

Éditions Karthala, 2021


ISBN : 978-2-8111-2363-5
Jean-Pierre Olivier de Sardan

La revanche
des contextes
Des mésaventures de l’ingénierie sociale,
en Afrique et au-delà

Éditions Karthala
22-24, boulevard Arago
75013 Paris
Ouvrages du même auteur

Aux Éditions Karthala


Les sociétés songhay-zarma (chefs, guerriers, esclaves, paysans…) 1984
Paysans, experts et chercheurs en Afrique noire : sciences sociales et dévelop-
pement rural (en collaboration avec P. Boiral et J.-F. Lantéri) 1985
Anthropologie et développement, essai en socio-anthropologie du changement
social 1995
Les pouvoirs au village : le Bénin rural entre démocratisation et décentralisa-
tion (en collaboration avec T. Bierschenk) 1998
Courtiers en développement. Les villages africains en quête de projets (en
collaboration avec T. Bierschenk et J.-P. Chauveau) 2000
Une médecine inhospitalière. Les difficiles relations entre soignants et soignés
dans cinq capitales d’Afrique de l’Ouest (en collaboration avec Y. Jaffré)
2003
État et corruption en Afrique. Une anthropologie comparative des relations
entre fonctionnaires et usagers (Bénin, Niger, Sénégal) (en collaboration
avec G. Blundo) 2007
Les pouvoirs locaux au Niger (Tome 1 : en attendant la décentralisation)
(en collaboration avec M. Tidjani Alou) 2009
Une politique publique de santé et ses contradictions. La gratuité des soins au
Burkina Faso, au Mali et au Niger (en collaboration avec V. Ridde) 2014
Élections au village. Une ethnographie de la culture électorale au Niger (avec
A. Elhadji Dagobi, E. Hahonou, O. Hamani, N. Issaley, O. Makama Bawa,
M. Moha, A. Mohamadou, H. Moussa Ibrahim, A. Oumarou, M. Tidjani
Alou, I. Younoussi) 2015

Chez d’autres éditeurs


Système des relations économiques et sociales chez les Wogo du Niger, Paris,
Institut d’ethnologie, 1969
Quand nos pères étaient captifs (récits paysans du Niger), Paris, Nubia, 1976
Concepts et conceptions songhay-zarma (histoire, culture, société), Paris,
Nubia, 1982
D’un savoir à l’autre : les agents de développement comme médiateurs (en
collaboration avec E. Paquot), Paris, GRET-Ministère de la Coopération,
1991
La construction sociale des maladies. Les entités nosologiques populaires en
Afrique de l’Ouest (en collaboration avec Y. Jaffré), Paris, PUF, 1999
La rigueur du qualitatif. Les contraintes empiriques de l’interprétation socio-
anthropologique, Louvain-La-Neuve, Academia-Bruylant, 2008
States at Work. Dynamics of African Bureaucracies (en collaboration avec
T. Bierschenk), Leyden, Brill, 2014
Real governance and practical norms in Sub-Saharan Africa. The game of the
rules (en collaboration avec T. de Herdt), Routledge, 2015
Cash Transfers in Context. An anthropological perspective (en collaboration
avec E. Piccoli), Berghahn, 2018
Avertissement

Cet ouvrage traite de politiques publiques standardisées, qui mécon-


naissent les multiples contextes dans lesquels elles sont mises en œuvre,
et qui, pour cette raison, sont confrontées à la « revanche des contextes ».
Diverses pistes seront proposées afin d’analyser ce rôle des contextes, ou
plus exactement des acteurs qui sont en leur centre.

Les politiques publiques dont il sera ici question sont principalement


liées au développement et à l’aide au développement, et les contextes dont
il sera ici question sont principalement des contextes africains.

Mais on peut raisonnablement penser que la revanche des contextes vaut


également, sous des modalités différentes, pour bien d’autres politiques
publiques menées dans les pays dits développés, et que des pistes analogues
peuvent être suivies pour comprendre leurs effets et tenter d’améliorer la
qualité des services qu’elles délivrent.

« Tout se passe comme si » est une expression commode qui permet de


proférer avec assurance un énoncé significatif sans s’y engager totalement,
d’affirmer une hypothèse forte tout en ouvrant la porte à des réserves. Tout
se passe comme si les politiques et projets de développement étaient une
forme exacerbée des politiques publiques qui sont élaborées et mises en
œuvre dans le monde entier, tout se passe comme si l’Afrique révélait de
façon paroxystique une revanche des contextes dont on peut trouver des
exemples dans le monde entier.
INTRODUCTION

La socio-anthropologie de l’ingénierie
sociale et les contextes africains

« Les acteurs politiques élaborent intentionnellement de nouvelles


règles du jeu à travers un processus d’analyse technique, de la même
façon qu’un ingénieur analyserait un problème particulier concernant, par
exemple, la capacité de charge, puis concevrait une structure qui résou-
drait ce problème particulier. De fait, l’approche du changement organisa-
tionnel en termes de “réingénierie” repose sur des hypothèses similaires »
(Grindle 2001 : 357)1.

De l’ingénierie sociale…

L’ingénierie sociale est une expression générique qui englobe, dans


l’acception non normative que nous lui donnons, tous les dispositifs d’inter-
vention planifiée, élaborés par des experts, visant à implanter ou modifier
des institutions et/ou des comportements dans des contextes variés. Étudier
des organisations, étudier des politiques publiques, étudier des États, étudier
des modes de gouvernances, étudier des projets de développement, étudier
des systèmes juridiques, étudier de l’aide sociale, c’est étudier de l’ingé-
nierie sociale. Mais, surtout, étudier les réactions des acteurs impliqués par
ces interventions, en particulier ceux à qui elles sont destinées comme ceux
qui doivent les exécuter, c’est aussi étudier de l’ingénierie sociale, ce qui lui
advient et ce qu’elle devient dans les contextes où elle est mise en œuvre. La
« réingénierie », terme qui connote habituellement la réorganisation d’une
structure organisationnelle en vue de l’optimiser, n’est qu’une variante de
l’ingénierie sociale.
S’il est un domaine où l’ingénierie sociale a particulièrement prospéré,
et à l’échelle de la planète entière, c’est bien celui de l’aide au développe-
ment et de l’aide humanitaire en direction des pays du Sud. Le « dévelop-
pement » recouvre en effet une interminable cohorte d’interventions, de

1. Toutes les citations extraites de textes publiés en anglais ont été traduites par l’auteur.
8 LA REVANCHE DES CONTEXTES

