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Fonctionnaliser les nanotubes de carbone

pour les nanobiotechnologies


Un procédé, exploitant la capacité des biomolécules à se fixer et à s’auto-organiser
à la surface de nanotubes de carbone, a été mis au point pour rendre fonctionnels
ces nano-objets dans le domaine des nanobiotechnologies. Il offre des perspectives
d’applications très intéressantes, comme fabriquer des systèmes intelligents
de vectorisation de médicaments, concevoir des biosenseurs pour le dosage
des biomolécules ou encore élucider la structure des protéines.

A. Gonin/CEA

Après synthèse chimique dans des ballons de verre, les détergents (lipides) sont caractérisés par résonance magnétique nucléaire.
Ils seront ensuite mélangés avec les nanotubes de carbone.

e longueur micrométrique et de diamètre de


D l’ordre du nanomètre, les nanotubes de carbone
(voir Les nanotubes de carbone, stars de la recherche)
Des arrangements moléculaires
en forme d’anneaux
possèdent d’excellentes propriétés mécaniques, struc- Les nanotubes de carbone existent sous la forme
turales et électriques qui les rendent attrayants. Ils d’agrégats insolubles dans tous les solvants.
ont été étudiés jusqu’à présent pour des applications Cependant, l’utilisation de tensio-actifs amphiphi-
dans les nanotechnologies aussi diverses que la concep- les (détergents), combinant une tête hydrophile
tion de nouveaux matériaux, l’électronique, étant chargée et une chaîne hydrophobe lipidique (aci-
donné leur grande capacité à véhiculer les électrons, des gras(1), par exemple), mène à la formation de
ou comme réservoir à hydrogène. suspensions stables dans l’eau. En effet, les chaînes

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Des briques pour le nanomonde

du détergent interagissent avec la surface de graphite tituant des structures cylindriques sur le graphite. Il
des nanotubes, qui est également très hydrophobe, est probable que le même type de phénomène soit
par l’intermédiaire de liaisons de Van der Waals, les opérant avec les nanotubes de carbone, aboutissant
têtes polaires pointant quant à elles vers le milieu à des arrangements en forme d’anneaux perpendi-
aqueux environnant. Des études de microscopie culaires à l’axe du tube. L’apparition de ces anneaux
électronique (voir Les microscopes : des yeux devenus n’est observée que lorsque la concentration en déter-
aussi outils), réalisées au Département de biologie gent est supérieure à la concentration micellaire cri-
Joliot-Curie de la Direction des sciences du vivant tique, c’est-à-dire la concentration en deçà de laquelle
du CEA (DSV), ont montré que le traitement des il ne se crée pas spontanément de micelle dans le
nanotubes par ces détergents conduisait à l’appari- milieu. Il est donc probable que la mise en place des
tion de stries régulières à la surface des tubes. La pré- structures à la surface des nanotubes passe, dans un
sence de ces striations met en évidence non seule- premier temps, par la formation de micelles en solu-
ment l’adsorption du détergent sur les nanotubes tion, qui se réarrangent par la suite en anneaux. La
de carbone, mais aussi une auto-organisation molé- distance séparant deux anneaux adjacents le long du
culaire spontanée du tensio-actif. Des travaux anté- tube est d’environ 30 Å.
rieurs effectués sur le graphite avaient déjà révélé la
formation de surfaces ondulées. Ce phénomène résulte Des bagues pour une vectorisation ciblée
d’une organisation en demi-micelles allongées cons- de médicaments
(1) Acide gras : chaîne composée d’atomes de carbone Selon la nature des acides gras utilisés, des anneaux
(de 4 à 24), d’hydrogène et d’oxygène. Un acide gras comprend
un groupe méthyle (CH3) et sa chaîne carbonée, ensemble
stables peuvent être obtenus par polymérisation.Cette
non soluble dans l’eau (mais liposoluble), et un groupe opération s’effectue par irradiation lumineuse (dans
carboxylique (–COOH), partie acide de la molécule, soluble l’ultraviolet) de molécules de détergent spécialement
dans l’eau (mais non liposoluble). conçues, qui incorporent en leur sein des groupements
photo-réactifs capables de se lier entre eux. Chaque
molécule de détergent peut polymériser avec deux
molécules voisines pour mener à un réseau enchevêtré,
qui conférera de la rigidité à l’arrangement supramo-
léculaire. Cet arrangement est stable et résiste à des
étapes répétées de lavages organiques. La réticulation
du tensio-actif offre donc aux bagues une certaine
cohésion qui leur permet d’exister en tant qu’objets
individuels, une fois isolées de leur support carboné.
La séparation des bagues lipidiques de la surface des
nanotubes se fait par électrophorèse, qui consiste
à placer les nanotubes “bagués” dans un champ élec-
trique. Les têtes polaires de lipides étant des espèces
chargées, les anneaux vont migrer hors des nanotubes
de carbone, conduisant à des structures individuali-
sées au cœur hydrophobe et à la coque externe hydro-
A. Gonin/CEA

phile (figure 1).


Ces anneaux individuels sont calibrés au diamètre du
tube, qui aura servi de matrice. La cavité des anneaux
Après avoir été mélangés et agités avec un détergent, les nanotubes de carbone sont offre un environnement particulièrement adapté à
dispersés par ultrasons, formant ainsi des suspensions stables. l’incorporation de substances hydrophobes. Ces der-

tête
hydrophile
chaîne
hydrophobe

cœur hydrophobe

1) irradiation
lumineuse
2) électrophorèse
Figure 1.
Principe de préparation
de nanobagues coque hydrophile
lipidiques.

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nanotube

protéine

Figure 2.
Auto-assemblage de protéines sur un nanotube de carbone.

espacées de 64 Å et inclinées d’un angle de 71° par rap-


port à l’axe du tube, mettent en évidence une cristal-
lisation hélicoïdale de la protéine qui s’auto-organise
A. Gonin/CEA

en 8 unités de protéine par pas de l’hélice (figure 2).


