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Le FESPACO, un instrument de diplomatie

culturelle pour l’Afrique et le monde

Ambassadeur Filippe SAVADOGO


filsavadogo@gmail.com

Novembre 2021

Je voudrais partager avec vous, quelques réflexions tirées de mon expérience


personnelle et professionnelle. Elles ont été, en grande partie, consacrées à la
culture et à la diplomatie, à l’échelle continentale, bilatérale et multilatérale
internationale, en tant que Représentant Permanent de la Francophonie auprès des
Nations Unies.

Mon parcours a commencé dans un petit village, de la savane africaine au Burkina


Faso, pays dont l’histoire n’est pas toujours bien connue de tous. Permettez-moi,
de m’y attarder quelques instants, non par chauvinisme, mais pour illustrer à bien
d’égards, le thème qui nous réunit ici.

À l’origine de l’empire Mossi d’où le Burkina Faso tire en partie ses origines, était
une belle histoire d’amour : celle d’une belle et brave princesse, une amazone du
nom de Yennenga qui tombât amoureuse d’un intrépide chasseur. Malgré
l’opposition de son père, le roi de GAMBAGA, elle convolera en juste noces.
De leur union naquit un fils baptisé Wédraogo (cheval mâle) en souvenir de
l’étalon qui fut à la base de leur idylle. L’histoire telle qu’elle nous a été contée,

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autour de feux de bois dans la nuit fraîche de la savane africaine, est pétrie de
courage, du sens du sacrifice et du triomphe de l’amour, rivalisant avec toutes les
belles histoires d’amour telles qu’on nous les raconte dans les films de
Hollywood, Bollywood, ou Nollywood.

Cette histoire est tout aussi pleine d’enseignements et pourrait émerveiller les
adolescents d’Afrique, d’Asie, d’Europe ou d’Amérique.

Évidemment, cela aurait été le cas, si l’histoire leur était contée, par le biais surtout
du cinéma.

J’ai vu mon premier film à l’âge de sept (7) ans avec les célèbres acteurs de cinéma
muet Charly Chaplin (Charlot), puis le duo Laurel et Hardy.

Ce fut un choc culturel qui allait influencer ma vocation, car le cinéma a toujours
été magique pour un enfant. Ces films qui m’ont fasciné étaient projetés dans
l’enceinte d’une mission catholique où tous les enfants se retrouvaient sans
distinction de race ni de religion dans une atmosphère joviale extraordinaire.

Inconsciemment, nous étions en plein dialogue interculturel et inter-religieux


comme monsieur Jourdain faisait de la prose, sans aussi le savoir.
Ce souvenir d’enfance m’a toujours accompagné dans la vie, car je fus vite
persuadé qu’« une image vaut 1.000 mots » selon le dicton indien. En outre,
l’autre question qui me préoccupa fut celle-ci : pourquoi n’y avait-il pas
d’africains devant et derrière les caméras pour porter nos rêves à l’écran et
partager nos belles histoires, pleines d’enseignements, comme celle de la
Princesse Yennenga ?

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En effet, il est de bon ton de rêver en noir et blanc sur des films venus d’ailleurs,
mais il est aussi intéressant d’être bercé par des sujets de films concernant son
propre environnement, sa propre culture.

Le sage philosophe, écrivain et cinéaste africain Ousmane SEMBENE a choisi


d’être cinéaste pour toutes ces raisons ; il répétait souvent que le cinéma devait
être l’école du soir pour accélérer l’éducation. Comme le soulignait Madame
Mickaëlle Jean, « l’éducation est une arme de construction massive ».

L’Afrique et les africains devraient avoir leur histoire racontée aussi par les
africains eux-mêmes et nous devrions vite nous mettre à l’apprentissage et à la
promotion du 7ème Art.

Ce questionnement trouvera sa réponse à travers l’UNESCO qui fonda en 1976


INAFEC (l’Instit Africain d’Éducation Cinématographique), une école pilote de
cinéma à l’Université Joseph KI-ZEBO où je fus admis comme étudiant de la
première promotion.

La création de cette école du Cinéma à Ouagadougou venait renforcer l’assise du


FESPACO, né dans ce pays du Sahel au cœur de l’Afrique de l’Ouest en 1969, et
qui allait devenir le plus grand festival du continent.

Le Festival Panafricain du Cinéma et de la Télévision de Ouagadougou


(FESPACO) a célébré son 50ème anniversaire au mois de février 2019 à
Ouagadougou et peut être caractérisé comme l’un des meilleurs temples de la
diplomatie culturelle en Afrique.

