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Cahiers de la recherche sur les droits

fondamentaux
21 | 2023
Numérique et ordre public

Hopsyweb : d’un fichier sanitaire à un fichier


policier ?
Hopsyweb: From a Health File to a Police File?

Mathias Couturier

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/crdf/8844
DOI : 10.4000/crdf.8844
ISSN : 2264-1246

Éditeur
Presses universitaires de Caen

Édition imprimée
Date de publication : 17 novembre 2023
Pagination : 73-79
ISBN : 978-2-38185-211-9
ISSN : 1634-8842

Référence électronique
Mathias Couturier, « Hopsyweb : d’un fichier sanitaire à un fichier policier ? », Cahiers de la recherche
sur les droits fondamentaux [En ligne], 21 | 2023, mis en ligne le 17 octobre 2023, consulté le 17
novembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/crdf/8844 ; DOI : https://doi.org/10.4000/crdf.
8844

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes
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Hopsyweb :
d’un fichier sanitaire à un fichier policier ?
Mathias COUTURIER
Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université de Caen Normandie
Institut caennais de recherche juridique (ICREJ, UR 967)

I. Hopsyweb et le FSPRT : des fichiers conçus pour être croisés ?


II. Hopsyweb : un fichier devenu poreux

De multiples déclarations, analyses et points de vue, dès et des psychiatres libéraux de manière à essayer de parer
le début de la vague d’attentats inspirés par l’idéologie à cette menace terroriste individuelle », précisant que
islamiste en France en 2015, ont commencé à proposer « des protocoles » seraient mis en place pour détecter et
l’existence d’un lien entre troubles mentaux et radicali- faire face aux personnes ayant « des délires autour de la
sation terroriste, rapprochement nourri en particulier radicalisation islamique » susceptibles de passer à l’acte 2.
par cette nouvelle figure du terrorisme contemporain En bref, se déployait dans différentes directions, à
des « “loups solitaires” autoradicalisés […] souffrant de cette période, une forme de vulgate psychiatrisante afin de
réelles maladies psychiatriques » 1. Cette figure avait été tenter d’expliquer, et donc de prévenir, le développement
renforcée notamment par le profil de l’auteur de l’attentat des comportements terroristes en France. Celle-ci impré-
de Nice du 14 juillet 2016, décrit par les médias comme gnait le discours de nombreuses instances. Par exemple,
une personnalité dépressive et violente, ou d’autres actes Laurent Nuñez, secrétaire d’État auprès du ministre de
rattachés au terrorisme commis par des individus isolés. l’Intérieur, déclarait devant l’Assemblée nationale, sans
Franchissant délibérément un pas supplémentaire, en fournir aucune précision sur l’origine de ses données,
août 2017, quelques jours après les attentats terroristes de que « 12 % des personnes inscrites au FSPRT [fichier de
Barcelone, Gérard Collomb, alors ministre de l’Intérieur, traitement des signalements pour la prévention de la
affirmait qu’un « certain nombre d’esprits faibles […] radicalisation à caractère terroriste] souffr[ent] de troubles
vont passer à l’acte par mimétisme et c’est ce contre quoi psychologiques ». Cette affirmation a été répercutée dans
il faut se prémunir et il faut travailler », ajoutant alors un rapport parlementaire 3 dont le contenu a ensuite
« qu’à peu près un tiers des personnes signalées pour servi au Conseil d’État, sans davantage de vérifications,
radicalisation souffre de troubles psychologiques », sans pour rendre sa solution dans une de ses décisions 4. Elle
que l’on sache aucunement d’où viendrait ce chiffre. Il a ensuite été reprise telle quelle par l’étude d’impact du
avait alors également déclaré vouloir mettre en place une projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme
« mobilisation de l’ensemble des hôpitaux psychiatriques et au renseignement 5.

1. J.-P. Sueur, Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et
en Europe, Sénat, nº 388, 1er avril 2015, p. 39.
2. Déclaration sur l’antenne de RTL, 18 août 2017.
3. É. Diard, É. Poulliat, Rapport d’information sur les services publics face à la radicalisation, Assemblée nationale, nº 2082, 27 juin 2019, p. 86.
4. CE, 10e et 9e chambres réunies, 27 mars 2020, nº 431350, Dalloz actualité, 28 avril 2020, obs. C. Crichton ; L’actualité juridique. Droit administratif,
2020, p. 1622, note C. Castaing.
5. Étude d’impact. Projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, 11 mai 2021, p. 123, en ligne : https://www.assemblee-
nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4104_etude-impact.pdf.