L’organisation de la streptavidine à la surface des nano-
tubes est rendue possible par la présence de domaines
Polymérisation des bagues autour des nanotubes de carbone hydrophobes dans la structure de la protéine, qui
par irradiation lumineuse dans l’ultraviolet, pour les rendre
rigides.
permettent à cette dernière d’interagir avec le feuillet
de graphite des nanotubes de carbone. Ces propriétés
nières,une fois introduites dans le cœur,seront rendues avaient déjà été exploitées pour la purification de la
solubles en phase aqueuse grâce à l’enveloppe externe protéine sur colonne de résines hydrophobes.
hydrophile. Cette solubilité induite par les bagues est
du plus grand intérêt pour l’élaboration de systèmes Une source d’information pour résoudre
de vectorisation(2) de substances à activité thérapeu- la structure de protéines
tique vers des cibles déterminées de l’organisme. Un
habillage de l’enveloppe externe par des motifs capa- La mise en place d’un système organisé hélicoïdal de
bles de donner lieu à une reconnaissance spécifique protéines présente un intérêt particulier pour des étu-
assurera une vectorisation ciblée des composés théra- des structurales par microscopie. En effet, ce type d’ar-
peutiques. La libération des substances médica- rangement permet d’observer la protéine sous un
menteuses au contact de leur cible peut également être grand nombre d’orientations et d’extraire, à partir
envisagée par une dépolymérisation induite de la coque d’un cliché unique de microscopie,l’information néces-
de la nanobague, ouvrant ainsi la voie à de nouveaux saire à la reconstruction de sa structure tridimension-
systèmes “intelligents” de vectorisation. nelle. La morphologie des cristaux obtenus par cette
CEA-IGBMC
méthode est conforme à celle mise en évidence par
Des protéines organisées en hélices d’autres systèmes conventionnels d’élucidation de
structures de protéines (diffraction de rayons X ou
Les nanotubes de carbone possèdent une structure tubu- résonance magnétique nucléaire). La cristallisation Structure tridimensionnelle
de la streptavidine
laire parfaitement définie et régulière, dont la surface hélicoïdale de protéines sur nanotubes de carbone reconstituée à partir de
spécifique(3) est importante. Ces propriétés en font un permet d’acquérir des informations structurales avec clichés de microscopie
matériau idéal pour l’étude des interactions avec des une résolution de 25 Å. Le même type d’arrangement électronique.
biomolécules,tels les acides gras mais également les pro- a pu être observé à partir d’autres systèmes protéiques,
téines.Pour l’étude de l’auto-assemblage des protéines tel HupR(4) qui s’organise également spontanément
sur les nanotubes de carbone,la streptavidine a été sélec- en hélices le long du nanotube.
tionnée comme modèle.Cette dernière est une protéine
tétramérique, c’est-à-dire composée de 4 unités asso- Des perspectives intéressantes
ciées, produite par la bactérie Streptomyces avidinii. Le
choix des nanotubes de carbone multiparois MWNTs Par ailleurs, et au-delà de l’aspect biologie structurale,
pour la cristallisation des protéines s’est imposé, car ces l’organisation hélicoïdale de protéines sur les nano-
tubes présentent une grande distribution de diamètres tubes de carbone peut également servir de base à la
qui laisse aux protéines la possibilité de sélectionner le conception de biosenseurs. En effet, il est possible de
diamètre le mieux adapté à leur cristallisation hélicoï- fabriquer des nanoélectrodes biochimiques à partir
dale. Lorsque les nanotubes sont mis en présence de d’une monocouche organisée de protéines spécifiques
molécules de streptavidine en milieu aqueux, l’examen
(2) Vectorisation : opération visant à amener une substance
de l’échantillon au microscope électronique montre que, jusqu’à sa cible biologique.
dans la plupart des cas, la protéine se fixe de façon aléa-
(3) Surface spécifique : surface développée d’un corps
toire à la surface des tubes.Cependant,des arrangements par unité de masse.
ordonnés de streptavidine ont pu être observés sous la (4) HupR est une protéine impliquée dans la réponse de la
forme de striations régulières le long du tube.Ces stries, bactérie photosynthétique Rhodobacter Capsulatus à l’hydrogène.

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d’un ligand donné. La perturbation induite par la de nouveaux nanosystèmes de vectorisation molé-
fixation de ce ligand produit un signal qui sera relayé culaire. La synthèse, par le chimiste organicien, de
par les nanotubes de carbone vers un système de détec- tensio-actifs spécifiquement conçus pour la cohésion
tion approprié. Le nanosenseur permet la transmis- de l’assemblage supramoléculaire permet au nanovec-
sion et l’analyse des données en transformant des teur d’exister, une fois isolé de sa matrice carbonée.
signaux biochimiques en impulsions électroniques. Ces nanobagues lipidiques autoriseront une vectori-
L’utilisation de nanotubes de carbone pour l’élabo- sation ciblée de composés d’intérêt thérapeutique.
ration de biosenseurs autorise un abaissement du
seuil de sensibilité tout en assurant la miniaturisa- > Cécilia Ménard, Nicolas Mackiewicz,
tion des systèmes de détection. Éric Doris et Charles Mioskowski
D’autre part, l’obtention de nanobagues amphiphiles Direction des sciences du vivant
sur nanotubes de carbone ouvre des perspectives vers CEA centre de Saclay

Du nano-objet au macrocomposant :
les nanomatériaux sol-gel pour l’optique
La possibilité de synthétiser par voie sol-gel des matériaux hybrides organique-
inorganique ouvre de nouvelles perspectives pour le développement de nanomatériaux
présentant des propriétés spécifiques. Pour les composants optiques des lasers
de puissance de son programme Simulation des armes thermonucléaires, le CEA
a ainsi mis au point des revêtements composés de tels matériaux hybrides. Ces
matériaux entrent à la fois dans la réalisation de couches réfléchissantes pour
les miroirs et dans la protection anti-oxydation des surfaces métalliques des
amplificateurs. Des concepts originaux de ce type pourraient également servir
à élaborer des nanomatériaux à organisation hiérarchique dotés de propriétés
particulières dans d’autres domaines que l’optique.