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Depuis 1969, le FESPACO n’a pris aucune ride, bien au contraire, il est devenu
le rendez-vous incontournable du 7ème art africain, mais aussi de ceux qui étudient
l’exemple réussi d’une industrie culturelle à l’échelle de tout un continent.

Lorsque j’ai pris la Direction du FESPACO au milieu des années 80, j’ai vite été
persuadé que la survie du festival passait par une promotion vigoureuse qui devait
le hisser comme un festival de son temps, un vecteur essentiel de la diplomatie
culturelle.

Il fallait donc :
- Renforcer sa dimension continentale et son attractivité ;
- Présenter les meilleurs films africains et de la diaspora ;
- Consolider le rayonnement du cinéma africain sur toutes les places
cinématographiques du monde en faisant entendre la voix d’un continent
aux énormes potentialités.
Ainsi en 1989 au lendemain des grandes émeutes de Los-Angeles, le FESPACO
avec des Hommes de culture africains-américains entama l’idée d’une
rétrospective du cinéma africain à Los-Angeles aux États-Unis (Hollywood) ;
celle-ci allait donner naissance au Panafrican Film Festival of Los-Angeles
(PANAFF), dont le lancement en 1992 au Magic Johnson Theater, connu un
énorme succès en présence de l’actrice Whoopi Golbert.
Au 20ème anniversaire du PANAFF en 2012, j’ai reçu le grand prix du « Visionary
Award », des mains de Danny Gloover, le célèbre acteur de Hollywood qui était
également l’un des membres fondateurs et précurseur de ce festival.
Si les trois priorités du continent restent le triptyque : Santé, Agriculture,
Éducation, d’autres domaines en l’occurrence la culture ont un éminent rôle à
jouer …

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« La culture est au début et à la fin du développement » disait Léopold Sédar
Senghor au sortir du 1er Festival des Arts Nègres de Dakar, organisé en 1966 et
dont les retombées sont encore présentes dans la mémoire collective de
l’humanité.

Le FESPACO venait en droite ligne de l’esprit du Festival des Arts Nègres de


Dakar, car l’aspiration profonde des fondateurs était de donner une place à
l’Afrique dans le concert du cinéma mondial.

Pour ma part, il fallait donc poursuivre la croisade du cinéma africain dans le


concert des nations, tout en renforçant les acquis.

Le FESPACO a toujours eu son siège permanent à Ouagadougou depuis plusieurs


décennies, ce qui lui a permis d’être le réceptacle incontournable du 7ème Art en
Afrique ; son acronyme l’explicite amplement.

Les objectifs de notre mission, furent de faire connaître le FESPACO à travers le


monde. La bataille pour l’institutionnalisation d’un Festival ne se gagne pas en
restant dans un bureau ! À l’instar des diplomates, j’ai pris mon bâton de pèlerin
pour faire connaître le FESPACO avec un leitmotiv : « Entre deux FESPACO, il
faut prépare le prochain » !

C’était une réponse à ceux qui ne voyaient pas l’intérêt de voyager, de parcourir
le monde pour plaider la cause d’un festival qui avait lieu tous les deux ans.

L’attractivité du Festival est née de cette dynamique qui a définitivement établi


Ouagadougou comme la capitale du cinéma africain.

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La Fédération Panafricaine des Cinéastes (FEPACI) a bénéficié du plein soutien
du FESPACO et par la suite, établi son Siège à Ouagadougou, tirant ainsi avantage
de sa proximité avec le FESPACO.

Depuis plus de cinq décennies, le FESPACO a accompagné les hommes et les


femmes de la profession, en leur offrant des espaces d’échanges et de promotion
inégalés.

À cet égard, je voudrais évoquer le marché international du cinéma africain


(MICA) mais aussi la cinémathèque africaine de Ouagadougou qui ont tous deux,
démontré leur contribution à la connaissance du continent.

Le Festival et le marché du film se sont attachés au fil des éditions, à combler les
attentes des producteurs et des distributeurs, ainsi que des cinéphiles.

Ces efforts ont contribué à l’éclosion de nouveaux talents, à une meilleure


visibilité de l’Afrique, à la diversification des supports de communication et
d’expressions cinématographiques.

Le patrimoine culturel de l’Afrique reste une inépuisable source d’inspiration


pour la création cinématographique universelle.

Le cinéaste africain a joué un rôle prépondérant dans la préservation de la diversité


des expressions culturelles du continent et œuvré à une meilleure promotion des
valeurs africaines.

Autant de préoccupations qui, au fil des éditions, grâce aux colloques, ateliers et
séminaires inscrits au programme, ont donné une visibilité à l’Afrique et forgé
son image de berceau de l’humanité.

