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Revue internationale de droit

comparé

Les cours supérieures en République Fédérale d'Allemagne et la


distinction du fait et du droit devant les juridictions suprêmes en
France et en Allemagne
M. Walther J. Habscheid

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J. Habscheid Walther. Les cours supérieures en République Fédérale d'Allemagne et la distinction du fait et du droit devant les
juridictions suprêmes en France et en Allemagne. In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 20 N°1, Janvier-mars 1968.
pp. 79-94;

doi : https://doi.org/10.3406/ridc.1968.19008

https://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_1968_num_20_1_19008

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LES COURS SUPÉRIEURES
EN RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE
ET LA DISTINCTION DU FAIT ET DU DROIT
DEVANT LES JURIDICTIONS SUPRÊMES
EN FRANCE ET EN ALLEMAGNE
par
Walther J. HABSCHEID
Professeur
Professeurordinaire
honoraire
à laà Faculté
la Faculté
de dedroit
droit
de deWurtzbourg
Genève

Une étude consacrée à la distinction du fait et du droit devant les


juridictions suprêmes en France et en Allemagne, sujet de première
importance dans la vie judiciaire de chaque pays, demande d'abord de
constater quelles sont, dans les deux pays, les juridictions suprêmes devant
lesquelles la distinction joue un rôle. En France, il n'y a qu'un seul
tribunal : la Cour de cassation. En Allemagne, la situation est plus
complexe : il y a plusieurs cours supérieures. Et la nécessité de discerner les
questions de fait et de droit n'existe qu'au fur et à mesure que ces cours
fonctionnent comme tribunaux de révision. Nous examinerons donc,
pour la République Fédérale d'Allemagne, dans un premier chapitre,
l'organisation et le fonctionnement de la troisième puissance étatique,
qui est le pouvoir judiciaire, et le système du moyen de recours appelé
révision. Dans un second chapitre, nous étudierons ensuite comment on
trace en droit français et en droit allemand la ligne de démarcation entre
les questions de fait et de droit.

CHAPITRE I

L'ORGANISATION DES TRIBUNAUX SUPÉRIEURS ET SUPRÊMES


EN RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE ET LE SYSTÈME DE LA RÉVISION
1) La hiérarchie des tribunaux en République Fédérale d'Allemagne
et le rôle de la Cour constitutionnelle et des tribunaux supérieurs
La République d'Allemagne est, selon les termes de la Constitution
de Bonn (art. 20 al. 1 GG) (1), un Etat fédéral. Il va de soi que, dans

(1) GG : Grundgesetz ou loi fondamentale (Constitution de la République


Fédérale d'Allemagne).
80 LES COURS SUPÉRIEURES EN RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE

un tel Etat, la puissance étatique est répartie entre l'Etat fédéral, d'une
part, et les Etats membres, d'autre part. Cette répartition concerne
également l'administration de la justice.
Pour cette raison, l'article 92 de la Constitution de Bonn, qui
attribue le pouvoir judiciaire aux tribunaux, distingue : les tribunaux des
Länder, c'est-à-dire des Etats membres, d'une part, et les tribunaux de
l'Etat fédéral, d'autre part. Pour les tribunaux de l'Etat fédéral, la
Constitution prévoit les Bundesgerichte (tribunaux fédéraux), les Obere
Bundesgerichte (cours supérieures fédérales), le Oberstes Bundesgericht
(Cour suprême fédérale) et le Bundesverfassungsgericht (Cour
constitutionnelle fédérale) (art. 93-96 a GG). Mais, jusqu'à ce jour, la Cour
suprême fédérale, dont la tâche sera de garantir, entre les différents
tribunaux supérieurs, l'unité du droit sur le territoire de la République
Fédérale, n'a pas encore été constituée. On ne pense plus à l'institution
d'une cour permanente mais d'un tribunal composé de membres des
tribunaux supérieurs, qui se réunissent lorsqu'un cas doit être réglé. En
laissant à part du reste les tribunaux fédéraux simples — il s'agit des
Bundesdisziplinarkammern (tribunaux disciplinaires fédéraux), des Wehr-
strafgerichte (tribunaux militaires) (2) et du Bundespatentgericht
(Tribunal fédéral compétent en matière de brevets d'invention) — nous
pouvons limiter notre aperçu à la Cour constitutionnelle fédérale et aux
tribunaux supérieurs fédéraux.
A) Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale).
La Cour constitutionnelle fédérale est actuellement le plus haut
tribunal de la République Fédérale. Elle décide en première et dernière
instance en tant que gardienne de la Constitution. Etant donné que la
Loi fondamentale contient des dispositions à observer par
l'administration et par tous les tribunaux, la Cour constitutionnelle fédérale surveille
ainsi la jurisprudence des tribunaux supérieurs.
La compétence du Bundesverfassungsgericht est réglée dans l'article
93 GG : elle s'étend aux litiges entre l'Etat fédéral et ses organes et les
pays membres ou entre les Länder de la Fédération. Ici, la Cour est un
organe constitutionnel comme le Parlement, le Président de la Fédération
et le Gouvernement ; mais il s'agit d'un organe qui décide dans les formes
de la justice.
En outre, la Cour constitutionnelle fédérale est compétente dans les
autres litiges prévus par la Loi fondamentale et par d'autres lois. Voici
deux exemples, qui, d'ailleurs, concernent les cas les plus importants.
Le premier est réglé par l'article 100 GG. Ici on doit distinguer
trois hypothèses :
1° si un tribunal estime qu'une loi est contraire à la Constitution,
il doit suspendre le procès et demander l'avis de la Cour constitutionnelle
fédérale
2° s'il
; est douteux qu'une règle du droit international fasse partie

