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UNIVERSITATEA DIN CRAIOVA UNIVERSITÉ LYON III

Centrul de Studii asupra Imaginarului şi Institut de Recherches Philosophiques


Raţionalităţii “Mircea Eliade” de Lyon

SYMBOLON
16

Imaginaire de la guerre

Coordinateurs

Ionel Bușe Jean-Jacques Wunenburger

2023
Directeur: Ionel Bușe
Rédacteur en chef: Cătălin Stănciulescu
Rédacteur adjoint: Petrișor Militaru
Rédacteurs: Marian Bușe, Adi Petru Danciu, Lialiana Danciu, Maria
Dinu, Ilona Duță, Marius Cristian-Ene, Ion Hirghiduși, Andreea Iliescu,
Ion Munteanu, Lazăr Popescu, Adi G. Secară.
Comité scientifique
Sorin Alexandrescu (Université d'Amsterdam, directeur CESI, Université de
Bucarest)
Alberto Filipe Araüjo (Université du Minho, Braga, Portugal)
Corin Braga (Université Babeș-Bolyai, Cluj, directeur CCI et viceprésident
CRI2i)
Ionel Bușe (Université de Craiova, directeur CSIR « Mircea Eliade »)
Catarin Sant'Anna (Université Fédérale de Bahia, Brésil et LLSETI-Université
Savoie Mont Blanc, France)
Anna Caiozzo (Université d’Orléans)
Jean Libis (Président d’honneur de l'Association Internationale «Gaston
Bachelard»)
Blanca Solares (UNAM, Mexico)
Bruno Pinchard (Université Lyon III, directeur du Centre de Circulation des
Idées)
Jean-Pierre Sirroneau (Université Pierre Mendès de Grenoble, professeur
émérite)
Joël Thomas (Université de Perpignan, professeur émérite)
Jean-Philippe Pierron (Faculté de Philosophie, Université Bourgogne)
Jean-Jacques Wunenburger (Université Lyon III, professeur émérite, ancien
dirécteur de l'Institut de Recherches Philosophiques de Lyon et du Centre «
Gaston Bachelard » de Dijon, président de l'Association Internationale «Gaston
Bachelard» et de l'Association des Amis de Gilbert Durand, président CRI2i)
Gheorghe Vladutescu (Université de Bucarest, professeur émérite, ancien
viceprésident de l'Academie Roumaine)

VOLUMUL A FOST TIPĂRIT CU SPRIJINUL


CASEI DE CULTURĂ „TRAIAN DEMETRESCU”
DIN CRAIOVA

ISSN 1843 – 4843


ISBN : 978-2-36442-097-7
EAN: 9782364420977 EDITIONS UNIVERSITAIRES DE LYON

Livre imprimé en Roumanie


Typographie Aius PrintEd, Rue Pascani n°9, Craiova, Dolj, 200151
http://aius.ro/
L'Imaginaire de la guerre |3

SOMMAIRE

Préface 5
Virgile, la guerre, et la violence éternelle
Joël THOMAS 9
Représentations agonales dans l'élégie érotique latine
Ilona DUȚĂ 26
The Apocalypse - from Fear to Indifference
ADI PETRU DANCIU 41
The War against Witches. A Durandian Reading Grid
MARIA DINU 53
Narration des revenantes féminines et leur souffrance: «Kangdo mongyu
rok» (Voyage en rêve à l’île de Kanghwa)
HYUN-SUN DANG, AREFEH HOSSEINI 64
Roger Caillois, ou le vertige de la guerre
VALERIA CHIORE 82
Orient and (literary) Orientalism - from the eternal conflict with
the West to the peace of (modern and contemporary) literature
ADI-GEORGE SECARĂ 98
La guerre intérieure de René Daumal, comme antidote pour la guerre
extérieur
MARIUS CRISTIAN ENE 108
Victor Brauner: an Identitary Dichotomy Sublimated in the Tension of
The Surrealist Double
PETRIȘOR MILITARU 116
Poutine et l’imaginaire impérial de la guerre
IONEL BUȘE 125
Imaginaires de la guerre en Ukraine dans la presse colombienne
MIGUEL ANGEL GOMEZ MENDOZA 136

Centre de Recherches sur l’Imaginaire et la Rationalité « Mircea


Eliade ». Parutions. Thèmes abordés
158
L'Imaginaire de la guerre |5

PRÉFACE

La guerre, comme le meurtre l’est au niveau individuel, est un


phénomène de tuerie collective, offensive ou défensive, que l’humanité
n’est pas encore parvenue à éradiquer depuis la préhistoire. Elle varie
selon les forces en présence, leur armement, leur mobilisation et
motivation, leur degré d’hostilité, idéologique ou passionnelle et son
aboutissement (bilan humain et territorial, etc.). Indépendamment de cette
dimension factuelle, toute guerre active des affects, images, symboles ou
mythes, sur fond d’une expérience intense de dramatisation des relations
entre la vie et de la mort.
Ce volume de Symbolon se propose, loin des théorisations
militaire, politique et morale habituelles, d’illustrer quelques facettes de
ces imaginaires de la guerre, à travers des époques différentes de
l’histoire et une diversité de cultures, en privilégiant moins des
observations objectives sur le terrain, que des récits, historiques,
fictionnels, oniriques, poétiques, qui en restituent l’expérience,
l’interprétation, les leçons, les idéaux. Ils permettent de situer les guerres
entre des groupes humains dans une catégorie générique d’imaginaires,
celui de la lutte, de l’antagonisme, de l’affrontement entre opposés,
propre au régime diurne et diaïrétique des images, dégagé par Gilbert
Durand (Les structures anthropologiques de l’imaginaire, A. Colin,
2016). Les langues et les mythes des anciens grecs ont d’ailleurs mis en
avant et en scène les catégories d’agôn, d’eris, de polemos, qui
s’appliquent non seulement aux groupes humains, mais aux dieux, à
l’ordre cosmique, aux idées et aux mots et qui forment une structure
archaïque et universelle d’évènements et d’actions contraires aux états de
paix, d’harmonie, de fusion.
L’antiquité se rappelle à nous à travers l’œuvre de Virgile, dont
Joël Thomas reconstitue l’évolution de ses rapports à la guerre, à partir de
leur expression fondatrice dans l’Iliade et l’Odyssée, réécrits par le poète
romain. Animé au commencement par un pacifisme mythifié par le
bucolique Age d’or, le poète se fait avec le temps le témoin lucide mais
accablé des guerres de l’époque d’Auguste, pour finir sa vie en pessimiste
désabusé.
Ilona Duta choisit de suivre le schème de l’agôn grec, qui inspire
sport et théâtre sous forme de compétition, de recherche de gloire, à
6 | GILBERT DURAND

travers l’élégie romaine, qui en dérive sous forme d’une version


décadente.
Avec l’avènement du christianisme, l’agonistique se retrouve dans
le grand récit apocalyptique de saint Jean, qui va structurer pour des
siècles le thème de l’attente d’un retour du Christ sur terre au terme de
mille ans (millénium), prélude de la fin violente des temps, dont on peut
restituer les motivations psychologiques dans une perspective jungienne.
Maria Dinu convoque un riche imaginaire de la violence
exterminatrice à propos des chasses aux sorcières, une des formes de
l’inquisition médiévale. On y retrouve, héritées de l’imaginaire féminin
païen, une structure diurne durandienne, de guerre contre toute force
maléfique, démoniaque, satanique. Cette guerre entre les chrétiens
(guerriers de la lumière) et les sorcières (alliées du Diable) n'a pas
seulement lieu au niveau social, mais devient une guerre entre
l'imaginaire solaire des héros du bien et de l'imaginaire lunaire
préchrétien, associé au mal et donc digne d'être puni et éliminé.
Une toute autre version de l’imaginaire féminin victime de
violence se trouve dans l’imaginaire littéraire coréen, analysé par Hyun
Sun Dang et Arefeh Hosseini. Les grands récits de rêves de femmes
revenantes, témoins des guerres des 16è et 17 siècles contre les Japonais
et Chinois, sont autant de variations sur cette expérience typiquement
coréenne du « han », ce sentiment douloureux suscité par la honteuse
violence guerrière.
Une seconde série de textes examine l’expérience de la guerre
travers des œuvres individuelles du monde moderne. Valeria Chiore
rappelle combien Roger Caillois, dont l’œuvre inclassable apporte un
éclairage original sur les imaginaires sociaux, est passé d’une
effervescence activiste en faveur d’une violence sacrée, durant les années
du Collège de sociologie, d’avant-guerre, à une interprétation des
phénomènes généraux de « vertige », avant de conclure aux horreurs de
Bellone, qui accompagnent les guerres modernes.
Adi-Georges Secara revient sur la catégorie d’ « orientalisme »
dans le traitement littéraire des thèmes, notamment de la violence, en
l’illustrant à travers de nombreux auteurs, avant de l’appliquer à la
littérature roumaine d’Eliade ou de Calinescu.
Marius Christian Ene nous initie à l’œuvre atypique, ésotérique,
déroutante de René Daumal, qui diagnostique les figures totalitaires
modernes de l’extermination, en invitant in fine à se replier sur une guerre
intérieure de l’esprit, seule parade contre la guerre collective.
L'Imaginaire de la guerre |7

Petrisor Militaru propose d’étudier la guerre intérieure, une sorte


de schizoidie dualistique chez un peintre juif roumain, V. Brauner, que la
seconde guerre mondiale a obligé à s’exiler en France où il s’engage dans
une esthétique surréaliste, ouverte en fait sur un fantastique qui plonge
dans ses racines biographiques.
Le volume ne pouvait ignorer l’actualité des nouveaux récits de
guerre suscités par l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Ionel Buse
montre combien le récit biographique de la vie de Poutine prépare et
donne à comprendre l’enchainement des évènements historiques,
inséparables des grands mythes politico-messianiques de l’orthodoxie ; et
Michel Angel Gomez Mendoza, d’origine colombien, dépouille la presse
colombienne récente pour recenser les multiples interprétations de la
guerre, qui viennent renforcer ou subvertir le grand récit dominant de
l’affrontement du bien et du mal.
Ainsi la guerre, loin de se limiter à une forme familière et
scandaleuse de violence sociale et politique, plonge ses racines dans un
imaginaire symbolique de la lutte, qui peut structurer toutes sortes
d’expression de l’esprit humain, en étant accompagné autant par une
exaltation de la force (belliciste, polémologique) que par une répulsion
devant les séquelles monstrueuses et funestes. Cette ambivalence de
l’agonistique et de l’éristique explique peut-être pourquoi la guerre stricto
sensu, née du mythe, ne parvient jamais à disparaitre au profit d’une paix
sans violence, qui se révèle toujours une utopie.
Nous tenons à remercier les chercheurs qui ont collaboré à ce
volume ainsi que la Maison de la Culture « Traian Demetrescu » -
TRADEM qui a contribué à sa parution.

Jean-Jacques Wunenburger Ionel Buse


L'Imaginaire de la guerre |9

VIRGILE, LA GUERRE, ET LA VIOLENCE ÉTERNELLE

Joël THOMAS 1

Abstract Virgil's death, the circumstances of which are not well known, could be
associated with his refusal to endorse Augustus' politics by offering him the
Aeneid as a war poem, telling the foundation of Rome. This is why, after having
tried to find a political justification for war, his nostalgia for the non-violent
Arcadia described in the Bucolica, and his disappointment with the results of
Augustus' reign, would have led him to paint an uncompromising and hopeless
picture of violence in the Aeneid, and perhaps even to want to destroy his epic
poem so that it would not serve as propaganda for an imperialist power.

Keywords: Virgil, violence, war, sacrifice, imperialism, Arcadia,


disappointed dream

« Eros et Thanatos, les deux ennemis profonds et inséparables (chacun portant


l’autre en lui) qui continuent plus que jamais leur lutte terrifiante. »
(E. Morin, La Méthode V – L’humanité de l’humanité, Paris, Seuil, 2001, p. 259).

« Et maintenant, il y a lieu d’attendre que l’autre des deux puissances célestes,


l’Eros éternel, tente un effort afin de s’affirmer dans la lutte qu’il mène contre
son adversaire non moins immortel. »
(Freud, excipait de Malaise dans la civilisation, P.U.F., 1971)

En 19 av. J.-C., Virgile meurt à Brindes, le onzième jour des Calendes


d’Octobre. Officiellement, il est mort d’une insolation, contractée en voulant se
rendre sur les sites qu’il avait décrits dans l’Énéide, et qu’il n’avait jamais vus.
La légende, rapportée par son biographe Servius, est belle : après avoir créé le
personnage d’Énée, ce héros solaire et initiatique, qui va de Troie à Rome,
d’Orient en Occident, en suivant la trajectoire du soleil, Virgile serait lui-même
mort à cause du soleil et de ses feux, dans un embrasement, nouvel Empédocle,
nouvel Hercule, dont le destin fusionne avec sa créature imaginaire. Mais les
choses ne semblent pas si simples. Car le même Servius nous rapporte que
Virgile, lorsqu’il fut proche de mourir, demanda avec insistance que l’on brulât
l’Énéide. La critique s’accorde à considérer – à la suite du livre d’Hermann
Broch, La Mort de Virgile2 – que cette dernière volonté serait celle d’un créateur
et d’un styliste insatisfait de son œuvre. Mais le doute subsiste : et si le motif de
Virgile était la déception, si son principal grief était qu’Auguste, le Princeps
n’avait pas restauré l’Âge d’Or, et que, de plus en plus, son règne s’était appuyé
sur cette violence éternelle que Virgile espérait abolir ?

1
Pr. émérite à l’université de Perpignan-Via-Domitia (France). – CRESEM E.A. 7397
2
Paris, Gallimard « L’Imaginaire » 2016 (1e éd. 1955).
10 | SYMBOLON 16

On en a un indice sérieux dans le dernier épisode de l’Énéide, celui sur


lequel se ferme l’épopée : la mort de Turnus. En ce moment, qui devrait
consacrer l’alliance des Troyens et de Latins, on est gêné par l’attitude d’Énée. Il
tue Turnus dans un geste de colère, et presque de déraison, hors de lui, bouillant
de rage, fervidus (XII, 951). On est étonné de cette perte de contrôle de soi, de
cette violence qui aurait dû être dépassée. La critique a apporté une réponse : le
récit de l’Énéide est associé à un monde ancien, héritier d’une très vieille
civilisation, avec ses codes et ses lois : Troie, où l’aristie était reine, où l’exploit
individuel l’emportait sur la stratégie collective. Dans ce contexte, une valeur
privilégiée, c’est l’amitié entre deux guerriers, celle qui les lie dans un pacte de
loyauté jusque dans la mort, comme Achille et Patrocle, comme Nisus et
Euryale, comme Énée et Pallas, et il faut dire qu’il y a bien de la beauté dans ce
lien amical infrangible et immarcescible, cette façon de porter l’amitié au-delà
de toutes les autres valeurs. C’est pour cette raison qu’Énée n’accèderait pas à la
demande de Turnus de lui faire grâce : en tuant Pallas, un enfant, en se parant de
ses dépouilles, Turnus a enfreint les codes de la chevalerie troyenne. Quant à
Énée, il se doit, au nom de l’amitié, de venger son ami. Alors même que le chef
troyen fait souvent preuve de compassion, il ne peut donc, dans ce cas, que se
montrer impitoyable. Nous assistons au choc de deux formes de
Weltanschauung, de deux codes de la vie et de l’honneur. À la fin de l’Énéide,
c’est le code guerrier, le vieux code de Troie qui parle. Une mémoire ancienne
remonte et se substitue au Zeitgeist plus complexe et plus civilisé3 de l’alliance.
Comme l’écrit Jacques Perret : « Aux derniers vers de l’Énéide, Virgile nous
impose l’évidence d’un souvenir oublié qui rejaillit et qui, en un sens opposé à
tout ce qu’on pouvait raisonnablement prévoir, entraîne tout. »4
Mais on peut pencher vers une autre interprétation, qui serait plus en
accord avec l’histoire personnelle et intime de Virgile. Il a passé toute sa vie
dans la violence : guerres civiles, guerre servile, guerres extérieures ; il en a été
lui-même la victime : pendant un temps, ses terres ont été occupées par un
vétéran. Tout ceci l’a mûri, fatigué aussi. Dans une certaine mesure, il a
transposé son expérience dans celle d’Énée. À mesure qu’il avance, Énée prend
en compte le malheur des temps, la souffrance des individus, il porte un regard
réaliste sur le monde qui l’entoure. Dans ce contexte, il découvre que le mal ne
peut s’extirper de la psyché humaine. Ce serait être naïf que de vouloir le nier.
Où l’homme va-t-il chercher ces inépuisables réserves de sauvagerie, de haine,
de désirs de conquête, de domination, de destruction ? C’est devant ce constat
que Virgile, pour ne pas tricher, nous décrit un Énée capable de trébucher.
Il y a pire, si je puis dire. Virgile est un idéaliste. Il a cru en un sauveur, un
homme providentiel, qui restaurerait l’esprit de l’utopie arcadienne dans la terre
italienne, qui redonnerait leur place aux traditions et aux vertus d’antan. Cet

3
Cf. Brooks Otis, Virgil. A Study in Civilized Poetry, Oxford, Oxford University Press, 1964.
4
Jacques Perret, Virgile, Énéide, Collection des Universités de France, Paris, Les Belles Lettres,
1980, p. 259-260.
L'Imaginaire de la guerre | 11

homme, c’était Octave, qui se présentait d’ailleurs explicitement comme tel,


comme le « nouveau Romulus ». Mais quand la politique d’Octave, devenu
Auguste, s’est révélée dans son réalisme, Virgile a vu qu’Auguste était un
homme politique comme les autres, voire, un dictateur. Et il en a été
profondément déçu, au point de ne plus vouloir cautionner un tel régime, qui
avait dévalué et travesti son rêve d’impérialité en impérialisme ordinaire et
brutal. D’où sa demande de détruire l’Énéide.
Dans l’Énéide, la mort de Turnus soulignait l’échec d’Énée. La mort de
Pallas va dans le même sens. Fils d’Evandre l’Arcadien, et allié d’Énée, Pallas
intervient dans des combats décisifs et dangereux, alors même qu’il est tout
jeune, et qu’il n’a pas d’expérience. Pourtant, Evandre l’avait confié à Énée.
Mais, stratégiquement parlant, Énée n’a pas bien défendu Pallas, et il est en
partie responsable de sa mort. Qui plus est, il utilisera la mort de Pallas comme
un prétexte pour verser le sang. Et pourtant, Pallas l’Arcadien « avait en lui le
sens de cette patria qui l’a nourri, et il incarnait mieux qu’Énée le syncrétisme
des origines arcado-italiques. Mais les dieux en ont décidé autrement. Avec
Énée, ils ont choisi le parti de la force. […] Mais que reste-t-il d’arcadien à ses
Romains martiaux ? Virgile, le poète de l’Arcadie cisalpine, pouvait-il accepter
ce choix ? N’est-ce pas ce qui lui donnait envie de brûler l’Énéide ? »5
Pour mieux comprendre tout cela, revenons en arrière.
Les Bucoliques
Dans le monde de violence où il grandit, Virgile est un doux, un poète, un
non-violent. Finalement, il a cherché partout dans le monde, pour lui et pour les
autres, le bonheur qu’il avait connu enfant dans les prairies de son enfance, où le
bruissement des abeilles est devenu comme la musique même du Paradis ; sur ce
point, il est révélateur que le Paradis tel qu’il le décrit au VIe livre de l’Énéide
soit précisément à l’image des plaines bordant son Mincio natal :
« Un bois solitaire, des halliers bruissants, et le fleuve Léthé qui
arrose ce paisible séjour. Sur ses rives voltigeaient des nations et des
peuples innombrables, comme dans les prairies, sous la lumière sereine de
l’été, les abeilles se posent sur les fleurs diaprées et se déploient autour de
la blancheur des lys ; et toute la plaine bourdonne de leur murmure. » (VI,
703-9, trad. A. Bellessort)

Virgile prête à ce décor surréel les traits du plus heureux décor dont un
homme puisse rêver, celui qui alimente son imaginaire, celui d’où sont absents
les signes de la violence, où tout est harmonie, amour, bonheur paisible : le vert
paradis d’un beau jour d’été de son enfance, dans la lumière, le bourdonnement
paisible des abeilles, au milieu des fleurs. Dans ce contexte, le paysage devient

5
Cf. Franck Collin, L’invention de l’Arcadie. Virgile et la naissance d’un mythe, Paris, Champion,
2021, p. 724, 726.
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un état d’âme, le pays que décrit Virgile n’est pas fait pour les géographes6 :
c’est celui du désir, mêlé de regret et de nostalgie, mais apte aussi à saisir la
qualité de l’instant éternel : passé, futur et présent réunis en une heureuse
éternité. Il fait bon, on ne sue pas, le temps n’existe pas. Les corps se distinguent
à peine du monde végétal dans lequel ils sont plongés, et qui les entoure de
sollicitude : Tityre est nonchalant comme une plante, à l’ombre de son hêtre.
C’est le Sud chanté par Nino Ferrer : «On dirait le Sud/ Le temps dure
longtemps/ Et la vie sûrement/ Plus d'un million d'années/ Et toujours en été. »
Mais, pour les Anciens, c’est surtout, et d’abord, le monde utopique de l’Arcadie
heureuse, comme une forme de survivance de l’Âge d’Or primordial7. Dans cette
vision holiste du monde, tout n’est que douceur, dépassement de
l’ensauvagement, perçu comme enlisement dans la bestialité et dans le mal qui
en découle. En ceci, comme l’a excellemment dit B. Otis8, être arcadien, c’est
avant tout être « civilisé ». Dans ce contexte, le chant est à la violence ce que
l’insulte est au coup, selon Freud : une sublimation. Et cette alchimie ne peut
s’opérer que dans un cadre de paix : pour paraphraser Edgar Morin, entre la
certitude de l’amour et l’incertitude du risque, les bergers des Bucoliques ont
choisi la certitude de l’amour.
Mais Virgile tombe mal : la fin de la République romaine est une des
périodes les plus convulsives, les plus violentes qui soient. Alors, il rêve, et il se
met à l’écart : il écrit les Bucoliques. Pour Virgile, dans les Bucoliques, l’état de
berger n’est pas un état social, mais métaphysique. En ceci, le poète mantouan se
souvenait de son séjour à Naples, et des leçons de son maître Siron. Il était
probablement venu à Naples, vers 45 ou 44, pour chercher un cadre où mettre en
pratique l’enseignement du philosophe épicurien. En ceci, l’Arcadie des

6
À l’appui, je ne prendrai qu’un exemple, et je l’emprunterai à un grand poète, Jean
Giono. Car qui peut mieux parler d’un poète qu’un autre poète ? Giono, avec raison, réclame pour
Virgile le droit à habiter un « ailleurs », à reconstruire le réel à travers son propre imaginaire. On
en revient aux hêtres, et au fameux sub tegmine fagi de la première Bucolique. Des critiques
pédants et bas de plafond se sont insurgés parce que, dans les plaines virgiliennes, il ne pouvait y
avoir de hêtres, dont les botanistes nous disent qu’ils n’apparaissent qu’en altitude, au-delà de
mille mètres. Giono dénonce cette castration de l’imaginaire du poète : « De sérieux alpinistes ont
beau prétendre qu’il n’y a pas de hêtres à Mantoue, et même fort loin de Mantoue, et que,
cependant, le menteur a écrit sub tegmine fagi. Non. Ici, il a mis les murs enfumés des fermes des
collines, là les saules rouges, là les plaines lombardes, là les vieux hêtres que les alpinistes ne
voient qu’à partir de 1.100 mètres d’altitude ; il les a mis à côté de son Mincio frangé de roseaux,
et c’est lui qui a raison. […] Et l’autre qui s’obstine au nom de la raison et d’on ne sait quoi de
scientifique à prétendre que les hêtres ne poussent qu’à partir de 1.100 mètres. Non mon ami ! Sub
tegmine fagi où que je sois, même au fond de la fosse des Kouriles. Voilà la poésie ! Ainsi autour
de cette neuvième et de cette première églogue qui sont le centre des Bucoliques, il passe trois ans
à mettre des hêtres, des bergers, des chevreaux, des fromages, du lait, du miel, des eaux claires et
des vents légers dans le tumulte qui déchire son pays. » (Jean Giono, Les pages immortelles de
Virgile, Paris, Buchet-Chastel, 1960, p. 12.)
7
Pour une étude exhaustive de ce thème de l’Arcadie latine, qui représente en même temps le
dernier état de la question, cf. Franck Collin, op. cit.
8
Brooks Otis, op. cit.
L'Imaginaire de la guerre | 13

Bucoliques, « c’était la société idéale de poètes rustiques où chacun pouvait


trouver, à l’écart des bouleversements brutaux, et sans se laisser engloutir par la
machine politique en train de naître, les raisons de son bonheur. »9. On dit même
qu’il se serait constitué autour de Virgile, dont la notoriété commençait à
poindre, une société d’«amis», qui constituait une sorte de phalanstère amical,
où être berger, c’était se fixer un idéal de vie fraternel et chaleureux, dans un
groupe qui se tenait délibérément à l’écart de la vie politique, et se contentait de
peu : « Chante les vastes domaines, mais cultives-en un petit. » (Géorg. II, 412).
Être berger, cela voulait dire refuser un certain nombre de valeurs citadines : la
brigue, l’ambition, la violence qui va avec... On pense aux trois choix (qui sont
aussi trois refus) de la poésie élégiaque de Tibulle ou de Properce : paupertas, le
refus de la richesse matérielle, inertia, le refus de la participation civique, civile
ou militaire, et infamia, le refus de la gloria, du prestige social et du souci d’être
« quelqu’un ».
C’est sans doute là un des sens profonds de l’engagement des bergers : la
paix, le refus de la violence. On comprend alors la profondeur d’un vers
comme : « La charrue n’a plus les honneurs qu’elle mérite » (Géorg., I, 506-
507). Par-delà son apparente banalité, prônant la nécessité sociale et politique
d’un retour à la terre, il est suivi d’un autre, qui l’éclaire : « et les faux
recourbées sont fondues pour devenir épées rigides » (Géorg., I, 508) : ces
forges-là sont perverses, car elles inversent le processus civilisateur, qui va de la
violence vers la paix, de la guerre vers l’alliance. L’idéal vers lequel tend
l’œuvre de Virgile, c’est bien l’établissement sur terre d’une paix héritée de
l’Âge d’or ; elle est, dans le domaine social et relationnel, l’équivalent de la
musique dans la poésie virgilienne : harmonie, souplesse, coïncidence des
contraires. Properce, Tibulle, le diront un peu plus tard, sous une forme plus
provocante vis-à-vis de la société romaine, plus réaliste aussi, Properce allant
jusqu'à faire l’éloge de l’ivrogne, car dans son inertia et son infamia, il est le
non-violent par excellence, il ne souhaite que la fête, la musique et l’amour, et
avec un tel programme il est assuré de ne nuire à personne :
« Oh ! si nous n’avions tous d’autre désir que de couler une pareille
existence, que de rester étendus, accablés sous le poids du vin, il n’y aurait
point d’armes cruelles ni de navires de guerre ; les flots d’Actium ne
rouleraient pas nos os et Rome, qu’assiègent de toutes parts ses propres
triomphes tant de fois répétés, Rome ne serait point lasse de dénouer ses
cheveux10. » (Élégies, II, XV, v. 41-46, trad. D. Paganelli).
Les Géorgiques
Mais un jour, on est chassé du paradis, par le malheur des temps et l’actualité
politique, ou parce que l’amour s’est fait cruel. Il faut partir et se quitter soi-
même, en quête d’un âge d’or pour tous. Écoutons encore Nino Ferrer: « Un jour

9
Jean Paul Brisson, Virgile, son temps et le nôtre, Paris, Maspero, 1980., p. 79.
10
En signe de deuil.
14 | SYMBOLON 16

ou l'autre il faudra qu'il y ait la guerre/ On le sait bien/ On n'aime pas ça, mais on
ne sait pas quoi faire/ On dit c'est le destin// Tant pis pour le Sud/ C'était
pourtant bien/ On aurait pu vivre/ Plus d'un million d'années/ Et toujours en été.»
Peut-être l’homme, chassé de son paradis d’enfance, et plongé dans la
violence, trouvera-t-il alors son bonheur par le travail, un travail collectif, sur
une terre nourricière. Cela nous conduit au deuxième moment dans l’œuvre
virgilienne : les Géorgiques. Le berger des Bucoliques avait conscience d’être le
monde. Le paysan des Géorgiques, lui, a conscience d’être dans un monde qu’il
modèle et qu’il ordonne, qu’il s’approprie, tout en respectant la nature. C’est une
autre façon de dépasser la violence, non plus en restant un marginal, mais en
s’inscrivant dans le jeu social, en devenant un proche de celui qui apparaît
comme le sauveur : Auguste. Il ne s’agit plus alors de s’évader de la violence,
mais de la maîtriser. Là aussi, l’imaginaire virgilien résonne avec le nôtre. Car
cette maîtrise, c’est bien aussi un des enjeux de notre temps. Le grand problème
écologique qui s’impose à notre société, Virgile l’a déjà posé : comment vivre en
harmonie avec la Nature, sans la piller, mais en lui demandant les ressources
dont nous avons besoin ? Le monde des Géorgiques est, d’abord, une mise en
ordre de la nature, au profit d’un projet qui fasse passer la condition humaine du
monde sauvage au monde civilisé, d’une nourriture sauvage à une récolte
maîtrisée des nourritures de l’homme : le blé, la vigne, l’huile ; et à un élevage
maîtrisé des animaux devenus domestiques. C’est la contrainte qui cintre, forge,
aménage, greffe et fait passer de l’état sauvage à celui de cosmos, d’ordre
harmonieux dans une civilisation. Elle le fait par un travail lent, dur, opiniâtre,
comme la marche des bœufs (Géorg. I, 167). Mais, chez Virgile, cette contrainte
est toujours, si l’on ose risquer le mot, écologique : elle n’arrache rien à la
nature ; elle est ferme, mais pas brutale, comme le seraient à la fois la main d’un
père et celle d’une mère ; c’est bien ce double rôle qu’assume l’agricola vis-à-
vis des animaux domestiques, et de la nature ambiante en général. Les maîtres-
mots s’organisent alors autour de deux notions complémentaires ; « tailler » et
« assembler », l’une relevant d’un régime « diurne » et clivé de l’image, l’autre
participant d’un régime « nocturne » relationnel et fusionnel, selon la
terminologie de Gilbert Durand. Dans les deux cas, le but est le même : élever,
fortifier, inculquer un apprentissage. Alors que les bergers des Bucoliques
louaient la nature et la paix, les agriculteurs des Géorgiques créent cette paix (p.
500). L’Âge d’Or n’y est pas donné, il couronne une vie d’adulte, au terme
d’une lutte (p. 525). Dans l’Énéide, Latinus, Évandre représentent toujours cet
idéal du « bon roi » pacifique et respectueux de la justice et des libertés. Mais
qu’en sera-t-il d’Énée ?
L’Énéide
Quand il écrit l’Énéide, Virgile a grandi, mûri, et pris conscience du
malheur des temps, et de ce qu’on peut appeler, après M. de Unamuno, le
sentiment tragique de la vie. Ce drame dépasse celui de la guerre. Il pose le
L'Imaginaire de la guerre | 15

problème de la tragédie existentielle qui frappe la condition humaine. Car il y a


pire que la guerre : l’idée qu’elle n’arrive que parce que les hommes la font, et
que donc, les hommes sont mauvais, le mal est intérieur à l’homme, il s’exprime
à travers les pulsions, les forces obscures, les zones d’ombre qui poussent
l’homme au pire. Devant ce constat, est-il possible que la paix assure aux
hommes la stabilité politique ? C’est l’enjeu initial de l’Énéide.
C’est là où l’on peut dire que, dans l’Énéide, Virgile va plus loin que dans
ses œuvres précédentes. Il nous propose une lecture alternative, qui soit le
contrepoint de ces forces du Mal : une lecture de type initiatique, où l’on monte
vers la lumière plutôt que de descendre dans les ténèbres. C’est cette maturation
personnelle qui pousse Virgile à écrire l’Énéide, comme un « chant du monde »,
qui se voudrait optimiste sur les capacités de l’homme à dépasser les forces
obscures qui sont en lui, et qui le dévorent. Dans l’Énéide, et à travers une
lecture initiatique11, on découvre des valeurs qualitatives : la protection des plus
fragiles, l’altruisme, le compagnonnage, l’amitié, la coopération, l’alliance, le
dévouement, le sacrifice, comme autant de traits d’une sorte d’idéal de
chevalerie spirituelle. Ce sera un contrepoint aux forces du mal, qui devrait être
assez fort pour montrer qu’on peut les dépasser, non pas tellement en cherchant
à les étouffer en soi, mais en développant des vertus contraires.
Virgile a subi la guerre, il ne l’a pas faite lui-même. En ceci, il est bien
éloigné d’Homère12. L’auteur de l’Iliade, lui, avait sans doute fait la guerre ; en
tout cas, il la connaissait bien, et il parle avec respect, voire avec passion, de
cette « vie courte » du guerrier, vie courte mais pleine de gloire, kléos, par
opposition à la « vie longue » faite de bonheur matériel. Rien de tel chez Virgile.
Alors, comme nous le disions en préambule, pourquoi le « doux Virgile », celui
qu’on appelait Parthenias, la « jeune fille », nous parle-t-il de la guerre et de la
violence, dans l’Énéide ? La critique s’en est émue, et en est souvent arrivée à la
conclusion que Virgile haïssait la guerre (comme Properce ou Tibulle qui, lui,
l’avait faite), et qu’il n’en parlait que pour la condamner. C’est l’opinion
d’André Bellessort : « De tous les héros épiques, Énée est le plus humain. Il fait
la guerre parce qu’il y est forcé, mais il a horreur de verser le sang. »13. Un des
derniers éditeurs de l’Énéide, Sylvie Laigneau, est encore plus radicale : « Ce
que nous montre avant tout Virgile, c’est l’horreur de la guerre et de sa
boucherie. »14 C’est sans doute vrai, mais, nous allons le voir, les choses sont un
peu plus compliquées, et l’attitude de Virgile est plus ambivalente, cette
ambivalence étant elle-même signifiante.
11
Cf. J. Thomas, Structures de l’imaginaire dans l’Énéide, Paris, Les Belles Lettres, 1981 (-2ème
édit. 2021, revue et augmentée, avec une nouvelle préface et une bibliographie actualisée, en accès
libre sur Books Google et Open Editions : https://books.openedition.org/lesbelleslettres/8409.
12
Nous parlons d’«Homère» par commodité : on le sait, l’Iliade et l’Odyssée n’ont sans doute pas
été écrites par un seul auteur, mais bien plutôt par une communauté d’aèdes. Il n’en est pas moins
qu’il y a une unité dans l’imaginaire de chacune deux œuvres.
13
Virgile, Énéide, éd. A. Bellessort, Paris, Les Belles Lettres1964, tome II, note 5 p. 66.
14
Virgile, Énéide, éd. Sylvie Laigneau, Paris, L.G.F., 2004, p. 27.
16 | SYMBOLON 16

On l’a dit, Virgile a toujours vécu dans la violence. Il avait de bonnes


raisons pour cela ; toute la première moitié de sa vie s’était passée dans les
guerres : guerre civile, mais aussi guerres extérieures, guerre sociale (contre
Spartacus), et même guerre contre les pirates ; la fin de la République romaine
est un chaos plein de bruit, de fureur et de violence, une époque déchirée et
convulsive. La sensibilité de Virgile le conduit donc d’abord, peut-être plus
qu’un autre, à ressentir comme une obscénité cette « déchirure hétérologique »
de la guerre, celle qui nous met en face de l’homme comme d’un être bien plus
redoutable que l’animal, parce que plein de perversité, de méchanceté, emporté
par un délire de violence, mélange de folie, d’absurdité, et de bêtise ; ce visage
même de l’homme qui faisait dire à Edgar Morin : « Par-delà la distinction entre
homo sapiens et homo demens, seule la réserve m’a retenu d’adjoindre une
troisième catégorie, homo deconans. »15. Avec l’usure du temps, et les épreuves
personnelles (même si la confiscation de son domaine n’a pas mis sa vie en
danger), il est difficile d’échapper au pessimisme, à l’idée d’une violence
éternelle qui courbe les hommes sous sa loi. Le Mal semble être partout. En
apparence, il est extérieur à l’homme : la violence, la cruauté, la guerre, sont
perçues comme des fléaux frappant l’humanité. On comprend mieux alors le
sens de ce que la critique a parfois décrit comme une description monotone des
affrontements, dans les six derniers livres de l’Énéide : cette répétition est le
symbole de ce joug inexorable de la violence. En même temps, Virgile a inséré
dans son récit des focalisations, où il nous montre différemment l’horreur de la
guerre, en insistant sur les vies qu’elle détruit, les drames qu’elle engendre.
Voyons cela plus en détail.
Dans ce phantasme d’horreur éprouvé par un civilisé, un raffiné même,
devant la bestialité, la guerre est d’abord dite comme summum de la
dilapidation, de la consumation, du désordre. Dire la guerre, c’est à proprement
parler décrire un scandale, au sens étymologique : ce qui fait sortir l’humanité de
la route droite de son éthique, ce qui la fait trébucher. C’est aussi une aporie, tant
l’horreur est indescriptible. Et enfin, c’est un découronnement de l’épique, qui
ne parvient pas à cacher le sordide ; sur ce plan, décrire la guerre, c’est, pour
risquer une comparaison triviale, comme dire ce qu’il y a dans les saucisses :
l’image de la « victoire en chantant » n’y résiste pas. Dans l’Énéide, il n’y a plus
cet éclat sauvage et cette trouble séduction de l’Iliade. Le point de vue de
l’observateur se déplace, et le carnage, le saccage, caedes, succèdent aux
aristies. Sur ce plan, la description du sac de Troie, au livre II de l’Énéide, n’est
qu’une suite ténébreuse de massacres, d’incendies, d’outrages, de désespoir des
innocents, dans un monde où plus rien n’est respecté, où les hommes sont
comparés à des loups : « Ainsi tels des loups ravisseurs dans le brouillard et dans
la nuit, …nous courons au milieu des flèches et des ennemis. » (Énéide, II, 355-
358).

15
Edgar Morin, La Méthode, V, Paris, Le Seuil, 2001, p. 142.
L'Imaginaire de la guerre | 17

La frénésie, la folie meurtrière n’épargnent pas non plus l’Italie, lors des
combats des livres VII-XII. Virgile a su rendre par l’écriture ce vertige de la
violence, ces sinistres moissons de mort : à travers même le côté répétitif, la
monotonie des descriptions stéréotypées des massacres, il donne à voir
l’anonymat monstrueux de la guerre, comme machine à tuer, et comme déni de
l’humanité. La guerre fauche aveuglément, refuse à l’homme son statut
d’individu. Elle est aussi un vertige de violence : à travers le recours
obsessionnel aux images de culbute, de cabriole tragique, à travers la récurrence
de l’emploi du terme volvere, « rouler » : les guerriers, les chevaux, « roulent
dans la mort » (X, 590 ; XI, 633-635 ; 640 ; 646 ; Euryale « roule dans la mort »,
volvitur leto , IX, 433). Dans un monde où l’aequilibritas, l’équilibre, est la
science de l’acrobate et l’idéal du sage, la mort est décrite comme culbute
tragique, perte de la symétrie vitale. De même, lorsque la folie s’empare de la
reine Amata, elle tourne comme une toupie, turbo, à travers la ville (VII, 378
sq.) : à travers les répétitions révélatrices, l’obsession se fait jour. Elle trouve son
corollaire cosmique dans les scènes de tempêtes, avec les images de tourbillon,
vortex, de trombe, turbo, de torrents déchaînés ; et son équivalent psychologique
dans l’évocation de la folie (celle de Didon, celle d’Amata), cette autre glissade
dans la déraison. En ceci, la guerre est dispersion, dévoiement, comme le
naufrage de la folie de Didon, comme la noyade de Palinure : régression dans
l’indifférencié de l’océan anonyme, perte dans l’immensité de la sauvagerie
originelle. De surcroît, Virgile n’est pas manichéen, il ne dresse pas les bons
contre les mauvais, car les Troyens sont aussi cruels que leurs ennemis ; jusqu’à
Énée qui vacille, et qui, on l’a vu, se laisse emporter à égorger Turnus ; l’Énéide
se ferme sur cette image ambiguë de violence mal maîtrisée. Il s’en dégage deux
conclusions : il n’y a pas de guerre propre ; et, à travers la guerre, la barbarie
nous menace tous.
Mais il est un fait nouveau : l’œuvre de Virgile est aussi ouverte à la
compassion. La chaleur humaine, l’empathie ne s’exprimaient pas encore ainsi
dans l’Iliade. Virgile nous touche par son aptitude à partager la souffrance
d’autrui, à nous la communiquer. Il a toujours une pensée, un regard, une larme
pour le soldat anonyme qui meurt seul, obscurément, sans comprendre ce qui lui
arrive. Virgile, cet homme sensible, a en effet une autre stratégie pour nous
décrire les horreurs de la guerre. Après en avoir montré crûment le visage
sauvage, il a procédé par antiphrase ; après avoir décrit la laideur de la mort qui
vient, il nous montre la beauté de ce que nous perdons quand elle nous emporte ;
et ce n’est pas moins poignant, c’est un autre scandale. D’où ces évocations
nostalgiques qui traversent le regard des guerriers au moment où ils roulent dans
la mort. Dans leurs yeux déjà embués par la mort passe la vision de leur enfance,
de leurs amours, de tous les verts paradis, de tout ce qui leur était cher et qu’ils
ne verront plus. Derrière la mort d’Umbro, il y a tout un univers qui s’estompe,
et qui lui appartient. Il voit l’Italie de son enfance, les collines, les odeurs qu’il
18 | SYMBOLON 16

aimait : tout le monde des Bucoliques : « Umbro, le bois d’Angitia, l’eau


cristalline du Fucin, les lacs limpides t’ont pleuré » (Énéide, VII, 759-760).
Et lorsqu’Antorès meurt, en recevant, ironie du sort, la flèche destinée à
un autre, « il lève les yeux vers le ciel et se souvient en mourant de la douce
Argos. » (Énéide, X, 781-782).
Euryale mourant, « roulant dans la mort » est comparé à une fleur qui se
fane : « Ses beaux membres sont baignés de sang, et sa tête défaillante retombe
sur ses épaules. Ainsi une fleur éclatante, coupée par la charrue, languit et
meurt ; ainsi les pavots, la tige lasse, courbent la tête sous l’averse. »16 (Énéide,
IX, 433-437). À travers cette symbolique funéraire et florale, c’est lui qui est la
vie, la beauté, le cosmos ; et c’est la mort qui est l’anti-cosmos. Cette beauté des
évocations est encore une réponse au déni d’humanité que nous relevions. Le
scandale de la guerre est souligné par cet individu qui se dresse devant la mort,
avec tout son passé, et qui crie : c’est moi que l’on tue. Ce moi, il émerge et
prend une consistance charnelle à travers sa mémoire, à travers ce temps
retrouvé une dernière fois.
La vision des corps suppliciés est comme le symbole de cette tragédie qui
déchire les hommes jusque dans leur chair. Le constat de l’Énéide est très noir :
la vie est une vallée de larmes et d’injustice. Tout au long du livre II, puis à
partir du livre VIII, nous ne sortirons pas du spectacle de la guerre et de la
violence, dans une sorte de fascination douloureuse du « doux Virgile ». La
critique s’est étonnée de cette complaisance, si opposée à sa nature ; c’est ne pas
comprendre qu’il ne pouvait pas en détacher son regard, justement parce que ce
doux, ce pacifique en était horrifié, et considérait que sa mission était de dire le
scandale : la violence et la souffrance. L’injustice du sort est perceptible dans
l’ordonnance du récit : dès que Virgile évoque le début de la guerre, avec le
célèbre « Maintenant, Muses divines, ouvrez-moi l’Hélicon, et inspirez mes
chants… » (VII, 641), il évoque immédiatement, en parallèle, la beauté des
corps, pour montrer par contraste, la splendeur de ce qui va être souillé : celle de
Lausus, « le plus beau des Ausoniens » (VII, 649), celle de Virbius, « un très
beau guerrier » (VII, 761), celle, plus virile, de Turnus (VII, 782 sq.), celle enfin
de l’Amazone Camille (VII, 803 sq.).
À partir du livre IX, la bataille fait rage. Il est une obsession qui se repère
particulièrement, dans les descriptions de corps torturés : c’est celle de la
mutilation, de la fragmentation du corps, à travers les scènes de décapitation, par
Nisus : « il coupe la tête pendante [de l’écuyer de Rémus], il la tranche aussi à
son maître, et laisse le tronc se vider à gros bouillons. » (IX, 332-333) Dans une
autre scène, c’est la tête elle-même de Pandarus qui est fendue en deux par un
coup de taille : « les deux moitiés de sa tête retombent également sur ses deux
épaules. » (IX, 754-755) Ailleurs, ce sont des doigts coupés qui cherchent à

16
Pétrone, cet iconoclaste, reprendra la citation en forme de parodie, dans l’épisode où Encolpe
navré contemple son sexe languissant (Satiricon, 132)
L'Imaginaire de la guerre | 19

reconstituer la main : « Laride, ta main coupée cherche son maître ; tes doigts à
demi-morts s’agitent et voudraient ressaisir le fer. » (X, 395-396)
Ces scènes d’horreur interviennent comme un contrepoint négatif et
mortifère du grand rêve platonicien de l’androgyne, transcrit par les images de la
gémellité : deux en un, unifiés, réintégrés dans l’unité originelle. Le peintre des
corps humiliés nous montre au contraire, avec réalisme, que la guerre sépare,
déchire, qu’elle est fondamentalement diaspora, à travers l’obsession de la
décapitation (X, 394, 554), les membres arrachés, les crânes éclatés (X, 416), les
cadavres en lambeaux et sans nom (IX, 490). Les jumeaux Thyber et Laride,
mutilés différemment (l’un est décapité, l’autre a perdu la main) font
l’expérience de cette dissymétrie mortifère et macabre. À l’inverse, les frères
Lucagus et Liger connaissent, à travers leur mort simultanée, une sorte de
caricature de gémellité (X, 591 sq.).
Certaines descriptions associent plusieurs phantasmes : en XII 377 sq., le
corps de Phégée est à la fois culbuté par un char, écrasé, et décapité par Turnus.
Le paroxysme de l’horreur est atteint dans les scènes de carnage, lorsque les
corps se mélangent : leur supplice ne leur accorde même plus le statut
d’individus, ils sont pris dans un bourbier de sang, dans un chaos mortifère :
« C’est le corps à corps. Alors les mourants gémissent ; les armes, les
corps, les chevaux à moitié morts, mêlés aux cadavres des hommes
roulent dans le sang ; un combat sans pitié fait rage. » (XI, 632-635)
La guerre apparaît comme une morne et monotone moisson des corps
éclatants de vie, un gâchis énorme, un infernal anonymat ; l’image est dans
l’Énéide : « L’épée à la main, Énée moissonne tout sur son passage. » (X, 513)
En procédant ainsi, Virgile nous montre la guerre comme un monstrueux
effaceur de toute cette qui faisait la beauté, le charme, la qualité de la vie. Et ce
n’est pas le moins efficace : la guerre apparaît comme le contraire de la vie, et
même comme sa négation.
Mais en même temps – et certes, cela peut paraître paradoxal – Virgile a
essayé de justifier l’horreur de cette guerre qu’il abhorre. C’est un des sens de
l’Énéide : la guerre, malgré son horreur, il faut l’accepter, parce que, comme la
mort, elle fait partie de la vie. On voit combien Virgile s’est éloigné du point de
vue qu’il avait dans les Bucoliques. Il va alors chercher un fondement
philosophique qui lui permette de justifier la guerre. Il ne sera pas le seul : un
siècle plus tard, dans sa Pharsale, Lucain justifiera les guerres civiles en faisant
de César – qu’il déteste – un mal nécessaire qui, dans la tradition stoïcienne,
permettra d’accomplir une révolution cyclique, en détruisant l’ancien monde,
pour qu’un monde nouveau, régénéré, puisse refleurir : une mort de Rome est
nécessaire à sa renaissance. La réflexion de Virgile est un peu différente. Il ne
s’est pas contenté de dire l’horreur de la guerre. Il a réfléchi, médité sur ce que
pouvait signifier ce scandale, dans l’ordre du cosmos. Il a cherché des
explications à cette horreur qui, sinon, était insoutenable, et il s’est rencontré là-
dessus avec la pensée philosophique de son temps. Pour l’homme de l’Antiquité,
20 | SYMBOLON 16

toute situation se définit d’abord comme le conflit de deux attracteurs


antagonistes, étant entendu que, dans un deuxième temps, cette dualité qui arme
le système du monde va être dépassée dans un réseau relationnel ; c’est dans ce
sens qu’Empédocle pouvait dire que le monde était mû par deux principes, la
haine, neikos, et l’amour, philia. La guerre devient alors, comme dans la
Bhagavad Gîtâ de l’hindouisme, une métaphore de la vie ; elle pose le principe
d’une « logique d’antagonismes » qui régit le monde et ses dynamismes
organisateurs.
Virgile reprend ces théories à son compte. Il y est amené par deux
raisons : pour survivre, ne plus avoir peur ; et pour trouver des raisons à
l’inacceptable. Mais aussi sans doute par une réflexion beaucoup plus positive,
héritée des présocratiques et surtout du pythagorisme, et qui l’amène à faire de la
guerre un principe du cosmos, en même temps qu’une métaphore de la vie, et
donc de l’individuation, dans une démarche de type initiatique : l’homme en
route, le voyageur, ne peut se construire que dans une « logique
d’antagonismes » et une complémentarité entre l’incertitude du risque, donc de
la guerre, et la certitude de l’amour, bien présent aussi dans l’Énéide, en
particulier à travers le personnage de Vénus. Vienne l’un des constituants à
cesser, et la polarisation, la tension disparaît, la quête est impossible. Pour ces
écoles de philosophes, à sa manière, le désordre de la guerre s’inscrit alors dans
l’ordre du monde, et dans sa complexité. C’est un des enseignements des
Stoïciens. On remarquera aussi que tout cela s’inscrit dans une tradition
remontant aux peuples premiers, et que, pour un sociologue comme Louis
Dumont17, il y a deux voies pour connaître l’Autre : la hiérarchie (que l’on
trouve, poussée à son paroxysme, dans les rapports sociaux sophistiqués de
l’Extrême-Orient, comme une pratique incontournable de l’usage du monde), et
le conflit, c’est-à-dire la guerre. Les sociétés traditionnelles ont pratiqué les deux
approches ; nos sociétés modernes, elles, ont trop tendance à privilégier le
conflit comme valeur opératoire, comme s’il n’y avait pas d’autre solution : le
conflit a le mérite de la simplicité, alors que la hiérarchie entraîne une
complication et une lenteur semblables à celles de l’étiquette chinoise. C’est
sans doute le point de vue qui a prévalu aux yeux de Vladimir Poutine, dans sa
marche d’annexion de l’Ukraine : on attaque d’abord, on discute après.
Dans l’Énéide, donc, Virgile sort définitivement de l’Arcadie heureuse18.
En même temps que l’histoire, il découvre la laideur de la guerre, son visage
effrayant. Il faut apporter des réponses à cette horreur. « La paix peut-elle sortir
de la guerre ? », cette question qui est une réplique du Viva Zapata de Kazan,
Virgile la pose déjà. Il semble que, dans l’Énéide, il en soit arrivé à cette idée

17
Louis Dumont, Essais sur l’individualisme. Une perspective anthropologique sur l’idéologie
moderne, Paris, Le Seuil, 1983, p. 298.
18
Déjà les chants amébées des Bucoliques donnaient un écho atténué de ce système agonistique.
Agonistique, il l’était bien, dans la façon dont les discours des bergers se répondaient et
s’opposaient, à travers les chants amébées. Mais c’était un combat symbolique.
L'Imaginaire de la guerre | 21

que la guerre est partout, même dans les genèses, même dans les moments de
fondation. On ne peut en faire l’économie (et dire cela, c’est aussi une façon
d’exonérer Auguste des guerres qui avaient précédé son avènement) : le mythe
et l’histoire coïncident alors dans la même logique tragique.19. Dans cette
nouvelle définition de l’épopée, l’Énéide est perçue comme Weltgedicht,
« poème du monde »20, et la guerre y a sa place.
Les batailles ne sont donc pas des remplissages, insérés entre les aristies,
comme le pensait la critique allemande, avec Heinze21, qui en restait, comme
Napoléon, à cette idée que Virgile est moins bon qu’Homère dans les
descriptions de bataille parce qu’il n’a pas fait la guerre. En fait, les combats de
l’Énéide obéissent à une nouvelle stratégie de Virgile, une nouvelle définition de
l’idéologie et de l’imagerie de la guerre, opposée à celle d’Homère.
Le regard même qui est porté sur les batailles est différent. Homère et
Ennius avaient un point de vue unique. Avec Virgile, on a une multiplicité de
points de vue : le texte devient polycentrique, de même qu’il est polychronique.
La guerre entre dans la complexité. On sort de la description de la bataille en
ligne, dualiste, celle du « guerrier blanc » décrite par P. Vidal-Naquet22 : dans
l’Énéide, logiquement, la guerre est plus complexe qu’une bataille rangée. La
ruse, la métis, gagne ses lettres de noblesse, et cesse d’être disqualifiée comme
une forme de combat non héroïque23. Avec Énée émerge un nouveau type de
leader, plus subtil et moins brutal, qui est l’archétype d’Auguste : plus
vulnérable, mais capable d’associer la politique, la diplomatie et l’art de la
guerre. La métis, la complexité font partie de la vie, et désormais la guerre se
construit à cette image. C’était déjà la spécificité de l’armée romaine, dont
Virgile acte déjà les caractéristiques en les attribuant à Énée, son héros
fondateur. Tite-Live, lui, nous montre24 Torquatus triomphant d’un Gaulois : le
Romain est moins fort, mais il est plus rusé, plus discipliné ; à l’image de
l’armée romaine, il met en place un ordre, une maîtrise de soi, de son armement,
de ses gestes, contre le désordre inhérent au combat, toujours menacé par le
déferlement d’une violence incontrôlée ; et Torquatus tue le Gaulois qui, lui, est
aveuglé par le furor guerrier et par la violence barbare. La lucidité contre
l’aveuglement : c’est l’image romaine que Virgile, que Tite-Live, veulent donner

19
Cf. Andrea Rossi, Contexts of War. Manipulation of Genre in Virgilian Battle Narrative, Ann
Arbor, University of Michigan Press, 2004. Pour montrer cette dimension anhistorique, Virgile
joue sur l’anachronisme : les machines de siège sont du temps d’Auguste, pas de celui d’Énée.
L’anachronisme intensifie alors la qualité polychronique de la narration, crée un pont entre le
passé épique et le présent historique, et invite le lecteur de l’Énéide à s’identifier à l’histoire du
passé, à ne pas la regarder comme extérieure
20
L’expression est de A. Hardie, in The Epic Successors of Virgil : a Study in the Dynamics of a
Tradition, Cambridge, 1993, p. 1.
21
Richard Heinze, Virgils epische Technik, Leipzig, 1915.
22
Pierre Vidal-Naquet, Le Chasseur Noir, Paris, La Découverte, 2005.
23
Cf. Johan Huizinga, Homo ludens, Paris, Gallimard, 1988.
24
Tite-Live, Histoire romaine, VII, X, 7-10
22 | SYMBOLON 16

de la guerre. Cette guerre-là est conformisme, volonté de se situer dans un ordre


de la cité, dont elle est un reflet et un élément constitutif. L’ordre où s’inscrit la
guerre dans l’Enéide la range d’une certaine façon dans le sacré, car elle
déchaîne des puissances terribles et mortifères qu’il faut codifier, réguler, ce qui
est bien le propre du sacré dans les sociétés traditionnelles. Dans cette acception,
la guerre n’est pas si différente du sacrifice ; c’est pourquoi elle admet
facilement la devotio, comme ordalie : sacrifice d’un pour tous, comme celui,
historique, de Decius (Tite-Live, Hist. rom., IX, 4-9 et X, 10-12)25, celui,
littéraire, de Caton dans la Pharsale stoïcienne de Lucain.
Enfin, il ne faut pas oublier que toutes les guerres de l’Énéide ne prennent
sens que dans leur relation avec l’Alliance conclue entre les peuples belligérants,
au XIIe et dernier livre de l’Énéide. Ainsi, la guerre est présentée comme le
prélude qui arme un processus d’émergence reprenant les éléments épars
(Troyens, Etrusques, et Latins) en les ordonnant dans la fonctionnalité de la cité :
le désordre de la guerre contient en germe, et même prépare l’ordre de la cité
civilisée. La civilisation ne peut pas faire l’économie de la barbarie sur laquelle
elle se construit26. La guerre est donc endémique dans l’histoire27, et le si vis
pacem para bellum empêche un si vis pacem, para pacem prôné par ailleurs, à la
même époque, par Tibulle ou Properce, chantres avant la lettre du « faites
l’amour, pas la guerre ». Mais Virgile, lui, sait avec tristesse que c’est en
acceptant la guerre qu’Athènes sauva, à Marathon et Salamine, non seulement
son indépendance, mais l’avenir de la démocratie. Ce n’est qu’à ce prix et par ce
processus que plus tard, peut-être, on peut désapprendre la guerre. L’Énée du
XIIème livre de l’Énéide pourrait faire sienne cette phrase du Patriarche
Athénagoras : « J’ai passé toute ma vie à désapprendre la guerre ». La paix dans
l’Énéide n’est plus la paix a priori de l’Age d’Or ; elle est un état conquis sur la
guerre. Elle surmonte la culture guerrière ancrée en nous.

