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C.R. Acad. Sci.

Paris, Sciences de la vie / Life Sciences 323 (2000) 153–165


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S0764446900001190/REV

Revue / Review

L’espèce : définitions d’auteurs


Philippe Lherminera, Michel Solignaca*
a
Laboratoire populations, génétique et évolution, CNRS, 91198 Gif-sur-Yvette, France
Reçu le 25 août 1999 ; accepté le 15 novembre 1999
Présenté par Jean Rosa

Abstract – Species: author definitions. For a long time the definitions of species
have been mainly restricted to logicians and philosophers; with the contribution of
biologists, the number of concepts increased dramatically. The concepts elaborated by
authors of the evolutionary synthesis seemed decisive for a time but the number of
definitions proposed was never as high as in the last half century. In the present review,
a list of classical or less well-known definitions are proposed with some commentaries.
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species concepts / logical species / biological species / criteria

Résumé – Longtemps réservées aux logiciens et philosophes, les définitions de l’espèce


sont probablement le champ où le plus de biologistes se sont ensuite essayés. Les
problèmes ont pu sembler réglés au cours de la décennie où s’est élaborée la théorie
synthétique de l’évolution, et pourtant, depuis un demi-siècle, jamais autant de défini-
tions n’ont été proposées. La présente compilation des définitions, classiques ou moins
connues, est accompagnée d’une grille de lecture et de quelques commentaires.
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concepts d’espèce / espèce logique / espèce biologique / critères

Abridged version focussed on the diversity of the criteria used, which


vary sometimes from one definition to another by the
same author, in the course of decades and according to
The definition of species, for a long time restricted to the biological field involved. When several criteria are
logicians or philosophers, has become in the last used in a single definition, they are generally only
century the field of biologists. These definitions are juxtaposed because they cannot be logically deduced
mainly based on three criteria, used alone or in various one from the other. The applicability of the definitions
combinations, i.e. similaritry, descent and interfertility, to all taxa (universality) is also considered, as well as
to which ecology, adaptation and selection are some- the suitability for the specific taxonomical level (and
times associated. A total of 92 definitions and quota- not to other taxonomical categories) and the circularity
tions is listed including classical and less well-known of the arguments. Attempts by naturalists from all
ones as well as non-biological uses of the word. disciplines to construct the definitions testify that spe-
Principal qualities and defects of the definitions are cies still remains the most universal guide to organise
noted. Accompanying commentaries are mainly the diversity of living beings.

« ‘Espèce’ est de ces notions que tout le monde comprend, et dont on ne cesse de donner des définitions, qui jamais
ne conviennent. »

* Correspondance et tirés à part : solignac@pge.cnrs-gif.fr

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1. Introduction quelques-unes concernent les divers usages du mot espèce.


Plusieurs citations sont écourtées ou comportent des indi-
cations de lecture <.. >. L’ordre alphabétique des auteurs
Darwin a donné pour titre L’Origine des espèces [1] à
est suivi.
l’un des ouvrages les plus célèbres de l’histoire naturelle,
tout en déclarant « vaines les recherches auxquelles donne 1. Ackermann et al. (1992, [4]) : « Une espèce de phage
lieu l’essence inconnue et indécouvrable du terme caudé est une simple souche phagique, ou un groupe de
d’espèce ». Certains ont trouvé ce scepticisme de bon souches phagiques morphologiquement semblables,
aloi : faire de l’espèce une sorte de convention a paru appartenant à un seul et même groupe d’homologie
commode au taxinomiste sûr de sa compétence, satisfai- d’ADN, qui diffèrent par la morphologie ou par l’hybrida-
sant pour l’esprit pratique qui voit rebutée une vieille tion ADN–ADN des autres phages du même genre
notion moyenâgeuse jugée « métaphysique », et opportun d’hôte. »
pour les théories de l’évolution, débarrassées d’une espèce 2. Adanson (1763–1764, [5], préface CLXVIII) : « Il
dont la stabilité opiniâtre était contrariante. La plupart des existe autant d’espèces qu’il y a d’individus différant entre
naturalistes n’ont pu se satisfaire de cette dérobade : ils eux d’une ou de plusieurs différences quelconques, cons-
n’ont pas toléré qu’on puisse parler de l’espèce sans en tantes ou non, pourvu qu’elles soient très sensibles et
posséder un concept rigoureux, et se sont efforcés d’attein- tirées des parties ou qualités où ces différences paraissent
dre un consensus. Un siècle plus tard, l’œuvre d’E. plus naturellement placées. »
Mayr [2] à partir de 1942, et la théorie synthétique de 3. Aristote ( [6], Topiques, 143 b et suiv.) : « Toute
l’évolution exposée par G.G. Simpson en 1944 [3], sem- différence spécifique ajoutée au genre forme une espèce...
blaient avoir clos le débat par une série de textes magis- l’espèce est constituée par la différence au sein d’un
traux. Pourtant depuis un demi-siècle, jamais autant de genre. »
travaux, d’essais, de polémiques n’ont fait rage autour de 4. Aristote ( [7], 415 a 26) : « La plus naturelle des
l’espèce. fonctions pour tout être vivant qui est achevé et qui n’est
La liste des citations présentées ci-dessous n’a l’ambi- pas incomplet, ou dont la génération n’est pas spontanée,
tion ni d’une étude d’histoire des sciences ni d’un essai c’est de créer un autre être semblable à lui, l’animal un
philosophique. C’est bien un concept essentiel à la biolo- animal, et la plante une plante, de façon à participer à
gie contemporaine qu’il s’agit de clarifier, en mobilisant l’éternel. »
des éléments d’appréciation historiques et philosophi- 5. Aristote ( [8], 731 b, 732 a) : « Individuellement un
ques. En nous appuyant sur des textes choisis dans une animal ne peut pas être éternel, car la réalité des êtres
large littérature nous proposons des critères d’évaluation réside dans le particulier... mais il peut l’être
qui dégagent la cohérence d’un des termes les plus impor- spécifiquement < eidei >. Voilà pourquoi il existe toujours
tants du double registre de la philosophie et de la biologie. un genre < génos > des hommes, des animaux, des végé-
Le mot espèce est si chargé de sens que cette liste taux. »
d’énoncés est forcément arbitraire et hétérogène. Sur la 6. Aristote ( [8], 746 b 10) : « En Libye... comme l’eau
forme, se côtoient des définitions, des usages, des com- est rare, les animaux se rencontrent tous dans le petit
mentaires : ainsi Darwin n’a jamais défini l’espèce, mais nombre d’endroits qui ont des sources, et ils s’y accou-
ce qu’il en a dit est conceptuellement décisif. Sur le fond, plent, même s’ils ne sont pas de la même
les deux grands problèmes sont d’une part l’articulation espèce < omogené >... (746 a 30) si leur taille est appro-
entre les sens logique ou biologique du mot « espèce » et chante et si la durée de gestation est la même. »
d’autre part l’analyse des critères biologiques qui sont 7. Arnauld et Nicole (1683, [9], 89-90) : « Lorsqu’une
d’application indécise lorsqu’ils sont pris séparément et idée n’a sous soi que des individus et des singuliers,
souvent en désaccord lorsqu’on les prend ensemble. On comme le cercle n’a sous soi que des cercles singuliers qui
note enfin quelques emplois du mot espèce dans des sont tous d’une même espèce, c’est ce qu’on appelle
domaines divers : nous avons choisi de les citer dans la espèce dernière, species infima. »
mesure où ils peuvent aider à comprendre des acceptions
8. Bacon (1620, [10], La Nouvelle Atlantide, 598) : « En
plus fondamentales.
faisant accoupler des individus d’espèces différentes et en
On imagine combien a demandé à son auteur de temps, croisant ces espèces en mille manières, nous en produi-
d’efforts, de concentration, de repentirs, chaque formule sons de nouvelles dont les individus ne sont pas stériles,
qui témoigne parfois d’une tranche entière de son œuvre, comme on croit qu’ils doivent l’être. »
combien chacun a hésité, remanié, discuté, avant de
9. von Baer (1828, [11]) : « L’espèce est la somme des
boucler sa phrase, ce document émouvant où il a exprimé
individus qui sont unis par une descendance commune. »
la fine pointe de sa pensée.
10. Bergey’s manual of systematic bacteriology
(1984, [12], vol. I, 1-4) : « L’espèce bactérienne est une
2. Citations d’auteurs collection de souches qui ont de nombreux caractères
communs et diffèrent considérablement des autres. »
Les citations qui suivent correspondent dans leur grande 11. Brongniart (1807, [13], t. I, 45) : « L’espèce en zoo-
majorité à des concepts d’espèce biologique, mais logie et en botanique est la réunion des individus qui se

