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Dans l'espace de l'Afrique Noire, le foncier cristallise des

problèmes complémentaires. De l'institution des Etats, à la


vie économique des peuples, le foncier de ce continent, porte
une charge émotionnelle beaucoup plus forte que ce l'on
observe ailleurs. En Afrique, les civilisations sont avant tout
des civilisations agraires et c’est souvent sous l’angle des
rapports entre l’homme et la terre, bien dont il tire l’essentiel
de sa substance, que sociologues et ethnologues se placent
pour étudier les sociétés africaines. Dès lors, c'est en tenant
compte de la place que la terre occupe dans leurs activités
économiques que les peuples d'Afrique noire ont élaboré des
normes juridiques qui, malgré leur oralité, constituent des
cohérents et originaux.L’histoire africaine de la propriété
foncière coutumière a été longtemps au centre des débats.
Nous soutenons en effet que la question de la propriété
foncière coutumière est d'une grande actualité,
particulièrement à l'heure où l'Afrique est en quête de
nouvelles politiques foncières à même de contribuer à relever
les défis du développement et de la paix. Ce faisant, cette
contribution est une invitation à procéder à un « droit
d'inventaire » relatif à l'héritage coutumier, et ce au nom de
valeurs considérées comme universelle. C’est sans nul doute
pour cette raison qu’on nous invite à réfléchir sur le suivant
sujet : la propriété foncière coutumière. La propriété est le
droit d’user et de disposer des choses de la manière la plus
absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par la
loi ou par les règlements. Foncier, quant à lui, provient du
latin “Fundus” (au sens de “fonds”). Le terme de foncier
désigne la notion de “terre” qui inclut tout ce qu’il y a sur, au-

Droit foncier:
Séminaire sur « La propriété foncière
coutumière »
dessus et en-dessous de la surface de cette terre et sur
laquelle un droit de propriété peut s’exercer.
Une coutume est une habitude suivie par des personnes,
un usage établi devenu une règle, une pratique collective qui
se transmet oralement de génération en génération et qu'ils
considèrent obligatoires pour régler leurs rapports. Ainsi, on
entend par propriété foncière coutumière, le droit coutumier
permettant d’utiliser et de disposer de la terre. Ce sujet tel
qu’il est libellé précis et net nous paraît judicieux de l’analyser
dans sa globalité sans procéder à sa délimitation. L’étude de
ce sujet nous permet de bien saisir le processus de l’évolution
de la propriété foncière coutumière. Autrement dit de
comprendre la procédure de la connaissance à la
reconnaissance des droits fonciers africains endogènes.
Au regard de toutes ces considérations, la question qu’on ne
peut s’empêcher de soulever est la suivante: Quelle est la
conception africaine de la propriété foncière coutumière?
La réponse à cette question est d'autant plus importante
dans la mesure où elle nous renseigne la pensée africaine de
la propriété et les séquelles laissées par la colonisation.
En effet , la propriété foncière en Afrique était loin de toute
conception individualiste et de toute idée d'appropriation.
Effectivement, la propriété foncière était en Afrique était
considérée jadis comme un droit d'usufruit. Eu égard à tout
ce qui précède, l'analyse de notre sujet se fera en apportant
plus de précision sur l'ensemble des points relevés sous
dessus, en y ajoutant quelques éléments pour bien étaler
notre étude. Afin de répondre à la problématique posée, il
serait intéressant d'étudier en premier lieu la conception

Droit foncier:
Séminaire sur « La propriété foncière
coutumière »
africaine classique de la propriété collective(|) puis en second
lieu la conception africaine moderne de la propriété foncière
coutumière(||)

|- La conception africaine classique de la


propriété foncière coutumière.
En Afrique traditionnelle la propriété foncière n'est reconnue
par la coutume qu'a la collectivité (A), mais ce droit qui lui est
reconnu est juste d'usufruit donc inaliénable(B)

