Science

L’essentiel de la LE MONDE DEMAIN

Ces découvertes
qui permettent de
préserver la planète

CHANGEMENT
CLIMATIQUE
Les énergies vertes
à la rescousse

N° 64 - Trimestriel - Mars - Avril - Mai 2024 - P928617 - BEL : 8,20 € - ESP/PORT.CONT 8,90€ - D 9,10€ - DOM 8,90€ - N.CAL 1060XPF - MAR 91MAD
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L 17320 - 64 - F: 7,90 € - RD

BIOÉCONOMIE RESSOURCES
Lactips sonne le glas DU XXIème SIÈCLE
du plastique Ammoniac, hydrogène vert,
solaire, mini-réacteurs...
 Science SOMMAIRE
N°64 - Trimestriel - Mars - Avril - Mai 2024
L’essentiel de la

Edité par Entreprendre (Lafont presse)

53 rue du Chemin Vert - 92100 Boulogne-Billancourt

CHANGEMENT
www.lafontpresse.fr - Tél. : 01 46 10 21 21

Directeur de la publication et de la rédaction :

CLIMATIQUE
Robert Lafont
robert.lafont@lafontpresse.fr

Secrétaire générale des rédactions :

Isabelle Jouanneau - Tél. : 01 46 10 21 21
isabelle.jouanneau@lafontpresse.fr

• RÉDACTION
Sacha Lorens (sacha.Lorens@free.fr), Michel de Closets,
Les énergies vertes à la rescousse
François Chevalet et les rédactions de Lafont presse.
ACTUALITÉS DE LA SCIENCE......................................... 4 Les experts de l’ONU et du GIEC lancent l’alrme.......... 35
• ADMINISTRATION
Directeur comptable : Comment les déchets d’hier deviennent les matières Si le réchauffement allait jusqu’à 5,7°C........................ 35
Didier Delignou - didier.delignou@lafontpresse.fr
Comptables :
premières du futur.......................................................... 4 Des effets catastrophiques et irrémédiables................. 36
Mélanie Dubuget - Tél. : 01 46 10 21 28 Restera-t-il des arbres dans les milieux les plus arides Des solutions pourtant accessibles.............................. 36
melanie.dubuget@lafontpresse.fr
Alizée Dufraisse - Tél. : 01 46 10 21 03 de la Terre ?.................................................................... 4 Limiter le réchauffement à 1,5°C, est-ce encore possible ?.37
alizee.dufraisse@lafontpresse.fr Un petit pas pas d’espace............................................... 5 Le temps nous est compté........................................... 38
• PUBLICITE & PARTENARIATS
Directeur : LES MONDE DE DEMAIN................................................ 6 LES ÉTONNANTES DÉCOUVERTES DE LA BIOÉCONOMIE.40
Éric Roquebert - Tél. : 01 46 10 21 06
eric.roquebert@lafontpresse.fr Un effet beaucoup plus rapide que prévu....................... 8 De formidables ressources !......................................... 42
Chef de pub :
Francis Dominguez - Tél. : 06.98.99.89.32
La santé humaine en jeu................................................. 9 Les atouts de l’économie circulaire.............................. 43
francis.dominguez@lafontpresse.fr Quel est l’impact de l’environnement sur le Des plantes pour remplacer les polymères issus du pétrole.44
• FABRICATION développement des maladies chroniques ?.................. 10 De nouveaux matériaux à partir de coproduits alimentaires.46
Maquettiste :
Vincent Doré
L’éco-conception du soin.............................................. 12 Un « caoutchouc » naturel à base de tomate............... 47
Imprimerie : Rotochampagne (52 - Chaumont) Quels sont les enjeux bioéthiques des S’inspirer du vivant : les plantes à traire !.................... 48
Communication environnementale : Origine du papier :
Suède - Taux de fibres recyclées : 0% - Ce magazine
est imprimé sur du papier porteur de l’Ecolabel Européen
bouleversements climatiques ?.................................... 13 Une plante pour nourrir les saumons et fournir
sous le numéro : SE/011/04 - Eutrophisation : PTot 0.003 Kg/t. Quelle valeur accordons-nous à la nature une huile pour peintures............................................... 49
• DIFFUSION PRESSE et aux non-humains ?................................................... 15 Les enzymes goutons : comment valoriser
Isabelle Jouanneau - Tél. : 01 46 10 21 21
isabelle.jouanneau@lafontpresse.fr L’injustice climatique : un problème d’éthique sensible.. 16 la biomasse récalcitrante.............................................. 50
Distribution : MLP - Tondeur (Belgique)
Limiter l’impact environnemental des activités médicales.17 Un colorant fluorescent au œur d’un arbre................... 51
• ABONNEMENTS Alimentation industrielle et environnement................... 18 Développer les technologies blanches.......................... 52
Hanane Rahmani et Korotoumou Coulibaly
abonnement@lafontpresse.fr Répondre aux attentes sociétales................................. 19 La transition vers la bioéconomie................................. 53
Remettre en cause notre vision du monde................... 20 Quel impact et quelles nuisances ?.............................. 54
l’essentiel de la science est édité par le Groupe Entreprendre - S.A au capital de
1 006 268.70 € - RCS NANTERRE 339 532 194 - SIRET : 339 532 194 000 34 - NAF : Réseaux sociaux, lobbys et psuedo-experts : Une microferme 2.0 en Guadeloupe............................. 55
5814Z SA - 53 rue du Chemin Vert 92100 Boulogne-Billancourt.
la théorie du complot.................................................... 21
LACTIPS : LE PLASTIQUE LE PLUS VERT DE LA PLANÈTE.56
Tél. : 01.46.10.21.21 – Fax : 01.46.10.21.22

Un désir d’immortalité.................................................. 22
Toute reproduction, même partielle, des articles et iconographies publiés dans
L’essentiel de la science sans l’accord écrit de la société éditrice est interdite,
conformément à la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique.
La rédaction ne retourne pas les documents et n’est pas responsable de la perte
Plus de plastique que de poissons dans la mer !......... 58
ou de la détérioration des textes et photos qui lui ont été adressés pour appré-
ciation.
LE CHANGEMENT CLIMATIQUE.................................... 24 Un produit zéro déchet comestible............................... 59
N° de commission paritaire : 0923 K 89315
Trois paramètres astronomiques modifient le climat
N°ISSN : 1961-3679 - Dépôt légal à parution

de la Terre..................................................................... 26 QUELLES ÉNERGIES POUR DEMAIN ?............................. 60

Avertissement : L’éditeur se réserve la possibilité de republier certaines
enquêtes ou reportages des titres Lafont presse.
L’orbite terrestre est plus ou moins elliptique.............. 26 Les technologies arrivent sur le marché....................... 62
L’axe de rotation de la Terre est plus ou moins incliné... 27 Décarboner l’industrie................................................... 62
Des magazines à découvrir Des échelles de temps « astronomiques »................... 28 Les matériaux de la transition énergétique................... 63
À quand la prochaine glaciation ?................................. 29 Comment stocker l’énergie ?........................................ 63
À lire sur www.lafontpresse.fr
Une « portée destructrice inouïe »................................ 30 L’hydrogène vert ; une énergie idéale ?........................ 64
Economie : Entreprendre, Placements, C’est votre argent !.
People : Journal de France, Intimité, Intimité Dimanche, Spécial Les gaz à effet de serre en constante augmentation..... 31 Quid du nucélaire ?....................................................... 64
Dernière, Spécial France, Paris confidences, Le meilleur, Enquêtes
Des canicules comme on n’en avait jamais vues.......... 31 L’ammoniac, un des futurs e-fuel................................. 65
magazine, Crimes magazine, Spécial Police, Histoires vérité,
Souvenirs Souvenirs, Chanson magazine, Numéro Spécial, Album,
Des villes devenues invivables...................................... 31 Les Français sont-ils prêts ?......................................... 66
Album spécial, Johnny magazine, Johnny actualité, Reines & Rois,
Royauté, Album Royauté, Gotha magazine. Des phénomènes météorologiques extrêmes............... 32
Auto : L’essentiel de l’Auto, Auto magazine, Pratique Auto,
Automobile verte, Collection Auto, Automobile revue, Automobile Il faut agir maintenant................................................... 33 Le prochain
revue Alpine, L’essentiel Ferrari, L’essentiel Porsche, Tracteurs
Des systèmes d’alerte indispensables avant les castrophes.33 L’essentiel de la Science
magazine, La revue du tracteur, Le magazine de l’aviation, L’essentiel
du Drone. L’Anthropocène : quand l’Homme contrôle la nature... 34 paraîtra le 22 mai 2024
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ACTUALITÉS

Comment les déchets d’hier deviennent

les matières premières du futur
Des scientifiques démontrent la faisabilité
d’une circularité efficace pour l’industrie
des silicones. Ils présentent un procédé de
recyclage chimique qui permet de dépo-
lymériser les déchets silicones en mono-
mères pour ensuite les repolymériser. Et
la boucle est bouclée pour ces polymères
inorganiques extrêmement utilisés !

Les propriétés mécaniques et thermiques

exceptionnelles des silicones ainsi que leur
faible toxicité en font des matériaux de choix
pour des applications dans des domaines aussi
divers que l’énergie, l’isolation, la santé, les
cosmétiques et l’agro-alimentaire. Polymères
inorganiques, ils sont constitués de plus ou
moins longues chaînes, le long desquelles
alternent des atomes de silicium et d’oxygène.
La matière première est le quartz (silice cris-
tallisée), à partir duquel on extrait le silicium
pur pour ensuite former des monomères silanes
polymérisables en silicones. Dans un contexte
d’économie circulaire, le recyclage chimique
des silicones afin de récupérer les monomères
indispensables à leur synthèse industrielle
s'avère particulièrement pertinent. Il permet en
effet d’économiser environ 70% de l’énergie
nécessaire à la fabrication de matière vierge, en
évitant l’étape de métallurgie à partir du quartz
natif. D'où une empreinte carbone minimale
du recyclage chimique des silicones.
Dans le cadre d’une collaboration avec la
société Elkem Silicones©, des chimistes du
laboratoire Catalyse, polymérisation, procé-
dés et matériaux (CP2M, CNRS/Ecole Su-
périeure de chimie physique électronique de
Lyon/Université Claude Bernard) ont conçu
un nouveau procédé de dépolymérisation de
silicones. Ils ont utilisé un catalyseur très
efficace : un complexe ligand-silanolate de
potassium qui permet le recyclage chimique
des silicones en monomères cycliques à partir
de nombreux substrats industriels, dont des
déchets proprement dits. Leur méthode ne
nécessite qu'une petite quantité de catalyseur
(typiquement 0,1 mol%, soit quelques ppm
massiques), et elle fonctionne dans une large
gamme de températures (60°C-170°C) afin de
produire efficacement le mélange de cyclo-
siloxanes (avec un rendement jusqu'à 99%).
L’efficacité du catalyseur a été démontrée sur
5 cycles de recyclage consécutifs. De plus,
ce même catalyseur peut être utilisé pour
re-polymériser les monomères en silicones.
Cette nouvelle technologie représente un
pas important vers une réelle circularité des
matériaux silicones pour lesquels les déchets
d’hier deviennent les matières premières de
demain. (Source : INC)

Restera-t-il des arbres dans les milieux

les plus arides de la Terre ?
Vont-ils résister à l’aridification du climat ?
Plus de 1 016 espèces d’arbres des milieux
arides chauds de la planète ont été étudiées
et plus de la moitié de ces espèces devra
faire face à un climat encore plus aride
dans le futur : le déclin de leurs popula-
tions semble inéluctable.
Les milieux arides chauds (en opposition
aux milieux arides froids comme la toundra)
couvrent environ 20% des surfaces continen-
tales et ils abritent plus d’un millier d’espèces
d’arbres. Ces arbres occupent une position clé
dans le fonctionnement des écosystèmes, et ils
rendent des services essentiels pour les sociétés
humaines qui y vivent : approvisionnement
de combustible et matériaux de construction,
maintien de conditions favorables à l’agricul-
ture, etc. Avec le changement climatique en
cours, lié aux activités humaines, le climat
de nombreuses régions du monde risque de
devenir de plus en plus aride dans le futur.
Au sein de ces régions, cela contribuera au
phénomène de désertification, c’est-à-dire la

4 - L’essentiel de la Science
 Un petit pas dans l'espace...
© NASA

Les sorties extra-véhiculaires sur l'ISS ont beau être régulières, elles restent des moments
d'exception, surtout pour ceux qui les vivent !
L'astronaute américain Stephen Bowen et l'astronaute des Emirats arabes unis Sultan al-Neyadi en
ont effectué une en avril dernier. Ils ont passé sept heures et une minute dans le vide spatial pour
effectuer des opérations de maintenance, notamment la préparation de l'installation de nouveaux
panneaux solaires.
Sultan al-Neyadi est devenu à cette occasion le premier astronaute arabe à réaliser ce type d'exploit.

