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Résumé
Dans cette étude, les concepts des deux grands modèles, attritionnel et
catastrophique, souvent utilisés en archéozoologie, sont discutés d’un point
de vue méthodologique. La caractérisation des profils en U et en L, cons-
truits à partir de la fréquence des individus (fx), est exposée en relation
avec les différents contextes paléobiologiques décrits dans de nombreuses
publications. Les méthodes principales qui permettent d’estimer l’âge in-
dividuel à partir de l’usure dentaire sont abordées, de même que les équa-
tions prédictives établies pour les Equidae. Un exemple précis à partir de
la hauteur d’une P4/ est donné afin d’en estimer l’âge individuel, de même
que sa répartition dans les différents intervalles de classes en fonction de
l’erreur de prédiction du modèle (E). La mortalité mammalienne est alors
envisagée du point de vue de la dynamique des populations (life tables) et
plus particulièrement du time-specific model. Les aspects méthodologiques
de ce modèle descriptif de la structure d’âge des cohortes fossiles sont
présentés dans le détail, de même que les principaux indices qui peuvent
être calculés à partir de la fréquence des individus dans chaque classe
d’âge (lx, qx, ex, kx, mx, R0). Le niveau de résolution et les perspectives
comparatives entre les cohortes taxonomiquement et chronologiquement
différentes, issues de divers contextes paléobiologiques, sont discutées en
même temps qu’une brève présentation de l’utilisation des matrices de
Leslie.
Abstract
In this study, the concepts of the two main models – attritional and ca-
tastrophic – often used in archaeozoology, are discussed from a methodo-
logical point of view. The characterization of the U and L age profiles, based
on the frequency of individuals in each age group (fx), is presented within
different palaeobiological contexts studied in various publications.
Commonly applied methods are presented as well as predictive equations
for Equidae for the estimation of age based on dental wear. As a step-by-
step example, the height of P4/ is used to estimate individual age, including
its distribution in the various class-intervals according to the error ranges
predicted by the model (E). Mammalian mortality is then regarded from the
Fig. 1 – Exemple du calcul de l’estimation et de la répartition de l’âge d’une P4/ de cheval. A à D (voir détails dans le texte). Valeurs médianes des
coefficients de régression d’après Fernandez et Legendre, 2003, tabl. 5 ; Fernandez et al., 2006, tabl. 2.
charognage n’est pas systématiquement corrélé à une Brugal et David, 1993 ; Enloe et Turner, 2006 ; Steele,
distribution de type attritionnel (profil en U) (Fernandez, 2004, 2005 et 2006). Les travaux de M.C. Stiner (1990,
2001). Dans les deux cas, ces associations ne sont cor- 1991 et 1994) combinent dates d’éruption et stades
rélées à aucun autre indice de mortalité. En définitive, d’usure dentaire, lesquels peuvent être associés à trois
ces deux grands types ne décrivent que de façon incom- grandes classes d’âge. La première comprend les indi-
plète la mortalité des individus dans chaque classe d’âge, vidus dont les DP4 sont encore présentes ; la seconde
laquelle constitue une des problématiques fondamentales et la troisième sont caractérisées par des individus dont
que les statistiques du vivant permettent d’évaluer. les P4 définitives sont moyennement et très usées. Ces
classes représentent respectivement environ 20, 50 et
70 % de la longévité maximale de l’animal. Dans le
PRINCIPES, MÉTHODES domaine de la gestion des populations actuelles d’On-
ET MODÈLE PRÉDICTIF gulés sauvages et en médecine vétérinaire, certaines
DE L’ÂGE INDIVIDUEL DES CHEVAUX espèces ont fait l’objet du même type de recherches et
les résultats sont parfois utilisés pour établir les classes
Pour l’établissement des structures d’âge des Ongu- d’âge des espèces fossiles. Les travaux concernent
lés fossiles, les aspects méthodologiques initialement essentiellement le Cerf (Lowe, 1967 ; Riglet, 1977 ;
développés par B. Kurtén (1953a et b, 1954, 1958 et Briot et Voilquin, 1986), le Chevreuil (Paulus, 1973 ;
1983) concernant le remplacement de la denture lac- Mauries, 1979 ; Van Laere et al., 1989) ou encore le
téale par la définitive, la hauteur de la couronne et les Chamois et le Bouquetin (Couturier, 1938 et 1962).