(2) Les Wehrstrafgerichte, prévus par l'art. 96 a al. 2 GG, n'ont pas encore
été constitués.
ET LA DISTINCTION DU DROIT ET DU FAIT 81

du droit interne et qu'elle crée des devoirs et des droits pour une partie,
le juge doit suspendre le procès et demander à la Cour constitutionnelle
de statuer3° si ; la cour constitutionnelle d'un Land veut interpréter la Loi
fondamentale contrairement à une décision de la Cour constitutionnelle
fédérale ou de la cour constitutionnelle d'un autre Land, elle doit prier
la Cour constitutionnelle fédérale de se prononcer. Elle doit aussi
solliciter l'avis de cette Cour dans le cas de l'interprétation d'une loi fédérale
s'opposant à une décision d'une cour supérieure (ou de la Cour suprême).
En pratique, la première hypothèse est la plus importante.
Le deuxième exemple concerne la Verfassungsbeschwerde (recours
en matière constitutionnelle) réglée dans les articles 90 et suivants
BVerfGG (3).
En vertu de cette loi, celui qui se prétend lésé par les pouvoirs
publics, dans ses droits garantis par la Constitution, dispose d'un recours
de droit constitutionnel. Mais, en règle générale, il doit épuiser toutes
les instances inférieures. Le recours en matière constitutionnelle n'est donc
recevable qu'après épuisement des voies de recours ordinaires.
Cependant, la Cour constitutionnelle peut admettre une exception lorsqu'il est
nécessaire de prévenir un préjudice pour le demandeur.
L'importance de la Cour constitutionnelle est donc évidente. Ce
tribunal a, pour citer deux exemples, déclaré contraire à la Constitution
(c'est-à-dire contraire à l'article 3 alinéa 2 GG, qui stipule l'égalité entre
les époux) et nul l'article 1628 BGB (4), qui donnait au mari le pouvoir
de décider en cas de désaccord avec sa femme (Stichentscheid des
Ehemannes) (5).
En ce qui concerne le second exemple, le droit fiscal prévoyait, en
République Fédérale, l'imposition des revenus de la famille. En
conséquence, les époux devaient payer des impôts plus lourds qu'un homme
et une femme célibataires. La Cour constitutionnelle fédérale a décidé
que cette règle violait la Loi fondamentale qui stipule, dans son article 6
alinéa 1, que l'Etat doit toute sa protection au mariage et à la famille (6).
Etant donné que les droits individuels les plus importants ont, en
règle générale, des racines constitutionnelles, on peut dire que la Cour
constitutionnelle fédérale est bien la Cour suprême de la République
Fédérale.
La Cour constitutionnelle fédérale statue toujours sur le droit et
les faits. Elle peut ainsi ordonner toute enquête qu'elle juge nécessaire
(art. 26 BVerfGG). Elle peut entendre des témoins et des experts (art. 28
BVerfGG). Sa décision lie tous les organes constitutionnels de la
République fédérale et des Länder et tous les tribunaux ainsi que Padministra-

(3) BVerfGG : Bundesverfassungsgerichtsgesetz ou loi relative à la Cour


constitutionnelle fédérale.
(4) BGB : Bürgerliches Gesetzbuch ou Code civil.
(5) V. BVerfGE 10, 59 (BVerfGE : Recueil officiel des arrêts de la Cour
constitutionnelle fédérale).
(6) V. BVerfGE 6, 55.
82 LES COURS SUPÉRIEURES EN RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE

tion. Dans les cas les plus importants, l'arrêt a force de loi
{Gesetzeskraft) ; il doit être publié au Journal Officiel (art. 31 BVerfGG).
B) Obere Bundesgerichte (Cours supérieures fédérales).
Le tableau des cours supérieures fédérales se présente de la manière
suivante :
Bundesgerichtshof (BGH) : compétence : droit civil et droit pénal ;
Bundesarbeitsgericht (BArbG) : compétence : droit de travail ;
Bundesverwaltungsgericht (BVerwG) : compétence : droit administratif ;
Bundessozialgericht (BSozG) : compétence : assurances sociales, droit
social ;
Bundesfinanzhof (BFinH) : compétence : droit fiscal.
A l'exception du Bundesgerichtshof, les quatre autres cours
supérieures n'exercent de contrôle que sur la jurisprudence des tribunaux des
Länder car la juridiction inférieure, exercée par les tribunaux de première
instance et les cours d'appel, relève de la compétence des Etats membres.
Quant au BGH, il contrôle, en règle générale, les tribunaux des Länder ;
mais il est aussi cour supérieure pour le Tribunal fédéral des brevets
d'invention (art. 96 a GG). Enfin, il est même, nous allons le voir, dans
un cas précis, juridiction du premier degré.
Quant à la distinction tribunal du fait et tribunal du droit, il faut
discerner :
a) La Cour fédérale (BGH), qui est compétente en matière civile
et en matière pénale, tranche exceptionnellement, dans deux cas, des
questions de fait et des questions de droit, à savoir :
1° Certains litiges concernant les brevets d'invention. Le BGH statue
comme cour d'appel chargée du contrôle des jugements rendus en
première instance par le Bundespatentgericht (art. 41 p, 42 PatG) (7). Il ne
s'agit ici que de la Nichtigkeitsklage (action en nullité) de l'article 13 PatG
et de deux autres cas réglés dans l'article 15 PatG (Rücknahmeklage et
Zwangslizenzklage). En ce qui concerne les procès normaux relatifs, par
exemple, aux violations des brevets d'invention (actions en dommage-
intérêts), c'est le Landgericht qui est le tribunal de première instance.
Ainsi le BGH sera, dans ces cas, tribunal de révision contrôlant l'arrêt
de Y Oberlandesgericht en tant que cour d'appel.
Il s'agit donc d'une exception dans le cas où le BGH fonctionne
comme cour d'appel. Cette exception s'explique par le fait que le
Bundespatentgericht, tribunal fédéral, contrôle comme tribunal de première
instance l'Office des brevets d'invention, qui est une administration de
la Fédération.
2° Au pénal le BGH est compétent en premier et dernier ressort
pour les délits du droit pénal politique (art. 134 GVG) (8), par exemple :
actes tendant à séparer une portion du territoire national pour la rattacher
à un autre pays ou visant à porter atteinte, par la force, à la Constitution
ou au Gouvernement (Hochverrat und Verfassungsverrat), attentat contre

(7) PatG : Patentgesetz ou loi sur les brevets d'invention.