L’essentiel de la Science - 5
LES CHOIX DE LA SCIENCE

Les choix de la science

6 - L’essentiel de la Science
Les interrogations éthiques sur les rapports de l'homme et
de la nature, dans un contexte de réchauffement climatique
et de dégradation de l'environnement, connaissent une
importance croissante. L'empreinte environnementale de
l'humain n'a jamais été aussi forte voire destructrice. Et
chaque nouvelle recherche scientifique peut poser problème
quant à l'impact de ses applications.

Quels sont les enjeux bioéthiques des bouleversements

climatiques ? Quel est l'impact de l'environnement sur
le développement de maladies ? Peut-on mettre en place
une politique qui demande à chacun des compromis, des
renoncements ? Quelles sont les origines cognitives et
culturelles du déni climatique ? Voici quelques questions
abordées lors du Forum européen de bioéthique 2023 qui
s'est déroulé à Strasbourg et dont le sujet était « Bioéthique
et Environnement(s) ».

Fondé par le Pr Israël Nisand, Chef de la maternité de

l'Hôpital Américain de Paris, ce Forum réunit des experts
européens face au grand public avec la vocation de rendre
accessibles à tous des questions de bioéthique. « Car la
bioéthique n'est pas une science ! » souligne le Professeur.
« Elle a pour objectif de questionner le fait scientifique,
de le réhumaniser. Elle est donc nécessairement affaire
d'opinion. »

L’essentiel de la Science - 7
LES CHOIX DE LA SCIENCE
Un effet beaucoup plus rapide que prévu
Les preuves du changement climatique sont évidentes et ses effets plus rapides que prévu.
« À peu près tout ce que nous avons
écrit dans le rapport est en train de se
produire, mais cela se produit beaucoup
plus vite que ce que nous avions anti-
cipé. » Tels sont les propos de Jean-
François Soussana, Vice-Président
d'INRAE, co-auteur de plusieurs
rapports du Giec. « On imaginait un
changement progressif du climat, mais
pas un système de perturbations accé-
lérées avec la cascade d'impacts sur les
écosystèmes, sur les sociétés, avec des
déstabilisations économiques, sociales
et politiques. »
Aujourd'hui, « les preuves scientifiques sont
trop fortes pour que des gouvernements
puissent s'opposer à la vérité », remarque-t-il.
Des accords sont donc conclus au niveau des
nations, de l'Europe. En effet, si une prise de
conscience individuelle est importante, elle ne
suffit pas. Des réponses collectives, politiques
sont indispensables. Pour donner l'exemple de
8 - L’essentiel de la Science
la région Grand Est, Irène Weiss, conseillère
régionale en charge de la culture et de l'éduca-
tion, explique : « les étés sont de plus en plus
chauds chaque année, avec des répercussions
sur les autres saisons. La sécheresse a fait que
des nappes phréatiques ont connu des niveaux
jamais atteints. De nombreuses communes
ont dû être approvisionnées en eau potable.
La ville de Gérardmer, dans les Vosges, a dû
puiser dans le lac jusqu'au 16 novembre ! Les
feux de forêt aussi ont été exceptionnels ».
Même si les enjeux sont mondiaux et qu'il
est trop tard aujourd'hui pour stopper le ré-
chauffement, I. Weiss croit à la possibilité
de créer des territoires résilients, car il faut
apprendre à s'adapter, traiter les causes et les
conséquences. Le rôle de proximité des col-
lectivités locales permet de mieux mettre en
œuvre et contrôler des actions. « La région
Grand Est, porteuse d'un projet de territoire
reconnu comme l'un des plus verts de France,
est très engagée en matière de réduction des
pesticides, de sobriété foncière et de transition
énergétique qui vont bien au-delà des objec-
tifs nationaux. » La région limite elle-même
ses émissions tout en étant apporteuse de solu-
tions : des offres de mobilité douce comme
le TER, l'outil régional unique en France
Climaxion qui a permis d'accompagner 251
millions d'euros d'investissements dans la
transition énergétique et l'économie circulaire
rien que pour l'année 2022, la reconstitution
des trames vertes et bleues qui seront des îlots
de fraîcheur pour la biodiversité, etc.
Mais quid de l'acceptabilité? « C'est toujours
difficile de dire à un habitant de la région
gagnant le SMIC qu'il ne pourra plus rouler
dans sa voiture Crit'Air 5, demain dans sa
voiture Crit'Air 4, etc., alors même que les
avions qui passent au-dessus de sa tête sont
exonérés de fiscalité environnementale et que
les camions qui passent à côté de chez lui ne
sont pas encore taxés... »
 La santé humaine en jeu
De son côté, Pierre-Henri Duée, direc-
teur de recherche honoraire d'INRAE,
membre de la Commission nationale
de la déontologie et des alertes en ma-
tière de santé publique et d'environne-
ment, déplore le manque de prise de
conscience et de mobilisation autour
des effets dangereux sur la santé de la
situation climatique.
Ce chercheur a beaucoup contribué aux tra-
vaux du CCNE (Comité Consultatif Natio-
nal d'Ethique), présidé par Jean-François
Delfraissy, et qui est chargé de la tenue d'Etats
Généraux de la bioéthique avant l'adoption de
toute loi de bioéthique. « Il me semble qu'il
faut attendre d'être directement confronté aux
conséquences de la crise écologique au sens
large, et comprendre que celle-ci concerne
aussi nos santés, nos sociétés, avant d'agir »,
note-t-il. « Et beaucoup croient aussi que l'on
peut toujours stopper les évolutions en cours
et que la science a toujours une réponse à
apporter. »
contexte d'augmentation de la population
mondiale. »
Ces événements affectent la santé physique
mais aussi mentale des individus. L'OMS
indique par exemple que la pollution de l'air
provoque, à elle seule, la mort prématurée de
près de 9 millions de personnes par an dans le
monde. Les conséquences sont également im-
portantes en matière d'insécurité alimentaire,
laquelle augmente avec des formes diverses
de malnutrition : sous nutrition, sur nutrition
et obésité. Une personne sur 10 souffre de la
faim dans le monde.
La question du climat et de l'environnement
est devenue ainsi indissociable de la notion
de santé et de bien-être. La responsabilité des
activités humaines dans le changement clima-
tique (notamment l'érosion de la biodiversité)
redonne de l'importance aux interrogations
éthiques sur les rapports de l'homme et de
la nature. « Il ne s'agit plus d'asseoir seu-
lement le développement de l'humanité sur
une maîtrise et une ingénierie de la nature,
mais de mieux en comprendre les dynamiques
évolutives, et notamment les capacités de
régénération, de résilience et d'adaptation
pour venir à une notion de synergie avec les
écosystèmes et avec la nature » explique P.-H.
Duée. « Les chercheurs doivent s'interroger
sur l'empreinte environnementale des appli-
cations résultant de leurs recherches. Il est
important de réfléchir à l'après. »

Pourtant « la multiplication des événements

climatiques et météorologiques extrêmes que
l'on connaît depuis quelques années (vagues
de chaleur, inondations, sécheresse...) carac-
térise ce que l'on appelle un changement
climatique représentant à la fois un des mar-
queurs des dégradations de l'environnement
induites par les activités humaines et une me-
nace grave pour l'humanité et pour sa santé.»
Le chercheur explique qu'un certain nombre
de dégradations révèle des imbrications
étroites entre des phénomènes aussi divers
que « l'épuisement des ressources, l'épuise-
ment des sols, l'érosion des écosystèmes et
de la biodiversité, la diminution des surfaces
agricoles, la déforestation, l'intensification
du développement particulièrement urbain,
la pollution des sols, des nappes phréatiques,
la pollution des mers notamment par l'accu-
mulation vertigineuse des déchets plastiques,
l'acidification des océans, l'épuisement La question du climat et de l'environnement est devenue indissociable de la notion de
des ressources halieutiques... ceci dans un santé.

L’essentiel de la Science - 9
LES CHOIX DE LA SCIENCE

Quel est l'impact de l'environnement sur le

développement des maladies chroniques ?
Environ 17 millions de personnes
dans le monde décèdent d'une mala-
die chronique et entre 15 et 20 millions
de personnes en France en souffrent.
C'est un véritable tsunami. Comme le
remarque le neurologue Aurélien Be-
noilid, Président du Forum européen
de bioéthique, « ces maladies suivent
une évolution progressive avec une
prévalence qui a tendance à augmenter.
C'est l'environnement en général qui est
à l'origine de ces maladies : la pollution,
de l'air notamment, l'alimentation, la
prolongation de maladies infectieuses
dues elles aussi aux modifications
de l'environnement et des activités
humaines. »

Les maladies chroniques sont des maladies

environnementales, mais on a malheureuse-
ment tendance à l'oublier, note le chimiste-
toxicologue André Cicolella, enseignant à
Sciences Po Paris et président du Réseau
Environnement Santé. Il prend l'exemple du
cancer pour lequel on nous promet qu'il sera
bientôt vaincu. En 1971, le président Nixon
l'annonçait déjà à un horizon de 20 ans. Or les
prévisions au niveau mondial sont toujours en
explosion, même si l'on constate des progrès
au niveau thérapeutique. La solution est d'agir
sur les causes environnementales. Mais une
question d'éthique se pose : à quel moment
en sait-on suffisamment pour agir ?
« Mais pourquoi attend-on autant ? Pour-
quoi oppose-t-on l'enjeu environnemental et
l'enjeu sanitaire à l'enjeu économique comme
s'il y avait une contradiction ? Par exemple,
pour l'amiante, on a mis 60 ans à prendre
la bonne décision, après 500 000 morts en
Europe ! » L'exemple du bisphénol A est aussi
marquant. Depuis 1936 on savait que le bis-
phénol A était une hormone de synthèse, tout
Pour l'amiante, on a mis 60 ans à prendre la bonne décision. Et pour le bisphénol A
dans les biberons ?
comme le distilbène qui, lui, a été interdit.
Mais en 1953, les chimistes ont découvert
que l'on pouvait faire à partir du bisphénol
A une matière plastique remarquable : du
polycarbonate. « Cette hormone de synthèse
a été utilisée pour les biberons et l'intérieur
de boîtes de conserve ! Or le principe d'une
matière plastique est que c'est un polymère,
et qu'il se dépolymérise. »
C'est donc sur ce sujet que le Réseau envi-
ronnement santé a fait sa première campagne,
ce qui a permis d'obtenir très rapidement l'in-
terdiction du bisphénol A dans les biberons.
« Des études ont montré que ce bisphénol était
lié aux cancers du sein, cancers de la prostate,
diabète, obésité, maladies cardio-vasculaires,
troubles du comportement et troubles de la
reproduction. Toute la population au niveau
mondial est aujourd'hui contaminée ! » Mais
il en a fallu du temps avant que soit enfin
opéré le retrait des biberons. « Puis, il y a
quelques années, le Conseil Constitutionnel,
saisi par l'industrie des matières plastiques, a
estimé que l'on pouvait continuer à fabriquer
des biberons au bisphénol A pour les exporter,
au nom de la liberté d'entreprendre... » Ré-
cemment, l'industrie des matières plastiques a
obtenu de la Cour Européenne de Justice une
décision cassant la loi française d'interdiction
du bisphénol A dans les contenants alimen-
taires. Heureusement l'Agence européenne,
de son côté, a diminué la norme de bisphénol
d'un facteur 100 000, ce qui revient à une
interdiction. « La situation est donc complè-
tement ubuesque. »

10 - L’essentiel de la Science
 LES CHOIX DE LA SCIENCE

Pour A. Cicolella, cette affaire résume bien

l'enjeu éthique : à quel moment doit-on agir ?
À quel moment y a-t-il un conflit entre logique
économique et logique sanitaire ? « Je pense
qu'il y a plutôt complémentarité et qu'il faut
construire une économie qui intègre l'enjeu
sanitaire, et que le PIB ne doit pas être le seul
moyen de mesurer la croissance économique.
En effet, les maladies chroniques sont très
intéressantes pour le PIB : elles permettent
de développer des soins, des médicaments... »

Parmi d'autres exemples pour lesquels le

Réseau environnement santé fait campagne,
on peut citer celui de la prématurité due aux
phtalates, parfaitement reconnue par de nom-
breuses études. Il est établi que, si l'on dimi-
nue la contamination des femmes enceintes
de 50%, on aura une diminution de 12% de la
prématurité. Mais rien ne se passe... Il serait Les plastiques sont partout, même dans notre corps.