Les derniers jours


On le voit, Virgile a essayé, de tout son cœur et de toutes ses forces, de
comprendre la guerre et son horreur. Mais au bout du compte, il n’y parvint pas.
Ce fut pourtant un travail de longue haleine. Virgile avait mis sept ans à écrire
les Géorgiques, il mettra onze ans à écrire l’Énéide, et encore, elle restera
inachevée. C’est là qu’on peut se poser la question du pourquoi de cet
inachèvement. L’idée que Virgile aurait trouvé son poème techniquement
imparfait n’est pas très satisfaisante : il est douteux qu’un si grand styliste, un tel
génie poétique ne soit pas parvenu à optimiser le labor limae, à créer une œuvre

25
Cf. Joël Thomas, art. « devotio » du Dictionnaire critique de l’Esotérisme, Paris, P.U.F.,1998,
p. 404.
26
De même Fellini, Visconti, construisent leur œuvre cinématographique contre l’ordre fasciste,
mais en même temps ils en ont besoin : ils se posent en s’opposant.
27
Comme l’a soutenu Gaston Bouthoul, un des fondateurs de la polémologie. Cf. La guerre, Paris,
PUF, 1953.
L'Imaginaire de la guerre | 23

parachevée. Alors naît un doute : et si le problème était d’ordre éthique, et non


esthétique ? Si Virgile avait baissé les bras ? Si la dépression l’avait saisi devant
l’inanité d’une tâche impossible ? La cause pourrait en être dans la déception
que lui a causée l’œuvre d’Auguste, avec le temps.
Octave, devenu Auguste, était son guide, celui en qui il mettait ses espoirs
de réaliser son rêve d’un monde meilleur. Or, quand on regarde l’œuvre
d’Auguste avec la froideur et le recul des historiens, on constate qu’Auguste a
été un gouvernant très ambitieux, mais un politicien comme les autres, sans
doute plus habile, et apte à saisir le kairos de ces bouleversements dont il allait
se présenter comme le sauveur, l’homme providentiel. Avec le temps, sont
apparues les limites de son action : les problèmes économiques ont subsisté, et la
mise en coupe réglée des terres étrangères est apparue, certes, comme le fruit
d’un grand projet d’assimilation, mais aussi comme l’imposition brutale de
l’ordre romain. Surtout, la Pax Romana ressemble beaucoup à une stratégie
récurrente des impérialismes, qui masquent leurs ambitions sous le mot de
pacification, et prétendent apporter la paix là où ils sèment la guerre. Le discours
d’Anchise est un modèle du genre : « Souviens-toi, Romain, c’est à toi de diriger
les peuples sous ta loi – ce sera ce que toi, tu sais faire – et de donner ses règles à
la paix : épargner les vaincus, et combattre les orgueilleux. » (VI, 851-853).
Et de fait, les Romains se sont projetés dans une attitude de « grands
frères » protecteurs, de « gendarmes du monde », qui n’est pas sans ressembler
quelque peu, mutatis mutandis, à celle des Etats Unis d’Amérique, leurs frères
lointains dans leur imposition d’un protectorat : il y a des analogies entre la Pax
Romana et la Pax Americana. Auguste n’avait d’ailleurs rien inventé : avant lui,
César était dit le « bourreau d’Uxellodunum », parce qu’il avait fait couper la
main droite à tous les combattants qui lui avaient résisté lors du siège de cette
petite ville gauloise ; et après lui, l’épisode de Massada restera comme une
forme de cruauté des Romains, relevant de ce qu’on appellerait maintenant un
crime de guerre. Il s’agissait toujours de « pacification », de « maintien de
l’ordre », et, plus près de nous, d’« opérations militaires spéciales » ou de
« dommages collatéraux ». C’est malheureusement banal : les régimes « forts »
ont une propension à se poser en agressés, et non en agresseurs – c’est plus
commode…-, et à s’appuyer sur une vision irénique qui guide prétendument leur
action : l’Enfer est pavé de bonnes intentions.
Il y a donc eu, un délitement des espérances arcadiennes, de la part de
Virgile, depuis les espoirs déçus de la paix de Brindes, en 40. Ont suivi les
massacres de Pérouse, les proscriptions, la campagne d’Egypte contre Antoine.
Difficile de rester arcadien, dans ce contexte, où l’idéal vole en éclat devant la
réalité brutale.
Toutes ces réticences sont dans l’Énéide. On y découvre que le beau rêve
arcadien se lézarde, et qu’on passe d’une vision holiste à une vision dualiste du
monde, caractéristique d’une forme de schizophrénie (transcrivant son doute
intérieur) qui s’est installée dans l’imaginaire virgilien. Car dans l’Énéide, il y a
24 | SYMBOLON 16

deux origines de Rome qui, dans un premier temps, coexistent : l’une,


arcadienne (Évandre, et son fils Pallas), et l’autre troyenne (Énée, et son fils
Ascagne). Le thème arcadien est toujours bien présent, et, globalement,
l’Arcadie continue d’occuper une place de premier plan, à compter du livre VII.
C’est une Arcadie latine, mais aussi étrusque (du fait de l’alliance d’Énée et
d’Évandre) et plus discrètement mantouane et cisalpine. À partir d’elle, Virgile
pose les conditions d’une paix durable en Italie, sur un mode semblable aux
deux recueils précédents, Bucoliques et Géorgiques ; cette fois, il ne s’agit plus
de chanter l’Arcadie latine comme le lieu de l’otium bucolique, ou de louer le
labor géorgique, mais d’explorer la viabilité d’une pax qui assurera au pays sa
stabilité politique. Mais la nouveauté, c’est qu’il y a un malaise dans l’attitude
d’Énée vis-à-vis de la Terre promise, et de ses alliés arcadiens. Introduit comme
un hôte et un allié parmi les Arcadiens d’Évandre, Énée va vite s’émanciper. Dès
lors, s’opère un mouvement irréversible de bascule : on passe de la paix à la
guerre, en même temps que de la simplicité rustique d’Évandre à la puissance,
voire l’arrogance, d’un Énée qui impose sa « paix » armée. Jusqu’ici, les
Bucoliques et les Géorgiques avaient une unité de ton, à dominante holiste ; la
grande cité n’y intervenait que comme repoussoir. Mais voici que l’imaginaire
de la patria en train de se construire se divise en deux, et que la création
virgilienne devient dualiste. Du coup, en passant à une vision politique, et non
plus poétique ou économique, Virgile va trouver les limites de son Arcadie. Car
il fallait bien donner une place à Énée et aux Troyens, et qui plus est, la première
place. Finis, les espoirs de paix : à travers le royaume d’Évandre, l’Arcadie est
certes toujours là ; mais elle ne cesse de s’effacer devant les prétentions
hégémoniques d’Énée qui, en s’arrogeant le pouvoir, crée la première guerre
civile, avec le conflit italo-troyen : la porte était ouverte aux jumeaux fratricides,
Romulus et Rémus. Romulus tue Rémus pour le bien de Rome à venir. De
même, Énée impose sa paix, à l’image de la pax Romana, comme ordre
nécessaire au bien commun. En ceci, il n’est que le reflet archétypal de
l’Auguste de Pérouse, celui qui avait poussé Gallus au suicide, et qui, lui aussi,
avait déçu Nous sommes loin de l’utopique paix arcadienne. À une utopie
succède une idéologie ; l’espoir de fonder une paix politique sur un art de vivre,
un art du « vivre ensemble », est compromis. Fini aussi l’espoir d’une patria,
issue d’une fédération des peuples italiens, et du pacifique syncrétisme arcado-
italien : le tropisme troyen, creuset de la Rome à venir, s’impose définitivement.
Les aigles de Mars l’emportent définitivement sur les colombes de Chaonie (p.
138). « On dirait qu’à la fin de l’Énéide, Virgile ne croit plus aux chances de
l’Arcadie, parce que la paix troyenne qui se dessine a été construite sur cette
violence, dont elle restera à jamais entachée dans son histoire. »28. Tel est
l’échec que l’Énéide ne cherche pas à dissimuler (et que Virgile veut peut-être

28
Franck Collin, op. cit., p. 431.
L'Imaginaire de la guerre | 25

même souligner), à travers ces dissonances majeures. On comprend mieux alors,


peut-être, qu’au terme de sa vie, Virgile ait voulu brûler l’Énéide…
Sur ces bases, on imagine combien il a dû en coûter à Virgile de passer de
l’eros des Bucoliques à l’epos de l’Énéide : assurément, au bout de la route, il y
a beaucoup de crève-coeur, de déception, de chagrin, de frustrations à la fin de
l’Énéide. Virgile avait sans doute vu que la guerre, même chez les vainqueurs,
produit d’abord des perdants.
Dans ce contexte, il est légitime de se demander si Virgile n’aurait pas
considéré qu’Auguste avait trahi les espoirs qu’on mettait en lui ; s’il n’aurait
pas transformé ce beau rêve d’impérialité que le poète mantouan avait esquissé
dans l’Énéide, en un schéma politique banal, qui ressemblait beaucoup à une
forme d’impérialisme au service d’une ambition personnelle. Alors, et parce que
Virgile est un homme fragile – trop fragile, trop sensible – il a pu baisser les
bras, et penser que la violence éternelle triompherait toujours. Il aurait été étreint
par le sentiment obscur d’une impossibilité à émerger, la même qui nous
pousserait maintenant à dire que, des ruines de Troie à celles d’Oradour, du
ghetto de Varsovie à Dresde et Hiroshima, en passant par les Twin Towers et la
guerre en Ukraine, c’est toujours la même et désespérante tragédie de la violence
éternelle. Ainsi, Virgile n’aurait pas voulu servir de caution à une telle
entreprise, et il aurait réclamé ses manuscrits, pour les brûler. C’est la thèse
développée dans le beau livre de Hermann Broch, La mort de Virgile29 ; c’est
aussi la thèse, encore plus radicale, de Jean-Yves Maleuvre30, qui fait de Virgile
un opposant politique d’Auguste, et de l’Énéide un brulot crypté contre le
Prince. Selon Maleuvre, le coup que Virgile avait reçu n’avait rien à voir avec le
soleil, et Virgile aurait été liquidé par la police secrète d’Auguste, lassé de ces
atermoiements, et soucieux de ne pas se priver de la renommée que l’Énéide,
même inachevée, allait lui procurer. Bien sûr, par-delà l’épaisseur du temps, et
de vingt et un siècles d’histoire, un assassinat est difficile à prouver, et nous en
restons aux hypothèses. Mais il faut reconnaître que ces hypothèses ont assez de
force et de cohérence pour pouvoir emporter l’adhésion.
Mais le rôle des poètes n’est pas de réaliser les républiques imaginaires ; il
est de les montrer du doigt (Platon en savait quelque chose…). Ils sont des
phares et des vigies, pas des entrepreneurs. L’Arcadie est toujours dans le cœur
de ses amis. Et l’Énéide n’a pas été brûlée : elle est toujours là, comme un
diamant noir, comme un feu qui couve, et qui attend que l’on le ranime un jour.

29
Hermann Broch, op. cit.
30
Jean-Yves Maleuvre, La Mort de Virgile d’après Horace et Ovide (préface de Joël Thomas),
Paris, Touzot, 1993.
26 | SYMBOLON 16

REPRESENTATIONS AGONALES
DANS L'ELEGIE EROTIQUE LATINE

Ilona DUȚĂ1
Abstract. A mental model of Greco-Roman antiquity, the agon (whose dominant
meaning is that of competition, confrontation) initially manifested itself in the
religious space as a ritualistic scenario linked to the cult of the dead, a nucleus
that later moved to the secular space, where the agora became the scene of the
debate of public issues. The transfer into the sphere of philosophical, ethical
reflection, literature and art determined the discursivization of the model (the
transition from praxis to logos), the entire ancient spirituality involving a
continuous training in order to achieve human excellence (a heroism of the
formation and affirmation of the individual through mirroring with athletic
perfection ). Latin erotic elegy takes the model of the agon as amorous debate
between lovers (identity/otherness), becoming the site of the discursive birth of
the self, interiority, and subjectivity (as these concepts will evolve in Western
modernity).

Keywords: antique agon, confrontation, otherness, individuation, subjectivity,


eroticism.

1.L'agon antique: de la pratique au discours


Mot à double sens, celui de « rassemblement », de « réunion », de «
spectacle » (puisqu'il se déroule dans l'espace public) et celui de « compétition »
ou d’affrontement de forces (Petecel, 2002: 15), l'agon est une véritable
institution dans la vie spirituelle de la cité antique et une forma mentis
spécifique. Le caractère initial, rituélique, de l'agon est le liant de la construction
quasi institutionnelle centrée autour de lui, qui prolonge ses projections dans la
sphère de la littérature et de l'art, des modèles de réflexion sur le plan
philosophique, éthique, esthétique; officié notamment lors des Jeux
panhelléniques et des cérémonies sacrées tenues dans les grands sanctuaires
(Olympie, Delphes, Némée, l'Isthme de Corinthe), le noyau religieux de l'agon
s'est déplacé vers le côté spectaculaire, devenant l'emblème des compétitions
sportives, en général.
Soutenus par un esprit commun, aux racines culturelles profondes, les
différents types d'agon pratiqués dans l'espace public (musical, dramatique,
juridique, oratoire, dialectique) constituent un système structuré, au sein duquel
deux niveaux hiérarchiquement différenciés peuvent être identifiés: un niveau
sacré supra ordonnateur, lié au culte des morts et à la régulation agonique des
échanges entre les mondes (rites de passage), et un niveau laïque subordonné, de
la libre confrontation des opinions sur les questions publiques, respectivement de

1
Lecteur d'Université et Docteur en Philologie, Faculté des Lettres - Département de Langues
Romanes et Classiques, Université de Craiova.
L'Imaginaire de la guerre | 27

la sublimation artistique du débat; l'effacement progressif de la dimension


religieuse au profit de la dimension profane détermine le transfert de la praxis au
logos, la discursivité de l'agon. Si la scène de l'agon sacré est liée au temple, en
tant qu'espace de déploiement de la vérité originelle à travers le langage
mythique, la scène de l'agon laïque est l'agora, l'espace politique ouvert au débat
sur les questions publiques. Une forme de la liberté d'expression, l'agon laïque
(politique, oratoire, sophistique) a pour enjeu la capacité de convaincre, la
victoire discursive, le maintien de l'équilibre entre praxis et logos ; mais avec le
transfert dans l'art, la confrontation agonale aux effets pratiques deviendra une
structure interne du logos, un modèle de discours qui préserve les valences
transformatrices (l'ode triomphale, la tragédie ou l'élégie érotique sont des
espèces à dynamique esthétique fortement ancrée dans l’aire de la catharsis.
Projetée dans l'agon athlétique ou dramatique (tous les deux représentant des
actions, même sous une forme médiatisée par un acteur et un masque, comme au
théâtre), la victoire rituelle dans le culte des héros et les jeux funéraires devient
un facteur individuant, imposant le héros comme un représentant exemplaire de
la communauté : « Et l'agon athlétique et l'agon dramatique sont essentiellement
une action. Le but humain de l'agon est, dans les deux cas, la victoire (comme
une reconnaissance des valeurs), avec son corollaire – le prix, un signe de la
gloire. Mais, alors que dans l'agon athlétique l'action est vécue par le
compétiteur et donc directement (l'auteur étant en même temps l'interprète), au
théâtre le drame est joué (par l'acteur, qui interprète le texte de l'auteur, ce
dernier étant le candidat au prix). [...] Mais l'acteur ne présente pas non plus
directement le personnage qu'il joue: il porte un masque; ainsi, même en tant que
personnage, il représente autre chose que ce qu'il exhibe, ce quelque chose de
diffus, d'ambigu, pour lequel le masque peut jouer le rôle de principium
individuationis (ibidem: 18). Action d'individuation signalée par la gloire, l'agon
est un modèle mental de monde antique gréco-romain qui vise, au-delà de la
perfection athlétique, l'excellence humaine en général, la formation de l'homme
en connexion avec l'espace civique et cosmique (le cosmos comme principe
d'ordre, comme totalité); l'entraînement du corps de l'athlète n'est qu'une forme
de mise à l'épreuve des limites physiques, à côté des limites éthiques (la relation
à l'autre), des limites esthétiques (limites de la perception), des limites de la
connaissance, etc., l'ensemble de la spiritualité antique fonctionnant selon un
modèle peratologique (de la connaissance de la mesure et de la limite, mais
aussi de la transformation par la transcendance des limites). C'est pourquoi le
phénomène présupposé par l’agon sportif et par les autres domaines de la
création (l’art, la poésie, la philosophie) vise toute une conception de l'humanité
et de l'homme, de l'idéal humain du monde antique: « L'athlète, aussi glorifié
soit-il, ne représente donc pas le but de l'éducation grecque, ni l'idéal civique ou
politique (il ne peut non plus remplacer l'idéal) de l'homme antique, mais
seulement une des voies d’aller vers l'idéal visé: le niveau d'excellence de l'être
humain dans sa totalité (l’idéal de kalokagathia) » (ibidem: 13). Sur ce schéma
28 | SYMBOLON 16

individuant de l'agon, l'ode triomphale exalte le héros par l'accord de la


communauté (la cité) comme individu représentatif de celle-ci, tandis que la
tragédie met en lumière l'individu se trouvant en conflit avec l'ordre socio-
familial (conflit thématisé sous forme de parricide et d'inceste); en descendant à
l'intérieur d’un même individu séparé de la communauté et tourné vers ses
propres expériences, l'élégie érotique devient l'espace de la découverte de son
propre Je comme différence émotionnelle et sensible.

2.Les jeux de l'altérité dans le monde romain décadent (l’agon, l’agonie et le


luxe)
La désintégration de la structure mentale de la Cité romaine en une Anti-
Civitas aux frontières de plus en plus difficiles à gérer dans l'esprit de la
solidarité civique traditionnelle, à mesure que l'expansion impériale met le
citoyen romain face à face avec l'hétérogène, influence les jeux de l'altérité, des
différences, si profondément que l'agon devient une véritable catégorie
axiologique: plus qu'une compétition sportive, l'agon et le luxus décrivent un
style de vie, un monde histrionique, hybridé dans toutes ses structures.
Le projet néronien du palais doré, ainsi que l'historicisation du concept
de pouvoir (l'empereur-acteur), est l'emblème d'une époque où l'agon, l'agonie et
le luxe s'entremêlent d’une façon décadente : « Néron (54-68 après J.-C.) tenta
d'imposer un nouveau système de valeurs régulé par deux méta-valeurs
caractéristiques, la « compétition » sportive, de type grec, donc désintéressée
(agon), et le luxe (luxus), ainsi qu'un mode de vie carnavalesque. Même si cette
tentative de réforme axiologique a rapidement échoué, la maison dorée (domus
aurea) - l'immense parc-palais-paradis créé par Néron à Rome et ouvert à toute
la population de la capitale - a mis en valeur le premier jalon de l'inévitable
évolution vers une nouvelle structure mentale » (Cizek, 1998: 37). Une vision
dramaturgique s'impose au niveau de l'ensemble de la vie sociale, et la notion de
persona, désignant initialement le masque porté par les acteurs au théâtre, finit
par s'identifier à l'idée de rôle social, de compétence professionnelle ou de
compétence politique; en ce qui concerne les conditions de l’interpretation de ce
rôle, le concept de dignitas (la dignité humaine) évolue, d'une part, vers une
direction esthétique, renvoyant à la préservation d'un statut, d'une apparence
distinguée et d'un comportement noble, et de l'autre part, il esquisse les cadres
d’une carrière complète (cursus honorum). Morcelée en rôles et ouverte aux
transactions effectuées à travers un circuit monétaire de plus en plus chaotique
(les grades, les avancements, les dignités se négocient et s'achètent), la société
romaine acquiert l'apparence d'une scène centrée autour du palais impérial qui
dicte le sens de toutes ces transactions. Le jeu des différences sociales est
déséquilibré, schizoïde, car le système pyramidal du pouvoir génère des
mécanismes paranoïaques de protection et de consolidation de la plus haute zone
(souvent alimentée par les crimes), tandis que la base et les périphéries sont
traversées par des forces entropiques émanées de la masse de plus en plus
L'Imaginaire de la guerre | 29

diversifiée des populations conquises et donc de plus en plus difficile à


métaboliser. Corrélative à la libération des différences sociales de la base
gentilice sous la pression transactionnelle de l'argent (descendants des patres, les
anciens patriciens conservaient les privilèges de l'autorité), l'ascension du
féminin accélère le déclin des valeurs phallocentriques spécifiques aux
romaines, qui va entrer en compétition (agon) contre le code dominant
masculin: des figures féminines exemplaires cultivent le modèle des héroïnes
mythiques en affirmant leur vertu (des grandes aristocrates romaines,
impératrices célèbres comme Augusta partagent la gloire et les responsabilités
de leurs époux). Les libéralisations successives conduisent à l'affaiblissement de
l'autorité paternelle à l'époque impériale et à l'émancipation des femmes jusqu'à
la création de courants féministes au sein de la société roumaine, qui ouvrent la
voie à l'excellence ou à l'extravagance (luxe, libertinage, opulence). La même
schizophrénie qui divise la société en une zone de contrôle du pouvoir absolu (à
l'intérieur du palais), d'une part, et le nomadisme des codes et des valeurs au
niveau des masses sociales, de l'autre part, est projetée aussi sur la figure
féminine, la polarisant entre éclat et excès, entre exemplarité et décadence:
« Aux héroïnes de l'aristocratie impériale, aux femmes impeccables et aux
excellentes mères que cette aristocratie compte encore parmi ses rangs, il serait
aisé d'opposer les épouses affranchies, ou plutôt déchaînées, spécimens qui leur
doivent leur existence, ainsi que la propagation des conditions nouvelles du
mariage romain, à celles qui contournent les devoirs de la maternité pour ne rien
perdre de la facilité de leurs mouvements; celles qui prétendent être égales à
leurs maris dans tous les domaines et rivalisent avec eux même lors des épreuves
de force physique qui semblaient être interdites à leur sexe; enfin, celles qui, non
contentes de vivre auprès de leurs maris, organise leur vie, s'il le faut, sans eux,
au prix de trahisons et d'abandons, sans même prendre la peine de rougir »
(Carcopino, 1979: 124). Une érosion de l'axiologie masculine s’est produite à
travers une grande diversification des codes féminins, qui se manifeste de façon
explosive comme une sorte de retour du refoulé, et qui pénètre jusqu’à l'espace
politique; ce n'est pas par hasard que la scène du pouvoir impérial se partage
d’une façon duplicitaire, entre mères et fils, au premier plan de la scène on a
l'empereur-fils et derrière la scène on a la surveillance maniaque des
impératrices-mères (les relations ambiguës et conflictuelles entre Livie et Tibère,
Agrippine et Néron). En plus, la théâtralisation du pouvoir est, en même temps,
l'effet d'une véritable narcose des performances dues, systématiquement, aux
compétitions exigées par les empereurs pour attirer leur peuple avec du pain et
des cirques (panem et circenses). En multipliant les fêtes et les jeux qui leur sont
dédiés, en cherchant de nouvelles occasions de contacter émotionnellement les
masses dans un exercice de continuelle confirmation du pouvoir, les empereurs
provoquent une double contamination, du peuple à la souveraineté et de
l'empereur au spectaculaire (dont le cas de l'empereur Néron devenu acteur est
relevant). La recherche du triomphe à tout prix et son affichage avec religiosité
30 | SYMBOLON 16

(un triomphe ritualisé) transforment les spectacles en un espace de l’éclat de la


mentalité romaine de l’agon, obsédé par la victoire. Le combat de gladiateurs
est, dans ce contexte, l'ultime compétition contre la mort, car la transformation
de la mort en spectacle est le triomphe absolu imaginé par les romains. Libérant
l'esprit dionysiaque de l'agon lui-même et le multipliant dans toutes les formes
de la vie (familiale, civique, politique), le monde romain décadent est l'espace
propice à l'affirmation de l'élégie érotique et de la tragédie (grâce à Sénèque),
genres fortement marqués, à un niveau structurel, par un vrai travail sur les
différences; car, tandis que la tragédie libère la différence individuelle de la
pression du corps communautaire, l'élégie approfondit le processus
d'individuation, en libérant la différence interne du Je dans sa relation,
médiatisée par l'érotisme, avec l'Autre.
Si, selon la distinction formulée par Jean Baudrillard et Marc Guillaume,
l'altérité est une figure scindée entre l'Autre (l'altérité cognoscible, assimilable)
et l'Autrui (« l'altérité radicale, inassimilable et même inimaginable », celle qui
échappe au savoir - Baudrillard, Guillaume, 2002: 6), alors le problème
fondamental du monde romain décadent consiste en une dissolution de l'Autre
civique (le citoyen solidaire de la Cité, à l'époque républicaine, le garant social)
et l’ascension de l'altérité incognoscible du barbare conquis et culturellement
inassimilable. Ayant pour décor ces déplacements mentaux enchaînés, le retrait
des garanties de l'altérité civique conduit à une atomisation du corps social, de
sorte que l'individu est mis face à face avec l'altérité privée qui fait irruption
dans la figure de l'altérité érotique; la découverte de l'autre corps à travers
l'érotisme élégiaque et le jeu dramatique à la frontière avec celui-ci (l’agon,
l’extase et l’agonie érotique – l’érotogonie) est une forme de conversion du
regard romain, habitué à la gestion du territoire extérieur, physique, vers un
territoire intérieur, psychique, qui se révèle à travers l'érotisme. Lié donc à la
gestion sociale de l'Autre dans un monde impérial de plus en plus exposé à
l'altérité exotique des réalités inconnues (l'altérité radicale, inassimilable de
l'autre), l'érotisme élégiaque devient le terrain du jeu agonal d'apprivoisement de
l'irrationalité de la passion et du désordre amoureux, en tant qu’altérité
incompréhensible du visage aimé, qui prend la forme d'un Autre spéculaire,
capable de fixer narcissiquement le Moi (individuation à travers le miroir
érotique) : « Mais, la gestion de l'Autre n’est pas parfaite. Dans cet autre, il y a
une altérité ingérable, menaçante, explosive. Ce qui était embaumé ou normalisé
peut se réveiller à tout moment. Le retour effectif ou la simple présence de cette
altérité troublante est à l'origine de certaines singularités, de certains accidents,
de certaines catastrophes. De tels points de chaos font bifurquer l'histoire,
modifient le destin individuel ou collectif. C'est aussi le cas de la passion
érotique, qui met cruellement au jour l'altérité radicale, et qui sépare deux êtres,
permettant une proximité maximale de cette frontière, jusqu'à imaginer la
possibilité de son dépassement. D'où la puissance du désordre de la passion
amoureuse, sa dimension de part maudite. Tout se passe comme si elle ne
L'Imaginaire de la guerre | 31

pouvait régner qu’à l’intérieur ou dans l'intimité d'un monde nocturne, qui
n'aurait aucune incidence sur la vie sociale diurne » (ibidem: 9). C'est
précisément cette double figure de l'altérité (assimilable et résistante à toute
assimilation) qui déclenche l'alternance de l'extase et du désespoir, du triomphe
et de l'effondrement, qui structure la poétique élégiaque (en particulier celle de
Propertius); intériorisant la face fracturée de l'altérité, ainsi que l'ambiguïté qui
transforme l'altérité, au cœur du monde romain décadent, en fantasme ou en
spectre, l'érotisme élégiaque prend les séismes de la mentalité de son époque et
les transfère à ce Je lyrique, qui ne tardera pas à affranchir le seuil de son
accouchement discursif (in statu nascendi).

3. L’agon élégiaque et le jeu de l'individuation érotique


Marquée par un effort systématique d'auto-programmation et de
synchronisation avec les modèles littéraires grecs, la littérature latine s'est
constamment préoccupée de la création d'un corps symbolique solennel à la
hauteur de l'expansion glorieuse de Rome, de ce corps géopolitique équivalent
au monde « habité », civilisé (oikouméne). Si, dans une vision sémiotique, la
littérature et la culture, dans leur ensemble, représentent un champ de tensions
textuelles soumises à la fois à l'action de « forces endogènes » (internes au
système) et de «forces exogènes » (sociales), alors « l'histoire littéraire sera
l'histoire des confrontation des écrivains avec le système sémio-littéraire, des
changements subis par le système sémio-littéraire à la suite des transformations
sociales et des réactions à ces transformations » (Segre, 1986: 200). Confrontés
donc à l'absence d'une image symbolique capable de prendre le relais et de
refléter les triomphes militaires romains, les premiers auteurs latins (Livius
Andronicus, Naevius, Ennius) ont mené un travail assidu de traduction et
d'adaptation de certains modèles grecs (appartenant aux genres élevés, tels que
l'épopée et la tragédie); tout au long de l'histoire de la littérature latine ce
comportement culturel redondant va procéder à une transplantation d'organes
littéraires, à une opération chirurgicale laborieuse, consistant à façonner une
matière charnelle romaine à l’intérieur des cadres formels d'emprunt.
Particulièrement soucieux de cultiver les genres et les espèces majeurs
(l’historiographie, l’épopée), les écrivains latins souscrivent à un programme de
consolidation d'une image identitaire centrée sur l'idée de gloire, optant pour des
codifications littéraires spécifiques, puisque « le genre lui-même peut être une
institution » chargée de contenus idéologiques dans ses relations avec les autres
institutions du système littéraire » (Corti, 2000: 156).
Revenant accompagné de la force d'une véritable obsession, ce
déplacement continu entre l'image archivée par l'historiographie et l'image
désirée, rêvée et héroïquement projetée dans l'épopée, dénonce une construction
identitaire partagée entre la réalisation historique et l’idéalisation mythique,
entre l’archive des actions fondatrices et une galerie de formes idéales (de
modèles héroïques). C’est précisément ce séisme originel qui donne l’aspect
32 | SYMBOLON 16

agonal de la morphologie culturelle latine, et, en ayant comme intermédiaire


l'érotisme, il prépare le terrain de l'apparition de l'agon élégiaque qui deviendra
l'espace de l’accouchement discursif du Je: une confrontation permanente entre
le moi et l'autre, le débat amoureux élégiaque a des implications bien plus
profondes, dans la mesure où il se répercute sur la morphologie clivée primaire
de cette culture; c'est une mise en abyme de la fracture entre la mémoire
collective ou le moi historique légitimé par les ancêtres (mos maiorum / coutume
des ancêtres) et l'auto-projection symbolique (semblable, d'un point de vue
fonctionnel, à la projection érotique sur l'altérité élégiaque); absent du scénario
imaginaire du balancement entre le Moi historique et le Moi idéal, le Je caché de
la construction de l'identité romaine émerge au sein de l'élégie érotique comme
un effet discursif du jeu à la frontière de l'Autre (le moi étant un effet miroir
produit par rapport à l'altérité).
Préparée par des poètes néotériques (parmi lesquels le pré-élégiaque
Catul a un rôle important dans la spécialisation érotique de l'élégie), la poétique
élégiaque s'affirme, comme une évasion maniériste dans la subjectivité, au sein
d'un cercle restreint de poètes soucieux de cultiver des valeurs personnelles au
temps d'Auguste (détachée de la vie politique dans les conditions de pacification
et de restauration romaines qui marquent ce siècle qualifié de « siècle d'or », la
génération élégiaque se replie sur la vie privée et l'intériorité). L'orientation du
programme culturel augustéen vers l'imposition du classicisme, favorable à son
idéologie de restauration de la tradition et de garantie de stabilité dans un monde
déchiré par des guerres intestines, n'exclut pas l'apparition d'enclaves non
classiques comme le phénomène élégiaque (alimenté par l'alexandrisme présent
d’un côte au niveau structurel de l’œuvre et de l’autre côté au niveau de la
bohème littéraire, en tant que style de vie); tout autrement, c'est le moment de
grâce de la coexistence de la rigueur et du formalisme classique avec le
sentimentalisme élégiaque (la conjonction de l'extériorité du regard romain avec
le regard intérieur). Déployant un thème basé sur une diversité de sentiments et
de situations, dans le contexte grec d'origine (elégheia), mais principalement lié
à la lamentation funèbre, l'élégie se spécialise dans l'érotisme à Rome
(paradoxalement, au milieu d’une culture moralisatrice et anti-érotique): « À
Rome, l'élégie ne traduit pas nécessairement la mélancolie, suscitée par les
tribulations érotiques, mais s'impose plus particulièrement comme un poème
essentiellement érotique, à la fois sentimental et sensuel, écrit en distiques
élégiaques. Bien sûr, à Rome l'élégie n'a jamais eu de frontières fermes et
fermées, elle s’est manifestée surtout comme une attitude spirituelle, qui
employait des thèmes et une métrique utilisés dans d'autres genres
littéraires. Cependant, elle avait acquit une autonomie clairement conscientisée
par Ovide et autres écrivains romains » (Cizek, 1994: 321). L'autonomie de
l'élégie érotique, en tant qu'espèce au sein d'une littérature qui manifeste, d’une
manière programmatique, ses préférences pour l'historiographie et l'épopée (afin
de remémorer le réel et de prophétiser l'idéal), est pourtant symptomatique pour
L'Imaginaire de la guerre | 33

le retour en force de l’émotionnel refoulé sous la forme de l'autonomie de


l'érotisme (exactement cet amour vagabond, dangereux, que les Romains ont
constamment réprimé et que Lucrèce bannit de la Cité dans son poème dédié à la
nature - Venus volgivaga / l’errante Venus). L'agon qui se joue entre les amants
à travers un vertige d'effondrements et de triomphes (exposé dans son drame
absolu chez Propertius, camouflé dans des projections idylliques chez Tibullus,
ou devenu histrionique chez Ovide), l'érotisme élégiaque est en fait le terrain
psychique du miroir narcissique, entre soi et l'autre (processus de spécularité
primaire), l'élégie érotique étant le document qui atteste la naissance discursive
du Je dans une culture forgée par les structures mentales civiques.
Même s’il était dissimulé, enveloppé de conventions rhétoriques,
l'érotisme élégiaque cède la place à l'irruption de la voix personnelle du Je au-
delà des masques conventionnels destinés à la protection de l'individu par un
mur des garanties communautaires (sur le modèle des murs de défense de la
Cité). Catalysant la subjectivité et protégeant en même temps la sensibilité par la
convention, la rhétorique élégiaque devient le creuset où surviendra la naissance
discursive du Je lyrique, ainsi que la projection du Moi épidermique, similaire à
la protection exercée au niveau de l'histoire infantile. Le principal effet topique
de la supra-simulation corporelle est celui du développement précocement d’une
forme du Je, que certains auteurs appellent le pré-Moi et que, pour ma part, je
préfère le nommer Moi épidermique. Le processus de consolidation des
fonctions psychiques du Moi par les fonctions biologiques de la peau, s'avère, en
effet, patent à quatre égards. Le moi-peau offre une grande protection à la
multitude éparse de données sensorielles, émotionnelles, kinesthésiques, qui
peuvent ainsi se muer en contenus psychiques (d'où la première acceptation du
code comme codex, c'est-à-dire comme une planchette sur laquelle sont
regroupés toutes les prescriptions d’un domaine); cet aspect du Moi-peau
continue de correspondre, en mathématiques, à l’ensemble vide. De même, le
moi-peau confère une barrière protectrice de l'autonomie interne et de l'identité
personnelle (dont les seuils une fois franchis provoquent d'abord une souffrance,
puis un état d'impuissance catastrophique). En plus, c’est le Moi-peau qui filtre
les échanges entre l'intérieur et l'extérieur » (Anzieu, 2004: 86). Partiellement
fabriquées rhétoriquement, partiellement assumées, l'émotion, la sensualité,
l'expérience amoureuse du sujet constituent une première forme d'affirmation du
Moi à travers un appareil discursif où les contenus conventionnels et les
contenus psychiques spontanés se superposent, en prenant un aspect de
palimpseste, l'élégie érotique devient le lieu de la projection du Moi à l’intérieur
d’un code (au sens originel du codex des premières inscriptions sensorielles et
de certaines prescriptions comportementales, car la réécriture de l'agon érotique
dans le classicisme du XVIIe siècle prendra la forme du conflit entre raison et
passion ). Par ailleurs, le lien originel de l'agonistique avec le culte des héros
(l'agon étant un jeu funéraire) fait du Moi un héros fondateur du monde
intérieur, inconnu jusqu’à ce moment-là chez les romains, bien menaçant pour
34 | SYMBOLON 16

leur esprit pragmatique. Demi-dieu qui, souvent, se fait le médiateur entre les
humains et les dieux, ce héros célébré, à travers les jeux funéraires, dans l'espace
de cette poétique, n’est autre que le Je élégiaque, médiateur entre le monde
chthonien de l'inconscient et l'altérité idéalisée par l'amoureux (le miroir du Moi
Idéal). Changeant donc la guerre héroïque par la guerre érotique, l'élégie latine
est le lieu de la préfiguration de l'intériorité, de la subjectivité égocentrée propre
à la modernité post-cartésienne ; c'est le seuil même du passage d'une conception
du sujet entendu comme spiritualité, continuellement pratiquée et transformée
par rapport au monde et aux autres, à une représentation du sujet comme
intériorité examinée à la loupe du savoir (selon la distinction formulée par
Michel Foucault dans L’Herméneutique du sujet, 2004).
Analysant les rapports entre l'histoire de la subjectivité et celle du
concept de vérité (le rapport entre sujet et savoir), Michel Foucault signale la
mutation cartésienne qui s'est produite dans la sphère de la représentation du
sujet par le passage du modèle ancien du savoir relationnel (pratique) au modèle
du savoir rationnel, instrumental, propre à la modernité: d'une part, l'antiquité
gréco-latine propose un modèle de subjectivité comprise comme spiritualité, le
rapport à la vérité s'inscrivant dans une dimension ontologique et pratique (le
régime d’être et du faire), mettant l'accent sur la pratique de la limite et sur
l'expérience; d'autre part, l'époque moderne intériorise la relation entre le sujet et
la vérité, rétrécissant l'espace de leur manifestation dans le champ d'une théorie
de la connaissance. L’ascension du modèle rationaliste-instrumental aux dépens
du modèle spiritualiste-relationnel s'opère en même temps avec la re-
hiérarchisation des fonctions tenues par les deux préceptes fondamentaux qui
soutiennent le modèle du sujet dans l'Antiquité, à savoir epimeleia heautou /
cura sui (se soucier de lui-même), respectivement gnôthi seauton / noscete
ipsum (connais-toi toi-même). Situé à l'origine dans une position de super-
ordination, le souci de soi deviendra un précepte subordonné à la connaissance
de soi, à la suite de diverses transactions linguistiques qui associent le souci de
soi à la réclusion, à la mélancolie, à l'égoïsme, valorisant plutôt le précepte
rationnel et efficace de la connaissance comme un auto-examen rationnel et
lucide. Cette redistribution des fonctions marque le tournant subjectif dans
l'histoire du rapport du sujet à la vérité, changeant le modèle de la spiritualité (la
vérité relève de la pratique, de l'exercice des limites au contact du monde et des
autres, au sein d'une théorie des limites - une pératologie) avec le modèle de la
subjectivité égocentrique (la vérité est obtenue par un examen approfondi
effectué avec l'instrument de la raison et de la logique, au sein d'une théorie de la
connaissance). En imposant au sujet des opérations (spirituelles) spécifiques,
comme l'auto-transformation, le déplacement des frontières par lesquelles il
délimite ses rapports au monde, le travail et l'auto-élaboration continue, la
spiritualité circonscrit le modèle de la relation permanente du sujet avec
l'extérieur: « Nous appellerons spiritualité l'ensemble de ces recherches,
pratiques et expériences que sont les purifications, les ascèses, les renoncements,
L'Imaginaire de la guerre | 35

les conversions du point de vue, les modifications de l'existence, etc., et qui


constituent, non pour la connaissance, mais pour le sujet, pour l'être même du
sujet, le prix à payer pour accéder à la vérité. [...] La spiritualité postule que la
vérité n'est jamais directement accessible au sujet. [...] Elle postule que le sujet
doit changer, il doit se transformer, se déplacer, devenir, en quelque sorte et
jusqu'à un certain point, autre que lui-même pour avoir le droit d'accéder à la
vérité. La vérité n'est offerte au sujet qu'en échange d'un prix qui met en jeu
l'être même du sujet » (Foucault, 2004: 26).
Formes d'épanouissement spirituel, l’amour et l’ascèse (erôs et askêsis)
sont les voies fondamentales par lesquelles se produit la sortie hors de soi du
sujet dans le rapport à la vérité et, sur ce fond, l'élégie érotique devient le théâtre
des reconfigurations topiques de la subjectivité, de l’intériorité, du psychisme
(c'est l'arène symbolique où se joue le drame de l'affirmation du Moi dans le
régime de la subjectivité moderne). Une série de représentations impliquées dans
l'érotisme élégiaque sont marquées par le modèle peratologique de l'auto-
gouvernance par référence à l'idée de mesure et de limite, le sujet administrant
son plaisir, son désir, son corps comme s'il se déplaçait entre les murs de la cité,
cherchant à ordonner, à distribuer et à hiérarchiser les éléments de l’ensemble (à
une échelle humaine ou cosmique). Ainsi, si la spiritualité est la voie d'accès du
sujet à la vérité en testant constamment les limites par rapport à l'autre, avec
l'espace social/civique mais aussi avec l'espace cosmique, par une extension
extrême, une conception liminaire et graduelle médiatise la relation du sujet avec
son propre plaisir (désir) et avec son propre corps. L'ensemble du complexe
aphrodisiaque fonctionne par quantifications et déplacements entre les limites
dans le cadre d'une économie du désir fondée sur la recommandation de la
mesure par similarité au souci de soi: la pratique des plaisirs (investiguée par
Michel Foucault dans L'Histoire de la sexualité, 1995) est réglée par la juste
répartition entre très peu et trop, entre trop rarement et trop fréquemment, trop
intense et trop faible; également, la répartition des rôles actif/passif respecte un
modèle hiérarchique générique, fonctionnel à plusieurs niveaux (domestique,
social, politique, cosmique). Une perspective éthique et esthétique détermine la
stylisation du désir, de la sexualité et de l'érotisme dans l'Antiquité (par
opposition au modèle du savoir discursif de l’époque moderne): « En
schématisant, on pourrait dire de la pensée morale de l'Antiquité, à propos des
plaisirs, qu'elle ne va pas ni vers une codification des actes, ni vers une
herméneutique du sujet, mais vers une stylisation de l'attitude et vers une
esthétique de l'existence » (Foucault, 1995: 184). Structuré selon le modèle
unisexué de la métaphysique androgyne, le corps est vu comme un tout
oxymorique dans lequel l'anatomie masculine et féminine se positionne, l'une
par rapport à l'autre, comme la face et le pile d'une pièce de monnaie, le
développement des organes sexuels vers l'extérieur ou vers l’intérieur, se
repliant selon un modèle d'ordre métaphysique. « En généralisant, on peut dire
que la biologie et l'expérience humaine reflétaient la réalité métaphysique dans
36 | SYMBOLON 16

laquelle on pensait que l'ordre social se trouvait ancré » (Laqueur, 1998: 17).
C'est ainsi que la grande bataille érotique se livre, dans l'espace élégiaque, à la
frontière de l'autre corps, celui-ci devenant une sorte de mur d'enceinte, le seul
capable de délimiter l'intériorité en l'absence d'un discours de subjectivité,
concentré et légalisé par une histoire ou un modèle; une série d'apparitions
corporelles et d'enregistrements sensoriels ponctuent le monde subjectif des
amants ou la cité intérieure à conquérir (ce « Moi-peau » projeté comme une
préforme du Moi). En ce sens, l'élégie érotique est l'arène de l'affirmation
individuelle du Soi à la limite de l'individualité de l'Autre, l'érotisme stimulant la
construction d'un code discursif propre à l'expression de la voix personnelle
amoureuse (l'érotogonie élégiaque est une cosmogonie intériorisée à l’intérieur
de laquelle l’agon, à la fois douloureux et heureux, va produire l'individuation,
centrée sur l'éruption émotionnelle du Je). Ouverte sur l'abîme irrationnel de
l'amour, la poétique élégiaque de Propertius constitue le seul espace de
manifestation du véritable enjeu de l'érotisme (puisque les autres élégiaques
camouflent l'abîme), à savoir la structure agonale du désir fondée sur le lien
entre « la violence et le sacré » (selon la thèse de René Girard concernant
l'exhibition du mécanisme du « désir mimétique » dans la tragédie grecque): le
désir est toujours traversé par la violence et soutenu par la projection du sacré,
puisqu'il n'est orienté qu'en apparence vers l'objet appartenant à l'Autre comme
Modèle, visant, par essence, précisément le surplus de l'être qui fait apparaître le
Modèle comme autosuffisant, triomphant; ce qu’il veut, le sujet, c'est donc
imiter la perfection divine de l'Autre, l'être complet dont il semble être doué et
pour lequel l'objet de la dispute n'est qu'un indice. On remarque que le désir est
lié à la violence triomphante; elle s'efforce désespérément de dominer et
d'incarner cette violence irrésistible. Le désir suit la violence comme une ombre
car la violence représente l'être et la divinité » Girard, 1995: 164). Violente,
passionnée, extrême, l'érotique élégiaque de Propertius se déploie comme un
vertige d'effondrements et de triomphes (des illuminations et des ténèbres, des
victoires absolues et défaites), offrant à travers de tels cyclothymies une
radiographie du désir perpétuellement oscillant entre Soi et l'Autre, mobilisé par
le fantasme d’une plénitude de l'être. Alors que d'autres auteurs élégiaques
(Tibullus, Ovide) préféraient travestir l'agon, soit par des décors idylliques
(Tibullus), soit en recourant à la théâtralité et aux masques (Ovide), Propertius
fait preuve d'un véritable héroïsme en assumant et en affrontant l'érotisme
irrationnel que traduit le jeu abyssal du désir avec l’être total, projeté comme
sacré et saillant à travers la violence (cette violence sacrificielle à potentiel
fondateur).
La concentration de la grammaire de la passion de Propertius sur des
termes tels que furor (fureur, rage, folie, passion), dolor (douleur), flectus
(pleurer), errance (lapsum revocatis / vous vous souvenez d'un égaré - I, 1 : v.
25; sensus deperditus / le sens dispersé – I, 3: v. 11), une préoccupation intense,
un travail (nostros labores / nos épreuves – I, 6 : v. 24) qui vont indiquer non
L'Imaginaire de la guerre | 37

seulement l'authenticité du vécu (défiant la convention élégiaque), mais aussi


l’accès au noyau agonal du désir et de l'érotisme. L’acception de l'amour comme
passion convulsive et maladie (« Et mihi iam toto furor, hic non déficit anno / Ça
fait un an que cette colère ne m'a pas quitté » – I, 1: v. 8), met l'accent sur le
noyau irrationnel du pathos, sur les possessions démoniaques, du type des
« interventions psychiques », décelées par E. R. Dodds dans l'analyse des formes
de l'irrationnel (en particulier l'irrationnel propre à la culture homérique). Décrit
comme furor, l'érotisme entre dans la sphère des folies réparties, dans
l'Antiquité, en plusieurs grandes classes : la folie prophétique (gouvernée par
Apollon), la folie rituelle (gouvernée par Dionysos), la folie poétique (inspirée
par les Muses) et la folie érotique (insufflée par Éros et Aphrodite). Ainsi
intégrée au tableau de l'irrationnel antique, la passion érotique de Propertius vise
cet absolu ontologique qui veille aux tréfonds du désir, et qui émet les signaux
de la violence; donc, l'agon qui se joue entre les amants (l'alternance des rôles de
vainqueur et de vaincu) est, en fait, un retournement de l'image de la plénitude
de l'être (et donc du sacré) en relation avec l'altérité. Similaire au débat tragique
(la réciprocité violente qui structure la poétique de la tragédie, selon René
Girard), le débat agonal élégiaque opère une déconstruction radicale dans
l'archéologie du désir. Si, insistant sur la thématique du parricide et de l'inceste,
la tragédie grecque déconstruit l'ordre communautaire (social, familial) laissant
l'individu seul sur le devant de la scène face à l'irrationalité de cet ordre, l'élégie
latine déconstruit, à travers l'irrationalité de l'érotisme, même la matrice
psychique de la formation spéculaire du Moi en relation avec l'Autre. En
projetant le thème du parricide et de l'inceste sur l'individu, la tragédie
déconstruit le système des relations communautaires jusqu'à la représentation de
la violence sexuelle comme fondement: « Comme les phénomènes naturels, la
sexualité est bien présente dans les mythes ; elle joue ici un rôle encore plus
important que la nature, mais pas plus décisif, car c'est elle qui vient au premier
plan, dans le parricide et l'inceste, associée à une violence purement individuelle,
pour fournir un dernier écran à l'infinie réciprocité de la violence, la menace
absolue qui détruirait l'humanité si l'homme n'était pas protégé par la victime
expiatoire, c'est-à-dire par l'ignorance. [...] La sexualité nue et pure se situe dans
la continuité de la violence ; elle constitue donc le dernier masque dont il est
recouvert, ainsi que le début de sa révélation » (Girard, ibidem: 129).
La déconstruction réalisée à l’intérieur de l'espace de l'élégie érotique
latine fait disparaître ce « dernier masque » de la violence interminable (qui est
cette même structure qui génère la différence, le fond pur, différentiel,
dionysiaque), à savoir la sexualité découverte à travers le parricide et l'inceste,
allant jusqu'au bout de l'archéologie du désir; par l'alternance violente du
vainqueur et du vaincu, contenant la signification d'un jeu ontologique de
créations et de dissolutions, l'élégie érotique signale, sous le masque de la
sexualité (révélée dans la tragédie), la véritable source agonale, l'être lui-même
comme enjeu du désir et de l'érotisme. C'est ce que Georges Bataille signale, lui
38 | SYMBOLON 16

aussi, comme étant la vérité profonde de l'érotisme: « C'est la crise de l'être :


l'être fait l'expérience intérieure de l'être dans la crise qui le met à l'épreuve, c'est
la mise en jeu de l'être dans une transition allant de la continuité à la
discontinuité ou de la discontinuité à la continuité. L'être le plus simple possède,
nous l'admettons, le sentiment de ses limites. Si ces limites changent, c'est qu'il
est touché dans ce sentiment fondamental, et ce toucher est la crise de l'être doté
de conscience de soi. [...]Surtout dans la sexualité, le sentiment d'autrui, au-delà
du sentiment de soi, introduit entre deux ou plusieurs individus, une possible
continuité s'opposant à la première discontinuité. Les autres dans la sexualité
offrent constamment une possibilité de continuité, les autres ne sont pas enclins
à menacer, à essayer d'attraper un petit bout de l’habit sans couture de la
discontinuité individuelle » (Bataille, 2005: 115-116). Les jeux amoureux qui
ont lieu à la frontière de l'autre corps, ainsi que le scénario des limitations, des
délimitations et des transgressions du corps, qui ponctue systématiquement la
poétique de Propertius, mettent en scène précisément cette « crise de l'être »
signalée par Bataille à travers le jeu des continuités et des discontinuités
qu'implique l'érotisme. En activant une théorie de la limite (sur laquelle se greffe
la construction du sujet dans l'antiquité, respectivement l'économie du plaisir et
du désir), les guerres menées par Propertius autour du mur d'enceinte corporel
(le corps enrichit en quelque sorte l'imaginaire de la cité) vont configurer une
pératologie érotique; ainsi, dans certaines élégies, la continuité des corps
amoureux se manifeste sous la forme d’un projet mythique du territoire retrouvé
(orné d'images mythologiques, le corps de l'aimée est une promesse
paradisiaque, idyllique; d'autres fois (comme dans l'élégie II, 15), la nudité
radieuse et hypnotique provoque une éclipse du Moi et une dissolution dans
l'autre ; de nombreuses élégies deviennent le théâtre de rencontres fragmentaires
et elliptiques entre les corps (attouchements, rapprochements et éloignements,
morceaux de corps vus comme objets partiels de la séduction), déclenchant des
crises de l’être par l'alternance des continuités et des discontinuités. En projetant
l’intégralité de l'agon sur la scène du corps (la seule capable de briser les
barrières de la convention élégiaque), l'érotisme de Propertius exhibe toute la
tension de l'être qui devient une tension des fondements du Je lyrique et de
l'intériorité à l'état pur; le corps est, dans cette poétique élégiaque, le lieu de la
projection de soi au niveau du discours, une sorte de degré zéro de l'écriture
subjective (lieu sublimé chez Ovide dans l'excès maniériste des codes et des
langages, transféré intégralement au niveau du discours comme signe de
insupportabilité du lieu psychique découvert). Ballotté entre amants dans un
vertige d'effondrements et de triomphes, le corps devient la victime expiatoire
par laquelle l'érotisme accomplit son œuvre au plus profond de l'être, ouvrant
l’aire de la subjectivité (énoncée discursivement à travers l'arsenal des
conventions rhétoriques élégiaques). C'est le moment de pleine lucidité et de
révélation au seuil de la naissance discursive de l'intériorité, seuil que Propertius
a enregistré en sa propre nudité (à la fois voluptueuse et douloureuse), et que
L'Imaginaire de la guerre | 39

l'érotisme moderne a stylisé et sublimé dans le discours. Il a eu la vision de


l'abîme psychique chez un être hanté par la violence et le sacré (car la violence
est le signal de l'être absolu, divin, qui s'offre et se refuse à la fois), dimension
transférée au « frisson » métaphorique dans la littérature moderne de l'érotisme:
« C'est pourquoi l'érotisme moderne et la littérature de cet érotisme, au-delà
d'une certaine intensité, tendent à s'élever au vocabulaire du sacré. Toutes les
grandes métaphores lyriques se rapportent directement ou indirectement au sacré
violent, mais la critique littéraire le mentionne sans s'y attarder. Elle ne
s'intéresse pas à la genèse mimétique, mais au frisson toujours renouvelé que lui
procurent ces métaphores » (Girard, 1999: 334). D’ailleurs, le processus du
transfert de l'agon existentiel de l'érotisme élégiaque dans le discours commence
de l'espace latin, dans la mesure où, pour se protéger de l'insupportable de cet
abîme vu par Propertius, Tibullus camoufle mythiquement l'agon en le projetant
en scénarios idylliques, et Ovide détourne le tout en histrionique, en un jeu de
langages et de masques; soutenu par l'appareil même des conventions
élégiaques, Ovide est le maître du passage de la praxis au logos, amorçant le
grand travail discursif de la subjectivité moderne (signalé par Foucault, 1994).
En poursuivant la série des déconstructions engagées par la tragédie (la
tragédie déconstruit et déplace ce que le mythe et le rite fondent), l'élégie
érotique déconstruit ce dernier fondement de la sexualité ce « masque » de pure
violence différentielle dont parle René Girard, signalant l'agon de l'être en tant
que vérité du désir. Opération difficile à accepter pour les romains (réfractaires à
l'intériorité, mais d’excellents stratèges dans la conquête et la gestion de
l'extériorité), qui pourtant s'impose à eux avec la force du retour du refoulé (le
refoulement de la sensibilité et de l'émotion provoque leur irruption sous la
forme de l'érotisme élégiaque). La remarque de Pascal Quignard au sujet du
regard mélancolique dévié des patriciennes dans les fresques romaines à thème
érotique vise toute une mentalité et un comportement culturel : pour les
Romains, l'érotisme a une force de fascination et d'hypnose aux effets
"médusants", pétrifiants, thanatiques (« Ce regard érotique, hypnotisant et
thanatique, c'est un regard gorgonique. Ce regard offre le secret des peintures
romaines. [...] Au regard qui effraie, au regard gorgone, au regard médusant
répond la nuit inattendue » - Quignard, 2006 : 75); l'évitement craintif du
phallique est l'évitement de l'abîme psychique que l'agon de la poétique
élégiaque révèle (par Propertius) et en même temps le déguise (par Tibullus et
Ovide).
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roumain par Catrinel Pleșu et Petru Creţia, Éditions Polirom, Iassy, 1998.
Foucault Michel, Istoria sexualității (Histoire de la sexualité), traduit en
roumain par Béatrice Stanciu et Alexandru Onete, Editura de Vest, Timisoara,
1995.
Foucault Michel, Hermeneutica subiectului (L’Herméneutique du sujet),
traduit en roumain par Bogdan Ghiu, Éditions Polirom, Iassy, 2004.
Girard René, Violența și sacrul (La violence et le sacré), traduit en
roumain par Mona Antohi, Éditions Nemira, Bucarest, 1995.
Girard René, Despre cele ascunse de la întemeierea lumii (Des choses
cachées depuis la fondation du monde), traduit en roumain par Miruna Runcan,
Éditions Nemira, Bucarest, 1999.
Laqueur Thomas, Corpul și sexul (Le Corps et le sexe. Dès Grecs à
Freud), traduit en roumain par Narcis Zarnescu, Éditions Humanitas, Bucarest,
1998.
Ovide, Opere (Œuvres), traduit en roumain par Carolina Tomoianu, Ana
Munteanu, Mariana Covalschi et Lilia Turcanu, Éditions Gunivas, Chisinau,
2001.
Petecel Stella, Agonistica în viața spirituală a cetății antice
(L’Agonistique dans la vie spirituelle de la cité antique), Éditions Meridiane,
Bucarest, 2002.
Propertius, Elegii (Élégies), traduit en roumain par Vasile Sav, Éditions
Univers, Bucarest, 1992.
Quignard Pascal, Sexul și spaima (Le Sexe et l’effroi), traduit en roumain
par Nicolae Iliescu, Éditions Humanitas, Bucarest, 2006.
Segre Cesare, Istorie-cultură-critică (Histoire – culture – critique),
traduit en roumain par Stefania Mincu, Éditions Univers, Bucarest, 1986.
Tibullus, Elegii (Élégies), traduit en roumain par Vasile Sav, Éditions
Univers, Bucarest, 1988.
THE APOCALYPSE - FROM FEAR TO INDIFFERENCE

Adi Petru DANCIU

Résumé. La science de la démonologie et l'imaginaire offrent de nouvelles perspectives en


abordant le texte considéré comme le plus controversé dans le canon des livres du Nouveau
Testament. Notre analyse propose une approche à la limite de la démystification à partir
précisément du mythe construit comme un livre : l'Apocalypse. Le passage du temps, sans aucun
effet sur le plan de l'accomplissement des prophéties, donne à l'imagination un espace infini pour «
voir » ou imaginer des mini-apocalypses, sans perdre de vue leur source commune : l'Apocalypse
de Jean.

Mots clés: L'Apocalypse, la Bête, l'Antéchrist, l'imaginaire apocalyptique, l'apostasie.