Traitement d’un
composant optique du
LMJ (Laser Mégajoule)
par le procédé sol-gel. La
solution à déposer est
synthétisée en cuve de
300 litres. L’optique est
immergée dans ce bain,
puis retirée à vitesse
constante, assurant un
dépôt contrôlé du
CEA

revêtement.

’élaboration au niveau moléculaire des matériaux tés optiques, propriétés électriques… La partie orga-
L hybrides organique-inorganique permet, de par
leur concept, d’imaginer une structure et de la cons-
nique apporte la tenue mécanique (structuration,
matrice),la déformabilité,l’adhésion,la transparence…
truire à façon (Lego™ Chemistry). La partie inorga- Le Laboratoire sol-gel du Département Matériaux de
nique offre les fonctions classiquement inhérentes aux la Direction des applications militaires (CEA/Le
composés minéraux,c’est-à-dire résistance mécanique, Ripault) étudie notamment ces nanomatériaux dans
inertie chimique, résistance en température, proprié- le cadre du programme Simulation, destiné à assurer

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la pérennité de la capacité de dissuasion de la France reliée à la qualité d’interface entre les deux phases, qui
après l’arrêt définitif des essais nucléaires, pour la mise conditionnera l’homogénéité, et donc les performan-
au point de nouvelles générations de revêtements ces, du matériau final. Le recours à une fonctionnali-
optiques pour lasers de puissance. sation du polymère permettra d’améliorer la disper-
sion mutuelle des deux composantes.Le chimiste sol-gel
Des matériaux hybrides réalisés mettra en œuvre, quant à lui, diverses méthodes de
par chimie douce synthèse comme l’imprégnation de phases minérales
poreuses, l’emploi d’entités préformées (agrégats, col-
La technique sol-gel(1) conduit à l’élaboration de maté- loïdes métalliques, oxydes) ou encore l’usage d’alcoxy-
riaux à composition minérale ou hybride organique- des métalliques hétérofonctionnels conduisant à une
inorganique par le biais de réactions moléculaires en éventuelle copolymérisation des phases minérales et
phase liquide, et ceci à des températures bien inférieu- organiques.
res aux procédés conventionnels, d’où l’appellation
de chimie douce. Le point de départ de la synthèse est Développer des matériaux hybrides
un mélange de précurseurs ioniques (sels) et/ou molé- pour les revêtements optiques
culaires (alcoxydes(2)) en solution, nommé sol, qui est
le siège de réactions chimiques d’hydrolyse et de poly- Depuis plus de trente ans, le CEA étudie dans ses labo-
mérisation inorganique, et aboutit de manière ultime ratoires les plasmas produits par l’interaction des lasers
à un réseau constitué d’un milieu très visqueux,appelé impulsionnels de forte puissance avec la matière. Les
gel, ou encore en un système colloïdal dans lequel sont différentes installations de puissance (Phébus, LIL,
favorisées la nucléation d’espèces chimiques et leur LMJ) qui se sont succédé ont pour base un laser solide
croissance contrôlée. à verre dopé au néodyme, dont les composants sont à
Une suspension colloïdale consiste en une phase solide, grande ouverture optique.
de granulométrie comprise entre 1 nanomètre et Le Laser Mégajoule (LMJ), en cours de construction
1 micromètre, dispersée dans un liquide. La stabilité au Centre d’études scientifiques et techniques
rhéologique(3) de cette dispersion est assurée par la d’Aquitaine (Cesta) près de Bordeaux, sera constitué
présence d’une charge électrique de surface identique de 240 faisceaux unitaires de géométrie carrée et
d’une particule à l’autre. Cette charge électrique est d’ouverture de 40  40 cm2. L’impulsion laser devra
imposée par les conditions catalytiques du milieu parcourir environ 450 m et donc traverser ou se réflé-
réactionnel et est assimilée au pH de ce milieu. À par- chir sur plusieurs dizaines de composants optiques.
tir d’une dispersion stable, par exemple d’oxyde de Aussi, afin de réduire les pertes énergétiques, éviter les
silicium (ou silice) extrêmement pur, il est possible endommagements des optiques dus aux réflexions
d’obtenir un gel particulaire ou un précipité en parasites sur les dioptres(7) et diriger l’impulsion laser
neutralisant la charge électrique et en atteignant ainsi sur la cible, il est prévu de déposer près de 10 000 m2
le point de charge nulle. de revêtements optiques à haute tenue au flux laser.
Plus de 96 % de cette surface traitée consiste essentiel-
Des stratégies de préparation variées lement en couches antireflets et réfléchissantes. Parmi
les matériaux constitutifs de ces revêtements,des maté-
L’approche moléculaire de la synthèse par voie sol-gel riaux hybrides ont été spécifiquement développés pour
autorise aisément l’association de différents précur- le besoin.
seurs d’origine minérale ou organique, et permet ainsi
la préparation de matériaux hybrides(4).Deux types de Un revêtement réfléchissant pour les miroirs
matériaux hybrides peuvent être synthétisés et une clas- de cavité
sification selon la nature des interactions entre phases Pour des raisons de tenue au flux laser,les miroirs métal-
minérale et organique a été proposée. Les hybrides de liques, qui absorbent de façon significative aux lon-
classe I sont des systèmes dans lesquels la composante gueurs d’onde d’intérêt, sont exclus de cette applica-
organique (molécule, oligomère(5) ou polymère) est tion laser. Les miroirs utilisés sont, par conséquent,
simplement piégée dans un réseau minéral. Les inter-
actions entre les composantes minérales et organiques
sont alors faibles (liaisons de Van der Waals, liaisons (1) C. J. BRINKER and G. W. SCHERER, Sol-Gel Science, Academic
Press, New York, 1990.
hydrogène ou électrostatique). Les hybrides de classe II
(2) Alcoxyde : composé organométallique de formule M(OR)n
sont des matériaux dans lesquels les composantes orga- où M est un cation (ion positif) métallique ou métalloïde
niques et minérales sont liées chimiquement par une (corps simple non métallique), R un groupement organique
liaison forte de nature covalente ou ionocovalente. et n la coordinence de M, c’est-à-dire son nombre de plus
Suivant leur communauté d’appartenance, les chimis- proches voisins.
tes préparant des matériaux hybrides adopteront des (3) Rhéologie : étude du comportement de la matière
en ce qui concerne sa viscosité, son élasticité et sa plasticité.
stratégies différentes. Le chimiste du solide utilisera la
(4) P. GOMEZ-ROMERO and C. SANCHEZ, Functional Hybrid
chimie d’intercalation(6), les réseaux lamellaires (argi- Material, Wiley-VCH, Weiheim, 2004.
les, phosphates…), le templating basé sur l’emploi (5) Oligomère : molécule de masse molaire intermédiaire
d’agents structurants organiques (amines, ions alkyl- dont la structure est essentiellement constituée de la répétition
ammonium, tensio-actifs…) pour élaborer son maté- d’un petit nombre d’unités dérivées de molécules de faible
masse molaire.
riau hybride.Le polymériste se servira des macromono-
mères ou des polymères organiques pour structurer (6) Chimie d’intercalation : chimie générant des structures
ouvertes continues permettant l’incorporation réversible
son matériau et y introduira des charges minérales d’espèces (ions, H2O…).
pour moduler les propriétés résultantes. La difficulté (7) Dioptre : surface de séparation entre deux milieux d’indices
d’obtention du matériau hybride sera essentiellement de réfraction différents.