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ressemblent par le plus grand nombre de rapports, et qui 23. Cuénot (1921, [22]) : « < 1 > C’est par une abstrac-
ne diffèrent entre eux que par quelques modifications tion momentanée mais nécessaire, que le naturaliste parle
accidentelles. » d’espèce... alors qu’il n’y a que des individus... < 2 > La
12. Buffon ( [14], L’âne) : « Le barbet et le lévrier ne font première unité systématique, espèce-unité ou espèce élé-
qu’une espèce puisqu’ils produisent ensemble des indivi- mentaire, ou encorelignée pure, est l’ensemble de tous les
dus qui peuvent eux-mêmes en produire d’autres, au lieu individus homozygotes, qui ont le même patrimoine
que le cheval et l’âne sont certainement de différentes héréditaire. < 3 > Une unité supérieure, un peu moins
espèces puisqu’ils ne produisent entre eux que des indivi- précise, est l’espèce, qui comprend un nombre variable
dus viciés et inféconds. » d’espèces-unités ; elle est constituée par des groupes
13. Buffon ( [14], L’âne) : « Tous les individus sembla- d’individus que l’on peut définir assez nettement pour les
bles qui existent sur la surface de la terre sont regardés reconnaître et les dénommer. »
comme composant l’espèce de ces individus. Cependant 24. Cuénot et Tétry (1951, [23]) : « Appartiennent à la
ce n’est ni le nombre ni la collection des individus sem- même espèce les populations d’individus apparentés, plus
blables qui fait l’espèce, c’est la succession constante et le ou moins semblables entre eux, ayant un stock commun
renouvellement non interrompu de ces individus qui la de gènes et un même genre de vie ; très généralement ils
constituent : car un être qui durerait toujours ne ferait pas sont interféconds et leur progéniture est également
une espèce... L’espèce... n’existe qu’en considérant la féconde. Pour des raisons variées, une séparation sexuelle
nature dans la succession des temps. » s’est produite très généralement entre l’espèce et celles qui
14. Buffon (1749 [14], Hist. Nat. iv) : « Il y a dans la lui ressemblent le plus, ce qui maintient l’autonomie du
Nature un prototype général dans chaque espèce sur groupe spécifique. »
lequel chaque individu est modelé... le premier cheval par 25. Cuvier (1830, [24], 123) : « L’espèce comprend les
exemple, a été le modèle extérieur et le moule intérieur sur individus qui descendent les uns des autres ou de parents
lequel tous les chevaux qui sont nés, tous ceux qui existent communs, et ceux qui leurs ressemblent autant qu’ils se
et tous ceux qui naîtront, ont été formés. » ressemblent entre eux. »
15. Carson (1957, [15]) : « L’espèce est le champ des 26. Darwin ( [25], Lettre du 24 décembre 1856 à Hoo-
recombinaisons génétiques. » ker) : « J’étais en train de comparer plusieurs définitions de
l’espèce... C’est vraiment amusant de voir quelles différen-
16. Castil-Blaze (1824, [16]) : « Prenez, prenez mon
tes idées prédominent dans les pensées des naturalistes,
spécifique, de tous les maux il vous guérira. »
quand ils parlent “d’espèce” ; pour certains la ressem-
17. Chmielowski (1746, Encyclopédie polonaise des
blance est tout et la descendance de peu d’importance -
sciences, in [17], 447) : « Le cheval, comment il est, tout
pour d’autres la ressemblance semble ne compter pour
le monde le voit. »
rien, et la création est l’idée dominante – pour certains la
18. Comte (1835, [18], t. III, leçon 42) : « L’idée descendance est la clef – pour certains la stérilité est le test
d’espèce, qui constitue par sa nature, la principale unité infaillible, avec d’autres encore, cela ne vaut rien. Je crois
biotaxique, cesserait presque absolument de comporter que tous cherchent à définir l’indéfinissable. »
aucune exacte définition scientifique, si nous devions 27. Darwin (1859, [1], 47) : « Lorsqu’il s’agit de déter-
admettre la transformation indéfinie des diverses espèces miner si une forme doit prendre le nom d’espèce ou de
les unes dans les autres, sous l’influence suffisamment variété, l’opinion des naturalistes doués d’un jugement sûr
prolongée de circonstances extérieures suffisamment inten- et en possession d’une grande expérience semble devoir
ses. » faire seule autorité. »
19. Concile de Constance (1414) : « Le corps entier et le 28. Darwin (1859, [1], 51) : « Si une variété vient à
sang de Jésus-Christ sont véritablement contenus, tant s’accroître jusqu’à excéder en nombre l’espèce mère,
sous l’espèce du pain que sous l’espèce du vin. » celle-ci prendra alors le nom de variété et la variété celui
20. Cournot (1861, [19], livre I, ch. V, § 47) : « Il fau- d’espèce. »
drait, comme on le fait encore au barreau, par un reste de 29. Darwin (1859, [1], 52) : « Je ne considère le terme
tradition scolastique, appeler du nom d’espèces les cas d’espèce que comme arbitrairement appliqué pour plus
individuels et particuliers ; il faudrait, comme le font les de commodité à un ensemble d’individus ayant entre eux
philosophes et les moralistes, qualifier de genre humain, de grandes ressemblances, mais qu’il ne diffère pas essen-
ce que les naturalistes appellent l’espèce humaine. » tiellement du terme de variété donné à des formes moins
21. Courteline (1897, [20], 30) : « C’est une espèce distinctes et plus variables. »
d’andouille à qui j’ai mis un marron. » 30. Darwin (1859, [1], 58) : « La somme des différences
22. Cracraft (1989), [21]) : « L’espèce phylogénétique considérées comme nécessaire pour donner à deux for-
est l’ultime < irréductible, basal > groupe d’organismes mes le rang d’espèce, est complètement indéfinie. »
diagnosticable comme distinct d’autres groupes sembla- 31. Darwin (1859, [1], 502) : « La seule distinction pos-
bles, et dans lequel existe une relation ancêtres– sible entre les espèces et les variétés bien tranchées
descendants... Dans la plupart des cas il doit être possible consiste seulement en ce que l’on sait, ou l’on croit, les
de prouver que l’espèce phylogénétique est monophyléti- unes actuellement reliées par des degrés intermédiaires et
que ; elle n’est jamais non-monophylétique. » que les autres ne l’ont été qu’à une époque antérieure. »