(8) GVG : Gerichtsverfassungsgesetz ou loi sur l'organisation judiciaire.
ET LA DISTINCTION DU DROIT ET DU FAIT 83

des hommes d'Etat étrangers, non-dénonciation d'un tel crime


(l'article 138 StGB (9) stipule ici une obligation de dénoncer), et génocide.
Il peut être saisi par le procureur général s'il s'agit d'un délit
politique mentionné à l'article 74 a GVG, par exemple, d'atteinte au crédit
et à la sécurité de l'Etat (Staatsgefährdung) ou d'atteinte à la défense
nationale (Gefährdung der Landesverteidigung).
Dans ces affaires où le Tribunal fédéral doit décider, soit comme
tribunal de première instance, soit comme cour d'appel, notre sujet, le
fait et le droit, ne pose pas de problèmes. La Cour examine les faits et
le droit.
b) Du reste, les tribunaux supérieurs fédéraux ne s'occupent pas du
contrôle des questions de fait. Le recours qui ouvre le chemin aux cours
supérieures énumérées, la révision, se limite aux violations de droit, c'est-
à-dire violations du droit du fond et du droit de la procédure.
2) Le système de la révision.
Selon les articles 549 alinéa 1 et 550 ZPO (10) la révision est ouverte
seulement pour des questions de droit. Le droit local est exclu de la
révision s'il s'agit des règles en vigueur dans le ressort seulement de la
cour d'appel dont le jugement est attaqué. Mais le droit minier, le droit
commun (11), le droit français (12) et le droit du Pays de Bade sont
toujours soumis au contrôle du BGH. Cette limitation a pour but de
restreindre l'activité de la Cour fédérale, pour qu'elle puisse garantir une
jurisprudence valable pour l'Etat fédéral entier, et de freiner ainsi l'afflux
des recours pour permettre au tribunal un travail solide.
Mais il y a encore d'autres restrictions concernant la recevabilité du
recours. En voici deux exemples :
Le premier concerne la procédure civile : l'article 546 ZPO stipule
que le recours en révision est recevable si l'objet du litige a une valeur
supérieure à 1 5 000 Marks ou si la cour d'appel (Oberlandesgericht) a
admis la révision dans son arrêt. La cour est cependant tenue de
l'admettre si la question tranchée est d'une portée générale. C'est toujours
le cas lorsque la cour ne suit pas, dans son arrêt, la jurisprudence de la
cour de révision. En deux cas, concernant le divorce et la recevabilité de
l'appel, la révision est admise par la loi même (art. 547 ZPO) ; une
admission par le tribunal est donc superflue.
Le second exemple est extrait du Code de procédure administrative :
selon l'article 132 VwGO (13), le recours en révision (qui conduit au
Bundesverwaltungsgericht) n'est recevable que dans le cas où la cour
d'appel l'a admis dans son arrêt. Elle doit l'admettre : 1° lorsque la
question tranchée est d'une portée générale ; 2° lorsque la cour ne suit

(9) StGB : Strafgesetzbuch ou Code pénal.


(10) ZPO : Zivilprozessordnung ou Code de procédure civile.
(11) Gemeines Redit en vigueur partiellement en Allemagne centrale.
(12) La loi ne veut pas privilégier le droit français ; il s'agit du droit français,
qui est encore, comme droit local, partiellement en vigueur en Rhénanie et (comme
Badisches Landrecht) dans l'ancien Pays de Bade.
(13) VwGO : Verwaltungsgerichtsordnung : Code de procédure administrative.
84 LES COURS SUPÉRIEURES EN RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE

pas, dans son arrêt, la jurisprudence de la cour de révision ; 3° lorsque


la décision a été rendue en violation du droit procédural.
Voici les deux systèmes de révision : une combinaison de la
Streitwertrevision (ici le recours dépend du montant du litige) et de la
Zulassungsrevision (révision par admission) dans le procès civil et la
Zulassungsrevision pure dans le procès administratif. Autre différence :
dans le procès civil, il n'y a pas de moyen de recours contre le refus de
l'admission, mais dans le procès administratif la partie perdante peut
saisir la cour de révision de la question de l'admission de la révision par
la Nichtzulassungsbeschwerde (art. 132 al. 3 VwGO).
Comme on peut le voir, le chemin conduisant à la cour de révision
est bien étroit. Malgré cela, les juges de ces cours se plaignent du nombre
toujours croissant des recours et en demandent une limitation encore plus
forte. Nous estimons qu'une telle demande est très dangereuse. Pour
atteindre son but, qui est de garantir l'unité du droit dans toute la
Fédération, le BGH doit connaître une grande sélection de cas. Pour cette
raison, un certain afflux de recours est souhaitable (14).
Trois autres problèmes doivent encore être examinés pour
comprendre le système de la révision.
Première question : Comment la cour de révision peut-elle trancher
le litige porté devant elle ?
Voici, de nouveau, un exemple tiré du Code de procédure civile
(les autres lois de procédure donnent la même solution). La cour peut
rejeter le recours, soit parce qu'il est irrecevable, soit parce qu'il n'est
pas fondé (art. 563 ZPO). Mais, dans le cas où l'arrêt attaqué est basé
sur une volation de la loi, il y a, pour la cour, deux possibilités. Elle
peut casser l'arrêt de la cour d'appel et renvoyer le litige devant cette
cour, ou exceptionnellement devant une autre chambre (Sénat) de cette
cour (art. 564 et 565 ZPO). Dans deux cas, la cour de révision peut
aussi rendre un arrêt positif (dans le litige même) :
1° lorsque l'arrêt attaqué doit être cassé pour violation pure et
simple de la loi, pourvu que les faits soient assez clairs et qu'une nouvelle
enquête
2° lorsque
soit superflue
l'arrêt ;attaqué doit être cassé pour cause d'incompétence
ratione materiae du tribunal de première instance ou parce que la voie
judiciaire devant la juridiction ordinaire n'était pas ouverte (par exemple,
parce qu'il s'agissait d'un litige relevant de la compétence des tribunaux
administratifs) (15). Dans ce cas, la cour de révision casse l'arrêt du
tribunal d'appel en rejetant la demande comme irrecevable (art. 565 ZPO).
Deuxième question : Comment la cour de révision peut-elle faire