Les maladies tropicales arrivent en France
Autre cause de maladies chro-
niques : les maladies infectieuses.
Stéphanie Blandin, chercheuse à
l'Inserm, directrice de l'équipe
« Réponses immunitaires chez
les moustiques vecteurs », nous
dresse la liste des responsables :
Helicobacter pilori (bactérie res-
ponsable d'inflammation, ulcère,
cancer de l'estomac), les virus des
hépatites B et C (cancer du foie),
Avec l'arrivée en Europe du moustique tigre, les Papillomavirus (cancer du col
les maladies tropicales suivent. de l'utérus), Clamydia pneumoniae
(bactérie responsable de maladies
cardio-vasculaires), le SARS CoV-2 (Covid long), les virus Zika, Chikungunya,
dengue (avec des maladies plus indirectes), la bactérie responsable de la maladie
de Lyme (problèmes neuronaux ou articulaires), le parasite toxoplasma gondii
(corrélations avec des maladies neurodégénératives ou neuronales comme la
schizophrénie suite à des kystes au niveau du cerveau), etc.
Dans le contexte actuel et futur, nombre de maladies tropicales vont ainsi nous
toucher, engendrant donc des maladies chroniques. Une explosion des cas de
Chikungunya est prévue en Europe suite au réchauffement climatique et aux
échanges mondiaux, notamment avec l'arrivée du moustique tigre.
pourtant facile d'agir, regrette le chimiste-
toxicologue, et interdire les perturbateurs
endocriniens responsables des grandes mala-
dies infantiles qui progressent aujourd'hui :
troubles du comportement, du langage, cancer
de l'enfant... Et en amont, il estime que « les
ingénieurs devraient avoir une déontologie
et être formés avec une culture de santé pour
trouver des procédés propres. »
Le médecin généraliste Alexandre Feltz,
adjoint à la Maire de Strasbourg en charge
de la santé, confirme ces dires : « nous avons
accepté d'être dans un bain de chimie sans
trop s'occuper de l'éthique. Les phtalates
par exemple, ce sont les plastiques, et ils
sont partout, même dans notre corps. Dans
beaucoup d'endroits (cantines, hôpitaux, cer-
taines EHPAD, prisons...), l'alimentation est
chauffée dans du plastique, avec des trans-
ferts avérés. » Alimentation aux pesticides,
cosmétiques au parabène (il y a encore peu de
temps, la seule crème remboursée par la Sécu-
rité Sociale contenait du parabène)... la chimie
est omniprésente. Dans les sols en PVC, les
phtalates se relarguent encore plus lorsque
le chauffage est par le sol. Pourquoi a-t-on
accepté cela collectivement ? Il alerte sur le

L’essentiel de la Science - 11
LES CHOIX DE LA SCIENCE

danger des perturbateurs endocriniens (connu
depuis 1991 !) sur la faune, la flore, l'environ-
nement... « Nous y sommes tous sensibles et
encore plus les femmes enceintes, les jeunes
enfants et les adolescents, soit à des périodes
où il y a un remaniement hormonal. »
Autre sujet : les effets nocifs de la pollution at-
mosphérique sur la santé et l'environnement.
C'est l'objet des travaux de Bénédicte Jac-
quemin, épidémiologiste environnementale,
chargée de recherche à l'Inserm dans l'équipe
Elixir, « Epidémiologie et sciences de l'expo-
sition en santé-environnement ». En France,
cette pollution provient principalement du
trafic routier et du chauffage, avec des valeurs
très élevées par moments selon les conditions
climatiques. « Suite à ces pics, on constate
dans les heures ou les jours qui suivent une
augmentation des hospitalisations, de la
mortalité, des infarctus et même des AVC.
Mais il y a aussi des effets chroniques, et ils
représentent la plus grande charge en santé
publique. Ils ont lieu des années après des
expositions, même à de relativement basses
concentrations. Ils vont bien au-delà du sys-
tème respiratoire : la pollution atmosphérique
peut avoir des effets sur n'importe quel organe
ou système. »
Pour étudier ces effets, de larges groupes de
personnes sont suivis. Et les impacts s'avèrent
importants. « Les effets de la pollution atmos-
phérique sont bien plus bas que ceux du tabac,
par exemple, mais des études montrent qu'il y
a autant de personnes qui meurent de l'exposi-
tion à la pollution atmosphérique qu'au tabac,
et ce parce que quasiment tout le monde est
exposé à la pollution atmosphérique. » La
chercheuse se félicite que les taux actuels en
France soient à des niveaux historiquement
bas par rapport il y a 30 ans suite à la régle-
mentation, mais elle souligne l'importance
de continuer en ce sens car il y a encore des
impacts au niveau sanitaire.

L'éco-conception du soin
Comment agir au niveau de la mé-
decine ? David Boels, toxicologue
clinicien, référent de l'Axe Santé
Environnement, praticien hospitalier
et enseignant chercheur au CHU de
Nantes, donne des pistes...

Il explique qu'au niveau de la médecine du

travail, nous sommes en avance sur le sujet de
la toxicologie environnementale. En pneumo-
logie/maladies respiratoires, le lien est connu
depuis longtemps et, dans les services hospi-
taliers, il y a des nouveaux métiers tels que les
conseillers médicaux environnement intérieur
qui peuvent aller chez le patient (asthmatique,
etc.) faire un état des lieux de l'exposition
environnementale afin de pouvoir la réduire.

Pour les autres spécialités médicales qui

voient tous les autres malades chroniques,
c'est plus compliqué. Comme nous sommes
sur des expositions faibles, multifactorielles,
les pathologies apparaissent 20 ans, 30 ans
après. La solution est de travailler sur la pré-
vention et l'éducation à la santé, et donc former
nos cliniciens à cela, également de développer
la recherche grâce aux nombreuses données
recueillies par les hôpitaux, et d'inclure des
formations santé-environnement au niveau
des facultés de médecine. « Enfin, le plus
Certains hôpitaux employent beaucoup moins de chimie pour l'hygiène des locaux.
important étant de passer à l'action, il s'agit
de mettre en place des actions auprès de la
population afin qu'elle soit réceptive (qu'elle
prenne conscience que le radon peut entraîner
le cancer du poumon, que les perturbateurs
endocriniens engendrent un certain nombre
de troubles notamment sur la reproduction,
l'obésité, la prématurité...) et accepte de chan-
ger ses comportements. »
Quelques réflexions ont lieu dans les hospi-
taux sur l'impact de l'environnement dans les
services : par exemple, au niveau de l'hygiène
des locaux, certaines structures employent
beaucoup moins de chimie tout en gardant
une sécurité pour les patients. Julien Nizard,
professeur des universités, praticien hospi-
talier en thérapeutique au CHU de Nantes,
rhumatologue et médecin de la douleur, chef

12 - L’essentiel de la Science
 LES CHOIX DE LA SCIENCE

du service « Douleur, soins palliatifs, éthique,

clinique et médecine interactive », souligne
que le secteur de la santé est responsable de
8% des émissions de carbone. Il consomme
en effet beaucoup de ressources et génère
de nombreux déchets (solides et effluents).
Un concept nouveau, l'éco-conception du
soin, a ainsi vu le jour. Toute intervention
qui minimise l'utilisation de médicaments
et de dispositifs médicaux limite de fait ces
inconvénients, comme par exemple les rési-
dus médicamenteux dans l'eau.

L'un des objectifs est par conséquent de

réduire la surconsommation de médica-
ments : « on sait notamment que la France
est championne du monde de la prescription
de psychotropes, que la iatrogénie médica-
menteuse est à l'origine de très nombreux
décès et d'hospitalisations (par exemple
70 000 morts aux États-Unis chaque année du
fait de la sur-prescription d'opioïdes), etc. »
Or les maladies chroniques engendrent des
symptômes qui incluent la plupart du temps
la douleur, l'anxiété, l'insomnie voire la dé-
pression. Par exemple, l'après cancer dans
lequel les patients sont trop souvent laissés à
eux-mêmes. La médecine traditionnelle peut
être en difficulté, même en échec, face à cela.
La surconsommation de médicaments peut entrainer la iatrogénie médicamenteuse, à
l'origine de très nombreux décès et d'hospitalisations.
Mais le professeur J. Nizard souligne que les Il ajoute que « les thérapies non médicamen-
thérapies non médicamenteuses doivent être teuses ont un effet efficace notamment sur
employées de manière adéquate et adaptée, et la prévention, en particulier l'exercice phy-
pas avec n'importe qui. « Même si ce sont des sique dans la plupart des cas, la méditation
médecines douces, la santé n'est pas à mettre ou l'hypnose pour la gestion du stress, etc. »
entre n'importe quelles mains. Une éthique du Des solutions qui sont de plus en plus appré-
soin est à garder en tête et à promouvoir, avec ciées, et également en milieu hospitalier par
une étude du bénéfice-risque et du problème le personnel, comment on a pu le voir pendant
de l'accès aux soins pour tous. » la crise sanitaire.

Quels sont les enjeux bioéthiques

des bouleversements climatiques ?
Épuisement des énergies fossiles, mul-
tiplication des catastrophes naturelles,
zones inhabitables, effondrement
de la biodiversité... l'avenir pourrait
bien être apocalyptique. Quels grands
chantiers bioéthiques pourraient nous
permettre d'éviter le pire ?
Pourquoi parle-t-on de bioéthique ? Parce que,
comme le souligne Aurélien Benoilid, Pré-
sident du Forum, différentes menaces pèsent
sur nous au niveau des libertés individuelles
(liberté de se déplacer avec le problème de
l'énergie par exemple), de nouvelles inégalités
vont se creuser, des enjeux philosophiques
naissent sur la place de l'homme dans la nature
notamment, des enjeux politiques puisque
nous sommes dans une période de transition
où il va probablement falloir faire des choix
et ces choix ne peuvent se faire forcément à
l'échelle individuelle mais à une échelle plus
élevée, des enjeux de justice sociale, de jus-
tice climatique (le climat doit-il être considéré
comme un sujet de droit ?), de solidarité entre
les espèces... Et enfin des enjeux scientifiques
car c'est bien la science qui a généré une
augmentation du CO2 dans l'atmosphère et
c'est elle qui permet de comprendre le climat
et peut prédire l'évolution de la température :
faut-il alors freiner ou encourager la science,
laquelle a aussi un coût ? Par exemple on
peut s'interroger sur le développement d'un
médicament si son coût énergétique est trop
important.
Lionel Pflumio, ingénieur conseil en météo-
rologie et climatologie à Météo France à
Strasbourg, rappelle la situation climatique
actuelle, notant que les dernières observations

L’essentiel de la Science - 13
LES CHOIX DE LA SCIENCE

sont difficiles à remettre en cause : 2022 a

été l'année la plus chaude qu'on ait jamais
observée en France (avec une moyenne des
températures de 14,5°C) et les 8 années les
plus chaudes se situent après 2010. Elle fut
également la deuxième année la plus sèche
jamais enregistrée avec un déficit de pluie de
l'ordre de 25%. L'ensoleillement a été excep-
tionnel, de l'ordre de 15%, et on a connu des
vagues de chaleur, des feux de forêt (même
en Alsace !). En 2023, la France connaîtra un
réchauffement moyen de 1,8°C, donc bien au-
delà des Accords de Paris. On gagne environ
0,1°C de réchauffement global tous les 3 ans.

Le scientifique explique que les modèles

français de prévisions climatiques sont bien
conçus et très fiables, encore plus avec l'aug-
mentation des puissances de calcul. Et il n'y
a plus aucun doute aujourd'hui sur l'origine
anthropique du réchauffement de par l'aug-
mentation des gaz à effet de serre. Cinq scéna-
rios socio-économiques peuvent se produire
en fonction de l'évolution des émissions de
ces gaz. « A priori on ne s'oriente pas vers le
pire scénario mais sur celui qui est juste en
dessous. Ce qui nous amènerait à l'horizon
2100 à un réchauffement global sur la planète
Jamais de tels feux de forêts n'avaient eu lieu.
de 3,6°C. » À noter que le réchauffement sur
les continents sera plus important que celui
sur les océans, et l'Europe sera également
un peu plus touchée. « Le réchauffement en
France est estimé à 4°C, une estimation actée
cette année par le Ministre de la transition
écologique. »
Les épisodes extrêmes vont donc se multi-
plier - pluies torrentielles, orages, etc...- et il
y aura également une redistribution des pré-
cipitations, avec des épisodes de sécheresse
puis de précipitations intenses, même si la
moyenne annuelle ne changera pas. Ainsi
l'an dernier, en Californie, une sécheresse
de plusieurs mois fut suivie d'inondations
du fait de pluies torrentielles. Au Pakistan,
après des températures de 50°C début 2022,
une inondation de plus de 3 mètres de haut a
recouvert le tiers du pays !

Même si environ 95% des climatologues dans

le monde sont d'accord sur les chiffres et ce
constat, L. Pflumio note qu'il y a encore 25%
de climato-sceptiques dans la population fran-
çaise. La faute aux fake news qui circulent sur
les réseaux sociaux, à une croyance en notre
supériorité, à une facilité de ne rien faire et
de continuer à consommer comme avant, ou
encore à une incapacité pour notre cerveau
de concevoir une fin du monde hypothétique.
Alors que faire ? Mieux faire passer les mes-
sages scientifiques afin de faire accepter les
changements, donner des réponses politiques
mais surtout économiques.

Aux sécheresses succèdent les inondations.