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extérieures qu’il devient presque toujours difficile de déter-


miner nettement les limites des espèces. »
38. Flaubert (1881, [30], 97) : « Ce mot désigne un
groupe d’individus dont les descendants se reproduisent ;
mais des animaux classés comme d’espèces différentes
peuvent se reproduire, et d’autres, compris dans la même,
en ont perdu la faculté. »
39. Génermont (1995, [31]) : « L’espèce est l’ensemble
d’individus contemporains les uns des autres dont les
matériels génétiques (ou plutôt leurs copies) ont une pro-
babilité non négligeable de se recombiner pour créer,
dans les conditions naturelles, les matériels génétiques des
nouveaux êtres vivants. »
40. Geoffroy Saint-Hilaire (1859, [32], t. 2, 437) :
« L’espèce est une collection ou une suite d’individus
caractérisés par un ensemble de traits distinctifs dont la
transmission est naturelle, régulière et indéfinie dans
l’ordre actuel des choses. »
41. Ghiselin (1974, [33]) : « L’espèce est un individu. »
42. Ghiselin (1974, [33]) : « L’espèce est la plus grande
unité dans l’économie naturelle telle que la compétition
reproductive ait lieu entre ses parties. »
43. Grand Larousse Universel (1982, [34]) : « Il y a 103
Figure 1. Doyen et Slobodchikoff [41] ont poussé la construction de
espèces d’atomes puisqu’il y a 103 éléments. S’ils s’asso-
l’espèce jusqu’au graphique en trois dimensions, définissant un
« espace de variation spécifique » : l’axe x figure la communauté
cient à des atomes identiques, les espèces chimiques
écologique, l’axe y l’interfécondité et l’axe z la ressemblance phéné- formées sont des corps simples ; s’ils s’associent à des
tique. atomes différents, les espèces formées sont des corps
Chaque axe est gradué de 0 à 100 et la population P1 définit la valeur composés. »
100 sur les trois axes. Les autres populations sont disposées dans 44. Grant (1963, [35]) : « L’espèce est la somme totale
l’espace d’après les valeurs de divers coefficients. Par convention,
des races qui s’entrecroisent fréquemment ou occasion-
sont conspécifiques les populations qui ont un coefficient supérieur à
0,9 sur l’axe x, à 0,9 sur l’axe y et à 0,6 sur l’axe z. Appartiennent nellement l’une avec l’autre, et dont les caractères phéno-
donc à la même espèce les populations contenues dans le parallélé- typiques forment une gradation plus ou moins continue. »
pipède rectangle délimité par les seuils a, b et c. En revanche, la 45. Haldane (1956, [36]) : « L’espèce est “neurologi-
population P2 appartient à une autre espèce. que”, c’est une catégorie linguistique de notre cerveau. »
46. Haüy (1801, [37], t. I, 162) : « L’espèce minérale est
une collection de corps dont les molécules intégrantes
32. Darwin (1859, [1], 502) : « ... nous serons délivrés sont semblables, et composées des mêmes élémens unis
des vaines recherches auxquelles donne lieu l’essence en mêmes proportions. »
inconnue et indécouvrable du terme d’espèce. » 47. Hennig (1966, [38], 64) : « Deux processus succes-
33. De Candolle (1813, [26]) : « L’espèce est la collec- sifs de clivage d’espèces instaurent la délimitation tempo-
tion de tous les individus qui se ressemblent plus entre eux relle de l’existence d’une espèce. »
qu’ils ne ressemblent à d’autres ; qui peuvent par une 48. International Committee on Taxonomy of Viruses
fécondation réciproque produire des individus fertiles ; et (1989, [39] ; 1995, [40]) : « Une espèce virale est une
qui se reproduisent par la génération, de telle sorte qu’on classe polythétique de virus qui constitue une lignée se
peut par analogie les supposer tous sortis originairement répliquant, et qui occupe une niche écologique particu-
d’un seul individu. » lière. » Cf. 78.
34. Dobzhansky (1937, [27]) : « L’espèce est la popula- 49. Jordan A. (1856, [41]) : « Chez les végétaux, le
tion mendélienne la plus inclusive. » signe, auquel on peut reconnaître infailliblement l’espèce,
35. Dobzhansky (1937, [27]) : « L’espèce n’est pas seu- consiste pour nous dans la faculté qu’ont les divers types
lement un groupe ou une catégorie de classification, c’est de se reproduire invariablement par le semis de leur
une entité biologique supraindividuelle. » graines... Il semble de plus en résulter implicitement qu’il
36. Doyen et Slobodchikoff (1974, [28]) : figure 1. n’existe pas de races parmi les végétaux. »
37. Eudes-Deslongchamps (1862, in [29], 323) : « Les 50. Kant (1788, [42], Œuvres II : 585) : « Par opposition
espèces subissent dans le cours de cette longue à l’espèce scolastique où les êtres se rangent sous un trait
période < géologique > de bien grandes modifications, distinctif commun par simple comparaison, appartiennent
tantôt générales, tantôt locales, et ces modifications se à une seule et même espèce naturelle les êtres liés entre
traduisent par une variation si grande dans les formes eux par leur pouvoir procréateur et qui peuvent être issus

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d’une souche unique - ce qui ne signifie pas un seul soit géographiquement soit écologiquement et dont les
couple originel. » voisines intergradent ou s’hybrident lorsqu’elles sont en
51. Kornet (1993, [43], 28) : « Des organismes indivi- contact, ou qui sont potentiellement capables de le faire
duels sont conspécifiques en vertu de leur commune (avec une ou plusieurs populations) dans les cas où le
appartenance à une partie du réseau généalogique entre contact est empêché par des barrières géographiques ou
deux partages permanents, ou entre un partage permanent écologiques. »
et une extinction. » Résumé en 1942 ( [2], 120) : « Les espèces sont des
52. Lalande (1968, [44], 299) : « Une classe A, en tant groupes de populations naturelles réellement ou poten-
qu’elle est considérée comme formant une partie de tiellement interfécondes et reproductivement isolées
l’extension d’une autre classe B : B est alors le genre dont d’autres groupes semblables. »
A est l’espèce. » < réellement ou potentiellement > est supprimé en
53. Lamarck (1778, [45], V) : « Les noms ne sont que de 1969 [53].
pures conventions nécessaires, à la vérité, pour nous < et qui occupent dans la nature une niche
entendre, mais absolument étrangers à la marche de la spécifique > est ajouté en 1982 ( [54], 273).
Nature. » 62. de Meung (1269–1278, [55], 6965-6978) :
54. Lamarck (1778, [45], XC) : « Chaque espèce est « Mist Diex en coilles et en vis
distinguée des autres par une différence sensible et cons- Force de generacion
tante. » Par merveillouse entencion,
55. Lamarck (1786, [46], Botanique 2, 395) : « Deux Por l’espece avoir toute vive < toujours vivante >
espèces à la reproduction constamment distincte offrent
Par renouvelance naÿve... < renouvellement naturel >
parfois moins de différences entre elles que ne le font deux
variétés de la même espèce. » Car quant les unes bestes meurent,
56. Lamarck (1802, [47], 100) : « L’espèce est toute Les formes es autres demeurent. »
collection d’individus qui, pendant une longue durée, se 63. Molière (1668, L’avare V 1) : « En quelles espèces
ressemblent tellement par toutes leurs parties comparées était cette somme ? – En bon louis d’or et pistoles bien
entr’elles, que ces individus ne présentent que de petites trébuchantes. »
différences accidentelles. » 64. Mousson (1849, [56]) : « L’espèce est l’ensemble
57. Lamarck (an XI, [48], 99) : « L’espèce est toute col- des individus interconnectés par la descendance et la
lection d’individus semblables que la génération perpétue reproduction et maintenant indéfiniment leurs aptitudes
dans le même état, tant que les circonstances de leur reproductives. »
situation ne changent pas assez pour faire varier leurs 65. Nelson et Platnick (1981, [57], 12) : « L’espèce est
habitudes, leur caractère, leur forme. » le plus petit ensemble décelable d’organismes auto-
58. Linné (1751, [49], § 157) : « Il y a autant d’espèces perpétués ayant un jeu commun de caractères. »
que l’Être suprême créa de formes diverses à l’origine, 66. Nixon et Wheeler (1990, [58]) : « Des organismes
lesquelles, suivant les lois de la génération, produisirent individuels sont conspécifiques en vertu de leur commune
en nombre d’autres formes, mais toujours semblables à appartenance au réseau généalogique délimité par deux
elles-mêmes : donc il y a autant de formes qu’il y a de partages définitifs ou un partage et une extinction. L’espèce
structures différentes devant nous aujourd’hui. » internodale est la séquence entre deux nœuds d’un arbre
59. Linné (1972, [50], 31) : « Il y a eu création d’un seul phylétique. »
individu pour les hermaphrodites et d’un seul couple pour 67. Paré (1585, Le livre des monstres, in [59]) : « Nature
le reste des vivants... S’il nous plaisait de retourner en tâche toujours à faire son semblable... car nous voyons
pensée vers le passé et de contempler la lignée ascendante même aux choses inanimées, comme d’un grain de fro-
nous verrions que n’importe quelle espèce... se réduit à un ment venir non pas l’orge mais le froment, et du noyau
nombre de plus en plus petit, et qu’enfin la pensée s’arrête d’abricot venir un abricotier et non le pommier, parce que
à un seul couple ou à un seul individu. » nature garde toujours son genre et espèces. »
60. Lyssenko (1953, [51], 595) : « Les travaux de J. 68. Paterson (1985, [60]) : « L’espèce est la population
Staline permettent de résoudre le problème de l’origine la plus inclusive d’organismes individuels biparentaux qui
des espèces : l’espèce est un état particulier qualitative- possèdent un système spécifique de reconnaissance < ou
ment déterminé des formes vivantes de la matière. Ce qui de rencontre (Specific-Mate Recognition System) ou de
caractérise essentiellement les espèces, ce sont les rap- fécondation > commun. »
ports définis qui s’établissent entre les individus d’une 69. Pic de la Mirandole (1486, [61], conclusion 121) :
même espèce. La différence qualitative entre les rapports « Il est impossible qu’une même espèce soit engendrée
intraspécifiques et les rapports interspécifiques est un des par propagation et par putréfaction. »
principaux critères qui permet de distinguer les formes 70. Plate (1914, [62]) : « Les membres d’une espèce
spécifiques des variétés. » sont reliés ensemble par le fait qu’ils se reconnaissent
61. Mayr (1940, [52], 256) : « Une espèce consiste en comme ayant une appartenance commune et se reprodui-
un groupe de populations qui se remplacent l’une l’autre sent uniquement l’un avec l’autre. »