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Ousmane SEMBENE, « l’Aîné des anciens », l’un des pères fondateurs du
FESPACO, disait toujours : « ma participation au FESPACO est un devoir » !

Dans cette aventure, les Médias ont toujours accompagné le FESPACO sans
discontinuer depuis les premiers instants et contribué à la visibilité de cet outil de
promotion de l’image de l’Afrique, de ses réalités mais aussi de ses rêves à travers
le monde.

Grâce au FESPACO, l’hospitalité des burkinabè s’est renforcée et les burkinabè


ont toujours eu une oreille attentive pour aider à trouver une solution, même
partielle, aux préoccupations des festivaliers.

Malgré le contexte sanitaire (Covid-19) et sécuritaire difficile, le FESPACO a


enregistré en 2021, la participation de plus de 150.000 festivaliers venus de 64
pays qui ont pu voir 500 œuvres cinématographiques et renoué avec le cinéma
africain.

Événement culturel par excellence, le FESPACO a contribué au brassage d’idées


entre acteurs du développement de toutes les origines : politique, sociale,
économique et culturelle.

L’impact de la culture sur le développement est aujourd’hui une réalité palpable


grâce au FESPACO qui a su montrer que « si le cinéma est un art, c’est aussi une
industrie ».

Il a surtout le mérite d’être une industrie culturelle, facteur de Paix et de Cohésion


sociale, montrant au passage que la route du développement passe aussi par le
développement de la culture. Aujourd’hui, le cinéma est la deuxième plus grande

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industrie de production après le pétrole au Nigéria ; celle-ci est estimée à plusieurs
billards de dollars.

Le rayonnement international du FESPACO est la résultante d’une coopération


culturelle entretenue soigneusement par tous les acteurs en premier lieu, l’Etat du
Burkina qui n’a ménagé aucun effort depuis plus de cinquante ans pour
accompagner avec diligence le Festival.
Le cinéma africain a ainsi une plateforme solide de promotion, car « une culture
sans base matérielle n’est que vent qui passe » selon l’historien africain, Joseph
KI-ZERBO (Extrait de « À quand l’Afrique ? »).

Le FESPACO, grâce à ses espaces de communication et de promotion de l’offre,


est devenu un festival très fréquenté et qui, grâce à sa dimension multiculturelle,
est devenu un stimulateur du développement.

Même la mémoire de la belle princesse Yennenga est préservée par le FESPACO


qui a donné ce nom à son trophée le plus prisé du festival : « l’Étalon d’Or de
Yennenga », qui sanctionne la meilleure œuvre du festival.

Au regard de toutes ces considérations, nous pouvons conclure que la culture est
un facteur de développement du fait de sa capacité de mobilisation sociale, de
promotion des valeurs de référence, d’inventivité et de cohésion sociale,
d’impulsion de dynamiques économiques endogènes et de valorisation de l’image
de nos pays.

Par conséquent, elle contribue au développement social, économique et politique


du monde et pourrait l’être davantage si elle bénéficiait d’un environnement
adéquat.

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Les biens et services culturels sont des denrées renouvelables ; en les intégrant
dans les stratégies de développement, nous contribuerons fortement à l’émergence
d’une économie forte et prospère et à un développement durable et harmonieux.

La communauté internationale, en adoptant sous l’égide de l’UNESCO (2005) la


convention internationale pour la protection et la promotion de la diversité des
expressions culturelles, met en exergue le rôle prépondérant de la diplomatie
culturelle dans le concert des nations.
Pour conclure, plusieurs sagesses africaines digne d’intérêt et qui pourraient être
portée à l’écran nous enseignent que :
- « Lorsque vous prenez la parole, il faut avoir pitié de celui qui vous
écoute » (Proverbe bantou) ;
- Quant à ma grand-mère, elle ne cessait de me dire que si l’on veut aller vite
il faut marcher seul, mais si l’on veut aller loin il faut cheminer avec des
compagnons de route.
- En occident, tout le monde porte une montre, mais personne n’a le temps ;
les africains ne portent pas de montre, mais ils ont le temps : le temps du
dialogue.
- En Afrique, il y’a trois vérité : Ma vérité, Ta vérité et La vérité.

La culture de la paix est un processus permanent dont nous devons nous


appropriée, car la PAIX EST L’AUTRE NOM DU DEVELPPMENT.

Ambassadeur Filippe SAVADOGO


Ancien Délégué Général du FESPACO
Ancien ministre de la culture
Ancien Représentant de l’OIF auprès des Nations Unies

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