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J. Habscheid Walther. Les cours supérieures en République Fédérale d'Allemagne et la distinction du fait et du droit devant les
juridictions suprêmes en France et en Allemagne. In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 20 N°1, Janvier-mars 1968.
pp. 79-94;
doi : https://doi.org/10.3406/ridc.1968.19008
https://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_1968_num_20_1_19008
CHAPITRE I
un tel Etat, la puissance étatique est répartie entre l'Etat fédéral, d'une
part, et les Etats membres, d'autre part. Cette répartition concerne
également l'administration de la justice.
Pour cette raison, l'article 92 de la Constitution de Bonn, qui
attribue le pouvoir judiciaire aux tribunaux, distingue : les tribunaux des
Länder, c'est-à-dire des Etats membres, d'une part, et les tribunaux de
l'Etat fédéral, d'autre part. Pour les tribunaux de l'Etat fédéral, la
Constitution prévoit les Bundesgerichte (tribunaux fédéraux), les Obere
Bundesgerichte (cours supérieures fédérales), le Oberstes Bundesgericht
(Cour suprême fédérale) et le Bundesverfassungsgericht (Cour
constitutionnelle fédérale) (art. 93-96 a GG). Mais, jusqu'à ce jour, la Cour
suprême fédérale, dont la tâche sera de garantir, entre les différents
tribunaux supérieurs, l'unité du droit sur le territoire de la République
Fédérale, n'a pas encore été constituée. On ne pense plus à l'institution
d'une cour permanente mais d'un tribunal composé de membres des
tribunaux supérieurs, qui se réunissent lorsqu'un cas doit être réglé. En
laissant à part du reste les tribunaux fédéraux simples — il s'agit des
Bundesdisziplinarkammern (tribunaux disciplinaires fédéraux), des Wehr-
strafgerichte (tribunaux militaires) (2) et du Bundespatentgericht
(Tribunal fédéral compétent en matière de brevets d'invention) — nous
pouvons limiter notre aperçu à la Cour constitutionnelle fédérale et aux
tribunaux supérieurs fédéraux.
A) Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale).
La Cour constitutionnelle fédérale est actuellement le plus haut
tribunal de la République Fédérale. Elle décide en première et dernière
instance en tant que gardienne de la Constitution. Etant donné que la
Loi fondamentale contient des dispositions à observer par
l'administration et par tous les tribunaux, la Cour constitutionnelle fédérale surveille
ainsi la jurisprudence des tribunaux supérieurs.
La compétence du Bundesverfassungsgericht est réglée dans l'article
93 GG : elle s'étend aux litiges entre l'Etat fédéral et ses organes et les
pays membres ou entre les Länder de la Fédération. Ici, la Cour est un
organe constitutionnel comme le Parlement, le Président de la Fédération
et le Gouvernement ; mais il s'agit d'un organe qui décide dans les formes
de la justice.
En outre, la Cour constitutionnelle fédérale est compétente dans les
autres litiges prévus par la Loi fondamentale et par d'autres lois. Voici
deux exemples, qui, d'ailleurs, concernent les cas les plus importants.
Le premier est réglé par l'article 100 GG. Ici on doit distinguer
trois hypothèses :
1° si un tribunal estime qu'une loi est contraire à la Constitution,
il doit suspendre le procès et demander l'avis de la Cour constitutionnelle
fédérale
2° s'il
; est douteux qu'une règle du droit international fasse partie
(2) Les Wehrstrafgerichte, prévus par l'art. 96 a al. 2 GG, n'ont pas encore
été constitués.
ET LA DISTINCTION DU DROIT ET DU FAIT 81
du droit interne et qu'elle crée des devoirs et des droits pour une partie,
le juge doit suspendre le procès et demander à la Cour constitutionnelle
de statuer3° si ; la cour constitutionnelle d'un Land veut interpréter la Loi
fondamentale contrairement à une décision de la Cour constitutionnelle
fédérale ou de la cour constitutionnelle d'un autre Land, elle doit prier
la Cour constitutionnelle fédérale de se prononcer. Elle doit aussi
solliciter l'avis de cette Cour dans le cas de l'interprétation d'une loi fédérale
s'opposant à une décision d'une cour supérieure (ou de la Cour suprême).
En pratique, la première hypothèse est la plus importante.
Le deuxième exemple concerne la Verfassungsbeschwerde (recours
en matière constitutionnelle) réglée dans les articles 90 et suivants
BVerfGG (3).