Demonology and abyssal psychology, to list only two of the multiple research
perspectives of the religious imaginary, bring nothing but a new perspective to
the already known key to the theological reading of the text of John’s Book of
Revelation.
What would be the practical purpose of the Book of Revelation’s message?
Christian theologies abound in arguments approved by dogmas specific to each
dominion and implicitly conforming to their own expectations, not infrequently,
perhaps too personal, of those who issue them. The guiding line of interpretations
centers around the messianic presence capable of rewarding, at the end of time,
the faithful as it is, of punishing the apostates1. Each time the emphasis falls on
the moral meaning of keeping the Christian faith right. Over the millennia, the
message transforms into an exhortation not to leave the community presence, a
fact that would endanger personal faith by falling into temptation and, why not,
embracing apostasy. Gradually, over the iconic image of the Savior will be
superimposed, until it fades, that of the community, or of the “fighting” Church.
It is about all that has been preserved of the messianic expectation of the
Christians of the first centuries. Christians of the 21st century no longer live in
the joy of waiting for the second coming, but in the cyclical cadence of church
holidays.
The facts for the time in which the book of Revelation was written showed
otherwise. There is not just one message, but seven. Each of them was addressed
to a distinct Christian community, made up of converted pagans, therefore, as old
as the foundation of all theology and magical knowledge, all pagan. In other
words, the entire Christian message is tailored to meet this background.
Practically, even if in essence, by reading it we are witnessing a critique of the
religious life of the seven Christian communities, we are dealing with a
“customized” preparation in order to adapt each one individually to the

1
In Orthodox spirituality they are associated with the Athenians (Ieromonahul Nil Dorobanțu,
AThe Antichrist., Floarea de April Publishing, 2017, p. 50-51), a wrong assessment, because the
former believe in the existence of Christ but choose that of the Antichrist.
42 | SYMBOLON 16

requirements of waiting for the imminent coming of the Savior. After going
beyond the simple reading of the author’s criticism brought to the seven distinct
Churches or Christian communities, we have the feeling that existence, as it is
lived on earth, no longer has its meaning after the ascension of Jesus to heaven.
Churches are nothing more than spiritual lifeboats capable of floating on the dark
water of matter and implicitly protecting an ethnically diverse community, but
united under the same creed (not dogmatic), to see Christ coming on the clouds
of heaven, the savior of all. The idea of an imminent ascension is as clear as can
be.
No Christian of the first centuries projected this expectation beyond the end of
his life. The reason was simple: for him there was no argument of a spiritual
nature by means of which he could justify a possible delay. In fact, Revelation is
nothing but a response reaction of its author to this increasingly tense expectation
and to the danger of losing faith in the second coming. This answer is evidenced
by the argumentative visions of the increasingly virulent manifestations of evil in
the world. It is a verified ascension also on the plane of physical reality by the
escalation of persecutions in which physical death played the least role. The real
danger was apostasy or spiritual death, hence the great trap of the persecutors,
not so much physical as spiritual (Ephesians, 6, 12). If apostasy had not
represented a real danger to the unity of the Christian community of the first
century, such books as Revelation would never have been written.
We are also convinced of the fact that apocalyptic thinking is born in periods of
heavy persecution2. We see the effect even in modern times, in Romanian
communism where Romanians were waiting for the “imminent” arrival of the
Americans. We all know the outcome, this did not happen. More recently, under
the pressure of various pandemic “persecutions”, or other fears such as, for
example, bacteriological or atomic wars, we have an eruption of “apocalyptic
scenarios” or “conspiracy theories”. It would be interesting to approach from the
perspective of the Jungian abyssal psychology of the eruption and crystallization,
apparently chaotic, in the space of conscious reality, of archetypes, especially
from the perspective of a history that seems to keep repeating itself (Ecclesiastes,
1, 9).
Although, in essence, the practical purpose of the work is to preserve the
teaching and faith received through baptism, the divine message will be
particularized with the analysis of the spiritual situation of each individual
community and hence, fragmented for the conscience of each individual believer,
sign that there was no idea of a circumscribed and dogmatically accepted God; a
construct that will appear over time, as a forced (apologetic) reaction to the
multiplication of heresies within the Church. We can assume that God is
understood to the extent that all Christians have “assimilated” him, in the sense

2
Such a period is fraught with the danger of detachment from the faith, a detachment sufficient to
allow “separate thinking” or heresy, a conversion to a syncretic system most likely as young as
Christianity itself.
L'Imaginaire de la guerre | 43

of an exoteric type of knowledge, a Christian gnosis received through the


catechumenate, a kind of religious “re-education”. However, a thousand factors
can disrupt this assimilation, a sign that the too-young Christian imaginary, in
formation, can hardly cope with the pressure of the pagan knowledge of the
future catechumens. Two extremes appear, those who succeed (saints and
martyrs), as well as those who fail: apostates and heretics. We are almost certain
that what we call the perception or “mystical experience” of God (an esoteric
knowledge gradually assimilated, through personal experience accumulated
following participation in Christian rites but also as one’s own prayer) is also
different for each group of Christians influenced by the personal experience of
one or more such experiencers.
For the demonology of Christianity of the first centuries, the success of the act of
temptation lies in the details, in all those that make possible the appearance of
desire. For the chosen ones, the restriction of these desires, with a direct effect in
the process of mortification of the body (translated by the gradual drying up of
desires, as many entrance gates of sins, eight in number), has the effect of
receiving the Lord’s seal, a sign of concrete salvation, come even after
martyrdom. In the opposite sense, their expansion viscerally “connects” the soul
to the body in total dependence, extinguishing the prospect of a happy future life,
hence the desire to live as long and as well as possible, if not to reach immortal,
here on earth. This category includes all those who will receive the seal of
Antichrist on their forehead and hand, as a natural proof of their loyalty, with the
assumed risk of total expansion.
If we understand the exciting context imagined by the bestiary of fables by the
author of Revelation, of waiting without any trace of doubt in faith for the second
coming then, because of the supposed too short time between the ascension and
the second coming, we feel the reason for the birth the first frustration that
descends on all Christian communities: the fear of apostasy (identified by
patrology with self-love: “mother of all evils”). The same terrifying apocalyptic
imaginary is also taken up by Christian horror. Like mysticism, gnosis warns
against the insertion of hylic into the spiritual life of “Christ bearers”, corruption
that reaches its peak, the point from which repentance will be impossible, by
accepting the number of the Beast. The hylic, which the Christians imagined to
be capable of consuming the entire vital energy of man through false projections
on the living incarnate, was capable of producing a symbiotic act of the soul with
the body, a dependency capable of dissolving, with the death of the body and the
soul, depriving it of its will and throwing it into despair (pessimism3), will fall
prey to the consumption of eternal fire. It is the ultimate act of suicide. Even

3
A.V. Cioba associates it with the pathological states produced by Satanism, or the religion of the
Antichrist. He says that “a defining element of the culture of non-Satanism is widespread
pessimism and the death of all hope” (Anton Vasile Ciobra, “Satanism: challenge for youth
ministry”, in vol. coordinated by William Bleiziffer and Alberto Castaldini, Demonology today.
Theological foundations and practical aspects. Cluj-Napoca, Cluj University Press, 2020, p. 214).
44 | SYMBOLON 16

fornicators, murderers, sodomites, and other sinners had their share of divine
mercy, even through their continued existence in hell. Origen would say that
punishment, although it is an act of divine justice, is subject to mercy and
therefore not instituted. He goes even further, putting forward the hypothesis of
the salvation of devils4, not of Satan5.
Apostates will not have apocatastasis. As a consequence of recognizing their own
state of return to idolatry (Exodus, 20, 2-3), they will undergo an irreversible
transformation into evil. They will become unable to recognize their sins and, by
implication, to repent. Even when they witness the fall of their fellows
(Revelation, 9, 20-21), they will anchor themselves even more in evil, cursing
God (Revelation, 16, 9, 11), a reflection of the curse in the Book of Genesis
(3,14) and a sign of the hopelessness of Evil (Revelation, 13, 6) imprinted even in
human nature (Job, 2, 9). They become “rapacious wolves” (Matthew, 7, 15),
deceivers and persecutors only of Christians, candidates for the position of
apostles of the devil or the antichrist (John, 2, 18) whom John mentions, most
likely quoting Christ. The association of apostates with the Jews, even if not
exclusive (Titus, 1, 10), will happen from the time of John, who will conclude
them from the words (Matthew, 27, 25; Revelation, 2, 9) but also from the deeds
them (Acts of the Apostles, 4, 51-53; Revelation, 3, 9). Gradually, with the
passing of the centuries, anti-Semitism with an antichrist foundation of apostasy
will know a nuance, targeting the category of those “lukewarm” Christians, far
from the right faith or heretics. It is a milder wording through which the
(ecumenical) hope of returning to the true (Orthodox) faith is to be preserved.
Antichrists, like demons, are living entities, originally good, therefore creatures
of God. By accepting the deception they gave up their free will. Against it, as a
weapon of defense, he should have counterposed his faith. For all of them being
did not prove to be a datum. Interestingly, the state of Satan, the Antichrist and
the evil angels is described, whose existences, which seem extinguished, only
raise their smoke forever (Revelation, 14, 11; 19, 3). The history of evil angels
can also be connected to the accounts of guardian angels in the Apocrypha of
Enoch6, as well as throughout the literature it influenced7. In the text of the
Revelation, they receive a new meaning, through the decision to follow the
alliance with Satana, in a last attempt to conquer the Heavenly Heaven
(Revelation, 12, 7-9)8. Earth demons are deprived of such power. The apostates

4
Raluca Moceanu Pleșa, The actuality of apocatastasis. Between God's love and human freedom.
Preface by George Remete. București, Eikon Publishing, 2021, pp. 36-37.
5
Nicolae-Dragoș Kerekes, Origenism in the III-VIII centuries. Foreword by Ioan-Vasile Leb. Cluj-
Napoca, Renașterea Publishing, 2016, p. 58.
6
Remus Onișor, The Book of Enoch and the Intertestamental Apocalypse. Alba-Iulia, Reîntregirea
Publishing, 2000.
7
An example is the recapitulation of their history in Testament of Reuben (Testaments of the
Twelve Patriarchs. Greek translation, introduction and notes de Walther Alexander Prager.
Bucharest, Univers Enciclopedic Gold Publishing, 2015, p. 43).
8
Demons only have the ability to tempt, to induce idolatry and necromantic practice.
L'Imaginaire de la guerre | 45

who make up the army of the inhabitants of the earth are killed by the power of
the verb, that is, the sword that “came out of the mouth of the one sitting on the
horse” (Revelation, 19, 21). As for the materialized beasts of the universal
demonic imaginary9, we learn that they are cast into the “lake of fire and
brimstone” (Rev. 19, 20-21). Apostates will not suffer the same. They do not
appear mentioned as being punished alongside the living forms of Evil, a sign
that the author of the book does not see any functional meaning, to use them in
the next divine plan (Revelation, 20, 1-3; 7-10). They are no longer mentioned
because their souls simply no longer exist.
What and who is Evil?
From a demonological perspective, the extraordinary merit of the author of the
Book of Revelation is that he manages to compose a harmonious composite of
everything that was already accepted in both Judaism and Christianity regarding
the ductile forms of the manifestations of Evil in the universe. What is Evil?
Through the bestial forms of its manifestations, for John, Evil is a living energy,
with a will of its own capable of appropriating or otherwise destroying
everything that falls in its path. It is the insidious or direct life behind any action
with a punitive or destructive purpose. For example, punishing is the moment
when the author imagines (or is revealed to him) Evil who seems to allow
himself to be used by Good to act against the inhabitants of the earth, together
with the scheduled release of the four (evil) angels tied “to the great river
Euphrates” (9, 13-14). A deliberate act of God. It is produced in agreement rather
than with the agreement of God. The same happens with the armies of
“horsemen”, or evil angels who will torment sinners (9, 16)10. The punishments
of apostates are many. In their case, the author imagines divine energy using evil
(angelic) against evil (human). It is a kind of “blindness” caused by too much
Light that the darkness did not encompass (John, 1, 5). Evil in creation would be
the energy summed up by creatures who refuse communion with God. On him,
the Creator uses them to turn one against the other, an act of anthropophagy and
spiritualophagy.
Likewise, John postulates the existence of pure evil. He was either excluded or
did not belong to the creation of the divine creation. He is the great devourer of
worlds, hence the destructive meaning of all that is not him. Because the origin of
apocalyptic evil is projected as coming to us from somewhere outside our
cosmos. He is able to potentiate the evil already existing in the world to such an
extent that even the saints cannot oppose him (13, 7). Manifested in monstrous

9
Materializations that have contaminated Christian spirituality to the point of merging are today
reduced to simple theological expositions (José Antonio Fortea, Summa daemonica. Treatise on
Demonology and the Exorcis’s Manual. Translation from Italian de Andrei Adam-Motyka. Iași,
Sapeintia Publishing, 2017, p. 63).
10
The number two hundred million is nothing more than the numerological exacerbation of a
number of the watchers in the apocrypha of Enoch.
46 | SYMBOLON 16

forms, they are reborn for the Christians of the seven Churches, through the
credible account of the author of the Apocalypse, terrifying images that they
think they have forgotten and the worship of which they have just given up; sign
that denying the monsters of the collective unconscious does not cancel their
existence. John says that there will come a time when they will wake up, they
will fascinate the weak consciousness (of the apostates) to such an extent that it
will be consumed if it looks at them (Matthew, 6, 22-23). At the moment of
awareness of its presence and implicit acceptance/rejection, with the assumed
risk of embracing a martyr's death, for the Christians of the time period in which
the Apocalypse was written, they realize that the existence of a supreme Evil
over all that is created can no longer be ignored, especially since it cannot be
conditioned by how it freely chooses to manifest itself.
Before the war in Heaven takes place between the already fallen Satan and the
evil angels (12, 7-9) the author inserts an extraordinary presence: a metacosmic
giant red Dragon whose tail “sweeps away a third of the stars of heaven and
throws them to the earth” (12, 3-4). We will meet the same Dragon ascending to
Heaven with the evil angels. Here the Christian author will try to harmonize a
pre-Christian myth with the already Judeo-Christian belief in the existence of
Satan, by associating (12, 9) the Dragon with the demonic trinity of symbols:
Dragon (item used in paganism) – Serpent (Jewish item) – Devil (idem Greco-
Roman) – Satan (Christian item); a gesture that we understand as natural in the
process of establishing some landmarks of a symbolic nature for a Christianity
still newly born.
Evil “metamorphosed” in the name of Satan11, is able to act in creation as he
wishes, can willingly ascend to Heaven (Job, 1, 6; Revelation, 12, 7), even if he
is expelled from there (Luke, 10 , 8; Revelation, 12, 8-9) and to do whatever he
wants on earth (John, 5, 19), hence the lack of any resistance of the Christian in
the face of evil (Matthew, 5, 39), other than to repay in tens, an evil deed with
good (18, 21-22). The fact that only the Creator of the world effectively opposes
it is nothing more than clear proof that a supreme Evil, impossible to quantify
other than through the deeds of its avatars, can no longer be contested. The
dragon, artificially identified with Satan, because the author wants to present a
unitary demonology in which representations of the pagan mythological
imaginary are “adjusted”, is able to pour from his mouth like a kind of water, that
is, a substance that does not exist in creation, in an attempt to drown the
mysterious woman in the labor of giving birth to a future messiah12. We have no
11
Which just as well, giving in the fascination of being like God, in the created plane he was an
entity of divine nature, an angel of the Lord. By embracing the illusion he became the avatar of
Evil. Because he allowed himself to be consumed by it, according to Christian demonology, Satan
can no longer be saved.
12
We can understand from this episode a reminiscence in Christianity of the Jewish belief in the
birth of a messiah, another dedicated to a chosen tribe (a messiah of the Jews?), a sign of the
implacable circular cyclicity of the cosmos from where, several apocalypses (20, 7-10 ). The
subject remains in suspense, because the author does not provide more information (12, 13-18).
L'Imaginaire de la guerre | 47

doubt that the pagan demonic imaginary suffers here as well, adapting to the
Christo-centric Christian one, although we believe that, in the case of the
Apocalypse, we are dealing with a dangerous exit of pagan demonology outside
of evangelical Christocentrism, by the very contouring of Evil as a person and
not in a person, as Christians were used to, that is, by corruption and possession.
In the mentioned case, Satan is rather the Dragon and not vice versa, as the
author of Revelation would like. It is not surprising that it did not take long for
the first reactions of canonical rejection of the work to appear.
So we have a pre-cosmic Evil to which a “product” of creation is associated by
assimilation, an Evil that emanates from matter. We will see that it is a double
one through the origin of the deaf matter that generates it. Of these evils
incubated in matter the first, of which John speaks, is the Beast. She presents
herself to us as a composite of archetypes that by themselves, under the guise of
pure bestiality. The beast rises from the sea, nothing more than the
foreshadowing of that ancient primordial ocean of black blood of Tiamath,
support for all creation. Wounded in an illio tempore, healed by the power of the
Dragon and full of blasphemy, because it is generated using creation, it remains a
“slave” of God (Revelation, 13, 9), at least until the moment of the influx of
power received from the Cosmic Dragon, influx manifested through a gesture of
taming; The Dragon gives the Beast his “throne of rule and great authority” (13,
2-3), so great that he vents all his accumulated tension by blaspheming and
cursing God and even killing the saints living on earth (13, 6-8). A real delirium.
All the apostate inhabitants of the earth will worship him (13, 3-4).
The second evil incubated and released through matter is imagined by John as the
Beast coming out of the earth. He is the Antichrist. He is the prototype of the
ultimate trickster, both in appearance and in his demonic logos: “he spoke like a
dragon” (13, 12) because he persuades the inhabitants of the world to worship the
image of the Beast (13, 14-15). He is able to bring down fire from the sky in
front of everyone (13, 13-1413); he encourages idolatry (13, 15), and the idol
raised by him receives life, i.e. logos. Those who do not worship him, meaning
Christians, will die. We have here a reenactment in the scene and in the mirror,
the evil perspective of the moment of the snake raised on the tree by Moses at the
command of the Lord (Numbers, 21, 4-9) and which, if it was not looked at,
brought the death of the sinner this time. We also identify here a fine
foreshadowing of the Christian precept: “give to Caesar the things that are
Caesar’s and to God the things that are God’s” (Mark, 12, 1714). Finally, it is the
13
Another fire, this time divine, will consume the three in another prophesied apocalypse
(Revelation, 20, 9-10).
14
The spiritual Caesar at the time of Christ is Samael, the (evil) angel of the Roman empire. The
balance had to be preserved in a world created by God but fallen under the power of the evil one (1
John, 5, 19), an expression that defines, in fact, as the Revelation also shows, the belief in the
existence of several entities that act in the same direction, keeping the principle of unity of interest.
It is the “legion” (Mark, 5, 9) sent by Christ to the pigs that threw themselves into the sea,
“recovering” in the “liquid” evil of this world.
48 | SYMBOLON 16

Antichrist who marks the apostates dependent on the wealth of this world with
the sign 66615. He is the sign of the tax (1 Kings, 10, 14/ 3 Kings 10, 14 and 2
Chronicles, 9, 13/ 2 Chronicles, 9, 13), and the “number of man” (Revelation, 13,
18) is nothing but a reference to the one who imposed this tax paid annually in
666 talents of gold, to King Solomon16.
John postulates a single origin of Evil, precosmic, focused on the act of total
annihilation and which has an exceptional ability to adapt and focus. Thus he will
penetrate from an area outside of creation (Matthew, 22, 13) into the angelic
world through the temptation of infinite power. He thus contaminates creation
after creation, in the material world acting through the desire to have, to possess,
and to merge spiritually until the total consumption of the soul in the malleable
and illusory matter giving, energy to the sleeping body of the demon Tiamath or,
if he would or to give credence to Enoch, the dark Adoil17 and the bright Arcas,
stripped of their powers by the divine word, a punitive idea also found in
Revelation (19, 21). The three demonic entities that John mentions seem to unite
in a triune alliance. In it, the Dragon is the manifestation of the effective power
of the first Evil, just as the two Beasts18 (pseudo-divinity cult and pseudo-
charismatic behavior), are the activation of the being in matter of secondary evils
insidiously incubated in the divine act of creation, about which existence, people,
until the discovery of John, had no knowledge.
Such a reading key makes the book’s demonology tributary to pagan
demonologies rather than the Christocentric one of the Gospels and Epistles.
These aspects are impossible to ignore if we have in mind an analysis that does

15
On modern speculation about the sign of the number 666, see: Detlef Grebe, And his number is
666. When will the mark of the beast come? F.l., Evangelical Mission Bad Salzuflen, 1997.
16
Christian exegeses with notarikon do not shed any light on the mystery of this number. Only
one, that of the understanding of the name translated from numbers, of Nero, seems closer to what
we have stated so far in relation to Samael, the angel of Rome and by mirroring the opposites of
the two personalities Solomon - Nero. The number does not only refer to individuals but also to
the existence of a divine/demonic cult of the Emperor that had to be paid. It is a natural association
of the legends that circulated in Judaism about King Solomon's relationship with demons. It is not
surprising that the idea is also developed in Christian literature (Testament of Solomon. The king,
the demons and the building of the Temple. Original translation from ancient Greek and
introductory study by Ștfean Colceriu. Bucharest, Humanitas Publishing House, 2010). When the
nominal “evaluations” failed, the association of the number with the name of the demons was
sought, Belial being preferred in this sense (Wilhelm Bousset, The legend of the Antichrist.
Foreword by A.H. Keane. Romanian translation and edited edition by Ramona Ardelean.
Bucharest, Herald Publishing , 2006, pp. 138-139. On the misunderstanding between Samael and
Belial v. pp. 153-154).
17
Regarding the unpublished history of the creation of the world from Elohim's pre-existing
entities, see: The Book of Enoch's Secrets. Introductory study by Philip S. Alexander. Romanian
translation by Simion Voicu. Bucharest, Herald Publishing, 2014,
18
Enoch is the first to name them: the dragons Leviathan and Behemoth (Revelation of Enoch.
Introductory study, translation and notes by Remus Onișor. Alba-Iulia, Reîntregirea Publishing,
2000, pp. 87-87), nothing more than archetypal motifs that survive, albeit under other names, in
the Revelation of John.
L'Imaginaire de la guerre | 49

not want to be reduced only to a proper exegetical-dogmatic theology of some


truly exotic spiritual realities and which, as we have tried to demonstrate, seem to
us to precede even the creation of angels. Of course, we must not venture
dangerously beyond the tolerable limits of the common imaginary, but we stick
to our conclusion: Evil itself is an egocentric energy that wants to exist only for
itself. For Evil, being alone is absolute peace. Continuing we will say that, for
him, creation is nothing but an unfortunate accident. That he only existed for
himself, the myths always affirm. Present before any creative/ordering act born
in the image and likeness of an “Intruder”, which he opposes (the case of
Tiamath) or in which he is forced to participate (see the splitting of Adoil and
Arcas by the creator Elohim), he wishes to survive this disruption of his entity
and, if possible, recover gradually and until the end in integrum. A true pre-
cosmic apocatastasis or return to origins equivalent to primordial chaos = Pre-
cosmic Evil19. Consequently, the only solution to the salvation of creation is that
revealed in Revelation, namely, a new spiritual creation extracted/saved from the
material one concretely described as a “new heaven and a new earth”; and,
perhaps what is most important, “the sea is no more” (Revelation, 21, 1), a sign
that the new creation is free from any possible direct or indirect contamination of
Evil.
Apocalypse – an expression of divine fears?
Since the acceptance of the canonical reception of the book of John, all Christian
exegesis have followed the idea of a divine plan which, once discovered, is
intended to be put into practice, ad literam. The only problem with this type of
literature is that nothing that is prophetically announced as planned, comes to
pass, this may be due to the simple fact that the tensions that make up such a
concept “detonate” uncontrollably, over long periods of time to create a chain
reaction, i.e. an “apocalypse”. Numerous prophecies about the end of the world
are known that belonged to religions much older than Christianity and even
Judaism, beliefs taken seriously by the priestly class and believers of their time,
but which did not come true for unknown reasons, perhaps because they
disappeared with the religions that spawned them. Perhaps this is also why they
are considered false by the exegetical critique of Christian apologetics. With all
the richly symbolized description (it is the only book in the New Testament
canon that contains the most chapters devoted to the presence and action of evil
in the world, a veritable treatise on demonology, let's say, Christian), we cannot
help but wonder who is using a plan battle unmasked? Any military strategist
knows that in such a situation the enemy will change its battle strategy. And, if

19
We find the idea of the integral recovery of evil first exposed in Manichaeism (Simone
Pétrement, Essay on dualism in Plato, the Gnostics and the Manichaeans. Romanian translation by
Ioana Munteanu and Daria Octavia Murgu, F.l., Symposion Publishing House, 1996, p. 255).
50 | SYMBOLON 16

we were to follow this line of the demonological imaginary, it changes


continuously20.
The fears generated over two millennia of continuous irritation of the Christian
religious imaginary, through the spiritually palpable presence of some entities
against which no believer knows that he will not face them, produces a tense
spirituality, frustration felt on a psychological level as well. It will lead in bigoted
Christian circles to the “cleansing” of evil from the cosmos through virulent
reactions embodied in curses, anathemas, etc., in the presence of everything that
is considered not to represent the Christian faith: schisms and heresies. They are
followed by the hysteria of the witch hunt and when everything seems to end
with the holocaust of World War II we get the pandemic. The human author of
Revelation attributes the writing of the book to divine messages. He is a simple
scib. Or, in this way the Apocalypse is “translated” into the psychologizing
imaginary of modern man as an expression/exorcism of the terrors cast upon the
world not by the author, but by the One who dictated it: the Conscious. What the
modern will understand by pre-cosmic Evil is nothing but the Shadow of this
Consciousness imagined as the entity God, whose psychology obviously cannot
differ much from ours since we are created, more than obviously, in “the image
and the likeness” (Genesis, 1, 26) Sa. Compensation is the effect of masking a
weakness, that of not remaining alone, which is why it will be projected onto His
imperfect creation. She becomes the “scapegoat” of her own failure. Moreover, it
would not be the first, if we believe, in the tradition of the Kabbalah where it is
spoken about bringing into existence and the successive destruction of several
worlds.
After all, a delayed apocalypse would indicate nothing more than the
compensatory function of a divine/ injured conscious mechanism, thus a defense
process born from the awareness of the results of numerous negative experiences.
In this reading key, the whole process of postponing the time of the second
coming of Christ, receives an exegetical meaning for a psychology of the divine.
God/ Conscious tries to postpone the inevitable by threatening creation/
unconscious personally (the elect) and collectively (apostates) alike. Deprived of
the unconscious, the conscious would succumb to solitude, which we learn is not
good even for His “image and likeness” (Genesis, 2, 18), thus turning into what
he hates most, but of which, not (still) can be missing. Such an approach is
reached because this book exists as a collection-cum-collection of all the fears of
mankind, personal and at the same time inherited. Part of them make it possible
to outline the modern notions of the personal and collective unconscious, as the
same fears form the foundation on which, out of phase in dogmas, the spirituality
and mysticism of Christianity of the last thousand years is built. For so long,

20
As a primary effect we have hundreds of serious exegesis on this work, more than any other in
the biblical canon. All will try to trace, decipher and interpret in their own key these apocalyptic
“landmarks” which constitute interconnected and harmonized historical events according to the
text of the book of John.
L'Imaginaire de la guerre | 51

tense expectations erupt into personal apocalyptic visions with a hint of


universality. As soon as they are accepted in communities that share even similar
fears, they enrich the common stock and, developing into their own kings, they
diverge greatly from the original text. The Apocalypse of John seems to have as
its motive the induction of a state of expectation of what, in two thousand years,
received the generic name of Christianity.
I said at the beginning that the hope of the first Christians was to see Christ
coming on the clouds of heaven according to the Christian precept (Mark, 9, 1).
Either this will not happen according to the expectations of the Christians who
died with that hope. It happens because Christ himself admits that he does not
know the exact time when his return will take place (Mark, 13, 32). We do not
know what was more difficult for the Christians of the first centuries, either to
face the frustration of waiting by arming themselves with the faith that they will
meet Jesus in the afterlife, or to let themselves be overwhelmed by the
disappointment of an unfulfilled expectation of the time that keeps announcing
itself as being near (Revelation, 1, 3 and 22, 11). It is important for the Christian
to believe that everything is established in an unassailable rule. That nothing
changes, that the divine plan is identical with destiny, and this with
predestination, we learn from the statements of the angel sent by Jesus with the
aim of revealing to John the secrets that should not be hidden. He will tell John
that all people will remain in the datum of the psychological typology in which
they were born (Revelation, 22, 11-12), which is what Jung also says when he
classifies the patterns of human psychology, in fact, he talks about predestined
situation in which, a metanoic act is truly a miracle, an “error” in the Matrix. The
theory of free will would later be developed by patristic exegesis, mainly to
justify the error of the forefathers and remove God from the “list” of
accomplices. Or it is as clear as can be that the angel of the Apocalypse had no
knowledge of the existence of human freedom.
Against the background of waiting for the “millennium”, it is not surprising that
part of the Christians became impatient, and hence the faulty approach to the text
in which they inserted themselves as “chosen ones” with a sacred mission. From
this state a whole series of pseudo-messianic reactions have been born, turning
unstable people into a suicide or, worse, into mass murderers. Impatience is
opposed to a deep sense of hopelessness, and until today impatience succumbs to
deep indifference. However, thousands of years of waiting for the end of the
world, or refusing this idea did not remain without effect. Not for a few did faith
remain, indeed a translucent one, in forecasts and horoscopes, in readings whose
dubious texts encourage extremism and reward tithe after death or, the most
peaceful, we see them faithfully summing up to list theories conspiracy built by
messianic conspirators. Nothing more degrading. It's also why I prefer comics.
52 | SYMBOLON 16

Bibliography

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and Notes by. Remus Onișor. Alba-Iulia, Reîntregirea Publishing, 2000.
Bousset, Wilhelm, Legenda Antihristului (The legend of the Antichrist).
Foreword by A.H. Keane. Romanian translation and edited edition by
Ramona Ardelean. Bucharest, Herald Publishing, 2006.
Cartea Tainelor lui Enoh (The Book of Mysteries of Enoch). Foreword by
Philip S. Alexander. Romanian translation by Simion Voicu. București,
Herald Publishing, 2014.
Ciobra, Anton Vasile, „Satanismul: provocare pentru pastorația tineretului”
(„Satanism: Challenge to Youth Ministry”), in volume coordonated by
William Bleiziffer and Alberto Castaldini, Demonologia astăzi.
Fundamente teologice și aspecte practice (Demonology today
(Theological foundations and practical aspects). Cluj-Napoca, Presa
Universitară Clujeană Publishing, 2020.
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manualul exorcistului (Summa daemonica. Treatise on Demonology and
the Exorcist's Manual). Translation from Italian by Andrei Adam-Motyka.
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Grebe, Detlef, Și numărul lui este 666. Când va veni semnul fiarei? (And
his number is 666. When will the mark of the beast come?), F.l., Misiunea
Evanghelică Bad Salzuflen, 1997.
Nicolae-Dragoș Kerekes, Origenismul în secolele III-VIII (Origenism in the
III-VIII centuries). Foreword by Ioan-Vasile Leb. Cluj-Napoca,
Renașterea Publishing, 2016.
Onișor, Remus, Cartea lui Enoh și apocaliptica intertestamentară (The
Book of Enoch and the Intertestamental Apocalypse). Alba-Iulia,
Reîntregirea Publishing, 2000.
Pétrement, Simone, Eseu asupra dualismului la Platon, la gnostici și la
maniheeni (Essay on Dualism in Plato, the Gnostics and the
Manichaeans). Romanian translation by Ioana Munteanu and Daria
Octavia Murgu. F.l., Symposion Publishing, 1996.
Pleșa, Raluca Moceanu, Actualitatea apocatastazei. Între iubirea lui
Dumnezeu și libertatea umană (The actuality of apocatastasis. Between
God's love and human freedom). Foreword by George Remete. Bucharest,
Eikon Publishing, 2021.
Testamentele celor doisprăzece Patriarhi (Testaments of the twelve
Patriarchs). Translation from Greek, Foreword and Notes by de Walther
Alexander Prager. Bucharest, Univers Enciclopedic Gold Publishing,
2015
Testamentul lui Solomon (Testament of Solomon. The King, the Demons, and
the Building of the Temple). Original translation from ancient Greek and
foreword by Ștfean Colceriu. Bucharest, Humanitas Publishing, 2010.
L'Imaginaire de la guerre | 53

THE WAR AGAINST WITCHES. A DURANDIAN READING GRID


Maria DINU1
Résumé.L'hostilité généralisée à la sorcellerie peut être interprétée dans une perspective
durandienne impliquant un scénario archétypal du soi-disant bien contre le « mal »,
consistant à sauver la lumière de l'influence maléfique des ténèbres. Les sauveurs ou «
guerriers de la lumière » sont le peuple de l'Église, le clergé qui, armé d'épées, de croix
et ayant enfin pour allié le feu cathartique, affronte les forces des ténèbres, « l'armée »
des sorciers qui avaient vendu leurs âmes au diable - mendiants, juifs, gitans - mais
surtout par les dangereuses sorcières, descendantes de l'Eve lunaire par excellence, êtres
lascifs, feints, querelleurs, dépourvus d'intelligence, mais bouillonnant d'ambitions et de
désirs charnels, facilement séduits par Satan.

Mots clés : la guerre contre les sorcières, Le Régime Diurne de l'image, Le Régime
Nocturne de l'image, persécution, pensée mythique.

From the end of the 15th century until the first decades of the 18th century, most
of Europe was gripped by a series of persecutions, and although the exact
number is not known, it is estimated that between thirty-five thousands and fifty
thousand people were executed or lynched from among the hundred thousand,
accused of witchcraft2, often felt as a threat to Christian order and morality. Of
these victims, around 80% were women, except in Finland and the French
province of Normandy where the convicts were mostly men.
The widespread hostility to witchcraft can be interpreted from a Durandian
perspective involving an archetypal scenario of so-called good against "evil", of
saving the light from the evil influence of darkness. The saviors or "warriors of
light" are the people of the church, the clergy who, armed with swords, crosses
and finally having cathartic fire as their ally, confront the forces of darkness, the
“army” of sorcerers who had sold their souls to the devil - beggars, Jews,
gypsies – but especially by the dangerous witches, the descendants of the lunar
Eve par excellence, lascivious, feigned, quarrelsome beings, lacking in
intelligence, but seething with ambitions and carnal desires, easily seduced by
Satan.
The former act in the name of God. Opponents – of their inverted values, in
reality they are the keepers of pre-Christian mentalities and practices. And, in
this conflict, only the people of the church consider themselves capable of
purifying the world from the sin symbolized by the witch, like the typical heroes
of the diurnal, ascension scheme who consolidate their virtues and, in the present
case, their faith in God, not allowing themselves to be digested by his shadows
Satan of the nocturnal, lunar and feminine regime. Vigilant, steadfast, able to
recognize the work of the devil, the inquisitors believe themselves able to defeat

1
PhD, teacher at “Elena Cuza” College from Craiova.
2
Richard M. Golden (ed.), Encyclopedia of Witchcraft. The Western Tradition, Santa Barbara,
California, ABC-Clio, 2006, pp. XXXIII-XXXIV.
54 | SYMBOLON 16

time and death, and with the smoke of burning pyres, they rise to heaven and
their hope that, through the abuses committed, they will forever win their
privileged place in the kingdom of God, once owned by Adam solar.
In what follows, we will follow this scenario whose starting point are the main
conceptions of witchcraft and their origin, a profile of the actors - both the
persecutors and the witches - reconstructed on the basis of the information
provided by the most important mythological texts, treated of demonology and
works of art, the latter influenced by the Christian prejudices that gradually
infiltrated the mentality of the common people. In view of these reconstructions,
we will consider the witch as a cultural archetype – “image in itself, recurring
figure of a Weltanschauung”3 -, whose meanings are defined in relation to
certain historical, religious, social and cultural contexts. Consequently, the
image of the witch is not only a creation born, at the beginning of the 15th
century4, of the phobias of the Christian world obsessed with the eternal threat of
all-powerful evil, on top of which are superimposed the desires of common
people to pay their policies and find a “scapegoat” for more or less real and
reprehensible acts or natural calamities. The substrate of these collective fears
embodied by witches must be sought, in fact, in the reminiscences of pre-
Christian magical concepts, which the inquisitors exploited and distorted,
propelling an imaginary with ample demonic connotations, intended to
potentiate the benefits of the Christian faith.
I. The Ancient Origins of Witchcraft
In the Western space, ancient literature provides the image of notorious witches
whose attributes shape the prejudices about the powers of witches persecuted in
the 15th and 17th centuries, powers obtained by participating in nocturnal
meetings and accepting an alliance with the devil. Since Antiquity, the archetype
of the witch becomes inseparable from a constellation of symbols that make it
recognizable, according to the evolution of imaginary paradigms, so that we
cannot talk about the image of the witch without referring to the moon, night,
forest, fire, water , flight, premonitory dream, visions, divination, herbs, filters,
potions, elixirs, charms, curses, birth, death, resurrection, devil, sabbat, cauldron,
cat, broom, etc.
The first witch of the pre-Christian world is Circe, found in Homer's Odyssey,
an epic that circulated orally, until the 7th century BC, when the written version
appears. Circe opens the archetypal series of young, seductive witches, but also
imposes herself through the remarkable elixirs prepared from plants, that’s why
she is called by the epithet “polypharmakos”, mening “of many drugs” or “many

3
Corin Braga, Ten Studies of Archetypology, Dacia Publishing, Cluj-Napoca, 2010, ediția a II-a,
p. 16.
4
Michael D. Bailey, Historical Dictionar of Witchcraft, No. 47, The Scarecrow Press, Inc.
Lanham, Maryland, and Oxford, 2003, p. XXV.
L'Imaginaire de la guerre | 55

spells”5, and attributes of healers, of indicators , but also by the one who makes
charms. With the help of potions, Circe is responsible for the metamorphoses of
people into animals - of Odysseus's companions into pigs, which, after a while,
she returns to human form, much younger than they were initially, proof that she
also possesses the power of rejuvenation. Ovid, in his poem Metamorphoses
published in the 8th century, describes other victims of Circe's powerful elixirs:
Scylla, the beautiful nymph is transformed into a hideous monster while bathing,
and Picus, a young man who rejects her advances is metamorphosed into a
woodpecker. Circe is also a necromancer who helps Odysseus reach the
underworld, and she also controls the weather when the hero finally leaves her
island. That is why Gilbert Durand places Odysseus' encounter with Circe under
the sign of the terrifying manifestation of the femme fatale that the hero of the
diurnal regime confronts just as he manages to defeat other theriomorphic
female facts such as the sirens, Charybda and Scylla6.
Medea is another witch famous for using plants for magical purposes, but unlike
Circe, her poisons, which produce a violent death, make her especially
dangerous7. Capable of strong passions, emotionally unstable, Medea resorts to
murder to achieve her goal: she kills her brother in order to flee with Jason to
Greece, plots a terrible revenge against the usurper of Jason's throne (under the
pretext that she will rejuvenate king Pelias by boiling him in a cauldron,
convinces his daughters to cut him to pieces), and finally, when Jason falls in
love with the daughter of the king of Corinth and marries her, Medea kills her
own sons, and the princess gives a dress soaked in poison as a gift: “The story of
Medea, therefore, contained several features reminiscent of the medieval and
early modern scholarly image of the witch.”8
The idea of witchcraft in medieval Christian Europe borrows from Circe and
Medea in addition to the recurring cauldron – used in boiling plants – and their
magical practices that will involve the preparation of potions for evil purposes,
particularly to annihilate one's rival and harm children, controlling the weather
to cause storms and destroy crops, turning people into animals as well as
summoning spirits and demons.
However, the depictions of the two pre-Christian witches differed from the
image of witches fabricated by the inquisitors, because in ancient legends Circe
and Medea were sacred figures. Circe would have been Hecate's daughter, so she
was a goddess or demigoddess, but in the Homeric text - subject to a long oral

5
Circe in Richard M. Golden (ed.), Encyclopedia of Witchcraft. The Western Tradition, Santa
Barbara, California, ABC-Clio, 2006, p. 190.
6
Gilbert Durand, Structuri antropologice ale imaginarului, București, Editura Univers, 1977,
traducere de Marcel Aderca, prefață și postfață de Radu Toma, p. 128
7
Poetul Apollonius, în Argonautica, descrie o plantă magică a Medeei numită “pharmakon
Prometheion” (the charm of Prometheus), răsărită din sângele lui Prometeu torturat de vulturul lui
Zeus și culeasă în conformitate cu un anumit ritual, Richard M. Golden (ed.), op.cit., p. 925
8
Rosemary Ellen Guiley, The Encyclopedia of Witches, Witchcraft and Wicca, Third Edition,
Facts On File, 2008, p. 229.
56 | SYMBOLON 16

circulation that could have modified the portrait of the witch, up to the written
version -, Odysseus hesitates to call her “goddess or woman” , which would
suggest a mortal with supernatural powers9. Medea also appears related to Circe
(either sister or niece by brother), and many exegetes consider her a priestess of
Hecate. In any case, all these versions lead to the third pre-Christian female
entity that influenced representations of the witch, the mysterious and
emblematic Hecate herself.
Originally, Hecate is an Anatolian goddess (her cult was in Lagina in Caria, in
today's Turkey), protector of the entrances and births of children, later becoming
associated by the ancient Greeks with the spirits of the other world, witchcraft
and sorcery . The earliest accounts that mention her are Hesiod's Theogony and
the Homeric Hymn to Demeter and are both from the 7th century BC. According
to Hesiod10, the goddess is part of the generation of the Titans and is the mistress
of the three realms – of the earth, the sea and the sky –, being therefore prior to
Zeus who glorifies her and respects her power11. In the Homeric hymn, Hecate
plays a significant role in the cult of Demeter and Persephone, the three figures
forming “a group of closely related elements, a triad of particular figures,
impossible to confuse”: 1) the innocent and seductive maiden, 2 ) the protective
mother and 3) the lunar deity symbolizing wisdom and knowledge. Hearing the
desperate cries of Demeter, the goddess appears from the cave with a torch in
her hand (Phosphoros, that's why Hecate is also called "light bearer") and
promises to help her find her daughter kidnapped by Hades.
Although, like Artemis, Hecate is invoked by pregnant women and is a protector
of children as mentioned by Hesiod, the Greeks especially emphasize her
terrifying side. She causes madness and nightmares and maintains a close
connection with the night, the dog, the horse and the infernal beings she rules, all
of which are elements of the lunar regime of the imaginary. In the syncretism
period of Classical Antiquity, the image of Selene and Diana merged with that of
Hecate and, like them, a lunar and tenebrous symbolism gravitates around her,
that of the dark phases of the star, that is why she is also called “Hecate the
black one”. In the places where three roads intersect, the Greeks raise protective
statues, called Hekateia, against her spirits, and to obtain her goodwill, also at
the crossroads, torches are lit, various rituals are performed when the moon is
full and various offerings are offered.
Latin literature also abounds in theriomorphic female figures that will influence
the Christian imaginary of the witch and whose avian representations will form

9
Daniel Ogden (ed.), Magic, Witchcraft, and Ghosts in the Greek and Roman Worlds: a
sourcebook, Oxford University Press, 2002, p. 98.
10
Serenity Young, Women who fly. Goddesses, Witches, Mystics, and Other Airborne Females,
Oxford University Press, 2018, p. 159.
11
C. G. Jung, K. Kerenyi, The divine child. Divine Maiden (introduction to the essence of
mythology), Amarcord Publishing, Timișoara, Foreword byAdriana Babeți, translated by Daniela
Lițoiu and Constantin Jinga, 1994, p. 186.
L'Imaginaire de la guerre | 57

the basis of the charge of sabbath flight and cannibalism. Ovid describes a witch
named Dipsas who transforms into a night bird, and he also mentions, in the
Fasti, owl-like birds (strix), originally old women, who stole children and fed on
them. In Latin, the word strix is related to strigae meaning witches, mentioned in
the Satyricon of Petronius and existing also in the beliefs of the Germanic
peoples until the beginning of the Middle Ages. The source of such depictions
seems to be Lilith, originally a Mesopotamian demon (Lilitu) with an owl
appearance, closely related to the goddess Ishtar, then, in the scripture of Isaiah
(8th century BCE), where she appears as to an old woman and, according to the
first accounts in the midrashic tradition, she is the first wife of Adam,
disobedient, punished to have her children die as a result of mating with demons.
Subsequently, Lilith becomes a succubus in the Christian imaginary.
In addition to theriomorphic metamorphoses and cannibalism, flight acquires, in
the Christian imaginary, negative meanings like the goddesses who possess this
power. In Germanic mythology, Holda is another goddess considered a witch,
beginning in the Middle Ages. The goddess of heaven and earth, motherhood
and weaving, Holda accompanied the souls of the dead through the air (Wild
Ride or Wild Hunt), weeping, and the land over which she flew was believed to
yield a bountiful harvest.
Such accounts are all the more important, as they impose, in the collective
mentality, another representation of the witch. In addition to the young and
seductive posture of Circe, there is also the old one, devouring children, whose
avatars are Baba Cloanța and Muma Pădurii from Romanian folklore, Baba
Yaga from the Slavic anthropological imaginary.
II. The “Allies” of Satan and the “Crusade” against Witches
The war against witches is born from a conjuncture of several factors such as
war, “segregation of the sexes in traditional societies”12, climate changes (wet
and cold summers followed by frigid winters attributed to witchcraft), "the
increasing power of individual kingdoms and of the church (whose monasteries
preserved literacy and education), cultural shifts regarding sexuality and
concepts of womanhood". But we cannot deny the latent tensions between the
reminiscences of some pagan magical beliefs and the Christian clergy who, since
the beginning of the 4th century, during the time of Constantine the Great, had
made considerable efforts to eradicate them.
Christianity is hostile to magic and, implicitly, witchcraft, because, in its
understanding, they involve the idolization of demons and the manipulation of
occult forces that destabilize the order and natural development of things,
following the imposition of the sorcerer's will. All this contradicts the Christian

12
Wolfgang Behringer, Germany, the „mother of so many witches” and the center of persecution,
în Robert Muchembled (edit.), Magic and witchcraft in Europe from the Middle Ages to today,
Editura Humanitas, București, 1997, translation from French ny Maria and Cezar Ivănescu, p. 84.
58 | SYMBOLON 16

values that put the will of God in the foreground, the one who sets the course of
the whole existence and urges obedience, respect for his teachings.
In the Christian mentality, witches are par excellence the evil that must be
eliminated, the opponents of the Christian world and the servants of Satan -
derived from satanas, “enemy” in Hebrew -, himself the main opponent of Jesus.
Satan represents the ultimate evil and the subversion, perversion and mockery of
Christian behavior and rituals, his worship being the focal point of the entire
mythology propagated by the church during the witch-hunt period. All forces
foreign to God, including pagan deities, are attributed by early Christianity to
Satan, which led to the killing of officiants, the destruction of pre-Christian
altars and temples since the first decades of the 4th century13.
Also in the Middle Ages, around the year 900, the ecclesiastical text Canon
Episcopi, attributed to Regino of Prüm, abbot of a monastery in western
Germany, for the first time associates the goddess Diana with the devil and
spreads the image of groups of women led by her flying riding on animals, on
certain nights. The text denies the possibility of physical flight and considers it a
dream or illusion of devil-possessed women. In 1015, the same conception of the
nocturnal flight led by Diana and Herodias is taken up by Bishop Burchard of
Worms (south of Frankfurt) in Decretum – “an encyclopedic collection of
Church canons or regulations, which he and his assistants completed by 1023.”
Although in Antiquity there were no such processions dedicated to Diana, the
church superimposed the image of the Greek-Latin goddess with that of Berta
and Holda from Celtic and German folklore, launching, in the collective mind,
the representation of the horde of ghosts riding horses or other animals, led by
the deities demonized women, including Herodias. Such conceptions distorted
popular beliefs about the nocturnal flight of pre-Christian deities known as
queens in Italy and France, where they traveled with the "ladies of the night" to
people's homes to help them.
We must also take into account the role of the Renaissance in the spread of
prejudices about witchcraft with the valorization of Greco-Latin culture and the
rediscovery of another form of spirituality in harmony with nature and the laws
of the universe. Following the contact with Byzantium and especially with the
Arabs, “complex and sophisticated forms of magic rooted in Antiquity and
further elaborated over the intervening centuries” such as astrology, astral
magic, alchemy were introduced. To these is added the rediscovery of the
hermetic writings of Hermes Trismegistus, but also of the mystical and magical
Jewish tradition, the Kabbalah. Philosophers like Pico della Mirandola and
Marsilio Ficino “practiced and publicized their magic in the face of
Christianity's traditional hostility to any supernatural phenomenon beyond the
miracles ascribed to God and subsumed within the doctrine and rituals of the

13
Brian A. Pavlac, Witch Hunts in the Western World. Persecution and Punishment from the
Inquisition through the Salem Trials, Greenwood Press, Westport, Connecticut, London, 2009, p.
13.
L'Imaginaire de la guerre | 59

Church. They argued that their magic was fundamentally different from the
magical practices that the Church opposed. These had traditionally relied on
spirits, conscious incorporeal entities, which in Christian doctrine could only be
agents of God, angels, or demons (agents of the Devil); and, because God's
supernatural work was generally done through the Church, any independent
operator working through unapproved spiritual channels was almost certainly
working consciously or unconsciously with demons.”14 Also during the
Renaissance, necromancy practiced by elites and wealthy people reinforced fears
of a conspiracy with the devil and set the stage for witch-hunts.
Starting from 1430, theologians, priests, lawyers, moralists, doctors spread
textual testimonies about witches as devil worshipers that contribute to the
development of demonology – “works that explored and debated the
complexities of witchcraft and allied subjects in a systematic and theoretical
manner, providing guidance concerning what and what not to believe about
them.” Demonology reaches its maturity by 1580, so that it offers “lay judges,
Catholic or Protestant, a perfectly articulated body of doctrine, effective
techniques based on inquisitorial criminal procedures, while awakening in them
a great desire to purge a world haunted by subversion diabolical.”15
The idea of the witch's flight turns into an obsession for demonologists, so that
at the beginning of the 15th century, the ecclesiastical text Canon Episcopi is
subject to debate by those who believed that this flight was possible, not
imaginary16. The famous representation of the witch moving on a broom -
reminiscent of the flight of female deities - was born in the context of religious
and political tensions in the 15th century, especially in the center of the
ecumenical meetings of the Council of Basel (or Bâle, a city in the north western
Switzerland), held between 1431-1449, where clerics from all over Europe
raised the issue of the existence of a conspiracy cult of witches for the first time.
To these is added the conflict of 1440, between Pope Eugene IV and the rich and
influential Duke of Savoy, known as antipope Felix V, accused that the territory
governed by him (diocese of Lausanne) is inhabited by worshipers of the devil,
heretics and witches. In response, antipope Felix V starts the persecution against
Waldensian witches and heretics with the aim of reforming the Church, and his
secretary, Martin Le Franc writes the poem Le Champion des dames, in the
years 1440-1442. His manuscript provides the description of the witches'
abominable deeds on the sabbath - worshiping the devil in the form of a cat or a
goat, kissing the shame, practicing dangerous spells (maleficium), mating with
demons, but it is also important because it provides the first illustration of her

14
Richard M. Golden (edit.), op.cit., p. 701.
15
Robert Muchembled, Pământuri pline de contraste. Franța, Țările de Jos, Provinciile Unite, în
Robert Muchembled (edit.), Magia şi vrăjitoria în Europa din Evul Mediu până astăzi, Editura
Humanitas, București, 1997, traducere din franceză de Maria și Cezar Ivănescu, p. 111.
16
Edward Peters, Canon Episcopi, în Richard M. Golden (edit.), op.cit., p.164.
60 | SYMBOLON 16

flight on the broom's tail, which became inseparable, over time, from a visual
code of the witch.
The deformation of the attributes of the witches of the ancient world imposes, in
this period, a profile of the witch transformed into a cannibal, harming children,
adults and animals, destroying crops, sexually depraved, desecrating holy
symbols. In the fight against it, the main accusers are both Protestant and
Catholic priests, engaged in a fictitious mission to combat evil and issue a
warning to the faithful about the deeds of witches, through the treatises written
by them. Considered the most extensive early writing on witchcraft by an
ecclesiastical authority, the treatise Formicarius (1437–1438) is authored by the
German Dominican theologian Johannes Nider, also present at the Council of
Basel in which the existence of a sect of witches was affirmed. While not
denying men's involvement in magical practices, Nider warns that women are
more prone to witchcraft than men, with the devil tempting them more easily, as
he had done with Eve under the guise of the serpent.
But Johannes Nider is not the only ecclesiastical authority who had such
prejudices and fears about witchcraft as a female practice, evidenced by other
demonologists such as Jean Bodin, Martín Del Rio and Henri Boguet taking up
the examples of maleficium in his treatise. Nider's Formicarius proves a rich
source of inspiration for Henry Krämer, author of the most famous treatise on
demonology, the Malleus Maleficarum (1486) or Witches' Hammer. Popularized
by the common people through sermons, not missing from universities, courts,
monastic libraries and wherever the Latin language in which it is written is
known, the Malleus Maleficarum has major implications for the persecution of
witches and the shaping of conceptions about them. By the chosen title, Krämer
aims to place his text in the continuation of a tradition of inquisitorial manuals
that appeared at the beginning of the 15th century, especially those entitled The
Hammer of the Heretics and the Hammer of the Jews, and, for even greater
notoriety in the academic environment, the treaty is also signed by the humanist
researcher, Jacob or James Sprenger, dean of the University of Köln17. Krämer
refers to various biblical passages, to the texts of saints approved by the Church,
to ancient Greco-Latin authors and to various accounts in which witches were
involved. In the three parts of the work, the zealous Dominican inquisitor poses
the question of demonic sexuality to which women are especially inclined and
proves point by point that witches are seduced by incubi, lascivious animal
beings from the category of satyrs or fauns to the Romans, Pan to the Greeks and
Dusii to the Gauls18, manifestations of demons encountered in the forest. At the

17
Brian A. Pavlac, Witch Hunts in the Western World. Persecution and Punishment from the
Inquisition through the Salem Trials, Greenwood Press, Westport, Connecticut, London, 2009, p.
56.
18
Brian A. Pavlac, Witch Hunts in the Western World. Persecution and Punishment from the
Inquisition through the Salem Trials, Greenwood Press, Westport, Connecticut, London, 2009, p.
56.
L'Imaginaire de la guerre | 61

same time, according to Krämer who mentions William of Paris19, women with
long hair are particularly dangerous because they could attract incubi either
because of the beauty of their hair adornment or excessive concern for its care.
Thus, the inquisitor imposes in the collective mind the relationship between
female hair, sexuality and vanity, traits embodied by witches who, in many
cases, before being burned at the stake, were cut, which was equivalent to
depriving them of this terrifying magical force for men, but considered attractive
to the devil. Krämer establishes three types of witches, depending on the power
of each—injurious, healing, and a combination of the two—and devotes an
entire chapter to witches with meteorological powers that produce destructive
natural phenomena. Under the influence of Nider, the Dominican inquisitor also
creates the myth of the midwife-witch, responsible for abortion, the death of the
fetus in the mother's womb or at the moment of birth. Of course, midwives can
devour newborns like Lilith, prepare from their fat various ointments necessary
for flight or sacrifice them in the name of the devil: “No one does more harm to
the Catholic Faith than midwives. For when they do not kill children, then, as if
for some other purpose, they take them out of the room and, raising them up in
the air, offer them to devils.”
Krämer's book would prove to be the most influential treatise on demonology in
all of Europe, being reprinted between 1580-1669. Because of the strong
misogynist attitude promoted by Krämer, women in particular became the target
of the inquisitors in the following years in the area of Alsace, the city of Metz
and the area between the Rhine and the Moselle river. In 1491, in a letter
addressed to the city council of Nuremberg, Krämer himself confessed that he
would have sentenced to death more than two hundred witches. Later, in
Germany, ten Catholic bishops will be responsible for the burning at the stake of
over seven thousand people, 80% of whom will be women.
Apart from the Malleus Maleficarum, another treatise shaping the collective
imaginary about witchcraft is De laniis et phitonicis mulieribus (Cornering
Witches and Fortunetellers), published by Ulrich Molitor in 1489 and reprinted
in over twenty editions until 1669. The success of this treatise was due included
woodcuts, which made it much more accessible to the general public than
treatises written in Latin. The six woodcuts illustrated the evil actions of which
the witch was accused: bodily harm, embracing the devil - an allusion to sexual
relations with him - flying on forks, riding on the backs of wild animals (the
wolf), spells to change the weather, performed with the help of a cauldron in
which animals are boiled, the latter being the first representation of witchcraft as
a female practice, carried out in a group, with the help of the magic container20.
The artists of the late 15th and early 16th centuries prove to be particularly
receptive to the prejudices about the witch and her profile, put into circulation by

19
William of Paris was Dominican priest and theologian who was made inquisitor of France in
1303, and began a campaign against the Templars in 1307.
20
Charles Zika, Art and Visual Images, în Richard M. Golden (edit.), op.cit., p. 60
62 | SYMBOLON 16

the mentioned ecclesiastical figures. Around the year 1500, Dürer made the
engraving The Witch, in which the female character is an old woman flying on
the back of a goat, her body being positioned in the opposite direction of the
animal she is controlling, holding one of its horns with her hand. The work was
interpreted in relation to the sexual force of the sorceress represented, according
to Charmian Mesenzeva, on the model of Aphrodite Pandemos, of the earthly
Venus, the goddess of carnal desires and of the night21, surrounded by
ministering angels, putti. The witch's goat has the same meaning of carnal sin
with demonic origins, reminiscent of the cults of Dionysus and Priapus,
condemned by Christian dogma. Analyzing the meaning of the goat, Charles
Zika observed that the animal was not only a symbol of one of the seven vices,
perpetuated in the iconography of the late Middle Ages, but also a form of public
punishment for those who sexually misbehaved. In the Middle Ages, those who
disturbed the order of a community by violating some sexual principles, such as
women who dominated their husbands through their authority, were made to ride
on an animal. Probably with origins in this context of fear and sexuality
generated by the correlation between the devil, the witch and her nocturnal
flight, the expressions "hag-ridden" and "witch-ridden" appear in English, which
originally denoted such nightmares the so-called victims attacked by witches.
Denoting unbridled sexuality, the flight of the witch on the goat can also be
found in Albrecht Altdorfer's work Scene with witches (1506), close to the
image of the wild horde (Wild Ride) from mythology, but also in the woodcut
The Witches (1510) by Hans Baldung Grien. Under the influence of Dürer,
whose apprentice he had been in his workshop in Nuremberg, Baldung captures
four naked women gathered around a cauldron in the forest, probably practicing
necromantic rites, while another witch flies on a goat. Thus, the new visual
language of witchcraft at the end of the 15th century and the beginning of the
16th century involved, as Charles Zika points out, the idea of flying, of riding a
goat that modeled the image of the devil in the Christian mentality, a form of
partnership with it also sexual abandonment, to which is added the nocturnal
background, the desolate and evil place in nature, but also the forks, the
cauldron, the polony - objects specific to the female domestic universe.

III. Conclusions
So the fear caused by witchcraft actually hides feelings of revulsion towards
woman, considered the cause of man's fall into sin, for she is a much easier
target for Satan who takes advantage of her mental and moral weaknesses. The
whole persecution of witches seems like an odyssey in the Christian version, in
which the role of Odysseus, the enterprising, skillful and brave one, when it
comes to facing female temptations, is taken by the people of the Church,
lacking the talent of the mythological hero - basically peaceful, because he does

21
Charles Zika, The Appearance of Witchcraft. Print and visual culture in sixteenth-century
Europe, London and New York, Routledge, 2007, p. 29.
L'Imaginaire de la guerre | 63

not resort to violence, but "tames" the destructive feminine energies or finds
means to avoid them. Eager to punish an evil born of their own erotic phobias
and religious prejudices against women, the people of the Church aspire to
salvation, choosing, in fact, the path of torture and fire, not forgiveness and
compassion. The "evil" that must be exterminated is therefore the woman, either
young and seductive, with her hair in the wind, or old and hideous, beggar,
widow or child-devouring midwife to whom the Christian mentality transfers the
attributes of pagan female deities (Circe, Medea, Hecate, Diana , Holda, Lilith),
turned from mythological fictions into instruments of destruction, manipulated
from the shadows by Satan.

Bibliography
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Cluj-Napoca, 2010.
Durand, Gilbert, Structuri antropologice ale imaginarului, București,
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Jung, C. G., Kerenyi, K., Copilul divin. Fecioara divină (introducere în
esența mitologiei), Editura Amarcord, Timișoara, cuvânt înainte de Adriana
Babeți, traducere de Daniela Lițoiu și Constantin Jinga, 1994.
Krämer, Henry, Malleus Maleficarum, Global Grey 2021, translated in
English by Montague Summers in 1928,
https://www.globalgreyebooks.com/malleus-maleficarum-ebook.html
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Mediu până astăzi, Editura Humanitas, București, 1997, traducere din franceză
de Maria și Cezar Ivănescu.
Ogden, Daniel (ed.), Magic, Witchcraft, and Ghosts in the Greek and
Roman Worlds: a sourcebook, Oxford University Press, 2002.
Pavlac, Brian A., Witch Hunts in the Western World. Persecution and
Punishment from the Inquisition through the Salem Trials, Greenwood Press,
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Young, Serenity, Women who fly. Goddesses, Witches, Mystics, and
Other Airborne Females, Oxford University Press, 2018,
Zika, Charles, The Appearance of Witchcraft. Print and visual culture in
sixteenth-century Europe, London and New York, Routledge, 2007.
64 | SYMBOLON 16

NARRATION DES REVENANTES FEMININES ET LEUR


SOUFFRANCE: «KANGDO MONGYU ROK»
(VOYAGE EN REVE A L’ILE DE KANGHWA)1

Hyun-Sun DANG2, Arefeh HOSSEINI3

Abstract.The 17th century was a period marked by wars in East Asia. The story about
ghosts, “Kangdo mongyu rok” interests us because it depicts a narration of female
victims of war of that time. In the speeches of ghost characters, human and female
suffering in the face of war is repeatedly expressed through the word “han”. The Han
schema thus represents a moral and ethical attitude in the face of human limits. The Han
is thus an aesthetic of the “Kangdo mongyu rok” story or even a specificity of the
Korean imagination.