(14) Pour ce problème, v. Baring et Pohle, « Empfiehlt es sich, die Revision


(Rechtsbeschwerde) zu den oberen Bundesgerichten (ausser in Strafsachen)
einzuschränken und ihre Zulässigkeit in den einzelnen Gerichtsbarkeiten einheitlich zu
regeln ? », Verhandlungen des 44. Deutschen Juristentages, vol. I, 3e partie, cahiers
A et B, Tübingen 1962.
(15) En droit allemand, on fait une nette distinction entre les deux conditions
de recevabilité de la demande : la voie judiciaire, qui est ouverte pour les litiges
en matière civile, et la compétence ratione materiae, qui est répartie entre les
Amtsgerichte et les Landgerichte.
ET LA DISTINCTION DU DROIT ET DU FAIT 85

respecter sa décision par les tribunaux inférieurs ? Ici, on doit distinguer


deux situations.
a) Dans l'affaire pendante, le tribunal d'appel, devant lequel le
procès a été renvoyé, est lié par les considérants de l'arrêt de la cour de
révision. C'est dans ce sens que l'article 565 ZPO, que nous prenons
comme exemple, stipule que le tribunal inférieur est lié même s'il est
convaincu que le jugement du tribunal supérieur est faux. Mais, s'il y a
des faits nouveaux, il va de soi qu'il n'y pas de force obligatoire pour le
jugement concernant ces faits et pour les conclusions de droit que l'on
en peut tirer.
b) Au delà de l'affaire pendante, la jurisprudence des cours de
révision n'a pas de force obligatoire. Il n'y a pas, en Allemagne, de Case-
Law System. Certes, la plupart des juges sont en général prêts à suivre
l'interprétation de la loi donnée par les tribunaux supérieurs, car l'autorité
de ces cours est incontestable. Malgré cela, il y a toujours des cas où les
tribunaux d'instance ne sont pas convaincus par la jurisprudence du
BGH, du BArbG, du BVerwG ou du BFinH. Dans ces cas, il est presque
certain que la question sera évoquée à nouveau devant la cour de révision,
la cour d'appel devant admettre le recours puisqu'elle ne suit pas la
décision de la cour supérieure. La cour de révision aura alors la possibilité
de corriger sa jurisprudence.
Pour être complet, nous devons ajouter à cette esquisse une exception
concernant la juridiction civile. Ici, on a deux tribunaux de première
instance : Amtsgerichte et Landgerichte. Le BGH ne contrôle que l'ordre
des juridictions qui commence au Landgericht (appel à VOberlandes-
gericht et révision au BGH). Le premier ordre : Amtsgericht-Landgericht
se termine par l'arrêt du Landgericht comme cour d'appel. Le jugement
du Landgericht est définitif. Il est donc possible que la jurisprudence
dans cet ordre de juridictions se développe indépendamment de la
jurisprudence du BGH. Ce danger peut être grand parce qu'il y a des affaires,
parfois très importantes, qui n'arrivent jamais ou presque jamais à la
cour de révision, par exemple, les litiges en matière d'alimentation qui
commencent devant X Amtsgericht (art. 23 e, f GVG). Mais,
heureusement, l'autorité et la réputation du BGH sont en règle générale si fortes
que les tribunaux inférieurs, même ceux qui ne sont pas surveillés par
le BGH, acceptent la jurisprudence suprême. Le recueil officiel de ses
arrêts est donc, pour les tribunaux, ainsi que pour l'avocat, un deuxième
code des lois.
Troisième question : Les cours de révision se répartissent en
plusieurs chambres (Senate). Le BGH est, par exemple, composé, de plusieurs
chambres pénales et plusieurs chambres civiles, qui sont compétentes,
l'une pour les procès en divorce, l'autre pour les questions relatives aux
brevets d'invention, une troisième pour le droit rural, etc. Etant donné
que la même question peut être soulevée devant plusieurs chambres,
comment est-il possible de garantir l'unité de la jurisprudence de la cour ?
Les divergences entre plusieurs chambres seront tranchées par la
Grande Chambre civile, la Grande Chambre pénale et les Grandes
Chambres réunies.
86 LES COURS SUPÉRIEURES EN RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE

La Grande Chambre civile doit décider lorsqu'une chambre civile


envisage, dans une question de droit, une solution différente de la
décision d'une autre chambre civile ou de la Grande Chambre civile. La
Grande Chambre pénale est compétente lorsqu'une chambre pénale veut
s'opposer à l'arrêt d'une autre chambre pénale ou de la Grande Chambre
pénale. Les Grandes Chambres réunies seront appelées à décider en cas
de divergence entre : a) une chambre civile et une chambre pénale ou
la Grande Chambre pénale ; b) une chambre pénale et une chambre
civile ou la Grande Chambre civile ; c) une chambre (civile ou pénale)
et les Chambres réunies (dans un arrêt précédent).
L'article 136 GVG contient encore une deuxième règle. Elle
concerne la compétence des Grandes Chambres {civile et pénale) : la
chambre saisie peut demander l'avis de la Grande Chambre s'il sfagit d'une
question importante pour le développement du droit ou la confirmation
d'une jurisprudence uniforme.
Les Grandes Chambres et les Chambres réunies ne statuent que sur
une question de droit isolée, par exemple, sur la question de l'illicéité ou
de la faute, problèmes sur lesquels les chambres peuvent avoir des
conceptions différentes. L'affaire doit, en conséquence, être tranchée par la
chambre saisie. Cette chambre est liée, en ce qui concerne la question
résolue par la Grande Chambre ou les Chambres réunies, par l'arrêt de
ce tribunal (art. 138 al. 2 GVG), mais la force obligatoire de cette
décision ne dépasse jamais l'affaire pendante.
On voit donc que la Loi sur l'organisation judiciaire garantit l'unité
de la jurisprudence de la cour de révision.
3) Révision allemande et cassation française.
Voilà un bref aperçu du système de la révision allemande. Les
processualistes allemands ont souvent nié toute parenté entre la procédure
de révision du droit allemand, dont nous venons de parler, et la procédure
de cassation du droit français (16). Des études approfondies récentes (17)
révèlent, cependant, le contraire.
Il y a, certes, des différences entre le pourvoi en cassation, dans
l'intérêt des parties (18), et la révision. Ainsi, la Cour de cassation est
liée par les moyens invoqués par le requérant, contrairement au tribunal
de révision, en cas d'erreur in judicando (19). Le pourvoi en cassation
est dépourvu de l'effet suspensif de la révision. La Cour de cassation,
contrairement au tribunal de révision (art. 565 al. 2 ZPO), ne dispose
jamais d'un pouvoir de réforme. En cas de renvoi, l'arrêt admettant la
révision lie toujours le juge inférieur, non seulement en fait mais aussi en
droit (art. 565 al. 2 ZPO). Au contraire, l'arrêt de cassation ne lie le juge