En vertu de cette loi, celui qui se prétend lésé par les pouvoirs
publics, dans ses droits garantis par la Constitution, dispose d'un recours
de droit constitutionnel. Mais, en règle générale, il doit épuiser toutes
les instances inférieures. Le recours en matière constitutionnelle n'est donc
recevable qu'après épuisement des voies de recours ordinaires.
Cependant, la Cour constitutionnelle peut admettre une exception lorsqu'il est
nécessaire de prévenir un préjudice pour le demandeur.
L'importance de la Cour constitutionnelle est donc évidente. Ce
tribunal a, pour citer deux exemples, déclaré contraire à la Constitution
(c'est-à-dire contraire à l'article 3 alinéa 2 GG, qui stipule l'égalité entre
les époux) et nul l'article 1628 BGB (4), qui donnait au mari le pouvoir
de décider en cas de désaccord avec sa femme (Stichentscheid des
Ehemannes) (5).
En ce qui concerne le second exemple, le droit fiscal prévoyait, en
République Fédérale, l'imposition des revenus de la famille. En
conséquence, les époux devaient payer des impôts plus lourds qu'un homme
et une femme célibataires. La Cour constitutionnelle fédérale a décidé
que cette règle violait la Loi fondamentale qui stipule, dans son article 6
alinéa 1, que l'Etat doit toute sa protection au mariage et à la famille (6).
Etant donné que les droits individuels les plus importants ont, en
règle générale, des racines constitutionnelles, on peut dire que la Cour
constitutionnelle fédérale est bien la Cour suprême de la République
Fédérale.
La Cour constitutionnelle fédérale statue toujours sur le droit et
les faits. Elle peut ainsi ordonner toute enquête qu'elle juge nécessaire
(art. 26 BVerfGG). Elle peut entendre des témoins et des experts (art. 28
BVerfGG). Sa décision lie tous les organes constitutionnels de la
République fédérale et des Länder et tous les tribunaux ainsi que Padministra-
tion. Dans les cas les plus importants, l'arrêt a force de loi
{Gesetzeskraft) ; il doit être publié au Journal Officiel (art. 31 BVerfGG).
B) Obere Bundesgerichte (Cours supérieures fédérales).
Le tableau des cours supérieures fédérales se présente de la manière
suivante :
Bundesgerichtshof (BGH) : compétence : droit civil et droit pénal ;
Bundesarbeitsgericht (BArbG) : compétence : droit de travail ;
Bundesverwaltungsgericht (BVerwG) : compétence : droit administratif ;
Bundessozialgericht (BSozG) : compétence : assurances sociales, droit
social ;
Bundesfinanzhof (BFinH) : compétence : droit fiscal.
A l'exception du Bundesgerichtshof, les quatre autres cours
supérieures n'exercent de contrôle que sur la jurisprudence des tribunaux des
Länder car la juridiction inférieure, exercée par les tribunaux de première
instance et les cours d'appel, relève de la compétence des Etats membres.
Quant au BGH, il contrôle, en règle générale, les tribunaux des Länder ;
mais il est aussi cour supérieure pour le Tribunal fédéral des brevets
d'invention (art. 96 a GG). Enfin, il est même, nous allons le voir, dans
un cas précis, juridiction du premier degré.
Quant à la distinction tribunal du fait et tribunal du droit, il faut
discerner :
a) La Cour fédérale (BGH), qui est compétente en matière civile
et en matière pénale, tranche exceptionnellement, dans deux cas, des
questions de fait et des questions de droit, à savoir :
1° Certains litiges concernant les brevets d'invention. Le BGH statue
comme cour d'appel chargée du contrôle des jugements rendus en
première instance par le Bundespatentgericht (art. 41 p, 42 PatG) (7). Il ne
s'agit ici que de la Nichtigkeitsklage (action en nullité) de l'article 13 PatG
et de deux autres cas réglés dans l'article 15 PatG (Rücknahmeklage et
Zwangslizenzklage). En ce qui concerne les procès normaux relatifs, par
exemple, aux violations des brevets d'invention (actions en dommage-
intérêts), c'est le Landgericht qui est le tribunal de première instance.
Ainsi le BGH sera, dans ces cas, tribunal de révision contrôlant l'arrêt
de Y Oberlandesgericht en tant que cour d'appel.
Il s'agit donc d'une exception dans le cas où le BGH fonctionne
comme cour d'appel. Cette exception s'explique par le fait que le
Bundespatentgericht, tribunal fédéral, contrôle comme tribunal de première
instance l'Office des brevets d'invention, qui est une administration de
la Fédération.