politiques publiques, de projets, de programmes, de réformes, mis en œuvre


depuis plusieurs décennies, en Afrique, en Asie et en Amérique latine, par
d’innombrables acteurs. Ceux qui les conçoivent et qui les financent sont
pour la plupart localisés dans les pays du Nord, depuis les institutions des
Nations Unies jusqu’aux grandes ou petites organisations non-gouverne-
mentales (ONG), en passant par les agences d’aide, les organisations multi-
latérales ou les fondations. Mais il leur faut compter sur la collaboration
nécessaire de « partenaires » du Sud, États, services publics, municipali-
tés, associations ou « sociétés civiles », entre autres. Les experts qui ont
élaboré les dispositifs de ces interventions, les bailleurs de fonds qui les
ont financées, les décideurs qui les ont introduites ou acceptées dans tel ou
tel pays, entendent améliorer ainsi le sort de millions de personnes, qui ont
toutes ceci de particulier qu’elles vivent très loin et très différemment de
ces experts, de ces bailleurs et de ces décideurs. Les contextes où sont situés
les uns (ceux qui veulent transformer positivement le sort des populations
cibles) sont très éloignés des contextes où sont situés les autres (ces popula-
tions cibles elles-mêmes, mais aussi les agents de terrain chargée de mettre
en œuvre localement les interventions).
Quelles que soient les interventions et quels que soient leurs porteurs
sociaux, leur mise en œuvre sur le terrain constitue un défi majeur et
s’avère être une épreuve redoutable. C’est dans la confrontation avec les
contextes locaux que se joue le sort de toute intervention. Ce qui avait été
soigneusement planifié se trouve confronté au réel. Les dispositifs sur le
papier se transforment en des interactions « pour de vrai », le projet devient
réalité, une réalité souvent très éloignée de ce que le projet avait anticipé.
La méconnaissance – inévitable – des contextes locaux, la sous-estimation
– fréquente – du rôle des acteurs concernés, la confiance – excessive –
en l’efficacité intrinsèque de l’intervention, tout cela concourt à créer un
décalage souvent impressionnant – pour l’analyste qui sait le détecter –
entre ce qui était censé se produire – les effets attendus de l’ingénierie
sociale – et ce qui se produit vraiment – ses effets inattendus. C’est ce que
nous appelons « la revanche des contextes ». Ignorés ou sous-estimés le plus
souvent, et de toute façon « imprévisibles » quels que soient les efforts des
experts, les contextes locaux mettent à mal diverses dimensions de l’inter-
vention. Évitons tout malentendu : nous ne prêtons pas aux contextes une
quelconque intentionnalité, et nous ne mettons aucun sens normatif dans
cette expression. Nous entendons simplement souligner qu’aucune inter-
vention en ingénierie sociale ne peut maitriser les contextes où elle va être
implantée, et à quel point les effets de ces contextes peuvent transformer
l’impact prévu de l’intervention. Il y a donc un contraste saisissant entre
d’un côté la perfection formelle des programmes d’intervention (comme
les fameux « projets » de l’aide au développement), leurs argumentaires
très élaborés, leur protocoles impeccables, leur technicité rigoureuse, leur
planification détaillée, leurs budgets irréprochables et, de l’autre côté, ce
qui advient « pour de vrai » sur les terrains où ils sont mis en œuvre : des
malentendus innombrables, des contournements incessants, un mélange
INTRODUCTION 9

inextricable de bricolages, d’improvisations, de résignations, de résistances,


de négociations, d’arrangements, de ruses et de compromis.
L’ingénierie sociale ne se limite évidemment pas au seul monde du
développement. Les politiques publiques dans les pays du Nord relèvent
tout autant de l’ingénierie sociale, comme en relèvent les syndicats, les
partis ou les associations, mais aussi le monde des affaires, des organisa-
tions, ou des entreprises culturelles. Dans ces espaces, les interventions
planifiées, élaborées par des experts, et visant à modifier ou changer des
institutions et des comportements, sont incessantes. Dans ces espaces aussi,
la confrontation avec les contextes de mise en œuvre est redoutable, bien
qu’elle soit plus rarement mise en évidence, et les issues sont imprévisibles,
malgré la rigueur formelle des dispositifs de planification et de suivi, de
plus en plus informatisés.
Nous insisterons particulièrement sur le monde du développement, car
c’est à l’ingénierie sociale développementiste que nos recherches ont été
confrontées sur le terrain des villages et des villes depuis une cinquantaine
d’années. Cette ingénierie sociale développementiste, quoique réservée
aux pays du Sud, entretient néanmoins des liens intéressants avec l’ingé-
nierie sociale dans les pays du Nord : d’une part il y a porosité entre les
deux mondes, comme en témoigne la diffusion au Sud des techniques du
new public management par le biais des politiques de développement,
d’autre part l’ingénierie développementiste révèle à travers la revanche
des contextes des phénomènes qui existent aussi au Nord mais y sont plus
masqués.
Le niveau d’analyse privilégié sera celui des services publics ou plus
exactement de la délivrance des services d’intérêt général, qui constitue
le principal « réel de référence »2 de cet ouvrage, car nous nous appuie-
rons largement sur les nombreuses études empiriques menées depuis une
vingtaine d’années sur ce thème (par le LASDEL, le réseau de l’APAD,
d’autres chercheurs, et nous-mêmes). Nous ne traiterons donc pas de façon
détaillée du sommet des États et du comportement des élites politiques,
thème qui est par ailleurs connu dans ses grandes lignes, même s’il mérite-
rait des recherches de terrain plus approfondies. Néanmoins, il est évident
que le fonctionnement « réel » des services publics en Afrique est pour une
grande part une conséquence directe des attitudes prédatrices de ces élites, et
que celles-ci sont en même temps insérées dans les mêmes normes pratiques
et logiques sociales que la masse des fonctionnaires (cf. chapitre 6). Quand
nous avons analysé dans un article « les quatre prisons du pouvoir » (Olivier
de Sardan 2016), qui contraignent fortement les Présidents africains (en
tout cas la plupart d’entre eux), réduisent considérablement leur marge de
manœuvre, et s’opposent aux changements, toutes ont un lien direct avec
les phénomènes décrits dans cet ouvrage : a) la mainmise des commerçants

2. Nous appelons réel de référence « le petit “morceau” d’espace social et de temps


social dont le chercheur veut rendre compte et qu’il se donne pour tâche de comprendre »
(Olivier de Sardan 2008a : 8).
10 LA REVANCHE DES CONTEXTES

sur la politique nationale (à travers la corruption et le clientélisme) ; b) les


redevabilités informelles envers les militants, les alliés et les courtisans ;
c) la culture professionnelle de la bureaucratie et ses normes pratiques ; d) la
dépendance envers l’aide, ses financements et son expertise.
Cet ouvrage a, on l’aura déjà compris, un autre réel de référence,
l’Afrique. C’est celui des contextes locaux dont nous avons pu analyser la
confrontation avec l’ingénierie développementiste. Les réalités africaines,
dans leurs spécificités, permettent, elles aussi, de mettre en évidence des
processus plus universels, mais qui, dans les pays développés, sont moins
évidents.

Quelle Afrique ?

Une telle approche implique que le regard posé sur l’Afrique (sur les
Afriques) soit débarrassé des fantasmes exotiques, des clichés traditionna-
listes et des exceptionnalités culturalistes qui pèsent trop souvent sur elle.
Nous nous intéressons aux contextes quotidiens des sociétés africaines, et
ces contextes relèvent des modernités et des contemporanéités de l’Afrique,
une Afrique qui est sans cesse confrontée à des politiques publiques, à des
projets de développement, à des interventions de l’État ou des ONGs, autre-
ment dit à de l’ingénierie sociale. C’est pour cette raison qu’il serait produc-
tif et stimulant de comparer la police au Bénin et la police en Allemagne, les
maternités au Niger et les maternités au Canada, un ministère au Cameroun
et un ministère en Pologne.
Certes les modernités africaines ne sont pas identiques aux modernités
asiatiques ou américaines. Elles ont leurs styles propres, leurs dimensions
spécifiques. C’est ce qui justifie les comparaisons. Mais, en ce qui concerne
l’ingénierie sociale, ou, plus largement, ses moyens d’intervention – les
appareils d’État, les bureaucraties, ou les institutions de développement –,
il n’est quasiment rien qu’on trouve en Afrique qu’on ne puisse trouver,
sous des couleurs différentes, selon des styles distincts et avec des ampli-
tudes variables, en Europe. Et vice versa. Pour prendre des phénomènes
connotés négativement, mais bien souvent associés (non sans raisons) aux
administrations africaines, comme la corruption, le népotisme, le clien-
télisme, le patrimonialisme, l’échange de faveurs, l’interventionnisme
politique, le trucage électoral, les stratégies de débrouille, ou les petites
combines, tous sont également présents en Europe, mais avec d’autres
intensités ou extensions, sous d’autres formes ou apparences, et sur
d’autres sites préférentiels.
L’une des grandes confusions créées par l’approche « culturaliste tradi-
tionnaliste » de l’Afrique (critiquée dans le chapitre 8) est de tirer parti de
ces différences entre les modernités africaines et les modernités occiden-
tales pour les rabattre sur le passé et les cultures des sociétés africaines,
INTRODUCTION 11