différents degrés d’usure dentaire ont été complémen- Le degré d’hypsodontie consiste à mesurer la hau-
tés par de nombreuses méthodes. teur de la couronne, généralement de la racine à la
La cémentochronologie est fondée sur l’analyse micro- surface occlusale de la dent, en la corrélant à l’âge réel
scopique, d’une part des couches de cément (Mitchell, d’individus actuels ou de référence. Certains aspects
1963 ; Klevezal et Kleinenberg, 1969 ; Spinage 1971 et méthodologiques ont été largement développés avec
1973 ; Morris, 1972 ; Klevezal, 1996), d’autre part des les travaux de C.A. Spinage (1972) et M.A. Levine
couches de dentines secondaires (Lowe, 1967 ; Quéré et (1979, 1982 et 1983). De la même manière, la méthode
Pascal, 1983). L’individualisation de ces dernières n’est quadratique de R.G. Klein et al. (1981) permet d’obte-
que faiblement corrélée avec l’âge. En revanche, le nir pour chaque dent selon son rang une équation
comptage des couches de cément est fiable et donne à prédictive de l’âge à partir de la hauteur de la couronne.
un an près une bonne estimation de l’âge réel (Low et Ces travaux, qui présentent néanmoins un certain nom-
Cowan, 1963 ; Pike-Tay, 1991). La cémentochronologie bre de biais (Gifford-Gonzalez, 1991 ; Pike-Tay et al.,
reste relativement lourde car elle repose sur l’observation 2000), ont été appliqués à de nombreux gisements
de lames minces établies pour chaque dent. La méthode pléistocènes africains et ont permis de mettre en
entraîne ainsi la destruction du matériel dentaire et né- perspective la mortalité mammalienne en contexte
cessite parallèlement la constitution de référentiels d’ani- archéologique et d’interpréter l’exploitation animale
maux d’âge connu pour chaque espèce. De plus, la par les Hominidae (Klein, 1982a et b ; Klein et al.,
lecture des couches demeure parfois impossible en rai- 1983 et 2007; Klein et Cruz-Uribe, 1983).
son de l’altération de la structure du cément avec des Il apparaît aussi dans toutes ces études que plusieurs
lacunes parfois très nombreuses sur le matériel dentaire facteurs peuvent constituer autant de biais dans l’éta-
fossile (Burke et Castanet, 1995). blissement des classes d’âge. Ainsi, nous ne pouvons
Les tables d’éruption construites à partir du rempla- que supposer, par analogie aux formes actuelles, les
cement des dents lactéales par les définitives sont re- dates d’éruption et de remplacement dentaire des
lativement bien connues. À partir de la seconde moitié espèces fossiles. Pour les tables d’usure, il faut égale-
du XIXe siècle, le rôle économique du cheval domes- ment disposer de nombreux individus actuels, issus de
tique a conduit à de nombreuses observations sur le la même cohorte, correspondant à toutes les classes
développement et l’estimation de l’âge dentaire dans d’âge, ce qui est rarement le cas. Enfin, il est toujours
de nombreux travaux de médecine vétérinaire (Corne- difficile d’évaluer le degré d’abrasion induit par l’ali-
vin et Lesbre, 1894 ; Montané et al., 1949 ; Tagand et mentation qui conditionne l’usure dentaire (Fandos et
Barone, 1954). Depuis, les travaux concernant le rem- al., 1993), à moins de mettre parallèlement en œuvre
placement dentaire ont été menés chez de nombreux d’autres méthodes comme celles de la méso-usure
animaux sauvages et domestiques (Wilson et al. dir., (mesowear) (Fortelius et Solounias, 2000 ; Rivals et al.,
1982 ; Bignon, 2005). Cependant, ces tables d’éruption 2007) ou de la micro-usure (microwear) (Solounias et
ne permettent pas de distinguer les individus adultes Sempredon, 2002 ; Rivals et Solounias, 2007).
entre eux et leur utilisation reste donc limitée à la dis-
tinction entre juvéniles et adultes. Un modèle de type curvilinéaire, testé à partir d’un
Les tables d’usure sont fondées sur la disparition référentiel actuel d’Equidae, a été développé pour les
progressive de l’émail sur la surface occlusale. Chaque chevaux fossiles et appliqué dans différents contextes
stade d’usure est codifié et correspond à une classe paléobiologiques (Fernandez et Legendre, 2003 ; Fer-
d’âge observée sur des individus d’âge connu. Dans le nandez et al., 2006). À la différence du modèle de
registre fossile, ces stades sont parfois combinés aux R.G. Klein (Klein et al., 1981), largement utilisé en
tables d’éruption ou au degré d’hypsodontie (Grant, archéozoologie, il prend en compte l’usure différen-
1982 ; Wilson et al. dir., 1982 ; Koike et Ohtaishi, 1985 ; tielle qui affecte plus particulièrement les dents des
plus jeunes et des plus vieux individus. À chaque type C. Estimation de l’âge individuel moyen et de l’âge
de dent (ex : P2/, P/3…) correspond une équation poly- minimum et maximum selon l’erreur moyenne de
nomiale d’ordre 3 qui permet d’estimer l’âge individuel prédiction associée à chaque équation (E).
comme indiqué ci-dessous : D. Répartition de l’âge dans l’intervalle de classes. Ce
3 dernier ne peut pas être inférieur à l’erreur moyenne
Âge = Σ
k=0
ak (crown height)k de prédiction (E) (correspondant aux P4/ dans notre
exemple).
