Université Paris-Sorbonne
Mardi 10 mars 2015 (séance 6 du semestre)
jeanmarie.salamito@gmail.com
Eusèbe de Césarée
et l’idéalisation de l’empereur Constantin
Bibliographie spécifique
• Sur Eusèbe de Césarée : Carmelo CURTI, « Eusebio di
Cesarea (Palestina) (265 ca. – 339) », dans Nuovo
dizionario patristico e di antichità cristiane, dir. par
Angelo DI BERARDINO, Gênes – Milan, 2006, t. 1,
col. 1845-1853.
• Sur Eusèbe et Constantin : Timothy D. BARNES,
Constantine and Eusebius, Cambridge (Mass.) – Londres,
1981.
• Sur la théologie politique d’Eusèbe : Raffaele FARINA,
L’impero e l’imperatore cristiano in Eusebio di Cesarea.
La prima teologia politica del Cristianesimo, Zurich,
1966.
• Textes traduits:
— Harold A. DRAKE, In Praise of Constantine. A
Historical Study and New Translation of Eusebius’
Tricennial Orations, Berkeley – Los Angeles – Londres,
1976.
— EUSÈBE DE CÉSARÉE, La théologie politique de
l’Empire chrétien. Louanges de Constantin
(Triakontaétérikos), introduction, traduction originale et
notes par Pierre MARAVAL, Paris, 2001.
Doc. 1 : Eusèbe de Césarée, Triakontaétérikos, 2, 1-5
(trad. de Pierre Maraval) :
L’un, le Logos monogène de Dieu, qui règne
avec son Père depuis des siècles sans
commencement, subsiste pour des siècles sans fin ni
terme ; l’autre, aimé de lui, qui tire ses prérogatives
des émanations royales d’en haut et sa puissance de
l’attribution d’un titre divin, a le pouvoir sur les
habitants de la terre pour de longues années.
Et encore : l’un, le Sauveur de l’univers,
prépare comme il convient pour son Père le ciel tout
entier, le monde et le royaume d’en-haut ; l’autre,
aimé de lui, en amenant ses sujets au Logos
monogène et sauveur de ceux qui sont sur la terre, les
rend appropriés à son royaume.
L’un, le Sauveur commun de l’univers, par
une puissance invisible et divine, tient à distance de
ses brebis, comme le fait un bon pasteur, les
puissances rebelles qui, volant dans l’air au-dessus de
la terre, se jetaient comme des bêtes sauvages sur les
âmes des hommes ; l’autre, aimé de lui, orné d’en-
haut par lui des trophées remportés contre les
ennemis, soumet par la loi de la guerre les ennemis
publics de la vérité et les rend sages.
L’un, le Logos qui est avant le monde, le
Sauveur de l’univers, en transmettant des semences
rationnelles et salutaires à ceux de son cortège, les
rend à la fois doués de raison et capables de connaître
la royauté du Père ; l’autre, aimé de lui, comme un
interprète du Logos de Dieu, appelle tout le genre
humain à la connaissance du Tout-Puissant, en criant
d’une voix forte aux oreilles de tous et en proclamant
les lois de la piété véritable à tous les habitants de la
terre.
L’un, le Sauveur de l’univers, ouvre les
portes célestes du royaume du Père à ceux d’ici-bas
qui passent là-bas ; l’autre, dans son zèle pour le
Tout-Puissant, ayant purifié de toute souillure
d’erreur athée le royaume terrestre, convoque le
chœur des saints et des hommes pieux à l’intérieur
des demeures royales, en veillant à assurer le salut
commun de toute la flotte de ceux dont il est le
pilote.
Plan du doc. 1 : Cinq parallèles entre le Logos (le
Verbe) et l’empereur Constantin :
1° le règne (ou le pouvoir) ;
2° la préparation du royaume ;
3° la protection contre les ennemis ;
4° la transmission de la connaissance ;
5° le rassemblement des saints.
Doc. 2 : Id., ibid., 5 :
Que seul celui qui est aimé de Dieu, le roi
universel, avec la vérité pour témoin, soit proclamé
notre roi, lui qui seul est libre, ou plutôt est
véritablement seigneur, supérieur aux richesses, plus
fort que le désir qui porte vers les femmes, vainqueur
des plaisirs même permis par la nature, dominant la
passion et la colère, et non dominé par elles. Lui est
véritablement empereur, il porte un titre qui
correspond à ses actes : il est réellement vainqueur,
lui qui a remporté la victoire sur les passions qui
triomphent du genre humain, lui qui a été formé
selon l’image archétypale du grand roi et qui, par
l’éclat des vertus qui viennent d’elle, en a pris la
forme dans sa pensée comme dans un miroir. Rendu
parfait grâce à elles, il est tempérant, bon, juste,
pieux, aimant Dieu. En vérité, seul ce roi est
philosophe, lui qui se connaît lui-même et a
pleinement conscience de l’abondance de tous les
biens qui sont répandus sur lui comme de l’extérieur,
ou plutôt du ciel, lui qui seul est dignement revêtu de
la pourpre royale qui lui convient.