14 - L’essentiel de la Science
 LES CHOIX DE LA SCIENCE

L'éducation est centrale dans ce problème.
Ainsi la Convention citoyenne pour le climat
fut une réussite au niveau de la transmission
des informations. Il faut faire évoluer les
mentalités, celles des générations futures.
« Météo-France y contribue auprès des éta-
blissements scolaires. Mais a-t-on le temps
d'attendre une génération ? »
La justice sociale a également son importance :
10% des pays les plus riches contribuent à la
moitié des émissions de gaz à effet de serre.
« Il faut donc en demander plus aux plus
hauts revenus, sinon les mesures ne seront
pas acceptées. »
Enfin, il faut démontrer l'efficacité de ces
mesures afin que chacun se sente respon-
sable de ses actions et des conséquences et
soit convaincu de l'efficacité de ses efforts.
Le climatologue cite l'auteur Ciryl Dion,
« ce n'est pas encore la fin du monde, je vous
rassure. Par contre, c'est la fin d'un monde.
C'est aussi une opportunité pour nous de
nous réinventer et donner sens à notre civi-
lisation. C'est l'occasion que chacun se sente
plus utile, plus heureux et plus créatif. C'est
un nouveau monde qui nous attend, et à nous
de l'inventer. »

Quelle valeur accordons-nous à la nature

et aux non-humains ?
L'éthique de l'environnement entraîne
à se poser cette question et à définir
les droits et les devoirs que nous avons
envers tout ce qui n'est pas humain.

Comme l'explique le philosophe Guillaume

Durand, maître de conférences en philoso-
phie à l'université de Nantes, Directeur de
la consultation d'éthique clinique au Centre
hospitalier de Saint-Nazaire et président de
l'association EthicA à Nantes, il y a l'approche
anthropocentrique, qui exclut les entités
non-humaines de la communauté morale, et
l'approche biocentrique, qui les y intègre et
considère que tout être vivant a une valeur
intrinsèque, une même dignité, et doit être
respecté de manière égale à tous les autres.

G. Durand considère qu'une approche prag-

matique est nécessaire pour agir efficacement,
soit une action collective, à l'échelle de la
planète. « On a l'impression qu'individuel-
lement on ne peut pas changer grand-chose,
c'est pourquoi les personnes ont du mal à
s'engager. » Même dans les démocraties, les
citoyens ont du mal à accepter les mesures
écologiques efficaces. « Pourrait-on interdire
des voyages en avion en dehors de l'Europe ?
Imposer un couvre-feu thermique ? Instaurer
un portefeuille carbone ? Interdire la vente
de véhicules neufs ? On n'est pas assez sages,
pas assez intelligents, pas assez intéressés
et passionnés par la nature pour accepter
La déforestation, une catastrophe écologique.
des mesures. » Si la seule action efficace en
termes d'écologie est politique, « les seuls
régimes politiques qui pourraient la mettre
en place sont des tyrannies ».
Le philosophe pense qu'il faut réinventer un
rapport à la nature qui ne soit ni un rapport
de domination illusoire, ni un retour à un
animisme mystique aveugle aux sciences de
la nature : comprendre que l'humanité et la
nature sont interdépendantes, et non dans un
face-à-face. Quoi qu'il en soit, la gravité de la
situation obligera un jour ou l'autre à « avoir
des politiques portant atteinte à nos libertés,
extrêmement coercitives ».

L’essentiel de la Science - 15
LES CHOIX DE LA SCIENCE

« On n'est pas assez sages, pas assez

intéressés et passionnés par la nature
pour accepter des mesures écologiques
efficaces. »

L'injustice climatique :
un problème d'éthique sensible
Et l'homme dans tout cela ? La santé,
la vulnérabilité, la justice sociale, l'in-
justice climatique... voilà des sujets
d'éthique essentiels.

Le neurologue Hervé Chneiweiss, directeur

de recherche au CNRS, directeur du centre
de recherche Neurosciences Paris Seine et
Président du Comité d'éthique de l'Inserm,
souligne que la vulnérabilité est à prendre en
compte : « on voit aujourd'hui apparaître les
migrants climatiques et les droits de l'homme
sont applicables à tout être humain ».
Comme nous l'avons dit précédemment, la
question de la santé humaine est également
d'importance avec ces maladies qui se dif-
fusent suite à la déforestation et la mobilité
(Ebola, par exemple, voire le Covid-19). Le
réchauffement climatique provoque l'arrivée Le réchauffement de la planète conduit à l'injustice climatique.
chez nous de maladies du Sud, comme le pa-
ludisme, qui avait été éradiqué en éliminant Avec la santé vient la question de la justice interroge le neurologue. Comment allons-
les moustiques anophèles en Camargue au sociale, car nous ne sommes pas tous égaux nous expérimenter les méthodes de remé-
début du XXe siècle. Même chose pour la face au réchauffement climatique : beaucoup diation ? Comment évaluer leur pertinence
dengue avec le moustique tigre. Et la fonte sont en face de l'injustice climatique. et leurs impacts (par exemple, transformer les
de la glace, en particulier la couche appelée « Cela fait 50 ans que l'on parle de réchauf- voitures thermiques en voitures électriques
le permafrost, donne des inquiétudes quant fement climatique. Les rapports du Giec se avec le problème de l'origine du lithium, du
à la réapparition de virus anciens qui vont se multiplient mais ne sont pas entendus. Pour- recyclage) ? Comment évaluer notre respon-
diffuser dans l'atmosphère. quoi n'entendons-nous pas le message ? » sabilité vis-à-vis des générations futures ?

16 - L’essentiel de la Science

Limiter l'impact environnemental
des activités médicales
Faut-il décider entre soigner et ne pas
soigner ? La bioéthique verte s'inté-
resse à l'impact environnemental des
activités médicales, lesquelles sont très
génératrices d'émissions de CO2. Pour
une médecine durable, on ne pourra
peut-être plus soigner les gens comme
avant...
Bernard Baertschi, philosophe à l'Univer-
sité de Genève et au Comité d'éthique de
l'Inserm, remarque que le Royaume-Uni a
été le premier à calculer l'impact de chaque
intervention. Il explique que, pour rendre la
médecine durable, la bioéthique verte propose
divers principes. Tout d'abord la justice dis-
tributive, reposant sur le constat que les soins
de santé utilisent une quantité de ressources
Faudra-t-il interdire des opérations trop consommatrices de ressources ?
LES CHOIX DE LA SCIENCE
pour les développements, les techniques et les
procédures médicales spécialisées et sophis-
tiquées au profit de quelques-uns, mais sont
incapables de fournir des soins médicaux de
base pour tous. Ensuite la préservation des
ressources, basée sur la constatation que le
consumérisme médical entraîne la fourniture
de soins de santé pratiquement à la demande
et que cela absorbe quantité de ressources
naturelles et exerce une forte pression sur
l'environnement, alors que les soins devraient
répondre aux besoins par des moyens suffi-
samment modestes pour être durables pendant
des siècles. Cette simplicité est essentielle
car les techniques de pointe permettent des
approches multiples et individuelles des
patients mais elles sont très gourmandes en
ressources. « Il faut changer notre manière de
soigner afin de tenir compte des limites de la
planète, c'est-à-dire utiliser des procédures
plus simples, moins sophistiquées. C'est une
sorte de décroissance de la médecine. »
Enfin il est important d'avoir une économie
éthique car, dès les années 1920, des hôpitaux
américains ont développé une approche com-
merciale de la médecine dans laquelle le profit
passait avant les soins aux patients. Ainsi la
procréation médicalement assistée (PMA) est
considérée par certains comme illustrant ce
manque de sobriété de la médecine de par son
injustice sociale (cette solution est réservée
aux citoyens des pays riches), et accroissant
le gaspillage des ressources parce qu'elle fait
naître de nombreux enfants fortement émet-
teurs de CO2.
L’essentiel de la Science - 17
LES CHOIX DE LA SCIENCE
Alimentation industrielle et environnement
Voici un domaine où les produits
chimiques pèsent lourd sur l'envi-
ronnement et notre santé : l'alimen-
tation. Alors que l'on devrait manger
aujourd'hui mieux qu'hier, l'alimen-
tation actuelle est cause d'obésité, de
diabète, de cancer, de maladies car-
dio-vasculaires, etc. Trop de chimie est
présente dans l'agriculture et l'élevage,
puis dans la conservation et la trans-
formation des aliments.
« Il y a parfois jusqu'à 50 traitements sur
un seul fruit ! » déplore Maria Pelletier, pré-
sidente de Générations Futures. Pesticides,
fongicides, engrais chimiques de synthèse,
etc. polluent nos sols et nos cultures et on
les retrouve dans nos assiettes. Ne faut-il pas
Ne devrait-on pas manger aujourd'hui mieux qu'hier ? Ce n'est pas vraiment le cas...
18 - L’essentiel de la Science
repenser notre agriculture de par ses effets
sur notre santé et sur l'environnement? C'est
notamment le fait de travailler en monocul-
ture qui rend ces produits nécessaires, alors
que lorsque les cultures sont variées, il suffit
parfois d'en changer pour que certaines mala-
dies disparaissent. Les sols, les insectes, ont
besoin de revivre.
Même chose au niveau des élevages et de
l'alimentation des animaux, avec beaucoup
moins d'intrants en alimentation biologique
qu'en alimentation conventionnelle, cette
dernière incluant souvent des tourteaux de
soja transgénique, de véritables "éponges à
pesticides". Il faut travailler aussi sur le bien-
être animal qui permet d'éviter bien des médi-
caments. « En élevage bio, les traitements
allopathiques ne sont pas autorisés ou de
manière très suivie, et donc cela oblige à être
très attentifs aux besoins physiologiques des
animaux. Par exemple, pour les volailles et les
porcs, on utilise en conventionnel des acides
aminés de synthèse, et en bio on trouve ces
acides aminés de synthèse avec du pois, de la
féverole, du lupin, donc une diversité impor-
tante de produits agricoles et cela va jouer
sur notre chaîne alimentaire. » La biodiversité
est plus importante si l'on modifie les modes
de production et d'élevage.
Ensuite on retrouve les contaminants dans le
stockage, avec des pesticides dans les silos en
conventionnel, ce qui est interdit en bio. Car
d'autres solutions fonctionnent : « en ventilant,
en réfrigérant, on arrive à des résultats tout à
fait probants ». Puis ce sont des adjuvants que
l'on met tout au long de la chaîne alimentaire :
les colorants, les appétants, les exhausteurs de
goût, etc. « En bio, on va travailler avec des
épices, des herbes, toute une biodiversité qui
permet à des petits agriculteurs de vivre cor-
rectement de leur production. » Enfin certains
aliments sont ionisés pour les conserver, en
résumé ils sont irradiés : que nous reste-t-il
au niveau nutritionnel?
L'impact est donc important sur l'environne-
ment (sol, eau, air, biodiversité) et également
sur notre santé. On assiste à une explosion
des pathologies chroniques résultant de
l'alimentation industrielle très transformée.
De nombreuses études, telle NutriNet-Santé
menée sur un peu plus de 70 000 personnes,
montrent pourtant les atouts de l'alimenta-
tion bio et la diminution très importante de
pathologies graves comme certains cancers,
des problèmes de diabète, d'obésité, etc. chez
les consommateurs.
 LES CHOIX DE LA SCIENCE

Répondre aux attentes sociétales

« Il y a un immense fossé entre ce que
l'on considère une alimentation bonne
pour l'environnement et le cadre légis-
latif, politique, économique européen.
Il y a un grand écart entre intention et
action », souligne Antoine Neumann,
Conseiller municipal délégué Agri-
culture et Alimentation de la ville de
Strasbourg. .

Il y a pourtant des attentes sociétales fortes

depuis la période Covid. Malgré cela, « on
constate un immobilisme de l'Union euro-
péenne et de la France qui n'offrent pas de
solutions réglementaires pour que l'alimenta-
tion humaine soit de meilleure qualité et avec
moins d'effets nocifs sur l'environnement ».
D'autre part, on sur-produit certaines denrées
inutiles d'un point de vue alimentaire, et on
en sous-produit d'autres, comme par exemple
le blé que nous sommes obligés d'importer ! L'agriculture intensive ne favorise pas la biodiversité, entre autres.