Keywords : Ghostly story, ghost, female victim, war, han feeling

1. Contexte des guerres du XVIIe siècle en Asie de l’Est et des genres


littéraires mongyu rok
La période allant de la fin du XVIe siècle au milieu du XVIIe siècle en
Asie de l’Est est marquée par des guerres et des violences qui débouchèrent sur
un nombre considérable de morts et des dommages conséquents. C’est durant le
transfert de l’hégémonie politique en Chine entre les dynasties Ming (1368-
1644) et Qing (1636-1912) que les invasions japonaises et mandchoues
dévastèrent la péninsule coréenne. En effet, Toyotomi Hideyoshi (1537-1598)
envahit à deux reprises la péninsule coréenne : une première fois en 15924, puis,
après une brève trêve en 1596, une seconde fois en 15975. Durant cette période,

1
L’auteur (ou les auteurs) est (sont) anonyme(s). Six versions différentes en sinogrammes ont été
rapportées jusqu’à présent. Une édition corrigée et améliorée a été présentée par le Pr. Hee-byŏng
Park en 2005 dans une compilation des textes littéraires classique, intitulée Han’gukhanmunsosŏl
kyohapkuhae (Séoul, Edition Somyung). À partir de cette version en sinogrammes, le Pr. Park
Hee-byŏng a élaboré une version en coréen moderne, publiée en 2013 dans Isanghan naraŭi kkum
(Les rêves du pays merveilleux), en collaboration avec le Pr. Kil-su Chŏng, (P’aju, Dolbaegae).
Nous avons consulté ces deux versions en sinogrammes et en coréen pour le présent article. Par
ailleurs, en 2009, une version transcrite en coréen (estimée vers 1862) a été ajoutée par Jeong-nyeo
Kim. Selon l’auteur, on ne connaît pas exactement l’année de l’écriture du texte mais on estime
qu’il aurait été écrit entre 1640 et 1644, juste après la seconde invasion mandchoue. Voir la note 3
de l’article de Jeong-nyeo Kim, « Newly-discovered Gangdo-mongyurok written in Korean and its
characteristics and value as a variant edition », The Research of Old Korean Novel, vol. 27, 2009,
p. 8 ; Pour une présentation du « Kangdo mongyu rok », voir : Hyun-sun Dang, « Réflexions à
propos d’un animus et d’un anima coréen : les deux figures fantomatiques du goblin tokkaebi et du
revenant kwisin », Echinox, vol.42, 2022, p. 309.
2
Enseignante de coréen à l’Université Lumière Lyon 2, qualifiée maître de conférences (Section
15 du CNU : langues, littératures et cultures asiatiques).
3
Doctorante en cours de préparation de thèse en littérature comparée à l’Université Lumière Lyon
2.
4
Guerre d’Imjin.
5
Guerre de Chŏngyu.
L'Imaginaire de la guerre | 65

ayant prêté main forte aux armées de la dynastie coréenne Chosŏn, la dynastie
chinoise Ming s’affaiblissait. Par ailleurs, le chef de la tribu mineure des
Jürchen6, Nurhaci (1559-1626), se proclama Khan des Jürchen en 1616 et fonda
ainsi la dynastie des Jin Postérieurs, puis mena la bataille de Sarhu en 16197
contre les Ming. Il envahit la péninsule coréenne en 16278. En 1636, le Khan
Hong Taiji (1592-1643)9 renomma la dynastie « Qing » et devint ainsi
l’empereur des Qing, puis attaqua une seconde fois les Chosŏn10 qui voyaient
cette dynastie d’un mauvais œil. La seconde invasion mandchoue est considérée
par les Coréens comme l’un des événements historiques les plus humiliants, car
à la suite de leur défaite contre les Qing, les Chosŏn en devinrent le vassal et
durent lui prêter allégeance et rendre hommage11 à l’empereur Qing. Les Chosŏn
méprisaient les tribus mandchoues, qu’ils considéraient comme des barbares et,
en vertu des valeurs confucianistes, voulaient rester fidèles envers la dynastie
Ming. La péninsule coréenne a ainsi subi des guerres à répétition pendant
environ un demi-siècle. Ces réalités historiques et psychiques du peuple coréen
se reflètent dans les textes littéraires de différentes manières, que ce soit à
travers la poésie, la prose ou le roman. Ces derniers représentent les mémoires
collectives ou ethniques, qui retracent fréquemment l’angoisse, l’horreur et la
souffrance du peuple.
Le genre littéraire mongyu rok12 est basé sur des événements historiques.
Cette forme littéraire a particulièrement fleuri au début de l’ère Chosŏn (1392-
1910). Sans doute le récit du rêve n’est-il le propre ni de la Corée ni de cette
époque précise, toujours est-il que la promenade onirique s’y est alors constituée
en un genre littéraire bien défini et largement pratiqué13. Il offre un indice
herméneutique symbolique pour interpréter une certaine réalité psychique du

6
Notons que les Mandchous sont les descendants des Jürchens (Nuchen ou Nüzhen), de la
dynastie Jin qui a duré de 1115 à 1234. La dynastie Qing fut fondée non pas par les Chinois Han
qui constituent la majorité de la population chinoise, mais par les Mandchous qui de nos jours ne
représentent plus qu’une minorité ethnique en Chine.
7
À cette bataille, les soldats de Chosŏn avaient été appelés au combat pour aider leurs alliés Ming.
Ces derniers subirent une défaite écrasante avec environ quatre à cinq mille prisonniers coréens.
Ce contexte historique a déjà été évoqué avec l’histoire biographique de la figure de « Kim Yong-
chŏl » dans Hyun-sun Dang, « Le sentiment ethnique coréen, han, et sa fonction de guérison
psychosociale dans le contexte historique de l’Asie de l’Est du XVIIe siècle », Echinox, n°40,
2021, p.185-198. Il y est question de l’imaginaire collectif et du sentiment coréen.
8
Guerre de Chŏngmyo ou première invasion manchoue.
9
Il fut Khan de la dynastie des Jin Postérieurs (1626–1636) puis empereur de la dynastie des Qing
(1636–1643).
10
Guerre de Pyŏngja ou seconde invasion manchoue.
11
Hong Taiji obligea la dynastie coréenne Chosŏn de construire un monument marquant sa
soumission à la dynastie Qing en 1636. Son nom original était « 大淸皇帝功德碑 », ce qui
signifie la stèle aux mérites et vertus de l’Empereur des Grands Qing.
12
Écrits sur la Promenade onirique.
13
Dong-il Cho et Daniel Bouchez, Histoire de la littérature coréenne: des origines à 1919, Paris,
Fayard, 2002, p. 200.
66 | SYMBOLON 16

peuple coréen transposée dans une réalité historique à travers les rêves. Le terme
“mong” désigne le rêve. Ce dernier fonctionne dans les récits à la fois comme un
outil fantasmagorique et comme une « technique narrative »14 parce que le
schéma onirique opère comme l’« art de faire venir sur la scène publique des
fantômes »15. Le caractère onirique du mongyu rok permet à la narration d’«
aborder par le biais de la fiction un sujet tabou, […] à une époque où celui-ci
n’avait pas encore été officiellement réhabilité »16. Il permet également à
l’auteur de révéler une vérité qui se cache derrière une situation réelle en la
remodelant avec une certaine liberté et en lui donnant une nouvelle perspective.
Le mongyu rok se caractérise ainsi comme un genre onirique transmettant la
conscience de l’auteur (des auteurs) anonyme(s). Autrement dit, le schéma
fantastique et onirique opère pour exprimer la conscience de l’auteur (des
auteurs) qui se confronte à la réalité ou pour exprimer sa critique ou sa colère
envers la société, en d’autres termes : son intention politique17.
Cet article tâchera donc d’observer le décalage entre une réalité
historique et une vérité historique représentée par les rêves, puis d’interpréter les
sens cachés à travers les sentiments et les émotions exprimés par les
personnages. Sur ce point-là, l’« imaginaire »18 coréen peut être relevé au niveau
collectif, qu’il soit conscient ou inconscient, en considérant le peuple coréen
comme une entité qui partage le même destin historique dans un contexte de
guerre. Considérons l’identité culturelle comme le « résultat d’un processus
historique de longue durée, qui suppose des alluvions et des décantations aux
cours des générations. (…) le sentiment d’appartenance à un groupe a des
racines profondes dans la conscience et l’inconscient des individus »19. Afin de
révéler ce schéma psychique, le terme han étudié dans cet article est l’un des
marqueurs identitaires à partir duquel l’état psychologique des personnages sera

14
Voir le terme de Jean Bellemin-Noël, « Notes sur le fantastique (textes de Théophile Gautier) »,
Littérature, n°08, Le fantastique, Décembre 1972, p. 4 (note 1).
15
Dong-il Cho et Daniel Bouchez, p. 200.
16
Ibid.
17
Vincent Durand-Dastès et Rainier Lanselle caractérisent le récit de rêve en Asie orientale
comme « une éblouissante tradition mantique ». Voir « Le récit de rêve en Asie orientale : langues
et genres », Extrême-Orient, Extrême-Occident, vol.42, Récits de rêve en Asie orientale, 2018, p.
5 ; Sur ce point, nous soulignons ici la dimension politique dans le genre mongyu rok, soulignée
par Seung-mok Yang, « A New Situation of The Mongyurok related with the War in the 17th
century : A Case of Work what Embodied Dead », Journal of Dong-ak Language and Literature
(dongak), n°64, 2015, p. 228.
18
Nous retenons la définition d’imaginaire comme un « ensemble de productions, mentales ou
matérialisées dans des œuvres, à base d’images visuelles (tableau, dessin, photographie) et
langagières (métaphore, symbole, récit), formant des ensembles cohérents et dynamiques, qui
relèvent d’une fonction symbolique au sens d’un emboîtement de sens propres et figurés », dans
Jean-Jacques Wunenburger, L’imaginaire, PUF, 2003, p. 10.
19
Introduction, Echinox, vol.40, Auto-images et représentations de soi. I. Identités collectives,
2021, p. 8.
L'Imaginaire de la guerre | 67

interprété, à savoir que le han est expliqué comme « une blessure à vif ou une
trace ineffaçable, toujours vive dans le cœur »20.
Il est intéressant de noter que les narrateurs ou les personnages
principaux dans les récits du mongyu rok sont des morts, des fantômes, des
esprits ou des revenants, dits en sinogrammes « (kwi) », « (kwisin) », à savoir
qu’« être gui (kwi), c’est se situer en un point précis d’un devenir post-mortem
de la personne humaine »21, ou encore « (wŏnhon) », traduit comme « âme en
peine et en grief »22. Le motif de wŏnhon est représenté, quel que soit le genre,
comme le « (wŏngwi) », défini comme « mânes d’une personne morte victime
d’une injustice »23. D’après la spécialiste de la littérature classique coréenne Jin-
ok Kang 24, l’apparition de l’esprit d’une personne morte d’une façon injuste est
une revendication détournée de son existence. La revendication du soi de la
minorité sociale et des marginaux non autorisés à posséder un langage officiel et
direct s’effectue par le moyen extrême qu’est l’apparition d’un revenant. Il est
important ici de souligner que les revenants apparaissent souvent comme des
femmes dans les romans classiques et les contes oraux liés au thème du suicide
dans la littérature coréenne. L’apparition des revenants dont le schéma narratif
ne se réalise qu’au travers d’un récit fantasmatique ou onirique montre que
l’oppression imposée aux femmes repose sur un système social invisiblement
absurde, dont le fondement solide ne peut être nié25. La narration des revenants
renverse ainsi le paradigme de la réalité du monde extérieur. Le fantastique est
non seulement « une manière de raconter »26 mais aussi « une révolte contre le
désenchantement du monde, un effort pour introduire un supplément indéfini de
sens dans l’expérience humaine »27. Comment interpréter l’association des
figures de revenants féminins kwisin et du caractère narratif onirique dans le
genre mongyu rok qui produisent une certaine « inquiétante étrangeté »28 et un
monde irréel et grotesque ?

20
Hee-kyung Lee, « Concept du Han », Revue de Corée, vol. 28, no. 2, décembre 1996, p. 55.
21
Marie Laureillard et Vincent Durand-Dastès (dir.), Avant-propos, Fantômes dans l’Extrême-
Orient d’hier et d’aujourd’hui -Tome1, Inalco Presses, p. 8.
22
Ibid.
23
https://chinesereferenceshelf-brillonline-com.proxy-sigb.college-de-france.fr/grand-
ricci/entries/12131?highlight=%E5%AF%83%E9%AC%BC [consulté le 14 novembre 2022]
24
Jin-ok Kang, « A study on characteristics of stories of unfulfilled wishes discourse », Journal of
Korean Classical Literature, vol. 22, 2002, p. 51.
25
Key-sook Choe, « Producing Process of the Female-Ghosts into the Others and their Cultural
Position as Subalterns Portrayed in the Korean Classical Novels -Based on the Statistical Analysis
of the Korean Classical Novels related with “committing suicide story” and "female” », The
Research of Old Korean Novel, vol. 22, 2006, p. 341.
26
Jean Bellemin-Noël, « Notes sur le fantastique », Littérature, No. 8, Le fantastique, Armand
Colin, Décembre 1972, p.3. https://www.jstor.org/stable/41704299 [consulté le 07//11/2022]
27
Michel Viegnes (dir.), Le fantastique, Paris, Flammarion, 2019, p. 45.
28
Sigmund Freud, L’inquiétante étrangeté, Paris, Gallimard, 1985.
68 | SYMBOLON 16

Il faudrait préciser ici que la tradition des mongyu rok remonte au XVe
siècle29, avec Kŭmo Shinhwa30 du lettré errant Kim Si-sŭp (1435-1493). Inspiré
par la littérature fantastique chinoise, Jiandeng xinhua (1378)31 de Qu You
(1341-1427), Kim Si-sŭp convoque dans cinq nouvelles des éléments irréels et
fantastiques comme l’enfer chŏsŭng 저승, le palais du dragon yonggung, ou
encore les esprits kwisin. Parmi ces nouvelles, deux32 ont pour sujet une idylle
avec une morte. Les deux dernières relatent des voyages dans des rêves. La
troisième nouvelle combine deux caractères, l’amour fantomatique et la
promenade onirique. Ces univers romantico-fantomatiques permettent
d’accomplir soit l’amour, soit des aspirations impossibles ici-bas ou dans la
réalité. Les femmes-fantômes qui sont mortes tragiquement sont des wŏngwi,
dont le ressentiment est l’une caractéristiques principales. Suivant les valeurs
confucianistes de l’époque Koryŏ, le rôle de la femme, bien qu’actif, est limité à
sa loyauté envers sa famille ou son conjoint.
En partageant les caractères onirique et fantomatique avec Kŭmo
Shinhwa, les mongnyu rok du XVIIe siècle font également partie de la tradition
littéraire onirique classique. Leur plus grande différence réside en ce qu’ils
reflètent la guerre. L’imaginaire onirique ne constitue pas un récit d’amour
romantique mais plutôt un récit historique critique de la guerre et de ses
victimes. Par conséquent, les personnages historiques qui y apparaissent sont
déjà morts. Ils sont des victimes de la guerre. Mourir de façon injuste est ainsi
directement liée à la guerre.

2.Histoire des femmes, narration des femmes: « Kangdo mongyu rok »


(Voyage en rêve à l’île de Kanghwa)
Parmi de nombreux mongnyu rok du XVIIe siècle, le « Kangdo mongyu
rok » nous intéresse parce qu’il met en scène une narration des victimes
féminines de guerre, qui moururent durant la seconde invasion mandchoue à
Kangdo, appelée aujourd’hui l’île de Kanghwa et située sur la côte ouest de la
péninsule coréenne. De nombreuses tragédies historiques nationales se sont
déroulées dans cette zone stratégique. Elle est de ce fait fortement ancrée dans la
mémoire collective en tant que lieu de conflits33. Pendant la deuxième invasion

29
Les écrits ont continué jusqu’au début du XXe siècle.
30
Nouvelles histoires du mont de la Tortue d’or. Voir pour sa présentation : Cho et Bouchez, p.
203-204 ; Min sook Wang-Le et Frédéric Wang, « L’univers fantasmagorique dans le Geumo
sinhwa (Nouveaux Contes du mont de la Tortue d’or) » de Kim Si-seup (1435-1493), dans
Fantômes dans l’Extrême-Orient d’hier et d’aujourd’hui-Tome 1, dir. Marie Laureillard et
Vincent Durand-Dastés, Paris, Presses de l’Inalco, 2017.
31
Nouveau contes écrits en mouchant la chandelle
32
Manboksajŏp’ogi (Le jeu de dés dans le temple des dix mille bonheurs) et Yisaenggyujangjŏn
(Le lettré Yi guettant à la dérobée une maison à travers le mur).
33
Par exemple, au IXe siècle, le royaume de Silla (57 av. J.-C. - 935 ap. J.-C.) y établit une
garnison pour combattre les pirates. Au XIIIe siècle, la cour de la dynastie de Koryŏ (918-1392) se
réfugie sur l’île au moment de l’invasion des forces mongoles (1232). À l’époque de Chosŏn
L'Imaginaire de la guerre | 69

mandchoue, de nombreux membres de la famille royale et de familles de haut


rang s’y réfugièrent et pour la plupart, furent tués. Qui plus est, il y eut de
nombreuses victimes féminines, plus que n’importe où d’autre. La majorité des
réfugiés succomba lors de la capitulation, précisément le 22 janvier 1637,
survenue très brutalement et moins d’un mois après le début de la guerre34.
Voici la situation de l’île de Kanghwa décrite au tout début du récit, avec
des images sombres et cruelles.

« Hélas ! Notre terre, impuissante, était tout entière dévastée


par les cheveux en armure et le Roi se retrouvait isolé. La
moitié de la population tombait amèrement sous les sabres de
l’ennemi. L’île de Kanghwa était complètement ravagée, le
sang coulait dans les rivières et les os s’entassaient dans les
montagnes. Nul n’était là pour enterrer les morts, même si
les corbeaux picoraient les cadavres. »35

Pour comprendre le contexte historique, l’île de Kanghwa était l’un des deux
lieux d’une bataille acharnée. Le second était la forteresse Namhan36, où le roi
Injo (règ. 1623-1649) s’était réfugié pour lutter contre l’armée Qing car la voie
qui menait à l’île de Kanghwa était bloquée par l’ennemi. Le roi Injo avait pris
position dans la citadelle Namhan le 19 janvier et l’armée Qing avait débarqué
sur l’île de Kanghwa dès l’aube du 22 janvier37. La forteresse de l’île tomba
l’après-midi du même jour. L’histoire officielle d’Injo sillok38 rapporte que les
ministres de haut rang et leurs familles se sont suicidés ce jour-là sous la
contrainte ou pour préserver leur honneur. Le récit de ces morts résonne chez le
peuple coréen non seulement comme une tragédie nationale et une honte
populaire.

(1392-1910), l’île de Kanghwa était l’une des principales bases militaires pour défendre la
périphérie de la capitale de l’époque, Hanyang (Séoul d’aujourd’hui).
34
Le 28 décembre 1636.
35
Co-traduit par Hyun-sun Dang et Arefeh Hosseini, « Kangdo mongnyurok » (Voyage en rêve
sur l’île de Kanghwa). Dans cet article, le titre du texte sera indiqué en abréviation « KM ». Pour
le texte original (en sinogrammes), abréviation « 江夢 ». Voir la note 1.
36
« Namhansansŏng » en coréen. Cette mémoire historique a été romancée par l’écrivain Hun Kim
(1948- ) en 2007, intitulée Namhansansŏng, et mise en scène pour le cinéma en 2017 par le
réalisateur Dong-hyeok Hwang à partir du roman de Hun Kim.
37
Les circonstances de la capitulation bien détaillées dans Injosillok, vol.34, quinzième année du
règne d’Injo, le 22 janvier : http://sillok.history.go.kr/id/wpa_11501022_008,
https://sillok.history.go.kr/id/wpa_11501022_009 [consulté le 16/12/2022].
38
Injo sillok fait partie des « Annales de règne de la dynastie des Yi du Chosŏn » ou « Chosŏn
Wangjo Sillok ». Voir Nam‑lin Hur. “Veritable Records (Sillok) of the Chosŏn Dynasty”. Nathalie
Kouamé, et al.. Encyclopédie des historiographies: Afriques, Amériques, Asies : Volume 1 :
sources et genres historiques (Tome 1 et Tome 2). Paris : Presses de l’Inalco, 2020, p. 1918-1931)
Web. <http://books.openedition.org/pressesinalco/34296>. [consulté le 22/11/2022].
70 | SYMBOLON 16

Si l’histoire officielle est considérée comme un élément mémoriel de la


classe supérieure, dominante et masculine, le « Kangdo mongyu rok » permet
d’entendre la voix des femmes à partir de laquelle un imaginaire de la guerre se
construit. Lors de la capitulation de l’île de Kanghwa, les suicides chez les
femmes tenaient de motivations distinctes. Les hommes choisissaient de mourir
pour préserver leur honneur envers la nation alors que les femmes se suicidaient
pour ne pas subir la brutalité des soldats ennemis ; c’était par loyauté et pour
défendre un honneur dont les valeurs étaient imposées dans un contexte
patriarcal confucianiste. Ces femmes mortes ne sont que les « autruis produits
par la guerre »39 et les « exclus sous le système patriarcal »40. Ainsi, le « Kangdo
mongyu rok » retrace une mémoire historique des victimes féminines qui n’a pas
été retranscrite dans l’histoire officielle où « l’historiographie traditionnelle avait
privilégié les événements et les institutions politiques »41.
Dans le « Kangdo mongyu rok » la figure des femmes-fantômes est décrite
ainsi :
« (…) une femme avait la tête pendante et enserrée par une
corde longue de la taille d’une personne, un sabre court
d’une trentaine de centimètres était fiché dans le crâne fendu
d’une autre, une troisième saignait abondamment, les os
brisés, une autre encore avait le crâne fracturé, et enfin une
dernière avait la bouche et le ventre remplis d’eau »42
« Assise dans l’assemblée, elle se distinguait par son
apparence terrifiante ; elle était couverte de sang et de
blessures de la tête aux pieds, et ses os étaient écrasés »43

Ces images visuellement marquantes suscitent l’angoisse et la terreur chez les


lecteurs. Ces descriptions renvoient à l’image de revenantes tels que ceux que
l’on peut voir dans des scènes de films ou de série d’horreur coréenne
contemporaine, comme le « prototype d’un fantôme kwisin féminin coréen »44.
L’observateur du récit est le moine bouddhiste Ch’ŏng-hŏ, pour qui il est
« impossible de voir cela [les images des revenantes] sans éprouver de la pitié
face à cette scène épouvantable et tragique »45. L’impression psychique demeure
ainsi forte.

39
Hyun-soul Cho, « Solidarity of others and mutual subjectivity in 17th novel », Journal of Korean
Literature, vol.19, 2009, p. 9.
40
Ibid., p.10.
41
Lucien Boia, « Histoire et Imaginaire », dans Introduction aux méthodologies de l’Imaginaire,
sous la direction de Joël Thomas, Ellipses, 1998, p. 261.
42
KM, p. 82-83.
43
Ibid., p. 95.
44
Jeong-suk Kim, « The Study on Gui-shin and ghost story in Choson dynasty », (HACE), vol. 21,
2008, p. 563.
45
KM, p. 83.
L'Imaginaire de la guerre | 71

Les revenantes sont considérées en général comme des « victimes qui n’ont
pas eu une mort convenable, et qui reviennent obsessionnellement au même
endroit »46 . Quant au « Kangdo mongyu rok », les personnages de revenantes se
réunissent pour manifester leurs sentiments d’injustice, de colère et de tristesse
en tant que victimes de la guerre. Au drame s’ajoute les lamentations nourries
par un amer sentiment dû à l’angoisse de leur mort. Le seul à entendre leur
souffrance est le moine bouddhiste Ch’ŏng-hŏ déjà évoqué plus haut, dont le
caractère est ainsi décrit : « doté d’un cœur généreux, il était si bon et affectueux
qu’il ne négligeait jamais la souffrance des autres »47. Il est également quelqu’un
qui a « le cœur rempli de pitié pour s’occuper des cadavres abandonnés »48. Les
revenantes apparaissent dans les rêves de Ch’ŏng-hŏ alors qu’il entend les
discours de ces kwisin et leurs souffrances.

1. Souffrances des femmes et le sentiment han


Les revenantes kwisin témoignent chacune, à travers un monologue, de la
cruauté de la guerre et de la tragédie de leur situation individuelle. Quatorze des
quinze femmes sont les fantômes des épouses de dignitaires qui avaient suivi la
Cour et leurs maris pour s’enfermer dans la forteresse de l’île de Kanghwa.
Certaines sont ainsi des personnages réels, identifiables par l’étude d’autres
documents historiques, même si leur anonymat est préservé dans le texte.
D’autres ne sont pas identifiables. Certaines accusent directement leur mari, leur
fils, leur beau-père en les considérant comme responsables de la guerre. Pour
elles, ces hommes ont attiré les ennemis mandchous dans le pays avec leur
politique maladroite et n’ont pas su protéger ni leurs familles ni leur nation (voir
le tableau ci-dessous pour les cas. D’autres critiquent les problèmes politiques,
ou bien l’incapacité des gouvernants
.
Tableau 1 Discours des personnages de revenantes kwisin

Ordr Profil/ Sentiments et émotions exprimés par le Points essentiels


e de identifica personnage
disco tion49
urs
Madame “Notre fils n’avait aucune stratégie pour Critique sur
Yu, l’avenir, il ne faisait que jouir des beaux l’incapacité de
① Épouse de paysages et des plaisirs matériels. Il ne son époux ;
Kim Ryu connaissait rien aux affaires militaires ! (…) défense de son

46
Sang-soon Kang, « The Types of Guishin and Its Historical Transformation in the Period of
Joseon Dynasty », The Studies of Korean Language and Literature, vol. 38, 2010, p. 152.
47
KM, p. 81.
48
Ibid., p. 82.
49
Se référer aux notes de la version coréenne de KM.
72 | SYMBOLON 16

Premi (1571- mon mari n’était pas à la hauteur de sa tâche ! Il fils Kim Kyŏng-
ère 1680)50, ne pouvait qu’être tué. Il est mort à cause de sa jing
dame Mère de propre négligence, mais notre enfant était
Kim innocent ! Ah ! Je n’ai guère de rancune, car
Kyŏng- mon suicide volontaire était inscrit dans mon
jing destin. (…) Pas un seul jour, je ne peux oublier
(1589- mon ressentiment, car il pèse trop lourd sur
1637)51 mon cœur.”
Madame “Il est tout à fait normal que mon mari n’ait pas Critique envers
Park, réussi à défendre l’île de Kanghwa, car se d’autres
② Épouse de méprenant sur ses capacités réelles, il a endossé responsables
Kim seul une responsabilité trop importante. (…) politiques ainsi
Kyŏng- Mais est-il juste que le Vice-magistrat militaire que son mari Kim
Deuxi jing Lee Min-goo ait été le seul à survivre, alors Kyŏng-jing ;
ème même qu’il avait les mêmes responsabilités et a défense de son
dame montré les mêmes manquements que mon mari mari et pitié pour
? (…) comment pourrais-je ne pas garder son beau- père
rancune de l’exécution de mon pauvre mari ?
Hélas, je ne regretterai pas ma mort, mais
mon beau-père, inconsolable, a perdu quant à
lui son enfant pour toujours. La rancœur des
vivants n’est-elle pas la même que celle des
morts ?”
Madame “(…) nous avons tous deux fait vœu de partager Inquiétude pour
Han, ensemble la richesse et la gloire, mais la guerre son mari
③ cousine de imprévisible a détruit notre famille. Pauvre
la reine destinée que la mienne ! Je ne peux désormais
Inyŏl plus rien pour mon mari face au destin, car mon
Troisi (1594- âme s’est déjà bien éloignée de ce monde après
ème 1635) s’être séparée de mon enveloppe charnelle !
dame Mon mari a survécu seul, mais il continue de
subir les orages de la vie. Il a perdu ses parents
à cause de sa négligence. Même mon âme ne
peut se défaire de sa tristesse et de sa
souffrance.”
Grande “Si ma mort est injuste autant que celle des Critique sur
sœur de la autres, alors ma fidélité et mon intégrité se l’idéologie
④ reine, révéleront d’elles-mêmes et ensoleilleront mon confucianiste qui
épouse de âme. Pourtant, mon imbécile de fils m’a contraint à la
Jŏng contrainte à me suicider, avant même que je ne chasteté
Quatr Baek- sois attaquée par une lame ennemie. Et je suis
ième ch’ang blâmée pour ce suicide forcé ! Dans le Monde
dame (1588- des Morts, ma fidélité contrainte me vaut

50
Chancelier et Chef des armées de Chosŏn. Il a été également le Magistrat militaire de l’île de
Kanghwa.
51
Fils de Kim Ryu.
L'Imaginaire de la guerre | 73

1635), mainte moqueries et insultes. Quelle ironie de


mère de vouer une Porte Rouge à mon honneur pour
Jŏng Sŏn- indiquer que j’ai été une femme loyale et
hŭng intègre !”
Maîtresse “Je ne m’apitoie pas sur mon sort, bien que Critique envers
de Yun je sois morte comme un pétale de fleur son amant qui n’a
⑤ Bang arraché, ou un morceau de jade écrasé sous les pas eu le courage
(1563- bourrasques de la tempête qui a ravagé l’île de de combattre
1640) Kanghwa. (…) Ce qui me chagrine, c’est
Cinqu l’attitude obséquieuse de cet homme [Yun
ième Bang] qui n’avait pas le courage de combattre !
dame Il a ouvert les portes en grand pour accueillir
courtoisement les ennemis et s'est abaissé en les
suppliant à genoux d’épargner sa vie !”
Belle fille “ (…) je ne peux me taire, car mes sentiments Critique envers
de Chang d’injustice et d’affection se mélangent comme son beau-père
⑥ Shin (?- les jets d’une fontaine bouillonnante. Mon Chang Shin
1637) beau-père [Chang Shin] était chargé de
défendre l’île de Kanghwa (…) Il négligeait les
Sixiè lances et épées, pensant que la mer et la
me forteresse suffiraient. Il délaissait ainsi le destin
dame de sa patrie. (…) Ô, mon beau-père j’ai pitié de
vous ! (…) vous n’avez jamais contribué à
notre nation, mais vous l’avez aussi
abandonnée. J’en suis consciente et j’en ai
honte, même si je suis une femme.”
Vieille “Ma vie a brusquement pris fin avant Critique envers
dame aux d’atteindre son terme, à cause de la mauvaise Chang Shin, Kim
⑦ cheveux conduite de mon fils. Je n’en veux pas au Ciel Kyŏng-jing et
blancs que nos enfants aient versé leur sang sous les rancœur envers
lames ennemies (…) Que faisaient ceux qui son fils
Septi étaient chargés de protéger la famille royale et
ème le royaume ? Eux qui ne cherchaient que la
dame gloire et les avantages matériels ? (…) Mais
moi, quel rapport ai-je donc avec eux, moi, qui
ait été contrainte par mon fils à mourir sans me
permettre de finir ma vie ? Il n’a laissé vivre
que sa femme ! Hélas, si mon mari était
toujours là, j’aurais pu survivre. ”
Épouse de “Peu savent affronter leur mort en paix. Las ! Critique envers
Kang Celles qui se sont suicidées par honneur son mari Kang
⑧ Hong-nip resteront dans l’Histoire et leurs âmes Hong-nip
(1560- entreront au Paradis. Elles illuminent autant
1627) l’autre monde que l’ici-bas. Leur mort n’en
Huiti est pas une, elle est au contraire une
ème bénédiction. Malgré tout, le sort de mon époux
dame affligera encore mon cœur dans mille ans. (…)
74 | SYMBOLON 16

Pourtant, mon mari a dédaigné ses


responsabilités lors de la débâcle nationale,
devenant de son plein gré l’esclave des ennemis
mandchous pour préserver son confort. Quel
piètre honneur ! (…) Il faisait tout ce qu’il
pouvait pour survivre. Ce n’est pas vivre que
de ne pas mourir de honte ! Hélas ! Mon
mari est toujours vivant, mais il est devenu la
risée de tous. Une telle vie n’est guère plus
attrayante que ma mort violente !”
“Il aurait fallu éviter les points de ralliement Critique sur
quand Séoul a été attaquée, mais mon mari l’incapacité de
⑨ n’était pas avec moi. (…) Demeurée loyale, je des gouverneurs
suis tombée sous les coups ennemis. Mon âme
solitaire ne trouve d’autre consolation que la
Neuvi mer, ma tristesse s’envole avec les oiseaux dans
ème le brouillard et le vent et s’abîme dans la
dame profondeur de la mer.”
Vieille “Sans la guerre, j’aurais pu vivre plus Critique et plainte
dame aux longtemps. Ô mon cher mari ! Tu as emmené envers son mari,
⑩ cheveux notre famille sur l’île de Kanghwa, mais a-t-elle regret envers sa
blancs, (la pu nous abriter ? Nous sommes tous morts à petite sœur
cinquantai cause de ton choix malheureux ! (…) Mon
Dixiè ne) vêtue ressentiment est aussi profond que la mer de
me d’une l’Est, car je suis comme la grue esseulée du
dame veste mythe chinois qui ne peut, même après mille
légère en ans, rentrer dans son pays natal. (…) ma cadette
soie et a décidé de ne pas mourir et son choix lui a
d’une coûté la clarté pour toute l’éternité. Je regrette
ceinture qu’elle soit infidèle, bien qu’elle soit l’épouse
de couleur d’un célèbre fonctionnaire royal.”
jade
Dame qui “(…) Je me suis alors jetée du haut d’un Tristesse et
était rocher, pensant que mourir était plus rancœur pour le
⑪ couverte honorable que de vivre. Je ne regrette pas suicide de son
de ma décision puisque tout être humain doit mari
blessures retourner à la terre tôt ou tard. Mais le
Onziè et de sang manque de lucidité de mon mari, qui n’a pas su
me de la tête identifier les opportunités et prévoir les
dame aux événements durant cette période agitée, est bien
pieds ; ses regrettable. (…) Il est finalement mort immolé
os étaient de son plein gré, en se jetant dans un feu
broyés grégeois accompagné de l’ancien Chancelier,
comme un papillon de nuit qui se précipite dans
les flammes. Hélas ! (…) Pourquoi a-t-il
renoncé à son corps, héritage précieux de ses
parents, alors qu’il n’avait aucune mission
L'Imaginaire de la guerre | 75

royale à accomplir ? Mon soupir est le trop-


plein de la tristesse et de la rancœur de mon
cœur.”
Dame, “La guerre a commencé quelques mois Dépit amer causé
très belle seulement après mon mariage et je me suis par son mari qui
⑫ et élégante jetée à la mer pour mourir loyalement. (…) se méfie d’elle
telle une Le Ciel et le Soleil le savent. Mais mon mari ne
orchidée peut entrevoir mon cœur sans reproche.”
Douzi
ème
dame
Madame “Nous n’avons plus de grand chef militaire et le Lamentations à
Lee, peuple éprouve de l’amertume pour l’État. Où cause du manque
⑬ épouse de pourrais-je aller dans cette débâcle ? (…) mais de véritables chef
Yun Sŏn - nous n’avons plus de véritable chef ni de vrai ou combattants
gŏ combattant. (…) Qui pourrait défendre [l’île] en dans le pays.
Treizi cas de danger, qui serait capable d’endiguer Importance sur
ème l’arrivée d’un malheur ? La tourmente de la les valeurs de
dame guerre survint soudainement et ravagea le loyauté et de
peuple. Comment pouvais-je survivre dans ces fidélité
conditions, faible femme que je suis ? J’ai donc
décidé de me suicider. Lorsque mon âme
atteignit le Monde des Morts, mon nom
brillait déjà, embaumant et glorieux.”
Dame, “Je n’aurais été guère différente d’une bête Tristesse de la
posée et si je n’avais pas préservé ma chasteté, je me séparation de ses
⑭ décente suis donc pendue et mon âme a rejoint le parents et de son
Monde des Morts. (…) J’ai réalisé que mon mari
suicide n’est ni de la piété filiale ni un acte
Quato vertueux, car j’ai déserté mes parents et mon
rziè- mari. Las, comment puis-je avouer mon péché
me et avouer toute ma culpabilité ?”
dame
Courtisan “Je suis indigne de l’excellente réunion de ce Glorifie les
e soir et je n’osais intervenir en entendant vos valeurs de la mort
⑮ beaux discours, remplie d’admiration pour par loyauté et par
votre loyauté et votre fidélité. Votre profonde fidélité
loyauté et votre beau dévouement vont
Quinz émouvoir le Ciel et émerveiller les gens. Une
ièm-e telle mort est honorable, et il n’y a rien à
dame regretter.”

**Phrases en gras : la personne accepte la mort ou le suicide avec honneur


comme son destin
Phrases soulignées : la personne exprime ses sentiments de douleur
76 | SYMBOLON 16

Les discours des revenantes kwisin sont complexes et polyvalents. Tout


d’abord, il semble que la plupart des revenantes met en valeur la fidélité et la
loyauté; la revenante accepte sa mort comme son destin, soit avec résignation,
soit avec gloire. Parmi elles, la huitième et la dixième critiquent également les
autres qui n’ont pas fait le même choix, en qualifiant leurs actions de
déshonorantes ou honteuses. Par exemple, la huitième dame considère que la
loyauté est une valeur absolue qui permet de distinguer entre le bien et le mal52.
Elle critique ainsi son époux Kang Hong-nip53 qui n’a pas choisi de mourir ; en
effet, il s’est rendu à l’ennemi Qing en devenant prisonnier de guerre, puis est
retourné à Chosŏn pendant la deuxième invasion mandchoue. Ce discours nous
amène à souligner que, d’une part, on y entend la position politique de l’auteur,
opposé aux Qing et critiquant leurs soutiens coréens, d’autre part, que le suicide
chez les hommes est ainsi lié à la position politique, non seulement envers la
patrie, mais aussi envers la dynastie Ming, vue comme sa « grande sœur
protectrice »54.
En revanche, le suicide chez les femmes est lié au problème de la chasteté.
Dans le Tongguk sinsok samgang haengsildo (1617)55, un recueil d’anecdotes
édifiantes publié après les invasions japonaises par la Cour de Chosŏn la vertu
« yŏl» est accentuée comme signifiant la fidélité conjugale, y compris la fidélité
de la loyauté, « ch’ung » et la piété filiale « hyo ». Les exemples majoritaires
pour illustrer la vertu yŏl sont soit ceux de femmes qui ont résisté et qui ont
donc été tuées par l’ennemi japonais ou par des violeurs, soit ceux de femmes
qui se sont suicidées pour éviter le viol et préserver leur chasteté. L’intention de
cet ouvrage était de diffuser les idéaux du néoconfucianisme. Les récits sur les
femmes mortes par fidélité pendant la guerre ont été véhiculés par la Cour
coréenne juste après les invasions japonaises56. Les images de femmes fidèles
sont ainsi produites à partir du XVIIe siècle dans le cadre de l’idéologie politique
de la classe dirigeante à domination masculine.
À la fin du récit « Kangdo mongyu rok », la valeur morale de la fidélité
conjugale est mise en relief à travers un personnage de revenante qui n’est pas

52
Yŏmna, le Roi du Monde Souterrain juge les morts pour décider leur destination après la mort,
soit au Paradis soit à l’Enfer. Il dit que : « J’estime grandement ces individus, car ils ont vécu avec
loyauté et fidélité, valeurs de première importance pour nous. Nous autorisons donc l’entrée au
Paradis à ceux qui ont fait preuve de loyauté et de dévouement. », KM, p. 100.
53
1560-1627: Haut fonctionnaire lettré durant l’époque du quatorzième roi Sŏnjo (1567-1608) et
du quinzième roi Kwanghae (1608-1623) de la dynastie Joseon. En 1618, l’année où la dynastie
Ming a envahi la Mandchourie (le Jin Postérieur), il dirigea treize mille soldats à la bataille de
Sarhu. Finalement il retourna à Chosŏn pendant la deuxième invasion manchoue pour organiser les
pourparlers de paix [avec l’ennemi Qing] durant l’année Chŏngmyo (1627) mais fut accusé de
trahison et privé du titre officiel.
54
Pascal Dayez-Burgeon, Histoire de la Corée: des origines à nos jours, Paris, Tallandier, 2012,
p. 86.
55
Publié en 9e année du règne du roi Kwanghae, 18 volumes, 18 livres, ouvrage xylographique. La
suite du Samgang haengsil, La conduite suivant les trois liens), publié en 1432 pendant le règne de
Se-jong (1418-1450), un manuel illustré présentant des modèles de vertus prônées par le
néoconfucianisme.
56
Kyung-nam Jang, « Virtuous Women Disourse in 17th Century and Fictitious Action », Journal
of Korean Literary History, 2011, p. 110.
L'Imaginaire de la guerre | 77

issu d’une famille noble ; il s’agit de la dernière dame (⑮), courtisane kisaeng et
comparable aux « chi-nü chinoises, aux geisha-s japonaises »57. Les kisaeng
dansaient et chantaient aux banquets de la Cour et lors des festivités nationales.
En tant que femme d’agrément chargée de divertir une compagnie masculine
lors de réceptions, leur statut social est l’un des plus dépréciés. La fidélité
conjugale ilbu jongsa signifiant que « la femme doit servir un seul homme dans
sa vie » n’a donc pas le même sens pour les kisaeng que pour les femmes de la
classe dirigeante. Pour ces dernières, préserver leur chasteté était une obligation
familiale ou une vertu imposée par la société alors que pour les kisaeng, ce
n’était qu’un choix volontaire. Pour cette raison, le discours de la huitième dame
qui est une kisaeng célèbre est significatif : elle avait décidé un jour « de se
consacrer fidèlement et avec constance à un seul homme »58. Au moment de la
crise, elle choisit de mourir par fidélité. Elle se félicite finalement d’avoir voulu
mourir avec les femmes respectables en glorifiant leur mort et en affirmant leur
fidélité et leur loyauté. Ainsi, son discours résonne dans le cœur des lecteurs et
les émeut.
À partir de ces différents points, il semble que le ou les auteur(s), sous
l’influence de valeurs éthiques et morales de l’époque, moralise(nt) à travers un
prisme d’enseignements confucianistes. Pourtant, la complexité du texte se
rencontre dans les voix d’autres femmes. En tant qu’épouses, les troisième et
onzième dames ne critiquent pas leur mari mais se lamentent plutôt pour eux
avec amour et affection. Plus précisément, la troisième dame s’apitoie d’abord
sur son propre sort en montrant sa souffrance pour son mari qui reste vivant mais
seul : ce dernier a même perdu ses parents pendant la guerre. Elle plaint ainsi
son mari avec pitié et empathie. La onzième dame, quant à elle, ne regrette pas
sa mort, résultat du destin, contrairement aux autres femmes. Pour elle, c’était
une décision honorable de se jeter du haut d’un rocher. Elle a toutefois de la
rancœur pour son mari qui s’est suicidé en se jetant dans un feu grégeois. En
effet, la mort de son mari est pour elle injuste puisqu’il n’avait aucune
responsabilité publique.
Les quatrième et septième dames laissent éclater leur indignation : l’une,
contrainte par son fils, a dû se suicider tandis que l’autre, poussée par son fils, a
dû fuir à l’île de Kanghwa ce qui l’a conduite vers une mort certaine. Ces deux
femmes blâment leur fils pour leur mort, dont ils sont les premiers responsables.
Cela montre que la vie des femmes dépendait alors de la décision de leur fils.
Par ailleurs, la sixième dame montre ses sentiments d’injustice et d’affection en
blâmant son beau-père qui n’a pas assumé sa responsabilité de chargé de la
défense de l’île de Kanghwa. Elle ose ainsi critiquer son beau-père. Ces trois
femmes révèlent l’hypocrisie et l’irresponsabilité de la classe dirigeante
masculine dans la défaite et par conséquent, l’absurdité de l’idéologie patriarcale
confucianiste.
Soulignons que les quinze revenantes expriment de la souffrance dans leur
discours, quel que soit le motif, la cause ou le contexte de leur mort. Cette

57
Byong-won Lee, « L’évolution du rôle et du statut des kisaeng en Corée », The World of Music,
Vol.21, No.2, 1979, p. 83.
58
KM, p. 103.
78 | SYMBOLON 16

souffrance est majoritairement exprimée à travers le mot « 恨 » en sinogrammes,


« 한 » en coréen, qui peut être transcrit en alphabet latin par « han » comme une
convergence entre la rancune, la rancœur, la tristesse, la souffrance, le chagrin,
les sentiments d’injustice, la pitié, ou encore la honte, etc.59 Cette expression «
恨 » apparaît treize fois dans le texte, notamment via la voix de sept des femmes.
Ces dernières sont celles qui acceptent leur mort ou le suicide comme destin en
prononçant cette phrase : « je n’ai plus de han ». Elles expriment leur souffrance
par les mots : « j’ai du han ». Par exemple, la première dame dit comme suit :
« Ah ! Je n’ai guère de rancune car mon suicide volontaire était
inscrit dans mon destin. Notre fils unique ne contribua en rien à la
nation de son vivant et son péché persiste malgré sa mort ; même
en mille ans, l’eau de toutes les mers ne blanchira pas sa réputation
souillée. Pas un seul jour je ne pourrai oublier mon ressentiment
car il pèse trop lourd sur mon cœur.»60

D’une part, elle admet ne plus avoir de han en affirmant que son suicide est
volontaire. D’autre part, elle éprouve du han pour son fils car son péché et sa
mort sont injustes et elle en tient son mari pour responsable. Le han est ainsi
traduit dans le discours ci-dessus tantôt par « rancune », tantôt par
« ressentiment ». Pourtant, la rancune et le han sont subtilement différents : si la
première est intentionnelle et cible un objet particulier, l’autre est dépourvu
d’intention ou d’objet intentionnel61. Concernant le ressentiment, d’après le
psychologue Hee-kyung Lee, il a une origine commune avec le han, car les deux
expriment « l’incapacité intrinsèque de la victime à réagir face à son agresseur.
Pourtant, les relations entre la victime et son agresseur sont fondamentalement
différentes. Le ressentiment, de par sa nature, suppose l’implication de

59
Le mot « 恨 » existe non seulement en Corée mais aussi en Chine et au Japon. D’après le Grand
Dictionnaire Ricci, ce mot désigne littéralement « haïr ; avoir en aversion ; détester. Haine ;
aversion ; hostilité ; ressentiment. Regretter ; s’en vouloir de ; se repentir de. Regret. Résister ; se
rebeller. Dans le Bouddhisme, haine, l’une des six souillures », https://chinesereferenceshelf-
brillonline-com.proxy-sigb.college-de-france.fr/grand-ricci/entries/3440?highlight=%E6%81%A8
[Consulté le 14/12 /2022] ; Shim Jung-soon cite un passage du poète coréen Ko Eun: « Similarly
the Chinese word Hen carries the meaning of extreme anger, hatred, and cursing; and in Japanese
En means vengeful hatred. All of these Asian concepts share some similarities with Han but are
not quite identical with it », dans « The Shaman and the Epic Theatre: the Nature of Han in the
Korean Theatre », New Theatre Quarterly, vol. 20, no. 3, août 2004, p. 216.
60
Co-traduit par Hyun-sun Dang et Arefeh Hosseini.
61
Chŏng, Tae-hyŏn, « Hanŭi kaenyŏmjŏk kujo (La structure du concept du Han) », Han’gugŏ wa
ch’ŏrhak chŏk punsŏk, (La langue coréenne et l’analyse philosophique) Séoul, Ihwa yŏja
taehakkyo ch’ulp’anbu, 1985, p. 70.
L'Imaginaire de la guerre | 79

personnes ayant des statuts plus ou moins égaux, tandis que le han suppose une
complète impuissance de la victime vis-à-vis de son agresseur »62.
Concentrons-nous maintenant sur le discours de la quatorzième dame, dans
lequel le mot han apparaît le plus grand nombre de fois, à savoir quatre fois63.
« Il m’a autorisée à rejoindre le Paradis pour mon bien-être
éternel, quelle raison aurais-je de regretter d’être morte aussi
jeune ? Mais la séparation d’avec mes parents âgés, aux cheveux
blancs, et mon si jeune époux, tous à peine remis de la rubéole,
m’attriste. J’entends la complainte mélancolique du kŏmungo64 et
du bipa65, et je contemple en pensée mon village natal, alors que
mes larmes ne tarissent jamais et que ma tristesse ne fait que
croître, quelle qu’en soit la saison, qu’il pleuve sur les paulownias
ou que la brise printanière ébouriffe les pivoines. J’ai réalisé que
mon suicide n’est ni de la piété filiale ni un acte vertueux car j’ai
déserté mes parents et mon mari. Las, comment puis-je avouer mon
péché et dire toute ma culpabilité ?” »66

Le han varie en fonction du contexte et des conditions de son


expression. Dans le discours ci-dessus, il est traduit par : regretter, attrister,
tristesse, culpabilité. Premièrement, le han montre ainsi un caractère fataliste,
comme celui du narrateur qui ne regrette pas sa mort en le considérant comme
son destin. Deuxièmement, le han comprend les sentiments de tristesse et de
mélancolie dans le sens défini par Freud67. Soulignons néanmoins que même si
le han inclut des propriétés de la mélancolie, il n’est pas synonyme de la
mélancolie. C’est plutôt l’inverse et « la mélancolie est une partie du Han [parce
que] la mélancolie et le Han ont en partage les états de désespoir et de tristesse
mais que le Han intègre également l’optimisme et l’espoir »68. Troisièmement, le
han n’est pas un état figé mais mutant puisqu’il y a des changements d’états
psychologiques. Par exemple, la « culpabilité » appartient à une « étape de
transition [qui] est celle de la responsabilité au moins partielle envers soi-même,

62
Lee Hee-kyung, « Concept du Han », Revue de Corée, vol. 28, no. 2, décembre 1996, p. 59.
63
Le mon han apparaît ainsi : ① (2), ⑤ (1), ⑧ (2), ⑨ (2), ⑩ (1), ⑭ (4), ⑮ (1).
64
Un instrument musical, sorte de cithare à six cordes pincées ou frappées à l’aide d’une baguette
en bois ou d’un type de dé.
65
Un instrument d’origine chinoise, sorte de luth à caisse piriforme, à manche droit et court, dont
les quatre ou cinq cordes peuvent être pincées à l’aide d’une baguette de bois ou d’une sorte de dé
comme le kŏmungo ; tous deux auraient été utilisés en Corée dès le Ier siècle av. J.-C.
66
Co-traduit par Hyun-sun Dang et Arefeh Hosseini.
67
D’après Sigmund Freud : La mélancolie « se caractérise du point de vue psychique par une
dépression profondément douloureuse, une suspension de l’intérêt pour le monde extérieur, la
perte de la capacité d’aimer, l’inhibition de toute activité et la diminution du sentiment d’estime de
soi se manifeste en des auto-reproches et des auto-injures et va jusqu’à l’attente délirante du
châtiment », dans Métapsychologie [1968], trad. Jean Laplanche et J.-B. Pontalis, Paris, Gallimard,
1986, p. 146‑147.
68
Lee, « Concept du Han », p. 78.
80 | SYMBOLON 16

par un processus d’adaptation intérieure qui conduit à l’affaiblissement de la


colère par une conversion qualitative, comme le chagrin, le désir, la frustration,
l’impuissance, la vengeance qui sont convertis en un auto-blâme ou une
résignation à son destin »69. Le han fonctionne également comme un filtre moral
et éthique et ne persiste pas dans un état totalement négatif comme l’hostilité ou
la vengeance.
De ce fait, il paraît évident que le mot han ne peut pas être réduit à un
seul mot français, lequel serait à son tour enfermé dans un sens univoque. Est-ce
que cela confirme la justesse de la formule traduttore, traditore ?

Conclusion
Dans une situation de guerre, les femmes présentent une plus grande
vulnérabilité par rapport aux hommes, aussi bien hier que de nos jours, puisqu’
« elles peuvent devenir les cibles privilégiées de la cruauté de l’ennemi »70.
Comme nous l’avons vu avec le récit « Kangdo mongyu rok », le cas coréen n’y
fait pas exception. Les victimes apparaissent en fantômes, kwisin ou wŏngwi
pour exprimer leurs pensées et sentiments, occultés et tabous dans l’histoire
officielle de leur vivant. Même si certaines de ces femmes fantômes sont
fatalistes et optimistes envers leur mort, leurs fins n’en sont pas moins injustes
ou tragiques. Au XVIIe siècle, le suicide pour préserver sa chasteté était très
fréquent chez les femmes, dans la littérature mais aussi dans la réalité ; il avait
donc une valeur éthique et morale positive à l’époque. Ainsi, « la vulnérabilité
des femmes tient cependant au fait qu’elles sont exposées à une répression qui
les vise spécifiquement à travers leur corps. (…) [Ceci en raison du] risque de
“perdre son honneur” qui rend la réinsertion sociale impossible […] »71. Cette
situation n’est pas une exception en Corée et s’observe fréquemment dans
l’histoire humaine toutes époques confondues.
Par ailleurs, le présent article a tenté de mettre en lumière une
particularité coréenne au sujet de la souffrance humaine et féminine en temps de
guerre, à travers le mot « han », énoncé sans relâche dans les discours des
personnages du texte « Kangdo mongyu rok ». Afin d’y parvenir, nous avons
d’abord longuement explicité le contexte historique du XVIIe siècle, ainsi que
d’autres circonstances telles que la condition féminine de l’époque de la dynastie
Chosŏn et la situation politique et diplomatique autour de la guerre en Asie de
l’Est. Nous avons également abordé certaines caractéristiques du genre littéraire
mongyu rok qui permettent d’entendre la voix des femmes dans un cadre
onirique, ainsi que le sens sociologique de la figure de la revenante kwisin, ou
encore l’idéologie patriarcale et le système confucianistes justifiant l’oppression
des femmes qui ne forment alors qu’une minorité sociale. Ces particularités
forment une constellation historico-culturelle spécifiquement coréenne. Cet
69
Sang-chin Choi, Han'guginŭi simnihak (La psychologie du peuple coréen), Séoul, Hakjisa,
2011, p. 80.
70
Lætitia Bucaille, « Femmes à la guerre. Égalité, sexe et violence », Critique internationale, vol.
60, no. 3, 2013, p. 9.
71
Ibid., p. 17.
L'Imaginaire de la guerre | 81

itinéraire nous a permis d’examiner la souffrance des femmes coréennes et de là,


à appréhender le « signifié »72 du han.
La traduisibilité de ce mot « han » n’est pas évidente puisque ce dernier,
comme une poésie, comprend des éléments d’affects ou des images mentales.
Rappelons-nous que Lévi-Strauss considère la poésie comme « une forme de
langage extrêmement difficile à traduire dans une langue étrangère »73. La
pensée abstraite ou les sentiments, en retenant le fond et non la forme de la
langue, échappent à cet écueil. La langue n’est plus un obstacle si le travail de
l’interprétation arrive à dépasser les conditions physiques et formelles et à
atteindre les valeurs universelles de l’esprit humain: seule sa partie symbolique
et transcendantale est à appréhender ; autrement dit, son ontologie du signifié. Il
est impossible de traduire fidèlement tout texte littéraire ou récit si l’on s’attache
uniquement à sa forme, autrement dit, à son signifiant. Le signifié du han est
différent d’une culture à l’autre. La lettre « han » existe dans la langue des pays
voisins de la Corée, mais la différence des contextes socio-historiques et des
histoires, au moins, autour de la guerre, singularise la signification du sentiment
han pour les Coréens, hommes et femmes74.
Pour comprendre la profondeur du schéma du han, la présence du
rêveur, c’est-à-dire du moine bouddhiste Ch’ŏnghŏ qui entend la voix des
revenantes dans un songe n’est pas anodine. En effet, ce dernier possède un
caractère affectueux et empathique. Les revenantes qui sont définies comme des
victimes qui « ont du han », dit en coréen, « hanŭl p’umda ». Face à elles,
Ch’ŏnghŏ est un personnage spirituel ou un guérisseur de l’âme qui a la capacité
de « soulager la souffrance » ou de « défaire du han », dit en coréen, « hanŭl
p’ulda ». Ceci nous renvoie à quelques expressions de Mircea Eliade telles que
« défaire les nœuds de l’existence » ou « libérer l’âme des chaînes de
l’existence »75. Si la souffrance humaine est causée par des situations limites, le
schéma du han représente une attitude morale et éthique face à ces limites
humaines. En plus, le rôle d’un guide spirituel ou religieux, ou la démarche
empathique et affectueuse d’un guérisseur comme Ch’ŏnghŏ renvoie à un
« complexe de purification »76 par lequel l’intention du déliage ou de la
séparation s’explique comme visant en finalité la « pureté », les « purifications »
et la « guérison ». La disposition de « revenantes-victimes » et de « moine

72
Gilbert Durand le définit comme « difficilement saisissable par un moyen direct, généralement
est un concept complexe ou une idée abstraite. Donné avant le signifiant » dans le Tableau N°1.-
Les modes de connaissance indirecte, L’imagination symbolique, PUF, 2008 [1964], p.19
73
Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale [1958], Paris, Plon, 1974, p. 232.
74
Une étude comparative soit avec le cas japonais soit avec le cas chinois sera un des prochains
projets d’étude, qui dépassait l’objectif du présent article.
75
Mircea Eliade, Images et symboles : essais sur le symbolisme magico-religieux [1952], Paris,
Gallimard, 1979, p.165.
76
Gilbert Durand, Les structures anthropologiques de l’imaginaire, p. 201. Voir également la
sous-section (ii-c. Symbole diaïrétiques) de la première section de Partie II-Chapitre II. Cette
image symbolique a été évoquée en tant qu’« élément de l’idéal de pureté » par Gaston Bachelard,
dans L’eau et les rêves: essai sur l’imagination de la matière, Paris, J. Corti, 1942, p. 182.
82 | SYMBOLON 16

bouddhiste-guérisseur » autour du han est ainsi une esthétique du récit « Kangdo


mongyu rok » ou encore une spécificité de l’imaginaire coréen.
L'Imaginaire de la guerre | 83

ROGER CAILLOIS, OU LE VERTIGE DE LA GUERRE


Valeria CHIORE
Abstract. In Roger Caillois’ vision the slope of war finally lays its frightening scepter
on the world, tracing a declining trajectory which, gradually degrading the sacred - from
celebration to war, from vertigo to slope towards a desolate horizon. The same that,
more than ever in these times, we can only sadly share.

Keywords: war, Roger Caillois, the sacred, vertigo, the slope.

La guerre en tant que vertige exalte Roger Caillois. Cela, au cours de l’heureuse
saison du Collège de Sociologie partagée avec Michel Leiris et Georges Bataille
avec qui il développe ses études sur la logique de l’excès, de la dépense et du
sacré. Et, en effet, le sacré semble être à l’origine de la notion de guerre tel un
excès et une gratuité sans limite, célébrée dans les années 1937-1939, à la veille
du second conflit mondial, en tant que fureur dionysiaque, enthousiasme,
régénération. Un enthousiasme qui trouve son expression dans les conférences
tenues par Caillois au sein du Collège et qui atteint son manifeste cinglant dans
Le vent d’hiver (1937)1, repris dans une certaine mesure quelques années après
dans La Communion des fortes (1942)2, au cœur duquel trône un texte intitulé
justement « Vertiges ». Entre-temps, toutefois, la guerre a eu lieu. Tout a
changé. Le monde a changé, l’histoire a changé, Caillois même a changé et, face
à la guerre, il exprime une démarche nouvelle, plus consciente, plus lucide, plus
désenchantée. La guerre, plus que vertige, commence à lui sembler un
mécanisme – anonyme et rigide, qui règle le cours des États, des sociétés, de la
civilisation. Une nécessité mécanique et déterministe à laquelle personne ne peut
se soustraire. Une force glisseuse qui s’empare de l’histoire, imprimant son
inertie aux hommes et à leur destin, les condamnant à une ruineuse pente.
Et, tout comme le vertige avait envisagé ses dieux dans les divinités orgiastiques
et dionysiaques, la pente envisage sa déesse dans Bellone, divinité mineure de
l’Olympe latin, grosse de sang et mortifère qui, Bellone, ou la pente de la guerre
(1963)3, se pose au début des années Soixante telle une métaphore de tout
conflit, étendant, avec la force de l’imaginaire, son sceptre funeste sur le monde.