(16) Cf., p. ex., Stein, Das private Wissen des Richters, 1893, p. 108.
(17) Cf., p. ex., Schwinge, Grundlagen des Revisionsrechts, T éd., 1960,
p. 41 et s.
(18) L'institution du pourvoi en cassation dans l'intérêt de la loi n'a pas de
pendant en droit judiciaire allemand.
(19) En cas d'erreur in procedendo, le demandeur en révision est également
tenu d'invoquer les faits prouvant la violation de la règle processuelle : art. 554
Zivilprozessordnung.
ET LA DISTINCTION DU DROIT ET DU FAIT 87

de renvoi qu'en cas de second renvoi (20). Enfin, il faut mettre en relief
les différences en ce qui concerne les conditions de recevabilité des deux
moyens de recours : par la cassation, on ne peut recourir que contre des
décisions rendues en dernier ressort et lorsque tous les autres moyens ont
été épuisés. Quant à la révision, cette règle reste valable ; mais elle est
tempérée par le système de la Sprungrevision, qui permet aux parties de
passer directement de la première instance à la procédure de
révision (art. 566 a ZPO). D'autre part, en France, le pourvoi en cassation
est, en principe, recevable contre tout jugement définitif rendu en
dernier ressort. La révision, au contraire, n'est accordée que pour les litiges
d'une certaine valeur (actuellement 15 000 DM; Streitwertrevision) ou
— abstraction faite des deux cas de l'article 547 ZPO (admission par la
loi même) — lorsque la Cour d'appel admet, dans la décision attaquée,
le moyen de recours (Zulassungsrevision) ; elle doit le faire si la décision
tranche une question de principe, notamment si elle déroge à la
jurisprudence de la cour suprême (art. 546 ZPO).
Mais toutes ces différences n'affectent pas la parenté de nature des
deux recours : la Cour de cassation et le tribunal de révision sont, tous
les deux, de véritables juridictions (21), établies non seulement dans
l'intérêt des justiciables, mais même et surtout dans l'intérêt public : la
fonction primordiale des cours suprêmes, c'est le maintien de Y unité du
droit, gage d'une distribution égale et constante de la justice (22) (23).
C'est cette nature commune de la cassation et de la révision qui
justifie une étude comparative concernant l'étendue du contrôle des
cours suprêmes, notamment sur l'aspect du problème de la délimitation
du pouvoir de contrôle de la Cour de cassation et du tribunal de
révision : la distinction dite du fait et du droit. La révision et la cassa-

(20) Cf. sur ce point, p. ex., Solus et Perrot, Droit judiciaire privé, t. I,
1961, noa 698 et s.
(21) En ce qui concerne le tribunal de révision, il l'a toujours été. La Cour
de cassation, à son tour, avait à l'origine une autre nature (cf. quant à
l'évolution de la cassation, p. ex., Plassard, Des ouvertures communes à cassation et
à requête civile, thèse Paris, 1924, p. 60 et s.). Aujourd'hui, cependant, sa nature
judiciaire n'est plus contestée ; cf., p. ex., Cornu et Foyer, Procédure civile, 1958,
p. 195 et s., Morel, Traité élémentaire de procédure civile, 1949, n° 101.
(22) Ainsi la doctrine dominante, soit en France, soit en Allemagne : cf.,
p. ex., d'une part, Morel, op. cit., n° 100, Cornu et Foyer, op. cit., p. 190 et s.
et Solus et Perrot, op. cit. supra note 6, n° 678 ; d'autre part, Schwinge, op. cit.
supra note 2, p. 26 et s., A. Blomeyer, Zivilprozessrecht, 1963, § 104 I, Lent et
Jauernig, Zivilprozessrecht, 12* éd., 1965, § 74 I et notamment Henke, Die
Tatfrage, 1966, p. 191 et s.
(23) En France, certains auteurs attribuent à la cassation, tout au plus, une
fonction disciplinaire ; cf., p. ex., Garsonnet et Cézar-Bru, Traité théorique et
pratique de procédure civile et commerciale, V éd., t. VI, n°* 341 et s., et Marty,
La distinction du fait et du droit, 1929, n°" 162 et 165. Cette conception n'est
cependant pas approuvée généralement. Elle est critiquée, p. ex., par Glasson,
Tissier et Morel, Traité théorique et pratique d'organisation judiciaire, de
compétence et de procédure civile, t. 3, n° 933 et Vizios, Etudes de procédure,
1956, p. 44 et s.
88 LES COURS SUPÉRIEURES EN RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE

tion (24) ne sont, en effet, ouvertes qu'en cas de violation de la loi.


Cela exige la distinction entre les questions de droit et les questions de
fait. La constatation erronée d'un fait n'intéresse les cours suprêmes qu'en
cas d'inobservation des règles de procédure.

Chapitre II

Remarques comparatives sur la distinction du fait et du droit


DEVANT LES JURIDICTIONS SUPRÊMES EN FRANCE ET EN ALLEMAGNE
1) La doctrine classique en France et en Allemagne.
a) En France, la jurisprudence et la doctrine ont, d'abord, restreint
nettement la notion de « violation de la loi ». Cette restriction provenait
d'une théorie développée notamment par le président Barris (25) et qui
se rattachait à la distinction entre les notions juridiques définies par
le législateur et celles qu'il emprunte au vocabulaire commun, sans les
définir autrement. Selon cette théorie, qui a influencé considérablement
la jurisprudence de la Cour de cassation, il y a seulement violation de
la loi lorsque le juge, par sa qualification, trahit une définition légale.
Lorsque la loi, au contraire, n'a pas précisé expressément la portée d'une
notion en la définissant par certains caractères, « les tribunaux n'ont pas
de loi à appliquer ; ils ne peuvent donc en violer aucune ».
Plus tard, on a généralement rejeté le conceptualisme basé sur la
distinction entre les notions définies et les notions indéfinies. Mais la
tendance originale de la Cour à délimiter strictement son contrôle sur les
juges du fond a été favorisée par une autre théorie, développée notamment
par M. Chenon (26). Le point de départ de cette théorie est la distinction
entre les notions légales ayant une signification précise et déterminée par
la loi et les notions légales comportant une certaine latitude
d'appréciation. Selon cette théorie, les magistrats de cassation ne peuvent
contrôler la légalité de la qualification des faits que dans le premier cas.
Pour les autres notions, au contraire, on nie la possibilité d'une opération
logique : l'attribution de la qualification est considérée comme le résultat
d'une appréciation morale en présence de l'ensemble des circonstances de
la cause ; la qualification est en pareil cas jugée comme inséparable de la
constatation de fait et, par conséquent, non susceptible de contrôle (27).