Il prend l'exemple de sa région, l'Alsace. Le
maïs y représente 40% des surfaces cultivées,
soit 3 fois plus qu'au sortir de la guerre. Mais
on ne le consomme pas. Il finit à 75% dans
des industries, des malteries, pour faire du
sirop pour de célèbres sodas, des plats ultra
transformés, du bioplastique, des enveloppes
de médicaments. Le reste est destiné aux
animaux qui devraient manger de l'herbe
et, comme il n'y a pas assez de protéines, on
doit compléter avec du soja, en général OGM,
importé du Brésil. « Si le maïs est une plante
intéressante, elle ne l'est plus lorsqu'elle
commence à monopoliser les terres : là, les
conséquences sont très néfastes pour les
sols, la biodiversité, le climat, et notre eau.
Nous avons la plus grande nappe phréatique
d'Europe qui est menacée en quantité et en
qualité par cette surexploitation du maïs. »
À côté de cela, il y a les petits maraîchers qui
produisent une agriculture nourricière mais
reçoivent très peu d'aides car ils présentent
moins d'intérêt économiquement.
Le projet NAStras (le numérique au service de
l'alimentation saine et durable à Strasbourg)
s'interroge sur le processus décisionnel du
mieux-manger. Jan Smolinski, chercheur
postdoctoral en sociologie au CNRS, est
porteur de ce projet. Tout d'abord, « lorsque
l'on consomme un produit, on consomme
autant le produit en lui-même que les infor-
mations qui y sont adossées ». Par exemple,
on va juger des tranches de jambon à partir
de la photo sur le dessus de l'emballage, alors
que retourner le paquet permettrait de voir le
produit. Aujourd'hui l'information alimentaire
est co-construite, mise à l'agenda politique
et médiatique. Le bon fonctionnement des
marchés requiert la confiance et, pour cela,
l'information insiste sur la qualité des pro-
duits. De nos jours, les injonctions se sont
diversifiées : nutritionnelles, écologiques, de
justice sociale...
Côté consommateurs, il s'agit d'étudier la
pragmatique d'achat : comment effectuons-
nous nos choix alimentaires dans les travées
des magasins? Le risque est lié à la pluralité
des conceptions de la qualité. Les crises sani-
taires, nutritionnelles et environnementales de
plus en plus fréquentes occupent le paysage
médiatique. « Aux débats très médiatisés sur
la vache folle dans les années 90 ont succédé
les poulets contaminés au dioxine, les œufs au
fipronil, la poudre de lait infantile aux salmo-
nelles, etc. » Des interrogations s'élèvent et
les citoyens souhaitent des modèles agricoles
respectueux de la biodiversité, le bien-être
animal dans les pratiques d'élevage, l'éthique
et la justice sociale. Ils s'orientent vers d'une
alimentation plus durable et locale. Mais il
leur est difficile d'opérer des choix sur des
marchés opaques et crispés.
Ils attendent alors des informations rapides,
de la confiance. Par exemple avoir des tiers
de confiance pour le bio, le local. L'interac-
tion humaine, la connexion avec une zone
géographique connue appuient la transaction.
« Pour le consommateur qui voit "local", il
sait qu'il a un produit de saison, une absence
de production intensive, une réduction des
transports, une protection de la planète. Sur
cette mention "local"se construisent des ima-
ginaires, vrais ou faux, de qualité. »

L’essentiel de la Science - 19
LE CERVEAU DU SAPIENS FACE AU DÉNI CLIMATIQUE
Remettre en cause notre vision du monde
« Comment expliquer que l'homme, espèce
animale dominante depuis longtemps sur la
planète grâce à son volumineux lobe frontal
qui est le site du jugement, de l'adaptation,
du raisonnement, de la flexibilité, de la pla-
nification, et qui est également doté d'un
lobe temporal gérant notamment la mémo-
risation des éléments appris et des émotions,
en résumé qui jouit de facultés extraordi-
naires, comment expliquer qu'il reste pas-
sif, inactif, attentiste, et finalement paralysé
face aux preuves récurrentes de plus en plus
fréquentes d'un changement climatique glo-
bal ? Sécheresses inédites, méga feux, fonte
de la calotte glaciaire, montée des océans,
multiplication de tornades de plus en plus
meurtrières, 20°C à Noël en Alsace... et on
ne fait rien. »
Ainsi s'interroge Mathieu Anheim, professeur
de neurologie au CHU de Strasbourg, respon-
sable du Centre de référence des maladies
neurogénétiques et co-responsable du Centre
expert de la maladie de Parkinson. Il y a eu
cependant des vagues de prise de conscience,
en premier lieu pour se rendre compte qu'il
existe un changement climatique global résul-
tant en majeure partie des activités humaines,
et en second lieu pour réaliser que ce change-
ment climatique peut être enrayé en modifiant
nos comportements. Pourquoi alors une telle
inaction ? Pour M. Anheim, les bases sont
émotionnelles. « Il faut mettre de côté l'idée
largement répandue que l'être humain est un
être rationnel, cohérent, et qui jouit d'un libre
arbitre à toute épreuve. »
De nombreux biais entrent en jeu. Tout
d'abord le biais de méconnaissance, résul-
tat d'un manque d'accès à des informations
fiables ou d'une incapacité à les appréhender.
« On a bien vu la preuve de ce biais de mécon-
naissance lors de la pandémie de Covid-19
où l'on s'est rendu compte que la France,
pourtant un pays de culture enviée par le
monde entier, est déficiente sur le plan de la
culture scientifique. » Pour contrer cela, il faut
s'intéresser à l'éducation des enfants pour leur
faire acquérir des façons de raisonner et des
20 - L’essentiel de la Science
Nous sommes déficients sur le plan de la culture scientifique.
connaissances, les rendre critiques vis-à-vis
de données et agir sur les méfaits des réseaux
sociaux, entre autres, pour pouvoir lutter
contre l'obscurantisme, le complotisme, etc.
Ensuite il y a le biais de confirmation : nous
avons tous tendance à ne garder des infor-
mations de notre environnement uniquement
ce qui nous conforte dans la représentation
que nous avons du monde. Et donc à écarter,
négliger, discréditer, toutes les informations
venant la contredire. Cela a été montré dans
des études avec IRM fonctionnelle avec un
refus du cerveau d'acquérir de nouvelles
connaissances s'il y a une opposition trop
directe à ses idées. Alors que, sur les réseaux
sociaux, des personnes aux idées semblables,
même les plus incohérentes, peuvent s'agréger
facilement entre elles : d'où une polarisation
des points de vue et une radicalisation des
pensées. « Il est extrêmement coûteux, sur
le plan cognitif et émotionnel, de changer
de point de vue. » Sur le plan cognitif, cela
sous-entend d'écouter l'autre, réfléchir aux
problèmes, changer sa vision du monde,
s'adapter, tirer de nouvelles conséquences. Sur
le plan émotionnel, cela implique de remettre
en cause son savoir, voire son intelligence. « Il
est important d'apprendre, dès le plus jeune
âge, à faire la différence entre un fait et une
croyance, une opinion et une connaissance. »
Parmi les autres biais, on notera celui
d'optimisme partagé par un grand nombre
d'individus convaincus qu'ils ne seront pas
concernés par le réchauffement climatique,
qu'ils vont pouvoir s'adapter, qu'ils vont
laisser agir les autres qui sont les premiers
concernés. Il existe aussi une connotation
émotionnelle confirmée par des données
expérimentales : c'est émotionnellement com-
pliqué de se dire à chaque instant qu'on l'on va
droit dans le mur et que des catastrophes vont
nous arriver. Egalement le biais de diffusion,
ou de dilution, de la responsabilité : plus on
est nombreux à être concernés, et plus on va
laisser les autres agir. Et comme nous sommes
8 milliards d'individus !
Enfin il y a le système de récompense, un sys-
tème de neurones situé dans les profondeurs
du cerveau qui interagit avec le lobe fron-
tal. Son principe : pour toute action réalisée
générant une récompense, si la gratification
est plus importante que prévu et notamment
obtenue à un moindre coût, on aura tendance à
répéter cette action jusqu'à ce qu'elle devienne
automatisée. Ce sont souvent des actions tour-
nées vers le plaisir (alimentaire, sexuel, de
consommation de biens, etc.). Plus le coût de
l'action est élevé, moins on va avoir tendance
à s'engager dans l'action. Et plus l'intervalle
est long entre l'action et la récompense, moins
on aura tendance aussi à s'engager dans l'ac-
tion... « Cette malfaçon de notre cerveau nous
empêche de nous engager efficacement dans
la lutte contre le réchauffement climatique. »
 LE CERVEAU DE SAPIENS FACE AU DÉNI CLIMATIQUE

Réseaux sociaux, lobbys et pseudo-experts :

la théorie du complot
Le psychiatre Serge Tisseron, docteur en
psychologie HDR, membre de l'Acadé-
mie des technologies, est l'auteur du livre
« Le déni ou la fabrique de l'aveuglement »
(Albin Michel). Il explique qu'il ne faut
pas confondre le déni, lequel s'accommode
très bien du silence, et la dénégation, très
bavarde, qui considère que quelque chose
n'existe pas : les théories du complot sont
une forme de dénégation. Le déni est à la
fois une reconnaissance de la réalité et un
refus de la réalité.

Divers facteurs jouent dans le déni du réchauf-

fement climatique : ne pas vouloir changer des
habitudes bien ancrées (manger de la viande
deux fois par jour) ou se passer des habitudes
de consommation (acheter des produits pro-
venant de circuits longs car moins chers), ne
pas imaginer que l'on va mourir un jour (et
donc, par extension, la planète non plus), ne
pas pouvoir aligner ses comportements sur ses
convictions (si l'on travaille dans un industrie
polluante, on finit par prendre un peu partie
pour elle). Il y a également un facteur nar-
cissique (tel un adolescent en opposition à
ses parents, « je ne peux pas accepter ce qui
m'est dit par cette personne car elle ne m'a
jamais écouté et n'a jamais pris en compte ce
que je dis »), et enfin un refus d'une réalité
qui nous fait peur.
Mais des informations nous arrivent
chaque jour sur la réalité du réchauffement
Sur les réseaux sociaux, les théories les plus loufoques font des adeptes...
climatique. Il va nous falloir alors trouver
des arguments pour nous convaincre nous-
mêmes et les personnes autour de nous du
contraire. Le déni va s'installer petit à petit, en
plusieurs étapes, explique S. Tisseron. Aussi
faut-il prendre les choses en amont : lorsque la
personne est devenu militante, c'est trop tard.
La 1e étape est la politique de l'autruche. La
2e, les biais cognitifs détaillés ci-dessus, ren-
forcés éventuellement par des pseudo-experts
influencés par des lobbys. La 3e, la recherche
de personnes qui partagent notre opinion (sur
les réseaux sociaux). La 4e, c'est l'adhésion
à une théorie du complot, « laquelle donne
une vision totalisante du monde, donnant aux
gens l'impression qu'ils ont tout compris ».
En psychologie, le déni est aussi « un moyen
de se protéger contre quelque chose qu'on
ne peut accepter parce que c'est trop violent,
trop brutal, que cela remet trop en cause tout
ce que l'on est, et donc c'est une manière de
prendre le temps d'assimiler à son rythme
quelque chose d'inacceptable tout de go. »
Mais aujourd'hui, en plus des biais cognitifs,
il y a aussi les réseaux sociaux, où des per-
sonnes sont prêtes à partager vos convictions
les plus abracadabrantes, également les argu-
ments d'experts plus ou moins appointés par
les lobbys économiques. Et donc le risque
que ce mécanisme initialement protecteur
devienne problématique, voire pathologique,
est d'autant plus grand.

Striatum contre cortex

« Notre cerveau, ce n'est pas que le cortex
intelligent d'Homo sapiens qui observe et
constate, c'est aussi un héritage de l'évolu-
tion de notre espèce qui plonge ses racines
dans des temps plus reculés. » Sébastien
Bohler, neurobiologiste et journaliste scien-
tifique, explique qu'il y a aussi le striatum,
déjà efficace du temps d'Homo erectus.
Il récompense par de la dopamine les compor-
tements qui nous ont aidés à survivre depuis
des millions d'années : manger, se reproduire,
avoir du statut social pour bénéficier mieux
des deux premiers, minimiser ses efforts dans
un milieu de rareté alimentaire, détecter de
l'information autour de soi pour trouver à
manger. Et le striatum a été programmé pour
ne jamais se limiter...
Aujourd'hui, dans un monde créé par notre
cortex intelligent pour nous faciliter la vie,
ce comportement ancestral ancré dans notre
cerveau se transforme en mécanisme d'hyper
consommation complètement aveugle et des-
tructeur. Nous avons deux grandes régions
désormais en conflit dans notre cerveau :
l'une qui analyse la réalité intelligemment,
l'autre qui veut un certain nombre de choses.

