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128 — Le Maroc rural Dictionnaire Socio-anthropologique

Action collective — 129

monnaie marocaine. Il a dépensé l’argent mentionné la bouillie d’orge. Il est parfois interdit de faire le couscous
dans ses intérêts propres, et sans que sa femme y soit la veille du nouvel an. (Westermarck, 1926, ii pp. 163-165).
impliquée […] En contrepartie de l’argent qui lui est Doutté trouve que la veille de la fête a le caractère d’un jour
encore dû, il offre en compensation à son épouse la de deuil. On ne mange que des choses sèches à base de blé,
moitié d’une vache de couleur rouge tout en gardant de fèves et de pois chiches. Ceci contraste avec le lendemain
l’autre moitié, ainsi que deux bracelets en or. Son qui est un jour de réjouissance. (1905, pp. 373-376.)
épouse a accepté tout ce qui a été cité et s’est totalement Le jour de la fête, on mange « le couscous aux sept légumes ».
accaparée ». (Tétouan, Registre daté de 1938, El Harras, (d. sba’ khdari). Les ingrédients varient selon les régions :
2001, p 178). les navets, les carottes, les choux, la citrouille, les oignons,
l’artichaut, l’asperge sauvage, le cresson, le chèvrefeuille, le
poireau, les fèves, les pois chiches, le blé, les raisins secs, les
dattes. Les repas rituels sont divers. Il peut s’agir d’un repas
FÊTE DU NOUVEL AN à base de volaille, de berkouks (couscous à gros grains) ou
Mots clefs : Repas, présages, rites de renouvellement. d’ourkimen, une préparation composée de toutes sortes de
Identité amazighe. grains cuits avec les pieds de l’animal égorgé à l’occasion de
cf . Rituel. Sacré. Rites agraires. la fête du sacrifice précédente, ou encore d’une bouillie très
épaisse de farine d’orge (b. tagoulla ; d. ‘çida).
La fête du nouvel an est célébrée la veille du premier janvier À cette occasion, les gens chercheraient à influencer le
du calendrier grégorien, dit filahi, (a. agricole) qui correspond futur par le repas du nouvel an. Si on prépare des plats avec
au 13 janvier du calendrier julien, dit idari (a. administratif). plusieurs sortes de céréales, de légumes, d’épices, c’est pour
Elle porte différents noms locaux : la « nuit de Janvier» (b. que l’année suivante soit abondante. On croit que tout le
idh n-ennayer) ; « l’an neuf » (b. assouggas oujdid ; d. L‘am monde doit être rassasié le jour de la fête, sinon on ne le sera
jdid), « la nuit de la vieille » (b. idh- n-hagouza). (Laoust, pas de l’année. Les parents poussent leurs enfants à trop
1920, p. 195-199 ; Westermarck, 1926, ii, p 160-61, Mahdi, manger, leur disant qu’autrement hagouza (la vieille) viendra
2018, pp. 150-152 ; Biarnay, 1924, pp. 88-89.) Elle comprend leur remplir le ventre avec des pierres. Les animaux aussi
trois phases : un repas copieux, des rites fournissant des sont bien nourris. (Westermarck, 1926, ii 167-168 ; Doutté,
pronostics et des présages sur la nouvelle année, et enfin des 1905, 373-76 ; Laoust, 1920, p. 198.) Il s’agit généralement
rites de renouvellement ainsi que le nettoyage de l’habitation. de repas domestiques, les repas communs sont rarement
On mange, selon les régions, du blé bouilli avec du sel, des signalés. (Westermarck, 1926, ii 162-163 ; Mahdi, 2018,
œufs et du pain de blé, des crêpes (msemmen, baghrire), de p. 151.) On manipule aussi des objets, comme le lait ou
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une branche verte, pour que l’année soit douce et verte. cette dchîcha [soupe à la semoule de blé…] on prend une
(Doutté, 1909, pp. 544-552.) Chez les Ntifa, on mange, la pelote que l’on pose sur la tente le jour même d’lnnâïr ;
nuit du lendemain, des poules et des œufs. « Chacun emporte le lendemain on va l’examiner, si elle est humectée et
les coquilles des œufs qu’il a mangés et les serre dans un désagrégée par l’humidité, l’année sera bonne, sinon, cela
nouet fait dans le pan de son vêtement où elles restent toute présage la sécheresse. » (Doutté, 1905, pp. 373-376.)
la nuit. On les jette le lendemain ; les anciens prétendent
qu’agir ainsi, c’est s’assurer de ne point manquer d’argent Dans d’autres régions, on pose un peu de nourriture
dans le cours de l’année. ». On a aussi coutume de mettre et un peu de sel dans quatre plats représentant les quatre
dans la marmite une pièce de monnaie, un fels, un noyau de premiers mois de l’année. On les laisse dehors. Le matin, si
datte et une écorce d’arganier. Celui qui trouvera la pièce on trouve de l’eau sur la nourriture, le mois correspondant
de monnaie sera riche, celui qui trouvera le noyau de datte sera pluvieux. Les enfants de la maison participent aussi en
sera propriétaire de nombreux troupeaux. Le malchanceux prenant une poignée de nourriture qu’ils mettent dehors.
est celui qui tombera sur l’écorce d’arganier, il deviendra Le jour suivant, si on trouve du poil d’un animal dessus, la
pauvre. Selon Laoust, ce rituel rappelle le Gâteau des Rois famille aura plusieurs animaux de l’espèce en question. Le
pratiquée à l’Epiphanie. (Laoust, 1920, p. 199.) On croit matin, alors que tout le monde dort, les hommes crient devant