et les imputer à une logique (néo)patrimonialiste qui leur serait consubs-


tantielle. Comme si, différente de l’Occident, l’Afrique ne pouvait qu’être
engluée dans son ancestralité. En fait, les modernités africaines sont à de
très nombreux égards plus éloignées de leur passé précolonial qu’elles ne
le sont du présent des modernités européennes.
Au cœur des contextes africains contemporains, jusque dans les
compagnes éloignées (les brousses du Sahel ou les forêts des pays côtiers),
on trouve la présence d’écoles, de dispensaires, de militaires, de gardes
forestiers. Bien rares, voire exceptionnelles, sont les bourgades africaines
dénuées de « projets de développement », ou que ne visitent jamais les
agents d’une quelconque ONG. Les migration campagnes/villes, pays
de l’intérieur/pays côtiers, Afrique/Europe ou Afrique/USA sont la règle
depuis un siècle, et non l’exception. Un peu partout, les chefs tradition-
nels sont désormais d’anciens cadres de la fonction publique. Les interven-
tions sociales, les politiques publiques, l’aide humanitaire, la délivrance de
services d’intérêt général, les institutions des Nations Unies, l’État (même
déficient), tous quadrillent chaque pays, chaque région, chaque commune
en Afrique. Autrement dit on ne peut dissocier les modernités africaines de
l’omniprésence de dispositifs d’ingénierie sociale. Ce sont leurs interac-
tions, les effets des interventions, et les réactions des contextes locaux qui
en découlent, qui sont au centre de cet ouvrage.
Nous optons résolument pour que l’attention soit enfin portée sur les
bureaucraties africaines au quotidien et sur leurs multiples accommode-
ments, ajustements, contournements, innovations et négociations infor-
melles, et pour que le pluralisme normatif (horizontal et vertical), et la
production locale des normes (en particulier celles que nous appelons
normes pratiques) soient documentés.

Au-delà de l’Afrique

Il sera donc beaucoup question de l’Afrique, et les exemples mobilisés


se réfèrent le plus souvent au Sahel.
Et pourtant cet ouvrage parle avant tout de processus contemporains
qui débordent le Sahel et l’Afrique. Il traite des processus de fabrication
et d’implantation des politiques publiques, et des écarts lors de leur mise
en œuvre. Il traite de modèles de développement, de programmes standar-
disés diffusés à travers toute la planète. Il traite de délivrance des biens et
services publics, de bureaucraties, d’État, de communes, d’ONGs. Il traite
de pratiques quotidiennes des acteurs de terrain, de routines dans les mater-
nités ou les palais de justice, de débrouillardise, de corruption.
Les études de cas se situent pour l’essentiel au Niger : il faut bien
connaître un contexte local pour en parler avec sérieux. Mais, face aux
politiques publiques, face aux politiques de développement, face aux inter-
12 LA REVANCHE DES CONTEXTES

ventions de l’État, l’importance décisive des contextes locaux n’a en soi


rien de nigérien, ni même d’africain.
Si nos enquêtes de terrain concernent l’Afrique, elles permettent en
effet de mettre en évidence des phénomènes bien plus vastes, souvent
ignorés ou sous-estimés dans les pays du Nord, parce qu’ils y sont moins
visibles ou que les traditions de recherche n’y accordent guère d’impor-
tance. Par exemple, le fait que les politiques publiques et les réformes
qui se succèdent ne se substituent pas aux précédentes, mais au contraire
s’empilent et coexistent (ce que Thomas Bierschenk, 2014, appelle
« sédimentation ») est constatable au Nord comme au Sud, mais l’Afrique
en fournit des illustrations particulièrement significatives. Par exemple, le
fait que la redevabilité n’ait pas de sens véritable au singulier, mais doive
être toujours déclinée au pluriel (ce que Giorgio Blundo, 2014a, appelle
« multi-redevabilités ») et inclure les redevabilités informelles, est consta-
table au Nord comme au Sud, mais l’Afrique en fournit des illustrations
particulièrement significatives. Par exemple, le fait que les comportements
des fonctionnaires non conformes aux normes officielles soient de facto
convergents et régulés (ce que nous appelons « normes pratiques ») est
constatable au Nord comme au Sud, mais l’Afrique en fournit des illustra-
tions particulièrement significatives. Nous faisons nôtre cette remarque de
Tobias Hagmann et Didier Péclard (2010 : 558) : « Le fait que cet ouvrage
soit focalisé sur l’Afrique ne signifie pas que la “nature” de l’État africain
soit particulière, et qu’il ait un statut ontologique différent de celui qu’il
a ailleurs ».
Les modèles voyageurs, les modes de gouvernance, les normes pratiques,
les logiques sociales, ces quatre concepts qui structurent cet ouvrage, ont été
élaborés en s’appuyant pour une grande part sur des matériaux empiriques
issus des enquêtes menées par les chercheurs du LASDEL au Niger, ainsi
que dans certains autres pays africains. Mais rien n’empêche de les faire
fonctionner pour des recherches en Europe ou en Chine. Autrement dit on
peut inverser le voyage habituel des théories, et produire des interpréta-
tions théoriques « issues du Sud » (cf. l’ouvrage de John Comaroff et Jean
Comaroff 2012 : Theories from the South) qui soient applicables au Nord
(Bierschenk & Olivier de Sardan 2014a).

Sur quelles traditions de recherche s’appuyer


et quels concepts faire travailler ?

Au sein de la discipline anthropologique, qui a une histoire et une


existence académique et institutionnelle propre, même si, d’un point de vue
épistémologique, elle n’est guère que la branche qualitative d’une science
sociale unique (Passeron 2006 ; Olivier de Sardan 2008a), deux « écoles »
classiques, déjà anciennes, représentent les principaux acquis dont nous
INTRODUCTION 13

revendiquons l’héritage. Toutes deux s’appuient sur l’apport fondamental de


l’anthropologie, qui est d’ordre méthodologique (l’enquête de terrain inten-
sive), qu’ils appliquent à des objets nouveaux, non exotiques, non tradition-
nels, non primitivistes. La première est « l’école de Chicago » en sociologie,
née entre les deux guerres mondiales autour d’anciens journalistes et travail-
leurs sociaux, qui a eu le mérite d’appliquer la méthode ethnographique au
cœur des modernités américaines, et de l’inscrire dans une discipline socio-
logique dominée par les méthodes quantitatives et l’usage immodéré des
questionnaires. Notre souci de procéder à une ethnographie des modernités
africaines se situe donc dans son prolongement. Et notre usage fréquent de
l’expression « socio-anthropologie » est un hommage à l’école de Chicago
autant qu’un souhait que s’abolisse la frontière institutionnelle entre socio-
logie et anthropologie. Parmi les anthropologues, où règne un fort corpora-
tisme disciplinaire, c’est une position encore très minoritaire3. Néanmoins,
nous persisterons et utiliserons indifféremment « socio-anthropologie » (en
tant que préférence personnelle) et. « anthropologie » (en tant qu’insertion
disciplinaire).
La seconde influence dont nous nous réclamons est l’école de
Manchester. Autour de Max Gluckman et du Rhodes Linvingstone Institute
en Afrique du Sud, après la seconde guerre mondiale, elle a su dépasser
certains poncifs ethnologiques africanistes et s’intéresser aux modernités
africaines de son époque. Le texte célèbre de Gluckman (1940-1971) sur
l’inauguration d’un pont dans le Zululand témoigne de son souci d’inté-
grer le contexte colonial comme un élément incontournable de l’analyse
des sociétés africaines. Les travaux menés sur les travailleurs migrants en
Afrique du Sud vont dans le même sens (Mitchell 1969).
Au-delà de ces héritages qu’il convient de reconnaître, nous avons
empruntés divers concepts, de façon fort éclectique et sans aucun souci
d’allégeance théorique, concepts que nous avons modifiés et recomposés
pour les adapter aux résultats de nos enquêtes de terrain. Tous, en fait, se
sont peu à peu imposés au fil des recherches empiriques du LASDEL et
dans la confrontation avec les données produites par notre équipe, et ils
relèvent donc de ce que Barney Glaser et Anselm Strauss (1973) appellent
« la théorie enracinée dans le terrain » (grounded theory). La liste en est
longue, et se retrouvera tout au long de cet ouvrage.
« Ingénierie sociale » (social engineering) est une expression dont nous
avons donné notre définition ci-dessus, inspirée par celle de Bierschenk
(2014), et qui remonte sans doute à Karl Popper (1957) sous la forme de
piecemeal social engineering, « ingénierie sociale au coup par coup ». Elle