A- La propriété foncière coutumière: Une propriété


collective
L’explication des spécificités du régime foncier africain revêt
plusieurs caractéristiques. En effet, comme l'a si bien expliqué
Kouassigan dans son ouvrage "l'Homme et la Terre",
l'appropriation du sol en Afrique s'est faite d'une manière à
peu près uniforme dans les diverses régions. Elle a pour
origine l'occupation, qu'elle soit pacifique ou non, elle a été
suivie généralement d'une répartition des terres entre les
collectivités et les individus par les maîtres du sol et leurs
délégués. L'auteur nous explique que la terre était le droit
des premiers venus, les premiers occupants. Toutefois, ces
occupants étaient constitués en collectivité, en clan, en
groupe... C'était une communauté qui s'installe sur des terres
vacantes. Ce qui explique entre autre que la propriété
foncière porte des traits particuliers qui tiennent au fait que
la terre selon les coutumes africaines n'est pas susceptible

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d’appropriation privée individuelle. Elle est essentiellement le
bien d'une collectivité donnée et les membres de celle-ci y
exerce des droits égaux. Il résulte que les relations juridiques
naissant de son exploitation ne mettent pas en présence des
individus isolés, mais des groupes. Ainsi la défense d'une
partie de ce bien collectif contre les prétention venant
d'éléments extérieurs à la communauté qui la détient n'est
pas le fait d'un individu mais de la communauté toute
entière. Mais chaque individu qui se voit attribuer une
parcelle de terre est tenu d'en user conformément aux
intérêts supérieurs de la collectivité. La limitation de ses
droits est la meilleure garantie de la conservation du bien au
sein de la communauté. Par exemple, au Sénégal, les
Toucouleur n’admettent l’appropriation privée que pour les
meubles, celle des immeubles est toujours collective. Pour les
Ouolof de ce même pays, chez qui le chef politique et le
maître de la terre sont un seul et même personnage, c’est le
chef de village ou le "Lamane" qui distribue les terres et en
est responsable vis-à-vis de la collectivité. Selon Campistron,
il reçoit pour ces terres collectives, à titre de rémunération,
une redevance (assaka) fixée au dixième de la récolte,
payable par chaque chef de famille⁶. De même que les
Ouolof, les lébou et les Toucouleur, les Sérère aussi ne
connaissent pas non plus la propriété privée de la terre. Celle-
ci reste une propriété collective et ceci découle de
l’organisation sociale. Et d’après Dulphy, « c’est la nécessité
d’efforts concourant à la mise en valeur de la terre qui a
conduit les Sérère à une organisaton familiale où l’activité de
chaque individu est absorbée au profit de la collectivité dont

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il est issu. Ainsi s’est constitué, dans chacune de ces sociétés
familiales, un patrimoine commun, dont la gérance
appartient au chef de la collectivité, patrimoine sur lequel
chaque membre de la société a un droit égal, mais indivis »⁷.
Les Bambara du Mali placent la terre sous l’autorité
du "dougou-tigui", maître du sol qui est en même temps et le
plus souvent chef politique.Ces quelques exemples nous
permettent d’affirmer, après tant d’auteurs, qu’en Afrique
occidentale, la terre ne fait pas l’objet d’un droit de propriété
individuelle. Dès lors, notre intention est moins de répéter ce
qu’ils ont dit que d’essayer d’apporter quelques précisions
sur certains aspects des droits fonciers traditionnels qui sont
restés dans l’ombre à travers toutes ces études. En effet, si
tous ces auteurs sont d’accord pour affirmer le caractère
collectif des droits fonciers, très peu se sont préoccupés de
préciser les collectivités qui en sont titulaires. Or, selon le mot
de L. S. Senghor, « la société (en Afrique Noire) est formée de
cercles concentriques de plus en plus larges, qui s’étagent les
uns sur les autres, imbriqués les uns dans les autres, pour
ainsi dire, et formés sur le type même de la famille ». Tous
ces cercles sont-ils titulaires de droits sur la terre, ou y en a-t-
il seulement certains qui peuvent se reconnaître ces droits à
l’exclusion des autres ? En réponse à cette question, on peut
distinguer deux collectivités ayant des droits sur la terre
suivant la nature des activités qui s’y exercent ; la famille et le
village.
Dans ce sens, nous dirions qu’il existe en Afrique occidentale
deux types de collectivisme agraire, le collectivisme dans le
cadre familial et le collectivisme dans le cadre villageois.