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Un tel rapprochement entre psychiatrie et terrorisme alors que le second est – en principe – un système de
a été dénoncé par de nombreux représentants du milieu traitement des données des personnes admises en soins
psychiatrique et de la protection des droits fondamentaux psychiatriques sans consentement destiné, principalement,
et n’aurait rien d’évident à en croire les spécialistes de la à faciliter la gestion administrative et judiciaire de leur
psychiatrie 6. À tout le moins, aucune étude approfondie mesure de soins.
n’a été menée permettant de démontrer un lien sérieux Pourtant, une analyse de l’évolution de ces deux outils
entre troubles psychiatriques et passage à l’acte terroriste. de fichage apprend que, vraisemblablement, Hopsyweb
D’une part, à en croire un psychiatre, le rattachement de la a été pensé dès sa conception en vue d’un croisement
radicalisation à une pathologie en particulier est à exclure 7. avec le FSPRT (I). Depuis 2019, le législateur a même
D’autre part, la prévalence de troubles psychiatriques chez considérablement renforcé et sécurisé le cadre juridique
les personnes radicalisées est peu évidente à évaluer mais permettant la mise en relation de ces deux fichiers. Faut-
n’est certainement pas aussi élevée que les 12 % évoqués par il en déduire que Hopsyweb serait devenu poreux aux
Laurent Nuñez. Le psychiatre Michel Triantafyllou évoque logiques de surveillance du FSPRT (II) ?
le chiffre de 3,5 % de personnes incarcérées et radicalisées
montrant des signes de troubles psychiatriques 8. Dans le
cadre d’un travail de recherche assez approfondi mené sur I. Hopsyweb et le FSPRT :
plusieurs années, et au terme d’une analyse de la littérature des fichiers conçus pour être croisés ?
existante et de l’audition de divers spécialistes, la Fédé-
ration française de psychiatrie affirme dans un rapport Les dispositifs de traitement automatisé des données
qu’il existe un « fort consensus » pour conclure que les relatives aux personnes admises en soins psychiatriques
terroristes n’ont pas une psychopathologie spécifique et sans consentement sont apparus en France, de manière
qu’il n’y a pas plus de troubles mentaux chez les terroristes relativement spontanée, dans les années 1980 10. Le pre-
qu’en population générale 9. mier d’entre eux est celui d’un établissement de santé de
Un pli semblait néanmoins pris au sein du gouver- l’Essonne qui avait ressenti le besoin, afin de clarifier son
nement en vue d’un tel rapprochement entre trouble fonctionnement, de procéder à un fichage des informations
mental et passage à l’acte terroriste et, suivant la pente relatives aux personnes admises en son sein. Approuvé par
de ce discours, il était inévitable que les traces numériques la Commission nationale de l’informatique et des libertés
des personnes hospitalisées en psychiatrie finissent par (CNIL) 11, ce fichier initial a servi, dans les années suivantes,
croiser celle des personnes identifiées comme porteuses de modèle à d’autres établissements souhaitant procéder
d’un risque de passage à l’acte terroriste. Ce mouvement à la mise en place d’un traitement automatisé des données
de rencontre s’est manifesté par un décret du 6 mai 2019 relatives à leurs patients. Il s’agissait notamment, par ce
autorisant la mise en relation de deux fichiers préexistants, procédé de gestion des données personnelles des patients,
Hopsyweb et le fichier de traitement des signalements pour de clarifier, dans le fonctionnement de l’établissement, la
la prévention de la radicalisation à caractère terroriste distinction entre personnes en soins libres et personnes en
(FSPRT). Ce dernier fichier, créé par un décret du 5 mars hospitalisation contrainte. Il s’agissait également, concer-
2015, est une base de données partagée avec les services de nant ces dernières, de disposer d’un outil permettant de
plusieurs ministères engagés dans la lutte contre le terro- gérer la procédure administrative, notamment pour le
risme et la radicalisation violente. Il recense les données respect des échéances (examens et certificats périodiques,
relatives aux personnes engagées dans un processus de transmissions obligatoires d’information aux instances
radicalisation, susceptibles de vouloir se rendre à l’étranger et autorités concernées, etc.). Divers outils sont venus
sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes à être utilisés en fonction des établissements jusqu’à ce
ou de vouloir prendre part à des activités à caractère que, en 1994, un arrêté ministériel du 19 avril 12 généralise
terroriste. Hopsyweb, pour sa part, est une évolution, l’utilisation d’un outil nommé Hopsy, administré par
datant de 2018, d’un système de traitement des données les directions départementales des affaires sanitaires et
relatives aux personnes faisant l’objet d’une mesure de sociales (DDASS), gérant régionalement les données des
soins psychiatriques sans consentement. L’un et l’autre seules personnes admises en soins sans leur consentement.
semblent n’avoir rien en commun puisque le premier est La finalité de cet outil était alors encore exclusive-
un fichier créé dans la foulée des attentats de janvier 2015, ment la mise en place d’une gestion automatisée des