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71. Platon ( [63], Parménide, 132 d) : « Les Idées sont à 82. Sneath (1976, [73]) : « Le niveau de l’espèce est
titre de modèles, des paradigmes dans l’éternité de la celui auquel des groupes phénétiques distincts peuvent
Nature ; quant aux objets ils leur ressemblent et en sont être observés. »
des reproductions ; et cette participation que les autres 83. Stanier et al. (1986, [74]) : « L’espèce microbienne
objets ont aux Idées ne consiste en rien d’autres qu’à être est l’ensemble de souches qui montrent un fort degré de
faits à leur < espèce > image. » similitude globale et qui diffèrent des groupes de souches
72. Platon ( [63], paraphrase de Philèbe 16 c - 18 b) : apparentés par plusieurs caractères indépendants. »
« La science se tire non des singuliers ou des genres mais
84. Templeton (1989, [75]) : « L’espèce < cohésive > est
des espèces ; les singuliers parce qu’ils sont innombrables
la population la plus inclusive d’individus ayant l’aptitude
et se modifient, ne sont pas compris... Quant aux genres, à
à échanger des gènes lors de la reproduction sexuée, et
cause de la confusion qui est en eux, ils ne se distinguent
une échangeabilité démographique, c’est-à-dire exacte-
pas parfaitement. »
ment les mêmes champs adaptatifs et aptitudes à tolérer
73. Prévot (1961, [64], 427) : « L’espèce est un ensem- les variables écologiques considérées. »
ble de clones identiques entre eux, définis par leur mor-
85. Thomas d’Aquin (1264, [76], III § 49) : « La ressem-
phologie, leur physiologie, leurs propriétés biochimiques
blance intellectuelle par laquelle nous saisissons un être
et pathogéniques, en bref, une mosaïque d’enzymes et
dans sa substance est de la même espèce que lui, ou
d’antigènes, tronçon d’évolution mesurable à partir du
mieux, elle est son espèce. »
moment où on l’isole, jusqu’au moment où elle com-
mence à donner des mutants. » 86. Thomas d’Aquin (1269-1270, [77] I - Q.50 - 4) :
74. Ray (1686, [65]) : « L’identité spécifique du taureau « Les choses qui, ayant la même espèce, diffèrent numé-
et de la vache, celle de l’homme et de la femme, ressortent riquement, sont semblables formellement mais se distin-
du fait qu’ils naissent des mêmes parents, souvent de la guent matériellement. Or les anges ne sont pas composés
même mère. » de matière et de forme : il ne peut donc y avoir deux anges
de la même espèce. »
75. Ray (1693, [66]) : « Tous les animaux, petits ou
grands et sans en exclure les plus vils et les plus méprisa- 87. Tintant (1980, [29]) : « Par convention, on admettra
bles insectes, sont engendrés par des parents animaux de que lorsque deux populations < fossiles successives > dif-
la même espèce qu’eux-mêmes. » fèrent suffisamment pour que la plus grande partie (95 %
en général) des individus qui les composent puissent être
76. Regan (1926, [67]) : « Une espèce est une commu-
distingués, on sera en droit de les considérer comme des
nauté, ou des communautés en relation, dont les caractè-
espèces distinctes. »
res morphologiques distinctifs sont, de l’avis d’un systé-
maticien compétent, suffisamment définies pour mériter 88. Van Valen (1973, [78] ; 1976, [79]) : « L’espèce est
un nom spécifique. » une lignée – ou un ensemble de lignées étroitement appa-
77. Rosen (1979, [68], 277) : « L’espèce est le plus petit rentées – qui occupe une zone adaptative < de l’espace
ensemble d’individus ayant une intégrité géographique des ressources > différant par un minimum de celui de
propre et que l’on peut déterminer par les moyens techni- toute autre lignée de même domaine, et évolue indépen-
ques courants d’analyse. » damment de toutes les lignées hors de son domaine. »
78. Sattler (1986, [69]) : « Supposons cinq individus et 89. Vavilov (1931, [80]) : « L’espèce est un système
cinq caractères, supposons que chaque individu soit privé morphophysiologique complexe isolé et mobile, dont la
de l’un des cinq, jamais le même : chaque individu pos- genèse est liée à un milieu spécifique et à une aire géogra-
sède quatre propriétés, aucun ne les a toutes, chaque phique bien définie. »
caractère est donc présent quatre fois mais aucun ne l’est 90. Wayne et al. (1987, [81]) : « L’espèce bactérienne
toujours, et ceci définit l’espèce polythétique des virus. » inclut les souches ayant à la fois une similitude de séquen-
79. Schopenhauer ( [70], supp. XLII, Vie de l’espèce) : ces des nucléotides de l’ADN supérieure à 70 % et 5 °C ou
« L’espèce est la série des individus successifs et identi- moins de ∆T50, les deux devant être considérés car ils ne
ques unis par la chaîne de la génération. » coïncident pas toujours. »
80. Shull (1923, [71], 221) : « L’espèce peut être définie 91. Wier (1570, L’imposture des diables, in [59]) : « Nul
comme la sorte d’organismes la plus facile à reconnaître, homme, ou autre parfait animant ne peut être conçu ou
et dans le cas des plantes et animaux macroscopiques leur prendre naissance sans copulation du mâle et de la
reconnaissance devrait s’en tenir à une simple observation femelle... Car Dieu dès le commencement a créé toutes
d’ensemble, telle que toute personne intelligente puisse la choses parfaites, à savoir l’homme et toute autre chose en
faire avec l’aide seulement, disons, d’une bonne loupe à son espèce mâle et femelle < donc les accouplements
main. » entre diables et humains sont stériles >. »
81. Simpson (1961, [72], 153) : « L’espèce évolutive est 92. Wiley (1978, [82]) : « L’espèce est une lignée de
une lignée (une séquence ancêtres–descendants) évoluant populations ancêtre-descendant qui maintient son iden-
séparément des autres, et avec ses propres rôles et tendan- tité envers d’autres mêmes lignées, et qui a ses propres
ces évolutives unitaires. » tendances évolutives et son histoire. »