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Kouanssikan l'a également relevé dans son ouvrage. " Dans
les coutumes africaines, la notion de propriété foncière
individuelle n'existe pas. La terre appartenait à une
communauté, le canton, le village ou la famille élargie"⁸.
Mais qu’entend-on maintenant par propriété familiale ? C’est
normalement celle d’une famille étendue, qui correspond
avec, en plus, les épouses et, en moins, les filles mariées à un
lignage. Encore faut-il s’accorder sur ce que l’on appelle
« lignage ». L’anthropologie a pris l’habitude de distinguer
différents niveaux de lignage. Par exemple, se considère
comme un seul lignage, tout un chacun pouvant faire
remonter sa généalogie jusqu’au même ancêtre lointain qui
définit le peuple : c’est le lignage maximum. Il est subdivisé
en sections qui sont aussi des lignages que l’on peut qualifier
de moyens. Aucune de ces grosses unités n’est titulaire d’un
quelconque droit sur la terre ; ces lignages de niveau
supérieur ne sont nullement des « groupes en corps », ils
n’ont aucun intérêt commun et ne résident pas dans le même
lieu. Le niveau de lignage pour lequel il est question de droit
collectif sur la terre est le lignage « localisé », la fraction de
lignage qui habite ensemble dans le même village et qui gère
en commun ses terres sous la direction du chef de lignage le
plus ancien. L'autre titulaire qui est évoqué par tous ceux qui
parlent de droits collectifs est le village. C’est une entité
organisée. Il est placé sous le contrôle d’un conseil de village
et d’un chef de village en principe le chef du lignage
fondateur du village. Il est également associé à un certain
territoire, constitué par les terres cultivées par les différents
lignages qui le composent et par tout un ensemble de terres

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vacantes, anciennement cultivées et abandonnées, ou encore
en friche. C’est la fonction du chef de village d’octroyer des
terres vacantes aux chefs de lignage ou de famille étendue
qui en ont besoin, et ces derniers les répartiront entre leurs
gens, en principe entre les différents chefs des familles
restreintes. Toute cette organisation fait bien entendu penser
à l’organisation traditionnelle de nos communes rurales. On a
donc dit qu’en Afrique le village avait la propriété collective
de la terre ; c’est là une des thèses constantes, presque la
principale, de l’interprétation classique du droit foncier
africain. Elle paraît d’une telle simplicité et d’une telle
évidence que, croyons-nous, elle n’a jamais été mise en
question.
Cependant, le seul fait de répartir la terre entre les membres
utilisateurs ne suffit certainement pas à affirmer un droit de
propriété. Effectivement, les coutumes africaines
n’admettent qu'un droit d'usufruit sur la terre ce qui explique
son inaliénabilité.

B-La Propriété Foncière Coutumière: Un Droit


d'Usufruit Inaliénable

Avec l’idée selon laquelle la terre serait inaliénable dans le


régime foncier traditionnel africain, nous touchons à un des
points clefs. Effectivement, comme on l'a si bien relevé à
l'entame de nos développements, la terre en Afrique noire
traditionnelle, est considérée comme une divinité donc
sacrée. Ce qui explique qu'elle ne peut pas faire l'objet
d'appropriation privée. La terre en Afrique précoloniale,
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appartient à personne, elle s’appartient à elle même. La
communauté qui l'a trouvé et s'y est installée n'a qu'un droit
d'usufruit. Elle n’est pas susceptible d’appropriation
individuelle. Les détenteurs de la terre ont un droit d’usage.
Ils la gèrent comme un bien appartenant à la

communauté.

L'explication du fondement de cette règle est différente. En


plus du fondement religieux, il y'a le fondement
économique.
Le fondement religieux tantôt relevé est que la terre aurait
une origine divine datant du pacte religieux passé entre le
premier occupant et les dieux de la terre. Ce fondement
interdit toute transaction tendant à mettre la terre dans le
commerce. Le droit sur la terre prend ici sa source dans le
pacte initial d'alliance entre la terre et le premier occupant et
à charge pour l'héritier de réactualiser périodiquement le
culte agraire. Cette théorie d'alliance sacrificielle se trouve
dans la légende et dans la théorie de la force vitale selon
laquelle, "le premier homme du clan, songeant à s'établir,
s'arrêter en un lieu qui parut lui convenir,

mais il dût au préalable obtenir l'autorisation de la puissance


surnaturelle qui l'habitait. L'explication religieuse connaît une
variante qui repose sur la notion africaine de l'appropriation.
Selon la pensée africaine seules les choses obtenus par les
efforts humains, individuels ou collectifs, peuvent être l'objet
de propriété et par conséquent l'objet d'aliénation. Ceci