L’essentiel de la Science - 21
LE CERVEAU DU SAPIENS FACE AU DÉNI CLIMATIQUE
Notre striatum a été programmé pour ne jamais se limiter, mais dans un monde où la
nourriture était rare et les besoins élémentaires.
Les désirs profonds qui sont l'héritage de
notre espèce sont très difficiles à modifier
au niveau des connexions neuronales, mal-
gré le constat fait par le cortex cérébral d'une
réalité qui nous emmène vers notre autodes-
truction possible. Cette dissonance cognitive
entre ce que je veux et ce que je pense bon se
Un désir d'immortalité
Pour conclure, le philosophe Guillaume
Durand souligne l'existence derrière tout
cela d'un désir d'immortalité. Comment
l'être humain pourrait-il penser à sa propre
mort : sa mort, n'est-ce pas encore lui ?
Il y a donc une impossibilité de croire en la
finitude du monde et de la nature, et nous
n'avons pas la capacité de lutter contre ce déni.
De plus, face à des faits qui contredisent nos
convictions très profondes, nous préférons les
nier plutôt que de reconnaître que nous nous
sommes trompés. Or nous avons toujours cru
que la nature était malléable à l'infini.
Certaines racines cognitives et culturelles
du déni climatique remontent à la nuit des
temps. « Platon disait déjà que nous croyons
en ce que nous voyons, nous confondons les
apparences sensibles avec la réalité qui, elle,
22 - L’essentiel de la Science
résout généralement par une abdication de
la raison. Alors l'homme pense que l'on va
trouver une solution technologique, et cela
pour permettre au striatum de satisfaire ses
besoins de consommation.
Quelle est la solution ? « Certaines personnes
ne supportent pas cette dissonance cognitive
dépend de la raison : nous devons voir le
monde avec notre esprit. Et pendant long-
temps, les êtres humains ne percevaient pas le
réchauffement climatique. » Il est aujourd'hui
trop lent et les conséquences désastreuses
trop lointaines pour nous faire réagir. « On
a davantage peur d'une araignée sur son
épaule que du rapport du Giec ! ». L'évo-
lution nous a entraîné à savoir réagir à des
dangers immédiats.
Parmi d'autres facteurs du déni climatique, le
philosophe cite le phénomène d'habituation
(lorsque les phénomènes sont lents et progres-
sifs) ou encore des mécanismes de défense
comme la diversion qui vise à protéger notre
psychisme du déséquilibre engendré par la
prise de conscience. Quant aux racines cultu-
relles, « l'homme est convaincu depuis des
siècles que la nature pourra répondre à tous
et décident de changer de vie, de comporte-
ments, inventent de nouvelles façons d'avoir
de la dopamine en changeant leurs désirs, en
savourant mieux chaque plaisir. La pratique
de l'art, la musique, la culture, la connais-
sance sont générateurs de dopamine, même
si cela est un peu moins rapide qu'en allant
acheter une nouvelle voiture ou en surfant sur
son réseau social favori. » Mais une majo-
rité de personnes va sortir de la dissonance
cognitive par l'autre issue : en changeant le
discours sur la réalité. Et cela s'est toujours
produit dans l'histoire de l'humanité...
Comment faire pour agir sur notre cerveau
profond pour donner naissance à de nouveaux
désirs qui soient en phase avec la réalité ?
Parmi les pistes, la force du groupe, de la
collaboration, peut agir sur le striatum pour
recabler ses neurones et donner envie d'autres
voies de réalisation de l'individu que celles
de la réussite, lesquelles ont été encouragées
depuis un demi-siècle par l'individualisme et
la réussite matérielle. Mais cela s'avère très
difficile car la force du collectif est le contraire
de la société de consommation.
Il y a une impossibilité pour l'Homme de
croire en la finitude du monde.
ses désirs, qu'il est promis à la toute puissance
grâce aux sciences et aux techniques, jusqu'à
avoir un rêve d'immortalité ». Une vision
anthropocentriste illusoire qui nourrit ce déni.
 LE CERVEAU DE SAPIENS FACE AU DÉNI CLIMATIQUE

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LES VRAIES CAUSES DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

Les vraies causes du ch

24 - L’essentiel de la Science
angement climatique
Notre planète a depuis toujours connu une
alternance de périodes glaciaires et interglaciaires,
chacune se déroulant sur des dizaines de milliers
d'années. Cette alternance résulte de la position
de la Terre par rapport au Soleil, laquelle suit des
cycles. Le développement ou au contraire la fonte
des calottes de glace conduisent à une diminution
ou à une augmentation des gaz à effet de serre dans
l'atmosphère, et cela amplifie le refroidissement ou
le réchauffement du climat.

L'excentricité, l'inclinaison et la précession,

ces trois facteurs astronomiques ont donc une
influence sur les variations climatiques. Mais il
faut savoir que, sur quelques milliers d'années,
les modifications de l'orbite terrestre sont
microscopiques. Comme le souligne l'université
canadienne McGill, elles pourraient entraîner un
changement de température de 2°C en 100 000 ans.
Alors qu'aujourd'hui nous observons un changement
de 1,1°C en 100 ans !

Les preuves sont là, établissant l'impact des

activités humaines dans le réchauffement climatique
actuel. On peut en observer les effets depuis la
révolution industrielle. Confrontée à une situation
absolument inédite, notre planète est en danger et
seul l'homme détient les solutions pour la sauver.

L’essentiel de la Science - 25
LES VRAIES CAUSES DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

Trois paramètres astronomiques modifient

le climat de la Terre
C'est en 1924 que le yougoslave Milankovitch
(1879-1958) établit véritablement une théorie
expliquant l'influence des mouvements de la
Terre autour du Soleil sur l'ensoleillement des
différentes régions de la planète. Longtemps
débattue et souvent rejetée par la communauté
scientifique, cette corrélation est bien vérifiée
depuis les années 70 pour les derniers millions
d'années, grâce aux travaux des astronomes
rejoints par des paléoclimatologues et des
géologues.

Pour expliquer les glaciations, on s'intéresse

à l'ensoleillement de l'hémisphère nord. Pour-
quoi ? Parce qu'en fait il se produit peu de
choses dans l'hémisphère sud, hormis l'exten-
sion de la banquise antarctique. Que l'on soit
ou non en période de glaciation, la calotte
glaciaire antarctique subit peu de modifica-
tions et, comme il n'existe aucune terre de
grande étendue autour de ce continent, il n'est
pas possible d'y constater la naissance ou la
fonte d'une calotte glaciaire. Alors que dans
l'hémisphère nord, la partie septentrionale
de l'Amérique et de l'Eurasie se retrouve
couverte de glace en période de glaciation.
D'ailleurs, ces calottes glaciaires autour de
l'Arctique modifient le climat de la Terre dans
son ensemble. Du nord au sud, toute la planète
est ainsi refroidie. La dernière glaciation s'est terminée il y a environ 11 000 ans.
Les mammouths n'ont ensuite pas survécu au réchauffement climatique.

L'orbite terrestre est plus ou moins elliptique

Comme l'explique le CNRS, trois paramètres
orbitaux, complètement indépendants, défi-
nissent la position de la Terre par rapport au
Soleil. Chacun varie au fil du temps avec des
cycles différents, et c'est leur conjonction qui
va permettre la naissance ou la disparition des
calottes glaciaires.
Le premier d'entre eux est l'excentricité
(« e ») : celle-ci décrit la forme de l'orbite
effectuée par la Terre autour du Soleil en une
année. On sait que cette orbite n'est pas cir-
culaire mais elliptique. La distance moyenne
par rapport à notre étoile est de 149 millions
de km mais la Terre passe tous les 6 mois près
du Soleil (au périphélie), et 6 mois après loin
du Soleil (à l'aphélie).
L'écart entre ces deux distances dépend de
l'excentricité. Si cette dernière est nulle, il
n'y a plus d'ellipse mais un cercle. Si elle est
de 0,015 (soit approximativement la valeur
actuelle), la distance Terre-Soleil varie de 3%
(soit 2 fois l'excentricité) entre la position la
plus proche et la position la plus éloignée. Et
l'énergie solaire qui arrive sur Terre (évaluée
en moyenne à 1367 W/m2 au cours de l'année)
varie de 6% (soit 4 fois l'excentricité) : elle
passe ainsi de 1408 W/m2 au point le plus
proche à 1326 W/m2 au point le plus éloigné.

26 - L’essentiel de la Science
Cette excentricité évolue dans le temps, par
périodes de 412 800 ans principalement, en-
trecoupées de périodes proches de 100 000
ans. Ainsi, au cours de la précédente période
interglaciaire il y a 128 000 ans, l'excentricité
était proche de 4% (l'ellipse était encore plus
allongée qu'aujourd'hui) et l'énergie reçue par
la Terre entre le périhélie et l'aphélie variait
d'approximativement 16%. Un autre facteur L'ellipse formée par la révolution de la Terre autour du Soleil est plus ou
orbital de longue durée pourrait possiblement moins allongée. Lorsque la Terre est la plus éloignée de son étoile (au
agir sur l'excentricité de l'orbite terrestre tous niveau de l'équateur), ce sont les solstices d'hiver et d'été, avec le jour le
les 9 millions d'années : il résulterait de l'inte- plus court (en décembre) et le jour le plus long (en juin) dans l'hémisphère
raction avec la planète Mars. nord. Aux points les plus proches, ce sont les équinoxes : les jours ont une
durée égale aux nuits (en mars et septembre).

L'axe de rotation de la Terre est plus ou moins incliné

Autre paramètre d'importance : l'inclinaison
de l'axe de rotation de la Terre sur l'écliptique,
c'est-à-dire le plan dans lequel se déplace
notre planète autour du Soleil au cours de
l'année. Cette inclinaison est actuellement
proche de 23°.
On sait que la Terre tourne en 24 heures
autour d'un axe. Il est facile d'en connaître
la direction en regardant la voûte céleste la
nuit : en effet, une étoile située sur cet axe
reste immobile, comme c'est le cas actuel-
lement pour l'Étoile polaire. Si notre planète
n'était pas inclinée par rapport au Soleil, il
n'y aurait pas de saisons. Et plus l'axe est
incliné, plus les différences sont marquées
entre l'été et l'hiver, plus les étés sont chauds
et plus les hivers sont froids (cette différence
ne s'observe naturellement pas à l'équateur
mais plus on s'en éloigne). La position de
l'axe varie entre 21° et 24,5°, avec un cycle
principal de 41 000 ans. Comme l'explique
le CNRS, une inclinaison qui passe de 21° à
24,5° entraîne en été, à la latitude de 70°, une
augmentation de l'insolation reçue de 6,8%.

C'est pourquoi, tous les 20 500 ans environ,

la situation est favorable soit à la croissance,
soit à la fusion des calottes glaciaires.

Enfin, un troisième paramètre tout aussi

important est la précession de l'axe de rota-
tion de la Terre. En quoi consiste-t-il ? Tout
en restant sur une inclinaison proche de 23°

L'axe de rotation de la Terre est

actuellement incliné d'environ 23°
par rapport à l'écliptique.

L’essentiel de la Science - 27
LES VRAIES CAUSES DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
pendant des milliers d'années, l'axe de rotation
précesse autour de l'axe d'écliptique. Le pôle
nord céleste se déplace avec le temps. Ima-
ginons la Terre comme une toupie tournant
sur son axe : en perdant de la vitesse, l'axe
va dessiner une sorte de cercle, ou de cône.
Et cela sur un cycle de l'ordre de 22 000 ans
(souvent 19 000 ou 23 000 ans). Le résultat
est que le solstice d'été dans un hémisphère
(soit le moment où il reçoit le plus de chaleur)
se produira alternativement tous les 11 000
ans au périhélie (près du Soleil) ou à l'aphélie
(loin du Soleil). Et selon que ce solstice aura
lieu près ou loin du Soleil, les étés seront plus
chauds ou plus frais. Rappelons que l'écart
d'énergie reçue est fixé par l'excentricité de
l'ellipse (4 fois e).
Des échelles de temps « astronomiques »
La distance Terre-Soleil et l'inclinaison de
l'axe de rotation de la Terre vont donc in-
fluencer la formation ou la fonte de calottes
glaciaires dans les hautes latitudes de l'hé-
misphère nord. On peut le vérifier en suivant
l'évolution du niveau marin : sa baisse tra-
duit le volume des glaces stockées dans les
calottes glaciaires. Ces enregistrements des
niveaux marins, réalisés dans les sédiments
océaniques sur les deux derniers millions
d'années, montrent bien les trois périodes clés
(19 000, 23 000, 41 000 et 100 000 ans) des
trois paramètres orbitaux de la Terre. Ainsi
Lors de la dernière glaciation, le nord de l'Europe était sous les glaces.
28 - L’essentiel de la Science
L'énergie solaire reçue sur
Terre reste la même
Les 3 facteurs astronomiques combi-
nés – excentricité, obliquité et préces-
sion - ont une influence sur la quantité
d'énergie solaire reçue sous les hautes
latitudes au cours d'une année, sur les
changements de saison, sur les diffé-
rentes températures entre les hémis-
phères terrestres, et également sur les
différences de températures entre les
continents et les océans. Par contre, ils
n'ont aucune influence sur la quantité
totale d'énergie solaire reçue par la
Terre en une année.
a pu être confirmée la validité de la théorie
astronomique du climat.
En résumé, environ tous les 100 000 ans, a lieu
un interglaciaire marqué qui suit une glacia-
tion importante. Les périodes interglaciaires
peuvent s'étendre sur quelques milliers à
plusieurs dizaines de milliers d'années, avec
une moyenne de 10 000 ans. Bien évidem-
ment, dans tous les cas, le réchauffement ou le
refroidissement se déroulent très progressive-
ment, sur des échelles de temps qui n'ont rien à
voir avec une vie d'homme. Aucune commune
Si l'orbite de la Terre autour du Soleil décrivait
un cercle et non une ellipse, et que l'excen-
tricité serait donc nulle, la distance Terre-So-
leil serait toujours la même et la précession
n'aurait aucune influence sur les saisons. Or,
comme ce n'est pas le cas, les étés sont plus
chauds ou plus froids tous les 11 000 ans.
On peut voir l'évolution de cette situation
grâce à la distance Terre-Soleil au 21 juin,
c'est-à-dire au solstice d'été dans l'hémis-
phère nord. Par exemple, il y a 11 000 ans,
nous recevions alors 6% d'énergie solaire de
plus qu'aujourd'hui en été, tandis qu'en hiver
nous recevions 6% d'énergie solaire de moins
qu'aujourd'hui.
mesure donc avec l'échelle de temps sur
laquelle on peut observer le réchauffement
climatique actuel...
Le CNRS rappelle qu'en fonction de la
conjonction ou non des trois paramètres
astronomiques, les périodes interglaciaires
diffèrent. Par exemple, il y a 128 000 ans eut
lieu l'avant-dernière grande déglaciation (la
Terre étant en été proche du Soleil avec son
axe de rotation très incliné de 24,2°). Il se
produisit la même conjonction il y a 11 000
ans, lors de la dernière déglaciation, qui a
conduit à l'établissement de l'interglaciaire
actuel, l'Holocène. Mais l'excentricité était
plus forte il y a 128 000 ans : aussi le précédent
interglaciaire a connu des étés plus chauds que
l'actuel, d'environ 2° possiblement, avec un
niveau des mers plus haut d'environ 2 mètres.
Il y a 11 000 ans, toujours dans l'hémisphère
nord, la Terre se trouvait la plus proche du
Soleil en été (d'où des étés chauds et des hivers
froids). Aujourd'hui c'est en été que la Terre se
trouve la plus éloignée du soleil (nous donnant
des étés frais et des hivers doux). Mais que
va-t-il se passer avec le réchauffement clima-
tique ultra-rapide de ces dernières décennies ?
Un réchauffement pas « naturel »
Si l'ensemble de la communauté scientifique reconnaît l'impact des activités hu-
maines dans le réchauffement climatique actuel, des discours climatosceptiques
circulent parfois sur la toile pour le réfuter. Certains s'appuient sur un article de
la NASA affirmant, soi-disant, que ce réchauffement serait dû aux variations de
l'orbite terrestre. En l'an 2000, la NASA a publié en effet des graphiques expli-
quant le rôle de ces variations dans les précédentes glaciations ; mais elle n'a pas
nié l'influence de l'homme dans le changement climatique qui s'opère depuis la
moitié du 20e siècle, précisant bien qu'il est trop rapide pour être lié aux modifi-
cations de l'orbite terrestre et trop important pour être causé par l'activité solaire.
Les cycles de Milankovitch ne peuvent expliquer le réchauffement actuel. D'une
part, en raison des échelles de temps sur lesquels ces cycles se déroulent ; d'autre
part, si ce réchauffement était naturel, il concernerait également la stratosphère,
et ce n'est pas le cas.