(24) Suivant une classification qui remonte à l'ancien droit, on distingue en


France généralement quatre causes d'ouverture : la violation de la loi stricto
sensu, l'incompétence et l'excès de pouvoir, l'inobservation des formes exigées
pour le jugement et la contrariété de jugements (cf. p. ex., Besson, V° « Cassation »,
Répertoire
n° 51, a souligné
de procédure
à justecivile,
titre que
n° 1367).
tous les
Mais
moyens
M. Marty,
de cassation
op. cit.sesupra
ramènent,
note 23,
en
définitive, à la violation de la loi.
(25) Cf. le texte d'une note rédigée par M. Barris en 1882, reproduit chez
de Chauveron, Du pouvoir de contrôle de la Cour de cassation, thèse Paris,
1908, pp. 17-20.
(26) Chenon, Origine, conditions et effets de la cassation, 1882.
(27) Cf. notamment Besson, op cit. supra note 24, n° 1559 avec des références.
ET LA DISTINCTION DU DROIT ET DU FAIT 89

b) En Allemagne, le tribunal de révision avait, en revanche, exercé


un contrôle beaucoup plus étendu.
Pour bien saisir le tracé de la ligne de démarcation originale, il faut
considérer la démarche par laquelle le juge remplit son office : dire le
droit dans le cas donné. Pour rendre la justice, le juge est obligé, d'une
part, de rechercher quels sont les faits qu'il doit, en l'espèce, tenir pour
constants et, d'autre part, quelle est la règle de droit applicable à cette
situation de fait, pour en déduire enfin sa décision. Or, on peut styliser
cette activité comme une opération syllogistique : la majeure du
syllogisme énonce la règle de droit, c'est-à-dire l'hypothèse légale et la
conséquence qui est attachée à cette règle. La mineure affirme ou nie que les
faits doivent en l'espèce être tenus pour constants et remplissent les
conditions nécessaires à l'application de la règle, qui forme la majeure.
La conclusion attribue aux faits concrets la conséquence juridique prévue
par la loi.
La doctrine classique (28) déterminait les limites du pouvoir de
contrôle exclusivement par ce conceptualisme syllogistique : le choix
de la règle applicable, sa compréhension et son interprétation, c'est-à-
dire toutes les questions de la majeure, sont des questions de droit. La
détermination des faits, première opération de la mineure, constitue un
ensemble de questions de fait. La Subsumtion, la qualification juridique
des faits, seconde opération de la mineure, est, dans son ensemble, une
question de droit, de même que la conclusion. Toute question de droit
est révisible, toute question de fait ne l'est pas.
2) L'évolution du pouvoir de contrôle de la cour suprême.
Les limites du pouvoir de contrôle des cours suprêmes ne sont,
cependant, pas restées constantes, ni en France, ni en Allemagne.
à) En France, on a aujourd'hui, en règle générale, reconnu que tout
problème de qualification est une question de droit, qu'il s'agisse de
notions définies ou non par la loi, que l'appréciation à faire soit juridique
ou morale. Mais la doctrine moderne dominante ne trace plus la
démarcation des questions révisibles et des questions non révisibles selon une
méthode logique seulement, mais surtout selon une méthode téléologique .
On prend en considération le fait que la fonction primordiale de la Cour
de cassation est de garantir l'unité du droit (29). La jurisprudence de
la Cour de cassation vaut comme exemple. Il importe donc que toutes
les questions pouvant servir de modèle aient accès à la juridiction suprême.
A la distinction entre les points de droit et les points de fait se substitue
la distinction des questions générales et des questions particulières (30).
« Le général est le domaine du tribunal suprême » (31).

(28) Cf. notamment Wach, « Die That- und Rechtsfrage bei der Revision im
Civilprozess », Juristische Wochenschrift, 1881, p. 73 et s.
(29) V. les références supra, note 22.
(30) Comp., en ce sens, notamment Marty, op. cit. supra note 23, nog 115
et s. et Maury, « La distinction du fait et du droit devant la Cour de cassation »,
Revue de droit international privé, 1931, p. 583 et s.
(31) Maury, loc. cit., p. 589.
90 LES COURS SUPÉRIEURES EN RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE

A partir de cette position, la jurisprudence et la doctrine


françaises modernes n'affirment pas seulement le pouvoir de la Cour de
cassation de réviser la qualification en cas de notions précises, mais
également lorsqu'il s'agit de questions imprécises (32). La raison en est,
selon le professeur Marty (33), que toute qualification entraîne
indirectement une définition de la notion légale — une définition sans doute
très souvent complexe et farcie de circonstances particulières, qui sont
celles de l'espèce envisagée, mais néanmoins une définition. La
pratique est considérée comme un facteur important du développement des
notions indécises.
Un exemple parfait en est fourni par la notion de faute, qui non
seulement n'est pas définie par la loi, mais paraît même peu
susceptible d'une définition précise à priori. En effet, de nombreux arrêts de
cassation ont d'abord admis que les juges du fond avaient un pouvoir
souverain pour statuer sur le point de savoir si le fait retenu était une
faute (34). Mais la jurisprudence n'a pas maintenu ce point de vue.
Selon une jurisprudence maintenant bien établie, il appartient à la Cour
de cassation de décider si le fait retenu présentait les caractères
juridiques d'une faute (35). La Cour de cassation étend son contrôle au
caractère même de la faute (qui peut être intentionnelle ou non
intentionnelle) et — après quelques flottements — à son degré de gravité
(faute lourde ou faute grave) (36). En préconisant la révisibilité de toute
qualification en principe, M. Marty enseigne cependant que les notions
indécises sont moins favorables que des règles précises au développement
du contrôle de la cour suprême. « L'imprécision des notions n'est pas
une raison pour exclure le contrôle. Mais, par son imprécision et sa
souplesse même, le mode de formulation du droit rend plus difficile, moins
efficace et moins utile l'intervention de la juridiction suprême » (37). En
dernière analyse, M. Marty laisse le pouvoir de déterminer les limites
du contrôle sur les juges inférieurs à la Cour de cassation elle-même. Le
soin de préciser le pouvoir d'examen est considéré comme une question
de « politique ■» de la Cour (38).
b) En France, nous venons de le voir, la Cour de cassation a
constamment élargi son pouvoir de contrôle. En Allemagne, à l'inverse,
on peut constater une nette tendance à restreindre les questions révisibles
— une tendance causée, last but not least, par le fait que les tribunaux
de révision, l'ancien Reichsgericht et maintenant le Bundesgerichtshof,
ont été chroniquement encombrés par des demandes en révision.
On s'en souvient, la doctrine classique avait distingué les questions