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explique le dicton africain qu'on trouve chez plusieurs
peuples: "la terre est à Dieu".
L’explication économique est fondée sur le principe de
demande et d'offre. En effet, les tenants de cette explication
disent: on ne peut pas vendre une commodité si elle se
trouve en telle abondance. Dans ce cas, il n'y aura aucune
demande. Il n'y a pas de vente par manque d'acheter. Il n'y
aura donc pas une véritable règle contre l'aliénation de la
terre mais plutôt une

rareté de vente par manque d'intérêt matériel et financier.


Toutefois il est évident que l'explication religieuse semble au
premier abord vraisemblable.

En effet, après avoir parcouru la majorité des coutumes du


Sahara occidental, l'on s'est rendu compte qu'effectivement
le principe de l’inaliénabilité était un principe fondemental,
absolu consacré par les coutumes et la raison principale
invoquer pour la consécration de ce principe est la sacralité
de la terre
Ce qui explique que la collectivité exerce sur la terre un droit
d'usufruit comme le veut la coutume. La terre comme elle est
là pour tout le monde et ayant un caractère sacral, elle ne
peut être aliénée. Toutefois selon certains auteurs, les
chefs traditionnels ont sur la terre que cultive la collectivité
placée sous leur autorité, un droit de propriété absolu. Ils en
sont non seulement les maîtres, mais encore leurs
propriétaires, avec toutes les conséquences juridiques

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qu'implique la notion de propriété et les membres de la
collectivité n'ont qu'un simple droit d'usage.
Mais Kouassigan affirme le contraire. D'ailleurs, dans son
ouvrage il est formel et a intitulé une sous-section d’un de ses
chapitres : « L’inaliénabilité de la terre est un principe
absolu.» Pour lui, l'affirmation selon laquelle la terre est
aliénable en Afrique noire traditionnelle, est incongrue. Pour
lui, la terre est un bien inaliénable. Et ce principe ne souffre
pas d'exception même dans les sociétés négro-africaines où
les chefs traditionnels disposent de pouvoir absolu⁹. Et bien
évidemment loin pour nous d'avoir la prétention de
contredire les autres auteurs, mais après nos recherches l'on
se permet de rejoindre Kouassigan dans sa thèse. D'ailleurs,
l'opinion très répandue et généralement acceptée est que
dans le système foncier africain, la terre est inaliénable.
Par exemple au Sénégal, en 1895, le "Bour Sine" chef des
province Sérère affirme que la presque totalité du sol
appartenait à des familles Sérère et que sa situation de
souverain ne lui permettait pas de disposer des terres de sa
propre famille même de celles dont il avait la jouissance. Si
nos pères ne nous avaient pas conservé la terre du Sine, nous
n'aurions plus les moyens de faire nos cultures et nous
aurions dû abandonner notre pays. Nous devons la
transmettre à nos enfants.
Également en 1971 encore, au sein d’une série d’études
organisées par l’UNESCO, un auteur comme Nylander écrira
qu’il n’y a pas de droit d’aliénation au Nigeria. Cette
inaliénabilité de la terre est un autre des traits essentiels de la
propriété familiale.

