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2014, ANNÉE DE LA CRISTALLOGRAPHIE

DES SYMÉTRIES AUX PROPRIÉTÉS :


4 – LES SYSTÈMES MONOCLINIQUE
ET TRICLINIQUE
Andrée Harari et Noël Baffier
Andrée Harari (directeur de recherches au CNRS) et Noël Baffier (professeur des universités)
ont effectué leurs travaux de recherche au laboratoire de Chimie de la Matière Condensée
à Chimie ParisTech et à l’Université Paris 6. Noël Baffier a enseigné la cristallographie
et la chimie des matériaux dans ces deux établissements.

Dans les systèmes monoclinique et


triclinique, les trois paramètres de maille
(longueurs d’arête) ont des valeurs diffé-
rentes mais, dans le système monocli-
nique, deux des angles sont égaux à π/2
(90°) : α = β = π/2, le troisième γ prenant
une valeur quelconque, alors que dans
le système triclinique, les trois angles
α, β, γ sont quelconques. Ce sont donc
des systèmes cristallins dits de « basse
symétrie ». La maille monoclinique est
un prisme droit à base parallélogramme,
la maille triclinique est un parallélépipède
quelconque.
Le prisme droit à base parallélogramme
du système monoclinique possède un
axe de rotation A 2 passant par le centre
de la maille, un miroir M perpendicu-
laire à cet axe, et un centre de symétrie
© J.P. Labbé

C (Fig. 1). La symétrie maximum est


symbolisée par :
A2/M C. FIGURE 1
Maille monoclinique (en haut)
Les cristaux monocliniques ne possèdent et maille triclinique (en bas).
pas obligatoirement l’ensemble de ces
éléments de symétrie. On peut montrer en Dans le système triclinique, le moins
effet que la seule présence d’un miroir M symétrique des sept systèmes cristallins,
induit que le cristal appartient au système la forme la plus symétrique est un paral-
monoclinique. lélépipède quelconque, caractérisé par la

1 © Fondation de la Maison de la chimie, 2015


présence d’un seul élément de symétrie :
un centre de symétrie C (Fig. 1). La symétrie
maximum est donc symbolisée par : C.
Les cristaux de symétrie triclinique
ne possèdent pas obligatoirement cet
élément de symétrie. L’absence totale de
symétrie induit que le cristal appartient à
ce système.

© A. Harari
Remarque pratique
Pour repérer l’axe de rotation, prendre un
FIGURE 2
prisme droit à base parallélogramme, le Structure schématique du gypse.
tenir entre 2 doigts matérialisant ainsi
l’axe de rotation, repérer l’image que l’on Cet agencement peu compact explique :
a devant soi, vérifier qu’on retrouve la
OO d’une part, le clivage facile du gypse.
même image lorsqu’on fait pivoter de
Dans l’Antiquité, de grands cristaux
180° le prisme autour de l’axe matérialisé
de gypse très purs ont été utilisés en
par les 2 doigts.
fines lames translucides, pour faire
Compte tenu du degré de symétrie limité dans des vitres ;
ces deux systèmes cristallins, très peu de OO d’autre part, le départ progressif de l’eau
composés minéraux adoptent l’un ou l’autre si l’on chauffe le gypse au-dessus de 40°.
de ces systèmes. La plupart des cristaux Cette dernière propriété conduit à l’appli-
appartenant à ces systèmes sont donc de cation industrielle principale du gypse,

2014, ANNÉE DE LA CRISTALLOGRAPHIE : 4 – les systèmes monoclinique et triclinique


nature organique, un composé organique sur le plâtre, par déshydratation partielle en
deux cristallise dans le système monocli- CaSO4,1/2H2O. La réhydratation ultérieure
nique, un sur trois dans le cas des protéines. de cette poudre de plâtre entraîne la prise
La quasi absence d’éléments de symétrie en masse en quelques minutes et le durcis-
dans le système triclinique ne favorise sement après séchage. Ce procédé a, depuis
l’appartenance des composés à ce système, des siècles, connu de multiples applications
ni dans le milieu inorganique (2 %), ni dans en art, en architecture, dans le bâtiment et
le milieu organique (6 %). dans tous les procédés de moulage.
QUELQUES COMPOSÉS Le gypse est aussi utilisé comme engrais
DE SYMÉTRIE MONOCLINIQUE pour l’agriculture sous forme de phospho-
OU TRICLINIQUE gypse.
Le gypse Le faciès cristallin du gypse est facilement
Parmi les composés de structure monocli- reconnaissable, un des (beaux) exemples en
nique, le gypse, sulfate de calcium dihydraté est la rose des sables (Fig. 3). Le gypse peut
(CaSO4, 2H2O), est un minéral très commun aussi se présenter sous forme de cristaux
à l’origine du plâtre. de très grande taille, dont les plus specta-
culaires se trouvent dans la Mine de Naïca
Sa structure peut se décrire comme
au Mexique (Fig. 4).
des feuillets de tétraèdres [SO4] avec
le soufre au centre et les oxygènes aux On trouve là des cristaux de gypse pouvant
sommets, liés entre eux par des ions atteindre 10 mètres de long. Le phénomène
calcium Ca2+. La cohésion (faible) entre s’explique par des conditions de cristallisa-
les feuillets est assurée par des molécules tion particulièrement stables sur une très
d’eau (H2O) (Fig. 2). longue période...