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3. Discussion est constant dans l’animal, et ce qui frappe notre percep-


tion. On appelle un « spécifique » (16) le médicament
propre à soigner une maladie particulière, sens que la
3.1. De l’espèce logique à l’espèce biologique
biologie conserve aujourd’hui dans « spécificité parasi-
Le terme philosophique grec eidos a été traduit par taire ». L’usage de parler d’espèce chez les minéraux
Cicéron en species, qui a donné espèce dont la plus (46) [83] et d’espèce atomiques (43) s’est maintenue
ancienne occurrence dans la langue française, au sens de jusqu’à nos jours.
catégorie taxinomique animale, figure dans le traité didac- Il faut attendre la Renaissance (67, 69, 91) pour que le
tique du Roman de la rose (62) composé vers 1269– critère naturel de reproduction réapparaisse, 2 000 ans
1278 [55]. L’une des premières et persistantes difficultés après Aristote, mais l’évolution vers l’acception moderne
de l’usage de ce mot est son double sens, qui en exprime commence seulement avec le botaniste J. Ray (74, 75) [65,
sans doute la fascinante profondeur, et qui traverse l’his- 66]. Peu à peu les naturalistes s’approprient le mot et les
toire entière de la logique et de la biologie. Nous voyons questions nouvelles qu’il enveloppe, tandis qu’il tombe en
en effet Aristote donner de l’espèce une définition logique, désuétude chez les philosophes. Ainsi Buffon est un car-
une différence dans un genre (3), et en faire un usage tésien très marqué par la métaphysique de Leibniz, et
biologique, reproduction et fécondation (4, 5 et 6). Cette Linné passionné par le Traité de logique dit « de Port-
histoire cependant n’est pas homogène, et les deux sens se Royal » [9] d’où il conçoit la fameuse « nomenclature
contaminent, en particulier par la notion de ressemblance linnéenne » faite d’un binom latin genre–espèce : Homo
qui est logique et naturelle à la fois. sapiens. Kant (50) a parfaitement exprimé cette évolution
Depuis que Platon (71, 72) et Aristote (3) lui avaient du mot. Avec Lamarck [45, 46, 47, 48] on entre dans les
conféré la dignité d’universel logique à la base de tout définitions modernes, c’est-à-dire biologiques (au sens
savoir, et de témoin de l’ordre premier du monde, l’espèce qu’il donne à ce mot en le créant) ; mais Lamarck appelle
a été l’une des grandes affaires des philosophes. Elle est au encore « philosophie zoologique » [84] une hypothèse
cœur du débat fondamental, connu comme la querelle très générale sur l’évolution de la série des êtres vivants,
des universaux, sur la valeur de réalité qu’il faut attribuer tandis que Darwin intitule son ouvrage principal L’origine
aux termes abstraits du langage (par exemple : réalités des espèces [1] : le progrès est considérable. Entre ces
indépendantes, conventions verbales ou concepts cons- deux auteurs, le fixiste Cuvier a donné à l’espèce la
truits par l’esprit). L’espèce était, entre autre, applicable situation prédominante qu’elle occupe désormais dans la
aux groupes d’êtres vivants, mais de manière subordonnée biologie moderne. Qu’un philosophe, tel Schopen-
à son sens logique qui restait prépondérant (7, 52, 85). hauer [70], ou un romancier, tel Flaubert [30], citent une
Cette ambivalence se trahit dans les cas limites : Thomas définition de l’espèce puisée dans un dictionnaire de
d’Aquin (86) décrit de façon très abstraite l’espèce des sciences naturelles, est la marque d’un intérêt nouveau et
anges comme une forme spirituelle dépourvue de matière d’une modestie révélatrice ; une page de l’histoire de la
individualisante, tandis que J. Wier (91) se demande si les notion d’espèce est tournée : son usage philosophique est
diables sont capables d’accouplement fécond avec marginal et elle devient un concept scientifique dont nul
l’homme. Le généticien Haldane (45) suit un parcours ne peut se passer.
inverse et sa pensée empiriocritique retrouve une défini- Il ne faudrait pas conclure à une désaffection de vingt
tion très semblable à celle de Thomas d’Aquin (85). Plu- siècles envers l’espèce naturelle, car les traités naturalistes
sieurs auteurs récents ont donné de l’espèce biologique s’y réfèrent tous ; mais elle n’y est pas définie. Elle est au
une définition (78) ou une interprétation logique (41). contraire l’évidence première, le savoir immédiat (17) ;
L’enjeu de cette confrontation est sous-entendu dans la jusqu’au XVIIIe siècle l’espèce est d’ailleurs la seule caté-
plupart des définitions : faute de parvenir un jour à connaî- gorie taxinomique. L’évidence joue encore un rôle muet
tre toutes les espèces, le naturaliste veut connaître l’espèce pour le spécialiste du groupe (27, 76, 80), que Darwin
en soi ; car il lui semble qu’un concept universel de la appelle non sans désinvolture « le naturaliste compé-
catégorie taxinomique « espèce » lui donnerait accès à tent ».
l’ordre du monde vivant. Le besoin de conceptualiser l’espèce apparaît dans la
À cette acception se rattachent quelques usages équi- mesure où l’on conteste son évidence : chacune des cita-
voques, hésitant entre un sens logique ou biologique. tions proposées est une tentative pour résoudre une diffi-
Selon une tradition scolastique vieillie et juridique, cha- culté, et il faut croire que les difficultés persistent car les
que homme est un cas d’espèce (20) et donc ce que les énoncés abondent. Dès 1690, Locke [85] développe les
naturalistes appellent l’espèce humaine serait logique- arguments du nominalisme selon lesquels les espèces,
ment le genre humain. Au Moyen Âge « espèce » désigne loin d’être des évidences naturelles, sont des noms donnés
ces petites pellicules qui se détachent des objets et vien- par convention et qui ne renvoient à aucune réalité.
nent impressionner l’œil, d’où les expressions payer en Leibniz [86] riposte en 1703 par la première défense de la
espèces (= en monnaie figurée, 63) et communier sous les réalité de l’espèce, affirmant que les espèces ont un fon-
espèces du pain et du vin (= les apparences, 19). La vue est dement naturel, une forme réelle qui subsiste en dépit des
d’ailleurs le mode privilégié de connaissance des espèces variations. Ce débat est une étape historique : pour la
(16, 77) pris au double sens de « forme », à la fois ce qui première fois des philosophes discutent une question de