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D'ailleurs jusqu'à nos jours, même avec l'évolution, on
constate que dans certaines régions en Afrique, le principe de
l’inaliénabilité est toujours en vigueur. La vente des terres est
toujours interdite par les coutumes en vigueur dans leurs
traditions.
Inaliénable, la terre peut, cependant, circuler à l’intérieur du
groupe. C’est ainsi que le détenteur d’une terre, par la grâce
du maître de terre, est assuré qu’à sa mort la terre ira à sa
descendance qui continuera à bénéficier du champ de
culture.
Elle peut, aussi, être prêtée à quelqu’un, moyennant une
redevance symbolique. Elle peut être louée quand la famille
manque de bras. Dans ce cas, le produit de la location est
partagé en deux parts égales, entre le maître de la terre et le
détenteur du droit de culture. Il existait quelques exceptions
à ces principes. Ainsi, dans certaines communautés africaines
qui pratiquent le matriarcat, la terre est transmise par les
femmes ; elle pouvait appartenir à des femmes qui en
assuraient l’administration. Il faut aussi noter que tous les
hommes n’avaient pas les mêmes droits sur la terre: la
structure hiérarchique et cloisonnée des groupes sociaux
réservait son usage à certains groupes sociaux. La thèse de
l’inaliénabilité sert à étayer l’idée qu’il n’y aurait pas de
propriété foncière en Afrique : il n’y aurait que des droits
d’usufruit. Selon cette thèse dite classique, les hommes ne
seraient que des usufruitiers de la terre parce que celle-ci ne
leur appartiendrait pas. La notion d’usufruitier n’a de sens
que par opposition à celle de propriétaire le propriétaire réel
comme dit Delafosse, le nu-propriétaire comme disent les

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juristes. Il y a trois candidats à ce titre de propriété : la Terre
elle-même, en tant que divinité ; le roi ou le souverain en tant
que gestionnaire; le village ou la commune en tant que
usufruitier. Cette conception africaine classique de la
propriété foncière coutumière connaît de plus à plus une
évolution depuis la colonisation jusqu'à nos jours. Qu'en est il
maintenant de cette évolution.

||- La conception africaine moderne de la propriété


foncière coutumière

La question foncière a constitué une des préoccupations


majeures dans les territoires de l'ex-AOF. Le développement
économique de ces territoires dépendait en effet de la mise
en valeur de leur important potentiel. Pour se faire, il fallait
justement mettre en place une politique coloniale sur le
régime juridique de la terre (A)
Au-delà de la politique coloniale, la reconnaissance des droits
fonciers coutumiers (B) est une nécessaire mesure de justice
sociale pour pallier les errements de l'histoire africaine.

A- L’affluence occidentale

Les droits fonciers traditionnels étaient en rapport avec un


certain ordre politico-social. Ils répondaient aux besoins
d'une économie autarcique, orientée vers la consommation
intérieure et pour laquelle, en raison même de la faiblesse

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des moyens de production, l'accent était mis sur la
puissance collective. L'individu, ne se concevant pas
ailleurs, ne pouvait subsister qu'intégré dans un groupe et
le rôle secondaire de la production marchande ne pouvait
conduire à l'individualisation des fortunes. D'autre part ils
correspondaient à un ordre politico-social, fait, dans la
plupart des cas, de hiérarchie et dans lequel les droits de
l'individu étaient déterminés, non par une réussite
personnelle, mais par la place qu'y occupait le groupe dont
il était membre. L'individu « épousant » en quelque sorte le
statut de son groupe, ses droits étaient déterminés par
l'importance de la place que celui-ci occupait dans la
hiérarchie sociale. Autrement dit, ce n'était pas l'activité
qui était le facteur déterminant dans le classement social,
mais la naissance. Et sur la terre l'individu ne pouvait avoir
de droit en tant que tel, il n'en disposait qu'autant qu'il
appartenait à un groupement y exerçant sa souveraineté.
Enfin pour bien des peuples ouest-africains, la terre n'était
pas un simple bien matériel. Sa signification ontologique
particulière incitait les hommes à lui rendre des cultes qui
se traduisaient par la variété des rites agraires.
Les changements survenus dans le domaine politico-social,
dans le domaine économique et enfin dans l'ordre du
sacré, ont exercé sur les rapports entre l'homme et la terre
des influences décisives. C'est dans ces trois domaines que
s'orientent les auteurs, pour mettre en évidence
l'acculturation comme résultat de l'expansion coloniale
européenne.