 Il est roi, lui qui nuit et jour invoque le Père
céleste, lui qui l’appelle à grands cris dans ses
prières, lui qui a le désir du royaume d’en-haut. Parce
qu’il sait que les choses présentes ne sont pas dignes
du Dieu roi universel, que les réalités mortelles et
périssables s’écoulent comme un fleuve et se perdent,
il désire le royaume incorruptible et incorporel de
Dieu, et il prie pour l’obtenir. Par une réflexion d’une
élévation sublime, il fait monter son esprit au-dessus
de la voûte céleste et nourrit dans son cœur le désir
indicible des lumières qui s’y trouvent ; en les
comparant à elles, il estime que les honneurs de la
vie présente ne diffèrent en rien de l’obscurité. Il voit
que le gouvernement des hommes est une domination
brève et éphémère sur une vie mortelle et passagère,
pas beaucoup plus importante que le gouvernement
des chevriers, des bergers ou des bouviers (ou plutôt,
il pense qu’il est plus pénible et s’exerce sur des
sujets plus difficiles). Il tient les acclamations des
peuples et les paroles des flatteurs pour un embarras
plutôt qu’un plaisir, à cause de la fermeté de son
caractère et de la noble éducation de son âme.
Et encore, lorsqu’il voit les gardes du corps
qui sont sous ses ordres, les myriades des armées, les
foules soumises et obéissantes des fantassins et des
cavaliers, il n’en est nullement surpris ni ne s’enfle
d’orgueil parce qu’il les commande, car il tourne sa
pensée vers lui-même et voit en lui-même la nature
commune à tous. En vérité, il sourit de son vêtement
tissé d’or et brodé de fleurs variées, ainsi que de sa
pourpre impériale et du diadème lui-même, en voyant
la multitude stupéfaite qui met cette apparition au
rang des dieux, tout à fait comme des enfants devant
un épouvantail. Mais lui qui, grâce à sa science du
divin, n’a nullement éprouvé de pareils sentiments en
son âme, se ceint de l’ornement qui convient
véritablement à un roi : un vêtement chamarré de
tempérance, de piété, de justice et des autres vertus.
En outre, ces richesses trois fois désirées par
la multitude – je veux dire l’or, l’argent et toutes les
espèces de pierres qu’on admire –, il les voit telles
qu’elles sont par nature, en vérité des pierres inutiles
et une matière sans intérêt, nullement une protection
qui puisse servir en cas de malheur. En quoi ces
choses ont-elles la faculté de délivrer de la maladie et
de faire échapper à la mort ? Cependant, tout en
sachant cela, il règle avec compétence leur usage, par
un raisonnement sans passion, comme d’un ornement
qui convient au regard de ses sujets, tout en souriant
de ceux qui les convoitent puérilement. Bien sûr, il
s’abstient de l’ivrognerie, de l’ivresse et d’un excès
de nourritures délicates comme celles qui sont
familières aux gloutons, car il estime que tout cela
convient à d’autres mais pas à lui. Il est convaincu en
effet que de pareilles choses procurent grand
dommage et obscurcissent l’intelligence de l’âme.
Pour toutes ces raisons, le roi, instruit de la
science des choses divines et plein de nobles
sentiments, aspire à mieux que la vie présente,
invoquant le Père céleste et désirant son royaume,
accomplissant tout avec piété et proposant à ceux qui
sont gouvernés par lui, instruits comme par un bon
maître, la connaissance divine du grand roi.
Plan du doc. 2 : Les vertus de Constantin :
1° Constantin, monarque de lui-même ;
2° sa piété et son humilité ;
3° il n’est pas dupe de sa gloire humaine ;
4° son mépris des richesses et des plaisirs ;
5° récapitulation : un médiateur entre les
hommes et Dieu.
Doc. 3. Id., ibid., 18, 1-3 :
Ce que tu as entendu de nous est peut-être
superflu pour toi qui as eu plusieurs fois, par ton
expérience même, la perception de la divinité
salutaire, et qui t’es établi pour tous héraut de la
vérité, non en paroles mais en actes. Car toi-même, ô
roi, si le loisir t’en était donné, tu pourrais nous dire à
ta convenance les théophanies sans nombre du
Sauveur, les innombrables apparitions en songe. Je
ne parle pas des suggestions de sa part qui pour nous
sont secrètes, mais de celles qui ont été déposées en
ton esprit lui-même et qui ont apporté ce qui était
utile à tous et partout profitable au bien de tous. Tu
pourrais nous exposer en détail, de la manière qui
convient, les secours manifestes de ton Dieu, ton
champion et ton protecteur, dans les guerres, la
destruction des ennemis et des comploteurs, la
protection de sa droite dans les dangers, la solution
dans les difficultés, le soutien dans la solitude, les
trouvailles dans les impasses, la prescience du futur,
la prudente prévoyance pour le bien général, la
décision dans les incertitudes, les plans pour les
grandes entreprises, les décisions politiques,
l’administration de l’armée, la correction de toute
chose, les décrets pour le bien public, les lois utiles à
la vie. Tu pourrais faire le compte, de manière très
complète, de chacune de celles qui nous sont
cachées, mais sont connues de toi seul et sont
déposées en ta mémoire royale comme en des trésors
secrets.