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logique en s’aidant d’exemples tirés de l’histoire naturelle. que détail. D’où la question : où situer la limite entre la
Au XVIIIe siècle la barrière de fécondité est contestée par variation interne à une même espèce et celle qui distingue
des esprits frondeurs et curieux qui prétendent expliquer deux espèces ? Souvent, cette limite est tout simplement
l’origine de toutes les formes vivantes par l’effet d’accou- indiquée par l’absence de formes intermédiaires, mais
plements fantaisistes : Buffon [14] riposte en imposant le parfois les variations de chaque espèce se recouvrent en
critère d’interstérilité. Un siècle plus tard la biométrie et partie. La ressemblance est un bon indicateur de l’espèce
les statistiques tentent d’imposer un modèle de variation mais ne se substitue pas aux autres critères.
massive qui invalide toute référence à un type idéal : les Le second critère de l’espèce est sa permanence : les
Codes internationaux de nomenclature à leur tour ripos- enfants sont de l’espèce de leurs parents, l’espèce perdure,
tent par des règles draconiennes et les collectionneurs elle a une subsistance. Le critère de descendance fonde la
n’ont jamais autant décrit de types. Enfin la génétique du pérennité de l’espèce, car à notre échelle de temps les
début de notre siècle prête aux mutations le pouvoir de espèces sont stables. La descendance constitue la solida-
transformer les espèces : la riposte est immédiate, l’espèce rité temporelle de l’espèce qui relie dans la durée les
devient une lignée évolutive (81). individus les uns aux autres. Son application est prédomi-
nante chez les animaux domestiques et les plantes culti-
3.2. Critères, intuitions et concepts vées, en microbiologie où le clone est une descendance
La notion la plus générale qui permet de concevoir observée, et en paléontologie où la descendance est seu-
l’espèce est celle de « re-production » (4). Le reproducteur lement inférée. Le critère de descendance est évident pour
s’accouple à son semblable et produit un semblable, le fixisme (5, 9, 13, 58, 59), qui fait de l’espèce une copie
reproducteur à son tour, et cette répétition indéfinie du conforme d’un modèle initial, l’Adam de chaque espèce.
semblable constitue l’espèce. Les relations de ressem- La descendance évoque évidemment l’ancêtre historique
blance, descendance et interfécondité sont toutes présen- (14, 59) dont la fascination ne se dément pas ; les règles du
tes dans la reproduction mais, comme tout ce qui est monophylétisme de chaque espèce (22) renouent avec la
biologique, ces relations sont nuancées et complexes : tradition typologique du père fondateur et modèle.
bien des semblables ne descendent pas les uns des autres, Cependant, la descendance avec modification, c’est-à-
ni ne s’accouplent entre eux et, en revanche, tous les êtres dire le transformisme des espèces, étend la filiation depuis
vivants tiennent entre eux par quelque ressemblance, les formes de vie les plus anciennes jusqu’à nos jours ; ce
quelque liaison phylétique, et divers degrés d’affinité critère ne peut donc convenir à l’espèce que sur des
sexuelle. Il faut analyser ces relations de façon à montrer périodes de fixité limitées : à quel instant passe-t-on de
leur validité, leurs limites, leurs exceptions, et à quelles l’une à l’autre espèce ? Depuis Lamarck, concilier la réa-
conditions elles sont chacune un critère qui s’applique à lité discontinue des espèces avec l’évolution continue de
tous les taxons de rang espèce et à eux seulement. la lignée est devenu un enjeu subtil (22, 23 < 2 >, 47, 66,
L’immense majorité des espèces sont connues par la 88, 92), comme l’avait noté A. Comte (18). L’antinomie
ressemblance des individus qui la composent, et distin- entre espèce stable et lignée évolutive est annoncée depuis
guées les unes des autres par une ou plusieurs différences. les premiers textes de Lamarck : ou bien les espèces ont
Elle est le premier critère de l’espèce. La ressemblance une subsistance et leur évolution est impossible, ou bien
(10, 11, 25, 46, 56, 78, 82, 83, 85, 90) s’appliquant aux l’évolution est réelle et ce que nous nommons espèce est
êtres vivants, comme à tout ce qui possède une figure, l’état transitoire d’une lignée. Les paléontologues se voient
prédomine dans la plupart des définitions. Elle est parfois contraints de découper arbitrairement des séries anagéné-
énoncée par son contraire, la différence (2, 3, 10, 30, 54, tiques graduelles (81, 87). Il y a pourtant certaines séries
58, 87, 88). Le critère de ressemblance est utilisé seul en fossilifères qui sont stables sur de longues périodes d’équi-
microbiologie (1, 10, 83, 90) et en paléontologie (87). La libre, mais entrecoupées de changements rapides ; dans
ressemblance joue un rôle pratique bien plus important ces exemples, chaque stase serait une espèce et chaque
que ne le montrent les définitions, souvent tentées par saut une spéciation. Une autre difficulté est la diversité
l’abstraction ou par des fonctions biologiques. Ainsi, le indéfinie des lignées, car chaque porteur d’un caractère
critère de ressemblance peut rassembler les individus particulier peut engendrer une lignée identifiable que l’on
ayant un même profil écologique (84) ou un même com- hésitera à appeler espèce.
portement sexuel (68). Il est souvent la seule manière de Les critères de ressemblance et de descendance ont
définir une lignée (49, 56, 88, 92). Dans les collections ou l’inconvénient de s’appliquer à tous les degrés d’affinité,
sur le terrain, la ressemblance joue un rôle pratique : elle puisque de proche en proche tous les êtres se tiennent, se
permet de reconnaître. Il est évident que la suite des ressemblent et sont apparentés. Il est particulièrement
générations qui constitue une lignée n’est presque jamais important que les définitions précisent le degré exact de
observée, et que l’interfécondité n’est pas réellement tes- relation propre à l’espèce, faute de quoi elles désignent
tée entre tous les conjoints potentiels ; en routine, ces indifféremment le genre, l’espèce ou la sous-espèce (20,
relations sont donc inférées au vu d’une ressemblance - tel 22, 51, 54, 55, 73, 78, 87, 88, 92).
père tel fils, et, qui se ressemble s’assemble, dit-on. L’interfécondité, troisième critère, est une fonction de
Cependant la ressemblance n’est pas l’identité, et deux brassage qui « auto-proclame » l’espèce. Ce sont les par-
individus d’une même espèce diffèrent toujours par quel- tenaires qui se reconnaissent eux-mêmes ; le naturaliste