(32) Marty, loc. cit., n° 118 et s., Maury, loc. cit., p. 586.
(33) Marty, loc. cit., n° 115.
(34) Besson, op. cit. supra note 24, n° 1926.
(35) Comp. les références chez Besson, loc. cit., n° 1928.
(36) Comp. les références chez Besson, loc. cit., n° 1930.
(37) Marty, loc. cit., n° 118 in fine.
(38) Marty, loc. cit., n° 165. Dans le même sens Gény, Méthode
d'interprétation et sources en droit privé positif, n° 18.
ET LA DISTINCTION DU DROIT ET DU FAIT 91

de droit et les questions de fait selon une méthode logique : la méthode


syllogistique. Toute question de droit était considérée comme question
révisible, toute question de fait, au contraire, comme question
soustraite à l'examen du tribunal de révision. La doctrine moderne et la
jurisprudence n'ont pas maintenu cette ligne de démarcation. Plusieurs
auteurs nient même la possibilité de séparer franchement le fait du droit.
Selon eux, toute démarcation précise est, par des moyens logiques,
impossible (39). Ces auteurs substituent la méthode logique par une
méthode téléologique. La doctrine dominante, à l'inverse, soutient la théorie
classique comme point de départ (40), mais elle comble les lacunes de
la méthode logique par une vue téléologique (41). En effet, les deux
opinions signifient une certaine restriction du champ d'investigation du
tribunal suprême : en tenant compte de l'idée maîtresse de l'institution
de révision, de sa fonction uniformatrice, on soustrait toujours certaines
questions autrefois considérées comme révisibles du pouvoir de contrôle
du tribunal suprême.
La soustraction la plus évidente a lieu, sans doute, lorsqu'il s'agit
de la Subsumtion des faits donnés sous des notions légales indécises.
Certes, comme en France, la plupart des auteurs affirment que, en
principe, une telle Subsumtion est aussi susceptible d'un contrôle du tribunal
suprême (42). Mais il est hors de discussion qu'une analyse téléologique
orientée vers la fonction uniformatrice de la révision a pour résultat
d'exclure le contrôle de la cour suprême dans certains cas (43).
L'essai le plus remarquable pour fixer les limites du pouvoir de
révision du tribunal suprême en cette matière est l'ouvrage du professeur
Henke (44). Il affirme nettement, en principe, la possibilité de la
distinction entre les questions de droit et les questions de fait. Il ne reconnaît
l'impossibilité de discerner la constatation des faits et leur appréciation
juridique pour des raisons linguistiques que dans les cas rares dans
lesquels le juge doit apprécier des impondérables selon son impression
personnelle. Il s'agit là d'hypothèses dans lesquelles il est plus ou moins
impossible au juge de « traduire » son impression, faute d'un clavier
suffisant de la langue humaine, en des notions autres que synonymes à
celles choisies par le législateur comme « faits » de la disposition légale
en cause (45). De plus, M. Henke, en principe partisan de la méthode

(39) Ainsi, notamment, Schwinge, op. cit. supra note 17, p. 52 et s. ; Hanack,
Der Ausgleich divergierender Entscheidungen in der oberen Gerichtsbarkeit, 1962.
p. 142 ; Kuchinke, Grenzen der Nachprüfbarkeit tatrichterlicher Würdigung und
Feststellungen in der Revisionsinstanz, 1964, p. 67 et s.
(40) Cf. Scheuerle, « Beiträge zum Problem der Trennung von Tat- und
Rechtsfrage », Archiv für civilistische Praxis, vol. 157 (1958/59), p. 1 et s. ;
Engisch, « Le fait et le droit en droit allemand », in Le fait et le droit, ouvrage
collectif publié par le Centre national de recherches de logique belge, 1961,
p. 368 et s. et notamment Henke, Die Tatfrage, 1966, p. 187 et s.
(41) Comp. notamment Henke, loc. cit., p. 261 et s.
(42) Cf., p. ex., Schwinge, op. cit. supra note 17, p. 118 et s.
(43) Cf., p. ex., Schwinge, op. cit. supra note 17, p. 118 et s.
(44) Op. cit. supra note 40.
(45) Henke, loc. cit., p. 177 et s.
02 LES COURS SUPÉRIEURES EN RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE

de distinction logique, soustrait à l'examen de la cour suprême, par le


moyen d'une réduction téléologique, toute question de droit lorsque son
examen par cette juridiction ne sert pas au maintien de l'unité du droit.
Pour trancher la question de savoir si la décision du tribunal de révision
peut servir ou non à cette fin, il analyse d'abord le raisonnement
juridique en cas d'application de notions imprécises (46) : selon lui
l'application des notions indécises s'effectue, elle aussi, par une opération syllo-
gistique. Mais, et voilà la particularité, le syllogisme juridique, dans un
tel cas, ne constitue qu'un syllogisme « assoupli » : les prémisses de la
majeure du syllogisme, formulées d'une manière élastique, n'indiquent
que la direction de la Subsumtion à faire dans la mineure. Pour arriver
à la concrétisation de la majeure formulée d'une manière vague, il faut
recourir à des décisions préjudicielles dans des cas semblables. La
Subsumtion s'effectue donc par voie de Case Analysis. Partant de cette
compréhension du mode d'application des notions indécises, M. Henke
n'affirme pas seulement la révisibilité de toute interprétation de la notion
indécise (47), mais également la révisibilité de la Subsumtion des faits
donnés sous une telle notion au fur et à mesure que le cas en question
doit être tranché selon des critères généraux, c'est-à-dire lorsque le juge
rend la justice stricto sensu « sans acception de personne »
(spezialisierende Rechtsfindung) (48). En ce cas, la décision vaut comme
exemple : elle éclaircit la majeure du syllogisme et rend possible
l'application de la méthode de la Case Analysis. D'autre part, la Subsumtion
n'est pas révisible lorsque la décision ne peut servir de modèle. Selon
notre auteur, il y a absence de fonction exemplaire dans les cas suivants :
1 ° lorsque le juge fonde sa décision sur des circonstances
particulières
2° lorsque
purement
l'arrêt
locales
est (49)
basé ; nécessairement sur des impondérables de