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Dans un ouvrage publié en 1936, Monica Hunter en voulant
(comparer les résultats différents provoqués par des
situations de contact différentes) a mis en relief les
principaux facteurs de changement qui, par leurs actions
conjointes, amènent à l'acculturation.
Dans ce sens elle distingua les facteurs d'ordre
économique dont l'action a pour effet la dégradation de
l'économie traditionnelle, les facteurs d'ordre politique, qui
ont pour conséquence le recul des autorités traditionnelles,
celles-ci devenant l'instrument de la politique des
Européens, les facteurs d'ordre religieux qui, en
restreignant le domaine du sacré, incitent à une
reconversion spirituelle.
La question foncière coloniale y a été abordée sous le double
aspect de la constitution du domaine (privé) de l'État, d'une
part, et de la garantie des droits fonciers des particuliers,
d'autre part.
En ce qui concerne la constitution du domaine privé, la
question que l'administration coloniale avait à résoudre était
de savoir comment faire passer sous le contrôle de l'État des
terres qui jusque-là étaient détenues par les communautés
locales en vertu de leurs coutumes. La constitution d'un
domaine privé de l'État était perçue comme le moyen le plus
sûr de mettre les terres des territoires coloniaux à la
disposition des compagnies coloniales. Sur le plan de la
technique juridique, la constitution du domaine privé de l'État
s'est principalement appuyée sur la théorie doctrinale de la
succession d'État, avant de rechercher un fondement légal

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dans le principe des « terres vacantes et sans maître » inspiré
du Code civil napoléonien (articles 538, 539 et 713), et traduit
dans le décret foncier colonial de 1935 [Atta et Zoungrana
2010]. La succession d'État, qui théorise le droit de conquête,
pose le principe que, du fait de la signature de traités entre
les chefs coutumiers africains et la France, l'État colonial a
succédé à l'ensemble des pouvoirs détenus par ces chefs (y
compris les droits sur la terre) [Dégni-Ségui 1979]. Cette
théorie ne résiste pas véritablement à l'analyse, notamment
quand on sait que les chefs signataires des traités sont les
chefferies politiques elles-mêmes, et que celles-ci ne
possèdent généralement pas de pouvoir de gestion foncière.
Dans de nombreuses sociétés africaines, le chef politique
gère les hommes, et le chef de terre gère les terres.
La théorie bien connue des « terres vacantes et sans maître »
considère que toutes les terres ne faisant pas l'objet d'une
mise en valeur caractérisée par une emprise évidente et
permanente sur le sol sont de plein droit la propriété de
l'État. Ces terres sont donc intégrées au domaine privé de
l'État. On peut objecter à cette théorie que, dans le cadre des
systèmes fonciers et agraires africains endogènes, la non-
exploitation effective d'une terre ne signifie ni son abandon ni
l'absence d'une maîtrise foncière. Les systèmes agraires
africains en particulier reposaient sur de longues jachères
pratiquées par les communautés d'agriculteurs ainsi que sur
l'exploitation transhumante des ressources naturelles par les
communautés pastorales. Autant de choses que ne prend pas
en compte la théorie des « terres vacantes et sans maître ».

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B- La propriété foncière coutumière : Un véritable
droit de propriété
Jusqu'à présent, les questions foncières étaient abordées
essentiellement à travers une approche juridique technique.
De manière caricaturale et donc imparfaite, on pourrait dire
que la scène de la recherche foncière africaine a été occupée
principalement par des juristes attachés à une définition
méticuleuse des règles et procédures foncières, et par des
anthropologues focalisés sur l'identification et l'analyse des
particularismes fonciers. À de rares exceptions près , ces deux
catégories d'acteurs traitaient le même « malade » mais
parlaient très peu entre eux. Cette dernière décennie a été
marquée par un regain d'intérêt des États africains pour la
formulation de politiques foncières. Il nous semble que cette
évolution a replacé le questionnement relatif aux droits
fonciers coutumiers au rang des problèmes prioritaires.