aussi qu’il faut passer la nuit chez soi sinon on sera loin de leurs troupeaux : si un mouton est le premier à répondre,
sa maison toute l’année. (Soussi, s.d. p. 54.) l’année sera bonne, si c’est une chèvre, c’est le contraire.
Présages. Après le repas, on procède à plusieurs pratiques (Westermarck, 1926, pp. 163-167, 170.) En ville, on célèbre
pour pronostiquer l’avenir. Chez les Ntifa, « il est d’usage aussi le nouvel an, on prépare le couscous à sept légumes
qu’une des femmes de la maison prenne une poignée de et d’autres repas rituels, mais aucune mention n’est faite
couscous et la présente à tour de rôle à chacun des membres des rites de présage. (Biarnay, 1924, pp. 84-89.) Il faudrait
de la famille en disant : dépendre de la terre, comme les paysans, pour y recourir.
Renouvellement. Le jour du nouvel an, on change tout
Tiens, manges. On doit répondre : Je n’ai plus faim ! « La ce qui est vieux et usé. On renouvelle les pierres du foyer et
même femme dépose ensuite la boulette sur le montant certains ustensiles de ménage, on fait un balayage général, un
supérieur de la porte de l’habitation. Le lendemain, à la nettoyage complet de l’habitation. (Doutté, 1905, pp. 373-
pointe du jour, elle l’examine et tire des présages d’après la 376 ; Westermarck, 1926, ii, p. 168.) « La maîtresse de maison
nature du crin, du poil, du brin de laine ou de la plume, que dit en jetant ses vieilles pierres sur le tas de fumier : Je vous
le caprice du vent y a déposés… » (Laoust, 1920, p. 198.) change, ô pierres, et en apporte de nouvelles dans la paix et
Chez les Rhamna, « on fait de la dchîcha à l’huile et de la prospérité ! En rebâtissant son foyer elle prononce ces
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paroles : Au nom de Dieu ! Veuille, ô Dieu ! Qu’il soit béni, n’était pas partagée par d’autres chercheurs. (Westermarck,
heureux et prospère ! (Laoust, 1920, p. 199.) 1926, ii. pp. 151-152.)
La fête du nouvel an est réactivée par les mouvements et Westermarck interprète la fête du sacrifice en termes
les militants amazighs, comme une fête célébrant l’identité de recherche de la baraka* et d’évitement de l-bâss (le
et la culture amazighes. Ils incitent l’ensemble des Amazighs mal). Les rites ayant pour finalité la consécration et la
à se réapproprier ce symbole identitaire et civilisationnel purification concernent les gens, la victime, le sacrificateur
que les ancêtres leur ont légué, à faire du nouvel an amazigh et l’instrument du sacrifice. L’une des plus importantes et
l’occasion de réaffirmer leur identité. On célèbre en famille fréquentes préparations consiste dans l’utilisation du henné
ou en groupe les repas de la veille du nouvel an. Est retenu, par les femmes mariées, les filles et les garçons. On applique
sur le plan rituel, la célébration de la terre et de ses produits. également le henné aux animaux domestiques et aux poutres
On prépare le couscous avec tous les légumes disponibles des habitations. Les femmes mariées se noircissent les yeux
ou la bouillie, dite ourekmine, avec les produits de l’année avec de l’antimoine (khôl) et ravivent les couleurs de leurs
passée, les céréales et les féculents. D’une fête agraire, la fête du lèvres avec des racines de noyer (swak). Dans certaines
nouvel an est devenue le symbole identitaire de l’attachement tribus, les hommes se noircissent aussi les yeux. La visite des
de l’Amazigh à la terre. (Safi, 2002, pp. 191-198.) sanctuaires, le jeûne, l’aumône, les repas pris en commun et la
prière collective liés à cette fête (çalat al-‘îde) sont des moyens
par lesquels les gens se préparent à la fête (à comparer avec
les rites d’entrée du modèle ternaire du sacrifice* élaboré
FÊTE DU SACRIFICE par Hubert et Mauss).
Mots clefs : purification, baraka, tafaska, Les chefs de foyer apportent leurs couteaux au msalla (lieu
cf. Sacrifice. Baraka. Sacré. de la prière collective), puis les posent ensemble par terre.
D’autres enfoncent le couteau dans le cairn qui marque les
Plusieurs noms désignent le sacrifice célébré chaque année limites du msalla. Le sacrificateur de chaque foyer trempe
le 12 du dernier mois du calendrier lunaire : tafaska (b.) ; l’id son couteau dans le sang du mouton immolé par le taleb*. Il
imeqourn (b.), l’id lekbire (d. la grande fête) ; ‘îde al adha (a. est interdit à toute personne qui n’a pas l’habitude de faire
la fête de sacrifice). Le mot tafaska désigne à la fois la fête la prière, ou qui a commis un meurtre, d’égorger la victime
et la victime. Il est lié, selon Laoust, au mot hébreu passah, de la grande fête. Dans certaines régions, c’est le taleb qui
du grec paskha et du latin pascha. Il aurait été introduit pas égorge la première victime, dans d’autres, il le fait pour toutes
les missionnaires chrétiens. (Laoust, 1921, pp. 269-270.) les victimes du douar*. Le sacrificateur doit observer les
Ce genre d’interprétation conjecturelle, qui était courante, rites de l’égorgement prescrits par l’Islam. Il doit tourner la

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