1
CAILLOIS R., Le Vent d’hiver, dans HOLLIER D. (soin), Le Collège de Sociologie, 1937-1939,
Paris, Gallimard, 1995 [trad. it. Marina Galletti e Annamaria Laserra, Torino, Bollati Boringhieri,
1994]. Une esquisse de Le Vent d’hiver a été présentée au printemps 1937 aux conjurés du Grand
Véfour, tandis que le texte définitif a été rédigé au cours de l’été de la même année. Sur ce point,
voir : HOLLIER D., Introduction à CAILLOIS R., Le Vent d’hiver, op. cit., p. 328, trad. it., p. 43.
2
CAILLOIS R., La Communion des forts, études sociologiques [1942], Marseille, Sagittaire,
1944. Voir aussi : Instincts et société, Paris, Denoël-Gonthier, coll. « Médiations », 1964 [trad. it.
Anna Baldi e Annamaria Laserra, a cura di Marco Brunazzi, Torino, Bollati Boringhieri, 2007].
3
CAILLOIS R., Bellone, ou la pente de la guerre [1963], Paris, Flammarion, 2012, nouvelle
préface de Yves-Jean Harder [trad. it. parz. dans « Riga 23 », numéro monographique dédié à
Roger Caillois, a cura di U. M. Ulivieri, Milano, Marcos y Marcos, 2004]. Cet ouvrage s’articule
84 | SYMBOLON 16

Le vent d’hiver, La Communion des fortes et Bellone, ou la pente de la guerre


représenteront donc nos repères fondamentaux, rythmant, au sein des réflexions
cailloisiennes sur la guerre, trois phases distinctes : le début - emprunté au
sacré ; le développement - marqué par le vertige ; les issues - condamnées à la
pente. Sacré, vertige et pente seront donc les axes de notre texte, révélant – de la
part de Caillois-, un regard sur la guerre de plus en plus détaché, désenchanté,
désolé. Le même que, dans ces temps scélérats, nous levons sur le monde.

1. Le Sacré (Le Collège de Sociologie, 1937-1939)


« Jeune loup parmi les Luperques, Caillois est le cadet du Collège
de Sociologie. Né en 1913, il n’a pas vingt-cinq ans lorsqu’il fonde
ces ‘Jeunesses sociologiques’. Agrégé de grammaire (1936),
diplômé de l’École pratique des hautes Études (cinquième section),
il vient juste de sortir de l’École normale, alors que Bataille (né en
1897), sans être encore menacé de gravité sénatoriale, a quand
même la quarantaine – dont Leiris n’est pas loin non plus. Ces
considérations d’état civil ont leur importance. Elles inscrivent dans
les statuts du Collège le problème du passage à l’âge d’homme »4.

Le jeune Caillois meut ses premiers pas dans le Collège de Sociologie à l’abri de
Bataille et de Leiris, fondateurs avec lui de cette institution élitaire. Mais c’est
surtout Bataille qui le fascine, avec un charisme qui lui rappelle celui de Breton,
avec qui Caillois avait partagé l’exaltante expérience du surréalisme pour ensuite
s’en éloigner drastiquement. Á Bataille, il doit la fascination des catégories de
l’excès et de la dépense, de la perte et du don, que chacun d’eux développera
ensuite d’une façon différente. Á Bataille il doit, également, la séduction du
sacré, qu’il déclinera sous le signe de la fête, du jeu et de la guerre et, au sein de
la guerre, du vertige. C’est donc justement là, dans le Collège de Sociologie, que

en deux parties : la première (« La guerre et le développement de l’État »), plus récente, de


caractère historique ; la deuxième (« Le vertige de la guerre »), plus ancienne, de caractère
sociologique. « Le vertige de la guerre », en particulier, reprend, comme l’auteur le rappelle dans
son Avertissement de janvier 1962, une étude parue initialement dans Quatre Essais de sociologie
contemporaine (Paris, Olivier Perrin, 1951 : « La représentation de la mort », « L’usage des
richesses », « Le pouvoir charismatique », « Le vertige de la guerre »), dans le prolongement d’un
cours donné sur le même sujet en 1947 à l’École pratique des hautes études et déjà ébauché dans la
deuxième édition de L’Homme et le Sacré (1950), Appendice III (« Guerre et sacré », à son tour
modulé en ‘Guerre et fête’ et ‘Mystique de la guerre’). Au nombre de 3 les traductions en italien
sous le titre La vertigine della guerra : 1) trad. it. parz. Mauro Pennasilico, introd. Sergio Cotta,
Roma, EL, 1990 ; 2) trad. it. Mario Baccianini, introd. Umberto Curi, Troina (EN), Oasi Editrice –
Città Aperta Edizioni, 2002 ; 3) trad. it. Marco Tabacchini, Silvia Uberti, Elia Verzegnassi, introd.
Gianluca Solla, Gussago (BS), Casa di Marrani, 2014.
4
HOLLIER D., « N.B. », dans CAILLOIS R., Le Vent d’hiver, op. cit., p. 330 , trad. it., p. 43.
L'Imaginaire de la guerre | 85

le vertige de la guerre s’enracine, à partir du concept de sacré et de ses


modulations intimes5.
Le sacré est traité ici, dans un premier moment, tel un ciment entre individu et
société : ce qui catalyse une forme d’individualisme autrement condamnée au
beau geste isolé et anarchiste – déjà expérimenté dans l’histoire, du romantisme
à Nietzsche et à Stirner, vers la formation de la société, ou mieux, d’un type
nouveau de société, c’est-à-dire une communauté - ou mouvement communiel,
qui deviendrait un jour, dans sa spécificité sectaire et nietzschéenne, la
communion des fortes. En passant, dans ce procès de sacralisation, à travers un
parcours de sursocialisation 6 aux teintes fortes et méprisantes, qui retentit des
échos bellicistes très diffuses à cette période. Ce qui trouve sa théorisation lucide
dans Le Vent d’hiver, un texte fondamental qui, daté du 7 octobre 1938, vient
d’être désormais reconnu comme manifeste du Collège de Sociologie, ainsi que
véritable statut pour ses membres.

Le Vent d’hiver
« Le temps n’est plus à la clémence. Il s’élève présentement dans le
monde un grand vent de subversion, un vent froid, rigoureux,
arctique, de ces vents meurtriers et si salubres, qui tuent les délicats,
les malades et les oiseaux, qui ne les laissent pas passer l’hiver. Il
se fait alors dans la nature un nettoyage muet, lent, sans recours,
comme une marée de mort montant insensiblement. Les sédentaires,
réfugiés dans leurs demeures surchauffées, s’épuisent à ranimer
leurs membres où le sang figé dans les veines ne circule plus. Ils

5
Nombreuses sont, à ce propos, les interventions de Caillois aux séances du Collège, presque
toutes perdues et donc reportées indirectement par Bataille : « La sociologie sacré et les rapports
parmi ‘société’, ‘organisme’, ‘être’ » ; « Les sociétés animaux » ; « Le pouvoir » ; « Frairies,
ordres, sociétés sécrètes, Églises » ; « La sociologie sacrée du monde contemporaine ».). Pour ce
qui regarde les rapports entre Caillois et Bataille, Caillois ressemble souvent Bataille à Breton,
surtout pour ce qui concerne les divergences qui affleureront de plus en plus entre eux, au cours
des années du Collège (« Je me heurtai avec Georges Bataille à des difficultés identiques à celles
que j’avais rencontrées avec André Breton », Ibidem, p. 883, trad. it., p. 503), comme on peut le
déduire aussi de la lettre de Bataille à Caillois datée 20 juillet 1939, où Bataille dénonce à son tour
leurs réciproques « difficultés profondes » (BATAILLE G., Lettre à Roger Caillois, dans
HOLLIER D., op. cit., « Épilogue », p. 833, trad. it., p. 461). Á ce propos, voir aussi CAILLOIS
R., « L’Homme et le sacré » et « Divergences et complicités », dans HOLLIER D., op. cit.,
« Appendices – Marginalia », pp. 882-883, trad. it., pp. 502-503.
6
« Il s’agit d’une démarche de sursocialisation, et comme telle, la communauté envisagée se
trouve naturellement déjà destinée à sacraliser le plus possible, afin d’accroître dans la plus grande
mesure concevable la singularité de son être et le poids de son action » (CAILLOIS R., Le Vent
d’hiver, op. cit., p. 337, trad. it., p. 47). Pour ce qui regarde ce néologisme cailloisien, ainsi que
d’autres qui portent sur le préfixe -sur, qui prend chez Caillois le sens d’un dépassement, souvent
irrationaliste et méprisant, nous nous permettons de rappeler l’emploi de ce préfixe dans le terme
surrationalisme qui connaîtra un sensible rayonnement chez Bachelard (Voir, à ce sujet :
BACHELARD G., Le surrationalisme, dans « Inquisitions », 1, 1936 – unique numéro de cette
revue).
86 | SYMBOLON 16

soignent leurs crevasses et leurs engelures, - et frissonnent. Ils


craignent de se risquer au-dehors où le nomade robuste, tête nue,
dans la jubilation de tout son corps, vient rire au vent, enivré de
cette violence glaciale et tonique, qui lui claque au visage ses
cheveux raidis […] Qu’ils se comptent et se reconnaissent dans l’air
raréfié, qui l’hiver les quitte unis, compacts, au coude à coude, avec
la conscience de leur force, et le nouveau printemps consacrera leur
destin »7.
Le vent d’hiver représente la métaphore cinglante de ce qui sera le sacré chez
Caillois. Un sacré qui, imprégné de Bataille et de Nietzsche, vise à une
sursocialisation inquiétante, empruntée à une société fermée, aristocratique et
élitaire (très lointaine de celle ouverte et dynamique songée par Bergson),
fondée sur l’exercice effréné du pouvoir, de la force, de l’abus, qui n’hésite pas,
au besoin, à faire un clin d’œil à une frairie à mi-chemin entre la compagnie
religieuse (à la Loyola – spécifie-t-il), la société secrète et l’organisation
militaire8. Ce qui, à la veillée de la seconde guerre mondiale, nous pose plus
qu’un problème (bien que, selon des spécialistes tels Denis Hollier et Yves-Jean
Harder - sans parler de son frère Roland-P. Caillois, tout cela sera minimisé s’il
n’est pas complètement refusé par son auteur)9.

7
CAILLOIS R., Le Vent d’hiver, op. cit., pp. 351-353, trad. it., pp. 54-55.
8
« Une association militante et fermée tenant de l’ordre monastique actif pour l’état d’esprit, de la
formation paramilitaire pour la discipline, de la société secrète, au besoin, pour les modes
d’existence et d’action » (Ibidem, p. 344, trad. it., p. 50). La référence à Loyola est explicitée à p.
343 et rappelée par son frère Roland-P. Caillois (CAILLOIS R.-P., « Roger Caillois ou
l’inquisiteur sans Église », dans HOLLIER D., op. cit., p. 879, trad. it., p. 498).
9
Caillois prendra ses distances par rapport à ces premières démarches, comme il le soutient à
plusieurs reprises dans les années suivantes, les réduisant à des « juvéniles et arrogantes chimères
» (CAILLOIS R., Seres del anochecer , « Sur », décembre 1940, dans HOLLIER D., op. cit.,
« Appendices – Marginalia », p. 866, trad. it., p. 488) et concluant que « […] de fait, ces creuses
ambitions restèrent lettre morte. Je suis persuadé que, même sans la guerre elles eussent fait long
feu. Je les signale seulement pour suggérer que, plus souvent qu’on ne l’imagine, des ardeurs de ce
genre ont pu inspirer des travaux qui paraissent en suite d’une toute autre espèce, de plus basse
température, en un mot le fruit d’un effort de détachement » (CAILLOIS R., « L’Homme et le
sacré » et « Divergences et complicités », op. cit., pp. 882-883, trad. it., pp. 502-503. Voir, à ce
propos, l’introduction de Denis Hollier dans Le vent d’hiver, ou il reporte la réaction ennuyée de
Caillois aux soupçons de fascisme par respect à son texte : « Je suis un peu ennuyé par cette
histoire de fascisme. Cela n’a tellement aucun rapport et on a tellement de quoi être sûr, qu’une
discussion sur ce mot est nécessairement sans intérêt (hors de la période électorale) », mais en
même temps sa prudence à ne pas en reprendre la publication avant 1974 dans Approches de
l’imaginaire (HOLLIER D., Introduction dans CAILLOIS R., Le Vent d’hiver, op. cit., pp. 328-
329). Sur ce point, voir aussi la « Nouvelle préface » de Yves-Jean Harder à CAILLOIS R.,
Bellone, ou la pente de la guerre, op. cit., où Harder écrit, citant des pas de Caillois tirés aussi bien
de Bellone que de l’entretien de Caillois avec Gilles Lapouge dans la Quinzaine littéraire du 15 au
30 juin 1970 : « Ce qui a mis un terme à cette entreprise, c’est le déferlement de violence et de
barbarie de la Seconde Guerre mondiale : ‘La guerre nous avait montré l’inanité de la tentative du
Collège de sociologie. Ces forces noires que nous avions rêvé de déclencher s’étaient libérées
toutes seules, leurs conséquences n’étaient pas celles que nous avions attendues’. Dès 1943, dans
L'Imaginaire de la guerre | 87

Déclaration du Collège de Sociologie sur la crise internationale


Un vent d’hiver qui s’abattra sur les membres mêmes du Collège, auxquels
Caillois, Bataille et Leiris se référeront à travers la Déclaration du Collège de
Sociologie sur la crise internationale qui, lancée en novembre 1938,
immédiatement après les Accords de Munich, représente le manifeste de leurs
positions politiques, célébrant la guerre contre chaque attitude à l’apaisement, à
la prudence ou à la neutralité, dénonçant l’absence de réaction devant celle-ci
comme « un signe de dévirilisation de l’homme »10 et méprisant ceux qui - si
seuls, si privés de destin, si démunis devant la possibilité de la mort, « se
trouvent nécessairement lâches devant la lutte, n’importe quelle lutte, des sortes
de moutons conscients et résignés à l’abattoir » 11.
Le Vent d’hiver, donc, tel une métaphore superbe du sacré. Et le sacré, à son
tour, décliné de plus en plus dans le sens de la guerre et d’un vertige pas encore
clairement théorisé, mais déjà pressenti dans l’air12. Dès ce moment, sacré,
vertige et guerre procéderont étroitement entrelacés dans la réflexion de Caillois.
Á partir d’un texte qui, se basant sur l’expérience juvénile du Collège, si par
certains aspects il la reprend, pour d’autres, au contraire, il commence à s’en
éloigner. Nous nous référons à La Communion des fortes, qui compte à son cœur
un essai éblouissant justement titré Vertiges, où nous lions définitivement sacré,
vertige et guerre, trois dimensions qui, bien que étroitement entrelacées,
commencent à marquer leurs propres différences.
Et Bellone, déesse de la pente, jusqu’à ce moment cachée dans son Olympe
mineur, commence lentement à s’éveiller.

le Préambule de ‘L’esprit des sectes’, Caillois, qui soutenait depuis l’été 1940 la France libre, juge
avec sévérité l’activisme du Collège » (HARDER Y.-J., « Nouvelle préface », dans CAILLOIS R.,
Bellone, ou la pente de la guerre, op. cit., pp. XII-XIII). Á ce sujet, voir aussi le témoignage de
Roland-P. Caillois, qui rappelle comment « Aucun des fondateurs de ce Sacré Collège n’approuve
plus aujourd’hui cette téméraire entreprise » (CAILLOIS R.-P., « Roger Caillois ou l’inquisiteur
sans Église », op. cit., p. 879, trad. it., p. 498).
10
BATAILLE G. – CAILLOIS R. – LEIRIS M., Déclaration du Collège de Sociologie sur la crise
internationale, dans HOLLIER D., op. cit., p. 362, trad. it., pp. 59 et 58.
11
Ibidem. Ce texte, signale Hollier, avait été publié simultanément dans le numéro de novembre de
plusieurs revues : la « Nouvelle Revue Française », « Esprit », « Volontés » et « La Flèche »
(HOLLIER D., op. cit., pp. 355-356, trad. it., p. 56).
12
La déclination du sacré en tant que fête représente un des Leitmotiv de la réflexion de Caillois. Á
partir, déjà dans le Collège de Sociologie, de l’essai Théorie de la fête (2 mai 1939), réputé par
Bataille « un chef-d’œuvre essentiel » (HOLLIER D., op. cit., p. 645, trad. it., p. 364). Cet essai
trace un ample éventail des fêtes près des sociétés primitives, aux quatre coins du monde, partout
retrouvant, dans le sceau des grands maîtres de la sociologie, de Mauss à Dumézil, de Lévy-Bruhl
à Durkheim, en passant par Wirz, Elkin et Daryll Forde, les caractères de la fête tels un « recours
au sacré » (HOLLIER D., op. cit., p. 647, trad. it., p. 365). Quant à la sociologie, en outre, la
métaphore même de l’hiver est inspirée aux travaux de Mauss, de Granet et de Dumézil, comme
Hollier le rappelle dans l’introduction à Le Vent d’hiver (HOLLIER D., introduction à CAILLOIS
R., Le Vent d’hiver, op. cit., p. 329, trad. it., p. 42).
88 | SYMBOLON 16

2.Le Vertige (La Communion des fortes)


« Il faut appeler vertige toute attraction dont le premier effet
surprend et stupéfie l’instinct de conservation. L’être se trouve
entraîné vers sa perte et comme convaincu par la vision même de
son propre anéantissement de ne pas résister à la persuasion
puissante qui le séduit par l’effroi » 13.
Une fois bouclée la saison scintillante du Collège de Sociologie, la guerre
déclenchée enfin, de l’Argentine, où il s’est rendu en 1939 à la suite de Victoria
Ocampo14, Caillois compose La Communion des forts (1942), un recueil d’essais
sociologiques, où trône un court texte consacré aux vertiges qui, si d’un côté il
présente toutes les caractéristiques du sacré, il se penche de plus en plus, au fil
des pages, sur la guerre15.

La Communion des forts (1942)


Le Vertige, tout d’abord, analysé par Caillois aussi bien dans son coté individuel
- de l’amant ou du joueur – que dans son coté collectif – de l’héros. Et donc,
tout comme il arrive au joueur et à l’amant d’être totalement séduits par les
enchantements du tapis vert ou du regard de l’aimée, il arrive aux sociétés aussi
d’être envahies par la guerre, vertige funeste de l’histoire.
« Qui voudra s’aventurer davantage, reconnaitra qu’un pareil
vertige peut saisir jusqu’aux sociétés et qu’il n’est pas inconcevable
que la guerre doive à une surprise de cette espèce de se voir
glorifiée, désirée et parfois peut-être reçue avec ferveur comme une
suprême consécration »16.

13
CAILLOIS R., La Communion des forts, études sociologiques, op. cit., p. 71, trad. it., p. 53.
14
En juillet 1939, en fait, Caillois partira à la suite de Victoria Ocampo pour l’Argentine, où sa
Muse inspiratrice l’introduira dans le gotha de l’intelligentsia recueillie autour de « Sur », la revue
fondée et dirigée par cette dernière en 1931, et où il demeurera jusqu’à la fin du conflit, pour
rentrer en Europe en 1945, désormais intellectuel réputé et, de surcroit, fonctionnaire de
l’UNESCO. Sur ce point, voir : LOUIS A., Etoiles d’un ciel étranger : Roger Caillois et
l’Amérique latine, « Littérature », 170, 2013/2.
15
Le thème de la guerre, déjà présent au temps du Collège de Sociologie, en tant qu’éventualité
imminente, par rapport à laquelle Caillois, Bataille et Leiris avaient pris une position enthousiaste
et activiste, méprisant les démarches les plus prudentes, se pose dans ces années-là comme un
pivot d’une réflexion plus critique, à partir, au-delà de La Communion des fortes, de la seconde
édition de L’Homme et le Sacré (1950), jusqu’à Illusions à rebours (1955), en passant par Sur
l'enjeu d'une guerre (1945), avant de saisir son acmé théorique dans Le vertige de la guerre
(1951), repris enfin dans Bellone, ou la pente de la guerre (1963).
16
CAILLOIS R., La Communion des forts, études sociologiques, op. cit., p. 85, trad. it., p. 62. Une
définition semblable de vertige sera reprise, quelques années après, dans Les Jeux et les hommes :
le masque et le vertige (1958), sous forme de ilinx, la quatrième et dernière classification du jeu
(après agon, alea et mimicry) qui, tirée du grec (ilinx, en grec tourbillon d’eau), consiste en « une
tentative de détruire pour un instant la stabilité de la perception et d’infliger à la conscience lucide
une sorte de panique voluptueuse » (CAILLOIS R., Les Jeux et les hommes : le masque et le
vertige [1958], Paris, Gallimard, 1967, p. 67 [trad. it., Laura Guarino, introduzione e note di
Giampaolo Dossena, Milano, Bompiani, 1981, prefazione di Pier Aldo Rovatti, 2004).
L'Imaginaire de la guerre | 89

Glorification, désir, ferveur et enfin consécration, voici les mots qui, définissant
le vertige - désormais vertige de la guerre, le livrent directement au sacré. Tout
comme le sacré, le vertige exprime en fait sa portée de dépense et d’excès par
rapport à la paix, s’opposant au travail et à l’accumulation, sous forme de
destruction et de dilapidation, et au droit, sous forme d’abus et d’exaction,
jusqu’à la perte totale qui se consomme en termes de consécration, catastrophe et
destin auquel nul ne peut échapper (tout comme le Thanatos freudien du Malaise
dans la civilisation, qui déjà depuis une dizaine d’années serpentait dans
l’histoire). L’exaction, tout d’abord, à partir du moment où la guerre représente
en premier lieu la fin du droit, de façon que, « entreprise ou non pour une bonne
cause, elle emporte avec elle plus d’exaction qu’elle était destinée à guérir »17.
La dilapidation, ensuite, à partir du moment où la société en guerre « n’a pas
d’autre fin que la guerre même, la dilapidation soudaine des réserves et des
énergies morales et matérielles, l’explosion qui les ruine et les couronne à la fois
– et justifie qu’on les ait amassées »18. La catastrophe et sa sanctification, enfin,
à partir du moment où le vertige de la guerre provoque « une véritable chute vers
la catastrophe, […] la sanctification de cette catastrophe même, […] le visage
d’un destin grandiose et terrible, d’une somptueuse et effroyable apothéose qui
engloutit l’individu pour décider du sort d’un peuple »19.
Sanctification de la catastrophe, le vertige - en particulier le vertige de la guerre,
réalise le sens le plus profond du sacré en termes de destin fatal. Amant et
joueur, l’homme envahi par le vertige se voue au sacré, se perdant dans son
destin. Tout comme le héros - et les sociétés héroïques à part entière, eux aussi,
s’anéantissent totalement dans la guerre de la part du sacré.
« En ce point s’insère le consentement au vertige et bientôt
l’acceptation d’un destin. Tout se tourne vers la guerre et s’y
élance. Et comme l’idée d’ordinaire accompagne l’événement, la
guerre devient valeur suprême. Il n’est cœur violent que sa
fascination peu à peu ne saisisse. Chacun la transfigure, en attend
son accomplissement et vole plein d’impatience à sa pente comme
l’insecte à la flamme et l’oiseau au serpent. L’éclat qui l’éblouit
comme l’enthousiasme qui l’emporte ne sont que les fruits de sa
désertion, mais que lui dire désormais ? Il se sent déjà mesure de
toute grandeur et invincible héros, et joueur et amant »20.

L’Homme et le Sacré
Ce qui trouve une séduisante description – au-delà de La Communion des forts -
dans la deuxième édition de L’Homme et le Sacré (1950), qui en Appendices

17
Ibidem, p. 89, trad. it., p. 64.
18
Ibidem, p. 91, trad. it., pp. 65-66.
19
Ibidem, pp. 91-92, trad. it., p. 66.
20
Ibidem, p. 95, trad. it., p. 68..
90 | SYMBOLON 16

présente un essai très intéressant, « Guerre et sacré », à son tour modulé en


‘Guerre et fête’ et ‘Mystique de la guerre’, où la guerre est traitée - au-delà des
catégories de l’excès, du sacrifice et du gaspillage, aussi en termes de
régénération et de purification aux nuances religieuses et justificatrices, sous le
signe de Jünger, Goebbels et Ludendorff, souvent cités d’une façon d’autant plus
inquiétante qu’explicite, en tant que guerre-sacrement, « authentiquement
religieuse », qui « ouvre les portes du monde des dieux », se posant comme
« déesse de la fécondité tragique »21.
La Communion des forts (1942) et L’Homme et le Sacré (1950), donc, comme
une exaltation du vertige, dans une ligne de filiation apparemment directe par
rapport à l’heureuse et toutefois inquiétante saison du Collège, avec qui Caillois
semble être encore en dette et qui semble lui prêter encore des catégories
herméneutiques significatives.
Et pourtant, dans l’après-guerre, beaucoup a changé. La guerre, une guerre
réelle, a eu lieu, détruisant le monde et saisissant, en même temps, son sommet
et son abime. Et Caillois, bien que lointain, en est touché : ce qui comporte la
révision de ses positions à propos d’une guerre qui, bien qu’expression du sacré,
perd progressivement sa fascination de vertige, pour virer ruineusement vers sa
pente. A partir de ce moment son changement d’accent sur la guerre : un accent
lucide et attentif, mais non plus engagé, militant et actif, comme il l’avait été
dans Le Vent d’hiver ou dans la Déclaration sur la crise internationale, où le
vertige de la guerre, pas encore clairement théorisé, était toutefois profondément
vécu, éprouvé, partagé. Maintenant, dans La Communion des forts et dans la
deuxième édition de L’Homme et le Sacré, une sorte de détachement critique
traverse ses nouvelles réflexions par rapport à un phénomène social non plus
élitaire mais collectif, qui se révèle moins exaltant qu’effrayant.
« Enfin, si la passion [de quelques-uns] provoque la guerre, on
songe aussitôt que le plus grand nombre a surtout celle de ne pas la
faire et que si, la faisant, on comble l’ardeur belliqueuse de
quelques-uns, on doit à tout instant triompher de la frayeur d’une
multitude »22.
La passion cède le pas au soupçon ; l’ardeur, à la frayeur. L’oligarchie des fortes
– élitaire et exaltée, cède le pas à une multitude anonyme et effrayée. Le vertige
d’où frémira dorénavant Caillois sera un vertige nouveau qui, perdant de plus en

21
CAILLOIS R., L’Homme et le Sacré [1939], Paris, Gallimard, 1950 [trad. it. Ruggero Guarino,
a cura di Ugo M. Olivieri, con un saggio di Georges Bataille, Torino, Bollati Boringhieri, 2001],
Appendice III, pp. 215-238. Le mot vertige apparaît ici aux pp. 224 et 232. Dans ces pages Caillois
cite Jünger, p. 222, n. 1 et p. 228, nn. 3 et 4; Goebbels, p. 227, n. 1; Ludendorff, p. 228, nn. 1 et 2.
Les citations entre guillemets sont respectivement aux pp. 228, 225 et 227. Pour ce qui regarde la
fonction purificatrice de la guerre, nous rappelons Filippo Tommaso Marinetti, maître du
Futurisme, qui avait déjà célébré la guerre, au début du XXème siècle, en tant que « seule hygiène
du monde » (MARINETTI F. T., Manifesto del futurismo, 1909).
22
CAILLOIS R., La Communion des forts, études sociologiques, op. cit., p. 90, trad. it., p. 65.
L'Imaginaire de la guerre | 91

plus son envergure, inclinera fatalement vers sa ruine. La guerre se résoudra,


lentement mais inexorablement, de vertige en pente.
Et Bellone, désormais éveillée, descendra finalement de son siège divin, pour
étendre son réseau de ruines sur les hommes.

3. La Pente (Bellone, ou la pente de la guerre).Bellone, les raisons d’un choix


ollutosque simul multo Bellona penates sanguine perfundit renovataque proelia
miscet
(Bellone arrose de flots de sang les Pénates déjà profanés et renouvelle les
horreurs des combats) - Ovide, Les Métamorphoses, V, 155

Bellone, déesse de la guerre, vénérée de Rome à la Turquie, trône avec sa fureur


dans Les Métamorphoses d’Ovide, posant son sceau sanglant sur la radicalité du
conflit dans l’histoire et dans le monde23. Mais, pourquoi Bellone ? Pourquoi
cette déesse mineure, et non pas, plutôt, un des dieux-seigneurs de la guerre, de
l’Olympe grec et latin, auxquels elle est pourtant apparentée ? Pourquoi Bellone
et non pas plutôt, Polemos et Janus, Apollon et Pallas, Ares et Mars ? Plusieurs
motivations, à notre avis, expliquent les raisons de ce choix, en y révélant, peut-
être, le sens profond. Une motivation étymologique, tout d’abord, le nom
Bellone étant dérivé directement de bellum (guerre en latin), ainsi que Duellona,
l’autre nom de la déesse (duellum, duel en latin). Ensuite, une motivation de
genre, aux implications ontologiques, à partir du moment où Bellone impose le
genre féminin sur le genre masculin, en y soulignant, peut-être, l’épaisseur
ontologique, ancestrale et originaire - donc fondateur et constitutif, de la guerre
par rapport à l’histoire, au monde, à la société : une sorte de Grand-Mère qui,
comme la Nature de Dufrenne, nous enfante et nous porte 24. Ou encore, une
motivation culturelle à deux issues opposées : la première, positive, dans la
mesure où elle exalte le monde latin, depuis toujours particulièrement aimé par
Caillois ; la seconde, négative, dans la mesure où le même monde latin aurait
développé, selon Caillois, une vision pragmatique de la guerre, qui l’aurait
diminuée et pour ainsi dire stérilisée 25. Mais aussi, enfin, une motivation plus
profonde, quasi philosophique : le choix d’une déesse mineure, atteinte à une
source de civilisation moins authentique et plus pragmatique, pourrait servir à
dévaloriser l’épaisseur de la guerre et, avec elle, la portée du sacré sous-jacente.
Comme si le conflit, destitué progressivement de sacralité, devient un simple
mécanisme, dans une vision déterministe et mécaniciste qui porte avec soi une

23
Bellona ou Duellona, sœur ou épouse de Mars et apparentée à son équivalente grec Ényo, a été
célébrée par de nombreux poètes latins. Voir, à ce propos : Ovide, Fastes, VI ; Pline l’Ancien,
Histoire naturelle, XXXV, 3, 12 ; Plutarque, Vies parallèles, « Sylla ».
24
Rappelons-nous, en ce sens, la féminisation des mots exaltée par Gaston Bachelard (ex. rêve -
rêverie), comme si le genre féminin consacre la portée ontologique du terme examiné.
25
« C’est que le Romain n’est pas fondamentalement guerrier. Il fait la guerre non pour elle-
même, mais pour imposer la paix. Il a de la guerre une conception pratique qui la stérilise »
(CAILLOIS R., Bellone, ou la pente de la guerre, op. cit., p. 173).
92 | SYMBOLON 16

véritable diminutio. Le sens du sous-titre de cet ouvrage pourrait être cela aussi :
la pente la guerre, où le mot pente semble évoquer – au-delà de la ruine, un
déclin et une inertie qui contrastent l’envergure du vertige, dans une sorte de
repli automnal par rapport à l’ivresse hivernale du Vent d’hiver.
Le vertige de la guerre, après le Collège de Sociologie, Caillois ne l’a plus
éprouvé. Le vent d’hiver ne souffle pas dans l’automne de sa vie. Une parabole
déclinante, face à tous conflits, qui nous révèle un Caillois plus adulte, plus
conscient et désenchanté. Un Caillois sans doute sociologue et historien mais
dans une certaine mesure philosophe aussi, qui analyse les conflits, dans toutes
leurs implications, avec une distance critique nouvelle, qui lui en empêche
l’adhésion enthousiaste, stimulant plutôt des réflexions lucides et souvent
amères26. Voici alors la guerre, en tant que sacré, de son vertige à sa pente. En
passant par un nœud fondamental : celui de la violence liée au procès de
civilisation qui en véhicule le passage. Tout est prêt, maintenant, pour que
Bellone, déesse de la pente, s’empare de la scène à part entière.
Guerre, Violence, Civilisation
Violence
« Violence avouée, violence prescrite, violence honorée »27, la violence
représente la racine première de la guerre, promouvant un sacré diffus 28 qui,
loin de susciter des religions explicites, impose aux hommes son « sacrement
sinistre »29 tissu d’ivresse et d’extase, de frénésie et d’exaltation, qui les
reconduit à leur chaos originel 30. Une violence aveugle, folle et exaltée, décrite
par Caillois à travers les pages les plus terrifiantes des pires idéologues de la
guerre (des pages d’autant plus horripilantes qu’elles sont tragiquement
actuelles), en une couronne d’horreurs où se mêlent ivresse guerrière et fureur
du carnage31, louant des hommes qui, vomis par le monde, « sont demeurés
intoxiqués par l’ébriété guerrière et, quand ils se livrent sans mesure à la fureur
du carnage, pensent retourner au chaos originel »32.
La violence, donc, en tant que chrisme essentiel du vertige et de la guerre, ce qui
les apparente aux autres dimensions du sacré, tels le jeu et la fête. Et pourtant, il
y a ici une différence fondamentale. Là où, en fait, la violence de la fête
représente un élément minoritaire et accidentel, effervescent et fécondant, la
violence de la guerre exprime un aspect majoritaire et substantiel, funeste et

26
Caillois cite souvent Hegel, qu’il avait approfondi suivant - avec Bataille et Breton, Lacan,
Merleau-Ponty et Aron, les leçons sur le philosophe allemand tenues par Kojève à l’École pratique
des hautes études entre 1933 et 1939.

27
CAILLOIS R., Bellone, ou la pente de la guerre, op. cit., p. 213.
28
Ibidem, p. 228.
29
Ibidem, p. 221.
30
Ibidem, p. 222.
31
Ibidem, pp. 220 et 222. Caillois cite dans ces pages Les Réprouvés de Ernst von Salomon.
32
Ibidem, p. 222.
L'Imaginaire de la guerre | 93

meurtrier33. D’où vient, alors, cette différence ? Qui en est responsable ? La


réponse de Caillois est nette à ce propos : le processus de civilisation qui, à partir
du moment où il accompagne la transformation de la société, en différencie aussi
les phases, distinguant la violence vertigineuse mais vitale des origines de celle
ruineuse et mortifère de la modernité. C’est la civilisation qui, marquant le
passage des sociétés primitives à la modernité, impose à l’humanité son sceau
funeste, privant la guerre de toute envergure vitale à l’avantage d’un repli de
pente et de ruine. La civilisation, donc, se pose telle une coupure entre deux
moments de l’histoire, soulignant la différence irréductible - au cœur du sacré,
entre fête et guerre et - au cœur de la guerre, entre vertige et pente.

Civilisation
« Á mesure que la civilisation se développe – observe Caillois, la guerre, loin de
disparaitre, croit en extension, en intensité, en généralité. Elle intéresse plus
d’espace, plus de gens, plus de choses », de façon que « il est inexact, sauf du
point de vue moral et pour l’étymologie, que la guerre soit le contraire de la
civilisation : elle l’accompagne comme son ombre et grandit avec elle », au
point que, bien que la civilisation soit surtout œuvre de la paix, « c’est la guerre
qui l’exprime »34. Guerre et civilisation s’entrelacent étroitement, de façon que
la guerre résulte positive et indispensable pour la formation des États, de leurs
apparats, de leurs institutions, contraignant les sociétés à s’en servir et à s’en
soumettre. Dans cette relation étroite, dans cette surenchère, dans ce point de
non-retour, la violence monte d’une façon exponentielle, engendrant une
démarche nouvelle de l’histoire, révélant un visage nouveau de la guerre et
montrant comment, à partir des phases aurorales des combats, marquées encore
par l’ivresse et l’excès, on parvient à des moments plus mûrs, empruntés à
l’inertie et au glissement : ce qui, dans le moment où la guerre éloigne de la fête,
elle accentue, à son cœur, le passage du vertige à la pente.
Un parcours problématique, que Caillois, désormais loin des expériences
juvéniles du Collège de sociologie, décrit en sociologue et historien dans ses
éléments fondamentaux, regardant, à propos de la guerre, aussi bien ses phases
historiques que son mécanisme intime, lié de façon inextricable au
développement de l’État et de la société. Et donc, au-delà de la quadruple

33
« La guerre ressemble à la fête, constitue un égal paroxysme, apparait à son exemple comme un
absolu et suscite à la fin, avec le même vertige, la même mythologie. Jusqu’à la violence en est
transformée, dont on a vu qu’elle n’est pas toujours absente de la fête. Mais elle [la violence] y
restait accidentelle, s’ajoutant à une effervescence fécondante, qu’elle porte à son comble et dont
elle jaillit par excès de vitalité. Dans la guerre [au contraire], elle est objet d’application,
mécanisée et but délibéré d’un acharnement hostile » (Ibidem, p. 243). Caillois retourne plusieurs
fois sur le rapport entre fête, guerre et vertige, surtout en relation au thème de la violence, qui les
caractérise. Sur ce point, voir le paragraphe « De la fête à la guerre », dans Bellone, ou la pente de
la guerre, op. cit., pp. 235-244 et le déjà cité « Guerre et fête», dans « Appendices », dans la
deuxième édition de L’Homme et le Sacré, op. cit., pp. 218-224.
34
CAILLOIS R., Bellone, ou la pente de la guerre, op. cit., p. 16.
94 | SYMBOLON 16

classification de la guerre en primitive, féodale, impériale et entre nations


exposée dans la première partie (« La guerre et le développement de l’État »),
c’est le processus de civilisation qui s’impose tel un relief fondamental qui -loin
de guérir l’histoire de tout instinct d’agression, l’affecte au contraire d’une
violence mortifère, de plus en plus dépourvue de sacré. Dorénavant, à partir de
la modernité - de la Révolution française aux totalitarismes du XXème siècle, en
passant par la guerre totale du XIXème siècle, la guerre s’éloignera
progressivement du jeu et de la fête et, trahissant le sacré, ne frémira plus de
vertiges, mais s’abandonnera inéluctablement à son déclin.
Et Bellone, ou la pente de la guerre, consacrera, lointaine et imperturbable, ce
passage ruineux.
Révolution Française
« Service public et pierre de touche de civisme »35, la guerre moderne, de la
Révolution française à l’Empire, célèbre ses fastes en tant qu’absolu. C’est le cas
de Clausewitz, qui l’exalte en tant qu’une forme de totalité « contenant en soi
quelque chose d’illimité »36, préfigurant les contours d’une véritable
« métaphysique de la guerre », qui passe rapidement des militaires aux
philosophes, tel Hegel ou encore plus de Maistre, qui la célèbre comme une loi
du monde divine et inexorable37. Sans parler d’une polyphonie de voix - des
prophètes de la guerre (Proudhon, Ruskin et Dostoewski) aux mystiques de la
guerre (René Quinton et Ernst Jünger), qui magnifient le conflit en tant que
théophanie, fondement de tous les arts, remède salutaire, et, ensuite, sacrement
et extase, symbole et secret, épiphanie de la vérité, faisant que la guerre
s’empare de toute civilisation, transformant l’État « en un vaste camp retranché,
soumis par avance à la discipline militaire et où il ne subsiste rien qui ne soit mis
en œuvre pour répondre aux de la guerre, qu’on attend »38, et annonçant, au
cours du XIXème siècle, le passage de la guerre révolutionnaire à la guerre
totale39.

35
Ibidem, p. 156.
36
Ibidem, p. 159.
37
Ibidem, p. 167. Caillois cite ici Les Soirées de Saint-Pétersbourg (1821) de Joseph de Maistre.
38
CAILLOIS R., Bellone, ou la pente de la guerre, op. cit., p. 199.
39
Caillois cite ici : Proudhon, La Guerre et la Paix (1861) ; Ruskin, La Couronne d’olivier
sauvage (1866) ; Dostoiewski, Un homme paradoxal (1876) ; ou, encore, René Quinton, Maximes
sur la guerre, posthumes (1930) ; Ernst Jünger : Dans l’orage d’acier (1920) ; Feu et sang (1926)
; L’ouvrier (1932) ; La Guerre, notre mère (1934), dont quelques pages sont reproduites dans
Bellone, ou la pente de la guerre, op. cit., « Appendices », pp. 270-278. Parmi les prophètes et les
mystiques de la guerre n’est pas compris Nietzsche, référence fondamentale de Caillois aux temps
du Collège de Sociologie, parce que, à son avis, le philosophe allemand entend la guerre moins
comme un conflit armé que en tant que lutte, dureté, violence, et les guerriers moins comme
soldats que comme surhommes. Absence significative, à notre avis, de la distance que Caillois est
en train de marquer par rapport au début du Collège de Sociologie, ou Nietzsche régnait en
maître : pas de Surhomme, dans cette guerre, seulement des soldats.
L'Imaginaire de la guerre | 95

Guerre totale
Un passage significatif à partir du moment où, tandis que la guerre
révolutionnaire garde encore, dans sa prétention d’absolu, des aspects héroïques,
la guerre totale efface tout héroïsme, condamnant les guerriers à l’anonymat du
Soldat Inconnu, englouti dans des champs de bataille à la puissance décuplée,
auquel Caillois dédie une touchante élégie. Involontaire protagoniste d’un conflit
non voulu ni choisi, le Soldat Inconnu, « ce cadavre mutilé, dont on ignore
même s’il ne fut pas reconstitué et formé des débris de plusieurs corps, […
ce…] misérable dont le corps perdit le plus sa forme et fut le plus parfaitement
broyé ; celui dont la face écrasée n’offrant plus figure humaine, ne pouvait être à
la ressemblance d’aucun souvenir, ne pouvait évoquer aucun visage dans aucune
mémoire »40, triomphe d’un triomphe muet, célébrant ses fastes silencieux dans
l’anonymat d’une guerre sans gloire, sans vertu et sans mérite. Quels accents
désolés, ceux de Caillois, par rapport à ce soldat. Et quelle différence, par
rapport aux enthousiasmes juvéniles par rapport à la guerre. Là où, aux temps du
Collège, il traitait le conflit en première personne, avec un engagement vitaliste
et passionné, ici il en prend les distances et commence à la regarder pour ainsi
dire en troisième personne, concluant qu’une telle métamorphose consacre « la
fin de la guerre héroïque »41, de façon que cette guerre, en même temps totale
mais dépourvue de chaque absolu, « n’est plus que guerre »42.
Voici un point de non-retour fondamental : la désacralisation de la guerre. La
guerre totale est une guerre désacralisée, diminuée, stérilisée. La pente de la
guerre trahit enfin son vertige originaire. Ces guerriers, bien loin d’être des
surhommes, ne sont plus que soldats. Et cette guerre, à son tour, n’est plus que
guerre. Tout est prêt, maintenant, pour le passage décisif de la guerre totale à la
guerre des régimes totalitaires. La guerre des temps de Caillois. La guerre,
tragique, de nos temps. Bellone pose son regard indifférent sur des arsenaux
extraordinairement puissants qui engloutissent des soldats anonymes et
inconnus, sans mémoire ni visage, dépourvus de tout héroïsme, songeant à son
triomphe absolu.
Régimes totalitaires
« Avec les régimes totalitaires, la guerre devient réellement la fatalité des
nations »43. Le totalitarisme réalise, dans ce sens, l’accomplissement de l’histoire
et de son processus de civilisation, qui en est le pivot et la nourriture. La guerre
vante pour l’État, et pour les régimes totalitaires en particulier, un caractère
fondateur et constitutif, qui le nourrit et le renforce dans ses structures les plus
profondes, en y façonnant l’organisation générale, dans tous ses aspects, à tout
inconvénient des reliefs particuliers : « l’organisation politique reproduit ou

40
CAILLOIS R., Bellone, ou la pente de la guerre, op. cit., p. 184.
41
Ibidem, p. 185.
42
Ibidem, p. 186.
43
Ibidem, p. 201.
96 | SYMBOLON 16

prolonge l’organisation de l’armée »44 -observe Caillois, soulignant comment


l’éducation militaire envahit les États à part entière - de l’économie à l’armée,
de la technique à la pédagogie, de la politique à la société45, submergeant
inexorablement les volontés individuelles46 et faisant que la paix ne soit qu’une
parenthèse, un simple armistice entre deux guerres47.
Histoire, civilisation, État : de la révolution française aux régimes totalitaires, en
passant par la guerre totale de la révolution industrielle, une pente s’empare de la
guerre, effaçant progressivement son vertige. Comme si à l’élan vital des
combats héroïques subvenait une tournure mécanique, inertielle, inéluctable. Á
ce moment, la guerre se transforme définitivement de vertige en pente.
Emportant avec soi une métaphore et un jugement. Une métaphore, qui puise
dans l’imaginaire ; un jugement, qui atteint la philosophie, la morale, la
politique. Et Bellone, déesse de la pente, en sanctifie l’avènement.

La pente
La métaphore d’une déesse mineure de l’Olympe latin, mère ancestrale et
meurtrière, lourde de sang mais dépourvue de tout sacré, qui garde en soi un
jugement, une condamnation et un espoir : celui d’un Caillois qui, non plus,
désormais, jeune esprit rebelle et belliciste, mais sociologue réputé, historien et -
pourquoi pas ? éducateur (n’oublions pas qu’il est devenu entre-temps
fonctionnaire de l’UNESCO), prenne ses distances de tout vacarme juvénile,
exprimant, par rapport à la guerre, ses perplexités, sa crainte, sa désolation. La
pente s’impose enfin telle une catégorie philosophique à travers laquelle Caillois
définit la guerre, la juge, en envisage une possible bien que faible solution.
« Le chemin qui mène de la fête à la guerre – affirme Caillois, se confond
avec la voie du progrès technique et de l’organisation politique. Tout se
paie : les formes actuelles de la guerre étaient impliquées dans le
développement même de la civilisation. Et les choses en sont au point où
celle-ci doit trouver rapidement une parade à ce danger domestique qu’elle
nourrit de ses succès et qui menace de la détruire »48.

44
Ibidem.
45
« La ‘volonté militaire’, l’ ‘eugenie militaire’, l’ ‘éducation militaire’ permettent de sélectionner
une classe de guerriers spécialisés jouissant d’un traitement de faveur et de droits civiques plus
étendus. L’élite ainsi constituée est alors capable d’entrainer la masse naturellement pacifique de
la nation par une pédagogie appropriée. Cette dernière se confond pratiquement avec les
différentes méthodes de dressage collectif que la technique moderne met à disposition des
gouvernements décidés » (Ibidem, p. 203).
46
« Ce n’est pas la volonté des dirigeants qui rend un État dangereux pour la paix, c’est le
caractère rigide et systémique de ses structures, par conséquent, d’un certain point de vue, leur
perfection même [… du moment où …] la nécessité d’organiser la vie collective laisse de moins
en moins de liberté d’action aux hommes d’État » (Ibidem, pp. 206 et 210).
47
Ibidem, p. 203. Caillois cite ici aussi bien Ludendorff que la revue officielle de l’armée
allemande « Deutsche Wehr ».
48
Ibidem, p. 244.
L'Imaginaire de la guerre | 97

Danger, menace et destruction, la guerre en tant que pente représente le prix que
la société doit payer à une civilisation d’autant plus violente qu’elle est
complexe, comme si la complication de ses apparats impliquait une pareille
montée d’envergure qui, dans le moment où surmonte le vertige originaire du
sacré, livrant l’humanité à un destin de mort, suscite en elle une irréductible
crainte.
« Je crains – continue-t-il, le nombre infini de mécanismes, de structures,
de connexions, d’opérations de toute sorte qu’il fut nécessaire de
conjuguer pour la construire [la machine de l’État]. Ce sont ces inerties qui
pèsent et qui risquent de faire pencher la balance. La complication des
sociétés modernes dépasse aujourd’hui les capacités intellectuelles de
l’être humain »49.
En ce sens, définitivement égaré le sentiment du sacré des origines, la guerre
pèse sur l’homme avec la force d’un a priori tragique : « Le tragique vient du
fait qu’il n’y a pas besoin de vouloir la guerre [parce que] elle surgit
spontanément des données mêmes et du fonctionnement de la société »50.
Quels passages étonnants ! Et quel nouvel jugement, de la part de Caillois, par
rapport à la guerre ! Il n’y a plus, ici, l’enthousiasme paroxystique des saisons
juvéniles, mais la crainte, la déploration, l’angoisse, qui transforment l’élan vital
des premières années en condamnation sans appel et qui ouvrent vers des
horizons non plus esthétiques mais étiques, non plus au-delà mais en-deçà du
bien et du mal51. Triomphe enfin l’esprit de l’éducateur, amère et pessimiste, qui
s’interroge sur ce que l’humanité peut contre une guerre réduite à sa pente,
envisageant dans l’éducation le seul moyen -bien que fragile- de salut.
« Quant à y porter remède, c’est là une entreprise innombrable et délicate.
Elle implique qu’on prenne les choses à la base, qui est, pour les choses
humaines, l’éducation de l’homme. Je n’aperçois pas d’autre démarche qui
puisse à la longue restituer un peu de jeu dans un univers qui en manque
dangereusement. Toutefois, je demeure effrayé de la lenteur inévitable de
pareille démarche, quand je me souviens qu’il s’agit de gagner de vitesse
la guerre absolue »52.
Un espoir faible, évidemment, nuancé de scepticisme, qui ne cache pas la
frayeur. Les derniers mots résonnent enfin de désolation.
« […] c’est presque toujours le pire qui, d’abord, fait sentir son
poids, car il profite de toute pente rendue glissante, de toute barrière
renversée, de l’équilibre rompu, alors que le bien désiré reste tout
entier à concevoir, à établir et à consolider »53.

49
Ibidem, p. 254.
50
Ibidem, p. 210.
51
« Il est l’heure que l’intéressé [l’homme] s’en préoccupe et qu’il comprenne du moins où réside
le mal » (Ibidem, pp. 254-255).
52
Ibidem, p. 255.
53
Ibidem, p. 147. Il s’agit de la considération amère avec laquelle Caillois conclut la première
partie de cet ouvrage (« La guerre et le développement de l’État »), dédiée à l’échec de l’idée de
l’armée socialiste de Jean Jaurès (mais qui vaut aussi bien pour la pente de la guerre à part entière).
98 | SYMBOLON 16

Bellone, ou la pente de la guerre, pose enfin son sceptre effrayant sur le monde,
traçant une trajectoire déclinante qui, avilissant progressivement le sacré - de la
fête à la guerre, du vertige à la pente, montre à Caillois un horizon désolé.
Le même que, plus que jamais en ces temps-ci, nous ne pouvons que tristement
partager.
L'Imaginaire de la guerre | 99

ORIENT AND (LITERARY) ORIENTALISM - FROM THE ETERNAL


CONFLICT WITH THE WEST TO THE PEACE
OF MODERN AND CONTEMPORARY LITERATURE

Adi George SECARĂ1

Résumé. Il y a des récits où les rapprochements ou les conflits, réels ou naissants,


entre l'Orient et l'Occident sont illustrés par des cas particuliers. C'est ainsi que la
littérature aide à comprendre les phénomènes historiques, comme le plaide Edward W.
Said dans son ouvrage de référence, Orientalism. Dans cet article, j'ai fait référence à la
fois aux romans de fiction et aux œuvres non fictives, ainsi qu'aux œuvres qui se
chevauchent, signées par des écrivains plus ou moins connus comme «orientalistes» tels
que Mircea Eliade, I. Valerian, Marguerite Duras, Sylvain Tesson, Anthony Marra,
Mihail Gălățanu (seulement partiellement). De ceux-ci peuvent être extraits des causes,
des motifs d'une large palette - du traditionnel au progressiste - induisant des
malentendus, des méfiances, des précautions dans l'approche ou l'approfondissement des
relations entre les deux mondes, appelés - parce qu'ils devaient porter un nom - Orient et
Occident, Orient et occident. L'étude ci-dessous est une autre forme d'introduction à un
orientalisme littéraire, avec plusieurs aspects du rapport entre fiction et histoire : la
guerre et l'amour (Ares et Eros) entre Occidentaux et Orientaux.

Mots clés : orientalisme littéraire, exotisme culturel, Edward W. Said, Mircea Eliade, I.
Valerian, Anthony Marra, guerre, érotisme, littérature roumaine, histoire.

I have followed the particular case of the orientalist representations of the


Turkish and Tatar communities in Romanian literature, in the light of the
concerns over the relationship between history and literature, following the
suggestions of a Paul Ricœur - and not only - according to which „the tie
between history and narrative cannot be broken without history losing its
specificity among the human sciences”2. In this way, you cannot fail to notice
that in the history of literature, which is also one of life - because „life is lived,
history is recounted”3, - there are numerous cases of „understandings” and
„misunderstandings”, approaches and rejections, possible or impossible love
stories and friendships between a 'westerner' and an 'easterner'. In this study we
focus on those with not necessarily happy endings, in a world where „war and
peace” are almost always simultaneous. 4

1
PhD Student, Doctoral School of Social and Human Sciences, History Field, Lower Danube
University Galati
2
Paul Ricœr, From text to action. Essays in hermeneutics; 2, Northwestern Univ. Press, Evanston,
1991, transl. by Kathleen Blamey and John B. Thompson, p. 4.
3
Ibidem, p. 5.
4
In the recent interview „Războiul a marcat cea mai mare parte a istoriei umane” („The war
marked the greatest part of human history”) given to Cristian Părășconiu in România literară (no.
39/2022, pp. 14-15), the historian Margaret MacMillan concludes as follows: „Too many of those
who have lived in the West since 1945, in the so-called „Great Peace”, have forgotten that war
100 | SYMBOLON 16

When it comes to general or contemporary history, whether personal or not, one


cannot help but talk about atrocity, competitiveness, rivalry, competition,
bullying, latent violence, aggression, non-aggression, horror5. Even the show-
business rules necessarily demand a negative character. After all there can be
opened a strictly ethological discussion about Evil and the „So-called Evil” of
Konrad Lorenz6. Shortly after the outbreak of the war in Ukraine, during my
writing of a follow-up to a study about pilgrimages in the East, about Sylvain
Tesson’s The Art of Patience: Seeking the Snow Leopard in Tibet7, I have
noticed that after reading and meditating, then writing about the book, the mind
disengages. It cannot continuously remain connected to terror and horror, to
revolt. It is certain that - as long as we still have nuclear arsenals, ideologies,
great powers, festivism, militarism, nationalisms, weapon industries, false
religious people8 - crimes against humanity will continue to exist, as also crimes
against Nature, World, other living things. This would be one of the messages of
Tesson’s book: as long as the human mind is sick, there will be pain, suffering:
„If God existed, His name was ‘suffering’. Yesterday, humankind appeared and
spread like fungus. His cortex afforded him a novel predisposition: the ability to
take to the extreme the ability to destroy everything that is not himself, while
bewailing the fact that he is capable of doing so. Pain was joined by lucidity.
Horror, perfected.” 9 To be clear: what happens in that book, a kind of stalking
diary through Tibet, along one of the tributaries of the Mekong, it has nothing to
do with the European war (or, better said, with the world war, because there is a
global village, so that any dispute „on the streets” concerns today automatically
the whole community). It is certain that the human person, throughout its whole
life, finds it difficult to rest in harmony, peace, even with his own friends (boy-
or girlfriends, husbands, wives, in a social context). Otherwise, books like

persists, that the potential for a war to break out is always present” and immediately refers to the
situation in Ukraine. We emphasize that the „war in the East” - the space we are particularly
interested in - is practically a continuous factual situation.
5
Perhaps the discussion of horror (in the literature) should begin with Joseph Conrad's pages from
Heart of Darkness (in Romanian: Inima întunericului, Polirom, 2014, translated by Casiana
Ioniță).
6
The book of Konrad Lorenz, Das sogenannte Böse. Zur Naturgeschichte der Aggression, 1963
(So-called Evil: on the natural history of aggression) was translated and published in English with
the title On Aggression, Routledge, 1966
7
Sylvain Tesson, The Art of Patience: Seeking the Snow Leopard in Tibet (transl. from French by
Frank Wynne, Oneworld Publ., 2021).
8
According to David Hume „religion creates fanaticism and exclusivity, leading to dissension and
culminating in acts of violence. The logical consequence of Hume's thesis is that, unchecked,
intolerance is human nature itself“, see: Rachel M. McCleary & Robert J. Barro, The Wealth of
Religions. The political economy of faith and religious affiliation (Romanian version: Avuția
religiilor. Economia politică a credinței și apartenenței religioase Humanitas, Bucharest, 2022,
transl. by Teodora Nichita and Victoria Deliu, p.160.)
9
Sylvain Tesson, The Art of Patience..,, pp.52-53.
L'Imaginaire de la guerre | 101

Violence and the Sacred10 (and so many related to the psychology of domestic,
family, or school violence) or those related to a certain Orient such as Islam and
violence11, would not have been written. Related to the study below, on may say
the same concerning fiction books, some with a philosophical substratum, with a
kind of peaceful aggressiveness, more or less related to Mahatma Gandhi's
theory, where separations and incompatibilities will be reached, despite some
„elective affinities”. At a major level, relating to civilizations and cultures,
Orientalism was and is a science, although it is, in itself, a literary-artistic
movement in the Western sense of terms. It was born namely from the tensions
listed above, raised to another level. However, individuals can abolish these
barriers, at least through love stories. There are probably many happy endings,
but the literary history mostly registers the opposite cases.
There are „cases” of a certain sentimentalism, but these might reveal the
complexities leading to major misunderstandings, wars and atrocities.
Of course, we must not idealize the literature, which has its sciences, but itself is
not a science. We must not idealize literature, not even the so-called sacred one,
which is often the driving force of the history. It may often be a historical
source, but we must not fall into the traps of its siren songs. Along the way, we
will touch on some of the weaknesses and shortcomings of the literary discourse,
agreeing with Paul Ricœur almost entirely when he distinguishes between
„discours historique et discours de fiction”, although when it comes to memoirs,
confessions, historical discourse with aesthetic-literary valences, the percentages
suggested by Ricoeur may change.
After all, it is about the „disparity between texts and reality”12, with Edward Said
considering history, literature or the humanities as „academic umbrellas”. In this
sense, the „orientalist working key” can be interpreted as follows:
„The contemporary intellectual can learn from Orientalism how, on the
one hand, either to limit or to enlarge realistically the scope of his
discipline's claims, and on the other, to see the human ground (the foul-
rag-and-bone shop of the heart. Yeats called it) in which texts, visions,
methods, and disciplines begin, grow, thrive, and degenerate. To
investigate Orientalism is also to propose intellectual ways of handling

10
René Girard, Violence and the sacred, (Rom. Edition: Violenţa şi sacrul, Nemira, Bucharest,
1995, transl. by Mona Antohi, indicates a direction of research: „After we left the sacred to a
greater extent than other societies, arriving to „forget“ the founding violence, losing its entire
sight, we're going to find her again; the essential violence overwhelms us again in a spectacular
way, not only on the level of history, but also on the one of knowledge. This is why this crisis
invites us, for the first time, to violate the taboo that neither Heraclitus nor Euripides did not dare,
namely to highlight, in a perfectly rational light, the role of violence in human societies”. These
lines were first published in 1972.
11
Adonis (in dialogue with Houria Abdelouahed), Islam and Violence (Rom. Ed. Islamul și
violența, Humanitas, 2016, transl. by Laura Sitaru.)
12
Edward W. Said, Orientalism Vintage Books, New York, 1978, p.109
102 | SYMBOLON 16

the methodological problems that history has brought forward, so to


speak, in its subject matter, the Orient” 13.
Said ends up expressing himself about the „writer's common sense”:
„It may appear strange to speak about something or someone as holding
a textual attitude, but a student of literature will understand the phrase
more easily if he will recall the kind of view attacked by Voltaire in
Candide, or even the attitude to reality satirized by Cervantes in Don
Quixote. What seems unexceptionable good sense to these writers is that
it is a fallacy to assume that the swarming, unpredictable, and
problematic mess in which human beings live can be understood on the
basis of what books-texts-say; to apply what one learns out of a book
literally to reality is to risk folly or ruin. One would no more think of
using Amadis of Gaul to understand sixteenth-century (or present-day)
Spain than one would use the Bible to understand, say, the House of
Commons. But clearly people have tried and do try to use texts in so
simple-minded a way, for otherwise Candide and Don Quixote would
not still have the appeal for readers that they do today. It seems a
common human failing to prefer the schematic authority of a text to the
disorientations of direct encounters with the human. But is this failing
constantly present, or are there circumstances that, more than others,
make the textual attitude likely to prevail?”
Referring strictly to the era of Napoleon and De Lesseps, but also fitting the
ensemble, Said points out that „the texts made that Orient possible“ 14. From
here, there is possible an important distinction, which shows the fragility, but
also the greatness of the possibility of knowledge, mythicization and
mystification being somewhat as important for the dialectic of the human spirit
as demystifications and demystifications:
„Memory of the modern Orient disputes imagination, sends one back to
the imagination as a place preferable, for the European sensibility, to the
real Orient. For a person who has never seen the Orient, Nerval once
said to Gautier, a lotus is still a lotus; for me it is only a kind of onion.
To write about the modem Orient is either to reveal an upsetting
demystification of images culled from texts, or to confine oneself to the
Orient of which Hugo spoke in his original preface to Les Orientales, the
Orient as „image” or „pensée, „symbols of „une sorte de préoccupation
générale”15.
At one point, Said is particularly interested in the difference between writing
transformed from personal Orientalism to professional Orientalism and the
second type, also based on domicile in the Orient and personal testimony, which
remains „literature” and not science. We shall focus on that:

13
Ibidem, p.110
14
Ibidem, p.94
15
Ibidem, p.101.
L'Imaginaire de la guerre | 103

“To be a European in the Orient always involves being a consciousness


set apart from, and unequal with, its surroundings. But the main thing to
note is the intention of this consciousness: What is it in the Orient for?
Why does it set itself there even if. as is the case with writers like Scott,
Hugo, and Goethe, it travels to the Orient for a very concrete sort of
experience without actually leaving Europe? A small number of
intentional categories proposed themselves schematically“ 16,
These categories will be omitted here. Though it should be mentioned that Said
exemplifies, for each category, in this order: Edward William Lane, Sir Richard
Burton, and Gérard de Nerval, with the „texts”: An Account of the Manners and
Customs of the Modern Egyptians, Personal Narrative of a Pilgrimage to Al-
Madinah and Meccah, and Voyage en Orient respectively.
The importance given to the status of literature is clear when Said undertakes a
critique of contemporary American scientific style:
“One of the striking aspects of the new American social-science
attention to the Orient is its singular avoidance of literature. You can
read through reams of expert writing on the mod ern Near East and
never encounter a single reference to literature. (…) The net effect of
this remarkable omission in modern American awareness of the Arab or
Islamic Orient is to keep the region and its people conceptually
emasculated, reduced to „attitudes”, „trends”, statistics: in short,
dehumanized. Since an Arab poet or novelist - and there are many -
writes of his experiences, of his values, of his humanity (however
strange that may be), he effectively disrupts the various patterns
(images, cliches, abstractions) by which the Orient is represented. A
literary text speaks more or less directly of a living reality. Its force is
not that it is Arab, or French, or English; its force is in the power and
vitality of words that, to mix in Flaubert's metaphor from La Tentation
de Saint Antoine, tip the idols out of the Orientalists' arms and make
them drop those great paralytic children - which are their ideas of the
Orient - that attempt to pass for the Orient” 17.
The „dehumanization” mentioned above can only lead to conflicts, at any level,
but especially to political tensions with possible serious consequences for all the
humankind. Speaking about the importance of literature, Said refers to at least
one more advocate of „Poetry”, in the field that interests us, Orientalism:
Antoine-Isaac Silvestre de Sacy. Through him, he describes the Orientalist's role
as such:
„Sacy defended the utility and interest of such things as Arabic poetry,
but what he was really saying was that Arabic poetry had to be properly
transformed by the Orientalist before it could begin to be appreciated.