2° Au pénal le BGH est compétent en premier et dernier ressort
pour les délits du droit pénal politique (art. 134 GVG) (8), par exemple :
actes tendant à séparer une portion du territoire national pour la rattacher
à un autre pays ou visant à porter atteinte, par la force, à la Constitution
ou au Gouvernement (Hochverrat und Verfassungsverrat), attentat contre
(16) Cf., p. ex., Stein, Das private Wissen des Richters, 1893, p. 108.
(17) Cf., p. ex., Schwinge, Grundlagen des Revisionsrechts, T éd., 1960,
p. 41 et s.
(18) L'institution du pourvoi en cassation dans l'intérêt de la loi n'a pas de
pendant en droit judiciaire allemand.
(19) En cas d'erreur in procedendo, le demandeur en révision est également
tenu d'invoquer les faits prouvant la violation de la règle processuelle : art. 554
Zivilprozessordnung.
ET LA DISTINCTION DU DROIT ET DU FAIT 87
de renvoi qu'en cas de second renvoi (20). Enfin, il faut mettre en relief
les différences en ce qui concerne les conditions de recevabilité des deux
moyens de recours : par la cassation, on ne peut recourir que contre des
décisions rendues en dernier ressort et lorsque tous les autres moyens ont
été épuisés. Quant à la révision, cette règle reste valable ; mais elle est
tempérée par le système de la Sprungrevision, qui permet aux parties de
passer directement de la première instance à la procédure de
révision (art. 566 a ZPO). D'autre part, en France, le pourvoi en cassation
est, en principe, recevable contre tout jugement définitif rendu en
dernier ressort. La révision, au contraire, n'est accordée que pour les litiges
d'une certaine valeur (actuellement 15 000 DM; Streitwertrevision) ou
— abstraction faite des deux cas de l'article 547 ZPO (admission par la
loi même) — lorsque la Cour d'appel admet, dans la décision attaquée,
le moyen de recours (Zulassungsrevision) ; elle doit le faire si la décision
tranche une question de principe, notamment si elle déroge à la
jurisprudence de la cour suprême (art. 546 ZPO).
Mais toutes ces différences n'affectent pas la parenté de nature des
deux recours : la Cour de cassation et le tribunal de révision sont, tous
les deux, de véritables juridictions (21), établies non seulement dans
l'intérêt des justiciables, mais même et surtout dans l'intérêt public : la
fonction primordiale des cours suprêmes, c'est le maintien de Y unité du
droit, gage d'une distribution égale et constante de la justice (22) (23).
C'est cette nature commune de la cassation et de la révision qui
justifie une étude comparative concernant l'étendue du contrôle des
cours suprêmes, notamment sur l'aspect du problème de la délimitation
du pouvoir de contrôle de la Cour de cassation et du tribunal de
révision : la distinction dite du fait et du droit. La révision et la cassa-
(20) Cf. sur ce point, p. ex., Solus et Perrot, Droit judiciaire privé, t. I,
1961, noa 698 et s.
(21) En ce qui concerne le tribunal de révision, il l'a toujours été. La Cour
de cassation, à son tour, avait à l'origine une autre nature (cf. quant à
l'évolution de la cassation, p. ex., Plassard, Des ouvertures communes à cassation et
à requête civile, thèse Paris, 1924, p. 60 et s.). Aujourd'hui, cependant, sa nature
judiciaire n'est plus contestée ; cf., p. ex., Cornu et Foyer, Procédure civile, 1958,
p. 195 et s., Morel, Traité élémentaire de procédure civile, 1949, n° 101.
(22) Ainsi la doctrine dominante, soit en France, soit en Allemagne : cf.,
p. ex., d'une part, Morel, op. cit., n° 100, Cornu et Foyer, op. cit., p. 190 et s.
et Solus et Perrot, op. cit. supra note 6, n° 678 ; d'autre part, Schwinge, op. cit.
supra note 2, p. 26 et s., A. Blomeyer, Zivilprozessrecht, 1963, § 104 I, Lent et
Jauernig, Zivilprozessrecht, 12* éd., 1965, § 74 I et notamment Henke, Die
Tatfrage, 1966, p. 191 et s.
(23) En France, certains auteurs attribuent à la cassation, tout au plus, une
fonction disciplinaire ; cf., p. ex., Garsonnet et Cézar-Bru, Traité théorique et
pratique de procédure civile et commerciale, V éd., t. VI, n°* 341 et s., et Marty,
La distinction du fait et du droit, 1929, n°" 162 et 165. Cette conception n'est
cependant pas approuvée généralement. Elle est critiquée, p. ex., par Glasson,
Tissier et Morel, Traité théorique et pratique d'organisation judiciaire, de
compétence et de procédure civile, t. 3, n° 933 et Vizios, Etudes de procédure,
1956, p. 44 et s.