2 © Fondation de la Maison de la chimie, 2015


© J.P. Labbé et A. Harari
© J.P. Labbé

FIGURE 3
Rose des sables. FIGURE 5
Représentation schématique
de la montmorillonite.

La montmorillonite appartient au système


monoclinique avec pour paramètres :
a = 5,19 Å, b = 8,98 Å, c = 9,6 Å, β = 99,9°.
Le paramètre c correspond à la distance
inter-feuillets. Il peut varier de 9,6 Å à
20 Å, voire plus, selon la nature du cation
compensateur, le nombre de molécules
© Licence CC BY 3.0 réalisé par A. Van Driessche
d’eau d’hydratation inter-feuillets, la
FIGURE 4 nature du solvant inséré entre les feuil-
Cristaux géants de la grotte de Naïca
(le personnage en bas donne l’échelle). lets.
La montmorillonite : un composé naturel Ce composé a la particularité de présenter
aux applications variées différents niveaux d’organisation selon

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l’échelle d’observation (Fig. 6) :
Les phyllosilicates, également appelés
silicates lamellaires, smectiques ou argiles OO soit sous forme d’un seul feuillet d’épais-
smectites, sont des aluminosilicates dans seur voisine du nanomètre, avec des
lesquels les tétraèdres SiO4 forment des dimensions latérales de l’ordre du micro-
feuillets bi-dimensionnels. Ces feuillets mètre ; le feuillet est chargé négative-
de tétraèdres sont liés à des octaèdres ment à raison de 0,3 à 0,4 électron par
d’oxydes métalliques dans un rapport 2:1 maille,
ou 1:1. Parmi ces composés, la montmoril- OO soit sous forme d’une particule primaire
lonite dérive du composé Si4Al2O10(OH)2, constituée de 5 à 10 feuillets empilés, de
par substitution d’une partie des ions 8 à 10 nanomètres d’épaisseur,
aluminium Al3+ par des ions magnésium OO soit sous forme d’un agrégat, c’est-
Mg2+ : SiO4AlIII2-x MgIIx(OH)2. La neutralité du à-dire d’un ensemble de particules
composé est alors assurée par la présence primaires orientées dans toutes les
de cations dits « compensateurs » situés directions, avec une taille variant de
entre les feuillets (Fig. 5). 0,1 à 10 micromètres.
© J. Mering

FIGURE 6
Structure multi-échelle de la montmorillonite.

3 © Fondation de la Maison de la chimie, 2015


Cette structure multi-échelle développe Des propriétés de gonflement notables
différents niveaux de porosité qui expliquent Le gonflement consiste en une séparation des
l’aptitude de la montmorillonite au gonfle- feuillets pouvant atteindre jusqu’à 100 Å pour
ment, soit par hydratation des cations certaines montmorillonites. Plus les cations
inter-feuillets, soit par capillarité au sein des compensateurs sont petits et faiblement
porosités inter-particulaires et inter-agré- chargés, plus ils seront facilement hydratables
gats. Si la surface externe est de l’ordre et plus le gonflement de l’argile sera important.
de 20 à 90 m2/g, la surface interne peut
atteindre de l’ordre de 800 m2/g. Une montmorillonite dispersée dans l’eau
donne facilement une dispersion colloïdale
La montmorillonite présente ainsi des carac- stable, d’où des propriétés de plasticité et
téristiques physico-chimiques assez excep- d’imperméabilité très recherchées dans
tionnelles qui conduisent à des applications l’industrie.
particulièrement variées.
Cependant, cette aptitude au gonflement
Un pouvoir couvrant ou surface spécifique et inversement au retrait peut poser des
considérable problèmes sur le plan géologique en provo-
quant des déplacements de terrain parfois
En milieu liquide, les particules d’argile importants au gré des variations d’humidité.
s’étalent sous forme d’un film continu. En En revanche, en agriculture, les terrains
glissant les unes sur les autres comme argileux créent de larges fentes de dessication
les tuiles d’un toit, les particules peuvent en période de sècheresse, lesquelles fentes
recouvrir des surfaces considérables : un assurent ainsi un travail du sol en profondeur.
gramme de poudre de montmorillonite
naturelle peut ainsi recouvrir 100 m2. Des propriétés particulières d’échange
L’adhérence est efficace et l’argile, à la