3. Par exemple Jean Copans (2007 : note 22) la condamne sans autre forme de procès
comme étant une « pseudo solution pragmatique de mélange disciplinaire ». Georges
Balandier a pourtant été une figure exemplaire de ce « mélange disciplinaire ». Rappelons
que, tout au long du xxe siècle, la plupart des travaux sur les sociétés et institutions afri-
caines relevait indifféremment de l’ethnologie et de la sociologie sans frontière discer-
nable (Poncelet 2020 : 153).
14 LA REVANCHE DES CONTEXTES

est employée parfois loin des sciences sociales dans un sens radicalement
différent, qui renvoie à des techniques informatiques de manipulation et
de fraude4.
Nous devons le concept de « modèle voyageur » à Richard Rottenburg
(2007 ; cf. Behrends, Park & Rottenburg 2014). Mais, alors qu’il reste assez
général chez ce dernier, notre acception est nettement plus circonscrite, et
centrée sur les mécanismes et dispositifs standardisés issus de l’ingénierie
sociale typique de l’aide au développement.
« Normes pratiques » constitue une formulation que nous revendiquons,
mais qui néanmoins doit beaucoup à Frederick Bailey (1969 ; 2001) et ses
« règles pragmatiques ». « Contexte pragmatique » ou « configuration de
délivrance » sont également des créations personnelles, ainsi que « réfor-
misme critique » (cf. De Herdt & Olivier de Sardan, à paraître), « nœuds
critiques », « experts contextuels », « stratégies de contournement »,
« morale de proximité » ou « perspective des discordances ».
« Mode de gouvernance » n’est pas une appellation inédite, mais elle ne
peut pas être attribuée à un auteur particulier, elle a donné lieu à diverses
définitions à nos yeux imprécises, et elle n’avait pas été centrée, comme
nous l’avons fait, sur la délivrance de services d’intérêt général. Il faut
néanmoins signaler que Giorgio Blundo et Pierre-Yves Le Meur (2009)
ont souligné, en même temps que nous, cette fonction de la gouvernance.
« Logique sociale » relève d’un processus analogue. C’est un terme
largement utilisé dans des acceptions variées, et auquel nous avons donné
une signification particulière, en tant que principe générateur de compor-
tements convergents, transversal aux normes pratiques et aux modes de
gouvernance, toujours pluriel, et dépendant des contextes.
« Positionnalité civique » ou « positionnalité épistémologique », ces
expressions reprennent le concept de « positionality » désormais utilisé
dans les sciences sociales anglophones pour définir le rapport du chercheur
à son objet, et lui ajoutent des dimensions spécifiques, relatives pour l’une à
l’engagement politique ou militant du chercheur et pour l’autre à sa posture
face à la production de connaissances (De Herdt & Olivier de Sardan, à
paraître).
« Groupe stratégique » est une création de Hans-Dieter Evers et Tilman
Schiel (1988), que Bierschenk (1988) a empruntée pour l’appliquer de façon
plus ciblée aux acteurs impliqués dans les projets de développement. Nous
l’avons largement utilisé comme principe d’investigation méthodologique
(Bierschenk & Olivier de Sardan 1997a ; Olivier de Sardan 2011d), autre-
ment dit comme concept exploratoire. Quant à « arène locale », concept très
complémentaire, nous le devons à Bailey. Nous l’avons étendu à « anthro-
pologie centrée sur une arène ». « Étaticité » (stateness) a été emprunté à
Thomas Risse (2011).

4. À l’intérieur des sciences sociales, « ingénierie sociale globale » (global social


engineering) a été parfois utilisé à propos du projet de société qui serait propre au néo-
libéralisme (cf. Harrison 2010).
INTRODUCTION 15

« Agencéité » (agency) vient évidemment de Anthony Giddens (1984)


et nous avons aussi utilisé ce concept en l’état, tout en lui adjoignant la
capacité de choix entre trois registres de normes (officielles, sociales et
pratiques) et une pluralité de logiques sociales.
Divers autres concepts qui pouvaient apparaître au premier abord
comme relativement proches de la perspective de cet ouvrage ont par
contre été considérablement modifiés par rapport à leurs acceptions les
plus courantes. C’est le cas des concepts d’« épreuve » – popularisé par la
sociologie pragmatique française de façon emphatique et dont nous avons
beaucoup réduit la voilure –, de « traduction » – central pour la théorie de
l’acteur-réseau et les science studies, et que nous avons aussi ramené à des
significations plus modestes –, de « culture » – que nous avons fortement
critiqué dans ses usages les plus fréquents, pour le redimensionner sur des
bases empiriques précises et circonscrites –, de « néo-patrimonialisme » –
devenu pour nous une simple logique parmi beaucoup d’autres et non une
explication passe-partout –, de « dispositif » – utilisé dans un sens beaucoup
plus concret que celui qu’il a progressivement pris chez Foucault –, de
« mécanisme » – devenu ici le principe d’action explicite d’un modèle
voyageur et non une causalité cachée comme dans toute une littérature en
sociologie et en théorie de l’évaluation – ou d’« idéologie » – qui ne connote
pas dans cet ouvrage l’expression de l’hégémonie de la classe dominante
à travers les appareils idéologiques d’État comme chez Louis Althusser
(1970), mais le poids des préférences, convictions et croyances préétablies
ou allant de soi, dispensées d’examen critique et d’investigation empirique,
définition qui relève d’une variation personnelle autour des analyses de
Georges Canguilhem (2009) et Paul Ricoeur (1974). Les acceptions que
nous donnons à ces concepts seront discutées et explicitées au fur et à
mesure de leur apparition dans le texte.
Pour nous, un concept n’est pas intouchable et ne doit surtout pas devenir
un dogme, c’est un simple échafaudage théorique (ce qui n’est pas si mal)
permettant soit une meilleure investigation d’un réel de référence (cas de
concepts exploratoires comme « normes pratiques »), soit une meilleure
interprétation des résultats d’une enquête (cas de concepts plus interpréta-
tifs comme « modèle voyageur » ou « mode de gouvernance »). Comme
tout échafaudage les concepts peuvent être démontés, bricolés, recyclés,
ou remisés. Ils n’ont d’autre utilité que de permettre des intelligibilités
nouvelles (c’est déjà beaucoup) et sont soumis à une loi des rendements
décroissants, ou, pour employer un autre registre métaphorique, au risque
de devenir des fétiches ou des incantations.
En outre, l’important n’est pas l’étiquette mais le produit contenu dans le
flacon. D’autres termes que ceux que nous avons choisis pourraient facile-
ment véhiculer les mêmes significations : « intervention standardisée » peut
remplacer « modèle voyageur », « régulation informelle » équivaut à peu
près à « norme pratique », et on peut substituer « système institutionnel de
délivrance de biens d’intérêt général » à « mode de gouvernance ».
16 LA REVANCHE DES CONTEXTES