À quand la prochaine glaciation ?

Actuellement, l’excentricité de l’ellipse est
particulièrement faible alors que l’inclinaison
est loin d’être à son minimum : la situation est
donc peu favorable au retour d’une glaciation.
Au cours des prochains milliers d’années, la
distance Terre Soleil va diminuer en juin, ce
qui donnera des étés de plus en plus chauds
dans l'hémisphère nord. Rien n'indique donc
la construction d’une calotte dans les pro-
chains siècles ou les prochains millénaires.

Si cette configuration astronomique est rare

au cours des dernières centaines de milliers
d’années (une faible excentricité), elle s’est
produite il y a environ 400 000 ans : l’inter-
glaciaire avait alors été particulièrement long
(environ 30 000 ans). Le balancier des 11 000
ans avait à cette époque peu joué, et le nou-
veau cycle de 22 000 ans s’est établi tandis
que le niveau des mers était encore élevé.

Comme le conclut le CNRS, le climat
était vraisemblablement plus chaud que la
moyenne des interglaciaires (car cela semble
être la seule époque où l’on ait trouvé des
pollens de vigne sauvage dans le Vercors), et
le niveau des mers était plus élevé, peut-être
d'une dizaine de mètres.
Lors d'une déglaciation, les animaux avaient des milliers d'années pour
migrer ou s'adapter. Ce n'est pas le cas aujourd'hui...
Quoi qu'il en soit, le réchauffement climatique selon les différentes études), aura des difficul-
actuel contribuant à la fonte des glaces, la pro- tés à s'opérer. Pour la première fois, la Terre
chaine glaciation, prévue dans quelques mil- pourrait sauter un cycle glaciaire !
lénaires (les prévisions varient de beaucoup

L’essentiel de la Science - 29
LES VRAIES CAUSES DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
Une « portée destructrice inouïe »
En septembre dernier, en amont de la COP27,
l’Organisation météorologique mondiale
(OMM), organisme des Nations Unies fon-
datrice du GIEC (Groupe d’experts inter-
gouvernemental sur l’évolution du climat)
avec le Programme des Nations-Unies pour
l'environnement (PNUE), communiquait les
conclusions d'un nouveau rapport sur le cli-
mat, « United in science », élaboré par plu-
sieurs institutions sous sa coordination. Ses
conclusions étaient sans équivoque et sa mise
en garde sans appel : en l'absence de mesures
beaucoup plus ambitieuses que celles prises
actuellement, les effets physiques et socio-
économiques du changement climatique
seront de plus en plus dévastateurs. « Le rap-
port United in Science de cette année montre
que le changement climatique est en passe
de gagner une portée destructrice inouïe »
s’inquiétait le Secrétaire général des Nations
Unies, M. António Guterres.
L'observation des concentrations de gaz à
effet de serre montre leur constante augmenta-
tion jusqu'à atteindre des pics sans précédent.
La Terre brûle et où regardons-nous ?
30 - L’essentiel de la Science
Si les émissions provenant des combustibles
fossiles ont baissé lors du confinement, elles
sont reparties de plus belle pour atteindre des
niveaux supérieurs à ceux d'avant la pandé-
mie. Il faudrait effectuer des réductions 7 fois
plus fortes d'ici à 2030 pour respecter l'Accord
de Paris.
Au niveau climatique, les 7 dernières années
furent les plus chaudes jamais enregistrées.
On a un risque sur 2 de franchir la limite des
1,5°C (qu'il ne fallait pas dépasser d'ici 2050)
durant l'une des 5 prochaines années.
Des conditions météorologiques extrêmes
touchent de manière de plus en plus fréquente
et intense de nombreuses régions à travers le
monde. « Inondations, sécheresses, canicules,
tempêtes violentes, feux de forêt... la situation
va de mal en pis et les sombres records se suc-
cèdent à un rythme alarmant. Les canicules
en Europe, les inondations phénoménales au
Pakistan, de graves et longues sécheresses
en Chine, dans la Corne de l’Afrique et aux
États-Unis, révèlent que la démesure de
ces catastrophes n’a rien de naturel. Elles
sont les conséquences de la dépendance de
Rappelons que l'Accord de Paris
de 2015 a pour objectif de limiter
le réchauffement de la planète à
1,5°C au-dessus des températures
préindustrielles.
l’humanité aux combustibles fossiles », sou-
ligne A. Guterres.
Les villes, qui abritent des milliards de per-
sonnes et sont responsables de plus de 70 %
des émissions anthropiques, seront confron-
tées à des incidences socio-économiques de
plus en plus grande ampleur. Et à travers le
monde, ce sont les populations les plus vul-
nérables qui seront les plus touchées.
La première solution consiste à atténuer de
toute urgence les émissions de gaz à effet de
serre. « Pourtant, alors même que les symp-
tômes s’aggravent rapidement, nous nous
enfonçons chaque année un peu plus dans
notre addiction aux combustibles fossiles »,
note A. Guterres.
 Les gaz à effet de serre en constante augmentation
Les taux atmosphériques de gaz à effet de de CO2 ont continué d'augmenter en 2021 au Mauna Loa (contre 419,13 ppm en 2021).
serre - dioxyde de carbone (CO2), de méthane et 2022. Pourtant, au cours de la décennie précédant
(CH4) et d’oxyde nitreux (N2O) - sont sui- la pandémie, les émissions de CO2 dues aux
vis dans le monde entier, notamment par les La diminution pendant la crise sanitaire a en combustibles fossiles avaient considérable-
observatoires phares du Mauna Loa (Hawaii, effet eu peu d'impact sur l'augmentation des ment diminué dans 23 pays (de nombreux
États-Unis) et du cap Grim (Tasmanie, Aus- concentrations atmosphériques. En mai 2022, pays européens, le Japon, le Mexique et les
tralie). Les données indiquent que les taux la concentration de CO2 a atteint 420,99 ppm États-Unis).

Des canicules comme on n'en avait jamais vues

Jamais, de souvenir d'homme, la Terre n'avait
connu des années aussi chaudes que les 7
dernières (2015 à 2021). La température
moyenne mondiale durant la période 2018-
2022 dépasse d'environ 1,17°C la moyenne
entre 1850 et 1900. Et encore la différence
aurait pu être plus importante si un épisode
La Niña n'avait provoqué une légère baisse
de température en 2021-2022.
Cette chaleur accumulée dans le système ter-
restre est stockée à 90% dans l'océan. Aussi
la teneur en chaleur de l'océan a-t-elle connu
des records entre 2018 et 2022, avec un taux
de réchauffement en augmentation particu-
lièrement forte au cours des deux dernières
décennies.
De plus en plus fréquentes, les canicules épuisent la planète.
Selon les prévisions du Programme mondial
de recherche sur le climat (PMRC), au cours Il y a une probabilité de 48% que la tempé- est de 93% qu’au moins une année parmi les
de la période 2022-2026, les températures rature mondiale moyenne annuelle près de la 5 prochaines soit plus chaude que l’année la
moyennes annuelles de la planète à proxi- surface dépasse temporairement de 1,5°C les plus chaude jamais enregistrée (2016), et que
mité de la surface dépasseront les valeurs niveaux préindustriels pendant au moins une la température moyenne durant 2022-2026
moyennes préindustrielles (1850-1900) de des 5 prochaines années ; mais cette probabi- soit supérieure à celle des 5 dernières années.
1,1°C à 1,7°C. lité augmente avec le temps. La probabilité

Des villes devenues invivables

Abritant 55% de la population mondiale (soit
4,2 milliards de personnes), les villes sont res-
ponsables de près de 70% des émissions d’ori-
gine humaine. Le Réseau de recherche sur le
changement climatique urbain note combien
elles sont extrêmement vulnérables aux effets
du changement climatique. Elles sont en effet
exposées aux risques considérables que re-
présentent, notamment, la multiplication des
fortes précipitations, l’accélération de l’élé-
vation du niveau de la mer, les grandes inon-
dations côtières à répétition et les canicules.
Ces impacts augmentent les problèmes et les
inégalités socio-économiques.
On considère qu'à l’échelle mondiale, d’ici
aux années 2050, plus de 1,6 milliard de per-
sonnes vivant dans plus de 970 villes sera
régulièrement exposé à des températures
moyennes trimestrielles d’au moins 35°C.
Au printemps 2022, Delhi a connu 5 vagues
de chaleur, marquées par des températures
sans précédent atteignant 49,2°C. La moitié
de la population vivant dans des quartiers à
faibles revenus, très vulnérables, ces canicules
ont eu des conséquences socio-économiques
dévastatrices et de graves effets sur la santé
publique. Dans les années à venir, les villes
et agglomérations côtières de faible altitude,
telles que Bangkok (Thaïlande), Houston
(États-Unis) et Venise (Italie), risquent fort
d’être confrontées à une multiplication et une
aggravation des inondations côtières : celles-
ci résultent de l’élévation du niveau de la mer,
d’ondes de tempête et de la subsidence.

L’essentiel de la Science - 31
LES VRAIES CAUSES DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

Les points de bascule climatiques sont-ils atteints ?

Le Programme mondial de recherche sur le climat (PMRC) effectue de nouvelles recherches sur les points de bascule du
système climatique, c'est-à-dire les seuils critiques au-delà desquels un système se réorganise, souvent de manière soudaine
et/ou irréversible. Ces nouvelles recherches seront cruciales pour mieux définir le coût, les avantages et les limites potentielles
des mesures d’atténuation des risques et d’adaptation au climat à l’avenir.

Il faut savoir que la circulation méridienne océanique dans l’Atlantique est un facteur important de la répartition de la
chaleur, du sel et de l’eau dans le système climatique, à l’échelle régionale comme mondiale. Et selon des recherches récentes,
cette circulation serait actuellement plus faible qu’à toute autre époque du dernier millénaire.
La fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique est également considérée comme un important point de
bascule. Elle aurait des répercussions à l’échelle planétaire, puisqu'elle entraînerait une élévation considérable du niveau
de la mer durant des centaines ou des milliers d’années.

Au niveau régional, on compte parmi les points de bascule le dessèchement de la forêt équatoriale amazonienne, qui pourrait
avoir de lourdes conséquences sur le plan local, de même que des répercussions mondiales, ou encore les sécheresses régio-
nales, qui ont une incidence sur le cycle mondial du carbone et perturbent les grands systèmes météorologiques (moussons...).