L'ordonnance foncière nigérienne de 1993 a été parmi les


premières en Afrique de l'Ouest à ouvrir la voie à un courant
favorable à la reconnaissance des droits fonciers coutumiers .
Sans aucun complexe, le législateur nigérien a fondé la
reconnaissance de la propriété foncière à la fois sur le droit
écrit et sur la coutume. Le caractère révolutionnaire de son
intervention doit être apprécié à sa juste valeur. La

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conception coloniale, qui tendait à nier l'existence de la
propriété coutumière en posant la propriété civiliste comme
seul modèle acceptable, doit aujourd'hui être
fondamentalement remise en question. Il convient en effet de
rappeler que la propriété ne se limite pas aux seules
frontières de l'article 544 du Code civil de 1804. En d'autres
termes, on ne saurait nier l'existence de la propriété
coutumière au seul motif qu'elle ne comporte pas l'attribut
de l'abusus . D'ailleurs, des biens frappés d'une clause
d'inaliénabilité (successorale notamment) sont concevables
en droit civil, sans que, pour autant, soit entamée la qualité
de la propriété. De même, le caractère collectif d'une
propriété ne saurait justifier la contestation de son existence,
comme nous le rappellent les nombreux cas de copropriété, y
compris dans le cadre courant du régime matrimonial de
communauté des biens. On peut donc oser soutenir que la
substance de la propriété se trouve non pas seulement dans
l'individualisme du pouvoir d'aliéner mais aussi et surtout
dans la maîtrise exercée sur la chose, laquelle confère la
prérogative d'exclure (les non-propriétaires).
On peut donc conclure de tout ce qui précède que la
« propriété » coutumière est une réalité, avec ses propres
caractéristiques.
Sans doute inspiré par le précédent nigérien, le législateur
burkinabé a récemment décidé de reconnaître les droits
fonciers coutumiers. L'approche est cependant moins directe
et moins radicale, et ce probablement dans un esprit de
conciliation avec les administrations domaniales, souvent
gardiennes d'une certaine « orthodoxie foncière » héritée de

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la période coloniale. C'est à travers la notion de
« possession » que le législateur burkinabé a tenté de
progresser vers une reconnaissance des droits fonciers
coutumiers. Les juristes définissent la possession comme
étant un « pouvoir de fait » exercé sur une chose. En cela, la
possession doit être distinguée de la propriété, qui, elle,
constitue un pouvoir de droit exercé sur la chose. L'intérêt de
la notion de possession est que, sous certaines conditions, la
situation de fait peut se transformer en situation de droit, et
le possesseur devenir propriétaire.
La théorie doctrinale de la possession a été appliquée aux
droits fonciers coutumiers au Burkina. Dans le cadre de la
législation burkinabé anciennement en vigueur, la détention
coutumière de la terre constituait en effet une simple
situation de fait. Cette situation n'était pas synonyme
d'occupation illégale des terres dans la mesure où la loi elle-
même reconnaissait aux populations rurales le droit de
continuer leur occupation et exploitation coutumière. En
réalité, le législateur burkinabé et l'administration foncière
ont, pendant longtemps, reconnu la situation de fait que
constituait la propriété coutumière. Il restait donc à trouver
l'argumentation juridique permettant de passer du fait au
droit : c'est cette opportunité qu'offrait la théorie de la
possession.

Il faut rechercher la justification de cette théorie dans une

Droit foncier:
Séminaire sur « La propriété foncière
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sorte de présomption de légitimité du possesseur : le plus
souvent, la situation de fait, notamment la propriété
coutumière, coïncide avec la réalité des rapports fonciers tels
que perçus et vécus localement. Il y a donc en principe très
peu de contestation entre acteurs locaux. Rendre la situation
de fait conforme au droit fournit une base juridique à la
consolidation de la paix locale et à la pacification des rapports
fonciers. En d'autres termes, on peut considérer que la
théorie de la possession a un rôle de préservation de l'ordre
social et de la paix publique. Sans le dire, c'est la légitimité du
monopole foncier de l'État qui a été ici remise en cause par le
législateur burkinabé.
En tant que possesseur, le propriétaire coutumier burkinabé,
individuel ou collectif, se voit délivrer une attestation de
possession foncière.
À la différence de l'approche radicale du législateur nigérien,
qui place sur un plan d'égalité la propriété coutumière et la
propriété selon le droit écrit, le législateur burkinabé laisse
perdurer un dualisme désuet en matière de reconnaissance
des droits fonciers : d'un côté, des titres de propriété pour les
propriétés immatriculées ; de l'autre, des attestations de
possession (valant simples droits de jouissance) pour les
propriétés coutumières.

Droit foncier:
Séminaire sur « La propriété foncière
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