L’ouvrage

Cinq parties composent ce livre, et chacune combine perspectives


théoriques et études empiriques.
La première partie analyse les « modèles voyageurs » et leurs confron-
tation avec les contextes particuliers où ils sont mis en œuvre (l’« épreuve
des contextes »). En effet, les politiques publiques et les programmes de
développement introduits en Afrique depuis les indépendances sont pour
la plupart des interventions standardisées élaborées par des experts inter-
nationaux, financées et diffusées par les institutions de l’aide, et censées
avoir une efficacité intrinsèque dans des contextes variés (chapitre 1). Or
ces contextes, en particulier les contextes pragmatiques, où se déploient les
jeux d’acteurs selon des logiques très spécifiques, induisent de nombreux
effets imprévus. On peut donc parler de « revanche des contextes ». Ces
effets imprévus, ces écarts (ou dérives) entre les projets, programmes ou
réformes sur le papier et leur mise en œuvre effective sur le terrain (imple-
mentation gaps), sont particulièrement importants en Afrique, mais ne
sont documentés ni par les méthodes habituelles d’évaluations et d’études
d’impact, ni par les rapports officiels. Une étude de cas (chapitre 2) sur les
dispositifs de transferts monétaires ou cash transfers (distribution d’argent
aux familles les plus vulnérables) illustre cette analyse. Les transferts
monétaires, élaborés à partir des expériences brésilienne et mexicaine, sont
en effet diffusés dans tous les pays du Sud, et en particulier en Afrique, par
de nombreuses institutions, avec en tête la Banque mondiale. Imposant
des procédures de sélection mal perçues par les communautés locales et
souvent contournées, fondés sur des définitions statistiques de la pauvreté
ou des ménages éloignées des réalités locales, assortis de conditionnalités
informelles abusives ou mettant en œuvre des procédures « participatives »
de type occidental, les programmes de transferts monétaires constituent
un exemple édifiant de la confrontation entre les modèles voyageurs et les
contextes locaux.
La seconde partie traite des « normes pratiques ». Les agents de l’État
et des institutions de développement (professionnels de santé, enseignants,
travailleurs sociaux, vulgarisateurs agricoles, policiers, par exemple),
chargés de mettre en œuvre les politiques publiques et les programmes
de développement, sont loin de se comporter toujours selon les règle-
ments et directives hiérarchiques, et moins encore selon les injonctions des
bailleurs de fonds internationaux. Leurs comportements réels et les routines
qui dominent la vie quotidienne des services ne sont pas aléatoires, mais
sont prévisibles, car régulés par des normes pratiques, implicites, latentes,
éloignées des normes officielles, et apprises « sur le tas », qui sont une
composante fondamentale de la revanche des contextes (chapitre 3). Ces
normes pratiques sont souvent négatives en termes de qualité de délivrance
des services par les agents publics (c’est le cas de la corruption) mais elles
sont parfois positives en ce qu’elles permettent de se « débrouiller » pour
INTRODUCTION 17

délivrer un service dans des conditions de dénuement (normes pratiques


palliatives). Une approche par les normes pratiques du fonctionnement des
institutions (en particulier administrations et services publics) systéma-
tise diverses intuitions et perspectives déjà énoncées au sein des sciences
sociales, que nous évoquerons, et ouvre un vaste champ de recherches
empiriques. L’étude de cas proposée dans cette partie (chapitre 4) porte sur
le fonctionnement du système de santé nigérien, analysé à travers la mise en
évidence des normes pratiques qui régulent les comportements effectifs des
professionnels de santé, et leurs écarts aux normes, procédures, protocoles
et directives officielles. Ces normes pratiques sont tantôt spécifiques aux
métiers de la santé (comme les épisiotomies abusives ou le non-respect du
partogramme par les sages-femmes), tantôt communes à l’ensemble des
agents de l’État (comme l’absentéisme au travail ou les paiements informels
demandés aux usagers).
La troisième partie concerne les « modes de gouvernance ». L’État n’est
pas la seule institution qui délivre des biens (ou services) d’intérêt général,
et où coexistent normes officielles et normes pratiques. D’autres dispositifs
institutionnels, dotés de règles spécifiques, concourent également à fournir
de la santé, de l’éducation, ou de la sécurité, par exemple. Autrement dit,
divers modes de gouvernance coexistent au sein des contextes locaux, qui
connaissent chacun des écarts aux normes officielles qui les régissent : les
modes de gouvernance bureaucratique-étatique, communal, chefferial,
développementiste, associatif, marchand, et mécénal (chapitre 5). Cette
approche de la gouvernance par la pluralité, la discordance et la délivrance
de services permet de compléter et parfois de corriger les approches de
la gouvernementalité exclusivement centrées sur le sommet, le pouvoir,
la force et la domination. Deux modes de gouvernance particuliers, qui
sont présents à la fois sur la scène mondiale et dans les contextes africains
nationaux et locaux, seront analysés. Le mode de gouvernance bureaucra-
tique-étatique (chapitre 6), avec son maillage d’enseignants, d’agents de
santé, de forces de l’ordre, est un produit d’influences hétérogènes (bureau-
cratie coloniale, bureaucratie européenne, bureaucratie communiste, New
public management), qui engendrent des politiques publiques incohérentes
et multiplient les nœuds critiques. La présence effective de l’État dans le
pays (l’étaticité) est très variable et la culture politique des élites bloque les
réformes. Quant au mode de gouvernance développementiste (chapitre 7),
dont le « projet de développement » est la forme archétypale, il distribue
la « rente du développement », à l’origine de la dépendance à l’aide et des
stratégies de captation de celle-ci par le biais de courtiers en développement,
et il engendre de nombreux effets pervers, comme la fuite des cerveaux vers
les institutions internationales et les ONGs, le double langage, le poids
démesuré des « réformateurs de l’extérieur » ou la faible innovation interne.
La quatrième partie repose sur une approche pluraliste des logiques
sociales qui s’oppose aux versions unitaires ou binaires. Dans leur confron-
tation avec l’ingénierie sociale, les acteurs peuvent suivre des logiques
multiples. Mais, paradoxalement, des pans entiers de l’anthropologie
18 LA REVANCHE DES CONTEXTES

(fortement imprégnés d’idéologie culturaliste) ou de la science politique


(à la recherche d’explications trop simples), se sont construits autour de
l’explication des pratiques sociales par une logique unique ou l’opposition
de deux logiques antagonistes (chapitre 8). Les interprétations culturalistes
font du passé africain la matrice principale des comportements convergents
d’aujourd’hui, et le recours au néo-patrimonialisme pour décrire les États
africains s’enferme dans une dichotomie réductrice entre logique patrimo-
niale et logique légale-rationnelle. La pluralité des logiques sociales est au
contraire une évidence empirique, favorable à l’analyse (chapitre 9). Des
logiques sociales multiples, hétérogènes, parfois contradictoires, sont au
principe des actions et des réactions des divers groupes stratégiques concer-
nés, et se retrouvent à l’œuvre derrière de nombreuses normes pratiques
et quel que soit le mode de gouvernance. Logique de la pitié, logique du
cadeau, logique de la honte, logique de l’échange généralisé de faveurs,
logique de l’ostentation en sont quelques exemples ici développés, mais il
en est d’autres (comme la logique de la maximisation des gains informels).
Enfin, la cinquième partie est de nature différente, en ce qu’elle sort
du périmètre analytique typique de la recherche, pour s’aventurer dans
l’espace plus incertain du « que faire ? ». Elle pose en effet la question
complexe de la contribution des recherches socio-anthropologiques à des
réformes des politiques publiques et des programmes de développement,
et à une amélioration de la qualité des services délivrés aux populations.
Deux pistes sont examinées : celle des « réformateurs de l’extérieur », autre-
ment dit l’industrie du développement, soumise à des contraintes et des
limites fortes, et avec laquelle le dialogue est souvent difficile (chapitre 10) ;
celle des « réformateurs de l’intérieur », qui prend en compte la réalité des
normes pratiques, et se confronte aux problèmes que posent l’identification
et la diffusion d’innovations locales (chapitre 11). Ces liens complexes entre
recherche et action seront abordés selon le point de vue du « réformisme
critique » (qui exprime notre positionnalité civique).
La conclusion est quant à elle théorique : la « perspective des discor-
dances » adoptée dans cet ouvrage (notre positionnalité épistémologique)
entend extraire l’anthropologie de son image passéiste et exotique (suivant
en cela les traces de divers prédécesseurs qui seront évoqués), et renforcer
son dialogue avec la sociologie et la science politique. Nous prenons parti
pour une socio-anthropologie des diversités, des décalages et des contra-
dictions, dont Max Weber a été un inspirateur avec son usage de l’« écart
méthodologique ». Les discordances sont particulièrement présentes tout au
long des processus de mise en œuvre des interventions en ingénierie sociale.
Mais elles sont aussi au cœur de toute vie sociale. Les méthodes qualitatives
sont particulièrement adaptées pour en investiguer les complexités.
C’est ce qui fait de l’anthropologie une science des contextes.
INTRODUCTION 19