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n’a plus qu’à enregistrer leurs affinités ; et si les conjoints tion de Cuvier juxtapose ceux qui descendent les uns des
se trompent parfois, l’hybride sera inviable ou stérile. autres ou de parents communs et ceux qui leur ressem-
Empiriquement admise depuis toujours comme le signe de blent autant. L’espèce serait-elle composée de trois sous-
l’espèce (6, 8, 70, 91), l’interfécondité apparaît en tant que ensembles ? et d’ailleurs tous ne se ressemblent pas autant.
critère chez Buffon (12) puis dans la définition classique Toute juxtaposition masque une ignorance, et cette obser-
d’E. Mayr (61) comme représentative de la structure popu- vation est l’apport le plus subtil à l’épistémologie du
lationnelle (15, 34, 39). Une distinction peut être faite philosophe Hegel qui pensait que tous les faits devraient
entre isolement prézygotique, par exemple la cour sexuelle être reliés par des raisons : il faut admettre qu’on n’a pas
(68), et isolement postzygotique (15) ; Aristote l’avait très véritablement cerné le problème de l’espèce tant qu’on
bien pressenti (6). n’a pas expliqué comment des drosophiles peuvent se
Pierre de touche pour les uns et pierre d’achoppement reproduire presque à l’identique durant cent millions de
pour d’autres, le critère de la « séduction légitime » ren- générations et varier à chacune d’elles, ou être interstériles
contre lui aussi d’importantes difficultés. L’accouplement et indiscernables. L’entr’expression des relations adaptati-
est effectif entre conjoints, tandis qu’il est seulement pos- ves, reproductives, populationnelles, doit être formulée.
sible avec les autres. Jusqu’où aller chercher des conjoints L’espèce possède d’autres propriétés que la reproduc-
potentiels ? Le bison d’Europe est-il un conjoint potentiel tion, mais il est difficile de les élever au rang de critères de
pour le bison américain ? Et les moules d’eau de deux définition.
étangs que sépare une digue sont-elles deux espèces à La communauté écologique (88), adaptative et évolu-
l’étiage, et une seule si la digue se rompt ? Mettre en tive (57, 88), géographique (77), souligne des caractères
élevage des conjoints potentiels, n’est-ce pas contrevenir importants : l’habitude commune selon Lamarck, le régime
à un isolement géographique naturel ? Quels échanges sélectif commun selon Darwin, rendent compte de la
génétiques se produisent réellement est indispensable à finalité de l’ordre spécifique, en montrant qu’il existe un
connaître, mais difficile, au point que des populations rapport ordonné entre les êtres vivants et leurs conditions
géographiquement à l’écart ont un statut indécidable. d’existence. L’écologie énonce la relation la plus promet-
D’une façon générale, l’interfécondité potentielle reste teuse, la plus intuitive de l’espèce, et a les apparences d’un
une idée vague qui convient mal à la rigueur d’une défi- critère, mais elle ne saurait en fonder un concept rigou-
nition. Le critère de ressemblance (24, 33, 44) est souvent reux. L’espèce une fois connue, sa niche peut être a
utilisé pour pallier la difficulté de tester la fécondité, mais posteriori décrite avec précision, mais la réciproque est
ceci entraîne la confusion des espèces jumelles, ressem- fausse, car la maille de caractérisation d’une niche est loin
blantes et interstériles. Une autre difficulté concerne des de renvoyer à une espèce. Un milieu donné offrira plu-
espèces affines qui ont conservé entre elles l’interfécon- sieurs niches à plusieurs espèces spécialistes, et une seule
dité de leur espèce ancestrale commune. Les hybrides à une espèce généraliste. L’étude de ce milieu ne dit pas a
entre espèces voisines peuvent être abondants et féconds : priori si l’on est en présence de l’un ou l’autre cas. Aussi la
les iris, les saules forment des foules d’hybrides indéfini- définition des espèces loin de se fonder sur l’analyse
ment féconds, des pins, des peupliers s’hybrident depuis écologique, en est au contraire le préalable indispensable.
12 millions d’années, quoique leurs espèces restent pures La communauté d’habitat, la cohabitation, est le théâtre
dans certains sites. La difficulté inverse se rencontre avec où se joue l’espèce. Les cohabitants subissent à peu près
les espèces autofécondes ou asexuées, tels les microbes les mêmes contraintes sélectives, donc se ressemblent ; les
(1, 10, 48, 73, 90), ou avec les fossiles (81, 87). Trop de enfants vivent avec les parents, et les descendants s’accou-
sexe chez les uns, pas assez chez les autres : le critère plent entre eux. La cohabitation constitue l’espace naturel
d’interfécondité n’est pas universel. de circulation, la solidarité spatiale et temporelle propre à
Certains concepts de l’espèce s’appuient sur l’un ou chaque espèce. Ceci introduit vers les années 1940 une
l’autre des critères, jugé prédominant ou commode, et idée neuve, la seule peut-être qui manquait encore à
considèrent que les autres caractères en dépendent ou l’espèce, la notion de population (34). Pourtant les classes
s’en déduisent. On trouve ainsi des définitions de l’espèce ou ensembles ne sont pas des populations (2, 3, 11, 82) car
par la morphologie, ou par la descendance, ou par l’inter- il leur manque une relation qui fonde l’espèce de l’inté-
fécondité, chacune se jugeant la mieux à même de rendre rieur (15, 42, 61, 68, 84) : là encore il faut déterminer
compte de l’ensemble des propriétés de l’espèce. Certains d’abord les espèces pour reconnaître ensuite les popula-
auteurs peuvent proposer plusieurs définitions, par exem- tions.
ple Lamarck : la ressemblance–différence (54), la repro- Ces difficultés insoupçonnées ont suscité une solution
duction (55), la durée et la population (56), la constance radicale au problème de l’espèce : par convention la
du milieu (57). Cuénot (23) enchaîne trois définitions en Nomenclature internationale retient comme espèce tout
quelques lignes. D’autres définitions juxtaposent les critè- spécimen pourvu d’un binom latin. Les règlements princi-
res avec plus ou moins de bonheur, faute de pouvoir les paux sont d’ailleurs contemporains de la grave crise de
déduire (24, 25, 33, 48, 77, 84). L’illusion de cohérence l’espèce liée à la montée du transformisme vers 1900.
produite par « et » et par « ou » est d’autant plus insi- S’appliquant à toutes les espèces animales, végétales,
dieuse qu’elle s’en tient à l’énoncé des faits objectifs et microbiennes et fossiles, ces règles ont le mérite de pro-
enchaîne des fonctions naturelles. Par exemple la défini- poser un langage universel élaboré, mais le défaut de

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masquer la diversité des situations sous leur sérénité admi- rence diagnosticable peut être le critère d’une species
nistrative, puisque la multiplicité des critères, l’applica- infima (7). Toute lignée qui se perpétue isolée passe pour
tion indécise de chacun d’eux, et les désaccords qui s’en une « basse espèce » (22, 49, 88). Le critère d’interfécon-
suivent, n’assurent pas que tout nom officiel d’espèce dité (61, 68) est plutôt réunisseur car il rapproche, sous
réponde à une même réalité naturelle. prétexte de fécondation potentielle, des lignées et des
populations que les autres critères séparent ; en revanche
3.3. Cohérence interne aux concepts il distingue les espèces jumelles interstériles, que les cri-
tères précédents confondent parfois.
Un bon concept devrait être : La confusion persiste entre les registres philosophique et
• applicable à toutes les espèces et à l’espèce seule- biologique. Le nominalisme désuet du xixe siècle se croyait
ment, et non aux autres catégories taxinomiques (genre, mieux à même d’établir la réalité de l’évolution en affir-
sous-espèce, notamment) : la plupart s’y efforcent ; mant que les espèces sont de pures conventions, donc
• satisfaisant pour l’esprit par sa logique et sa cohé- sans réalité par elles-mêmes. Il s’opposait à ses éternels
rence (3, 7, 52, 78) ; adversaires, la typologie et l’essentialisme, hâtivement
• fondé en théorie sur des fonctions biologiques, géné- assimilés au platonisme (71) et au créationisme (59), selon
tiques, adaptatives, évolutives (5, 6, 59, 73, 75) ; lesquels les espèces sont au contraire des réalités subsis-
• fondé en nature par les critères de ressemblance, tant de toute éternité. La conciliation n’est pas venue des
descendance et interfécondité (25, 33, 84) ; philosophes mais des biologistes qui désormais distin-
• en accord avec la stabilité ordinaire et avec l’évolu- guent l’espèce, de la spéciation. Pour cette raison l’espèce
tion occasionnelle des espèces (47, 57, 66, 81, 88, 92) ; stable est omniprésente dans les citations des évolution-
• général et homogène pour tous les groupes (notam- nistes. Le « type » de chaque taxon-espèce, est d’abord un
ment asexués) puisque l’espèce est une catégorie taxino- spécimen déposé en collection ; et la pensée typologique
mique commune à tous les êtres vivants ; va plus loin et choisit souvent pour « type » de la catégorie
• finement ajusté aux particularités les plus sensibles taxinomique espèce, de l’espèce en général, une propriété-
du taxon concerné par la recherche en cours, pour être type qui vise à s’appliquer à toutes les espèces. Des états
d’usage commode (1, 73, 87). ou des fonctions assez divers sont pris pour ce qu’il faut
Plusieurs de ces exigences, par exemple les deux der- bien appeler une essence : le monophylétisme (22),
nières, sont difficiles à concilier entre elles. l’homozygotie totale (23 < 2 > ), la population panmicti-
Il devrait éviter : que (34), un profil adaptatif (88), un système de féconda-
• la circularité : par exemple « espèce » défini par tion (68), une aire de répartition (77). Le choix des carac-
« spécificité », ou par « groupe semblable » (3, 47, 55, 66, tères devient parfois très arbitraire : degré ou seuil de
81) ; ressemblance (36), distance-type (87, 90), taux d’échan-
• l’usage de concepts moins définis que l’espèce ou qui ges (39). On appelle « constructivisme » une attitude,
ne prennent sens qu’une fois l’espèce déjà connue : habi- trahie par le mot « diagnosticable », qui soumet l’espèce
tat, niche écologique, systèmes de reconnaissance, nœud au savoir-faire du taxinomiste, lequel décide de rassem-
de bifurcation, stase et saut (9, 42, 60, 77, 88) ; quelle est bler ou de séparer, non pas d’après les fonctions naturelles
par exemple la définition du « naturaliste compétent » de l’espèce, mais d’après des règles convenues (23 < 1 >,
(27, 76) ? 76, 78, 82, 90). À vrai dire, cette conduite n’est jamais tout
• d’être confiné à un groupe particulier (1, 10, 48, 73, à fait sincère, car le taxinomiste attend toujours une cor-
80, 87, 90) ; roboration des caractères les uns par les autres (24, 33, 44,
• d’utiliser un seul critère ; par exemple l’ADN, le 74, 89, 90), ce qui suppose que l’espèce n’est pas arbi-
comportement sexuel (1, 15, 34, 61, 68, 90) ; traire mais bien fondée en nature.
• d’accoler plusieurs critères, sans montrer leur entre- Certains concepts sont plutôt théoriques (15, 39, 41, 66,
expression (22, 24, 33, 48). 89), et donnent l’impression qu’ils atteignent le véritable
• de désigner d’autres catégories taxinomiques que fondement de l’espèce mieux que ne le font des approches
l’espèce (10, 40, 83, 92). pragmatiques (6, 12, 73, 87, 90). Ce n’est pas sûr. Dans
• le nominalisme démoralisant (23 < 1 >, 26 à 32, 53). l’espèce les fonctions sont concrètes, observables, tangi-
bles, et les concepts les meilleurs sont ceux qui s’appli-
3.4. La sensibilité du naturaliste quent largement, se prêtent aux épreuves, dépistent les
anomalies. Les principes généraux (3, 42, 78, 89) précè-
Les taxinomistes rassembleurs et leurs collègues divi- dent la détermination des espèces, comme des consignes
seurs d’espèces échangent inlassablement leurs arguments. dépendant d’une logique ou d’une métaphysique plus
Les réunisseurs d’espèces dont Buffon est le plus célè- forte, et les abstractions (15, 41, 84) suivent, comme une
bre [14] voient les choses en grand (23 < 3 > ) et parlent réflexion sur des données depuis longtemps connues mais
de la population « la plus inclusive » (68). À l’inverse les restées incomprises. Tout cela ne répond guère au travail
diviseurs, tel A. Jordan, raffinent les analyses descriptives du naturaliste dont les observations prennent leur sens
et découpent, donc multiplient, le nombre des « plus véritable dans des hypothèses testables, donc des défini-
petits ensembles décelables » (65), puisque toute diffé- tions pratiques.