l'impression
3° lorsque
personnelle
le juge du
applique
juge (50)
une; notion légale constituant soit un
degré parmi des intensités diverses (Begriffe des Grades) (51), telle que
la faute grave (52), soit une mesure seulement relative (Begriffe des
Masses), telle que le rapport de causalité réciproque en cas de dommage,
question déterminante en cas de coresponsabilité de la victime du
dommage4°(art.
lorsque
254 BGB)
la cause
(53)
est ; tranchée selon les critères individuels, c'est-à-
dire lorsque le juge doit, en dernière analyse, rendre la justice, dans un
sens bien strict, « avec acception de personne » (individualisierende

(46) Henke, loc. cit., p. 94 et s.


(47) Henke, loc. cit., p. 258 et s.
(48) Henke, loc. cit., p. 256 et s.
(49) Henke, loc. cit., p. 273 et s.
(50) Henke, loc. cit., p. 275 et s.
(51) Henke, loc. cit., p. 279 et s.
(52) Ainsi la jurisprudence constante, comp., p. ex., Bundesgerichtshof, BGHZ
(Recueil officiel) 10, p. 14. 17. Avis contraire cependant, p. ex., Maniok,
Zeitschrift für Zivilprozess, 60 (1936/37), p. 353.
(53) Henke, loc. cit., p. 288 et s.
ET LA DISTINCTION DU DROIT ET DU FAIT 93

Rechtsf inciting), par exemple, lorsque, en matière de divorce, le juge doit


décider si les faits incriminés constituent ou non une violation grave
de devoirs et obligations résultant du mariage (54).
Dans tous ces cas, le juge du fond jouit d'un pouvoir d'appréciation
(Beurteilungsspielraum) quoique, selon l'idée de la loi, celle-ci ne souffre
qu'une solution. La Subsumtion est, selon M. Henke, seulement révisible
lorsqu'il y a un vice en ce qui concerne la méthode de Subsumtion ou
lorsque la Subsumtion est viciée à l'évidence (55).

Conclusion

En République Fédérale d'Allemagne, la Cour constitutionnelle


fédérale, qui est le gardien de la Constitution, est une cour contrôlant les
faits et le droit. Les hautes cours des juridictions civile, pénale et
administrative décident généralement comme cours de révision. Ce moyen
de recours est, en principe, limité aux violations du droit. Le demandeur
en révision doit, pour que son recours soit recevable, invoquer soit une
erreur in procedendo soit une erreur in judicando.
Ainsi, nous pouvons constater que la révision allemande et la
cassation française ont une base commune. Elles ne concernent, en principe,
que le contrôle de l'application du droit. Mais, à l'origine, la Cour de
cassation française avait bien limité son champ d'investigation. La Cour
ne révisait que l'application des notions dites définies, c'est-à-dire la
qualification des faits qui ne demandaient pas une appréciation dite morale.
A l'inverse, en Allemagne, toute interprétation de la notion légale et toute
Subsumtion des faits constatés sous la notion légale étaient considérées
comme révisibles, la nature de la notion légale était sans importance.
Une vue téléologique du problème — la prise en considération du fait
que le rôle dominant de la cassation ou de la révision est d'assurer l'unité
du droit — fournissait de nouveaux résultats. En France, on affirme
aujourd'hui l'extension du pouvoir de contrôle de la Cour de cassation à
l'application des notions dites indéfinies et indécises dans la mesure où
la cassation peut favoriser la fonction uniformatrice. En Allemagne, la
prise en considération de cette fonction primordiale de la révision
comportait une restriction du pouvoir de contrôle. Ainsi nous pouvons
constater un rapprochement réciproque des deux droits nationaux.
En pratique, il y a, certes, encore des différences. Il y a même des
divergences de sorte qu'une question autrefois considérée comme
soustraite an contrôle de la cour lui est aujourd'hui soumise en France,
tandis qu'elle ne l'est pas en Allemagne. L'exemple de la notion de
faute grave en est une preuve. Mais, pour la plupart, les résultats déve-

(54) Henke, loc. cit., p. 294 et s.


(55) Henke, loc. cit., p. 260 et 269 et s.
94 LES COURS SUPÉRIEURES EN RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE

loppés par les droits nationaux sont identiques ou au moins très proches
l'un de l'autre. Il est probable que le processus d'assimilation continuera.
Le droit comparé pourrait le favoriser (56).

(56) Cette étude ne pouvait pas aborder tous les problèmes relatifs à la
délimitation du pouvoir de contrôle des cours suprêmes dans les deux pays. Ainsi nous
avons laissé de côté, notamment, la question de la révision de l'interprétation des actes
juridiques
n°' 144 etprivés s., d'autre
(cf. sur
part,
ce point,
p. ex., d'une
Manigk,
part,« p.Die
ex.,Revisibilität
Marty, op. der
cit. Auslegung
supra note von
23,
Willenserklärungen », in Reichsgerichts-Festschrift, 1929, t. VI) et la question de
la révisibilité de la loi étrangère (comp., p. ex., Dölle, « De l'application du
droit étranger par le juge interne », Revue critique de droit international privé,
1955, p. 246 et s. et Zajtay, Contribution à l'étude de la condition de la loi
étrangère en droit international privé français, 1958, et, du même auteur, Zur Stellung
des ausländischen Rechts im französischen internationalen Privatrecht, 1963).

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