La part du collectif et du dialogue

Cet ouvrage ne sera pas à la première personne (en dehors des lignes
qui suivent). Je comprends certes l’intérêt de la réflexivité, la séduction
qu’elle peut susciter, et à quel point la description par l’anthropologue de
sa propre position au cours de l’enquête peut être parfois utile, y compris
pour l’analyse de l’ingénierie sociale et des institutions de développement
(cf. Fresia et Lavigne Delville 2018b) mais j’en connais aussi les limites
et les excès (que j’avais décrits dans La rigueur du qualitatif sous le titre
« Le “je” méthodologique », en posant cette question : « Ne sommes-nous
pas menacés aujourd’hui par l’excès plutôt que par le défaut de réflexi-
vité ? »). Les questions de positionnalité seront néanmoins abordées, mais
sans effets de personnalisation, dans les deux derniers chapitres.
Les innombrables données d’enquêtes qui servent de socle aux inter-
prétations ici proposées sont le produit convergent et robuste de vingt
années d’observation participante par les chercheurs du LASDEL, de
milliers d’entretiens libres produits par nos équipes, et de centaines et de
centaines d’études de cas. Elles ne sont donc pas liées à ma seule personne.
Triangulations, recoupements, confirmations, validations ont été des proces-
sus incessants tout au long de ces deux décennies, et ce qui est présenté
ici raconte une histoire dont nous ne sommes en rien les héros, mais qui
est celle de nos très nombreux interlocuteurs, et, bien au-delà, celle du
fonctionnement quotidien des politiques publiques au Niger et en Afrique,
du fonctionnement quotidien des projets de développement, du fonctionne-
ment quotidien de communes, de maternités, d’écoles…
Quant aux interprétations, elles sont bien sûr les miennes, et j’en assume
l’entière responsabilité. Mais je ne les ai pas trouvées tout seul. Je propose
des concepts, des analyses, et des cadres de réflexions dont je ne suis pas
un producteur isolé dans son bureau, et qui ne sont pas des fantaisies, des
illuminations, des gadgets intellectuels ou des lubies personnelles, ceci pour
trois raisons.
– Les concepts utilisés sont tous « issus du terrain », tous ont été élabo-
rés a posteriori et pas à pas, à partir de matériaux empiriques recoupés et
recueillis collectivement, pour tenter de les rendre intelligibles, procéder à
des comparaisons, et permettre une progressive montée en généralité, aussi
solide que possible.
– Les concepts utilisés sont tous « issus de lectures ». La plupart
renvoient à des termes semblables ou proches, que j’ai repris ou brico-
lés à ma façon, car ils avaient en général déjà été utilisés de façon diffé-
rente par des chercheurs d’hier ou d’aujourd’hui, avec qui je débat donc
indirectement.
– Les concepts utilisés sont tous « issus de dialogues ». C’est au fil de
ces dialogues, dialogues avec des collègues d’Europe et d’Afrique, dialo-
gues avec des étudiants d’Europe et d’Afrique, dialogues étalés sur une
trentaine d’années de recherches, d’enseignements et de séminaires consa-
20 LA REVANCHE DES CONTEXTES

crées aux projets de développement, aux services publics, et aux politiques


publiques, que j’ai « rodé » ces concepts, que je les ai « ajustés », précisés,
affinés.
Autrement dit, les nombreuses propositions conceptuelles qui parsèment
cet ouvrage sont issues d’un triple dialogue : dialogue avec les données
(issues d’enquêtes qualitatives rigoureuses), dialogue avec la littérature en
sciences sociales (anthropologie, sociologie, science politique, économie,
santé publique, pour l’essentiel), dialogue avec des collègues en sciences
sociales (apprentis ou confirmés).
L’usage fréquent dans les pages qui suivent de citations verbatim (de
moins en moins fréquent hélas dans les textes scientifiques), extraites soit
des propos des acteurs de terrain, soit de nos multiples lectures, s’inscrit
dans cette perspective de dialogue, avec la volonté de donner accès aux
mots exacts qu’utilisent les interlocuteurs comme les chercheurs auxquels
mes argumentations se réfèrent5.

Post-scriptum

Cet ouvrage s’appuie sur le bilan de soixante années de recherches


personnelles sur le changement social, mais surtout vingt-cinq années de
recherche collective en Afrique, et en particulier au Niger. Les matériaux
empiriques qui sont à la base des réflexions et des analyses ici proposées
sont en effet liés à l’aventure scientifique du LASDEL [www.lasdel.net],
qui a permis l’émergence d’un centre de recherche en sciences sociales
internationalement connu dans un des pays les plus pauvres de la planète.
Je dois donc remercier avant tout mes camarades du LASDEL : cet
ouvrage doit beaucoup à notre aventure commune, et à la qualité des études
empiriques qu’ils ont menées6. Je tiens à mentionner particulièrement
Mahaman Tidjani Alou, mon complice pour fonder le LASDEL, et son
premier directeur, pour nos innombrables et toujours stimulants échanges
intellectuels. Aïssa Diarra, à la fois ma collègue et mon épouse, m’a aussi
aidé par son travail considérable dans le domaine de la santé, en particulier
la santé maternelle.

5. Certains passages de cet ouvrage reprennent, réorganisent et développent des


éléments d’analyses publiées en anglais (Olivier de Sardan 2009a, 2011b, 2014g, 2015a et
c, 2018 ; Olivier de Sardan, Diarra & Moha 2017) ou dans Études et Travaux du LASDEL
(Olivier de Sardan 2009c ; Olivier de Sardan 2014c ; Olivier de Sardan, Ali Bako &
Harouna 2019).
6. Par ordre d’entrée approximatif dans ma vie professionnelle, j’ai bénéficié de la
collaboration de Adamou Moumouni, Aboubacar Souley, Abdoua Elhadji Dagobi, Abdou-
laye Mohamadou, Philippe Lavigne Delville, Hadiza Moussa, Nana Issaley, Younoussi
Issa, Oumarou Hamani, Éric Hahonou, Amadou Oumarou, Tahirou Ali Bako, Mohamed
Moha, Abdoulaye Ousséini, Abdoulaye Sounaye, Rahmane Idrissa. Je ne saurais oublier
les collègues du LASDEL Bénin, qui m’ont permis de sortir d’une vision trop « nigéro-
centrée », et à leur tête Nassirou Bako Arifari.
INTRODUCTION 21

Mes échanges avec de nombreux collègues, en Afrique comme en


Europe, ont également été décisifs, comme mes discussions avec les
doctorants de l’EHESS de Marseille, les doctorants des neuf sessions de
l’Université d’été du LASDEL, les stagiaires des trois sessions de son
École professionnelle, les mastérants de l’Université Abdou Moumouni de
Niamey, et les participants aux nombreux séminaires, en Afrique, en Europe
et au Canada, où j’ai exposé telles ou telles analyses qui se retrouvent dans
cet ouvrage. J’ai une dette intellectuelle et personnelle considérable envers
Thomas Bierschenk et Giorgio Blundo, car nos échanges et leurs écrits
depuis près de trente ans ont toujours été pour moi des sources d’inspiration
extrêmement précieuses7.
Enfin, je remercie les amis et collègues qui ont accepté de lire différents
fragments de ce texte, et de me faire part de leurs commentaires, sugges-
tions et critiques.