6. Voir M. Artiguelong, « Du fichage psychiatrique au “casier psychiatrique” ! », L’information psychiatrique, vol. 98, nº 2, 2022, p. 93.
7. C. Stecken, Évaluation des liens entre la radicalisation islamiste et la psychiatrie, thèse en médecine, université Bordeaux 2, 2019, p. 66.
8. M. Triantafyllou, « La pensée psychiatrique au sujet de la radicalisation depuis 2015 », Le genre humain, nº 61, 2019, p. 89.
9. M. Botbol, N. Campelo, C. Lacour Gonay, Psychiatrie et radicalisation, rapport intermédiaire du groupe de travail de la Fédération française de
psychiatrie, paru dans Pour la recherche, bulletin de la Fédération française de psychiatrie, nº 93-94, juin-septembre 2017, p. 16.
10. Sur cet historique, voir L. Carayon, « Quelle folie ! », Lettre « Actualités Droits-Libertés » de La revue des droits de l’homme, juin 2020, en ligne :
http://journals.openedition.org/revdh/9746.
11. CNIL, délibération nº 84-32 du 25 septembre 1984 portant avis sur un traitement automatisé d’informations nominatives dénommé « GIPSY »
relatif à la gestion administrative des malades mentaux mis en œuvre par le centre hospitalier spécialisé de Vaucluse (Épinay-sur-Orge).
12. Arrêté ministériel du 19 avril 1994 relatif à l’informatisation du suivi des personnes hospitalisées sans leur consentement en raison de troubles
mentaux.
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dossiers et du suivi des personnes hospitalisées ainsi que Néanmoins, sur divers points, le décret de 2018 prévoit
l’établissement de statistiques régionales. Les informations le stockage de données plus complètes que l’arrêté de 1994,
traitées par le système étaient : l’identité de la personne voire le stockage de nouvelles catégories de données. Ainsi,
hospitalisée sans consentement (nom, prénoms, date et concernant les informations relatives à la situation admi-
lieu de naissance, profession, adresse) ; l’identité de la nistrative ou juridique des personnes admises en soins,
personne ayant demandé l’hospitalisation (nom, prénoms, est prévu, comme auparavant, l’enregistrement des dates
profession, adresse) ; l’identité des médecins auteurs des des certificats médicaux, expertises, arrêtés préfectoraux,
certificats prévus par la loi (nom, adresse profession- sorties de courte durée et de levée de la mesure. Mais le
nelle) ; les informations en rapport avec la justice ; les décret prévoit aussi l’enregistrement des coordonnées de
informations en rapport avec la situation administrative l’établissement d’accueil ainsi que les dates des arrêtés de
des personnes hospitalisées (lieu d’hospitalisation, date passage en programme de soins, de saisine du juge des
des certificats médicaux, date des arrêtés préfectoraux libertés et de la détention, d’audience et de décisions des
d’hospitalisation d’office, date et mode de sortie). À l’ori- juridictions saisies. Le décret prévoit également l’enregis-
gine, les données étaient conservées durant une année trement des données d’identification du ou des avocats
à compter de la fin de la mesure d’hospitalisation. Par de la personne admise en soins. Ces évolutions visaient
ailleurs, les destinataires des informations contenues dans à mettre à jour l’outil Hopsyweb pour tenir compte des
le fichier étaient le préfet du département, le procureur principales nouveautés de la loi de 2011 15 qui avait créé les
de la République, les membres de la commission dépar- programmes de soins, mesures de soins sans consentement
tementale des hospitalisations psychiatriques ainsi que, qui ne se déroulent pas en hospitalisation complète, et le