16
Ibidem, p.157.
17
Ibidem, p.291.
104 | SYMBOLON 16

The reasons were broadly epistemological, but they also contained an


Orientalistic self-justification. Arabic poetry was produced by a
completely strange (to Europeans) people, under hugely different
climatic, social, and historical conditions from those a European knows;
in addition, such poetry as this was nourished by „opinions, prejudices,
beliefs, superstitions which we can acquire only after long and painful
study.“ Even if one does go through the rigors of specialized training,
much of the description in the poetry will not be accessible to Europeans
„who have attained to a higher degree of civilization.“ Yet what we can
master is of great value to us as Europeans accustomed to disguise our
exterior attributes, our bodily activity, and our relationship to nature.
Therefore, the Orientalist's use is to make available to his compatriots a
considerable range of unusual experience, and still more valuable, a kind
of literature capable of helping us understand the „truly divine” poetry of
the Hebrews“ 18.
Of course, this speech of Said refers to the era of the beginnings of Orientalists
and Orientalism. The distinction is made between „popular” and „academic”
Orientalism19. The careful one might distinguish what it takes to become a
decent Orientalist.
„Oriental” literary subjects (involving love, meaning peace and war, although
there are people who declare that in love there can be as in war) are diverse,
complex. One could start from Homer's „Iliad” and „Odyssey”, to reach books
written by Francesc Miralles, Anthony Marra, J.-P. Toussaint, Mihail Gălățanu
and many others, in various times. For some, the East includes the Maghreb, for
others, Russia with its special regions, such as Chechnya. For some, the Orient's
offensive on the West is an oriental subject. We are referring here to the
dynamics of Franco-Maghrebin spirituality, and not only, with attempts to
understand and accept, showing numerous recent literary and essayistic-
scientific productions. We can mention here Pascal Bruckner, Michel
Houellebecq, Michel Tournier, Kamel Daoud, giving a surprising rejoinder to
Camus' „Stranger”, Boualem Sansal, Tahar Ben Jelloun, Omar Seddiki, Leïla
Slimani). Love affairs between Westerners and Orientals always have a special
charm, if we may refer to Pierre Loti, Michael Ondaatje, or the already
mentioned Miralles, who reaches a combination of a European falling in love
with a half-Japanese, half-American woman.
Anthony Marra in A Constellation of Vital Phenomena20 practically invents a
book-world that reflects a love-admiration, not only for Chechnya, but for any
foreign universe, conceptualized as a possible literary subject, ultimately
reflecting the human condition which might be fragile, but also capable of
monstrosities worthy to other universes21. In short: war, betrayals, unbearable

18
Ibidem, p. 128.
19
Ibidem, p.118.
20
Random House, NY 2013.
21
In its final pages one can find his more than eloquent documentary sources (we only refer here
Anna Politkovskaya‘s A Small Corner of Hell: Dispatches from Chechnya), but also the fact that
the author himself was in Chechnya...Technically and frankly speaking, A. Marra can make
L'Imaginaire de la guerre | 105

pain, the prospect of peace, because „War and Peace“ is always referred to in
promoting the book, blood, torture, crimes against humanity, love and affection
experienced as in a dream, murder for love, if one can also imagine this, a
somewhat optimistic ending, an American writer who writes like a Russian,
which it wouldn't be the first time, a multi-awarded book, if the literary prizes
may count, one of the literary events of the year 2014, a book which is bound
with dental floss like the chest of a Chechen rebel when the normal medicated
floss had run out, a book written with blood from a vial sent right from the
madness of the almost exotic place called Chechnya that one can fall in love
with, like in the ancient Greece with its tragedies. A story about forgiveness, as
only the human might be capable, even if it is terribly difficult when it appears
the absurd, the irrational, the darkness incarnating in humans raping, torturing,
killing. In these circumstances, the representations of the devil seem like
cartoons. From all the monstrosities of a conflict, as they would say: „worthy to
be seen”, the question to be asked would it be, if there is still Beauty to be found
somewhere, that one who will save the world, the humanity, the Beauty in which
we would like to be found by others, those we care about. Beyond all the
unhappy endings of many books with dangerous connections or just impossible
to continue, Beauty we mentioned above still remains.
On other occasions, we dealt with the „problem” of Romanian writers'
orientophilia in general. Here we will remind or signal examples of literary
situations that can confirm a kind of syndrome „Romeo & Juliet”. Of course, the
most popular is the love case from Mircea Eliade's Maitreyi, a novel considered
to be „a unique case in the Romanian literature having both a history that
precedes it, and one that continues it outside of fiction,”22 ,,which narrates the
case of Allan, a Western student coming to study in India, who falls in love with
one of Professor Dasgupta's daughters. The facticity of these is well known,
Mircea Eliade himself being the one fallen in love. The truth, as much as it can
remain for posterity, could be extracted not only from that novel and its reply
over time, still literary but announced as non-fiction, of the real heroine,
transfigured in the character of Eliade. In its turn, that was considered by the
same Eugen Simion as a novel-journal (both erotic and of atmosphere and
morals). Other sources for this love story consist from letters, other confessional
writings, such as India, Șantier („Workshop”), Jurnal intim („Intimate Diary”)
and Memorii („Memories”) of the same Eliade. In Bengal, more precisely in
Calcutta, in literary terms, „a young European enters a Bengali family and, after
some time, is tempted by one of the daughters of Narendra Sen, an engineer with
a European education but with inflexible Hindu mentality“ 23. Allan and
Maitreyi embodied in fact, as Simion points out, „a modern version of the legend
of Nala and the beautiful Damayanti, the heroes of the Mahabharata”. The girl's
father, learns about the forbidden love, expels the European, and then the whole

someone understand the way he built his own Michael Cunnigham’ s The Hours but also sends the
reader to books of Michael Ondaatje (the latter also partially recognized as a source of inspiration
for certain scenes. This proximity is also mentioned by a chronicle appeared in the „Boston
Globe“).
22
Eugen Simion, Foreword to Mircea Eliade, Maitreyi, Bucharest, Ed. Litera Internațional, 2009,
p.29.
23
Ibidem, p.24.
106 | SYMBOLON 16

atmosphere built thereafter, one of tension, frustrations, hopes, conflict, is


impregnated by what can always separate two worlds, generally speaking, that is
Western and the Eastern one, respectively.
Less known, and more mysterious in terms of its genesis, is Cara-Su, a novel by
I. Valerian, which George Călinescu accuses of a possible influence from
Eliade's novel. More precisely, in his History of the Romanian Literature: from
its origins to the present days, where he also writes about „macabre and exotic
romantics”, he insists more on the „exoticism” of Valerian, a modernist who
would have been influenced by Al. A. Philippide, Camil Petrescu, Arghezi,
Minulescu, Bacovia, when it comes to the novel Cara-Su and not only here, by
the „Maitreyi-type exoticism”, that means being influenced by Mircea Eliade, so
that his Islamism became „our Pontic Islamism”:
„Instead of Minulescu's symbolist ship, I. Valerian adopted the caravan,
accepting an exoticism visible also in the imitated author. (...) Starting from the
suggestions of Al. A. Philippide, I. Valerian associates the auditory sensations
with visual ones and narrates about „caravans of silence”, „blanketed silence” on
the backs of camels, „night of howls”, „crush of fireflies”, „light huts”. (...)
Exotic elements are not used as by the true symbolists, in order to transcribe
nostalgia, but rather cultivated by the author as visions. The poet specialized in
orientalism, later wrote Stamps and a novel inspired by the Dobrujan landscape.
(...) Cara-Su is a result with local information of Maitreyi-type of exoticism. A
railroad engineer, moved to Medgidia, meets on the train a young lady of
European manners but showing a Mongolian physiognomy. The girl is Menaru,
an educated Tatar, who receives the love of the engineer. Later, offended by
other erotic connections of the white man, she ends up as self expatriated
together with her father in a time corresponding to the emigration of the Turks
from Dobruja. The exoticism, lacked of prospect of large canvases, is gracefully
picturesque. Although a simple tourist album, without any lasting content, Cara-
Su is the first novel of our Pontic Islamism, unfortunately riddled with too many
baroque metaphors. The young lady on the train is „an antelope”, the old
attendant woman „a rhinoceros” (...), a Tartar-wolf pulls a sponge-bag and sings
a „mono-syllabic” song, but made of two syllables: „Ai! Ai, Eeee!”24
In the characteristic and somewhat „normal” style of the time, when it people
thought in a „racist” manner, without being „racist extremist”25, George

24
G. Călinescu, Istoria literaturii române dela origini până în prezent, Fundația Regală pentru
Literatură și Artă, București, 1941, pp.758-759.
25
In „Specificul național” („The national Specificity“) the final text of his „History...“ (see the
note above), one can read the following sentences: „...the Romanian people has a an obvious
massiveness and the overwhelming majority of creators in the Romanian language are Romanians
by race” (p.886), or: „A race is an eternal process, like language...“; „The specific, as also the race,
representing a balance, are in a slow but continuous movement“; he operates with phrases such as
„pure Romanians without any discussion...“; „living eugenic aspiration for racial purity“ that the
Romanian people have; Goga would express „in the most artistic way the grief of the race facing
the fatal national tragedy“; „Our race has acquired along the ages, as one that has seen the rise and
L'Imaginaire de la guerre | 107

Călinescu also has his errors26. An example might be the one about the „erotic
bonds of the white man” implying that there was „a native woman”, or a
„coloured” one. In terms of certain characteristics and typologies, there is
another exotic episode concerning a young Lapland girl falling in love with a
Swedish explorer, resulting in a parallel that both Mantu and Menaru will make,
or rather „Menura” for the lover Tudor Mantu. In connection with Menaru's
„Mongolian physiognomy” his observations being phantasmagoric, anyone who
carefully read the first chapter could not miss this passage:
„His niece was really beautiful, a model. If he had been a painter, he
would have sketched her portrait in a few lines: the dark border of the
hair, the fine nose, looking slightly upwards like Parisian women do,
showed a wild temperament, the lips wonderfully arched, and the eyes,
in contrast to the hair, they were greenish, maybe blue, in the uncertainty
of semi-darkness. Well, it was a Tatar girl! But there was nothing
Mongolian about her - even though beautiful women have a special
breed,
27
like Cleopatra, who turned the history of the world upside down”.

Călinescu was probably dictated by prejudices and paid not enough attention or
maybe the time gap between reading and writing his commentary in his History
of the literature. That is, if there weren't, as rumoured, lecture notes collected
from his students.
It is certain that in both Maitreyi and Cara-Su, the two worlds, the East and the
West, do not allow love to continue. As it happens in the case of the lovers in
The Lover of Marguerite Duras, evoking events from the 50s, as well as in the
case of her other novel Adam against the Pacific, the oriental characters from
The Lover, as well as from Running Away of Jean-Philippe Toussaint and The
Bodyless Bride of Mihail Gălățanu are Chinese. More precisely, a Chinese man
from Indochina in the case of the French writer, and a Chinese woman from the
People's Republic of China (in Toussaint), respectively another (or more)
women from the Republic of China (i.e. Taiwan) in Gălățanu's novel. In the case
of the two male writers, everything is under the sign of the „transience”
postulated by Alvin Toffler, that is, of a high speed of unfolding of feelings.
Mihail Gălățanu clearly assumes the precedent of Eliade at a certain point, even
if through his appeal to fantastic, somewhat abusing the character's general
culture:

decline of empires“, including that of the Turks, „a philosophy from above, namely „What is a
wave, passes like a wave// You break a branch from the forest/ What does the forest care about it“;
„Our race, which has seen its work periodically thrown to the ground by political seismicity, has
gained prudence and is building the tiny, solid, pitiful mountain.“ (pp.885-888, from the
mentioned „History...“)
26
In many ways, he demonstrates the difficulties that must be overcome by those who write a
history, even a literary one. In the same „Specificul naţional“, text that closes his „History...“, he
writes that a Romanian literary history „can only be a demonstration of Romanian creative power,
with its specific notes, showing the national contribution to universal literature“ (p.886).
27
I. Valerian, Cara-Su, pp. 15-16.
108 | SYMBOLON 16

„...as if you were wondering why Mircea Eliade had to go all the way to
India, to fall in love with Maitreyi - or why Maitreyi had to choose that
red-haired, pitiful Romanian man lacked of charm in his adolescence
(...) Or, if we were to choose the funniest cultural references, we could
go to the history of Clavell’ s Shogun or to the stories of Marco Polo in
China. But these are all cultural clichés, just cultural clichés - and that's
all”. 28
But in Gălățanu’s case, the deep love story in the book is different. In his vision,
orientalism and Orient are ways, based on magic-oneiric-realism, to provoke a
new incursion of Orpheus into the inferno of uncertainties. His character is
obsessed with a girl from Galați who disappeared in the waters of the Danube,
about 12-13 years ago, if we refer to the present of the narrative, for later the girl
seems to be reincarnated, somehow, somewhere in Taiwan.

Bibliography
Adonis (în dialog cu Houria Abdelouahed), Islamul și violența,
Humanitas, 2016, traducere: Laura Sitaru.
G. Călinescu, Istoria literaturii române dela origini până în prezent,
Fundația Regală pentru Literatură și Artă, București, 1941.
Mircea Eliade, Maitreyi, București, Ed. Litera Internațional, 2009.
Mihail Gălățanu, Mireasa fără corp, Ed. Muzeul Literaturii Române,
București, 2006.
Anthony Marra, Constelaţia fenomenelor vitale, Ed. Humanitas,
București, 2015, traducere: Ioanei Avădani.
René Girard, Violenţa şi sacrul, Ed.Nemira, București, 1995, traducere:
Mona Antohi.
Edward W. Said, Orientalism Vintage Books, New York, 1978
Sylvain Tesson, The Art of Patience: Seeking the Snow Leopard in Tibet
(transl. from French by Frank Wynne, Oneworld Publ., 2021).
I. Valerian, I., Cara-Su, roman, Ed. pentru Literatură, București, 1969.
(prima ediție).

28
Mihail Gălățanu, Mireasa fără corp, Ed. Muzeul Literaturii Române, București, 2006, pp.225-
226.
L'Imaginaire de la guerre | 109

LA GUERRE INTERIEURE DE RENE DAUMAL,


COMME ANTIDOTE POUR LA GUERRE EXTERIEUR
Marius Cristian ENE1

Abstract. The outbreak of the First World War had a decisive role in the emergence of
avant-garde movements such as Dadaism and Surrealism. They proposed a total denial
of the values of a society that had made such a massacre possible. The French avant-
garde writer René Daumal (1908-1944), a member of the “Great Game” group, who
published the magazine of the same name between 1928 and 1930, denounces the war in
all his major works, such as the novels La Grande Beuverie and Le Mont Analogue. In
his mature writings, he opposes to the general conflagration, which broke out again in
1939, the idea of “holy war”, which refers to the merciless struggle with one's own
defects and weaknesses. He argues that a man preoccupied with such an inner struggle
will inevitably come to peace with his fellow men. Thus internal war appears as the
ultimate antidote to general war.

Keywords: René Daumal, “holy war”, Mount Analogue, Surrealism, French avant-garde

Le déclenchement de la première conflagration mondiale a joué un rôle


majeur dans l'émergence du dadaïsme et du surréalisme. Le mouvement Dada a
été lancé en 1916, en pleine guerre, critiquant fortement une société qui avait
rendu possible un massacre d'une telle ampleur. De son côté, André Breton,
l'auteur du Manifeste du surréalisme, a participé à la guerre d'abord au sein d'un
régiment d'artillerie, puis comme assistant médical et médecin militaire
auxiliaire. Ces années sont décisives pour la cristallisation des idées qu'il va
affirmer dans les décennies suivantes.
René Daumal, né en 1908, était trop jeune pour participer en tant que
combattant à la Première Guerre Mondiale, mais le thème de la guerre occupe
une place importante dans sa création littéraire. Il est notamment connu comme
membre du groupe dissident surréaliste qui, entre 1928 et 1932, édite la revue Le
Grand Jeu. Daumal est également connu dans l'histoire littéraire française pour
le volume de vers Le Contre-Ciel (1936) et les romans La Grande Beuverie
(1938) et Le Mont Analogue, publié à titre posthume, en 1952.

La littérature comme propagande de mort


La Grande Beuverie est le seul roman publié de son vivant. Paru en
1938, il part de la métaphore de la soif et de l'ivresse pour aboutir à des
réflexions sur le pouvoir des paroles et la condition humaine. Sa deuxième
partie, intitulée Les paradis artificiels, a la structure d'une dystopie, présentant
une société d'abstinents qui vivent en cercles concentriques, regroupés autour
d'une cathédrale et portant des nommes comme Bougeotteurs, Explicateurs et
Fabricateurs.

1
Ėtudiant en thèse, L'école Doctorale « Al. Piru », Université de Craiova.
110 | SYMBOLON 16

Vers la fin de son voyage à travers ces paradis artificiels, le narrateur


pose au professeur Mumu une question sur la façon d'éliminer la surpopulation.
Le constat fait plus tôt, que tous les habitants de ce monde clos sont incapables
de vivre, lui fait croire qu'ils ne sauraient même pas mourir, fait confirmé par
l'interlocuteur.
Le professeur lui avoue qu'effectivement la mort doit être organisée, car
sans elle, „la vie ne serait qu'un perpétuel cercle vicieux“2. On peut trop peu
compter sur la maladie pour résoudre ce problème, car les cas que l'on pourrait
qualifier de mort naturelle sont assez rares. Ce sont des situations où un
Bougeotteur fait explosion ou se laisse dévoré par sa propre voiture, des
situations où un Fabricateur se transforme en statue, en piano ou en porte-plume,
ainsi que celles où un Explicateur se transforme soit en thermomètre, soit en rat
de bibliothèque.
Mais parce que tous ces types de mort touchent rarement les jeunes, le
problème du nombre toujours croissant d'adolescents restait à résoudre. Ils
étaient placés dans hôpitaux en si grand nombre qu'ils risquaient de crever le
plafond d’en dessous, de tomber au rez-de-chaussée et, une fois échappés, de
contaminer le monde entier.
Pour résoudre ce problème de surpeuplement, des mesures d'urgence ont
dû être prises. La première mesure consiste dans la convocation d'un comité
formé par les Compositeur de Discours Inutiles, dont le but devient la production
d'un maximum de discours de propagande, destinés à orienter les jeunes vers les
voies les plus rapides de l'autodestruction.
Les méthodes trouvées par ce comité ont été nombreuses, mais pas très
efficaces. On parle des textes qui appelaient à un suicide plus ou moins rapide,
consciemment ou non. En plus des méthodes brutales, ont été créés des textes
qui glorifiaient l'usage de drogues, ainsi que des pratiques spirituelles ayant des
effets désastreux sur le corps.
La première méthode visant à réduire le nombre de la population jeune
consistait en un suicide brutal, effectué par des procédures telles que la fusillade,
la corde ou la noyade. Bien qu'ils n'échouent jamais, ils ont un inconvénient
majeur, à savoir qu'ils ne plaisent pas aux jeunes intellectuels qui sont de toute
façon inclinés au suicide. Par conséquent, le nombre de victimes est loin d'être
suffisant.
La deuxième méthode, qui encourageait le suicide lent avec des produits
chimiques, s'est avérée beaucoup plus efficace et a engendré une industrie
florissante. A sa base se trouvent des textes qui glorifient, en vers ou en prose,
l'usage de l'opium, du haschich, de la cocaïne ou de l'éther. Certains textes étant
écrits avec beaucoup de talent, le commerce de ces drogues prospéra.

2
Rene Daumal, La Grande Beuverie, nouvelle édition établie par Claudio Rugafiori, Gallimard,
1980, p. 135;
L'Imaginaire de la guerre | 111

René Daumal avait une expérience personnelle de la drogue, comme il


en témoigne dans le texte intitulé Le souvenir déterminant, publié un an
seulement avant sa mort. Dans ce fragment, il parle des "expériences" qu'il
faisait dans les années 1920, lorsqu'il a ingéré du tétrachlorure de carbone pour
connaître "l'au-delà". La consommation de drogue à l'adolescence a contribué à
l'aggravation de la maladie pulmonaire du poète, une maladie qui finira par
causer sa mort. En d'autres termes, l'auteur lui-même peut être inclus parmi les
jeunes qui ont été victimes, dans une certaine mesure, de cette deuxième
catégorie de textes destinés à provoquer la mort3.
Le troisième type de littérature créé spécifiquement pour augmenter le
nombre de décès parmi les jeunes consistait en la création de soi-disant traités
qui prétendaient être en fait des traductions de diverses langues orientales.
Celles-ci consistent en la présentation de régimes alimentaires et d'exercices
respiratoires décrits par le professeur dans le cadre de "l'art de devenir
rapidement neurasthénique, névropathe, cachexique, déminéralisé, phtisique et
finalement cadavre". Très efficaces dans ce qu'ils entreprenaient, ces textes
présentaient aussi un inconvénient majeur : ils ne s'adressaient qu'à des jeunes
ayant des préoccupations intellectuelles ou artistiques.
L'ironie de René Daumal va ici dans deux directions différentes. D'une
part, sont visées les doctrines ésotériques qui prétendaient, sans en apporter une
preuve concrète, tirer l'essentiel de leur enseignement de la spiritualité indienne.
Le début avait été fait par la doctrine théosophique promue par Helena
Blavatsky dans la seconde moitié du XIXe siècle, suivi de l'anthroposophie de
Rudolf Steiner ou la doctrine de René Guénon, qui étaient actives même dans
l'entre-deux-guerres. A propos des disciples de ce dernier, René Daumal fait le
constat catégorique suivant : "Les 'Guénonistes' que j'ai connus étaient des
fanatiques intolérants et, en général, assez étroits d'esprit"4.
De son côté, René Daumal a eu un contact direct et durable avec la
spiritualité indienne, apprenant la langue sanskrite en autodidacte. En
témoignent les volumes publiés à titre posthume, comme La Langue Sanskrite,
paru en 1985 aux Editions Ganesha, ou Bharata, l'origine du théâtre. La Poésie
et la Musique en Inde, initialement publié en 1970 et réédité en 2009. Par
ailleurs, René Daumal a poursuivi les traductions françaises de textes indiens
classiques, les chroniques et critiques à ce sujet étant regroupées dans le volume
Les pouvoirs de la parole, sous la rubrique titré Comptes Rendus
d'Orientalisme5.
Du fait que les possibilités des Compositeurs de Discours Inutiles se
limitent à ces méthodes qui ne sont appréciées que par de petites parties de la

3
Idem, Le souvenir déterminant, en „Les Pouvoirs de la parole, Essais et Notes, II (1933 – 1943),
Edition établie par Cludio Rugafiori“, Gallimard, 1981, pp. 112-122 ;
4
Idem, Correspondance, III, 1933-1944, Edition établie, présentée et annotée par H. J. Maxwell
et C. Rugafiori, Gallimard, 1996, p.33;
5
Idem, Les pouvoirs de la parole, 1972, pp. 203-235;
112 | SYMBOLON 16

population générale, il est devenu nécessaire de faire appel à une autre catégorie
de spécialistes du monde des paradis artificiels: les Bougeotteurs.
Préparation à la guerre par le culte de l'idéal commun
Les chefs des Bougeotteurs qui se sont proposé de trouver des moyens
de détruire la jeunesse se sont avérés bien plus efficaces que les rédacteurs de
discours inutiles. Contrairement à ceux qui avaient imaginé plusieurs solutions,
ils n'offraient qu'une seule méthode, très simple, consistant en ce qu'ils
appelaient „le culte de l'idéal commun“6.
La condition essentielle pour que la méthode réussisse est de l'appliquer
dès le plus jeune âge, c'est-à-dire dès le stade où l'intelligence des enfants n'est
pas encore développée et où leurs passions peuvent être influencées sans trop
d'efforts.
À cet âge, les enfants sont faits de vivre en troupes, armés et habillés le
plus uniformément possible. Ces méthodes, complétées de discours et
d'exercices physiques collectifs, créent le culte de l'idéal commun, défini comme
„une dévotion absolue à un personnage gueulard et autocratique, ou à certain
habillement, ou à quelque mot d'ordre, ou à certaine combinaison de couleur,
peu importe“7.
Une fois créé ce fort attachement aux fausses valeurs où le lecteur peut
facilement reconnaître le drapeau national, les hymnes nationaux, les uniformes
et autres symboles propres aux armées et aux états militaristes, la première étape
de préparation de la jeune génération à une mort précoce est terminée.
À ce stade, le passage à l'étape suivante peut être accompli, tout en
veillant à ne pas laisser fonctionner les jeunes cerveaux - un objectif qui, comme
le reconnaît cyniquement le professeur Mumu, n'est pas du tout difficile à
atteindre.
La dernière étape pour atteindre l'objectif - faire mourir autant de jeunes
que possible avant qu'ils ne deviennent adultes - est accomplie simplement en
opposant deux groupes ou plus avec des valeurs différentes les uns contre les
autres. À ce stade, la guerre devient inévitable et la société est libérée des êtres
en surnombre.
À la fin de son discours sur la prévention de la surpopulation, le
professeur ajoute une série de considérations concernant les bénéfices matériels
tirés de la guerre. La méthode imaginée par Bougeotteur a, selon ses dires, aussi
le mérite d'apporter la prospérité aux fabricants et marchands d'armes et
d'uniformes, ainsi qu'aux auteurs de discours incitant au meurtre. L'un d'eux est
cité, qui fit la remarque suivante : „un jeune homme qui n'est pas tué à la fleur de
l'âge, ce n'est plus un jeune homme, c'est un futur vieillard“8.

6
La Grande Beuverie, p. 138;
7
Ibid., loc. cit.;
8
Ibid., loc. cit.;
L'Imaginaire de la guerre | 113

Le militarisme décrit comme une forme d'„ouroborisme“


Avant de quitter les Paradis artificiels, le narrateur visite la cathédrale,
qui est située au centre de cet univers et qui est entourée d'images de dieux qui
n'apparaissent jamais. Au lieu de cela, ils sont représentés par les soi-disant
Archis, qui reçoivent les louanges et les gestes d'adoration des fidèles.
Chacun de ces Archis s'adonne à sa propre forme d'ouroborisme, un
concept dénotant une forme circulaire de pensée et d'action, illustré par l'image
du légendaire serpent ouroboros se mordant la queue.
Parmi les diverses formes d'ouroborisme, celui promu par l'Archicrate et
criée aux fidèles à l'aide d'un porte-voix est décrit en détail9.
Il propose la pratique intensive des sports militaires, dont la nécessité
repose sur le constat que l'athlète d'aujourd'hui est le soldat de demain. Le soldat
que l'athlète actuel deviendra sera capable de repousser les envahisseurs et en
même temps de soutenir le développement de l'industrie dans son pays natal.
Grâce au développement industriel, le pays s'enrichira et pourra soutenir
davantage de sociétés vouées à la pratique des sports militaires. Ces hommes
formeront les soldats de demain, qui repousseront les envahisseurs et offriront de
nouvelles possibilités de développement économique.
Après avoir dénoncé le militarisme promu du haut d'une chaire de
cathédrale, le narrateur propose d'autres exemples d'activités qui suivent
exactement l'image du serpent qui se mord la queue. Il s'agit des travailleurs qui
travaillent pour avoir de quoi manger et qui se nourrissent pour pouvoir
travailler. Aussi - en accord avec le titre du livre - il y a des boissons qui donnent
soif et qui font boire d'autres boissons qui donnent soif...
Avec la description des pratiques des prétendus représentants des dieux,
le voyage du narrateur à travers les Paradis artificiels se termine. Avant de
quitter un monde dont il est profondément dégoûté, il écoute un dernier discours
du soi-disant Archipope, concernant la manière de préserver la fidélité des
fidèles. Celle-ci consiste à les convaincre à faire sans savoir et à savoir sans
faire. Sinon - affirme l'habitant le plus important de la Cathédrale - les gens
deviendraient comme une femme qui, lorsqu'un saint lui demande pourquoi elle
porte une torche et un seau d'eau, dit qu'elle le fait „pour incendier le paradis et
pour éteindre l'enfer“10. Et avec des humains ayant une telle compréhension et
un tel comportement, tous les Archis finiraient par être frits ou noyés.
Mais, pour acquérir une telle attitude, les gens ont besoin de mener une
autre sorte de guerre, une guerre intérieure, qui est décrite dans d'autres créations
littéraires de René Daumal.
L'absence de guerre dans la société utopique du Mont Analogue
Le roman Le Mont Analogue, inachevé et publié à titre posthume en
1952, a pour sous-titre "roman d'aventures alpines, non euclidiennes et

9
Ibid., pp. 143-145;
10
Ibid., p. 145;
114 | SYMBOLON 16

symboliquement authentiques". Il présente le voyage d'un groupe d'alpinistes qui


se sont proposé de trouver puis d'escalader le Mont Analogue. Cette montagne
se trouve sur un continent invisible aux mortels, mais qui, à certaines dates et
sous certaines conditions, devient visible et accessible à ceux qui initient une
recherche dans ce but. Dans le quatrième chapitre11, est décrite la société du
continent ou se trouve la montagne. C'est une société qui comprend des gens de
différents pays, à différentes époques de l'histoire. En témoigne la description
des navires existants dans le port: barques phéniciennes, trirèmes, galères,
caravelles, goélettes, ainsi que quelques navires modernes. Il n'y a pas
d’indigènes sur ce continent, ce qui exclut les inégalités entre les habitants.
Chaque nation a sa propre colonie, principalement pour des raisons
linguistiques, mais il est clairement et avec humour affirmé la nécessité d'oublier
et de dépasser les habitudes d'origine, comme, par exemple, celles de la société
occidentale à laquelle appartenaient les membres de l'expédition. Ce n'est pas
sans importance que le port où les explorateurs sont reçus s'appelle Port-des-
Singes, bien que - comme le remarquent les visiteurs dès les premiers jours, pas
même un seul spécimen de cette espèce animale n'y habite. Néanmoins - avoue
le narrateur, chargé de compléter le journal de l'expédition - le nom semble tout
à fait approprié, pour une raison évidente : „cette appellation faisait resurgir en
moi, peu plaisamment, tout mon héritage d'Occidental du XXème siècle -
curieux, imitateur, impudique et agité“12.
Le dépassement de l'état initial est provoqué par les membres les plus
importants de la société au pied de la Montagne Analogue - les guides de haute
montagne - à travers quelques questions apparemment simples adressées aux
nouveaux arrivants : „Qui étions-nous ? Pourquoi venions-nous?“13. Le narrateur
avoue qu'il n'est pas possible de répondre à ces questions comme lorsqu'on est
devant un agent consulaire régulier. Par exemple, la profession de chacun n'a
plus aucune relevance. Tous les possibles réponses semblent sans vie, voire
répugnants et ridicules, l'effet étant un effort accru pour enquêter sur sa propre
nature.
La guerre sainte en opposition avec la guerre à son semblable
René Daumal a écrit le poème le plus important sur la guerre au
printemps du 1940, seulement quelques mois après le début de la Seconde
Guerre mondiale en Europe. Même en mai-juin 1940, la fin rapide de la bataille
de France aboutit à l'occupation de la plus grande partie du territoire national par
l'Allemagne nazie. Ayant une épouse juive, l'écrivain devra effectuer des
pèlerinages dans les montagnes et à Marseille durant les années suivantes,
jusqu'à sa mort en 1944.

11
Idem, Le Mont Analogue, roman d'aventures alpines, non euclidiennes et symboliquement
authentiques, Gallimard, 2003, pp. 107-135 ;
12
Ibid., p. 113;
13
Ibid., p. 111;
L'Imaginaire de la guerre | 115

Dans ces conditions, il a écrit son plus significatif texte sur la guerre,
intitulé La guerre sainte. Malgré le titre et les circonstances extérieures, il ne
visait pas la guerre générale, dont les sources avaient été dénoncées dans des
textes antérieurs, mais une guerre intérieure, considérée comme la seule digne
d'être menée par un être humain.
Dès les premières lignes, le poète avertit que le texte n'est peut-être pas
un vrai poème, mais qu'il s'agit certainement d'une vraie guerre. Et cette vraie
guerre est la guerre intérieure. Ceux contre qui cette guerre est menée sont
d'autres nations et non d'autres personnes, mais il s'agit „d'ennemis qu'il [le poète
- NN] contient— car il les contient, et les contente quand il veut — incandescent
de douleur et de sacrée colère et pourtant tranquille comme un artificier“14.
Essayant de définir son poème, Daumal prévient qu'il ne s'agit pas d'un
discours philosophique, ni d'un ouvrage de science, ni d'une chanson
enthousiaste, car pour qu’il puisse écrire de tels textes, il faudrait que la guerre
ait déjà été gagnée, mais il „est à peine commencée“15. Pour créer un texte
philosophique, il faudrait aimer la vérité plus que soi-même. Pour créer une
œuvre scientifique, il faut être capable de voir les choses telles qu'elles sont
réellement, pour chanter une chanson pleine d'enthousiasme, il faudrait que les
ennemis aient déjà été réduits à de simples forces informes. Or - affirme le poète
- il y a encore une bataille féroce à mener jusqu'à ce que ces résultats soient
atteints. La lutte intérieure doit être menée contre des ennemis intérieurs, qui
semblent être des amis et qui „parlent à la première personne“16, essayant donc
de s'identifier à celui qui essaie de lutter contre eux. Avec de tels ennemis, toute
paix équivaut à un meurtre, une défaite ou une vente de son être. Par la suite, le
but pour lequel le poète écrit est défini en ces termes : „Je parlerai pour
m'appeler à la guerre sainte. Je parlerai pour dénoncer les traîtres que j'ai
nourris“17. L'idée centrale du poème réside dans l'opposition entre les deux types
de guerre. D'une part, il est indiqué que „celui qui a déclaré sa guerre, il est en
paix avec ses semblables“18. Ainsi, se concentrer sur soi-même et ses propres
luttes internes exclut tout conflit externe.
En échange, seuls ceux qui choisissent de conclure une paix „de
vaincus“, „de vendu“, „de mensonge“ et „de trahison“ avec eux-mêmes
supportent des conflits extérieurs - comme la guerre mondiale qui se déroulait au
moment de la rédaction du texte : „et pour sauvegarder cette paix honteuse, on
ferait tout, on ferait la guerre à son semblable. Car il existe une vieille et sûre

14
Idem, La Guerre Sainte, en „Fontaine. Revue bimestrielle de la nouvelle poésie française“,
Alger, 1940, pp. 2-3 ;
15
Ibid., pp. 3-4;
16
Ibid., pp. 4-5;
17
Ibid., p. 10;
18
Ibid., p. 9;
116 | SYMBOLON 16

recette pour conserver toujours la paix en soi: c’est d’accuser toujours les
autres“19.
La nécessité de mener une guerre interne impitoyable a été énoncée par
le poète plus d'une décennie plus tôt, dans le texte Mise au point ou Casse-
Dogme, que René Daumal et Roger Gilbert-Lecomte ont signé ensemble et
publié dans le premier numéro de la revue Le Grand Jeu.
Affirmant la nécessité d'abandonner les dogmes, les auteurs avertissent
leurs lecteurs qu'il est possible qu'ils soient si profondément enracinés qu'ils
aient pénétré jusqu'au niveau des fonctions vitales du corps. Leur destruction
pourrait donc mettre en danger la vie même de celui qui se bat avec les dogmes,
aboutissant en ce sens à l'une des définitions du Grand Jeu : „Le Grand Jeu est
entièrement et systématiquement destructeur“20.
Ce texte finit, aussi, en insistant sur l'idée que la lutte est exclusivement
interne : „Le second aspect du Casse-Dogme n'est plus Dogme mais Casse et ne
regarde que SOI-MÊME“21.
En conclusion, tout au long de son activité littéraire, René Daumal invite
à mener une guerre intérieure impitoyable, même au prix de sa vie, et, plus que
cela, il estime que c'est la seule façon pour un homme de vivre en paix et
harmonie avec ses semblables. La guerre intérieure reste le seul moyen de
prévenir et d'arrêter la guerre générale.
Bibliographie
*** Le Grand Jeu, Ce Cahier reproduit intégralement les textes parus dans les
trois numéros publiés de la revue Le Grand Jeu, et d’importants textes
ressemblées par Marc Thivolet, L’Herne, L’écriture des vivants, Série dirigée et
établie par Pierre Bernard, 1968, Paris
Rene Daumal, La Grande Beuverie, nouvelle édition établie par Claudio
Rugafiori, Gallimard, 1980;
Idem, Correspondance, III, 1933-1944, Edition établie, présentée et annotée par
H. J. Maxwell et C. Rugafiori, Gallimard, 1996;
Idem, Les pouvoirs de la parole, Essais et notes, II (1935-1943), Edition établie
par Claudio Rugafiori, Gallimard, Paris, 1972;
Idem, Le Mont Analogue, roman d'aventures alpines, non euclidiennes et
symboliquement authentiques, Gallimard, 2003;
Idem, La Guerre Sainte, en „Fontaine. Revue bimestrielle de la nouvelle poésie
française“, Alger, 1940, pp. 2-3.

19
Ibid., pp. 9-10;
20
Le Grand Jeu, Ce Cahier reproduit intégralement les textes parus dans les trois numéros
publiés de la revue Le Grand Jeu, et d’importants textes ressemblées par Marc Thivolet, L’Herne,
L’écriture des vivants, Série dirigée et établie par Pierre Bernard, 1968, Paris, p. 185 ;
21
Ibid., loc. cit.
L'Imaginaire de la guerre | 117

VICTOR BRAUNER: AN IDENTITARY DICHOTOMY SUBLIMATED


IN THE TENSION OF THE SURREALIST DOUBLE

Petrișor MILITARU1

Résumé. La dichotomie qui se manifeste tant au niveau biographique qu'artistique de la


vie de Victor Brauner se reflète tant au niveau du clivage permanent de soi qui revient au
niveau artistique sur des thèmes qui traduisent cette tendance à l'unification intérieure,
d'où l'image du double , des jumeaux, des androgynes, des êtres mi-humains, mi-
animaux : la dichotomie est donc à la fois division et bifurcation matérialisée sur le plan
social par la recherche d'une nouvelle identité, en tant que Juif en Roumanie et, ensuite,
en tant que un Roumain en France.

Mots clés : Victor Brauner, imaginaire surréaliste, image inconsciente, mythologie


subjective.

Since the first part of the 20th century, surrealist artists – like Joan Miró,
Salvador Dalí, Pablo Picasso, Victor Brauner or Jacques Hérold, among many
others – seek to explore the unconscious mind as a way of creating art, resulting
in dreamlike, sometimes bizarre imagery across endless mediums. Surrealists
were also deeply interested in interpreting dreams as conduits for unspoken
feelings and desires. The works explored here did not begin with preconceived
notions of a finished product; rather, they were provoked by dreams, or emerged
from subconscious associations between images, text, and their meanings.
Surrealists were also deeply interested in interpreting dreams as conduits
for unspoken feelings and desires. Their artistic works explored here did not
begin with preconceived notions of a finished product; rather, they were
provoked by dreams, or emerged from subconscious associations between
images, text, and their meanings.
Right from the beginning, we would like to point out that none of the
surrealist visual artists had the important events in his life overlap so well with
his representative works, as in the case of Victor Brauner. Secondly, what we
will aim to demonstrate is the fact that Brauner will be consumed internally by
his own search for identity whether he will be in Romania or in France and will
have to create both concretely and and artistically, a way of transfiguring the
external and the internal reality in order to overcome the identitary dichotomy
that marked his entire existence.
Victor Brauner was born on June 15, 1903 in Piatra-Neamţ, in a Jewish
family, being the fourth son of Herman (timber manufacturer) and Debora. In
terms of personal mythology, we note that he was born in the dualistic sign of
Gemini, ruled by Mercury, the patron of communication between the divine and
human planes, between the seen and the unseen - so of mediation par excellence.

1
Lecturer, Ph.D., University of Craiova.
118 | SYMBOLON 16

Also, the god carrying the caduceus is also the one who governs the hermetic
language, alchemy, the cross or the crucifixes, being at the same time the
protector of thieves, here we turn our attention to the Promethean meaning of the
thief, more precisely to those who are able to use in their work the fire of the
spagyric art2: “Brauner divided the forms of nature and gathered them, after
separating what was pure from what was impure. Having become an alchemist,
the painter operates the fusion of species”, observes Sarane Alexandrian3.
Also related to the place of Brauner's birth, we should specify that the
numerous stories and folklore legends specific to the city on the Bistrita river
valley will have echoes in his artistic work, as you will see later. Also regarding
the biographical aspect, we will point out that at the age of 6 he participated with
his family in the inauguration of the zoological park at the foot of the Cozla hill,
where Victor will see for the first time the cages with wolves and bears. This
experience seems to have marked the child Victor, if we consider that the Loup-
table (Le Loup-table, 1939-1947), one of his most famous works, represents a
hybrid originally imagined by Brauner in two other paintings of his, Fascination
(Fascination) and Psychological Space (Espace psychologique), both from
1939. In fact, this is one of the productive years of the surrealist movement if we
consider that Brauner also created the work Chimère, Roberto Matta -
Morphology psychological, Dali - Enigma of Hitler – by the way based on the
“Hitlerist” elements in his paintings, he will also be excluded from the Parisian
surrealist group in the same year, Tanguy - Secondary thoughts, and Man Ray -
Beautiful times etc.
The first work we will focus on is called Fascination (1939) and belongs
to “secondary surrealism” or “the period of chimeras or twilights”4 from Victor
Brauner's creation. Discreet tones of brown and ocher decorate an austere room
in which there is only an object of furniture, half table, half wolf. At this table is

2
The attribute “spagyric” comes from the Greek language from “spao e ageiro” which means
“separates and unites” (in Latin “Solve et Coagula”), referring to two of the fundamental
operations of alchemy. “Spagyric art” is a phrase first used by Paracelsus to describe his medical
doctrine – based on the principles of alchemy, nature and biological phenomena – in which various
“chemical” products were used for their therapeutic role. In short, for Paracelsus every body in the
universe is made up of the Tria Prima, the three fundamental constituent principles: i) salt (the
physical element), ii) sulfur (the combustible element) and iii) mercury (the volatile element). To
separate and unite these three principles, the alchemical fire is needed, the third pillar of
Paracelsus’ doctrine alongside the philosophical and astrological pillars. For example, if we burn a
piece of wood, it will decompose into smoke (mercury as a transforming agent, representing
fusibility and volatility), flame (sulfur as a connecting agent between the substance and its
transformation, representing flammability) and ash (salt as solidification agent, representing
stability and non-flammability). See Franz Hartmann, Paracelsus – life and teaching, translated by
Ilie Iliescu, Collection “Logos”, Herald Publishing House, Bucharest, 2006.
3
Sarane Alexandrian, Victor Brauner, translated from French by Luminiţa Potorac, Junimea
Publishing House, Iaşi, 2005, pp. 139-140.
4
Sarane Alexandrian, Victor Brauner's centenary, edition and translation by Nicolae Tzone, Ioan
Prigoreanu şi Marilena Munteanu, Vinea Publishing House, Bucureşti, 2006, p. 31.
L'Imaginaire de la guerre | 119

seated a female figure who seems to be waiting to be served. Her hair curls
upwards to form the head of a bird with a swan-like neck facing the wolf's head
emerging from one end of the table. At the other end of the table you can see the
tail and scrotum of the table animal. At this stage of his creation, Brauner
produced a series of paintings inhabited by hybrid and strange characters, most
often women, animals or objects. These characters who cross the limits of the
rational have an absurd and hallucinatory air, constituting fantasies specific to
the enigmatic world of surrealist art, in which the visual imagination is freed
from its rational and logical constraints, giving way to spontaneous and
irrational associations. The surrealist vision aims to capitalize on unconscious
impulses to produce shocking, intriguing, original and revealing images.
However, the surrealistic object the Table Wolf it was made three-
dimensionally from wood and wolf fur, at the request of André Breton, for the
International Exposition of Surrealism in 1947, in Paris. Similar to a
Duchampian ready-made due to the table being a mass-produced object, but
benefiting from the intervention of the canid family animal as “objet trouvé”, a
concept specific to surrealism, the operation will result in an object that surprises
the viewer due to a strong symbolic connotation. These symbolic implications
are enhanced artistically in the French language by the fact that the name Loup-
table evokes the lexeme “redoutable” (“scary”, “to be feared”). Starting from
this sound association, André Breton considered this work of art to be a
premonitory sign of the Second World War: “At that time, only Victor Brauner
relied on fear, and he did it using a table that we are used to... This interval in his
work undoubtedly brings us the most lucid testimony of that period, singular in
its general anxiety for the times to come.”5
From our point of view, the Table-Wolf suggests that the object at which
man devours his own food can turn, at a given moment, into an object that can
even devour the one who originally possessed it. In a very strange way, objects
acquire instinctive features in the Surrealists' imagination that animate them and
make them potentially violent, having a devouring or vampiric aura. The table, a
banal object, is symbolically invested with a phagophobic charge, recalling that
mythical belief called lycanthropy and which speaks of people with a natural
identity: one diurnal, solar, rational, human and one nocturnal, lunar, instinctive,
animal. In fact, this duality of the human being will be one of the fundamental
themes of Victor Brauner’s work. We retain the surrealist tendency to attribute
supernatural attributes to object6, from the sphere of totemic beliefs, with the
difference that here the object reverses its protective role. Incidentally, at the end
of the story The Goat with Three Kids by the famous Moldovan writer, the wolf
is swallowed by the table-trap that the mother goat lays out for the devouring
wolf. We believe that the story, published for the first time by Ion Creangă in

5
André Breton, Le Surréalisme et la Peinture, Éditions Gallimard, Paris, 1965, p. 124.
6
The lexeme “lycanthropy” is composed of two Greek words “lykos” (“wolf”) and “anthropos”
(“man”).
120 | SYMBOLON 16

1875, was well known in German lands so that it was also known to Victor
Brauner as a child.
Also in 1909, when little Victor was getting to know the wolves and
bears at the zoo, he learned for the first time about the spiritualism sessions
organized by his father: “From an early age Victor Brauner had all kinds of
experiences that -they marked his childhood due to his father's personality. He,
leaving his country of origin, Romania, often occupies his time with spiritualistic
practices that will leave strong traces in the imagination of his young son. As an
adult, Victor Brauner would evoke in his writings the fairies and vampires
(undead) with which he was familiar. In the same vein, we mention that the
Carpathian Mountains represent both the place of origin of Brauner and the
place of residence of Count Dracula”7. Going over the confusion between
vampires and undead, but also over the exotic association with the famous
vampire, we will emphasize that around 1940, Brauner's imagination will be
populated by ghostly or magical beings that populate paintings such as
Fascination or Psychological Space.
Thus, we enter a universe populated by hieratic beings (women with a
very thin body) that infuse artistic reality with dreamlike and fascinating visions
or dark animals (the snake, the fish, the cat or the chicken) that belong to
Brauner’s interest in occult philosophy, to which Sarane Alexandrian will
dedicate a book8, essential to understand the work of the surrealist painter of
Romanian origin. The exploration of the uranic or plutonic areas of the human
psyche, represented either by diaphanous and igneous beings, or by chthonic-
aquatic animals, will prove to be another constant of the Braunerian surrealist
universe. We notice how the dualism at the psycho-artistic level is reflected in
the dichotomy at the level of visual representation: the characters in the works
contrast by joining subtle beings and clairvoyance with mythical animals that
refer to religious beliefs known in the history of religions as “mystery religions”,
as in Brauner’s lithographs illustrating René Char's manuscript of poems entitled
Quatre fascinatings (1950).
In 1910, Halley's comet approaches Earth, this being one of the most
publicized events of that year given the apocalyptic connotations that this
astronomical event had for a large part of the population. Comet Halley will
embody in the drawing Psychoflorine/ Hyppoflorine (1943) “the place of cosmic
correspondences”9, emblem of the descending transcendent, to use a Blagian
phrase. Then, in the summer of 1912, the Brauner family moved to Vienna,
trying to establish themselves permanently in the Austrian capital. Here, Victor
will study, in German, at a private school. But in 1914, around the outbreak of

7
Emil Nicolae, Victor Brauner - the Sources of his Works (monographic album), Foreword by
Amelia Pavel, Hasefer Publishing House, Bucureşti, 2004. p. 26.
8
Sarane Alexandrian, History of occult philosophy, translation by Claudia Dumitru, Humanitas
Publishing House, Bucureşti, 1994.
9
Emil Nicolae, op.cit., p.52.
L'Imaginaire de la guerre | 121

the First World War, the Brauner family returned to the country and settled in
Bucharest. Thus, in 1916, he attends classes at the evangelical high school in
Brăila, and on vacation Victor travels to “uncle Jacques” from Fălticeni. Here he
is the witness of a case of somnambulism that marked him deeply as can be seen
in the works Project for Initiation (1942), where a female character appears who
embodies the archetype of the somnambulant priestess as in Mythotomie (1942).
It is known that somnambulism as a dream state involves a coexistence of
unconscious activity and deep sleep, which seems to favor accessing the deepest
layers of the human being from certain childhood events that marked us through
the impact that they had on us, down to our most intimate beliefs that materialize
in the present case when it takes the form of “homo divinans” which reveals at
the same time the will of the divinity and the events of the future.
If the premonitory character of Victor Brauner’s art will float like an
aura around his paintings starting in 1938 when he loses an eye because he
intervenes to defend a friend of his and, following this event, his work Self-
Portrait with an Eye wounded (Auto-portrait a l'oeil enuclee, 1931), with which
he participated in the Salon III of the “Supraindependents”, could be interpreted
as a premonition, then the hieratism of his work – both in the sense of artistic
language that has sacred connotations, some elements being extracted even from
ancient Egyptian beliefs, as well as in the sense that the characters represented
will be captured in static postures or postures that evoke their involvement in a
ritualistic or initiatory process - it will only become obvious with the
posthumous exhibition entitled Victor Brauner: surrealist hieroglyphs from the
Houston Museum (Texas) between October 12, 2001 and January 6, 2002, in
which the archetype of the picto-poet is himself a Le Bateleur or Magus, the first
of the Great Arcana of the Tarot, evoking both the creative or transfiguring
power and the divinatory or magical one.
Returning to the biographical part, it is appropriate to emphasize that if
in the first exhibition at the Bucharest Art House Victor Brauner will exhibit
works in which social subjects dominated, depicted in a modernist technique,
then, in the next artistic stage (1924-1931) the critical attitude towards society
will be accentuated, expressed in a slightly fantastic form “in the form of visual
fables: people without arms (because they have nothing to do) or without heads
(incapable of thinking), will evolve among houses that are not inhabited and
which resemble some ghostly carcasses”10. From this period belongs the work
Lady with the dog, a “social fable” that shows us a naked lady covered only by
some frills who is accompanied by a skeletal, ghostly gentleman, whose defining
accessory is a joben. The joben and frills are their representative attributes, and

10
Sarane Alexandrian, „Fables of the asocial society”, in Victor Brauner, ed.cit., 2005, p.136.
122 | SYMBOLON 16

their outer emptiness is a sign of their inner life devoid of content like the shell
people in Daumal’s allegorical novel11.
So in biographical terms, until the age of 16, the young Victor Brauner
is the witness of his family's attempts to find a social identity and financial
stability first in Romania, then in Austria and again in Romania. Then, in July
1919, his parents, Herman and Debora Brauner, obtained “citizenship” in
Romania, which was granted to Jews (or descendants) who had special merits in
the War of Independence (1877-1878) or participated in the First World War (
1914-1918). To conclude the first biographical stage, i) the Romanian-Austrian
one (1903-1924) and to move on to ii) the French stage (1925-1966), we will
summarize by saying that there are three important events that mark the first part
of Victor's life Brauner: the revolt in Moldova, his father's spiritualist sessions
that he secretly attended and the contradictory state of anxiety and fascination
caused by the passage of Halley's comet, which seemed to herald, for the
superstitious, the end of the world.
In 1925 Victor Brauner went on his first trip to Paris, staying there for a
year and a half. In November 1925, he visited the first surrealist exhibition,
hosted by the Pierre Loeb Gallery, where he came into contact with works
signed by avant-garde artists such as Giorgio de Chirico, Max Ernst, Man Ray,
Joan Miro or Pablo Picasso. However, in 1932 Brauner will join the surrealist
group thanks to Yves Tanguy and will start working on a series of paintings in
which an enucleated eye appears as a redundant element. At the level of the
artistic work, Suicide at Dusk (Suicide au crépuscule, 1930) is probably the first
painting in which the motif of doubling or double appears clearly and was
created in 1930, when Brauner left for Paris again due to the fascist regime
gaining ground in his native country. The painting explicitly presents a character
split in a way that seems to be fatal to him, leading us to believe that the middle-
aged man is divided against himself.
The male character somehow floats in a black void crossed by gray-
tinted bands at the bottom and top of the painting. It has been said that the image
is somehow reminiscent of a Romanian folk tale in which a hermit
communicates with his evil double, but in Brauner it is rather a self-struggle or a
self-birth that is depicted, but the fact that the rupture takes place right at the
navel. There is definitely a conflict with oneself, and the struggle is for life and
death. Although in 1932 he will meet, in Paris, with the members of the group
led by André Breton, a work like Suicide at Sunset shows us that he already
fulfilled at least one of the classic characteristics of a surrealist work: he could
express a reality interior, be it fantastic and contradictory or dreamlike, not
subject to conscious thought.

11
See René Daumal, Analog Mountain - a novel of alpine adventures, non-Euclidean and
symbolically authentic, foreword by Basarab Nicolescu, translated by Marius-Cristian Ene,
Niculescu Publishing House, Bucharest, 2009.
L'Imaginaire de la guerre | 123

In November 1940, the precariousness of material life will force Brauner


to use the few materials he had at his disposal. For this reason he will use wax, a
material that will also contribute to the esoteric and alchemical charge of his
works. After the outbreak of the Second World War, Brauner took refuge in the
south of France and, due to the lack of materials, worked on different types of
collages. In the works from the post-war period, the Romanian was inspired by
the image of tarot cards, the iconography of Egyptian hieroglyphs or archaic
Mexican motifs.
The work Gemini (1938) is instructive for the way in which Brauner
understands how to relate the motif of the double to the androgynous state: a
man and a woman stand side by side as in a wedding photograph: the left hand is
on the woman's left shoulder , their neck is like a creeper while the head is
common. Thorns grow on the man's neck, while thorns enter the woman's neck
and body. The thorns are a reference to the Rosa Mundi, the macrocosmic unity
that is reflected at the human microcosmic level in the alchemical unity of the
androgynous: the rose is, on the one hand. the symbol of the harmony of
opposites (conjunctio in alchemical language, Brauner's wedding), the red rose
being yang/solar/plus and the white yin/lunar/minus12, and on the other hand, the
rose represents the transcendent unity, the realization of Jungian individuation,
which in the Western imagination takes the form of a mandala that geometrizes
the image of the wheel or the rose13.
This triptative coniunctio refers to androgynous (Mercurius), female
(Moon) and male (Sol) and will have other avatars in Brauner's surrealist
imagination: in several works (such as The Double Lion, Triumph of Doubt,
1946, or Messengers of the Number, 1947) the hermetic communion will be
present through the famous LunaSol scepter, which has become one of the
emblems of Victor Brauner’s art. Also, there are works in which the reference to
alchemical operations is even in the title of the painting (Birth of Matter, 1940)
or others in which the sun appears in the right hand and the moon in the left hand
of the character (Poet in Exile, 1930).
While Paris was under Nazi occupation in the 1940s, the artist of
Romanian origin was withdrawn to the foothills of the Eastern Pyrenees from
where he frequently came to the Air Bel villa to meet with the other members of
the surrealist group, but in the documents released by the authorities of “free
zone”, Brauner declares himself neither Romanian nor Jewish, but of Alsatian

12
See the references to Septimana Philosophica (1620) in the preface to in Michael Maier,
.Atalanta fugiens. Philosophical emblems of nature's secrets, translated by Gabriela Nica and
Marius Cristian Ene, Herald Publishing House, Bucharest, 2010. Septimana Philosophica takes the
form of a dialogue between Solomon, the Queen of Sheba and Hiram, with the theme of the secrets
of the universe. Over the course of six days (since such discussions do not take place on the
Sabbath), the three biblical characters the two talk about all the existing kingdoms in nature,
starting with the vegetable kingdom and ending with human beings.
13
C.G. Jung, Alchemical Studies, pp. 294-295.
124 | SYMBOLON 16

origin14. Then, due to hostile circumstances, Brauner will retire in 1948 to


Ronco, in Switzerland. On this occasion, in the work Ultratablou biosensibil
(1948) he recreates in an almost narrative way his biographical and spiritual path
that culminates with the episode "Victor at the initiation ceremony". Brauner
died in Paris, in 1966, after, during the 1950s, he had traveled to Normandy and
Italy, exhibiting at the Venice Biennale in 1966.
In conclusion, we can say that in the case of Victor Brauner, we
encounter an identity dichotomy that manifests itself, on the one hand, at the
biographical level: born in 1903 in Piatra Neamţ and having a Jewish origin.
Victor Brauner will move to France in 1930, and after passing through the Swiss
stage, he will receive French citizenship in 1963 at the intervention of Gaëtan
Picon, André Malraux's chief of staff, who was between 1958-1969 Minister of
State and Minister for cultural issues. On the other hand, Brauner's identity
dichotomy is manifested artistically in works such as Suicide at Sunset (1930),
Gemini (1938) or The Double Lion (1946) in which the dual nature of the artistic
self is reflected, reinforced by the almost obsessive presence of the snake, which
became the emblem of the inner transformations that the alternate skin changes
suggest, culminating in its intrusion in the very name of the painter taking, this
time, the shape of the letter N, an N reversed in the mirror in its original form as
can be seen in his work even titled Number (1943).
The dichotomy that manifests both at the biographical and artistic level
is reflected both at the level of the permanent splitting of the self that returns at
the artistic level on themes that reflect this tendency of inner unification, hence
the image of the double, of the twins, of the androgynous, of half-human, half-
animal beings: the dichotomy is therefore both division and bifurcation
materialized on a social level through the search for a new identity, as a Jew in
Romania and, then, as a Romanian in France. The tensions created by his ethnic
identity as "étran-jewish" (to use the expressive term created by Gherasim Luca
with reference to himself), but also by a permanent search for himself that will
have to take into account the fact that joining the surrealist group from 1933 his
friendship with Brâncusi and Fundoianu will cost him, then leaving the surrealist
group (1948) and his reintegration with pomp (1958) will ultimately generate
one of the most original plastic creations within the surrealist movement. Under
the dome of surrealism, Victor Brauner will find his own way, a true “personal
mythology” which is the result of a destiny therapy designed to transform both
the creator and the one who will know how to discover the meanings of the
work, encoded in images similar to the mysterious representations from
medieval alchemical treatises.