7. J’ai bien sûr bénéficié d’autres apports, au fil d’activités diverses menées en
commun, en particulier pendant les années 1990 ; faute de pouvoir citer tous les noms, je
mentionnerai Jean-Claude Passeron, dont les écrits comme les interventions orales ont été
décisifs pour affermir et conceptualiser mes orientations épistémologiques ; Yannick
Jaffré, pour ses intuitions stimulantes et nos échanges intensifs et au long cours dans le
domaine de la santé (mais pas seulement) ; et Jean-Pierre Chauveau, qui a joué un rôle
central dans la fondation et l’animation de l’APAD (association euro-africaine pour l’an-
thropologie du changement social et du développement), réseau à la fois professionnel et
amical qui a souvent alimenté mes propres travaux et réflexions. J’ai une autre raison
d’être reconnaissant envers Jean-Pierre Chauveau : il a réalisé l’illustration figurant sur la
couverture de cet ouvrage.
Table des matières

Avertissement ................................................................................... 5
Introduction. La socio-anthropologie de l’ingénierie sociale
et les contextes africains .................................................................. 7
De l’ingénierie sociale… ........................................................... 7
Quelle Afrique ? ......................................................................... 10
Au-delà de l’Afrique .................................................................. 11
Sur quelles traditions de recherche s’appuyer
et quels concepts faire travailler ? .............................................. 12
L’ouvrage ................................................................................... 16
La part du collectif et du dialogue ............................................. 19
Post-scriptum ............................................................................. 20

Première Partie
Les modèles voyageurs
1. Les modèles voyageurs face à l’épreuve des contextes ......... 25
Qu’est-ce qu’un modèle voyageur ? ......................................... 25
Un exemple de modèle voyageur : le paiement basé sur la
performance .......................................................................... 29
La fabrique d’un modèle voyageur (la mise en forme) ............. 32
Mise en récit. Des histoires édifiantes .................................. 32
Mise en ingénierie : mécanisme, dispositifs et instruments 33
Mise en réseau ...................................................................... 39
Controverses et débats internes ............................................ 42
Les efforts d’adaptation aux nouveaux contextes :
traductions, vernacularisations, customisations ?................ 43
De la traduction et de la perspective de la sociologie de
la traduction .................................................................... 45
L’épreuve des contextes (la mise en œuvre d’un modèle importé) 49
L’implementation gap ........................................................... 49
Les groupes stratégiques lors de la mise en œuvre .............. 50
Le concept d’épreuve en sciences sociales ........................... 51
Le rôle créatif des agents de terrain..................................... 52
De quels contextes parle-t-on ?
Contextes structurels et contextes pragmatiques.................. 54
488 LA REVANCHE DES CONTEXTES

Exit, voice, loyalty… and cunning strategies ....................... 59


Pourquoi cette récurrence étonnante des modèles voyageurs ? 61
Un marché de l’emploi ......................................................... 62
Le pilotage par l’offre des actions de développement .......... 63
Un logiciel enraciné dans les mentalités .............................. 65
Les routines institutionnelles, gestionnaires et financières.... 66
Une complexité procédurale qui ignore la complexité sociale 67
Des instruments particulièrement appropriés aux modèles
voyageurs : cadre logique, RCT ...................................... 69
Le « New public management »............................................ 73
Conclusion. Et le néo-libéralisme ? ........................................... 74

2. Étude de cas. Le long voyage des transferts monétaires ...... 79


Introduction................................................................................ 81
Brésil et Mexique : le point de départ .................................. 82
Les premiers pas du modèle : construction d’une histoire
édifiante (success story)................................................... 84
La construction d’un « mécanisme » : standardisation
et décontextualisation ...................................................... 85
La mise en réseau et le long voyage des CT.............................. 88
L’extension des CT conditionnels en Amérique latine.......... 88
L’exportation des CT conditionnels et inconditionnels vers
l’Afrique et l’Asie ............................................................ 90
Les deux filières .................................................................... 92
La faible prise en compte des contextes pragmatiques et la
revanche des contextes ......................................................... 94
Trois malentendus : aide sociale, pauvreté, ménage ............ 95
La confrontation avec les normes locales ............................ 99
Le contournement des injonctions participatives ................ 103
Le rejet des effets de seuil ..................................................... 104
Conclusion. Un conflit d’intérêt généralisé ............................... 105

deuxième Partie
Les normes pratiques
3. Un concept exploratoire : les normes pratiques.................... 111
Introduction. Le « problème des écarts »................................... 111
Normes officielles et normes sociales : le monde des normes
explicites ............................................................................... 115
Normes officielles ................................................................. 117
Normes sociales .................................................................... 118
Les normes sociales sont-elles la solution ? ......................... 119
Vers des normes d’un troisième type ? Les normes pratiques ... 120
TABLE DES MATIÈRES 489

Les normes pratiques sont virtuelles (l’exemple de la


conduite automobile) ....................................................... 122
Le pluralisme des normes : horizontal et vertical ..................... 125
Le pluralisme des normes horizontal ................................... 125
Le pluralisme des normes vertical ........................................ 126
La diversité des normes pratiques : le cas des services publics
en Afrique ............................................................................. 128
Des couches différentes de normes pratiques....................... 129
Un ancrage de proximité, mais des échelles multiples ......... 130
Des normes pratiques divergentes ........................................ 131
Des pratiques plus ou moins cachées et des légitimités
variables .......................................................................... 132
Normes sociales, normes officielles, normes pratiques ............. 134
L’intrusion dans le monde professionnel des normes sociales
comme normes pratiques ................................................. 134
Une typologie issue du terrain : normes officielles et normes
pratiques .......................................................................... 136
Les normes pratiques : une base pour des investigations
ultérieures ........................................................................ 140
Les deux sens de « normes pratiques » : écarts ou absence....... 141
Les normes pratiques, sans le nom : petit parcours théorique ... 144
Les normes pratiques en perspective wéberienne ................ 144
Bailey, Elster, Lipsky et les autres… ..................................... 147
Quelques approches disciplinaires ....................................... 150
Réconcilier normes et agencéité ................................................ 154
S’agit-il de résistances ? ............................................................. 157
Conclusion : de quoi les normes pratiques sont-elles le nom ? 159
Les normes pratiques sont-elles des normes et sont-elles
informelles ? .................................................................... 159
Un concept exploratoire et une première marche théorique 161

4. Étude de cas. Normes pratiques et nœuds critiques dans


un service public nigérien ....................................................... 163
Introduction : les normes pratiques dans les administrations
nigériennes ............................................................................ 164
Les normes pratiques de la culture bureaucratique commune :
la gestion des personnels ...................................................... 166
L’interventionnisme incessant dans les nominations et
affectations ...................................................................... 167
L’impunité ............................................................................. 173
Les absentéismes .................................................................. 175
La fuite des cerveaux ............................................................ 180
Liste indicative de normes pratiques relatives à la gestion
des personnels au sein des administrations nigériennes 182
La corruption au sein des normes pratiques .............................. 183
490 LA REVANCHE DES CONTEXTES

Des frontières brouillées ....................................................... 183