dans une certaine mesure, le maire de la commune de contrôle judiciaire obligatoire par le juge des libertés et
résidence du malade et sa famille. En d’autres termes, on de la détention.
y trouvait seulement les personnes impliquées dans le Au-delà de ces aspects qui ne constituaient, en somme,
suivi de la mesure de soins. qu’une mise à jour du fonctionnement de Hopsy, le décret
C’est une circulaire de 2006 qui a marqué la première de 2018 opérait des évolutions sensiblement plus impor-
évolution notable de Hopsy en étendant et systématisant tantes.
son utilisation à toutes les régions. C’est ensuite et surtout D’abord, si l’utilisation de Hopsy était obligatoire par
le décret du 23 mai 2018 qui le modifiait le plus profon- chaque agence régionale de santé (ARS), les divers fichiers
dément pour le faire évoluer vers sa forme et son nom qui le constituaient n’étaient pas reliés entre eux : la gestion
actuels, Hopsyweb 13. effectuée par les DDASS demeurait exclusivement régio-
Ainsi que le décrivait l’étude d’impact du projet de nale. Le décret de 2018, pour sa part, prévoit que, si le recueil
loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au ren- des données est traité au plan départemental, les bases de
seignement de 2021, Hopsyweb consiste en données jusque-là purement locales sont interconnectées
[…] un traitement de données à caractère personnel réalisé pour devenir un fichier consultable nationalement.
à l’échelle départementale, placé sous la responsabilité de Ensuite, la liste des personnes pouvant accéder aux
chaque agence régionale de santé, relatif au suivi des per- informations de Hopsyweb était élargie. Par exemple,
sonnes en soins psychiatriques sans consentement prises en l’accès à la base devenait possible non seulement pour le
charge en application des dispositions des articles L. 3212-1, préfet du département du lieu d’hospitalisation mais aussi
L. 3213-1, L. 3213-7, L. 3214-3 du code de la santé publique pour le préfet du lieu de résidence du malade.
et 706-135 du code de procédure pénale […] qui recense De même, la durée de conservation des données
et assure le suivi des personnes faisant l’objet de soins passait d’un an à trois ans.
psychiatriques sans consentement 14 La finalité officielle de ces évolutions était de per-
Le décret de 2018 énonce les catégories de données mettre l’établissement de statistiques nationales en matière
ayant vocation à être enregistrées dans l’application d’hospitalisation psychiatrique mais aussi de fournir aux
Hopsyweb. On y trouve, comme dans l’arrêté de 1994, préfectures un outil leur permettant d’interroger l’ARS
les données d’identification de la personne en soins sur l’existence d’antécédents d’hospitalisation chez un
psychiatriques sans consentement, les données d’iden- demandeur d’autorisation de détention d’arme à feu.
tification des médecins, auteurs des certificats médicaux En effet, depuis 2014, le Code de la sécurité intérieure
ou des rapports d’expertise prévus par le Code de la santé prévoit que la préfecture saisie d’une demande d’autori-
publique et, le cas échéant, les données transmises par sation d’acquisition ou de détention d’arme peut, avant
les autorités judiciaires concernant les personnes ayant de prendre sa décision, demander à l’ARS de l’informer
fait l’objet d’un classement sans suite ou d’une décision « de l’éventuelle admission en soins psychiatriques sans
d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. consentement dans un établissement de santé » 16.

13. Décret nº 2018-383 du 23 mai 2018 autorisant les traitements de données à caractère personnel relatifs au suivi des personnes en soins psychiatriques
sans consentement, Journal officiel de la République française, nº 117, 24 mai 2018.
14. Étude d’impact…, note 26 et p. 124.
15. Loi nº 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur
prise en charge, Journal officiel de la République française, nº 155, 6 juillet 2011.
16. Art. R. 312-8 du Code de la sécurité intérieure.
76 Mathias Couturier

Ce dernier élément trahit d’ailleurs déjà dans une Après avoir évoqué un autre fichier relatif au contenu
certaine mesure le fait que, dès le départ, la transformation des expertises psychiatriques pénales, le Répertoire des
de Hopsy en Hopsyweb assumait une forme de visée expertises (REDEX), il portait son attention sur Hopsyweb
sécuritaire autant que sanitaire. Plus directement posée, en soulignant que le pouvoir exécutif « ne semble pas
la question est de savoir si, en procédant à la transfor- exclure de progresser en ce sens » 21.
mation de Hopsy en Hopsyweb, le gouvernement n’avait La question est alors clairement posée par une autrice :
pas déjà et d’emblée pour vision de le connecter avec « Hopsyweb n’était-il pas créé pour être interconnecté avec
d’autres fichiers relatifs à la surveillance des personnes le FSPRT ? » 22. Comme l’explique la même autrice, à pro-
pour prévenir le risque terroriste ? pos de la mesure nº 39 du plan « Prévenir pour protéger »,
On notera, en effet, que le décret du 23 mai 2018 était « par “actualiser” il faut comprendre autoriser l’accès à ce
publié seulement quelques mois après la publication fichier à des personnels à même de les intégrer ensuite à un
par le gouvernement, le 23 février 2018, d’un vaste plan plan de repérage de la radicalisation ». Ainsi, en connectant
de lutte contre la radicalisation terroriste en France les différents fichiers Hopsy, il s’agissait d’emblée de mettre
appelé « Prévenir pour protéger ». Celui-ci témoignait au point un système permettant la consultation de l’outil
d’une volonté très claire de mobiliser les disciplines depuis tout endroit du territoire français.
psychologiques et psychiatriques dans la lutte de l’État De même, en étendant à trois ans la durée de conser-
français contre le terrorisme. Il faut relever que, dans vation des données de Hopsyweb, le décret de 2018 tra-
ce contexte, la mesure nº 39 de ce plan « Prévenir pour hissait à nouveau l’existence de finalités non dites de ce
protéger » proposait d’« actualiser les dispositions exis- fichier. En effet, si celui-ci a pour finalité de permettre
tantes relatives à l’accès et la conservation des données la gestion des mesures d’hospitalisation en cours, à quoi
sensibles contenues dans l’application de gestion des sert-il d’étendre à trois années au lieu d’une la conser-
personnes faisant l’objet d’une mesure de soins psy- vation des données pour des mesures ayant cessé ? Dans
chiatriques sans consentement (Hopsy) » 17. De ce point son avis préalable à l’adoption du décret, la CNIL avait
de vue, le chevauchement des calendriers est étonnant, d’ailleurs indiqué qu’elle « s’interrog[eait] sur la durée
notamment si l’on considère que la transformation de de conservation des données traitées prévue par le projet
Hopsy en Hopsyweb en mai 2018 précède de moins d’un au regard des finalités pour lesquelles les données sont
an le décret du 6 mai 2019 autorisant le croisement de collectées et traitées » 23.
Hopsyweb et du FSPRT 18. Soulignant ces enjeux, ainsi que d’autres aspects
Entretemps, un rapport parlementaire consacré à l’uti- problématiques du décret, des requêtes en annulation
lisation des fichiers par les forces de police dans le cadre de de celui-ci avaient été présentées par une association de
la lutte contre la criminalité, notamment terroriste, était défense des droits des malades ainsi que par le Syndicat
déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale. Compre- des psychiatres des hôpitaux et le Conseil de l’ordre des
nant un passage substantiel consacré à « la nécessaire prise médecins auprès du Conseil d’État. Elles n’aboutirent
en compte de l’aspect psychiatrique » 19 dans cette mission, cependant qu’à une décision d’annulation très partielle
il commençait par mettre en avant quelques généralités concernant la seule partie relative à la transmission des
très assertives sur le lien entre « perturbations mentales » données au ministère pour l’établissement des statistiques
et passage à l’acte terroriste chez des individus isolés et pour laquelle les modalités de protection de l’anonymat
autoradicalisées. Il soulignait ensuite que avaient été jugées insuffisantes 24.
Le croisement entre Hopsyweb et le FSPRT semblait
[…] ces passages à l’acte individuels, qui émanent souvent
du « bas du spectre » (c’est-à-dire de personnes qui n’ont donc inscrit dans l’ADN du premier avant même sa nais-
envoyé que des « signaux faibles » de radicalisation) sont sance et il est probable que Hopsyweb ait été pensé par le
difficiles à prévenir. Pour les détecter, il pourrait être gouvernement en même temps que son interconnexion
intéressant de croiser le FSPRT avec un fichier faisant avec le FSPRT 25. C’est le décret du 6 mai 2019 qui a mis
état d’antécédents psychiatriques d’une certaine gravité 20. celle-ci en place officiellement.

17. Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, « “Prévenir pour protéger” – Plan national de prévention de la
radicalisation », 23 février 2018, mesure nº 39, p. 17, en ligne : https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2018/02/2018-
02-23-cipdr-radicalisation.pdf.
18. Décret nº 2019-412 du 6 mai 2019 modifiant le décret nº 2018-383 du 23 mai 2018 autorisant les traitements de données à caractère personnel
relatifs au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement, Journal officiel de la République française, nº 106, 7 mai 2019.
19. D. Paris, P. Morel-À-L’Huissier, Rapport d’information sur les fichiers mis à la disposition des forces de sécurité, Assemblée nationale, nº 1335,
17 octobre 2018, p. 52.
20. Ibid., p. 53.
21. Ibid.
22. L. Carayon, « Quelle folie ! ».
23. CNIL, délibération nº 2018-152 du 3 mai 2018 portant avis sur un projet de décret autorisant les traitements de données à caractère personnel
relatifs au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement.
24. CE, 10e et 9e chambres réunies, 4 octobre 2019, nº 421329, Recueil Dalloz, 2020, panorama, p. 1262-1273 ; Revue générale de droit médical, nº 74,
2020, p. 236, note F. Zhouri.
25. En ce sens, voir L. Carayon, « Quelle folie ! ».
Hopsyweb : d’un fichier sanitaire à un fichier policier ? 77

II. Hopsyweb : un fichier devenu poreux chaque nouvelle entrée dans l’un des deux systèmes. En cas
de survenance d’une concordance opérée par le système
Le décret du 6 mai 2019 a pour objet la mise en relation (appelée un « hit »), un mail automatique est généré à des-
entre certaines informations enregistrées dans le fichier tination du préfet du département du lieu d’hospitalisation
Hopsyweb et le FSPRT 26. Ce texte, et donc cette mise en ou des agents désignés par lui. La CNIL avait décrit dans
connexion, a ensuite été validé par un arrêt du Conseil son avis la procédure, dite de levée de doute, à suivre dans
d’État du 27 mars 2020 27. ce type de situation afin de vérifier que les identités relevées
Dans cette optique, l’article 1er du décret ajoutait une concomitamment par les deux fichiers correspondent bien
nouvelle finalité au traitement des données par le fichier à une seule et même personne 28, celle-ci devant s’effectuer
Hopsyweb, permettant exclusivement auprès d’un référent désigné à cette fin
[…] l’information du représentant de l’État sur l’admission au sein de l’ARS afin de limiter au maximum le risque
des personnes en soins psychiatriques sans consentement de diffusion de l’information du fichage potentiel de la
nécessaire aux fins de prévention de la radicalisation à personne au FSPRT.
caractère terroriste, dans les conditions prévues au livre II Cependant, le cadre juridique issu des décrets de 2018
de la troisième partie du code de la santé publique et à et 2019 relatif à ce croisement de fichier demeurait fragile.
l’article 706-135 du code de procédure pénale. Les requérants en annulation contre les décrets avaient à
Dans ce cadre, le nouvel article 2-1 du décret prévoyait que chaque fois soulevé, parmi d’autres arguments, sa contra-
riété au regard du principe du secret médical protégé par
[…] les noms, prénoms et dates de naissance figurant parmi
l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique, considérant
les données [collectées par Hopsyweb] font l’objet d’une
mise en relation avec les mêmes données d’identification que la simple connaissance par des agents préfectoraux
enregistrées dans le traitement automatisé de données à de l’admission d’une personne dans un établissement
caractère personnel dénommé FSPRT. Lorsque cette mise psychiatrique constituait une violation du secret médi-
en relation révèle une correspondance des données compa- cal. Dans son arrêt du 27 mars 2020 relatif au décret du
rées, le représentant de l’État dans le département où a eu 6 mai 2019, le Conseil d’État avait écarté l’argument en
lieu l’admission en soins psychiatriques sans consentement considérant que :
et, le cas échéant, les agents placés sous son autorité qu’il
désigne à cette fin en sont informés. Le décret attaqué a pour seul objet d’organiser, grâce à
la mise en relation des traitements Hopsyweb et FSPRT,
Le rapporteur public devant le Conseil d’État, dans l’information du représentant de l’État dans le département
le cadre de l’arrêt du 27 mars 2020, n’avait pourtant du lieu de l’admission en soins psychiatriques sans consen-
pas manqué de souligner les risques attachés à une telle tement – lequel a déjà connaissance de cette admission
interconnexion : même lorsque la décision a été prise par le directeur de
l’établissement d’accueil en application de l’article L. 3212-5
Il s’agit de rapprocher deux fichiers aux finalités originelles du code de la santé publique – sur l’inscription de la per-
clairement distinctes, qui comportent tous les deux des sonne concernée dans le FSPRT 29.
données présentant une particulière sensibilité. Il est vrai
que le décret se borne à permettre l’identification des L’argument pouvait à la limite se comprendre mais il
personnes figurant dans l’un et l’autre fichiers, sans autre s’affaiblissait dans la mesure où, après la levée de doute,
détail sur leur santé, le processus de radicalisation dans le préfet du département du lieu d’hospitalisation avait
lequel elles sont engagées ou d’autres éléments de leur vie vocation à prendre contact avec le préfet du département
privée. Mais ce rapprochement peut ensuite motiver des chargé du suivi de la personne fichée au FSPRT en lui
actions de surveillance potentiellement très intrusives.
transmettant, dès lors, des informations relatives à l’hos-
En effet, la mise en concordance du fichage Hopsyweb pitalisation de l’individu. Dans son avis relatif au décret
et du FSPRT invite bien évidemment à une nouvelle éva- du 6 mai 2019, la CNIL s’était d’ailleurs inquiétée de cette
luation de la dangerosité de la personne concernée et à la question et avait souligné que, en l’absence de fondement
mise en place, dans ce cadre, de mesures de surveillance légal à une telle transmission d’information, cette pratique
voire de contraintes supplémentaires. Bref, l’arrivée dans manquait de solidité juridique 30.
le giron sanitaire d’un individu fiché au FSPRT est alors le Plus largement, il était assez évident que le pouvoir
signe pour lui d’un rétrécissement notable non seulement exécutif se sentait trop contraint par le cadre législatif et
de son intimité médicale mais aussi, potentiellement, de qu’il souhaitait s’affranchir des freins existants quant à la
ses libertés publiques. fluidité de la transmission de l’information sanitaire concer-
En pratique, l’interconnexion entre les deux fichiers nant le trouble mental aux services de sécurité. C’est la
est réalisée a minima toutes les vingt-quatre heures et à raison pour laquelle le gouvernement a placé, dans la loi du

26. Décret nº 2019-412 du 6 mai 2019.


27. CE, 10e et 9e chambres réunies, 27 mars 2020, nº 431350, Dalloz actualité, 28 avril 2020, obs. C. Crichton ; L’actualité juridique. Droit administratif,
2020, p. 1622, note C. Castaing.
28. CNIL, délibération nº 2018-354 du 13 décembre 2018 portant avis sur un projet de décret modifiant le décret nº 2018-383 du 23 mai 2018 autorisant
les traitements de données à caractère personnel relatifs au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement.
29. CE, 10e et 9e chambres réunies, 27 mars 2020
30. CNIL, délibération nº 2018-354 du 13 décembre 2018.
78 Mathias Couturier

30 juillet 2021 31, un texte créant le nouvel article L. 3211-12-7 Les informations accessibles à ces autorités et services
du Code de la santé publique disposant que : sont les suivantes : informations relatives à la nature et aux
Aux seules fins d’assurer le suivi d’une personne qui dates de la décision d’admission et, le cas échéant, dates
représente une menace grave pour la sécurité et l’ordre des différents arrêtés pris par le représentant de l’État dans
publics en raison de sa radicalisation à caractère terroriste, le département, à la forme de la prise en charge, à la fin de
le représentant de l’État dans le département et, à Paris, le la mesure de soins psychiatriques sans consentement ou
préfet de police ainsi que les représentants des services de à sa levée. L’adresse de l’établissement de santé d’accueil
renseignement mentionnés aux articles L. 811-2 et L. 811-4 est également communiquée.
du code de la sécurité intérieure désignés à cette fin par Hopsyweb est un fichier qui remplit donc bien une
un décret en Conseil d’État et qui exercent une mission fonction mixte, à la fois une fonction de gestion médico-
de renseignement à titre principal peuvent, lorsque la administrative, pour le suivi des mesures de soins psychia-
personne fait l’objet d’une mesure de soins psychiatriques triques sans consentement, mais également une fonction
sans consentement, se voir communiquer les données
d’assistance policière.
d’identification de cette personne et les données relatives
à sa situation administrative portées à la connaissance du
représentant de l’État dans le département d’hospitali- Plus largement, cette rencontre du fou et du terroriste au
sation ou, à Paris, du préfet de police en application des hasard du croisement des données informatiques nous
articles L. 3212-5, L. 3212-8 et L. 3213-9 du présent code et de renseigne sur deux choses.
l’article 706-135 du code de procédure pénale, lorsque ces La première est sans doute que de vieilles idées ont
données sont strictement nécessaires à l’accomplissement peut-être la vie dure. Ne doit-on pas voir là, en effet, la
de leurs missions. Ces mêmes données ne peuvent être persistance de nos schèmes anthropologiques occidentaux
communiquées lorsqu’elles sont antérieures de plus de hérités du christianisme selon lesquels « le crime comme
trois ans à la date de levée de la mesure de soins sans la maladie renvoient fréquemment au péché donc à la
consentement.
faute et au mal » 33. Malgré l’effacement de l’arrière-plan
Ce faisant, le législateur offrait un fondement légal métaphysique opéré par la modernité, « derrière la face
stable au croisement de Hopsyweb et du FSPRT. À la visible des rationalités médico-juridiques, il y a la figure
suite de ce texte, un nouveau décret modifiant le décret insistante et insaisissable du crime comme acte de déraison
de 2018 était adopté en 2022 32, celui-ci ayant deux objets et les transpositions qu’elle autorise de la folie criminelle à
essentiels. D’une part, il introduit une définition de la la folie du crime » 34. Cette idée est certainement renforcée
procédure de levée de doute, qui ne disposait jusque-là par le fait que ces « loups solitaires » seraient d’autant plus
pas d’un cadre juridique établi textuellement. D’autre à redouter et donc à traquer que leur comportement, mû