14
Victor Brauner, Écrits et correspondences 1938-1948, Les archives de Victor Brauner au Musée
National d’Art Modern. réunis et établis par Camille Morando et Sylvie Patry, Centre Pompidou,
Institut national d’histoire de l’art, Paris, 2005.
L'Imaginaire de la guerre | 125

Bibliography:
Alexandrian, Sarane, Victor Brauner, traducere din limba franceză de
Luminiţa Potorac, Editura Junimea, Iaşi, 2005.
Alexandrian, Sarane, Centenarul lui Victor Brauner, ediţie şi traducere
de Nicolae Tzone, Ioan Prigoreanu şi Marilena Munteanu, Editura Vinea,
Bucureşti, 2006.
Alexandrian, Sarane, Istoria filosofiei oculte, traducere de Claudia
Dumitru, Editura Humanitas, Bucureşti, 1994.
Breton, André, Le Surréalisme et la Peinture, Gallimard, Paris, 1965.
Daumal, René, Muntele Analog - „roman de aventuri alpine, non-
euclidiene şi simbolic autentice“, prefaţă de Basarab Nicolescu, traducere de
Marius-Cristian Ene, Editura Niculescu, Bucureşti, 2009.
Hartmann, Franz, Paracelsus – viaţa şi învăţătura, traducere de Ilie
Iliescu, Colecţia „Logos”, Editura Herald, Bucureşti, 2006.
Maillard-Chary, Claude, Le bestiaire des surréalistes, Presses de la
Sorbonne nouvelle, 1994.
de Mongex, Chantal Fernex, Victor Brauner, un surréaliste européen,
catalogul expoziţiei de la Musée des Beaux-arts din Chambéry, Un, Deux...
Quatre éditions, 2007.
Nicolae, Emil, Victor Brauner - la izvoarele operei (album monografic),
prefaţă de Amelia Pavel, Editura Hasefer, Bucureşti, 2004.
Wunenburger, Jean-Jacques, Filozofia imaginilor, Traducere de
Muguraș Constantinescu, Editura Polirom, Iași, 2004.

Victor Brauner, Gemini, 1938.


126 | SYMBOLON 16

POUTINE ET L’IMAGINAIRE IMPERIAL DE LA GUERRE

Ionel BUSE1

Abstract. In 2005 Vladimir Putin described the dismantling of the USSR as the
“greatest geopolitical catastrophe” of the 20th century. Our intervention tries to point
out, beyond the emotions caused by this human drama which surrounds us today - the
war in Ukraine, certain aspects of the formation of the political personality of Putin and
the return of the Russian imperial imaginary in the context of the recent wars in post-
Soviet space and its geopolitical consequences.

Keywords: Vladimir Putin, the war, Ukraine, the Russian imperial imaginary,
geopolitical consequences

Un fantôme hante l’Europe… Le matin du 24 février à 5 heures, la


Russie attaque l'Ukraine presque sur toute sa frontière. Le monde entier est
bouleversé. Un grand pays nucléaire envahit un pays voisin frère qui faisait
partie de l’URSS et de l’ancien empire des tsars. Comme d’habitude dans les
dernières décennies, on regarde à la télé ce qui se passe sur le front et dans les
chancelleries occidentales. Peur, peur, peur… Des milliers de bombes,
d'énormes destructions, des morts et des blessés, des crimes de guerre, un danger
atomique, des millions de réfugiés en Europe, une crise humanitaire, des
condamnations de la guerre de Poutine par les organismes internationationaux,
l'alerte de l'OTAN, des sanctions économiques, une crise énergétique, une crise
alimentaire, etc. Où va le monde ?
L'agresseur est Poutine : « le dictateur monstrueux », « le fou
Frankenstein », « le criminel de la guerre », etc. D’ailleurs de grands spécialistes
de la psychologie du comportement sont pressés de poser des diagnostics. L'un
d'eux est le neuropsychiatre français Jacques Touchon. Selon lui, la guerre en
Ukraine est le fait d'un homme atteint du syndrome d'Hubris. « Il s’agit d’un
sentiment de toute-puissance caractérisé par une confiance en soi hypertrophiée
et une inflation narcissique. C’est d’ailleurs cet excès de narcissisme qui
empêche la personne atteinte par le syndrome d’Hubris de se rendre compte de
sa démesure. La menace de ce syndrome, c’est que la personne qui en est
atteinte ne supporte pas la critique ni même les avis différents… Son
comportement révèle qu’il est tout à fait pertinent de dire que Vladimir Poutine
est atteint du syndrome d’hubris »2.
Dans son discours du 26 mars au château médiéval de Varsovie devant
un millier de polonais et d’ukrainiens le président américain Joe Biden a affirmé

1
Université de Craiova, Centre de Recherche sur l’Imaginaire et la Rationalité «Mircea Eliade».
2
Mathilde Le Petitcorps, Qu’est-ce que le syndrome d’hubris, ce sentiment de toute-puissance
prêté à Vladimir Poutine? in https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2022-03-04/qu-est-ce-que-
le-syndrome-d-hubris-ce-sentiment-de-toute-puissance-prete-a-vladimir-poutine-fc421b66-b811-
4663-ac9e-e4df0ecaa190, l’ouverture le 30 mars 2022.
L'Imaginaire de la guerre | 127

que « Cet homme ne peut pas rester au pouvoir ». Poutine est privé dans la
vision de Joe Biden de toute qualité d’un chef d’Etat. Certains analystes ont
qualifié ces déclarations d'émotionnelles. D'autres les ont interprétés comme des
messages bien calculés par l’administration Biden pour les envoyer au Kremlin.
Quoi qu'il en soit, la Maison Blanche a tenté de les adoucir en leur donnant une
interprétation plus diplomatique : « Ce que le Président voulait dire, c'est que
Poutine ne peut pas être autorisé à exercer un pouvoir sur ses voisins ou sur la
région. Il ne parlait pas du pouvoir de Poutine en Russie, ni d'un changement de
régime politique ». Joe Biden même a précisé ultérieurement qu’il ne s’agit pas
de changer le régime politique du pays, mais pour le reste il ne retire rien. En
tant que grand dirigeant européen, Macron a immédiatement pris ses distances
face aux déclarations de Joe Biden, en se considérant toujours comme
l'interlocuteur privilégié de Poutine en Europe ! Hélas !...
Qui va gagner la guerre ? S'agit-il uniquement d'un enjeu régional ou
d’un grand mouvement géopolitique ? Le ministre des affaires étrangères de la
Fédération Russe a annoncé après sa visite en Chine un nouvel ordre mondial, «
multipolaire, juste et démocratique ». Il ne s’agit pas d’une « démocratie
décadente à l’américaine » mais de « la démocratie souveraine » russe ! En tout
cas le chef d’orchestre semble être Poutine.
Certainement son image domine depuis longtemps la mappemonde
politique. Selon le classement de la revue américaine Forbes du 2016, Poutine
était l'homme le plus puissant de monde. Le président russe devançait Donald
Trump et Angela Merkel : c'était la quatrième année consécutive qu'il s'affichait
comme le vainqueur de ce classement3. En tout cas, Barak Obama, Donald
Trump, mais surtout Gerhard Schröder et Angela Merkel ont participé avec
succès à faire de Poutine un leader mondial. Est-il un génie politique tel que
Trump le considérait ou un dictateur fou ?
Notre petite intervention tente de pointer, au-delà des émotions
provoquées par ce drame humain qui nous entoure aujourd’hui, certains aspects
de la formation de la personnalité politique de Poutine et le retour de
l'imaginaire impérial russe dans le contexte des guerres récentes dans l’espace
postsoviétique et de ses conséquences géopolitiques.

De Saint Petersbourg à Kremlin


En 2005 Vladimir Poutine avait qualifié le démantèlement de l'URSS de
« plus grande catastrophe géopolitique » du XXe siècle. Il a accusé Gorbatchev
d’avoir détruit l’empire soviétique - l’héritier de l’ancien empire des tsars.
Après le remplacement de Gorbatchev, le nouveau président Boris Eltsine
voulait réintégrer son pays dans le nouvel ordre international sur un pied
d'égalité avec l'Amérique : la Russie était encore une puissance mondiale,

3
https://www.lepoint.fr/monde/classement-forbes-poutine-reste-l-homme-le-plus-puissant-du-
monde-14-12-2016-2090470_24.php
128 | SYMBOLON 16

membre permanent du Conseil de sécurité, héritière de toutes les obligations et


des droits internationaux de l’ex URSS et la propriétaire d’un grand arsenal
atomique. Mais les problèmes réels de la Russie post-impériale étaient immenses
: l’économie en ruine, l’armée démoralisée après l’échec d’Afghanistan et
l’administration chancelante.
La première décennie après l'effondrement de l'URSS a été ainsi perçue
par la plupart des Russes et de la nouvelle élite hétérogène (formée des anciens
chefs KGB, des militaires et des apparatchiks communistes) comme un désastre
à tous points de vue. Si cette élite partage la proie restante de l'ancienne URSS,
la population est déçue que la démocratie promise ne lui apporte pas la
prospérité dont elle rêvait. Le niveau de vie chute brutalement et le
gouvernement d’Eltsine gagne petit à petit à l’intérieur du pays l'image d’une
sorte de vassal d'un Occident victorieux. Dans ces conditions, la société russe
engendre vite, comme le souligne Françoise Thom, « un nationalisme
compensatoire »4.Certains historiens parlent d'un ressentiment qui se développe
dans les conditions de l'effondrement d'une grande puissance ou d'un empire.
Ceci est parfois appelé le syndrome post-impérial. Ce que la Russie a vécu n'est
pas seulement un syndrome post-impérial mais un syndrome post-
superpuissance, et personne ne devrait sous-estimer l'intensité de ces
sentiments5.Il y a des historiens qui comparent la Russie avec l’Allemagne après
la Première Guerre mondiale.
La Russie se confrontait aussi avec le mouvement centrifuge des pays
satellite, qui libérés du communisme voulaient s’intégrer dans l’ancienne Europe
et dans l’OTAN. Après des décennies d'humiliation soviétique, ils ne voulaient
pas rester dans un vide historique entre l'Est russe et l'Ouest. Cela a été
clairement exprimé par Vaclav Havel et Lech Walesa lors de discussions avec la
secrétaire générale américaine Madeleine Albright et le président Clinton.
Eltsine qui a été soutenu par le président Clinton contre l’extrêmisme
nationaliste et communiste de Russie a tenté de persuader Clinton de retarder
l'adhésion à l'OTAN en Europe du Centre-Est, du moins après son dernier
mandat. Le nationalisme russe est devenu plus agressif après les guerres
fratricides dans l'ex-Yougoslavie et l’intervention de bombardements américains
sur Belgrade. Trois pays d'Europe centrale (République tchèque, Hongrie et
Pologne) à l'insistance de Havel sur les décideurs américains sont devenus
membres de l'OTAN en 1999. D’ailleurs la Russie justifie son invasion dans les
pays voisins par des considérants stratégiques à cause de l’élargissement de
l’OTAN à l’est et surtout dans des pays qui ont appartenu à l’ancienne URSS
(les Pays baltes). En d'autres termes, c'est une erreur géostratégique de

4
Francois Thom, Comprendre le poutinisme, trad. roumain Putin si putinismul, Humanitas, 2020,
p. 33.
5
Robert Service, Kremlin Winter. Russia and the Second Coming of Vladimir Putin (Hiver à
Kremlin. La Roussie et la deuxième venu de Vladimir Poutine) trad. roumaine, Iarna la Kremin. A
doua venire a lui Vladimir Putin, Polirom, 2020, p. 54.
L'Imaginaire de la guerre | 129

l'Occident européen dirigé par les Américains qui a conduit inévitablement à la


contre-offensive russe.
Coïncidence ou non, l'année du premier tour des adhésions à l'OTAN, le
président Eltsine nomme Vladimir Poutine Premier ministre en remplacant
Evgueni Primakov. En quelques mois il renonce à la fonction de président et il le
désigne comme successeur intérimaire à la présidence russe. L’élite politique
mondiale est surprise. Poutine venait de presque nulle part. Evgueni Primakov
qui avait réussi à sortir la Russie de la crise économique de 1998 et à équilibrer
le rouble, était lui aussi consterné. Il avait déjà aquis un pourcentage
considérable dans les sondages d’opinion surtout après sa position ferme contre
les bombardements de l’OTAN en Serbie et il était vu comme un possible
successeur d’Eltsine. Mais les grands oligarques de la transition, critiqués
souvent par Primakov, ne lui étaient pas du tout favorables. Primakov, qui avait
dirigé lui aussi le KGB, avait montré qu'il ne voulait pas qu'ils subordonnent le
pouvoir de l'État aux oligarques.
Sans doute dans l’apparition de Poutine comme leader à Kremlin en
2000 la décision d’Eltsine a été décisive. Plusieurs analystes essayaient depuis
plus de deux décennies de déterminer les motivations de Boris Eltsine : le
respect et la loyauté de Poutine envers lui (qui était à l’époque le chef de FSB),
la concurrence de Primakov dans les sondages d'opinion, l’inquiétude pour son
avenir et celui de sa famille, etc. Peut-être qu’un peu de tout. Mais plus
intéressante semble être d’analyser l’arrivée de Poutine au Kremlin en 1996,
trois ans avant d’être nommé premier ministre en 1999. Alors, comment Poutine
se forme-t-il en tant que politicien ?
Presque toutes les analyses de l’ascension politique de Poutine
soulignent son origine modeste, sa vie dure comme enfant dans les banlieues de
Leningrad (Saint Pétersbourg), son intérêt pour le sport de combat et pour le
pouvoir redouté du KGB. Toutes ces déterminations sont de nature
psychologique. On ne sait pas s’il s’agit du syndrome d’Hubris, comme l’affirme
Jacques Touchon, mais peut-être qu’il s’agit d'une forte volonté psychologique
de s’affirmer et de dépasser ses conditions initiales d’une vie marginale. Les
rêves de la plupart des garçons des banlieues, dominés par les gangs de quartier,
sont de devenir des durs. Le jeune Poutine n'a pas fait exception, d'autant plus
que sa taille ne le lui permettait pas trop. Ou peut-être même que cette frustration
l'a poussé à se battre et à devenir redouté parmi les garçons de son âge. Il semble
que ses parents, effrayés par tant d'énergie et de volonté de se battre, l'aient
emmené au judo. Pratiquer un sport de combat était bien mieux que de devenir
un gangster de quartier.
Cultiver son corps c’est d’abord la première condition de gagner des
combats et l’appréciation des autres. L'apprentissage des techniques de judo
demande de la force physique, mais aussi l’exercice d'une certaine intelligence
psychocorporelle. De ce point de vue Poutine a brillé, obtenant finalement la
ceinture noire. Selon Mark Galeotti, spécialiste de l'histoire moderne, de la
130 | SYMBOLON 16

politique et de la sécurité de la Russie, la manière par laquelle il conduit l’Etat


semble refléter cette chose. Il utilise l’action de son adversaire pour le
défavoriser. En ce sens, en géopolitique et judo, Poutine est un opportuniste. En
d'autres termes, Poutine s'attend à ce que l'Occident commette une erreur afin de
porter le coup le plus fort6. L'histoire récente semble très bien le montrer.
Quant au KGB, il représentait pour Poutine à l’époque la force la plus
redoutée de la société. Et le rêve d'une forte personnalité comme la sienne était
d'avoir le plus de pouvoir possible. En effet, l'image de cette institution, héritée
de la police secrète CEKA, inspire la peur, mais attire aussi les jeunes avec la
volonté de pouvoir qui souhaitent gagner une position privilégiée dans la société
soviétique totalitaire. En ce sens, le désir du jeune Poutine de rejoindre le KGB
dès l'âge de 17 ans s'explique également. Cependant, cela ne sera possible
qu'après avoir obtenu son diplôme de la faculté de droit et après le stage
d’officier KGB quand le jeune Poutine est envoyé en Allemagne de l’Est,
considérée comme la vitrine du communisme victorieux. Là, en tant qu'officier
du KGB, il se sentait comme un gagnant. D’ailleurs il a beaucoup regretté la
chute du Mur de Berlin.
Bien qu'il ne soit pas un oligarque, il s'enrichit en faisant partie de la
nouvelle nomenclature qui soutient Eltsine. Par ses réseaux de relations
personnelles et grâce à sa disponibilité d’adaptation il trouve l’opportunité
d’aller au Kremlin. Il atteint ainsi le voisinage d'Eltsine où il acquiert diverses
fonctions dans l’administration présidentielle, la plus forte institution de la
Russie. Avant de devenir Premier ministre, Poutine était nommé par Boris
Eltsine le directeur de FSB, l’ancien KGB.
Poutine ne fait donc que traquer l'opportunité. Le système politique le
permet. Ce n'est pas compliqué du tout. Il est construit à la verticale comme le
corps humain. La lutte pour le pouvoir est donc créée par le système lui-même,
qui tend à se reproduire. Il crée aussi son chef pour se préserver. C'est l’élite
politique de l’homme russe post-soviétique situé entre Europe et l’Asie qui le
construit et qui ne s'abstient pas de verser le sang. Le sang est l'énergie du corps
et du système politique. Le système est carnivore et son chef est un leader
prédateur. C'est une vision politique organiciste qui existe depuis des siècles.
Conscient qu'il est de petite taille, Poutine prend des précautions pour ne
pas paraître sur la défensive. C'est une expérience d'enfance, dit Poutine : Il faut
attaquer avant ton adversaire. En ce sens, il devient un acteur parfait. C'est son
théâtre politique où le corps est valorisé pour dominer l’adversaire. C'est la
technique de judo, mais aussi l’un des trucs du KGB. Il fait du sport et passe des
heures chaque jour à s'entraîner. En même temps il fait du théâtre politique. Les
médias le montrent skier, nager, jouer au hockey, faire de la moto ou chasser des
tigres. Ce sont les moyens par lesquels il veut montrer l'image d’un vainqueur

6
Mark Galeotti, We Need to Talk About Putin. Why The West Gets Him Wrong, (Parlons de
Poutine. Qu'est-ce que l'Occident ne comprend pas?), Hai să vorbim despre Putin. Ce nu înțelege
Occidentul ?, Humanitas, Bucarest, 2021, pp. 22-23.
L'Imaginaire de la guerre | 131

tout comme la Russie de tradition impériale ou soviétique. Comme toute grande


puissance, la Russie doit montrer qu'elle inspire la peur et le respect aussi.
Pour le lancer comme candidat à la présidence en 2000, le système avait
besoin d'une seule grimace. Ainsi, Poutine, aidé par l’entourage de Kremlin,
déclenche une guerre dévastatrice en Tchétchénie. L’armée n’est que le bras fort
du corps de son leader. Du 1% en 1999 dans les sondages il arrive à 52, 52% des
votes en 2000 et il est élu comme président, devant le candidat communiste
Guennadi Ziouganov avec 30% des votes. Le système nous montre qu’il est fort
et que sa tête, Poutine, c'est l'homme dont il a besoin. D’où vient cette énergie
qui donne naissance à un tel leader ? Peut-être de sa propre force de domination
mais aussi de la sacralité du pouvoir impérial.

La Sainte Russie et l’imaginaire impérial


On ne peut pas comprendre la personnalité de Poutine sans connaître la
symbolique politique dans laquelle il apparaît. « La vie politique ne se limite
(…) pas à gérer des affaires humaines, mais oblige à mettre en scène
l’imaginaire du pouvoir, pour lui donner substance et permanence »7.Toute
construction politique durable et légitime suppose à l’origine une construction
symbolique du pouvoir qui « permet aussi de comprendre la proximité ancestrale
du politique et du religieux »8. L’ascension de Poutine a lieu dans une époque
dans laquelle le nationalisme russe atteint son apogée pour la première fois après
l’effondrement de l’URSS. De vieux mythes latents du pouvoir impérial font
leur réapparition dans la société russe pour compenser cet effondrement. Parmi
ceux-ci : le mythe de la Sainte Russie et le mythe du Père de la Patrie.
Le mythe de la Sainte Russie remonte en Moyen Age vers la fin du XVe
siècle. Il renvoie à la sacralité du pouvoir établit par Byzance. Ainsi, en 1492,
lorsque le grand prince Ivan le IIIe monta sur le trône, il se déclara autocrate de
toute la Russie et de Moscou, suivant le modèle de l'empereur Constantin. La
doctrine « Moscou Troisième Rome » va dès lors constituer la clé de voûte
d’une véritable « idéologie nationale », inscrivant la Russie dans un héritage à la
fois temporel et spirituel, nouvelle Rome, nouvelle Constantinople, mais aussi
nouvelle Jérusalem9. C’est le métropolite orthodoxe russe Zosime qui proclame
Ivan le IIIe « souverain et autocrate de toute la Russie, nouveau tsar Constantin
de la nouvelle Constantinople-Moscou, et souverain de tout le pays russe et
d’autres nombreux pays. Ainsi, Moscou, en tant que nouvelle capitale de la
chrétienté, se retrouve non seulement ville « impériale » (Rome), mais aussi ville

7
Jean-Jacques Wunenburger, Mytho-politique. Histoire de l’imaginaire du pouvoir, Editions
Mimésis, 2019, p. 66.
8
Op. cit.
9
David Gibeault, Stéphane Vibert, Autorité et Pouvoir en perspective comparative - Du tsar
médiateur au peuple théophore, Presses d’INALCO, OpenEdition Books, p. 5,
https://books.openedition.org/pressesinalco/2330
132 | SYMBOLON 16

« sainte » (Jérusalem), les deux notions se trouvant intégrées dans l’héritage


byzantin »10.
Désormais, l'idéologie de l'autocratie russe est établie. La mission du tsar
devient d'élargir les frontières du royaume orthodoxe. Il n'est pas responsable
devant les hommes, mais seulement devant Dieu. S'opposer au tsar, c'est s'élever
contre Dieu11.Le mythe de la « Sainte Russie » s’est bien cristallisé tout au long
du XVIe siècle et surtout à l’époque d’Ivan IV dit « le Terrible ». « Dès le XVIe
siècle, une crispation idéologique, en partie liée à la Réforme, ainsi qu’à
l’invention de l’imprimerie et de la gravure, conduisit les élites ecclésiastiques et
politiques russes à formuler et à mettre en pratique un système de protection
contre le monde environnant, surtout catholique et protestant (bien plus que
musulman), ce qui conduisit à une sorte de « second schisme » de la chrétienté,
plus important pour la Russie que ne le fut celui de 1054. »12
Le clergé orthodoxe russe devient le serviteur du pouvoir du tsar et de
son pays. Il forme un corps commun avec le tsar, renforçant son image d'élu de
Dieu sur terre. Les guerres de conquête deviennent des guerres saintes au nom
de la vraie croyance. L'empire du tsar s'étend de plus en plus. Au sud et à l’est
contre les musulmans, à l'ouest contre les polonais catholiques et les réformés.
Par rapport à l’Occident qui évolue vers la naissance des Etats-nations
modernes, « la sacralisation progressive de la figure du souverain en Russie
inaugure une relation à l’autorité différente, interdisant toute autonomisation
d’une sphère politique propre, y compris pourrait-on dire dans la période la plus
récente »13. Cette autorité suppose une relation spéciale entre le peuple et son
monarque. « D’une part certes, le règne du tsar est soumis à un choix divin, et sa
personne est physiquement marquée par cette „élection”, mais, d’autre part, il est
identifié au sort du peuple qu’il est censé conduire au salut éternel, autorisant
d’avance par là même les révoltes paysannes et autres hérésies religieuses contre
un ordre social jugé injuste et arbitraire. »14. Le tsar devient le médiateur entre le
divin et celui-là. Le tsar et son peuple sont assimilés ainsi dans une figure divine
unique. Le synode de l’Eglise orthodoxe de 1667 confirme que le tsar est le
détenteur des pleins pouvoirs spirituels et temporels.
L’image de la Saint Russie domine l’espace de la symbolique politique
de l’Orient jusqu’à l’époque de Pierre le Grand le modernisateur de la Russie. Il
est le premier tsar qui essaie de changer les mœurs médiévales russes en se

10
Op. cit., p. 7.
11
Alain Besancon, Sainte Russie, trad. roumaine. Sfânta Rusie, Humanitas, Bucarest, 2012, pp. 54-
55.
12
Wladimir Berelowitch et Olga Medvedkova, « Introduction .L’invention de la Sainte Russie »,
in Cahiers du monde russe, 53/2-3 | 2012, p. 295-299, OpenEdition Journal,
https://doi.org/10.4000/monderusse.9378
13
David Gibeault, Stéphane Vibert, Autorité et Pouvoir en perspective comparative - Du tsar
médiateur au peuple théophore, Presses d’INALCO, OpenEdition Books, p.
https://books.openedition.org/pressesinalco/2330
14
Op. cit.
L'Imaginaire de la guerre | 133

rapprochant de l’Occident. La Russie accède à la mer Baltique après des


décennies de guerre avec la Suède. Sous le règne de Pierre le Grand, la capitale
de l'empire s'installe dans la ville moderne occidentale construite par lui et qui
porte son nom, Saint Pétersbourg. Les guerres menées par le nouveau tsar, qui
se dit « le Grand » et « Père de la patrie », conduisent à une montée en puissance
de la Russie en Europe. Il est le premier tsar à prendre le nom d'empereur
(imperator) mais il renonce, comme le montre Alain Besançon, à l’objectif
messianique de la restauration universelle du vrai christianisme. En même temps
il garde deux choses : la recette d'une puissance illimitée et le messianisme du
pouvoir sans restriction.
La modernisation de l’Empire Russe continue surtout sous le règne de
Catherine la Grande (1762-1796). D’origine prussienne, elle s’intègre totalement
dans la société noble russe et se convertit à l'orthodoxie. En même temps elle
continue la modernisation occidentale. Les idées de l’illuminisme sont
assimilées par la nouvelle impératrice qui connaissait très bien la langue et la
culture françaises. Elle continue aussi la politique expansionniste de l’empire en
annexant une partie de la Pologne à l’Ouest et de l’Empire Ottoman au Sud.
C'est ainsi que l'empire russe atteint la mer Noire. C’est Catherine la Grande qui
annexe la Crimée en 1783. Son projet était de refaire l’Empire Byzantin qui
aurait englobé les principautés danubiennes (Moldavie et Munténie) sous le nom
de Dacie, Bulgarie, Macédoine, Thrace et Grèce. L'autre partie de la péninsule
balkanique aurait été cédée à l'empire autrichien de Hambourg.
Les XVIIIe et XIXe siècles représentent les siècles de la formation de la
nouvelle élite politique occidentalisée, mais aussi de l'émergence de la culture
russe moderne. L'armée russe devient une armée moderne comme le montre
l'expansion de l'empire durant cette période. En même temps, il y a la
modernisation de l'administration, des institutions de force qui devaient contenir
les soulèvements paysans mais aussi les diverses ethnies et les peuples conquis.
La noblesse russe est capable maintenant de juger par elle-même l'état
réel de la Russie et de créer une littérature qui rivalise avec la littérature
européenne. Les grands poètes et romanciers russes sont connus partout dans le
monde. Dans leurs œuvres, Pouchkine, Gogol, Dostoievski transforment les
grands mythes russes en littérature. Influencé par le romantisme allemand, mais
adapté à l’imaginaire russe, le nationalisme russe développe son propre
organicisme lié au messianisme. On critique de plus en plus les imitations
occidentales portées par les monarchies des Lumières. Des penseurs comme Ivan
Kireevski mettent en évidence la spiritualité mystique du peuple russe et les
aspects messianiques de la slavophilie. Il critique l’Occident par la séparation
entre le pouvoir séculaire des principes et le pouvoir spirituel, ecclésiastique.
Face à l’Occident européen, de plus en plus décadent, la Russie, dont les racines
restent dans le peuple théophorique russe et dans la sainte Église orthodoxe,
triomphera dans l'universalité, selon Kireevski. Le mythe de la Sainte Russie
réapparaît dans la littérature « en sanctifiant » la terre russe, l'empire russe, le
134 | SYMBOLON 16

peuple russe. Chez Dostoïevski, le Dieu, le tsar et le peuple russe deviennent un :


la Russie. La Sainte Russie par rapport à l’Occident est paradoxale, mystique et
messianique. La Russie ne peut pas être comprise avec la pensée et la logique
occidentales modernes. « Je crois en la Russie » avoue un personnage de
Dostoievski. « En Russie, il suffit de croire », dit le poète messianique Fiodor
Tioutchev. C’est un leitmotiv invoqué souvent même aujourd’hui au Kremlin15.
En revenant à l’évolution de Poutine, sa radicalisation dans la politique
externe a lieu après les révolutions colorées de Géorgie (de Roses, 2003) et
orange d’Ukraine (2004). Les premiers mandats de celui-ci comme président ont
été considérés même digcomme érables par l’Occident. De nombreux partis
européens considéraient Poutine comme un grand dirigeant capable de rétablir
les relations avec une Europe des nations. Mais à mesure que la verticale du
pouvoir se renforçait et que l'État russe devenait encore plus centralisé, le
nationalisme se radicalisait de plus en plus. Le leader du Kremlin avec son
entourage de siloviki sont de plus en plus convaincus qu’un complot occidental
est à l’origine de la destruction de la Russie par l’intrusion dans les anciens pays
satellite d’URSS. La campagne électorale négative de 2012 est presque
exclusivement basée sur la critique de l'Occident impérialiste, « décadent » et
« chaotique ». Poutine utilise toutes les faiblesses des européens pour montrer à
son propre peuple à quel point l'Europe est devenue dégénérée. Il n’hésite pas
d’utiliser des stratégies soviétiques de la guerre froide en soutenant directement
ou indirectement des leaders et des organisations et associations anti-système en
Occident, quelle que soit leur idéologie.
En quelques années, Poutine est devenu aussi un envahisseur mondial.
Au cours des 14 dernières années, il a envahi la Géorgie, l'Ukraine à deux
reprises et est intervenu dans la guerre en Syrie. Il a envoyé des mercenaires en
Libye, en République centrafricaine, au Soudan et maintenant de nouveau en
Ukraine. C'est surtout une politique étrangère revancharde pour remplacer la
grandeur de l'ex-URSS et de son dirigeant. En même temps, l’homo sovieticus,
selon l’expression d’Alexandre Zenoviev, n’a pas encore disparu dans la société
russe. La Russie n'a pas connu la désoviétisation comme l'Allemagne a connu la
dénazification après la guerre. L’éducation patriotique de type soviétique, le
mythe de la Victoire sur le fascisme et toute la mythologie politique du système
communiste totalitaire reviennent : le mythe de la cité assiégée, le mythe du
complot et de l’Occident impérialiste. Le mythe de la Sainte Russie et le mythe
du Père Sauveur s'y ajoutent, mais filtrés par 70 ans d'athéisme et de soviétisme
militant. Le patriarche KGB orthodoxe Kirill accompagne son tsar. Dieu et
Poutine sauvent la Russie. La Russie connaît une montée inquiétante
d'organisations religieuses radicales orthodoxes qui se rapprochent du
radicalisme islamique : l’exemple de la Tchétchénie de Kadyrov. Mais Poutine
souhaite une Eurasie de Brest à Vladivostok tout comme l’affirment ses

15
Op. cit.,, pp. 82-83.
L'Imaginaire de la guerre | 135

idéologues. Sur la base des anciens philosophes et géopoliticiens russes,


partisans du panslavisme et du rôle messianique de l'Église russe, Alexandre
Douguine développe la doctrine de la lutte entre les Néo-eurasistes dirigés par la
Russie et les Atlantistes dirigés par les Etats-Unis. L'alliance entre l'Orthodoxie
et l'Islam est absolument nécessaire dans cette guerre géopolitique, soutient
Douguine.

En guise de conclusion
Les partis politiques eurosceptiques et antiaméricains ont espéré de
trouver en Poutine un leader politique qui hissera l'étendard de la lutte contre la
« décadence occidentale » et pour une Europe des nations. Son image de leader
mondial de la première décennie du nouveau millénaire le promettait. Mais
Poutine n’est pas du tout un européaniste. Il veut dominer l’Europe ou
éventuellement la partager avec l’Amérique. La Sainte Russie postsoviétique le
permet. Son leader est la création d’un État autocratique impérial qui doit
assumer la mission historique du Père de la Patrie et du testament de Pierre le
Grand. D’ailleurs Poutine s’imagine toujours l’incarnation historique du Pierre
le Grand. Qui peut sauver la Mère Russie sinon le Père ? D'où ses mythes
politiques de sa défense. D’où sa mission. D'où son combat. Le combat de
Poutine, qui n'est pas peut-être un stratège de génie, mais est doté d'une
remarquable volonté de puissance et de domination. « Je veux tuer l’Ukraine
pour la sauver ! » Un paradoxe ridicule ? Peut-être. Mais cela a toujours été la
logique mystique de la Sainte Russie. On dit que le peuple russe d’aujourd’hui
lutte pour les valeurs de la famille traditionnelle, pour la parole de l'Evangile,
etc., etc. Est-ce vraiment vrai ? Comment un peuple anesthésié depuis plus de 70
ans par le bolchevisme et l'athéisme peut-il être le sauveur du christianisme ?
Une image suggestive est apparue déjà pendant la semaine de Pâques orthodoxe
dans Marioupol. Un groupe de Tchétchènes victorieux devant des ruines de la
ville criant Allah Akbar! Allah Akbar! L'orthodoxie sera fracturée pour les
décennies à venir. Le mufti tchétchène annonce lui aussi qu'un nouveau djihad
est lancé contre l’Occident nazi. En fait, Poutine cultive le russisme qui est un
mélange de chauvinisme, de nostalgie du passé soviétique et d'obscurantisme
orthodoxe selon l’historien russe Stanislav Belkovski16.
Le leader du Kremlin est un autocrate qui joue aujourd’hui la carte de sa
vie : le rêve impérial de restaurer au moins une partie de l'URSS. Sa stratégie
politique est progressivement mise en pratique. Il a créé son image de leader
mondial. Il s'est attiré le soutien des dirigeants européens en vendant du gaz et
du pétrole bon marché, a assuré la neutralité de la Turquie autocratique, un pays
membre fort de l'OTAN, et le soutien de la Chine. Il a profité en même temps

16
Stanislav Belkovski, Putin. Biografie interzisă (Poutine. Biographie interdite), Editura Corint,
Bucarest, 2014.
136 | SYMBOLON 16

des événements de Maïdan pour annexer la Crimée et soutenir le séparatisme à


Donbass et Lougansk.
Poutine ne négocie pas avec les faibles (Macron, Scholz, etc.) qu'en
position de domination. Nous avons vu nombreuses situations dans lesquelles il
domine ses interlocuteurs par divers gestes et actions pour les intimider (le cas
de Merkel ou le cas Macron). Il croit que seuls les empires font l'ordre mondial
et qu’ils sont donc au-dessus du droit international. Pour cette raison, il compte
négocier la paix directement avec les Etats Unis qui, selon lui, font la même
chose dans le monde. Les Américains accepteront eux ? Peut-être pas. Même si
la Russie est une puissance militaire qui agite aujourd’hui ses missiles
nucléaires, elle est trop faible pour se confronter avec les Etats Unis et l’OTAN.
Ajoutez à cela le fait qu’après la guerre dévastatrice d’Ukraine, pour la majorité
des pays l'image mondiale de la Russie sera également compromise. En même
temps, l’Amérique profitera d’erreur de Poutine (provoquée ou non !) d'attaquer
l'Ukraine, renforçant d’une manière inattendue son pouvoir politique, militaire et
même économique en Europe. Les suédois et finlandais ont demandé l'adhésion
de leurs pays à l'OTAN17.L'Ukraine et la Moldavie ont reçu aussi le statut de
pays candidats à l’UE. Un nouveau Rideau de Fer ? Les enjeux géopolitiques
seront-ils radicalement restaurés après cette guerre ? Et bien sûr, où va l'Europe?
Située entre la superpuissance américaine et l’autocratie impériale russe
post-communiste, l’Europe ne peut qu'espérer d’avoir un jour les leaders dont
elle a besoin pour repenser sa stratégie géopolitique par la force de son identité
collective et que la Russie retrouvera elle aussi le chemin des valeurs
européennes.

17
Le sommet de l'OTAN à Madrid du 28 au 30 juin 2022.
IMAGINAIRES DE LA GUERRE EN UKRAINE
DANS LA PRESSE COLOMBIENNE

Miguel Angel GOMEZ MENDOZA1

Abstract. There are a number of important reasons why it is so important to investigate


imaginaries of the war in Ukraine in a country like Colombia like the relevance of the
concept and its approach to study to analyze social phenomena and behaviors as
complex as the conflict in Ukraine is reiterated and understanding and describing human
creations, in the event of war, entails taking into account imaginary, symbolic and
emotional contents which are disseminated by the written and digital press. Not least, the
imaginaries established in the study of the press articles of the Colombian daily “El
Tiempo” are better apprehended within the framework of a tension between two
tendencies - integration and localization - which translates, as we have seen top, by the
term glocalization, defined by Roland Robertson (2003) as the simultaneous presence
and action of universal tendencies and particular tendencies, in this case regional and
national.

Keywords: the imaginary of the scientist-journalist, the imaginary of historians, the


imaginary of the engineer and the entrepreneur, the imaginary of economists,
glocalization.

Introducción
L'invasion russe de l’Ukraine a devenu, certainement, un événement
récent qui a occupé l'opinion publique de tout le monde. La Colombie est un
pays en développement dans le contexte latino-américain, où tous les journaux
les plus importants n’ont cessé d’en parler ; c’est une situation tragique et
douloureuse. Avec nos particularités locales, nous participons à la dynamique du
monde global et ce qui se passe dans d'autres territoires, peu importe où ils se
produisent, nous affecte et nous implique.
Dans ce contexte, on recourt à l’extraordinaire tradition conceptuelle et
méthodologique de l’enquête sur les imaginaires, et nous présentons ci-dessous
le résultat d’une étude de quarante-deux (42) articles de presse qui examinent de
cette question et qui ont été publiés par un important quotidien colombien « El
Tiempo » 2. Les auteurs de ces articles de presse, comme le montre le « corpus »

1
Professeur à l'Universidad Tecnológica de Pereira-Colombia. Adresse e-mail :
mgomez@utp.edu.co. Je remercie la collaboration de Daniela Martínez, professionnelle en
communication et informatique éducative, au cours du processus de creation du “corpus" de
l'étude et l'élaboration du tableau et du plan. Traducción française par Harold Álvarez Cortez.
Professeur à l'Universidad del Valle-Cali-Colombie.
2
"El Tiempo" est un quotidien colombien fondé le 30 janvier 1911 par Alfonso Villegas Restrepo.
Il s'agit actuellement du Journal qui a le plus grand tirage en Colombie et, pendant sept ans, il a été
dans la pratique le seul à avoir un tirage national, en raison de la crise de son principal concurrent,
El Espectador, qui, en 2001, est devenu un hebdomadaire, mais est redevenu un quotidien en 2008.
Son propriétaire est le groupe économique dirigé par l'entrepreneur colombien Luis Carlos
Sarmiento Angulo, qui a acheté la participatión actionnaire au groupe espagnol Grupo Planeta en
138 | SYMBOLON 16

de l’étude (voir Annexe 1) représentent une large gamme de perspectives pour


commenter et soutenir leurs opinions sur cet événement complexe dont
l’actualité reste indéniable au moment d’écrire ce document.
Si l’on a comme contexte et un cadre global une brève approche de la
trajectoire du domaine des études de l'imaginaire, d'une part, et l'utilisation d'une
méthodologie d'analyse qualitative du contenu des articles de presse choisis pour
cet étude, d'autre part, nous proposons, dans la dernière partie, un ensemble
« d'imaginaires sur la guerre en Ukraine » diffusés dans les médias colombiens
et qui découlent de leur analyse. Donc, comme le lecteur peut le percevoir dans
la troisième partie, nous avons six (6) imaginaires gouvernementaux, avec leurs
particularités respectives, qui sont énoncés et résumés sur le graphique 1, à
savoir: (1) L'imaginaire des historiens. (2) L'imaginaire du scientifique-
journaliste. (3) L'imaginaire de l'analyste international. (4) L'imaginaire de
l'ingénieur et de l'entrepreneur. (5) L'imaginaire du philanthrope et millionnaire
George Soros. (6) L'imaginaire des économistes.
Pourquoi est-il important d'enquêter sur les imaginaires ? La réponse du
chercheur roumain Corin Braga (2007, p.7) est très correspondant pour répondre
la question: « L'imaginaire est un concept central pour analyser le comportement
humain individuel et collectif. Une forte tradition philosophique intellectualiste a
imposé l'idée que l'homme est un être rationnel dont les actions dépendent de
mécanismes logiques, réductibles à un schéma intelligible. Mais ce mythe de la
rationalité ne décrit pas une réalité, mais surtout un idéal, une utopie
anthropologique. Pour comprendre et décrire les créations humaines, ainsi que
pour anticiper et peut-être influencer le comportement des individus et des
groupes, il faut étudier leurs motivations inconscientes, leurs contenus
imaginaires et symboliques et leurs poids émotionnels. La recherche sur
l'imaginaire vise à contribuer à combler cette importante lacune dans la
philosophie et la psychologie européennes. »
Dans ce contexte, le recours aux imaginaires pour représenter la guerre
en Ukraine dans la presse colombienne entraîne la référence nécessaire à la
condition du monde dans lequel nous vivons. C'est un monde dans lequel le
processus de mondialisation se manifeste à un rythme accéléré. La
mondialisation est liée à une phase de complexité dans lequel la civilisation
humaine est entrée aujourd'hui, en raison de la croissance exponentielle des

mars 2012. Deux mois plus tard, on a appris que Sarmiento Angulo avait également acquis la
participation des actionnaires minoritaires : Abdón Espinosa Valderrama et des membres de la
famille Santos. Le journal est la base du conglomérat médiatique connu sous le nom de El Tiempo
Casa Editorial (ETCE). Selon l'Étude Générale sur les Médias de 2015, il comptait 3.515 548
lecteurs sur l'ensemble de ses plateformes, avec une moyenne de 969.713 lecteurs de l'édition
papier du lundi au samedi et 1.695.107 de l'édition dominicale." (voir :
https://es.wikipedia.org/wiki/El_Tiempo_(Colombie). De même, une infographie sur la trajectoire
historique de ce journal colombien est disponible sur :
https://www.eltiempocasaeditorial.com/historia Consulta 14-11-2022)
L'Imaginaire de la guerre | 139

possibilités de communication, de transmission de l'information, de voyages et


de transports, de l'ouverture internationale des marchés, de la circulation des
capitaux, etc. Tous ces développements conduisent à une intégration mondiale à
une échelle plus grande qu'à n'importe quel moment de l'histoire. D'autre part, la
mondialisation est accompagnée par le spectre de la non-formalisation, de la
massification, de la perte des identités et des spécificités, et de la perte de la
biodiversité culturelle. La tension entre ces deux tendances - intégration et
localisation - est reflétée dans le terme de glocalisation, défini par Roland
Robertson (2003) comme la présence et l'action simultanées de tendances
universelles et de tendances particulières.
Toutefois, à partir d'une perspective "glocale" (dans le cas présent les
imaginaires diffusés par la presse colombienne sur le conflit ukrainien), on peut
observer des tendances globales et universelles dont l'articulation permet de
comprendre le sens et sa portée.

Concept d'imaginaire
Comment alors évaluer et analyser les spécificités locales, nationales et
régionales, en l'occurrence la "guerre en Ukraine", dans un monde en cours de
globalisation ? L’approche de cette question entraîne mettre en relation et de
combiner l'universel et le particulier en partant du concept d'imaginaire.
L'imaginaire est un "concept essentiel" créé au milieu du XX e siècle par Gaston
Bachelard (1938, 1942, 1943, 1948), Henry Corbin (1958), Gilbert Durand (1969,
1996) et d'autres philosophes, historiens et chercheurs (Caillois, 1974 ; Boia ;
1998, 2022 ; Thomas, 1998 ; Araujo et Baptista ; Rojas Mix, 2006 ; Braga, 2007,
2020 ; Pop, 2007 ; Bușe, 2008).
Selon Corin Braga (2007, 2020), on peut distinguer trois sens du terme plus
général de "fantaisie" : imagination, imaginaire et imagination. De Platon à
Sartre, y compris Descartes et Bacon, l'imagination a été considérée comme une
faculté spirituelle intermédiaire entre les sens et la mémoire, d'une part, et
l'intellect et la raison, d'autre part. L'imagination reprend les représentations
sensorielles accumulées dans la mémoire et, quand elle les recombine de
manière aléatoire et incontrôlée, elle crée des images mentales fausses,
illusoires, chimériques. Elle est, pour ainsi dire, la "mère de toutes les erreurs"
et doit être corrigée soit par corrélation avec l'expérience extérieure (comme le
soutient l'école des "empiristes"), soit par soumission à des critères logiques
(comme le soutient l'école des "rationalistes"). Ainsi, Braga ajoute (2020),
n'ayant aucun référent dans la réalité extérieure, l'imagination ne rêve que du vide
ontologique, elle ne crée que des " copies de copies " selon Platon, elle est le
génératrice du néant selon Sartre.
Néanmoins, Braga ajoute (2020, p. 13-14), que pour dépasser cette
opposition entre empiristes et rationalistes, Kant a remarqué que, en l'absence
des fonctions ordonnatrices de la raison, les représentations sensorielles sont
chaotiques, et qu'en l'absence de matière empirique, les idées rationnelles sont
140 | SYMBOLON 16

vides. La fonction qui réalise la relation entre ces deux niveaux de l'appareil
cognitif est l’« imagination transcendantale », une catégorie a priori qui a pour
rôle d'organiser les images et de les abstraire afin de pouvoir les appréhender en
notions et en idées. Les néo-kantiens, comme Ernst Cassirer, ont également
insisté sur la fonction créatrice de l' « imagination productive » qui introduit
dans les images sensorielles des significations nouvelles, complémentaires et
spécifiquement humaines. Il a appelé cette charge sémantique particulièrement
humaine "grossesse symbolique". Ainsi, par exemple, Braga remarque que lorsque
l'historien roumain Lucian Boia (1997, 1998, 1998, 1999, 2022), dans ses études
bien connues sur l'imaginaire du communisme, de l'histoire roumaine, de la
nation, du climat, de la fin du monde, entre autres, fait une distinction entre les
métaphores plastiques et les métaphores révélatrices, en se basant sur la
distinction kantienne entre une imagination reproductive ou combinatoire et une
imagination transcendantale, productive, et créative.
Braga (2020) considère que l'école française a repris dans le concept de
l'imaginaire ces deux fonctions - d'ordonner les représentations sensorielles et de les
charger de leurs contenus originaux. En premier lieu, l'imaginaire désigne
l'ensemble des imaginaires et des représentations nouvelles et inédites créés
par un individu ou une collectivité. Comme Hélène Védrine remarque (1990),
l'imaginaire est "l'ensemble des croyances, des idées, des mythes, des idéologies
qui nourrissent tous les individus et toutes les civilisations". Dans un second
temps, à une échelle plus large, l'imaginaire est considéré comme la fonction
dynamique et active qui crée ce complexe d'imaginaires et de symboles, la
capacité imaginative de la psyché. Pour Claude-Gilbert Dubois (1985), elle est le
"résultat visible d'une énergie psychique, qui possède ses propres structures
formelles tant au niveau individuel que collectif". Pour Jöel Thomas (1998),
l'imaginaire est " un système, une fonction dynamique d'organisation des
imaginaires, qui leur donne de la profondeur et les met en relation les uns avec les
autres ". Enfin, pour Jean-Jacques Wunenburger (2001, 2002, 2003), l'imaginaire
désigne " la force créatrice intérieure de l'imagination, les groupements systématiques
d'images qui ont un principe d'auto-organisation, d'autopoïèse ". Ainsi, si
l'imaginaire ne reflète que le vide ontologique, l'imaginaire désigne des objets qui,
même s'ils n'ont pas de présence extérieure, ils ont une réalité psychologique, ils
sont créés par des esprits humains, et ils ont une dimension anthropologique.
Ensemble avec ces deux concepts, Henry Corbin en a créé un troisième :
l'« imaginal » ou le " « mundus imaginalis ». S'appuyant sur l'ensemble de la
tradition philosophique alternative - le néo-platonisme, tel qu'il a été développé
dans le mysticisme islamique et le soufisme, ainsi que dans la pensée occulte de la
Renaissance européenne, Corbin utilise le terme " imaginal " pour désigner des
réalités qui ne sont ni de simples illusions ni des créations subjectives, mais qui
existent au-delà du monde empirique. Les visions mystiques, les révélations, les
prophéties, les descriptions des mondes transcendants (comme le paradis ou
l'enfer) font référence à un "mundus imaginalis" qui a pour les croyants une
L'Imaginaire de la guerre | 141

réalité ontologique totale, "plus forte" que celle d'un univers matériel. Mais si l'on
veut offrir un équivalent de l'imaginaire également à un public profane
contemporain, un substitut "actualisé" possible pourrait être celui
d'iconosphère ou d'imagosphère. Cela est dû à que la civilisation actuelle des
images a atteint, à travers tous les médias et les supports informatiques, une
généralisation et une cohérence objective qui dépassent de loin la subjectivité de
l'imaginaire individuel.
Dans ce contexte, Braga (2020) discute qu'au-delà des distinctions
suggérées ci-dessus, la conclusion qui se dégage est que les individus
interagissent avec la réalité extérieure non seulement par les sens ou les idées, mais
aussi par les images et les symboles. La compréhension qu'ils ont du monde, ainsi
que les réactions et attitudes qu'ils en tirent, dépendent donc d'images subjectives.
Cependant, si l'on circonscrit la définition de l'imaginaire "social", il faut se
référer à la perspective anthropologique. À cet égard, l'imaginaire couvre
toutes les pratiques humaines. Elle s'appliquerait à tous les domaines, la
sociologie et la religion, la littérature et l'art, la politique, les médias, etc. Les
imaginaires sociaux de nature collective comprennent des symboles, des récits, des
événements mythiques, des personnages légendaires qui nous permettent de
donner un sens à la chronologie historique, d'organiser la mémoire culturelle, de
façonner l'avenir. Au cours de la dernière période, le concept a connu une série de
changements importants et intéressants, notamment dans la recherche anglaise
(Iser, 1993 ; Kearney, 1988, 1998).
C’est évident que l'analyse des imaginaires sociaux et politiques est
devenue centrale dans l'étude des institutions de la civilisation moderne. Ainsi,
Braga (2022, p. 14), fait appel à Charles Taylor (2004), et cite la définition
suivante des "imaginaires sociaux modernes” :
Par imaginaire social, j'entends quelque chose de plus large et de plus
profond que les schémas intellectuels que les individus utilisent lorsqu'ils
méditent sur la réalité sociale de manière non engagée. Je me réfère avant tout à la
manière dont les gens imaginent et conçoivent leur propre existence sociale, à la
manière dont ils se comprennent les uns les autres, à la manière dont ils
interagissent avec leurs semblables, aux attentes qu'ils ont et aux notions et
images plus profondes qui sous-tendent ces attentes.
En complément des précisions conceptuelles sur l'imaginaire ou les
imaginaires, une question suit : pourquoi l'exploration des imaginaires collectifs est-
elle devenue un aspect important à l'époque actuelle? Pour Braga (2020, p. 15),
la réponse à cette question explique la dynamique de la relation entre le local et le
global à notre époque. Il considère que la société actuelle, qualifiée de
postmoderne, évolue vers un "village global", dans lequel les individus des
quatre coins du monde sont informés par les médias de ce qui se passe dans
d'autres parties du monde. Cependant, alors que dans le village traditionnel, la
transmission de ces information était directe, non médiatisée, interpersonnelle, dans
le village global, l'information est indirecte, médiatisée, et transformée. Le système
142 | SYMBOLON 16

mondial de publicité et de promotion, la distribution mondiale de films, de


journaux, de magazines, de livres, de bandes dessinées, de musique, de jeux
vidéo, la télévision par satellite et par câble, l'internet et ses moteurs de
recherche, les agences d'information, les réseaux sociaux, Wikipédia et YouTube,
tous ces médias offrent aux individus non seulement des images "perceptuelles",
sensorielles, mais aussi des images virtuelles, traitées dans les studios et les salles
de rédaction. Ces images sont susceptibles de véhiculer des messages
supplémentaires, subliminaux, sujets à des manipulations idéologiques et
commerciales. Les campagnes politiques et la guerre électronique, les tendances
de la mode et les prix de popularité ne sont que quelques exemples triviaux de la
manière dont les images entrantes influencent notre vision du monde.
Dans ce contexte que nous venons de décrire, les représentations
imaginaires dans les sociétés contemporaines ne doivent pas être négligées ou
minimisées. Selon Braga (2022 : 16, 22), en guise de conclusion et pour les
besoins de la discussion, on peut citer quelques exemples: l'écologie, les
mythes historiques, le post-communisme, les guerres régionales et
continentales, le post-colonialisme. L'imaginaire collectif est un facteur
d'identité du groupe et un élément du patrimoine et de l'héritage culturel. Pour
se comprendre et vivre en harmonie avec les autres, il ne suffit pas de dresser
des cartes du monde physique de la géographie naturelle et des cartes
politiques des États et des populations, il faut aussi dresser des synopsis des
imaginaires sociaux, culturels et artistiques des groupes et des individus. Pour
assurer notre avenir, il ne suffit pas de protéger l'environnement naturel et les
relations avec l'environnement social, il faut également respecter une écologie des
représentations mentales telles que celles exprimées par les imaginaires et les
imaginaires sociaux.