La corruption et les normes pratiques transgressives .......... 184
Les normes pratiques spécifiques à la santé : quelques nœuds
critiques en santé maternelle ................................................ 188
Les nœuds critiques et la santé maternelle ........................... 189
Parenthèse sur la santé publique et les modèles voyageurs 190
Cinq nœuds critiques dans les maternités nigériennes......... 192
Conclusion. La culture professionnelle des sages-femmes au
Niger et ses normes pratiques ............................................... 201

trOisième Partie
Les modes de gouvernance
5. La délivrance des biens d’intérêt général : modes de gou-
vernance et configurations de délivrance .............................. 207
Introduction................................................................................ 208
Gouvernance et modes de gouvernance .................................... 210
Les malentendus de la gouvernance ..................................... 210
Les quatre processus sous-jacents de la « bonne gouver-
nance » dans le monde du développement ...................... 211
Gestion, pouvoir, gouvernance et délivrance des biens
d’intérêt général .............................................................. 213
Gouvernance et politiques publiques ................................... 215
Une perspective empirique sur la gouvernance. Les biens
d’intérêt général .............................................................. 218
Huit modes de gouvernance....................................................... 222
Mode de gouvernance bureaucratique-étatique ................... 223
Mode de gouvernance développementiste ............................ 223
Mode de gouvernance communal ......................................... 224
Mode de gouvernance associatif .......................................... 224
Mode de gouvernance chefferial .......................................... 225
Mode de gouvernance religieux............................................ 225
Mode de gouvernance marchand.......................................... 225
Mode de gouvernance mécénal ............................................ 226
Un périmètre d’investigations empiriques............................ 227
La co-délivrance et les configurations de délivrance................. 228
Les configurations de délivrance formelles .......................... 229
Les configurations de délivrance informelles : la co-
délivrance palliative ........................................................ 231
L’usager comme acteur des configurations de délivrance :
les diverses modalités du paiement par l’usager ............ 231
Conclusion. Modes de gouvernance et redevabilités................. 235
TABLE DES MATIÈRES 491

6. Le mode de gouvernance bureaucratique-étatique .............. 241


Introduction................................................................................ 241
L’hétérogénéité des bureaucraties africaines ............................. 243
Trois configurations causales pour des caractéristiques
communes ........................................................................ 243
L’héritage colonial ............................................................... 244
La responsabilité des élites politiques post-coloniales ........ 248
Une étaticité variable. État réel et État local.............................. 250
L’État réel ............................................................................. 251
L’État local ........................................................................... 253
La décentralisation ............................................................... 254
La stratégie de l’évitement de l’affectation rurale ............... 256
L’incohérence profonde des politiques publiques étatiques ...... 258
La valse des réformes ........................................................... 259
L’incohérence dans la gestion des ressources humaines...... 261
Quatre politiques de santé incohérentes ............................... 267
Deux nœuds critiques au cœur de l’État nigérien ...................... 272
Le Trésor public .................................................................... 273
La Justice .............................................................................. 274
La culture politique des élites .................................................... 276
Les élections et la redevabilité envers les commerçants,
militants, alliés et courtisans ........................................... 277
Les rivalités de proximité...................................................... 281
Crise de la démocratie et demande d’État .......................... 284
Conclusion. La pluralité des types idéaux de la bureaucratie.... 285

7. Le mode développementiste de gouvernance ........................ 289


Introduction................................................................................ 292
Le projet de développement, une enclave fonctionnelle ........... 293
L’ingénierie participative et ses innombrables malentendus 297
La « morale des donneurs » : les exigences morales des
projets face aux attentes locales ...................................... 300
Les effets pervers de la dépendance à l’aide.............................. 306
Se comporter en bon élève .................................................... 307
La fuite des cerveaux ............................................................ 310
Le double langage ................................................................ 312
La perte d’initiative .............................................................. 314
Conclusion : l’horizon mythique de la pérennisation ................ 316
492 LA REVANCHE DES CONTEXTES

Quatrième Partie
Les logiques sociales
8. De quelques fausses pistes : culturalisme et néo-patrimo-
nialisme ..................................................................................... 321
Introduction................................................................................ 321
Le culturalisme traditionnaliste africaniste................................ 322
Des idéologies scientifiques .................................................. 322
L’idéologie culturaliste et l’Afrique ..................................... 324
La matrice morale de Schatzberg ......................................... 327
Chabal et Daloz : l’État non émancipé ................................ 328
L’ambivalence du culturalisme............................................. 333
Culture et culturalisme en anthropologie................................... 334
L’abstractisation du concept de culture ............................... 335
Culture et grand partage ...................................................... 337
Un usage raisonné, circonscrit et empiriquement attesté de
« culture » ............................................................................. 339
Le néo-patrimonialisme ............................................................. 343
Quelques atouts du concept de néo-patrimonialisme ........... 344
Deux sous-paradigmes ......................................................... 345
Sortir du paradigme néo-patrimonialisme ........................... 345
Conclusion. Que faire de l’islamisme fondamentaliste ? ........... 348

9. La pluralité des logiques sociales............................................ 351


Logiques sociales ....................................................................... 351
La logique de la pitié ................................................................. 356
La logique du cadeau ................................................................. 357
Le cadeau quasi légitime ?.................................................... 358
Les cadeaux dans le contexte social ..................................... 361
Les cadeaux et le don ........................................................... 362
La logique de la honte................................................................ 363
La honte comme produit historique et social ....................... 365
Les deux hontes peuvent-elles modifier les normes pratiques ? 367
La logique de l’échange généralisé de faveurs .......................... 368
La logique de l’ostentation ........................................................ 370
Mise en perspective historique : le chef de canton............... 371
Mise en perspective historique : l’ostentation religieuse ..... 372
Les multiples styles de l’ostentation publique ...................... 372
Conclusion. Les logiques sociales en contextes ........................ 373
TABLE DES MATIÈRES 493

CinQuième Partie
De la recherche aux réformes et vice-versa
10. La malédiction des réformateurs de l’extérieur et le
chaînon manquant ................................................................... 377
Les réformes de l’extérieur : l’empilement des normes offi-
cielles, la quête de l’observance et l’échec des méta-
mécanismes standardisés ...................................................... 378
La quête compulsive de l’observance ................................... 379
L’échec des méta-mécanismes de réformes standardisés ..... 380
L’ingénierie sociale face à l’épreuve des contextes : la tactique
de l’autruche ? ....................................................................... 386
Un registre scientifique inhabituel........................................ 386
Les bienfaits des effets inattendus ........................................ 387
Que faire ?............................................................................. 388
Un dialogue nécessaire, mais difficile ....................................... 392
Le réformisme critique ......................................................... 392
Le chaînon manquant ........................................................... 393
La triple problématisation .................................................... 395
Conclusion. Le problème de la consultance .............................. 396

11. À la recherche des réformateurs de l’intérieur : la piste


des normes pratiques ............................................................... 399
Les réformateurs visibles. Le cas de la santé et de l’éducation
au Niger ................................................................................ 400
Les réformateurs d’en haut, au sein de l’État ...................... 400
Les réformateurs du milieu, au sein des communes ............. 406
Les réformateurs invisibles : les experts contextuels ................ 410
Une alternative aux modèles voyageurs ? ............................ 412
Promouvoir les experts contextuels ...................................... 413
Un programme expérimental concernant la santé ............... 415
Une approche complémentaire plus qu’alternative ................... 416
Conclusion. Réhabiliter l’innovation locale au sein des modes
de gouvernance ..................................................................... 417
494 LA REVANCHE DES CONTEXTES

Conclusion
12. La perspective des discordances. Une socio-anthropologie
des dissonances, des écarts, des contradictions et des
diversités ................................................................................... 421
Introduction................................................................................ 421
Une sous-estimation chronique des clivages internes .............. 422
Une sous-estimation chronique des pratiques non observantes.
Ethnographie centrée sur un groupe et ethnographie centrée
sur une arène ......................................................................... 424
De quelques prises en compte des diversités ............................. 426
De la socio-anthropologie du développement à la socio-anthro-
pologie des actions publiques ............................................... 428
L’apport des autres disciplines ................................................... 429
Max Weber et l’écart méthodologique....................................... 431
Retour à la méthode : l’anthropologie comme science des
contextes et la perspective des discordances ........................ 436

Bibliographie .................................................................................... 441

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