88 LES COURS SUPÉRIEURES EN RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE
Chapitre II
(28) Cf. notamment Wach, « Die That- und Rechtsfrage bei der Revision im
Civilprozess », Juristische Wochenschrift, 1881, p. 73 et s.
(29) V. les références supra, note 22.
(30) Comp., en ce sens, notamment Marty, op. cit. supra note 23, nog 115
et s. et Maury, « La distinction du fait et du droit devant la Cour de cassation »,
Revue de droit international privé, 1931, p. 583 et s.
(31) Maury, loc. cit., p. 589.
90 LES COURS SUPÉRIEURES EN RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE
(32) Marty, loc. cit., n° 118 et s., Maury, loc. cit., p. 586.
(33) Marty, loc. cit., n° 115.
(34) Besson, op. cit. supra note 24, n° 1926.
(35) Comp. les références chez Besson, loc. cit., n° 1928.
(36) Comp. les références chez Besson, loc. cit., n° 1930.
(37) Marty, loc. cit., n° 118 in fine.
(38) Marty, loc. cit., n° 165. Dans le même sens Gény, Méthode
d'interprétation et sources en droit privé positif, n° 18.
ET LA DISTINCTION DU DROIT ET DU FAIT 91
(39) Ainsi, notamment, Schwinge, op. cit. supra note 17, p. 52 et s. ; Hanack,
Der Ausgleich divergierender Entscheidungen in der oberen Gerichtsbarkeit, 1962.
p. 142 ; Kuchinke, Grenzen der Nachprüfbarkeit tatrichterlicher Würdigung und
Feststellungen in der Revisionsinstanz, 1964, p. 67 et s.
(40) Cf. Scheuerle, « Beiträge zum Problem der Trennung von Tat- und
Rechtsfrage », Archiv für civilistische Praxis, vol. 157 (1958/59), p. 1 et s. ;
Engisch, « Le fait et le droit en droit allemand », in Le fait et le droit, ouvrage
collectif publié par le Centre national de recherches de logique belge, 1961,
p. 368 et s. et notamment Henke, Die Tatfrage, 1966, p. 187 et s.
(41) Comp. notamment Henke, loc. cit., p. 261 et s.
(42) Cf., p. ex., Schwinge, op. cit. supra note 17, p. 118 et s.
(43) Cf., p. ex., Schwinge, op. cit. supra note 17, p. 118 et s.
(44) Op. cit. supra note 40.
(45) Henke, loc. cit., p. 177 et s.
02 LES COURS SUPÉRIEURES EN RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE
l'impression
3° lorsque
personnelle
le juge du
applique
juge (50)
une; notion légale constituant soit un
degré parmi des intensités diverses (Begriffe des Grades) (51), telle que
la faute grave (52), soit une mesure seulement relative (Begriffe des
Masses), telle que le rapport de causalité réciproque en cas de dommage,
question déterminante en cas de coresponsabilité de la victime du
dommage4°(art.
lorsque
254 BGB)
la cause
(53)
est ; tranchée selon les critères individuels, c'est-à-
dire lorsque le juge doit, en dernière analyse, rendre la justice, dans un
sens bien strict, « avec acception de personne » (individualisierende
Conclusion
loppés par les droits nationaux sont identiques ou au moins très proches
l'un de l'autre. Il est probable que le processus d'assimilation continuera.
Le droit comparé pourrait le favoriser (56).
(56) Cette étude ne pouvait pas aborder tous les problèmes relatifs à la
délimitation du pouvoir de contrôle des cours suprêmes dans les deux pays. Ainsi nous
avons laissé de côté, notamment, la question de la révision de l'interprétation des actes
juridiques
n°' 144 etprivés s., d'autre
(cf. sur
part,
ce point,
p. ex., d'une
Manigk,
part,« p.Die
ex.,Revisibilität
Marty, op. der
cit. Auslegung
supra note von
23,
Willenserklärungen », in Reichsgerichts-Festschrift, 1929, t. VI) et la question de
la révisibilité de la loi étrangère (comp., p. ex., Dölle, « De l'application du
droit étranger par le juge interne », Revue critique de droit international privé,
1955, p. 246 et s. et Zajtay, Contribution à l'étude de la condition de la loi
étrangère en droit international privé français, 1958, et, du même auteur, Zur Stellung
des ausländischen Rechts im französischen internationalen Privatrecht, 1963).