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de solvants
manière d’un pansement protecteur,
peut recouvrir et/ou enrober un petit Ces échanges se font entre l’eau inter-feuil-
ensemble, telle une bactérie par exemple lets et certains solvants organiques de
et l’inhiber en l’isolant de son milieu. D’où propriétés voisines, permettant ainsi
les propriétés d’une suspension d’alumi- d’obtenir soit des plasticités différentes,
nosilicates pour former un gel adhérent et soit un milieu susceptible de conduire à des
durable sur les parois digestives. Même les réactions spécifiques. On a ainsi montré
animaux se soignent avec ces composés, que des acides gras pouvaient pénétrer
soit en baignant la partie atteinte avec des entre les feuillets d’une argile préalable-
boues argileuses, soit en ingérant sponta- ment chargée en éthanol ou méthanol. Il se
nément les argiles. forme alors spontanément des liposomes,
constituants premiers des cellules vivantes
Une capacité d’échange cationique impor- (Fig. 7). L’argile montmorillonite pourrait-elle
tante être ainsi le « berceau de la vie » ?

Cette aptitude correspond à la possibilité de


of Engineering and Applied Sciences

substituer des cations aux cations compen-


Subramaniam, Harvard School

sateurs inter-feuillets. La montmorillonite


© Courtesy of Anand Bala

est ainsi un excellent échangeur de cations,


utilisable par exemple comme adjuvant de
filtration des eaux. On utilise également
ces capacités d’échange pour confiner les
déchets radioactifs de haute activité dans
FIGURE 7
les gisements argileux de très grande profon- Liposomes formés au sein d’une vésicule
deur. de montmorillonite.

4 © Fondation de la Maison de la chimie, 2015


Certaines propriétés sont dues à l’organisa- leurs propriétés chimiques sont identiques.
tion interne des motifs ou molécules plutôt Il montrera ensuite que les deux formes de
qu’à la symétrie résultant de l’empilement la molécule elle-même ne sont pas super-
de ces derniers. Ceci est assez simple à voir posables (Fig. 9).
dans des composés organiques.
L’existence de ces formes gauche ou
L’acide tartrique droite pour un même composé ouvre tout
L’acide tartrique est un composé organique le domaine de la stéréochimie en chimie
monoclinique, qui constitue un jalon dans organique et biologique. Dans le domaine
l’histoire de la symétrie et de la stéréo- des médicaments par exemple, lorsque
chimie. l’activité est présente chez un seul énantio-
mère, l’autre peut être inactif mais il peut
En 1848, Louis Pasteur constate que l’échan-
aussi donner lieu à des effets indésirables
tillon de sel d’acide tartrique qu’il observe
voire toxiques.
au microscope est constitué d’un mélange
de deux formes de cristaux. L’orientation Le ferrocène
des facettes n’est pas toujours la même : il La molécule de ferrocène (Fig. 10) consiste
distingue des cristaux « gauches » et des en un atome de fer placé entre 2 cycles
cristaux « droits » (Fig. 8). L’une de ces formés par 5 atomes de carbone : il existe
formes est l’image de l’autre dans un miroir 2 formes dues à la position relative (éclipsée
et ne lui est pas superposable : les cristaux
ou étoilée) des cycles.
sont ce que l’on nomme des objets chiraux.
Pasteur trie, manuellement, les deux familles Cette molécule « sandwich » a un axe de
de cristaux et observe leurs propriétés symétrie d’ordre 5 qui n’existe pas dans la
optiques après dissolution dans l’eau. En description de la maille cristalline (monocli-

2014, ANNÉE DE LA CRISTALLOGRAPHIE : 4 – les systèmes monoclinique et triclinique


étudiant séparément les deux formes (dites nique). Ce type de composés a ouvert la voie
énantiomères), il constate qu’elles ont des à une nouvelle chimie, celle des composés
propriétés optiques ­différentes alors que organo-métalliques.
© A. Sevin. Pasteur et la chiralité
© A. Sevin. Pasteur et la chiralité

moléculaire.
moléculaire.

FIGURE 8 FIGURE 9
Cristaux de tartrate de sodium. Structure de l’acide tartrique.
fr.academic.ru/dic.nsf/frwiki/624683

(1) (2)

FIGURE 10
Molécule de ferrocène,
(1) éclipsée, (2) étoilée.

5 © Fondation de la Maison de la chimie, 2015

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