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Chaque discipline biologique essaye ses forces à conce- question de son universalité. Existe-t-il une catégorie taxi-
voir l’espèce, comme à une sorte d’épreuve prestigieuse nomique constituée par toutes les espèces et susceptible
où l’on est sûr de perdre, mais satisfait d’éprouver sa d’une définition générale ? Un accord se chercherait alors
valeur sur un obstacle qui fait honneur à ceux qui l’abor- dans la formulation d’un concept unique dont certains
dent. La génétique s’est attachée à la relation d’interfécon- groupes habituellement qualifiés comme des espèces
dité (15, 34, 39, 84), la taxinomie numérique à la relation seraient exclus. Selon un autre point de vue, il y aurait une
de ressemblance globale (82, 83), la cladistique à la définition pour les zoologistes et les botanistes, une pour
relation de descendance et à l’évolution des caractères les fossiles, une pour les bactéries ; et pourquoi pas une
(22, 47, 66, 88, 92), l’éthologie à la relation d’appariement définition de l’espèce qui ne serait valide que pour les
(68) et la biochimie à la coaptation des ADN (1, 90). Il faut champignons, une autre pour les drosophiles, pour les
avouer qu’aucune de ces sciences n’a produit une défini- phages caudés (1), pour l’homme (les définitions de
tion consensuelle. l’homme mériteraient un volume à part)... Les naturalistes
Certains groupes se prêtent si mal à l’usage des critères l’admettent parfois ; cependant la conviction demeure
qu’ils requièrent presque leur propre définition. Les espè- qu’il y a certainement quelque chose de commun à tous
ces fossiles ont une définition purement morphologique, les êtres vivants, et un concept unitaire de l’espèce reste
et constituent des séries stratigraphiques continues dans un objectif.
lesquelles on opère des découpages (87). Les bactéries, les L’espèce, naguère une évidence, serait-elle désormais
virus, ont aussi une définition par la ressemblance, qui une convention ? Il n’en est rien. Les critères qui définis-
privilégie des données biochimiques, notamment les sent l’espèce sont bel et bien « fondés en nature ». La vie
conditions de culture, et les séquences d’ADN (1, 10, 48, de l’espèce met en œuvre les fonctions biologiques les
73, 75, 90). La structure clonale indéfinie, quoique très plus riches, qui sont précisément les relations retenues
différente du cas des fossiles, conduit là aussi à des décou- comme critères de l’espèce ; ressemblance, descendance
pages arbitraires. et interfécondité sont les propriétés qui définissent
Les naturalistes parviennent difficilement à intégrer les l’espèce, parce qu’elles résultent des fonctions qui la
patterns, les figures stables de l’espèce et les processes constituent. Un philosophe dirait que ces relations sont
évolutifs de la spéciation. Ce n’est pas anormal : les espè- ontologiques et épistémologiques, ou encore, ce qui est
ces sont obstinément fixes à l’échelle humaine, et la vie pour l’espèce est savoir pour nous ; et c’est peut-être la
spéciation se cache bien (37, 40, 57, 81). Les caractères de raison pour laquelle Aristote utilisait le même mot, pour
l’espèce et les causes de spéciation se suivent dans les désigner l’espèce naturelle et l’espèce logique. L’espèce
définitions, juxtaposés, voire opposés l’un à l’autre, comme biologique se rapporte d’une part à l’espèce logique dont
si on voulait faire cohabiter une notion fixiste tradition- elle envie l’universalité et partage les difficultés d’interpré-
nelle, celle des zoologistes, botanistes, écologistes, phy- tation ; et elle est d’autre part une catégorie taxinomique
siologistes, avec un flux de spéciation bien éloigné du fondée sur des fonctions naturelles. Confronter ces deux
quotidien des naturalistes. Soumis à ce grand écart, les registres d’utilisation du mot « espèce » est passionnant,
concepts qui évoquent des bifurcations, des nœuds, des mais le naturaliste doit peut-être renoncer à rechercher
lignées évolutives (47, 51, 66, 88, 92) sont des abstrac- dans des relations approximatives et évolutives, l’univer-
tions passablement étrangères aux critères de ressem- salité du sens premier ; ce qui n’exclut pas, malgré les
blance, descendance et interfécondité. conflits ou les interprétations différentes, voire concurren-
Si nous voulions résumer en deux mots l’attitude du tes, de viser un accord d’usage.
naturaliste envers l’espèce, nous dirions « entr’expression
Parce qu’on ne parvenait pas à définir l’espèce, on a
des caractères » et « corroboration des diagnostics ». Le
conçu le doute sur sa réalité et découvert l’évolution : tant
taxinomiste dialogue avec l’espèce en général et avec
qu’un concept reste ouvert, il génère des hypothèses –
chacune en particulier. Chaque espèce n’a pas été créée
qu’il soit déterminé est souvent le signe qu’il a épuisé son
avec des caractères propres à elle seule, suivant un modèle
pouvoir d’étonnement et donc qu’il cesse de motiver une
(71) ou par un Adam fondateur (14, 58, 59) puis protégée
recherche. L’espèce résiste aux définitions, mais l’effort
par un isolement, qui lui confèrent une place unique dans
spontané des naturalistes de toutes spécialités pour en
l’ordre de la nature, mais elle a de multiples aptitudes qui
élaborer un concept atteste qu’ils la prennent aujourd’hui
en font un tout organisé (35, 41). Elle n’est donc ni
comme si elle était un guide sûr et universel qui en
évidente ni logiquement déductible, mais elle dévoile des
sous-main disposerait les matériaux et ordonnerait les
parcelles de sa structure qui nous guident vers sa détermi-
observations.
nation.

4. Conclusion Remerciements : Nous remercions très chaleureuse-


ment M. Monnerot pour son aide ainsi que J.F. Silvain et
Cette sensibilité de l’espèce au choix des critères, et deux lecteurs-arbitres anonymes pour leurs précieux
cette validité incertaine dans certains groupes, posent la conseils de rédaction.

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