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Des briques pour le nanomonde

constitués de composés multidiélectriques (oxydes tes est un atout pour supporter les déformations du
isolants) transparents. Ils sont formés d’un empile- substrat entraînées par cette phase de correction.
ment de couches déposées, alternant un matériau à Pour permettre l’élaboration d’un revêtement réfléchis-
bas indice de réfraction et un matériau à haut indice. sant sur support déformable à partir de matériaux à
Le coefficient de réflexion du miroir est fonction du base de nanoparticules, il est important de mettre
rapport d’indice de ces matériaux constitutifs et du au point une couche colloïdale à fort indice. Une des
nombre de couches unitaires déposées. C’est ainsi, solutions pour accroître l’indice de couches colloïdales
qu’avec environ une vingtaine de couches, il est pos- consiste à incorporer à la suspension un liant polymé-
sible d’accéder à des réflexions de l’ordre de 99 %. rique soluble, comme par exemple le PVP (poly-vinyl-
Le miroir de cavité du LMJ ou de la Ligne d’intégra- pyrrolidone). En augmentant la teneur en liant dans
tion laser (LIL), installation prototype d’une des chaî- un système colloïdal, le chimiste élève l’indice de
nes du LMJ, possède la particularité d’être constitué réfraction du film. Le rapport massique liant/oxyde va
d’un support déformable qui assure la correction de déterminer l’indice de réfraction du mélange hybride,
la surface d’onde du faisceau, limitant ainsi les aber- et donc du film mince correspondant (figures 1a et 1b).
rations optiques(8) induites par chaque traversée de Par ailleurs,l’étude de l’arrangement stérique du poly-
composant. Dans ce cas précis, le recours à un revête- mère avec les colloïdes de zircone (ZrO2) a révélé que
ment composé de couches sol-gel exemptes de contrain- pour le rapport optimum,le PVP occupe l’espace autour
des colloïdes d’oxyde en développant des liaisons hydro-
gène entre les fonctions carbonyles pyrrolidone et les
SiO2 groupes hydroxyles (OH) de surface du ZrO2 (figure 1c).
ZrO2-PVP Par ce greffage,colloïdes et polymère forment un com-
posé hybride beaucoup plus dense (la porosité résiduelle
est estimée à environ 17 %). Pour la réalisation des
miroirs multidiélectriques du LMJ, les matériaux
constitutifs de l’empilement réfléchissant sont le
M. Lavergne - Paris VI
ZrO2-PVP en tant que matériau à haut indice et la silice
colloïdale SiO2 pour le matériau à bas indice.
100 nm L’homogénéité du revêtement est satisfaisante et per-
a
met de répondre au besoin avec un procédé basse tem-
pérature qui est compatible avec un dépôt sur sub-
indice de réfraction (1 053 nm)

1,80 strat déformable. En ce qui concerne la contrainte


Figure 1. d’utilisation que constitue la résistance au flux laser,
Revêtement 1,75 expérience
réfléchissant sol-gel théorie
des mesures ont été effectuées sur des échantillons
à base de nanomatériaux
1,70 représentatifs de 200  200 mm2 (600 sites de mesure).
hybrides organique- 1,65 Les résultats valident les matériaux et l’empilement
inorganique avec
un coefficient
mis en œuvre, puisque la valeur moyenne de tenue au
1,60
de réflexion supérieur flux obtenue est de 18,3 J/cm2 (la spécification pour
à 99 % (1 053 nm). 1,55 ce composant optique est de 7 J/cm2).
En a, observation en
microscopie électronique 1,50
à transmission de
0 10 20 30 40 50 60 Un revêtement de protection
l’empilement multi- PVP/oxyde (% masse) pour les composants métalliques
couche SiO2/ZrO2-PVP. b
Les cavités amplificatrices du LMJ contiennent de
En b, variations
expérimentale (points) et
grandes pièces métalliques réflectrices (1800  635 mm2).
O O Ces réflecteurs argentés servent à réfléchir la lumière
théorique (trait continu) CH2
CH2
de l’indice de réfraction
CH N
émise par les lampes flashes afin d’augmenter l’effi-
du mélange hybride N CH OH
CH2 cacité de pompage des plaques de verre laser. La cavité
ZrO2-PVP en fonction de CH2
la quantité de polymère. CH OH CH amplificatrice du laser fonctionnant sous flux d’air,
HO MO2
En c, types d’interactions
N O O N l’argenture de ces pièces est soumise à une vive
entre le PVP et un oxyde oxydation, ce qui réduit notablement la durée de vie
colloïdal MO2. Le pointillé
bleu entoure une fonction
OH de ces composants. La mise au point d’un revêtement
c de protection est donc indispensable.
carbonyle pyrrolidone.
L’utilisation du procédé sol-gel pour l’élaboration de
revêtements de protection sur métaux est connue.
Néanmoins, dans le cas présent, il est aussi nécessaire
Miroir déformable de conserver au maximum le pouvoir réflecteur de l’ar-
de fond de cavité gent.Il faut pour cela un film barrière transparent dans
amplificatrice de la LIL le domaine spectral considéré (400-1000 nm). Pour
revêtu d’un traitement
réfléchissant sol-gel répondre à ce besoin, un matériau hybride organique-
avec un coefficient de inorganique à base de silice polymérique et de silice
réflexion supérieur organomodifiée (par l’emploi de précurseurs organo-
à 99 % (1 053 nm). Le
revêtement est constitué
siliciés) a été développé. Sous forme de film très mince
d’un empilement de
ZrO2-PVP, matériau à haut (8) Aberration optique : effet qui entraîne une dégradation de
indice de réfraction la qualité de l’image dans un système optique. Dans les miroirs
(n1 053 nm = 1,72), et de silice sphériques et cylindriques, par exemple, tous les rayons
colloïdale SiO2, matériau incidents parallèles à l’axe principal ne convergent pas vers
CEA

à bas indice (n1 053 nm = 1,22). le foyer en raison de l’aberration sphérique.

80 CLEFS CEA - N° 52 - ÉTÉ 2005


(quelques nanomètres), il fournit une protection effi-
cace à l’oxydation tout en conservant un pouvoir réflec-
teur supérieur à 90% à 500 nm (réflexion spéculaire).
Une étape de prototypage sur pièce représentative a
conduit tout récemment à démontrer la faisabilité
du traitement de protection. Un test d’efficacité du Réflecteur argenté du LMJ.
revêtement de protection en conditions opérationnel- Un revêtement constitué
d’un film très mince de
les a permis de valider le procédé, et notamment matériau hybride organique-
la stabilité du matériau après 12 742 tirs de lampes inorganique, élaboré par le
flashes à décharge(9). procédé sol-gel, a été mis
au point pour le protéger
efficacement de l’oxydation,
Des concepts innovants de revêtements tout en lui conservant au
optiques maximum son pouvoir

CEA
Parmi les nouveaux matériaux hybrides, sont apparus réflecteur.
récemment les matériaux à structure hiérarchique,
c’est-à-dire à plusieurs niveaux d’organisation dimen- La possibilité de “nanoconstruire” des objets présen-
sionnelle, qui se caractérisent par un réseau à porosité tant des organisations spécifiques dans des domaines
multi-échelle. La hiérarchie au niveau de ces édifices de taille allant de l’angström au centimètre n’a pour
se traduit par une organisation et un empilement limite que les multicombinaisons et les multi-affinités
d’objets élémentaires en série ou en parallèle par auto- qui peuvent exister entre les matériaux de nature orga-
assemblage, co-assemblage ou assemblage direct. Le nique et ceux de nature inorganique. L’enthousiasme
procédé débute par la construction de ces unités, puis qu’a suscité ces dernières années la synthèse de maté-
leur assemblage en objets plus élaborés jusqu’à attein- riaux mésostructurés par procédé sol-gel témoigne
dre un niveau de structure complexe et hiérarchisé. de la richesse de ces structures et de leurs propriétés.
Dans la nature, la construction de tels matériaux est Les phases mésostructurées sont aisément synthétisées
omniprésente, par exemple, comme dans le bois et à l’aide de tensio-actifs qui vont s’organiser en milieu
les os. Ces matériaux naturels présentent souvent des liquide sous forme de micelles, puis à plus longue dis-
propriétés spécifiques qui leur confèrent des perfor- tance sous forme de cristaux liquides (figure 2a).Utiliser
mances exaltées dans leur domaine d’utilisation (un l’organisation micellaire de ces phases organiques dans
gramme d’os présente une stabilité à la compression des solvants polaires, tels que l’eau ou les alcools, pour
4 fois supérieure à celle d’un gramme d’acier!). échafauder et contrôler la croissance de réseaux oxy-
La synthèse de matériaux hiérarchiques nécessite d’appro- des par polycondensation hydrolytique d’alcoxydes
fondir le travail au niveau de la chimie moléculaire et métalliques permet de développer des matériaux nano-
surtout de celle des interfaces. En général, les straté- structurés. Ces nanomatériaux constituent un réseau
gies de synthèse utilisent des matériaux servant d’em- très bien défini, dont les paramètres de structure sont
preintes ou de templates qui,par leur taille et leur nature, directement liés à la nature du tensio-actif et à sa capa-
définissent la dimension des pores et par conséquent cité à former des phases micellaires dans le solvant
l’architecture intrinsèque et définitive du matériau.Les approprié.L’élimination par voie chimique ou thermique
domaines de porosité étudiés s’étendent des micropo- de ce tensio-actif piégé au sein du réseau inorganique
res aux macropores en passant par les mésopores. La ainsi créé, libère la porosité du système caractérisée
combinaison de ces différentes tailles ouvre le champ par une taille de pores calibrée, voire une structure
à l’élaboration de matériaux à porosité multimodale. cristalline correspondant à un groupe d’espace.
Afin de générer de nouvelles structures de matériaux
pouvant répondre aux applications optiques, les cher-
(9) P. BELLEVILLE, P. PRENÉ, C. BONNIN et Y. MONTOUILLOUT,
“Use of sol-gel hybrids for laser optical thin films”, cheurs du Laboratoire sol-gel ont développé des nano-
Mat. Res. Soc. Symp. Proc., 726, 2002. matériaux hybrides qui constituent le premier exem-

film, membrane, poudre… film, membrane…

milieu de croissance : eau, alcools, éthers milieu de croissance : eau, alcools, éthers
matériau hybride
précurseurs de silice bistructuré
lavage ou
cristal liquide calcination
micelle (cubique)
tensio-actif
sphérique
lavage
tensio-actif

sol-gel SiO2
polycondensation mésostructurée
précurseurs
de silice

“émulsion” tensio-actif
organisation
micelle cristal liquide polymère “hôte” bimodale
cylindrique (hexagonal) tensio-actif (non porogène)

a b
CEA

Figure 2.
Croissance par procédé sol-gel et par auto-assemblage induit par évaporation : en a, de phases mésostructurées ; en b, de matériaux hiérarchiques structurés.

CLEFS CEA - N° 52 - ÉTÉ 2005 81


Des briques pour le nanomonde

ple d’élaboration de phases mésostructurées hybrides réactionnel (solvant/tensio-actif/polymère/oxyde


produites in situ au sein d’une matrice polymérique métallique). Ainsi, par simple échange de solvant ou
non “porogène”, appelée polymère “hôte” (figure 2b). de template (tensio-actif) et en conservant le même
Ainsi, la mise en œuvre de ces solutions de nano- couple polymère/silice, des films mésoporeux à forte
matériaux a permis l’élaboration de films transparents porositéspongieuse (figures 4a et 4b) et d’autres mésopo-
à bas indice de réfraction issus de ce nouveau procédé reux sans porosité macroscopique apparente (figure 4c)
de croissance de phase organominérale mésostruc- ont été élaborés au CEA. Ces films conservent leur
turée au sein d’une matrice polymérique organique transparence, et donc leur homogénéité d’indice de
hôte. L’observation des photographies obtenues par réfraction,avec des compositions aussi riches en consti-
microscopie électronique à l’échelle macroscopique tuant inorganique qu’organique (taux d’incorporation
ou nanométrique de ce type de revêtements traduit la de silice supérieur à quarante pour cent en masse).
structure hiérarchique du matériau (figure 3). Elles Ces édifices hybrides ouvrent l’accès à de nouveaux
font apparaître visuellement la croissance au sein nanomatériaux hybrides à organisation hiérarchique,
d’un polymère organique de sphères à composition dont les propriétés sont aujourd’hui évaluées au
inorganique de taille micronique calibrée et compor- Laboratoire sol-gel. Un des axes de développement
tant une nanostructuration du réseau inorganique. actuel est notamment la mise au point de revêtements
Il est possible de modifier totalement l’organisation optiques tout aussi résistants au flux laser mais moins
macroporeuse de telles structures en jouant sur la sensibles à la pollution moléculaire(10), dans le but
compatibilité entre les différents constituants du milieu d’augmenter la durée de vie de ces matériaux utilisés
sur les chaînes laser de puissance.

Des nanomatériaux prometteurs


Outre les applications dans le domaine optique, ces
nanomatériaux hybrides sont également étudiés
pour leurs propriétés électrochimiques (membranes
électrolytiques,dispositifs électrochromes(11) ou photo-
voltaïques), leurs propriétés électroniques (films
capacitifs, ferroélectriques(12) ou piézoélectriques),
magnétiques ou biologiques (biogels,biocapteurs).Ces
1 cm 5 µm quelques exemples d’applications montrent que la
a b
richesse de la chimie des précurseurs sol-gel et la
possibilité de “nanoconstruire” le matériau souhaité
offrent des potentialités indéniables pour l’élaboration
de nouveaux matériaux à partir de concepts en
rupture technologique et innovants.

> Philippe Belleville et Karine Vallé


Direction des applications militaires
CEA centre du Ripault
150 nm 50 nm
c d
(10) Pollution moléculaire : pollution constituée de molécules
collectées par migration au contact de joints de montage
CEA

ou par migration aéroportée (composés organo-volatils


de dégazage, par exemple).
Figure 3.
Observations en microscopie électronique à différentes échelles d’un film transparent (11) Électrochrome : se dit d’un matériau dont les propriétés
de matériau hybride organique-inorganique à organisation multi-échelle synthétisé par vis-à-vis du passage de la lumière varient avec l’application
croissance de particules sphériques nanostructurées de silice au sein d’un polymère d’une tension électrique.
organique. Photographies macroscopique (a) ; microscopique (b) ; nanoscopique (c) ; (12) Ferroélectrique : qui présente une polarisation électrique
subnanoscopique (d). spontanée, réversible sous l’action d’un champ magnétique.

2 µm 2 µm

a 5 µm b 5 µm c 1 µm
CEA

Figure 4.
Photographies en microscopie électronique montrant l’organisation hiérarchique de films transparents élaborés par le procédé sol-gel et par auto-
assemblage en milieu polymère “hôte”. Films formés avec en a, un tensio-actif ionique et du tétrahydrofuranne ; en b, un tensio-actif non-ionique
et de l’acétone ; en c, un tensio-actif non-ionique et du tétrahydrofuranne.

82 CLEFS CEA - N° 52 - ÉTÉ 2005


A Du monde macroscopique au nanomonde, ou l’inverse…
A fin de se représenter plus aisé-
ment les dimensions des objets
micro et nanoscopiques*, il est pra-
tique de procéder à des comparaisons
et courant de faire correspondre diffé-
rentes échelles, par exemple celle du
monde du vivant, de la molécule à
l’homme, et celle des objets manipulés
ou fabriqués par lui (figure). Cette
correspondance entre “artificiel” et
“naturel” permet, par exemple, de voir
que des nanoparticules fabriquées
artificiellement sont plus petites que

ue
niq
des globules rouges.

ch
te
Ar
Un autre mérite de cette juxtaposition
est d’illustrer les deux grandes façons
*Du grec nano qui signifie “tout petit”
et est utilisé comme préfixe pour désigner
le milliardième (10-9) d’une unité. En
l’occurrence, le nanomètre (1 nm = 10-9 m,
soit un milliardième de mètre) est l’unité
reine du monde des nanosciences et des Tranche de silicium de 300 mm réalisée par l’Alliance Crolles2, illustration de la démarche
nanotechnologies. top-down actuelle de la microélectronique.

d’élaborer des objets ou des systèmes est connue. Mais il ne s’agit plus seu- niser la matière à partir de “briques de
nanométriques : la voie descendante lement d’adapter la miniaturisation de base”, dont les atomes eux-mêmes sont
(top-down) et la voie ascendante la filière silicium actuelle, mais aussi les plus petits constituants, à l’instar
(bottom-up). Deux chemins mènent en de prendre en compte, pour s’en pré- du monde vivant. La nanoélectronique
effet au nanomonde : la fabrication munir ou les utiliser, les phénomènes du futur cherche à emprunter cette voie
moléculaire, qui passe par la mani- physiques, quantiques en particulier, d’assemblage pour aboutir à moindre
pulation d’atomes individuels et la qui apparaissent aux faibles dimen- coût à la fabrication d’éléments fonc-
construction à partir de la base, et sions. tionnels.
l’ultraminiaturisation, qui produit des La voie ascendante peut permettre de Les nanosciences peuvent ainsi être
systèmes de plus en plus petits. passer outre ces limites physiques et définies comme l’ensemble des recher-
La voie descendante est celle du monde aussi de réduire les coûts de fabrica- ches visant à la compréhension des
artificiel, qui part de matériaux macro- tion, en utilisant notamment l’auto- propriétés (physiques, chimiques et
scopiques, ciselés par la main de assemblage des composants. C’est elle biologiques) des nano-objets ainsi
l’homme puis par ses instruments: c’est que suit la vie en pratiquant l’assem- qu’à leur fabrication et à leur assem-
elle qu’a empruntée l’électronique blage de molécules pour créer des pro- blage par auto-organisation.
depuis plusieurs dizaines d’années, téines, enchaînement d’acides aminés Les nanotechnologies regroupent l’en-
principalement avec le silicium comme que des super-molécules, les acides semble des savoir-faire qui permet-
substrat, et ses “tranches” (wafers) nucléiques (ADN, ARN), savent faire pro- tent de travailler à l’échelle molécu-
comme entités manipulables. C’est duire au sein de cellules pour former laire pour organiser la matière afin de
d’ailleurs la microélectronique qui a des organismes, les faire fonctionner et réaliser ces objets et matériaux, éven-
largement contribué à donner à cette se reproduire tout en se complexifiant. tuellement jusqu’à l’échelle macro-
voie le nom anglais sous laquelle elle Cette voie, dite “bottom-up”, vise à orga- scopique.
A (Suite)

IBM Research

Pat Powers and Cherryl Schafer


cheveu 50 µm

Frédéric Ballenegger
E. Pollard/Photolink
M. Freeman/Photolink

S. Wanke/Photolink
(diamètre)

E. Pollard/Photolink
voie
ascendante

Geostock
monde “bottom-up”

D. R.
CEA
vivant molécule ADN virus globule rouge grain de pollen puce fourmi papillon homme
quelques Å 3,4 nm 0,1 µm 5 µm 10 µm à 20 µm 1 mm 1 cm 5 cm 2m

0,1 nm 1 nm 10 nm 100 nm 1 µm 10 µm 100 µm 1 mm 1 cm 10 cm 1m

nanomonde
10-10 m 10-9 m 10-8 m 10-7 m 10-6 m 10-5 m 10-4 m 10-3 m 10-2 m 10-1 m

atome boîte quantique nanoparticule nanotransistor transistor interconnexions microsystème puce de carte téléphone véhicule
1 nm 5 nm 10 nm 20 nm “Cooper” de circuit intégré 10-100 µm 1 cm portable 10 cm individuel 2 m
1 µm 1-10 µm monde
CEA/DRFMC/J.-M. Pénisson

voie artificiel
descendante A. Ponchet, CNRS/CEMES

“top-down”

CEA
Arte
c hniq

CEA-Leti

ue/
ue/C
EA

hniq
Tronics
CEA-Leti

PSA-Peugeot Citroën
rtec
CEA-Leti

n-A
icho
D. M
B Quelques repères de physique quantique
L a physique quantique (historique-
ment dénommée mécanique quan-
tique) est l’ensemble des lois physiques
qui s’appliquent à l’échelle microsco-
pique. Fondamentalement différentes
de la plupart de celles qui semblent
s’appliquer à notre propre échelle, elles
n’en constituent pas moins le socle glo-
bal de la physique à toutes ses échel-
les. Mais à l’échelle macroscopique, ses
manifestations ne nous apparaissent