Certaines régions pourraient voir les effets combinés de la hausse des températures et de l’augmentation de l’humidité
prendre une ampleur redoutable au cours des prochaines décennies. On atteindrait alors des points de bascule physiolo-
giques : au-delà de ceux-ci, la population ne pourrait plus travailler en plein air sans assistance technique !

Des phénomènes météorologiques extrêmes

Ces catastrophes (météorologiques, clima-
tiques et hydrologiques) ont augmenté d’un
facteur 5 au cours des 50 dernières années.
Les dommages se chiffrent à 202 millions de
dollars par jour.
L'étude de plus en plus approfondie des fac-
teurs déclenchants permet aux scientifiques
(notamment du Programme mondial de re-
cherche sur la prévision du temps - PMRPT)
de faire apparaître plus clairement le lien entre
le changement climatique d’origine anthro-
pique et les phénomènes extrêmes observés
(vagues de chaleur, fortes précipitations,
cyclones tropicaux). Les incidences socio-
économiques sont de longue durée et, encore
une fois, ce sont les communautés les plus
vulnérables qui sont les moins bien équipées
pour réagir, se rétablir et s’adapter.

Plusieurs cyclones tropicaux successifs ont Cyclones, inondations... les catastrophes naturelles se multiplient.
ainsi frappé le sud-est de l’Afrique, cau- changement climatique avait probablement retient davantage d’eau, ce qui généralement
sant des ravages à Madagascar. L’initiative augmenté l’intensité des précipitations. En intensifie les saisons pluvieuses et les préci-
World Weather Attribution a montré que le effet, lorsque l’atmosphère se réchauffe, elle pitations. Avec l'augmentation des émissions

32 - L’essentiel de la Science
 LES VRAIES CAUSES DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

de gaz à effet de serre et des températures, les
épisodes de fortes précipitations deviendront
donc plus fréquents.
En Europe, deux vagues de chaleur et de
sécheresse extrêmes ont eu lieu durant l'été
2022. Le Portugal a enregistré un pic de
température de 47°C en juillet, une chaleur
sans précédent dans le pays, tandis que le
Royaume-Uni passait pour la première fois
la barre des 40°C. Selon l’initiative World
Weather Attribution, le changement clima-
tique d’origine anthropique avait au moins
décuplé la probabilité d’une canicule dans
ce pays.
Le risque de ces canicules estivales est im-
portant pour la santé humaine, en particulier
pour les personnes âgées et les infirmes. Les
conditions socio-économiques, l’urbanisa-
tion (la présence d’îlots de chaleur urbain),
l’incapacité de faire face aux dangers sont
d'autres facteurs pouvant aussi accroître la
vulnérabilité. Ces vagues de chaleur ont par
conséquent entraîné la mort de plusieurs mil-
liers de personnes.

Il faut agir maintenant

L'OMM et le Programme des Nations Unies
pour l’environnement insistent sur l'insuffi-
sance des engagements actuels et soulignent
que, sans un renforcement des mesures
d’atténuation, la réalisation des objectifs
de l’Accord de Paris sera définitivement
compromise. Les nouveaux engagements
nationaux d’atténuation pour 2030 laissent
entrevoir une réduction des émissions de gaz
à effet de serre, mais ils restent insuffisants.
Ils devraient être 4 fois plus ambitieux pour
nous remettre sur la voie d’une limitation du
réchauffement à 2°C, et 7 fois plus pour une
limitation à 1,5°C.

De fait, les estimations (établies avec une pro-

babilité de 66%) pour le XXIe siècle montrent
que le réchauffement planétaire se situera à
2,8°C (entre 2,3°C à 3,3°C) si l’on s’en tient
aux politiques actuelles, ou à 2,5°C (entre
2,1°C et 3,0°C) si l’on respecte les nouveaux
engagements. D'ailleurs ces derniers ne pour-
ront pas être respectés collectivement par les
pays avec les politiques actuelles. Vue par satellite, la fonte des glaces.

Des systèmes d'alerte indispensables

avant les catastrophes
L'OMM et le Bureau des Nations Unies pour que jamais de prendre au niveau internatio-
la réduction des risques de catastrophes sou- nal des mesures ambitieuses, non seulement
lignent qu'entre 3,3 et 3,6 milliards de per- pour atténuer les émissions, mais aussi pour
sonnes vivent dans des conditions qui les s’adapter au changement climatique, et plus
rendent extrêmement vulnérables au chan- particulièrement aux phénomènes météo-
gement climatique. Aussi est-il plus impératif rologiques extrêmes et aux événements
composites, car ceux-ci peuvent avoir des
répercussions socio-économiques de longue
durée.
Parmi les mesures d'adaptation efficaces, les
systèmes d’alerte précoce sauvent des vies,

L’essentiel de la Science - 33
LES VRAIES CAUSES DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

réduisent les pertes et les dommages, et ont un
bon rapport coût-efficacité. Malheureusement
moins de la moitié des pays du monde dit
disposer de systèmes d’alerte précoce mul-
tidangers (MHEWS). On en trouve peu no-
tamment en Afrique, dans les pays les moins
avancés et dans les petits États insulaires en
développement.
D'ici à 5 ans, il est pourtant essentiel que tous
les habitants de la planète soient protégés par
ces systèmes. Une collaboration entre divers
acteurs et des solutions de financement inno-
vantes seront nécessaires.
L'OMM mène une campagne dans ce
sens pour renforcer la résilience aux aléas
climatiques, tant actuels qu’à venir, des po-
pulations en danger. Un début de mesures
en faveur des pays les plus vulnérables a été
entrepris à la COP27 de Charm-el-Cheikh,
en novembre dernier, l'Union Européenne
s'engageant à hauteur d'un milliard de dollars.

L'Anthropocène : quand l'Homme

contrôle la nature
Pour la première fois dans l'histoire de la
Terre, ses habitants (en l'occurrence l'espèce
humaine) jouent un rôle qui dépasse celui des
forces géophysiques. Notre relation avec la
nature a changé, tant nos activités la modi-
fient. Certains scientifiques ont donc donné
un nom à cette nouvelle époque géologique :
l'Anthropocène, soit « l'ère de l'Humain ».
Malheureusement pour la planète et pour l'hu-
manité, cette interaction mène à un désordre
généralisé et à des catastrophes insurmon-
tables. À vouloir trop contrôler et maîtriser
la nature avec des moyens artificiels, nous
la détruisons.

Le processus a débuté avec la révolution

industrielle au XIXe siècle, et aujourd'hui
l'homme a atteint la capacité de transformer
l'ensemble du système terrestre. En changeant
le climat, il bouleverse l'accès à l'eau, aux res-
sources vitales, provoque la montée des mers,
obligeant à des migrations de grande ampleur.
En polluant la terre, l'air et les océans, il
détruit les écosystèmes et la biodiversité et
engendre diverses maladies. Pas un océan n'a aujourd'hui échappé à la pollution.

En 2009, une équipe internationale de 26
chercheurs a établi l'existence de 9 limites
planétaires, c'est-à-dire les seuils que l'hu-
manité ne devrait pas dépasser pour pouvoir
vivre dans des conditions favorables. Leur
estimation a été affinée ensuite par d'autres
études scientifiques. Parmi ces limites figure
le changement climatique (avec notamment
une concentration atmosphérique en CO2
inférieure à 350 ppm alors qu'elle a dépassé
les 400 ppm), l'intégrité de la biosphère (avec
une limite de taux d'extinction de 10 espèces
sur 1 million chaque année, tandis que le taux
actuel serait plutôt de 100 à 1000 espèces sur
1 million), la perturbation des grands cycles
de l'azote et du phosphore contenus dans les
sols (du fait de l'agriculture et de l'élevage
intensifs), la modification de l'occupation
des sols (la limite, franchie, est fixée à 70%
de la surface de forêt avant défrichement par
l'humanité), l'introduction de facteurs de pol-
lution dans l'environnement (métaux lourds,
composés radioactifs...), et la consommation
mondiale d'eau douce. En 2022, ces 6 limites
étaient considérées comme dépassées.
Deux autres limites ne sont pas encore fran-
chies à l'échelle planétaire : la diminution de

34 - L’essentiel de la Science
 LES VRAIES CAUSES DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

la couche stratosphérique et l'acidification des
océans. Enfin la dernière limite, la concen-
tration des aérosols atmosphériques, n'a pas
été quantifiée.
Ce concept de « limites planétaires » permet
de définir le « terrain de jeu planétaire » où
l'humanité pourrait vivre en sécurité, avec
une durabilité des ressources naturelles et des
services écoystémiques. Mais des interactions
existent naturellement entre ces limites, de
même que des répercussions d'une région à
l'autre puis à l'échelle planétaire.
Le dépassement de ces seuils engendrera des
conséquences dramatiques. Une concentra-
tion atmosphérique en CO2 de 450 ppm aura
des impacts sur l’ensemble du globe. Le main-
tien du réchauffement climatique sous la barre
des 2°C à l’horizon 2100 présenterait, même
à ce niveau, des risques significatifs pour l'hu-
manité. Même chose en ce qui concerne l’éro-
sion de la biodiversité à propos de laquelle les
biologistes annoncent les prémices d’une 6e
crise d’extinction biologique massive. Reste
la capacité d'adaptation possible des écosys-
tèmes et de la biodiversité. Quant à celle de
l'homme, l'avenir nous la montrera...

Les experts de l'ONU et du GIEC

lancent l'alarme
Huit ans après son précédent rapport, le GIEC a publié en 2021-2022 un 6e
rapport sur l'évolution du climat. Rédigé par 234 scientifiques de 66 pays et
validé par les 195 Etats membres, le premier volet se base sur plus de 14 000
études scientifiques.
Et ses prévisions sont très pessimistes. Le changement climatique s'effectue
plus rapidement que prévu et, même en limitant le réchauffement, les
catastrophes naturelles se multiplieront. Les conséquences du changement
climatique sont « irréversibles pour des siècles ou des millénaires ».

Si le réchauffement allait jusqu'à 5,7°C...

Alors que le précédent rapport faisait déjà
craindre une augmentation de la température
de la planète de 1,5°C en 2040, le nouveau
rapport indique que ce niveau sera atteint dès
2030. Et sur les 5 scénarios établis, le plus
pessimiste prévoit un réchauffement pouvant
aller de 3,3 à 5,7°C. Comme de nombreux
Etats n'ont pas revu leurs engagements en
matière de réduction des émissions de gaz à
effet de serre, ce scénario reste envisageable.
Aucun progrès n'a notamment été fait dans
ce sens à la COP27, en novembre dernier.

Les faits sont là : les experts du GIEC dé-

montrent que le changement climatique
multiplie par 150 le risque de survenue d'une
canicule, soulignant que celle qu'a connue le
Canada en juin 2021, avec des températures
approchant les 50°C, n'aurait pas été possible
sans cela. Il est grand temps d'agir...

L’essentiel de la Science - 35
LES VRAIES CAUSES DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

Quant au niveau des océans, il s'est élevé de

20 cm en un siècle, le phénomène s'accélé-
rant sur la dernière décennie avec la fonte
des calottes glaciaires. Les océans pourraient
s'élever d'un mètre d'ici 2100, de 2 mètres
d'ici 2300. Mais suivant l'évolution des
calottes, les 2 mètres pourraient être atteints
dès 2100. D'ailleurs la fonte des calottes gla-
ciaires constitue pour les experts un « point
de rupture », puisque ses conséquences seront
irréversibles.
La responsabilité de l'homme est « sans équivoque ».
Les activités humaines provoquent « des changements rapides dans l'atmosphère,
les océans, la criosphère et la biosphère ». C'est la première fois que le GIEC le
démontre et l'affirme. Les précédents rapports parlaient d'une responsabilité
humaine « extrêmement probable ».
Le niveau de concentration de CO2 dans l'atmosphère depuis 10 ans n'avait jamais
été atteint depuis 2 millions d'années, et l'utilisation des énergies fossiles en est
la principale responsable.

Des effets catastrophiques et irrémédiables

Quels sont les effets actuels du réchauffement
climatique sur les populations et les écosys-
tèmes ? Nous étions à +1,09°C en 2021. Il
s'ensuit une réduction de la disponibilité des
ressources en eau et en nourriture (en Afrique,
en Asie, dans les petites îles...), également
un impact sur la santé dans le monde entier
(augmentation de la mortalité, émergence de
nouvelles maladies, développement d'autres
comme le choléra), une augmentation du
stress thermique, une dégradation de la qualité
de l'air, etc. Quant aux espèces animales et
végétales, elles voient leurs aires de réparti-
tion divisées par 2.
Ces effets sont irrémédiables, quand bien
même nous arriverions à limiter la hausse
des températures à 1,5°C comme le prévoit
l'Accord de Paris, chiffre qui sera forcément
dépassé vu les engagements insuffisants
des pays signataires. Aujourd'hui entre 3,3
et 3,6 milliards d'habitants vivent dans des
situations très vulnérables à ce changement
climatique. En 2050,1 milliard d'habitants des
régions côtières sera menacé. