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L'année d'un paysan, autrefois

Pour un paysan, autrefois, le cycle commençait en automne, avec les labours, qui
enfouissaient les tiges raccourcies et les racines des céréales.
Puis cette terre retournée était aplanie avec des rouleaux. Ensuite intervenaient
les semailles : une partie de la récolte précédente, conservée dans le grenier
familial à l'abri de l'humidité, était épandue avec un large (pour l'époque)
semoir tiré placidement par un cheval.

Les paysans avisés semaient des betteraves ou plantaient des choux, là où


avaient été récoltées les céréales, et vice versa : cela reposait la terre de ses efforts
de l'année précédente, vu que les racines céréalières s'étalent près de la surface,
alors qui choux et betteraves ont des racines s'enfonçant plus en profondeur.
Intervenaient alors les premières gelées, qui aidaient les graines à germer dans
un sol arrosé par les pluies d'automne, et l'écorce de ces graines était plus facile à
faire éclater. Vu qu'il faisait froid, il était temps de "s'occuper" du cochon annuel,
qui avait bénéficié des épluchures de la cuisine familiale, du son récupéré chez le
marchand de grain une fois l'intérieur transformé en farine, de pommes de terre
frustes et souvent énormes, et de “petit lait”, résidu de la fabrication de beurre.
Un tel menu faisait que le cochon était plus gras que ce qu'on connaît
aujourd'hui. Mais comme on bougeait beaucoup plus...
Après le passage du spécialiste chargé de l'aider à passer de vie à trépas avec un
minimum de douleur, et de l'étendre sur une sorte de civière de bois très ajouré,
le découpage se poursuivait pendant deux ou trois jours environ, avec la
confection des jambons, du lard salé, des pâtés, du "grillon" (sorte de rillettes)
longuement mijoté dans une immense bassine de cuivre, des andouilles (laver
très consciencieusement l'intestin grêle, hacher menu les bas-morceaux, le gros
intestin, enfourner la mixture abondamment mélangée d'épices diverses dans
l'intestin, puis le suspendre au frais en vue du séchage).
Les rognons, le cœur, le foie étaient généralement consommés "en frais", plutôt
que de les incorporer aux pâtés. Le saindoux était conservé pour apporter des
matières grasses aux cuisines de l'année. Presque rien n'était perdu.
Le sang devenait la matière première de la fressure qui finissait en bocaux.

Les jambons étaient copieusement


frottés d'eau-de-vie additionnée de
thym, romarin, laurier, poivre,
enveloppés d'un linge avec du gros
sel, et mis sous presse dans des
caisses de bois pendant un mois ;
ensuite on les suspendait dans la
cheminée pendant deux autres
mois. Après ils étaient déplacés
dans un endroit frais.
Nous étions alors arrivés au cœur
de l'hiver. Le paysan se saisissait
alors du paquet des ficelles ayant
servi à attacher les gerbes de blé
l'été précédent, les liait ensemble
en une grosse pelote, et se mettait à
en faire des cordes. Un crochet fixe
recevait de nombreux brins de la
longue ficelle, puis un autre
ensemble de 4 crochets recevait l'autre extrémité. Le paysan s'installait debout
sur ce support, muni de roulettes, et avançait au fur et à mesure qu'il
manœuvrait la planche aux quatre crochets. On notera que le schéma décrit
l'inverse.

Comme à cette période de l'année les vaches restaient à l'étable, il fallait les
nourrir : avec du foin du printemps, avec des choux, ou avec des betteraves
coupées en tranches.
C'était aussi la période où, vu que les feuilles étaient plus rares, le paysan faisait
le tour des prés afin de vérifier que les clôtures n'étaient pas abîmées
Dès le retour des premiers beaux jours, le paysan reprenait son semoir, pour
mettre en terre l'orge de printemps.
Il était alors temps de s'occuper de la vigne. Il s'agissait de la tailler, d'enlever la
terre qui avait protégé la base des troncs pendant l'hiver, de pulvériser un liquide
bleu à base de cuivre, "la bouillie bordelaise", pour protéger de certaines
maladies, de sarcler les mauvaises herbes....
Puis c'était le temps de la
première coupe de foin.
Il s'agissait ensuite de
s'assurer du bon séchage
de celui-ci, avec un
dispositif à fourches
appelé faneuse qui le
soulevait,

et quand c'était bon un


autre dispositif, la
râteleuse, le ramassait
en "andains", ne restait
qu'à le compresser en
bottes en vue de le
mettre à l'abri sous un
hangar.
Pendant ce temps-là, les céréales avaient poussé. Il fallait vérifier leur
mûrissement, puis vers le 14 juillet commençaient les premières moissons d'orge
et d'avoine, avec la moissonneuse-lieuse.

Celle-ci regroupait les tiges en gerbes, qui étaient ensuite montées en


"châtelets" de dix gerbes où elles finissaient de mûrir. S'il pleuvait alors, il fallait
défaire les châtelets, poser les gerbes côte à côte, reconstituer les châtelets... ce
qui pouvait arriver plusieurs fois les années humides. Arrivait le tour du blé, plus
lent, qui subissait le même sort.
Au contraire, les années très sèches, un malicieux sort faisait que de minuscules
tornades, “les sorcières”, démolissaient les châtelets, et faisaient grimper d'une
dizaine de mètres les gerbes : trop souvent il fallait alors les reconstituer, parce
que les ficelles avaient cassé.
Quand les gerbes étaient suffisamment séchées, elles étaient transportées avec
les grandes charrettes munies alors de “ranches” (surhausseurs de gabarit)
supplémentaires, pour maximiser l'emport à chaque tour car elles étaient plutôt
légères. Elles étaient montées en "gerbiers" de plusieurs mètres de hauteur, et
disposées pour que s'il pleuvait l'intérieur du gerbier soit mouillé le moins
possible. Les tiges étaient tournées vers l'extérieur, et un peu en pente.
Au mois d'août commençaient les battages. L'entrepreneur du village sortait la
vieille machine, avec son tracteur antédiluvien. Tous les fermiers du village s'y
mettaient et allaient de ferme en ferme chaque jour.
Chacun connaissait sa tâche, dès huit heures ils étaient tous là avec chacun sa
fourche à trois "puts" (trois doigts), les préposés aux gerbiers déjà montés à
l'échelle, le coupeur de ficelles déjà en position sur la batteuse, les responsables
du pailler prêts à se saisir des bottes de paille, les porteurs de sacs devant les
guichets où étaient déjà accrochés des sacs (pleins, ils pesaient quelque quatre-
vingts kilos). Puis l'entrepreneur mettait progressivement en route la poulie qui
entraînait tous les mécanismes de la batteuse via une énorme courroie.
Vers midi ou treize heures, la machine s'arrêtait pour que les hommes (non,
jamais de femmes) pussent aller se sustenter avec un repas solide préparé par
les femmes. Celles-ci se mettaient à table quand ils allaient reprendre le labeur.
Les enfants étaient chargés d'aller donner à boire aux hommes, car parfois il
faisait très chaud sur ces aires emplies de poussière.
Les porteurs de sacs, eux, s'y mettaient à deux pour charger ceux-ci un par un sur
l'épaule de leur voisin, qui allait les porter soit là où viendrait "le marchand de
grain", soit sur le lieu où la future semence serait stockée pour les semailles
suivantes.
Le soir approchant, les hommes des gerbiers devaient monter les gerbes avec
leurs fourches, alors que ceux du pailler montaient avec lui. Le tas de "balle"
(l'enveloppe extérieure du grain) montait également, alimenté par un énorme
tuyau de tôle vrombissant. Dommage, ce produit-là était perdu, alors qu'il aurait
pu servir à confectionner du papier d'emballage.
Puis, à moins que le travail dût être terminé le lendemain, ce qui était le cas pour
les fermes les plus importantes (pour l'époque), la machine s'arrêtait,
l'entrepreneur avançait un peu le tracteur afin de détendre la courroie, allait
déposer celle-ci dans une petite remorque ; puis il changeait de bout avec le
tracteur, et allait accrocher celui-ci à l'avant de la batteuse. Le moment où celle-
ci, sur ses roues graciles, s'ébranlait, était toujours impressionnant. Et puis le
tracteur allait tout de suite disposer la machine dans la ferme suivante, entre les
deux gerbiers, pour le lendemain. Pendant ce temps-là les hommes se
dirigeaient vers un repas du soir bien gagné.
Le lendemain, rasés et nettoyés, dès huit heures ils étaient à nouveau prêts à
accomplir ce dur travail.
Cette phase terminée, il était temps de s'occuper des haricots blancs, les
fameuses "mojettes", qu'il fallait récolter soit en demi-secs, soit en sec. Pour les
demi-secs, le paysan allait en arracher les plants dans ce qu'on appelait "des
champs beaux", dans la zone toujours humide, avec une terre noire. Il les
amenait à la ferme, où toute la famille, même les enfants, s'y mettait, aidée
parfois de quelques voisins. Chacun avait son tas de plants encore verts, et
arrachait les gousses une par une si elles avaient un état correct, encore vert mais
pas trop. Les gousses encore immatures, ou trop sèches, restaient attachées au
plant. Les gousses correctes tombaient dans une bassine. Quand tout était
"dépaletté", comme on disait, les gousses rassemblées était mises dans des sacs
fournis par un voisin négociant, qui allait ensuite les proposer au marché.
Pour les autres haricots, on les laissait mûrir plus longtemps, puis eux aussi
étaient arrachés. Ils étaient installés en alternance sur de grandes perches de
deux mètres, plantées en terre, qu'on appelait des "tourettes", où ils finissaient
de sécher. Ils étaient vendus "en sec" ou servaient à la consommation familiale.
Malgré tout une petite partie des "demi-secs" étaient écossés en l'état, et
finissaient en bocaux. Leur goût était bien plus fin que celui des "secs".
Quand septembre commençait à faire rougir les raisins, il fallait se préparer pour
les vendanges. Les parcelles étaient très modestes, mais là encore les voisins s'y
mettaient à plusieurs : il fallait sortir la petite cuve où baquet de bois par baquet
de bois (pas de hotte) les grappes grossièrement pressées à la manivelle
aboutissaient. Elles étaient ensuite transférées au bout de quelques jours dans le
pressoir, puis finissaient dans la cuve familiale, d'où plus tard le vin était soutiré
et aboutissait dans des
tonneaux.

Au plus dur de l'hiver, une


partie de ce vin, mais aussi des
prunes de qualité inférieure
mises à maturer en tonneau
elles aussi, étaient distillées.
L'eau-de-vie obtenue servait à
de multiples usages : pour les
jambons, pour nettoyer des
plaies, pour humecter le papier
sulfurisé recouvrant la
confiture, et bien entendu pour la confection du Pineau. Des bonbonnes étaient
consacrées à cet usage, on y enfournait du raisin frais bien mûr, on complétait
d'alcool, et on laissait maturer longtemps. Il suffisait ensuite de filtrer le résultat.
Voilà en quoi consistait l'année d'un paysan. Cependant il fallait y ajouter les
travaux quotidiens : soigner bovins, cochon, poules, lapins ; traire à la main les
vaches deux fois par jour ; s'occuper du jardin.... ces travaux-là ne souffraient
aucune pause, alors que pour les autres le dimanche on ne faisait rien de
particulier.
Mais alors, les moments de détente ? Hormis le dimanche qui se consacrait au
repos, on prenait le temps à table. Et puis, en hiver, "à la veillée" il n'était pas
rare que des paysans se reçoivent, entreprennent de grandes parties de cartes ou
de jeux de société. Ils se retrouvaient souvent, aussi, le dimanche "après la
messe" que la moitié du village, originaire de la Vendée proche, ne manquait
jamais. L'invitation se faisait à la sortie, par l'un ou l'autre, et cela finissait chez
l'invitant autour du Pineau omniprésent (en Vendée cela aurait été la
Troussepinette, à base d'épine noire macérée elle aussi longuement dans
l'alcool).

(Il faudra noter que ces façons de procéder ne concernaient en fait que les
habitants d'UNE commune, certes de création très ancienne, puisque très
antérieure à l'An Mil. En particulier, dans cette micro-région, autrefois elle était
la seule à posséder des vignes au point de comporter des paysans aisés avec des
maisons en pierre de taille ; c'est pourquoi le notaire de Saint Hilaire la Palud,
érudit, avait constaté qu'autrefois cette "paroisse" abritait un médecin, des
chirurgiens, un notaire – transféré plus tard justement à Saint Hilaire – enfin de
vrais notables, ce qui impliquait une population nettement plus importante. A
noter aussi dans cette minuscule agglomération un château-fort datant des
incursions Viking, un prieuré et une seigneurie distincte de celle de l'ancien
château-fort, ce qui avait impliqué la présence de deux "fours banals" ce qui n'est
pas du tout fréquent ; on y remarquait aussi deux moulins à vent, dont l'un
s'appelait “le Moulin des Anglais”, il n'était pas jeune !)
Pour des précisions, voir ici le récit des recherches de l'ancien notaire à partir
d'archives diverses.
http://babalouest.eklablog.com/une-commune-si-oubliee-saint-georges-de-
rex-a155671622

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