D. Sarraute/CEA
pas étranges, à l’exception d’un certain
nombre de phénomènes a priori
curieux, comme la supraconductivité
ou la superfluidité , qui justement ne “Vue d’artiste” de l’équation de Schrödinger.
s’expliquent que par les lois de la
physique quantique. Au demeurant, le appelé constante de Planck (h), dont la (photon) ou de matière (électron, proton,
passage du domaine de validité des lois valeur est de 6,626·10-34 joule·seconde. neutron, atome…).
paradoxales de cette physique à celui Alors que la physique classique distin- Cette caractéristique donne toute sa force
des lois, plus simples à imaginer, de la gue ondes et corpuscules, la physique au principe d’incertitude d’Heisenberg,
physique classique peut s‘expliquer quantique englobe en quelque sorte ces autre base de la physique quantique.
d’une façon très générale, comme cela deux concepts dans un troisième, qui Selon ce principe (d’indétermination
sera évoqué plus loin. dépasse la simple dualité onde-cor- plutôt que d’incertitude), il est impos-
La physique quantique tire son nom puscule entrevue par Louis de Broglie, sible de définir avec précision à un instant
d’une caractéristique essentielle des et qui, quand nous tentons de l’appré- donné à la fois la position d’une parti-
objets quantiques: des caractéristiques hender, semble tantôt proche du pre- cule et sa vitesse. La mesure, qui reste
comme le moment angulaire (spin) des mier et tantôt du deuxième. L’objet quan- possible, n’aura jamais une précision
particules sont des quantités discrètes tique constitue une entité inséparable meilleure que h, la constante de Planck.
ou discontinues appelées quanta, qui de ses conditions d’observation, sans Ces grandeurs n’ayant pas de réalité
ne peuvent prendre que des valeurs attribut propre. Et cela, qu’il s’agisse intrinsèque en dehors du processus
multiples d’un quantum élémentaire. Il d’une particule – en aucun cas assimi- d’observation, cette détermination
existe de même un quantum d’action lable à une bille minuscule qui suivrait simultanée de la position et de la vitesse
(produit d’une énergie par une durée) une quelconque trajectoire – de lumière est simplement impossible.
B (Suite)
C’est qu’à tout instant l’objet quantique des implications vertigineuses, sans posées par le principe d’incertitude),
présente la caractéristique de superpo- parler des applications imaginables, de c’est-à-dire se trouver dans le même
ser plusieurs états, comme une onde peut la cryptographie quantique à – pourquoi état quantique. Les bosons (en particulier
être le résultat de l’addition de plusieurs ne pas rêver? – la téléportation. les photons), ne suivent pas ce principe
autres. Dans le domaine quantique, la Dès lors, la possibilité de prévoir le com- et peuvent se trouver dans le même état
hauteur d’une onde (assimilable à celle portement d’un système quantique n’est quantique.
d’une vague par exemple) a pour équi- qu’une prédictibilité probabiliste et sta- La coexistence des états superposés
valent une amplitude de probabilité (ou tistique. L’objet quantique est en quelque donne sa cohérence au système quan-
onde de probabilité), nombre complexe sorte une “juxtaposition de possibles”. tique. Dès lors, la théorie de la déco-
associé à chacun des états possibles d’un Tant que la mesure sur lui n’est pas faite, hérence quantique peut expliquer pour-
système qualifié ainsi de quantique. la grandeur censée quantifier la pro- quoi les objets macroscopiques ont un
Mathématiquement, un état physique priété physique recherchée n’est pas comportement “classique” tandis que
d’un tel système est représenté par un strictement définie. Mais dès que cette les objets microscopiques, atomes et
vecteur d’état, fonction qui, en vertu du mesure est engagée, elle détruit la autres particules, ont un comportement
principe de superposition, peut s’ajouter superposition quantique, par réduction quantique. Plus sûrement encore qu’un
à d’autres. Autrement dit, la somme de du paquet d’ondes, comme Werner dispositif de mesure pointu, “l’environ-
deux vecteurs d’état possibles d’un sys- Heisenberg l’énonçait en 1927. nement” (l’air, le rayonnement ambiant,
tème est aussi un vecteur d’état possible Toutes les propriétés d’un système quan- etc.) exerce son influence, éliminant
du système. De plus, le produit de deux tique peuvent être déduites à partir de radicalement toutes les superpositions
espaces vectoriels est aussi la somme l’équation proposée l’année précédente d’état à cette échelle. Plus le système
de produits de vecteurs, ce qui traduit par Erwin Schrödinger. La résolution de considéré est gros, plus il est en effet
l’intrication: un vecteur d’état étant géné- cette équation de Schrödinger permet couplé à un grand nombre de degrés de
ralement étalé dans l’espace, l’idée de de déterminer l’énergie du système ainsi liberté de cet environnement. Et donc
localité des objets ne va plus de soi. Dans que la fonction d’onde, notion qui a donc moins il a de “chances” – pour rester
une paire de particules intriquées, c’est- tendance à être remplacée par celle dans la logique probabiliste – de sau-
à-dire créées ensemble ou ayant déjà d’amplitude de probabilité. vegarder une quelconque cohérence
interagi l’une sur l’autre, décrite par le Selon un autre grand principe de la phy- quantique.
produit et non par la somme de deux vec- sique quantique, le principe (d’exclu-
teurs d’état individuels, le destin de cha- sion) de Pauli, deux particules identiques POUR EN SAVOIR PLUS
cune est lié à celui de l’autre, quelle que de spin 5 (c’est-à-dire des fermions, en Étienne KLEIN, Petit voyage
soit la distance qui pourra les séparer. particulier les électrons) ne peuvent avoir dans le monde des quanta, Champs,
Cette caractéristique, également appe- à la fois la même position, le même spin Flammarion, 2004.
lée l’enchevêtrement quantique d’états, a et la même vitesse (dans les limites

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