Fig. 2 – Représentation schématique des modèles classiques de mortalité attritionnelle, catastrophique et du graphique triangulaire de
Stiner en fonction de la fréquence des individus par classes d’âge. Modèle time-specific avec schématisation de quelques indices de
mortalité (voir détails dans le texte).
Ces statistiques ont d’abord été développées en car le nombre de survivants diminue de manière cons-
biologie expérimentale, en particulier pour la durée de tante et linéaire. Enfin, le type III, qui comprend les
vie des insectes (Pearl et Miner, 1935). Dans le premier poissons et de nombreux invertébrés marins, montre
modèle, les conditions d’observation sont idéales et des taux de survie beaucoup plus faibles tout au long
prennent en compte l’effectif total et fini des animaux de la vie avec un profil en L (Krebs, 2001).
issus de la même cohorte, donc nés en même temps, - (qx) indique le taux de mortalité durant l’intervalle x
suivis et comptabilisés à l’âge de leur mort et ce à x + 1. Il se calcule par le ratio de fx et lx, soit :
jusqu’au dernier. Les tables de vie sont alors cons- qx = fx / (lx x 100)
truites selon le modèle de la cohorte finie (cohort life - (ex) correspond à l’espérance de survie par classe
tables, horizontal life tables). Un autre modèle, où les d’âge. C’est un autre indice de la mortalité qui per-
observations sont au contraire indirectes (time-specific, met de comparer l’espérance de survie des individus
static life tables), a été adapté plus largement à la dy- dans les différents intervalles avec :
namique des mammifères et des oiseaux par E.S. Deevey ex = tx / fx où tx = ∑ (sx)
(1947). Il est fondé sur la proportion d’individus - (kx) caractérise l’intensité de la mortalité (k-factor,
(femelles) de chaque classe d’âge successive, censée killing factor) dans chaque intervalle. Le calcul est :
représenter une multitude de cohortes se chevauchant kx = Abs (kx) = Log10 (fx + 1).
dans le temps. Pour le transfert au fossile, lorsqu’il est Cette variable, qui constitue l’intensité de la mortalité
impossible de faire la distinction entre mâles et dans chaque classe d’âge, est additive. La somme des
femelles, il faut admettre comme condition préalable valeurs kx de chaque intervalle aboutit à un indice
une sex-ratio de 1 et que la structure d’âge de l’échan- global (∑ kx) qui peut être comparé entre différentes
tillon correspond bien à différentes cohortes dont les cohortes ;
taux de survie et de fécondité sont demeurés stables - (mx) est le taux de fécondité, soit la proportion de
(Caughley, 1966 ; Spinage, 1970 ; Caughley et Sinclair, jeune par femelle qui survit dans l’intervalle de
1994). Le time-specific model prend alors la forme x à x+1, et (lxmx) le taux de fécondité global dans
d’une table de vie détaillée dans le tableau 1 dont les chaque classe d’âge. Le R0 constitue la somme des
indices sont explicités ci-dessous : valeurs lxmx de chaque intervalle et représente le taux
- (x) représente les classes d’âge qui correspondent à de remplacement (net reproductive rate) de la po-
un intervalle de temps, jours, mois ou années selon pulation et le calcul est le suivant :
le groupe zoologique. Dans le tableau 1, l’intervalle R0 = lxmx = (lx x mx)/100.
est d’un an mais peut être plus grand, comme c’est Lorsque R0 = 1, la population est parfaitement stable
souvent le cas avec les méthodes d’estimation de et en équilibre. Si R0 < 1, la population décroît et
l’âge utilisées pour le matériel dentaire fossile ; l’inverse est vrai si R0 > 1.
- (fx) est la fréquence des individus dans chacune des
classes d’âge successives. C’est le pourcentage NR Il est possible d’adjoindre au time-specific model
(NISP) ou NMI qui correspond au (dx) habituelle- l’utilisation des matrices de Leslie (1945 et 1948). Elles
ment utilisé pour le comptage des individus en dy- ouvrent de nouvelles perspectives méthodologiques pour
namique des populations. la compréhension de l’image de la mortalité d’une co-
- (lx) désigne le taux de survie durant l’intervalle x à horte à un instant t, de même que de multiples voies de
x + 1. La valeur de la première classe est selon les recherche en termes de prospective (Caswell, 1989 ; Oli,
auteurs rapportée à 1, 100 ou 1000 et le calcul est le 2003 ; Charles-Bajard, 2004). Elles nécessitent les taux
suivant : lx + 1 = lx - fx de survie (lx) et de fécondité (mx) détaillés dans le
Tabl. 1 – Exemple et calcul d’une table de vie d’une cohorte animale avec les principaux indices de mortalité (time specific
model) (nb : valable aussi pour les oiseaux, insectes et invertébrés). Voir l’utilisation combinée avec les matrices de Leslie
dans le tableau 2.
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