Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
························
Andrew Drzemczewski*
Chef de Service des questions juridiques et des droits de l’homme
à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Dans plusieurs de ses écrits et en particu- tobre 2010, le Président de la Commission des
lier dans ses interventions devant les juridictions questions juridiques et des droits de l’homme
suprêmes des pays membres, Jean-Paul Costa, de l’Assemblée a cité un exemple intéressant. La
Président de la Cour européenne des droits de Cour de Strasbourg a conclu dès 1979, dans l’arrêt
l´homme, a souvent souligné l’importance de Marckx c. Belgique, que les enfants nés hors ma-
l’autorité de la chose interprétée (res interpretata) riage ne devaient souffrir d’aucune discrimina-
attachée aux arrêts de la Cour. Même si les Etats tion. Or le droit français était discriminatoire sur
non concernés directement par les arrêts n’ont pas ce point. Mais les modifications nécessaires n’ont
l’obligation de s’y conformer, en réalité, de plus en été apportées à la législation française qu’après
plus de pays cherchent à devancer une éventuelle la condamnation de la France par la Cour dans
condamnation à Strasbourg en s’adaptant à la ju- l’affaire Mazurek c. France, en 2000! La position
risprudence de la Cour de Strasbourg. Ce qui fait, de la Cour sur cette question était évidente dès
au moins de facto, que l’autorité des arrêts de la 1979 et les victimes de cette discrimination ont
Cour de Strasbourg joue un rôle non négligeable, donc perdu 20 ans pour parvenir au même résul-
même pour les Etats non parties au litige. tat, tandis que la Cour de Strasbourg a été saisie
Quelle est la position de la Cour de Stras- pendant des années d’un contentieux inutile.
bourg sur ce sujet? Peut-on dire, qu’elle est de- Ce type de cas ne devrait pas se produire.
venue moins ‘timide’ dans ce domaine? Outre Si on se base sur le fait que l’objectif commun de
l’obiter dictum dans le paragraphe 154 de la Cour l’ensemble des Parties à la CEDH , fixé par son
de Strasbourg, dans l’affaire Irlande c. le Royau- article premier, est de “reconnaître” les droits et
me-Uni de 1978 – cité très souvent1 – deux affai- libertés définis au titre de la Convention, les vio-
res récentes méritent d’être citées. Dans l’affaire lations des droits de l’homme doivent d’abord et
Opuz c. Turquie, en 2009, la Cour a dit “[…] avant tout être évitées. Dans ce contexte, il ne
gardant à l’esprit qu’elle a pour tâche de donner faut pas oublier que la Cour de Strasbourg est la
une interprétation authentique et définitive des seule instance investie du pouvoir d’interpréter
droits et libertés énumérés dans le titre I de la la Convention. L’article 19 de la Convention ne
Convention, la Cour doit déterminer si les auto- fait aucun doute à ce sujet. L’autorité de la chose
rités nationales ont dûment pris en compte des interprétée (res interpretata) attachée aux arrêts
principes découlant des arrêts qu’elle a rendus de la Cour ne doit pas être confondue avec les
sur des questions similaires, y compris dans des effets juridiquement contraignants – opposables
affaires concernant d’autres Etats” (§ 163). Encore aux tiers (erga omnes) – que n’ont pas les arrêts
plus récemment, en 2010, dans l’affaire Rantsev de la Cour de Strasbourg. En vertu de l’article 46
c. Chypre et Russie, la Grande Chambre a claire- de la Convention, les arrêts ont force obligatoire
ment indiqué que “Les arrêts de la Cour servent pour les Parties (inter partes) ; l’autorité de la
en effet non seulement à statuer sur les affaires chose interprétée découle des articles 1 et 19 de
dont elle est saisie, mais plus généralement à cla- la Convention, et non de l’article 46. Cette com-
rifier, sauvegarder et étoffer les normes de la Con- pétence n’est d’ailleurs pas contestée. Cela a été
vention, contribuant ainsi au respect par les États réaffirmé sans ambiguïté à Interlaken, en février
des engagements pris par eux en leur qualité de 2010, quand les Etats membres s’engageaient à
Parties contractantes” (paragraphe 197).2 “Tenir compte des développements de la ju-
Lors de son intervention à la conférence risprudence de la Cour, notamment en vue de
de Skopje sur le principe de subsidiarité, en oc- considérer les conséquences qui s’imposent
11
Revista do Instituto Brasileiro de Direitos Humanos, v. 11, n. 11, 2011.
Andrew Drzemczewski
12
Quelques Réflexions sur L’autorité de la Chose Interprétée par la Cour de Strasbourg
NOTES
13