Méthode et corpus de l'étude


En termes de méthode, pour Doru Pop (2007, p. 103),
l'identification d'une méthodologie pour l'étude des imaginaires doit être
spécifique, prudente avec les généralités et les spéculations, et rassembler
méthodiquement les structures analytiques dans un corpus commun
généralement accepté. Cependant, l'étude des imaginaires suppose l'acceptation de
l'existence actuelle d'une « culture visuelle » - définie comme spécifique à la
modernité et qui permettrait de mieux délimiter le matériel interprétable. Pour
Doru, c’est important de reconnaître que l'image et l'imaginaire ont acquis
une fonction sociale, et que leurs manifestations dans un contexte
moderne/postmoderne doivent être considérées d'une manière différente que dans la
tradition littéraire antérieure.
Une telle approche peut venir et être soutenue en termes théoriques et
méthodiques par la perspective bien connue des études qualitatives (bien que
Doru reconnaisse qu'il existe d'autres perspectives telles que la théorie critique de
la communication, le marxisme tardif de l'école de Francfort, celui inspiré par

7
L'Imaginaire de la guerre | 143

le travail de Michel Foucault, entre autres) et ainsi procéder à la recherche des


imaginaires. Cependant, Doru (2007) considère que si nous nous concentrons sur la
perspective des études qualitatives, il est nécessaire de remarquer dès le début
que cette approche possède des structures conceptuelles complexes, avec une grande
ouverture culturelle. Cette approche théorique et de recherche, avec une longue
tradition dans les sciences sociales, contient un large cadre dans lequel se
manifestent des méthodologies analytiques qualitatives spécifiques: recherche de
contexte, recherche d'expression et recherche de contenu (analyse de contenu) qui
font partie des trois niveaux centraux du rôle du visuel: idéologique, matériel et
symbolique.
Il faut rappeler que l'analyse qualitative porte sur une grande variété de
messages tels que des œuvres littéraires, des articles de presse, des documents
officiels, des programmes audiovisuels, des déclarations politiques, des
rapports de réunion ou des transcriptions d'entretiens semi-structurés. Le choix
des termes ou des mots utilisés par le locuteur, leur fréquence et leur mode
d'agencement, la construction du "discours" et son évolution constituent des
sources d'information à partir desquelles le chercheur tente de construire des
connaissances.
Toutefois, la variante de l'analyse de contenu appliquée dans cette étude
correspond à une analyse qualitative approfondie (analyse d'un nombre important
d'informations sommaires, sur la base de la fréquence d'occurrence de certaines
caractéristiques du contenu, telles que la fréquence thématique et les mots clés).
Par conséquent, en suivant Laurence Bardin (2009) et Luc Van Campenhoudt et
Raymond Quivy (2011), cette procédure a permis de mettre en évidence une
approche de l'imaginaire sur la guerre en Ukraine véhiculé dans la société
colombienne à travers l'étude et l'analyse du contenu d'une série de chroniques
du principal quotidien colombien " El Tiempo ", objet de l'étude. L'analyse basée
sur les mots-clés est l'une des plus courantes dans l'analyse de contenu et consiste
à calculer et à comparer les fréquences de certaines caractéristiques (thèmes et
mots-clés). L'hypothèse de ce type d'analyse est que ces caractéristiques sont si
importantes pour le locuteur (dans ce cas, les articles de journaux écrits par des
journalistes d'opinion, des politologues, des historiens, des entrepreneurs, etc.)
pour qu'elles sont fréquemment citées.
C’est important de remarquer que pour nos besoins d'exposition
et de recherche du « corpus » documentaire et matériel établi et qui est présenté
dans l'annexe 1, intitulée : « Corpus de l'étude ». Articles d'opinion dans le
journal colombien « El Tiempo », depuis le “24 février jusqu'à le 14 juillet 2022”,
présente un échantillon représentatif des opinions diffusées par le principal
journal colombien sur la guerre en Ukraine et l'invasion russe de ce pays et nous
permet de valider empiriquement l'imaginaire social qui circule dans la société
colombienne sur cet événement historique complexe et douloureux
144 | SYMBOLON 16

Tableau 1.
Fréquence des mots-clés dans le corpus de l'étude

N° MOTS-CLÉS QUANTITÉ

1 Guerre 207

2 Ukraine 179

3 Poutine 129

4 Russie 128

5 Monde 84

6 Invasion 54
7 Pays 46
8 Etats-Unis 37
9 Histoire 35
10 Incertitude 18
11 Morts – victimes 16
12 Territoire 16
13 Peur 14
14 Bombes 12
15 Biden 11

Les imaginaires de la guerre


Dans ce qui suit, et en faisant appel au cadre global développé sur la
trajectoire du champ des études de l'imaginaire, d'une part, et à l'utilisation d'une
méthodologie d'analyse qualitative de contenu des articles de presse choisis pour
l'étude, d'autre part, on présente un ensemble « d'imaginaires sur la
guerre en Ukraine » diffusés dans la presse colombienne et qui découlent de
leur analyse. Par conséquent, nous avons six (6) imaginaires globaux,
avec leurs particularités respectives, qui sont exposés et résumés dans le
schéma 1, à savoir: (1) L'imaginaire des historiens; (2) L'imaginaire du
journaliste scientifique; (3) L'imaginaire de l'analyste international; (4)
L'imaginaire de l'ingénieur et de l’entrepreneur; (5) L'imaginaire du
philanthrope et millionnaire George Soros; (6) L'imaginaire des économistes;
(7) L'imaginaire des économistes; (8) L'imaginaire du journaliste.
L'Imaginaire de la guerre | 145

Diagramme 1. Les imaginaires de guerre de l'Ukraine

L'imaginaire des historiens 3


C'est une guerre terrestre en Europe. "Les défis de la pandémie ont été
remplacés par ceux de la guerre. Ils ne sont plus des menaces. Quand j'écris ces
lignes, l'armée russe poursuit son invasion militaire de l'Ukraine. "Nous avons
en Europe une guerre terrestre que nous pensions que l’on pouvait seulement
trouver dans les livres d'histoire", a remarqué un ministre allemand." (C1)
La guerre est contre le "monde occidental". "C’est clair que l'objectif de la
guerre de Poutine contre l'Ukraine est y effacer tout vestige de démocratie. Mais
ses attaques se confondent parfois avec une confrontation quasi exclusive avec
le soi-disant "monde occidental", qui sert les autocrates en dés universalisant la
cause de la démocratie." (C11)

L'imaginaire du scientifique-journaliste
C'est une guerre que tout le monde ne condamne pas. "Une puissance
nucléaire envahit une petite nation souveraine. Le monde est témoin de cette
guerre injuste, minute après minute, image après image : bombardements

3
L'énumération des fragments des articles utilisés pour établir et exposer l'ensemble des
imaginaires correspond à une nomenclature ou énumération de C1 à C42, qui correspond à
chacun des articles (date, titre, auteur et formation du même, lien numérique où se trouve le
document), puis pour comprendre le sens et la portée des fragments utilisés il faut voir l'annexe 1:
Corpus de l'étude. Articles d'opinion dans le journal colombien "El Tiempo". 24 février - 14 juillet
2022.
146 | SYMBOLON 16

incessants de civils, témoignages déchirants, exodes massifs, scènes de


douleur indescriptible. Ce seul fait devrait susciter une répudiation unanime de
l'agresseur et un soutien sans réserve de l'attaqué. Mais ce n'est pas le cas. Un
courant de la gauche latino-américaine et mexicaine a adopté le "récit" de
l'agresseur. Qu'est-il arrivé à leur conscience morale ?" (C23)

L'imaginaire du scientifique-journaliste
Une guerre à la Pyrrhus. "Poutine, malgré toute sa vanité, occupera
une place insignifiante dans l'histoire. Pyrrhus, roi d'Épire, a vaincu les Romains
en 279 avant J.-C. à la bataille d'Asculus. Il était sûrement le guerrier le plus célèbre
de son époque, mais il comprenait parfaitement les limites de sa victoire. Il s'est
exclamé : "Encore une victoire comme celle-ci et je retournerai seul dans ma
patrie". En effet, combien de personnes se souviennent aujourd'hui du royaume
d'Épire, et combien se souviennent de Rome ? Depuis lors, l'expression "victoire
à la Pyrrhus" a été utilisée pour décrire celles qui deviennent finalement les pires
défaites." (C12)
La guerre et le développement humain. "L'invasion douloureuse de
l'Ukraine va induire l'introduction de différents 'accords verts'. L'invasion
condamnable de l'Ukraine entraînera des changements politiques fondamentaux
pour le développement de l'humanité. Si l'on demande quel est le défi le plus
important auquel nous (7,5 milliards de personnes) sommes confrontés, la
réponse évidente est: "la sécurité alimentaire et énergétique pour tous, tout en
préservant l'environnement et en atténuant le changement climatique". Trois
défis phénoménaux, qui semblent appeler des actions contradictoires. Et puis la
guerre est arrivée! La Russie a envahi l'Ukraine, qui était connue comme le
grenier de l'Europe. Entre la Russie et l'Ukraine, ils produisent un tiers du blé
et de l'orge du monde, 52% du maïs et plus de 50% de l'huile végétale." (C25)
Les cent premiers jours de la guerre. "Poutine a eu tort, et il sera vaincu
quelle que soit l'évolution de la guerre. La semaine dernière a marqué l'achèvement
de 100 jours d'invasion de l'Ukraine par la Russie. La guerre ne se termine pas en
une semaine, comme l'on avait prédit, et ses conséquences seront considérables.
Pour la plupart des lecteurs, l'Ukraine est un pays lointain. Pour moi, c'est un
quartier familier. Mes parents ont émigré il y a de nombreuses années, de sa
région la plus occidentale, près de la frontière roumaine. La famille de ma mère
est originaire de Tchernowitz, celle de mon père de Khotyn et de Kamenetz
Podolsk (je l'écris avec une transcription phonétique, ces noms ont changé
d'orthographe dans les quatre langues dominantes ces derniers temps : l'allemand,
le roumain, le russe et bien sûr l'ukrainien). Mon grand-père a vécu dans sa
jeunesse à Odessa et y a appris le métier de savonnier. Ma grand-mère se
souvenait des saisons avec les récoltes et leurs confitures et cornichons
respectifs. Elle nous a enseigné à manger de l'avocat sucré, car il a le même goût
que les noix vertes de la " vieille maison " (C39).

11
L'Imaginaire de la guerre | 147

L'imaginaire de l'analyste international


C'est une guerre de résistance. "Pendant ce temps, selon le Guardian,
Poutine, même s'il gagne toutes les batailles, est en train de perdre la guerre. Il
se heurte à une résistance inattendue en Ukraine et à un esprit combatif croissant
au sein de la population. Comme les Américains l'ont appris en Irak et en
Afghanistan, il est beaucoup plus facile de conquérir un pays que de le dominer.
"Il devient de jour en jour plus clair que le pari de Poutine - une invasion
militaire et le placement d'un gouvernement de marionnettes (fantoche) - échoue
face à la résistance ukrainienne". (C13)
Une guerre que Poutine perd sur trois fronts. "Au milieu des souffrances
humaines indicibles de la population ukrainienne, l'invasion russe criminelle
se poursuit sans que personne ne puisse définir, malgré des pourparlers de
"paix" insubstantiels, quand elle prendra fin et avec quelles conséquences.
L'excellente section internationale de ce journal couvre au jour le jour cette
guerre sans fin, qui trouve son origine dans le mensonge. Cet argument
consacre Poutine comme l'ennemi du communisme. En effet, certains porte-
parole du parti communiste russe (dans l'opposition) se sont prononcés contre
l'invasion de l'Ukraine. Mais en même temps, il est opportun de dissocier Poutine
de toute position idéologique liée à la gauche. L'un des intellectuels de gauche les
plus respectés au monde, Noam Chomsky, n'a pas hésité à qualifier l'action de
Poutine en Ukraine de "crime de guerre, au même titre que l'invasion de la
Pologne par Hitler en septembre 1939". "Pour l'instant, on peut tirer quelques
conclusions: Poutine est en train de perdre la guerre sur trois fronts : sur le plan
économique, avec un isolement qui entraîne une fragilité interne croissante - les
oligarques l'ont abandonné; sur le plan militaire, avec une invasion qui ne se
déroule pas comme il l'avait prévu en raison de la résistance des Ukrainiens après
plus de deux semaines; et sur le plan géopolitique, avec un isolement international
total et une position "tiède" de son prétendu allié, la Chine, qui s'est déjà abstenue au
Conseil de sécurité de l'ONU quant l’invasion de l'Ukraine par la Russie." (C16)
Une guerre aussi contre les fake news. " Poutine est plus menacé que jamais :
militaires, oligarques et bureaucrates, les trois piliers du Kremlin. Ce qui a été
découvert dimanche dernier dans le village de Buchan, près de Kiev, avec des
centaines de cadavres laissés par les forces d'invasion russes, des civils abattus
d'une balle derrière la tête et menottés, des personnes abattues alors qu'elles
circulaient à bicyclette, des corps brûlés et à moitié enterrés dans des fosses
communes, etc., ne laisse guère de doute sur le fait que des crimes de guerre et des
crimes contre l'humanité sont perpétrés en Ukraine. Plus tôt, à Mariupol, nous
avons assisté au bombardement d'un théâtre où 1.300 personnes étaient
entassées et où le mot "Deti" (enfants) avait été écrit en gros caractères
cyrilliques tout autour du théâtre. P.S. Vérité. La guerre entre la Russie et
l'Ukraine, qui touche le monde entier d'une manière ou d'une autre, accroît le
flot de fake news et de manipulations. C'est pourquoi l'initiative de l'Agence EFE,
avec le portail "Maldita.es", de les démonter, et qui, en association avec un réseau

12
148 | SYMBOLON 16

de plus de 100 vérificateurs dans le monde, a créé la base de données


#UkraineFacts, est louable. Ce qui est inacceptable, c'est la décision de la
présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, d'interdire la
diffusion des médias russes, en contradiction avec les règles internationales sur la
liberté d'expression et d'information ; ce serait une sorte de signe que les autorités
européennes ont le droit exclusif à la vérité et à la raison et le droit de censurer".
(C31)
La guerre entraîne une crise humanitaire. Plus de 50 jours après
l'invasion criminelle de l'Ukraine par la Russie, nous sommes les témoins
quotidiens de la souffrance d'une population soumise à des crimes contre
l'humanité. Mais les retombées de cette guerre auront également des effets
graves et imprévisibles dans des régions éloignées du conflit. Elle a déjà de tels
effets en matière d'énergie. Mais de manière plus décisive, la planète est
menacée par une crise alimentaire sans précédent, étant donné que les deux pays
belligérants sont des producteurs essentiels de céréales et d'engrais pour le
monde entier et qu'ils sont aujourd'hui bloqués ou soumis à des hausses de
prix brutales. La FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et
l'agriculture) n'hésite pas à annoncer qu'une "crise alimentaire mondiale" est
imminente. L'impact de la guerre ukrainienne sur l'économie mondiale est
ressenti par des dizaines de pays, dont certains sont déjà frappés par la pire
sécheresse depuis 40 ans, qui dépendent des céréales en provenance d'Ukraine et
de Russie, les deux États qui fournissent 24 % de l'approvisionnement mondial
en blé, 32 % de l'orge et 17 % du maïs. Pour donner un exemple, la moitié du blé
distribué par le Programme Alimentaire Mondial pour les situations d'urgence
dûes à la guerre ou aux catastrophes naturelles provient d'Ukraine, de Russie et
du Belarus (ce dernier étant un fidèle allié de la Russie)". (C33)
Il s'agit de la guerre nucléaire : "un risque sérieux et réel". "La
situation s'est compliquée et constitue une menace imminente dans le conflit
russo-ukrainien. La phrase qui fait le titre de cet article n'appartient pas à un
quelconque communicateur sensationnaliste. Elle émane du chancelier de la plus
grande puissance nucléaire du monde et a été prononcée il y a quelques jours
seulement. De loin, les pronostics d'importants analystes peuvent être
enregistrés dans le même sens. Pour le directeur du Public Policy Center,
Vicenç Navarro, "depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, nous n'avons
jamais vu une situation aussi proche de la guerre nucléaire que maintenant".
Pour sa part, l'important historien anglais Niall Ferguson, auteur de "Disaster:
The History and Politics of Catastrophe" (débat), estime que "le danger que la
Russie utilise des armes nucléaires est très réel". Mais surtout, le danger d'un
renforcement de l'arsenal nucléaire mondial lié au conflit en Ukraine est bien réel.
Des sources militaires haut placées à Washington ont déjà annoncé que si
quelqu'un utilise des armes nucléaires tactiques, les États-Unis répondront de
manière stratégique (réponse atomique de la plus haute intensité) et non tactique,
car il s'agit d'une ligne rouge qui n'a pas été franchie depuis 1945. La guerre
L'Imaginaire de la guerre | 149

nucléaire est à l'ordre du jour. Les vieilles paroles du sage Albert Einstein sont
rappelées ces jours-ci : "Je ne sais pas quelles armes seront utilisées dans la
troisième guerre mondiale, mais je peux vous dire ce qui sera utilisé dans la
quatrième guerre mondiale: les pierres. (C35)
La guerre en Ukraine et d'autres guerres. "La guerre provoquée par
l'invasion criminelle de l'Ukraine par la Russie a déclenché une mobilisation
internationale, un soutien humanitaire et militaire au peuple ukrainien, et un élan
général de solidarité internationale. Cela est compréhensible dans la mesure où il
s'agit d'une action cruelle et injuste contre un peuple souverain et parce qu'il s'agit
d'un conflit qui menace la sécurité mondiale. Ce qui est plus difficile à
comprendre, c'est que ce conflit occulte la conscience universelle d'autres
guerres dans le monde d'aujourd'hui, avec beaucoup plus de victimes et des
souffrances humaines indescriptibles, qui ne reçoivent pas la solidarité
internationale et l'attention qu'elles nécessiteraient. " (C36)
Une guerre à la dérive. "Concernant la dérive du conflit russo-
ukrainien, raison de l'adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN, les
dernières déclarations du secrétaire américain à la Défense représentent un
changement de stratégie. Pour le diplomate espagnol chevronné Jorge Dezcállar :
"L'objectif des Américains n'est pas tant de défendre ou de soutenir les
Ukrainiens, mais de les utiliser pour affaiblir la Russie. Nous nous dirigeons vers
une longue guerre d'usure, où les risques vont augmenter pour tous. Et il existe
une fine ligne rouge qui peut être franchie à tout moment et conduire à une
conflagration majeure'". (C37)
La guerre, c'est la faim. "Selon les sources de la FAO (Organisation des
Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture), le système alimentaire
mondial menace de s'effondrer. Le nombre de personnes menacées par la famine
augmente à un rythme alarmant au cours de 2022. Le secrétaire général des
Nations Unies, António Guterres a averti que le monde est confronté à la faim à une
échelle sans précédent. Des cycles sont prévus au cours desquels de nombreuses
régions de la planète seront déstabilisées par elle, avec des répercussions
imprévisibles. Après la pandémie, qui a révélé la fragilité du système
alimentaire mondial, les conséquences de la guerre en Ukraine risquent d'être
dévastatrices, notamment la violence et les migrations incontrôlées." (C41)
Une guerre de drones, nouvelles formes de guerre au 21ème siècle. La
fabrication de ces appareils de guerre augmente, et pas seulement aux États-Unis. Ils
sont les nouveaux et protagonistes mortels des guerres dans diverses parties du
monde. Des avions sans pilote qui, à une vitesse et une altitude donnée, sont
dirigés par quelqu'un, à grande distance, qui appuie sur le bouton de
bombardement lorsqu'il considère qu'ils sont au-dessus de leur cible.
Logiquement, elle ne fait pas de distinction entre civils et militaires,
combattants et personnes pacifiques. Selon la prestigieuse Amnesty
International, au moins 20% des victimes de ces appareils sont des civils innocents.

14
150 | SYMBOLON 16

Dans les prochains jours, les drones vont jouer un grand rôle dans la guerre en
Ukraine (C42).

L'imaginaire de l'ingénieur et de l'entrepreneur


Une guerre à la Pyrrhus et une épidémie de russophobie. "Comme l'ont
dit Yuval Harari et d'autres analystes, même si Poutine atteint ses objectifs, la
Russie a déjà perdu la guerre. Ce sera une victoire à la Pyrrhus, dans tous les
sens du terme: un triomphe qui laisse le vainqueur si abattu qu'il aurait mieux
fait de ne pas gagner. Même si la Russie ne subit pas de contreattaque sur son
territoire qui lui ferait connaître la mort et la dévastation qu'elle sème en
Ukraine, les sanctions économiques que le monde lui a imposées sont
suffisamment sévères pour l'affaiblir de l'intérieur. Ses souffrances ne seront pas
comparables à celles de l'Ukraine, bien sûr, mais elles laisseront des séquelles
durables. L'une d'entre elles sera une épidémie de russophobie qui marquera
l'attitude du monde envers cette nation pendant une grande partie de ce siècle.
Considérez l'héritage que Hitler a laissé à l'Allemagne après la guerre: un
déshonneur qui, bien des années plus tard, entache encore la vie de ceux qui n'ont
rien à voir avec le nazisme. Il a fallu plusieurs décennies, la formation de l'Union
européenne et la transformation de l'Allemagne belliciste en une république
réunifiée fanée, pour que le déshonneur commence à s'effacer."(C18)
Une guerre qui conduit à des réajustements écologiques et
environnementaux. "Le prochain pilote de la nation doit naviguer avec précaution
dans les turbulences laissées par la guerre en Europe. Outre le tort considérable
causé à des millions d'Ukrainiens, l'invasion russe aura des répercussions
considérables sur le reste du monde. L'une d'elles sera le réajustement de
nombreuses politiques vertes en Europe et aux États-Unis, comme l'a expliqué le
professeur Moises Wasserman dans ces pages. Maintenant que la Russie, principal
fournisseur de gaz de l'Europe, est la cible d'un boycott économique
mondial, plusieurs pays reconsidèrent l'exploration par fracturation
(fracking) et la combustion de charbon pour produire de l'électricité. La guerre
aura donc un effet domino sur les prix de nombreux articles, tels que le pain, les
pâtes, l'huile de cuisson et toutes les préparations qui en sont dérivées, ainsi que les
concentrés utilisés pour engraisser les animaux. Pour ne rien arranger, dans
certaines régions, le prix de la nourriture est également monté en flèche. Au
Royaume-Uni, les familles pauvres bénéficiant des banques alimentaires refusent
des légumes tels que les pommes de terre, les carottes et les patates douces en
raison du coût énergétique de leur cuisson. La Colombie ne sera pas épargnée par
les conséquences économiques de la guerre. Les entreprises locales subissent
déjà les effets de l'augmentation des coûts des intrants et de l'énergie au niveau
mondial. Les métaux tels que le cuivre et l'acier, indispensables à la construction
et à l'industrie, s'envolent. Et, comme cela s'est produit si souvent dans l'histoire,
l'augmentation des prix des denrées alimentaires - littéralement le prix du pain,
dans ce cas - peut conduire à des protestations et à l'instabilité politique, en
L'Imaginaire de la guerre | 151

particulier lorsque nous sortons d'un contexte d'aggravation de la pauvreté en


raison de la pandémie". (C26)

L'imaginaire du philanthrope et milliardaire George Soros


C'est la troisième guerre mondiale. L'invasion de l'Ukraine par la Russie le
24 février a donné le coup d'envoi d'une troisième guerre mondiale qui pourrait
détruire la civilisation. L'invasion a été précédée d'une longue rencontre entre le
président russe Vladimir Poutine et son homologue chinois Xi Jinping le 4
février, date du début des célébrations du Nouvel An lunaire chinois et des Jeux
Olympiques d'hiver à Pékin. À l'issue de la réunion, les deux hommes ont publié
un document de 5.000 mots soigneusement rédigé, annonçant une alliance
étroite entre les deux pays. Le document est plus fort que n'importe quel traité et
a sûrement nécessité des négociations détaillées au préalable. Poutine n'est plus la
personne astucieuse qu'il était en tant qu'agent du KGB. Il a maintenant perdu le
contact avec la réalité. Le fait que Xi ait donné à Poutine une carte blanche
apparente pour l'invasion et la guerre contre l'Ukraine m'a pris par surprise. Il doit
être certain que sa confirmation en tant que dirigeant à vie de la Chine, dans
quelques mois, n'est qu'une simple formalité. Ayant concentré tous les pouvoirs
entre ses mains, Xi a soigneusement préparé le terrain pour s'élever au niveau de
Mao Zedong et de Deng Xiaoping. Avec le soutien de Xi, Poutine a entrepris de
réaliser son rêve avec une brutalité incroyable. À l'approche de ses 70 ans, il
estime que s'il doit laisser une trace dans l'histoire de la Russie, c'est maintenant
ou jamais. Mais son idée de la place de la Russie dans le monde est déformée. Il
semble croire que le peuple russe a besoin d'un tsar à suivre aveuglément. Cette
idée est à l'opposé d'une société démocratique et dénature l'"âme" russe, qui est
émotionnelle jusqu'au sentimentalisme. "(C19)

L'imaginaire des économistes


C'est une guerre qui frappe l'économie mondiale. "J'écris cet article
deux semaines après le début de la guerre en Ukraine. Les bombardements
russes se poursuivent, et déjà deux millions d'Ukrainiens ont fui leur pays. Les
sanctions économiques continuent d'isoler la Russie et son économie implose.
Mais l'Occident en ressent également les effets. Le prix international du pétrole
est désormais supérieur à 110 dollars - mais a frôlé les 150 dollars le
baril - et le maïs, le blé et l'orge atteignent de nouveaux sommets. L'inflation
mondiale, qui devait être transitoire, dépendra de l'évolution de cette nouvelle
crise. S'il y a deux ans, il était dit que la pandémie entraînerait des changements
sociaux et économiques majeurs, il est clair que les actions de la Russie ont
ébranlé un ordre international qui, sans être exempt de tensions, était censé
stable et qui irradie aujourd'hui ses effets économiques aux quatre coins de la
planète. L'incertitude concernant l'avenir immédiat, proche et lointain est
indéchiffrable. Personne ne peut visualiser ce à quoi ressemblera le monde post-
pandémie et post-guerre entre la Russie et l'Ukraine dans six mois, un, cinq ou
152 | SYMBOLON 16

dix ans. Le risque de guerre nucléaire existe. Nous sommes sur la route de
l'inconnu, et nous espérons que ce ne soit pas l'enfer. C'est le prix que le monde
doit payer pour défendre la liberté, l'autodétermination des peuples, l'ordre et la
paix. Pour la lutte entre la "tyrannie irrédentiste" et la démocratie libérale.
L'Europe et les États-Unis se souviennent de l'horreur causée par un autocrate
déséquilibré pendant la Seconde Guerre Mondiale. C'est pourquoi, comme l'écrit
Martin Wolf dans le Financial Times, même si toutes les options pour traiter
avec la Russie sont coûteuses, nous devons aller de l'avant". (C17)
Une guerre à la durée incertaine. "Le temps passe vite : il y a un mois,
l'invasion de l'Ukraine a eu lieu et une guerre à la durée incertaine a commencé.
Quant à ses effets, personne n'en doute. Quatre millions de réfugiés, soit un
dixième de sa population; les chiffres sont impitoyablement gonflés ou
dégonflés par l'un ou l'autre, mais on dénombre plusieurs milliers de morts, dont
des civils et des militaires russes et ukrainiens, et des dizaines de milliers de
blessés; Le bombardement par les troupes russes de centres commerciaux,
d'hôpitaux, d'écoles et d'immeubles familiaux se poursuit sans relâche; les villes
sont assiégées par la famine et les chars d'assaut; la montée en flèche des prix de
l'énergie et l'augmentation consécutive du coût des engrais et des denrées
alimentaires; l'interruption du plus important projet d'approvisionnement en gaz
de la Sibérie vers l'Allemagne. Il y a des protestations en Russie. Heureusement,
des négociations sont déjà en cours pour éviter une troisième guerre. Et la
quatrième sera une guerre avec des bâtons et des pierres, comme l'a dit
récemment Poutine, en rappelant Einstein. Que le Vatican, l'ONU, la Chine ou
les Etats-Unis parviennent à arrêter la guerre est la chose la moins importante :
la détérioration de la situation mondiale s'accélère et est dangereuse" (C27).
La guerre est une crise géopolitique et économique. "Le monde connaît une
grave crise géopolitique dont les effets économiques à court et à long terme sont
importants. Le monde connaît peut-être la pire crise depuis la Seconde Guerre
Mondiale. L'invasion de l'Ukraine par la Russie est extrêmement grave en
termes géopolitiques et peut avoir des effets économiques à long terme. Les
effets à court terme sont également graves, mais ils s'ajoutent aux tendances
négatives qui étaient devenues évidentes les années précédentes. Sur le plan
économique, les problèmes générés par l'invasion comprennent la pénurie de
nombreux produits de base, notamment le pétrole et le gaz, les engrais, divers
produits agricoles (blé, maïs et orge notamment) et certains métaux. Plusieurs
pays européens ont été particulièrement touchés par des problèmes
d'approvisionnement en gaz, et le monde entier par des problèmes de produits
agricoles et d'engrais, ce qui a fait parler d'une crise alimentaire. Certains
analystes ont déclaré que c'était la fin de la mondialisation, mais cette
affirmation est exagérée. Ce qu'elle a généré, ce sont de fortes répercussions sur le
commerce mondial et l'activité économique (un point de pourcentage de croissance
en moins, selon l'OCDE), ainsi que la pire inflation mondiale depuis un demi-
L'Imaginaire de la guerre | 153

siècle. Et les objectifs de décarbonisation seront reportés, avec des effets


négatifs sur le changement climatique." (C32)

Conclusion
Pourquoi est-il important d'enquêter sur les imaginaires de la guerre en
Ukraine dans un pays comme la Colombie ? Un ensemble de raisons peuvent
être avancées: (1) la pertinence du concept et de sa démarche d'étude pour
analyser des phénomènes et des comportements sociaux aussi complexes que le
conflit en Ukraine est réitérée ; (2) comprendre et décrire les créations humaines,
dans ce cas la guerre, entraine de prendre en compte des contenus
imaginaires, symboliques et émotionnels qui sont diffusés par la presse écrite
et digitale; (3) se tourner vers les imaginaires pour représenter la guerre en
Ukraine dans la presse colombienne remarque la référence nécessaire à la
condition du monde dans lequel nous vivons. C'est un monde dans lequel le
processus de mondialisation se manifeste à un rythme accéléré parallèlement à la
dynamique de localisation nationale et régionale. Nous assistons à un
processus à plus grande échelle où ce qui se passe dans un espace national,
régional et géopolitique apparemment si éloigné de la Colombie nous affecte
en tant que citoyens et individus; (4) les imaginaires établis dans l'étude des
articles de presse du quotidien colombien « El Tiempo » se comprennent mieux
dans le cadre d'une tension entre deux tendances - l'intégration et la localisation -
qui se traduit, comme nous l'avons vu plus haut, par le terme de glocalisation, défini
par Roland Robertson (2003) comme la présence et l'action simultanées de
tendances universelles et de tendances particulières, dans ce cas régionales et
nationales; et (5) la riche variété méthodologique qui caractérise les études sur les
imaginaires a permis de choisir une méthode d'analyse de contenu d'un "corpus"
d'articles de presse significatifs et appréciés dans le contexte colombien sur le
conflit en Ukraine.

Références
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Annexe
Corpus de l’étude
Articles d’opinion dans le quotidien colombien "El Tiempo". 24 février - 14 juillet 2022


d’arti
cle de Date Titre Auteur et activité Lien
press
e

“Le monde où l’on Eduardo Posada Carbó. Mundoenelquevivimo


24 février,
C1 vit” Historien s
2022

“Leçon de Francisco Santos. LeccionesdeUcrania


24 février,
C2 L’Ukraine” Journalist et homme
2022
politique

C3 25 février, “¡Hors d’ici Poutine!” Luis Noé Ochoa. Journaliste FueraPutín


2022

C4 26 février, “L’Ukraine et le bruit Santiago Vargas Acebedo. UcraniaEspeluznante


2022 effrayant de la Journaliste Certeza
certitude "

C5 27 février, "L’antéchrist " Paola Ochoa. ElAnticristo


2022 Journaliste et économiste

C6 27 février, "Guerre entre Melba Escobar. Romancière GuerraentreMachos


2022 machistes"

C7 1 mars 2022 “¡Tic-tac! Le cicle est Alejandro Riveros González. TicTac


répété” Conseiller en communication

C8 1 mars "Le peuple russe ne Poncho Rentería. Journaliste LasGentesdeRusia


2022 soutient pas cette
barbarie"

C9 1 mars 2022 "Vladimir vs Vladdo. Vladimir Flórez. VladimirvsVladimir


‘Vladimir’" Journaliste et caricaturiste
156 | SYMBOLON 16

C10 2 mars 2022 " La Russie et un Sergio Ramírez. Romancier RusiaYunSocio


partenaire obséquieux
"

C11 3 mars 2022 “Retour de l’histoire” Eduardo Posada Carbó. RegresosdelaHistoria


Historien

C12 3 mars 2022 "Pyrrhus et Poutine" Moisés Wasserman. PirroyPutín


Chimiste, et exrecteur de
l’Universidad Nacional de
Colombia

C13 5 mars 2022 " Ukraine : Antonio Albiñaba. UcraniaIncertidumbre


incertitude et Journaliste et analyste yDecisiones
décisions à haut internationale.
risque "

C14 6 mars 2022 " La cyberguerre au Diego Santos. Journaliste et LaCiberguerraUcrani


milieu de la guerre commentateur de médias a
contre l’Ukraine " digitales

C15 9 mars 2022 "Chercher refuge" Diana Pardo. BuscarRefugio


Communicatrice sociale

C16 10 mars 2022 " Mensonges et Antonio Albiñaba. MentirasyErroresZar


erreurs du "tsar" Journaliste et analyste Vladimir
Vladimir" international espagnole

C17 11 mars 2022 "¿ Vers l’inconnu ?" Carlos Caballero Argáez. RumboAloDesconoci
Économiste do

C18 12 mars 2022 " Exhumation de Thierry Ways. Ingénieur ExhumandoaMc


McCarthy " système et entrepreneur

C19 14 mars 2022 " Vladimir Poutine et George Soros. Investisseur et RiesgoTerceraGuerra
le risque de la philanthrope milliardaire
troisième guerre
mondiale "

C20 14 mars 2022 " Invasion russe de Pedro Javier Rojas Guevara. InvasiónRusaaUcrani
l’Ukraine : aller à la Conseiller en stratégie a
guerre pour maintenir militaire et sécurité
la paix?"

C21 19 mars 2022 " Poutine a choisi la Philip Goldberg. PutinEligióLaGuerra


guerre " Ambassadeur des États-Unis
en Colombie

C22 22 mars 2022 " Russie : un hybride Sonia Gómez Gómez. RusiaUnHibridoFatal
L'Imaginaire de la guerre | 157

fatal" Journaliste.

C23 22 mars 2022 " Totalitaires avec Enrique Krauze. Historien et TotalitariosconPutin
Poutine " essayiste mexicain.

C24 23 mars 2022 “Balada triste” Diana Pardo. BaladaTriste


Communicatrice sociale

C25 24 mars 2022 " Guerre, Moisés Wasserman. GuerraAlimentosEner


alimentation et Chimiste, et exrecteur de gía
énergie " l’Universidad Nacional de
Colombia

C26 26 mars 2022 " Zone de turbulence Thierry Ways. Ingénieur ZonaTurbulencia
" système et entrepreneur

C27 26 mars 2022 "Hors de l’Ukraine" Luis Carlos Villegas. Avocat, FueradeUcrania
économiste, ancien ministre
de la défense de la Colombie,
diplomate.

C28 28 mars 2022 "Comme une routine Fernando Quiroz. Écrivain et Como Una Rutina
“ journaliste

"

C29 4 avril 2022 “Honneur et honte” Eduardo Escobar. Poète, HonoryVerguenza


essayiste et écrivain

C30 6 avril 2022 " La tragédie en Fernando Montes Negret. LaTragediaUcrania


Ucrania, pour moi, Économiste
est personnelle "

C31 7 avril 2022 "¿ Poutine sur le banc Antonio Albiñaba. PutínenelBanquillo
des accusés de crimes Journaliste et analyste
de guerre?" international espagnole

C32 9 avril 2022 " La crise mondiale José Antonio Ocampo. LaComplejaCrisisMu
complexe " Économiste, actuel Ministre ndial
des finances de la Colombie,
ancien Directeur de la
CEPALC.

C33 17 avril 2022 " Dommages Antonio Albiñana. DañosColaterales


collatéraux de la Journaliste et analyste
guerre en Ukraine" international espagnole

C34 25 avril 2022 " Sonne un piano " Fernando Quiroz. écrivain et SuenaUnPiano
158 | SYMBOLON 16

journaliste

C35 30 avril 2022 " Guerre nucléaire : Antonio Albiñaba. GuerraNuclear


'Un risque grave et Journaliste et analyste
réel'" international espagnole

C36 14 mai 2022 " Guerres ignorées au Antonio Albiñaba. GuerrasIgnoradas


XXIe siècle " Journaliste et analyste
international espagnole

C37 19 mai 2022 " Peur de la Russie " Antonio Albiñana. MiedoaRusia
Journaliste et analyste
international espagnole

C38 4 juin 2022 " Un pari pour la paix Lan Hu. Embajador de la UnaApuestaporlaPaz
et le développement " República Poular de China
en Colombia

C39 9 juin 2022 "100 jours de guerre" Moisés Wasserman. 100DíasGuerra


Chimiste, et exrecteur de
l’Universidad Nacional de
Colombia

C40 25 juin 2022 " Vers un réarmement Antonio Albiñaba. HaciaElRearmeUnive


universel " Journaliste et analyste rsal
international espagnol

C41 30 juin 2022 " Faim dans le monde Antonio Albiñaba. HambreenelMundo
du XXIe siècle " Journaliste et analyste
international espagnole

C42 14 juillet 2022 " Drones : Nouvelles Antonio Albiñaba. DronesGuerra


formes de guerre au Journaliste et analyste
XXIe siècle " international espagnol
L'Imaginaire de la guerre | 159

Centre de Recherches sur l’Imaginaire


et la Rationalité « Mircea Eliade »

Centre de Recherches sur l’Imaginaire et la Rationalité « Mircea Eliade » (fondé


le 4 novembre l998 à l‘Université de Craiova dans la présence de Jean-Jacques
Wunenburger, Maryvonne Perrot, Jocelyne Perard et Ramona Boca-Bordei de
l’Université de Dijon) est une formation pluridisciplinaire qui organise des
séminaires, des colloques sur l’imaginaire et la rationalité, sur les problèmes de
la création et de la réception des œuvres philosophiques, artistiques et
scientifiques. Le présent centre se trouve en relation de collaboration avec le
Centre « Gaston Bachelard » de l’Université Bourgogne, Dijon, l’Institut de
Recherches Philosophiques, Université Jean Moulin, Lyon III, AAGD –
Chambery, AIGB-Dijon, CRI2I Lyon III, l’Observatoire Européen du
Plurilinguisme de Paris et d’autres centres de recherches sur l’imaginaire.

Directeur : Professeur de philosophie Ionel Buse, Université de Craiova


Présidents d‘honneur: Professeur Jean-Jacques Wunenburger, l’Institut de
Recherches Philosophique Université de Lyon III, professeur Ramona Boca-
Bordei, Université de Bourgogne, Dijon, professeur Gheorghe Vladutescu,
l’Academie Roumaine et l’Université de Bucarest.

Coordonnateurs de programmes et de publications :


Imaginaire et rationalité : Ionel Buse - Symbolon et Cahiers « Mircea Eliade »
La philosophie de la science : Catalin Stanciulescu - Logos
L’imaginaire du surréalisme : Ioan Lascu - Cahiers du surréalisme
George Popescu - L’imaginaire romantique
Geo Constantinescu - L’Imaginaire hispanique
Traductions : Ioan Lascu, Geo Constantinescu, George Popescu, Lazar Popescu.

L’équipe de recherches : Ionel Buse, Ioan Lascu, Catalin Stanciulescu, Roxana


Ghita, Catalin Ghita, Geo Constantinescu, George Popescu, Andreea Iliescu.
Collaborateurs : Stefan Melancu, Marian Buse, Ion Hirghidus, Sabin Totu, Laura
Codrina Ionita.

Le comité scientifique international : Jean-Jacques Wunenburger, Maryvonne


Perrot, Ramona Boca-Bordei, Jean Libis, Bruno Pinchard, Francesca Bonicalzi,
Pierre Guénancia, Dragomir Costineanu, Sorin Alexandrescu, Eric Emery,
Giselle Vanhese, Jean Gayon, Pilar Perez, Alberto Felipe Araujo, Renato Bocali,
Jean-Pierre Sirroneau, Anna Caiozzo, Blanca Solares, Daniele Rocha Pitta, Jean-
Luc Narbone, Jacques Thiers.

Thèmes abordés en 1998 -1999


Séminaires : L‘herméneutique symbolique des contes des fées, Ionel Buse ;
160 | SYMBOLON 16

Bachelard et la poïétique, Irina Mavrodin ;


Mythos et logos, Ion Ceapraz ;
Structures archétypales dans la dramaturgie de Mircea Eliade, Gratiela
Popescu ;

Parutions 1998
Jean-Jacques Wunenburger, La vie des images (trad. roum. par Ionel Buse), Ed.
Cartimpex, Cluj, 1998 ;

Thèmes abordés en 1999-2000


Séminaires : Mythe et symbole dans la prose fantastique de Mircea Eliade, Ionel
Buse
La phénoménologie de l’icône, Marian Buse ;
L’impact de la littérature française d’après-guerre dans l’espace roumain, Ioan
Lascu ;

Thèmes abordés en 2000-2001


Séminaires : L’impact de la critique littéraire française sur la critique littéraire
roumaine, Sonia Cuciureanu ;
Mircea Eliade et le nouvel humanisme, Ionel Buse ;
Colloque : Aspects du mythe (11-12 juin, 2001, sous la dir. de Ionel Buse);
Partcipants: Dragomir Costineanu, Ioan Lascu, Marian Buse, Gheorghe
Vladutescu, Ion Ceapraz, Sonia Cuciureanu, Catalin Stanciulescu, Stefan
Melancu, Ion Hirghidus, Horia Dulvac.

Parutions 2000
Jean Libis, L’eau et la mort (trad. roum. par Laurentiu Ciontescu- Samfireag),
Ed. Cartimpex, Cluj, 2000 ;
Jean-Jacques Wunenburger, Le sacré, (trad. par Mihaela Calut), Ed. Dacia, Cluj,
2000 ;
Jean-Jacques Wunenburger, L’homme politique (trad roum. par Mihaela Calut),
Ed. Alfa Pres, Cluj, 2000 ;
Ionel Buse, L’herméneutique symbolique des contes des fées, Ed Alfa Pres, Cluj,
2000.

Thèmes abordés en 2001-2002


Seminaires : Le retour du mythe et le nouveau paradigme de la rationalité, Ionel
Buse ;
L’imaginaire d’Albert Camus, Ioan Lascu ;
Archétype et image chez Gilbert Durand et Lucian Blaga, Marian Buse.
La postérité critique de Mircea Eliade, Gheorghe Vladutescu.
Colloque : La double vocation de Mircea Eliade (sous la dir. de Ionel Buse) 18-
19 mars; Participants: Gheorghe Vladutescu, Dragomir Costineanu, Ion Ceapraz,
L'Imaginaire de la guerre | 161

Ioan Lascu, Catalin Stanciulescu, Ion Hirghidus, Geo Constantinescu, Marian


Buse, Horia Dulvac, Stefan Melancu, Cosmin Dragoste.

Parutions 2001
Aspects du mythe (sous la dir. de Ionel Buse) nr. 1 Symbolon, Ed. Universitaria,
Craiova, 2001;
Approches poétiques (sous la direction de Irina Mavrodin), nr. 1, Ed. Scrisul
Romanesc, Craiova, 2001 ;
Conférence : Jean-Jacques Wunenburger, Philosophie et pensée visuelle, 19 avril
2002, Université de Craiova, Centre « Mircea Eliade ».

Parutions 2002
Cahiers Mircea Eliade nr.1 (sous la dir. de Ionel Buse), Ed Universitaria,
Craiova, 2002;
Approches poétiques (sous la dir. de Irina Mavrodin), nr. 2, Ed. Universitaria,
Craiova, 2002;
Dana-Marina Dumitriu, Metafora culinara în expresiile franceze, (La métaphore
culinaire dans les expressions françaises), Ed. Aius, Craiova, 2002 ;
Symbolon nr. 2 Imaginaire du politique (s. la dir. de Ionel Buse) Universitaria,
2002.

Thèmes abordés en 2002-2003


Séminaire: Mircea Eliade et la politique, Centre « Mircea Eliade », le 13 mars
2003.
Conférence: Jean-Jacques Wunenburger, Imaginaire et rationalité 2, Centre
« Mircea Eliade », le 6 juin, 2003.
Séminaire : L’écriture plurilingue, Centre Mircea Eliade, 16 oct. 2003.
Séminaire : L’imaginaire féminin, Centre Mircea Eliade, le 27 novembre 2003.

Parutions 2003
Logos (s. la dir. de Ion Ceapraz et Catalin Stanciulescu), Universitaria, 2003 ;
Cahiers du surréalisme (s. la direction de Ioan Lascu), Universitaria, 2003 ;
Ionel Buse, Logica pharmakon-ului (La logique du pharmakon), Paideia,
Bucarest, 2003 ;
Dana-Marina Dumitriu, Ça tombe comme à Gravelotte (Expressions françaises
avec des noms propres), Ed. Aius, 2003.
Thèmes abordés en 2003-2004
Séminaire: L’imaginaire lusitain, Centre Mircea Eliade, 20 janvier 2004 ;
Conférence : Jean-Jacques Wunenburger, Imaginaire et rationalité 3, Centre
« Mircea Eliade », le 5 avril 2004 ;
Conférence : Gerard Sondag, L’image figurative, Centre « Mircea Eliade », le 6
avril, 2004.
162 | SYMBOLON 16

Parutions 2004
Carrefour des littératures nr.1 (s. la direction de Dana-Marina Dumitriu) Ed.
Universitaria, 2004 ;
Cahiers « Mircea Eliade » nr. 2 (s. la direction de Ionel Buse), Universitaria,
2004, Craiova ;
Ionel Buse, Métamorphoses du symbole. Figures de l’imaginaire dans la prose
fantastique de Mircea Eliade, Ed. Dacia, Cluj, 2004.

Thèmes abordés en 2004-2005


Conférence: Gheorghe Vladutescu, L’Imaginaire de Platon, Centre « Mircea
Eliade », le 10 novembre, 2004 ;
Conférence: Mircea Dumitru, Filosofia drepturilor omului, le 11 mars, 2005.
Conférence : Ionel Buse, Mythes politiques de l’Europe, Centre Mircea Eliade,
le 15 mars, 2005 ;
Conférence : Bruno Pinchard, Le pensée de R. Guénon, Centre « Mircea Eliade »
le 25 mai 2005 ;
Conférence: Jean-Jacques Wunenburger, Imaginaire et rationalité 4, Centre
Mircea Eliade, le 15 juin, 2005 ;
Séminaires : Kant et la philosophie des images, Centre « Mircea Eliade », le 20
novembre 2004 ;
Mircea Eliade et la postérité critique, Centre « Mircea Eliade », le 28 février
2005 ;
Les philosophes roumains et l’imaginaire, Centre « Mircea Eliade », le 12 mai,
2005.
Parutions 2005
Ionel Buse, Filosofia si metodologia imaginarului, Scrisul românesc, Craiova,
2005 ;
Jean - Jacques Wunenburger, Imaginariile politicului, Paideia, 2005, trad. de
Ionel Buse si Laurentiu Ciontescu Samfireag ;
Jean-Jacques Wunenburger, Ratiunea contradictorie, Paideia, 2005, trad. de
Dorin Ciontescu-Samfireag si Laurentiu Ciontescu-Samfireag ;
Thèmes abordés en 2005-2006
Colloque national Holisme, néopragmatisme et diversité culturelle, Centre
« Mircea Eliad »e, Université de Craiova, les 14 et 15 septembre, 2006.
Parutions 2006
Jean Pierre Sironneau, Milenarisme si religii moderne, Dacia, 2006, trad. de
Ioan Lascu ;
Ionel Buse, Introduction à la pensée roumaine, Université Lyon III, 2006 ;
L'Imaginaire de la guerre | 163

Thèmes abordés en 2006-2007


Séminaire: L’imaginaire de l’altérité, le 6 mars, 2007, s. la dir. de Ionel Buse,
Centre Mircea Eliade, Université de Craiova ;
Colloque international : Mircea Eliade et la pensée mythique », les 24 et 25 mai
2007, Université de Craiova (s. la direction de Ionel Buse et Jean-Jacques
Wunenburger), participants : Jean-Jacques Wunenburger, Jean Libis, Jean-
Pierre Sironneau, Sorin Alexandrescu, Bruno Pinchard, Alberto Filipe Araujo,
Joël Thomas, Maryvonne Perrot, Sonia Rovitto, Pilar Perez Camarero, Corin
Braga, Ionel Buse, Marius Ghica, Lorena Stuparu, Sabin Totu, Marian Buse,
Codrina Laura Ionita, Catalin Ghita, Catalin Stanciulescu, Adriana Neacsu,
Dorin Ciontescu-Samfireag, Andreea Andrei, Constantin Mihai, Gabriela
Boangiu, Edmond Defechereux.

Parutions 2007
Symbolon, nr. 3 Imaginaire et rationalité, Universitaria, Craiova, 2007 (s. la
direction de Ionel Buse et Catalin Stanciulescu) ;
Jean Libis, Prolegomene la o metafizica bachelardiana, Fundatia Alfa, Cluj,
2007, trad. de Dorin Ciontescu Samfireag ;
Maryvonne Perrot, Bachelard et la poétique du temps, Dacia, 2007, trad. de
Laurentiu Ciontescu-Samfireag si Dorin Ciontescu-Samfireag ;
Ionel Buse, Democratie en rouge caviar, Fundatia Alfa, Cluj, 2007 ;

Thèmes abordés en 2007-2008


Séminaires : La philosophie de Ion Petrovici, le 9 octobre 2007 (Centre « Mircea
Eliade », invités : Gheorghe Constantinescu, Catalin Stanciulescu, Cosmin
Dragoste, Vasile Salan, Ionel Buse, Ion Ceapraz, Savu Totu) ;
Constantin Noica et la pensée roumaine, le 4 décembre 2007 (Centre « Mircea
Eliade », invités : Ion Ceapraz, Ion Hirghidus, Catalin Stanciulescu, Ioan Lascu,
Gabriela Boangiu, Marian Buse, Sabin Totu, Ionel Buse) ;
Sur l’authenticité, le 16 juin, 2008 (Centre « Mircea Eliade », conférences :
Ionel Buse, Stefan Melancu, Ion Hirghidus, Dorin Ciontescu-Samfireag, Catalin
Stanciulescu).

Parutions 2008
Symbolon nr. 4, Mircea Eliade et la pensée mythique, s. la dir. de Ionel Buse et
Jean-Jacques Wunenburger, ISBN Université Lyon 3 ;
Ionel Buse, Du logos au mythos, L’Harmattan, Paris, 2008 ;

Thèmes abordés en 2008-2009


Conférences : Ionel Buse, L’anthropologie de l’imaginaire chez Gilbert Durand
et Mircea Eliade, Centre « Mircea Eliade », le 24 février 2008;
Jean-Jacques Wunenburger, L’imaginaire médical, le 20 juin 2009, Centre
« Mircea Eliade » ;
164 | SYMBOLON 16

Table ronde : Les amis de Constantin Noica, le 4 décembre 2009, Centre


« Mircea Eliade ».

Parutions 2009
Jean-Jacques Wunenburger, L’imaginaire, trad. en roumain par Dorin Ciontescu
Samfireag, Ed. Dacia, Cluj-Napoca ;
Marian Buse, Archetype et image chez Gilbert Durand et Lucian Blaga, EUC,
2009 ;
Ioan Lascu, Un aisberg deasupra marii. Eseu despre opera postuma a lui Ion D.
Sîrbu, EUC, 2009 ;
Symbolon nr. 5, L’imaginaire des orients, s. la dir. d’Ionel Buse et Jean-Jacques
Wunenburger, ISBN Université Lyon 3.

Thèmes abordes 2009-2010


Conférences : Mariana Zamfir, UAEMexic, La bioéthique aujourd’hui, le 24
mai 2010, Centre « Mircea Eliade » ;
Bruno Pinchard, Les méditations mythologiques, Librairie C’ARTE, le 25
septembre, 2010.

Parutions 2010
Bruno Pinchard, Méditations mythologiques, trad. en roumain par Dorin
Ciontescu Samfireag, Ed. Dacia, Cluj-Napoca ;
Symbolon nr. 6, L’imaginaire des catastrophes, s. la dir. d’Ionel Buse et Jean-
Jacques Wunenburger, ISBN Université Lyon 3 ;
Lazar Popescu, Intre Efes si Nazaret, Ed. Universitaria, 2010.

Thèmes abordés en 2010-2011


Colloque international : Interculturalité et intercommunication (en espagnol,
roumain, allemand). Programa del Encuentro Internacional entre la Universidad
de Craiova, CSIR „Mircea Eliade” y UAEMex, con la participacion de
UNIWien. Fechas: Lunes 30 mayo al viernes 3 de junio de 2011. Sede:
Universidad de Craiova. Comite Organizador: Ionel Buse, Geo Constantinescu,
Irma Garcia Lopez, Emma Gonzalez Carmona, Jana Pocrnja, Catalin
Stănciulescu, Mariana Zamfir.

Parution 2011
Symbolon 7, Centre « Mircea Eliade » et l’Université Lyon III, coordinateurs
Jean-Jacques Wunenburger et Ionel Buse, L’imaginaire des saisons et des
climats.
Thème abordés en 2011-2012
Seminaires : Bachelard – le témoignage reveur, Centre « Mircea Eliade », Ionel
Buse;
L'Imaginaire de la guerre | 165

Colloque : El horizonte epistémico y ético de la interculturalidad, 27 de junio


2012, s. la dir. de Mariana Zamfir, UAEM Mexic, Toluca, Ionel Buse et Catalin
Stanciulescu, Université de Craiova, Centre « Mircea Eliade ».

Parutions 2012
Symbolon 8, Bachelard : art, littérature, science, Centre « Mircea Eliade » et
l’Université Lyon III, coordinateurs Jean-Jacques Wunenburger et Ionel Buse
Holism, neopragmatism si diversitate culturala, coord. Ion Ceapraz et Catalin
Stanciulescu, Ed. Universitaria, 2012.

Thème abordés en 2012-2013


Conférences : Jean-Jacques Wunenburger, Centre « Mircea Eliade » : Gaston
Bachelard et l’homme intégral et Hyun –Sun Dang, L’Imaginaire coréen, le 2
oct. 2012 ;
François - Robert Girolami, professeur à l’Université Paris XII, La pensée
française des Lumières, ses influences sur les constitutions européennes, Centre
«Mircea Eliade», le 4 juin 2013 ;
Marco Antonio Jiménez Garcia, professeur à l’UNAM, Mexico, Alteridad e
imaginario prehispanico, Centre « Mircea Eliade », le 5 septembre 2013.

Parutions 2013
Ionel Buse, Mythes populaires dans la litterature fantastique de Mircea Eliade,
L’Harmattan, Paris, 2013.
Symbolon 9, L’imaginaire feminin. La femme et la feminité, Centre « Mircea
Eliade » et l’Université Lyon III, coordinateurs Jean-Jacques Wunenburger et
Ionel Buse
Ion Militaru, Critica ratiunii avare, Editura Academiei, Bucuresti, 2013.

Thème abordés en 2013-2014


Colloque international : La tradición de la ruptura, en el marco del aniversario
a cien años del natalicio de Octavio Paz, organisé par l’Université de Bucarest,
l'Université Nationale Autonome du Mexique, l'Université Autonome de l'État
du Mexique, l’Université de Craiova, Centre « Mircea Eliade », Bucarest, les 29
et 30 octobre 2014.

Parutions 2014
Symbolon 10, Mythologie de la violence, Centre « Mircea Eliade » et
l’Université Lyon III
Ionel Buse, Gaston Bachelard, la poétique d'une lecture, L'Harmattan, Paris,
2014;
Ionel Buse, Intellocrates, philosophes, ironistes, Ed. Ramuri, Craiova, 2014;
Ion Militaru, Nu-L cunosc pe acest om! Despre marea minciună și alte eseuri
morale, Editura Academiei Române, 2014;
166 | SYMBOLON 16

Ioan Lascu, Ion D. Sîrbu aşa cum a fost. Convorbiri despre Gary, Editura
Ramuri, Craiova, 2014.

Thème abordés en 2014 - 2015


Colloque : Droits de l’homme, altérité, inclusion, Centre « Mircea Eliade », le
25 mars 2015 ;
Doctor Honoris Causa Université de Craiova: Basarab Nicolescu, 28 oct. 2015,
Laudatio Ionel Buse

Parutions 2015
Symbolon 11, L’imaginare dans tous les états. Hommage à Jean-Jacques
Wunenburger, Centre « Mircea Eliade » et l’Université Lyon III
Cătălin Stănciulescu (sous la direction), Logică, limbaj, analiză. Omagiu
Profesorului Ion Ceapraz la împlinirea vârstei de 75 de ani, Craiova, Editura
Aius, 2015;
Cătălin Stănciulescu (sous la direction), I Drepturile omului, alteritate,
incluziune, II Drepturile omului, globalizare, securitate Editura Sitech, Craiova,
2015.

Thème abordés en 2015-2016


Colloque international: Mircea Eliade et le sacré dans le monde contemporain,
organisé par l’Université de Craiova, Centre "Mircea Eliade", TRADEM
Craiova, l’Institut de Recherches Philosophiques de Lyon, Centre de recherches
internationales sur l’imaginaire CRI2i, l’Association des Amis de Gilbert
Durand, Chambéry, les 30 et 31 mai 2016;

Parutions 2016
Symbolon 12, Mircea Eliade et le sacré dans le monde contemporain, Centre «
Mircea Eliade » et l’Université Lyon III.

Thème abordés en 2016-2017


Conferénce: Claude Karnoouh, Considérations critiques sur la recherche
anthropologique, Centre « Mircea Eliade », le 08 juin 2017 ;
Colloque national : Constantin Noica – un modèle culturel ?, Centre « Mircea
Eliade » 3-4 decembrie, 2017.

Parutions 2017
Symbolon 13, Constantin Noica – un modèle culturel ?, Centre « Mircea Eliade
» et Université Lyon 3, Ionel BUSE et Jean-Jacques Wunenburger (sous la
direction).
Lazar Popescu, Mircea Petean ou science de la poésie, Ed. Argonaut, Cluj-
Napoca, 2017.
L'Imaginaire de la guerre | 167

Ion Hirghidus, Recherches philosophiques d’hier et d’aujourd’hui, Ed.


Universitas, Petrosani, 2017 ; Constantin Noica – ontologie et culture, Ed.
Universitas, Petrosani, 2017.

Thème abordés en 2017-2018


Colloque international: Jeu, theatre, existence, organisé par l’Université de
Craiova, Centre "Mircea Eliade", TRADEM Craiova, l’Institut de Recherches
Philosophiques de Lyon, Centre de recherches internationales sur l’imaginaire
CRI2I, l’Association des Amis de Gilbert Durand, Chambéry,

Publications 2018
Ionel Bușe, Bătrânul și eutanasierul (Le Vieux et l’Euthanasier), Ed. Eikon,
București, 2018.
Ion Hirghiduși, Antropologie politică (Anthropologie politique), Ed. Universitas,
Petroșani, 2018.
Symbolon 14, Jeu, theatre, existence, Centre « Mircea Eliade » et Université
Lyon 3, Ionel Bușe et Jean-Jacques Wunenburger (sous la direction).

Themes abordés 2018-2019


Séminaire international le 5 juin 2019, Musée de l’Art, Craiova – Ethique
et imaginaire technologique en médicine.
Ionel Bușe, Université de Craiova, Ethique et imaginaire technologique
Magali Revest, Artiste plasticienne et chorégraphe, Nice, France, Origine –
la mémoire, le sensible et la fragilité du vivant
Jean Jacques Wunenburger, Université Jean-Moulin, Lyon III, Institut de
Recherches Philosophiques de Lyon, France, Les nouvelles frontières de la
clinique
Paolo Bellini, Università degli Studi dell’Insubria, Varese, Italie, Technologies
de l’hybridation entre éthique, pouvoir et contrôle
Claude Karnoouh, Université Nationale de l’Art de Bucarest, Médecine
moderne et nihilisme
Table ronde, le 6 juin 2019, Maison des Universitaires, Craiova – Imaginaire,
démocratie, géopolitique. Participants les professeurs : Jean-Jacques
Wunenburger, Paolo Bellini, Claude Karnoouh, Aurelian Giugal, Ionel Bușe.
Conférence, le 8 avril, 2019, TRADEM, Craiova - Aurelién Demars,
Université de Savoie Mont Blanc, EHIC – Université de Limoge, Le mal du
temps et le temps du mal selon Cioran et Fondane.
Conférence le 8 mai, Université de Craiova : Ionel Bușe, Cioran et
l’alchimie nihiliste de « la dégustation » de la mort.
Publications 2019
Ion Munteanu (sous la dir.), Caiete macedonskiene (Cahiers macedonskiens)
vol. I, Ed. Eikon, Bucarest, 2019.
168 | SYMBOLON 16

Ioan Lascu (sous la dir.), Locul și importanța operei lui Ion D. Sîrbu în
literatura română postbelică (1945-1989) (Place et importance de l’oeuvre
d’Ion D. Sîrbu dans la littérature roumaine d’après-guerre) Ed. MJM,
Craiova, 2019.
Dana Militaru (sous la dir.), Emil Cioran și nostalgiile literaturii române
(Emile Cioran et les nostalgies de la littérature roumaine), Ed. Grinta, Cluj-
Napoca, 2019.
Petrișor Militaru et Cătălin Davidescu (s. la dir.), Sașa Pană et le magazine
d'avant-garde « unu », Ed. Aius, Craiova, 2019.

Themes abordés 2019-2020


Colloque national: Cent ans après la mort d’Alexandru Macedonski, le 24
novembre 2020, Centre „Mircea Eliade”.

Themes abordés 2020-2021


Conférence : Ionel Buse, Gilbert Durand et la pensée de l’imaginaire, Centre
„Mircea Eliade” de Recherches sur l’Imaginaire et la Rationalité, le 6 décembre
2021

Publications 2020
Petrișor Militaru, Gabriel Nedelea, Silviu Gongonea (s. la dir.), Virgil
Teodorescu și suprarealismul european (Virgil Teodorescu et le surréalisme
européen), Editura Universitaria. Craiova, 2020.

Publications 2021
Symbolon 15 – Centenaire Gilbert Durand : Autour d’une anthropologie de
l’imaginaire: des nouvelles perspectives, Ionel BUSE et Jean-Jacques
WUNENBURGER (s. la dir.) Centre „Mircea Eliade” de Recherches sur
l’Imaginaire et la Rationalité et l’Institut de Recherches philosophiques de Lyon.

Cahiers Alexandru Macedonski III, Ion Munteanu (s. la dir.), Editura Eikon,
Bucarest, 2021.

Themes abordés 2021-2022


Conférence : Jean-Jacques Wunenburger, Imaginaire et les neurosciences,
Centre « Mircea Eliade », le 21 octobre, 2022.

La sortie du livre:
Imaginaire et neurosciences: Héritages et actualisations de l'oeuvre de Gilbert
Durand de Jean-Jacques Wunenburger.

(ed.), Imaginarul de Jean-Jacques Wunenburger, Prefață de Ionel Bușe, Editura


Aius, 2022.
L'Imaginaire de la guerre | 169

La vie de l'esprit en Europe centrale et orientale depuis 1945. Dictionnaire


Encyclopédyques de Chantal Delsol & Joanna Nowicki (ed.), Editura Hermann,
2022, Editura CERF, 2020. Postfață de Jean-Jacques Wunenburger. Editor
pentru România, Ionel Buse.

Publications 2022
Jean-Jacques Wunenburger, Imaginarul, ediția a II-a, Prefață de Ionel Bușe,
Traducere de Dorin Ciontescu-Samfireag, Editura Aius, Craiova, 2022.

Ionel Bușe, Femei de iasomie, Prefață de Mihai Ene, Editura Litera,


București, 2022.

Publications 2023
Ilona Duță, Submersiuni creatoare într-un psiho-text abisal, Editura
Universitaria, Craiova, 2023.

Petrișor Militaru, Victor Brauner 120, Prefață de Emil Nicolae, Editura Aius,
Craiova, 2023.

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