part et surtout, le décret prévoit un élargissement des par des pensées irrationnelles, échapperait aux normes
conditions d’accès à ces fichiers Hopsyweb. À la différence traditionnelles de l’analyse des comportements criminels
du cadre préexistant, le décret prévoit que, à présent, dès et serait donc d’autant plus dangereux.
lors que la procédure de levée de doute a été menée par La seconde est que, en partant sur ce terrain de la santé
le préfet du département du lieu d’hospitalisation et qu’il mentale de l’individu pour tenter de prévenir le passage à l’acte
apparaît que le « hit » correspond bien à l’identité d’une terroriste, ce croisement des fichiers s’inscrit clairement dans
seule personne, les informations issues de Hopsyweb sont une volonté des autorités publiques des pays actuellement
accessibles directement à tous les préfets, le préfet du lieu confrontés à ce phénomène de cantonner la signification du
d’hospitalisation n’ayant plus à faire office de transmet- crime commis par le terroriste à sa propre personne. Son
teur d’information. Elles sont accessibles également à acte ne serait, finalement, que le symptôme d’une forme
une large série de services de sécurité : direction générale de maladie que l’on pourrait même tenter de « soigner » au
de la sécurité intérieure ; direction du renseignement et moyen de techniques d’intervention psycho-sociales. Comme
de la sécurité de la défense ; services du renseignement l’explique un psychiatre, notre société entretient ainsi l’idée
territorial de la direction centrale de la sécurité publique qu’on « pourrait donc “déradicaliser” les candidats terroristes
et des directions territoriales de la Police nationale ; par des techniques psychologiques, en inversant en quelque
direction du renseignement de la préfecture de police ; sorte le processus de conditionnement, et ainsi les transfor-
service national du renseignement pénitentiaire ; sous- mer en bons citoyens » 35. Le comportement et les croyances
direction de l’anticipation opérationnelle de la direction sur lesquelles celui-ci s’appuie ne seraient que le produit d’un
des opérations et de l’emploi de la direction générale de conditionnement dont l’efficacité reposerait sur des causes
la Gendarmerie nationale. biologiques. On pourrait ainsi modeler l’individu pour, dans

31. Loi nº 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, Journal officiel de la République française,
nº 176, 31 juillet 2021, texte nº 1.
32. Décret nº 2022-714 du 27 avril 2022 modifiant le décret nº 2018-383 du 23 mai 2018 autorisant les traitements de données à caractère personnel
relatifs au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement, Journal officiel de la République française, nº 99, 28 avril 2022, texte nº 34.
33. M. Renneville, « Obsessions. Indices historiques pour une généalogie des soins obligés », in Les soins obligés ou l’utopie de la triple entente (Actes
du XXXIIIe Congrès français de criminologie), Paris, Dalloz, 2002, p. 7.
34. Ibid.
35. Y. Andruétan, « De la psychiatrisation du terrorisme », Inflexions, nº 38, 2018, p. 159.
Hopsyweb : d’un fichier sanitaire à un fichier policier ? 79

un sens, l’inciter à adhérer à une idéologie mortifère et à agir de celui qui l’a adopté, au travers d’un tel réductionnisme
en conséquence mais aussi, dans l’autre sens, à adhérer aux biologique. Non pas que la chimie du cerveau n’ait rien à voir
valeurs de la civilisation et de la démocratie. Sans prendre avec le comportement d’un individu, bien entendu. Mais
position sur le fond de ce sujet, qui relève de la compétence peut-on réduire la signification d’un acte qui, par nature,
et du champ d’intervention d’autres spécialistes que ceux du entend impressionner et porter préjudice à la collectivité (ce
juriste, on peut se demander s’il est pertinent de penser le qui est la définition même du terrorisme) à un déséquilibre
comportement criminel, ou même le chemin de rédemption mental individuel ?

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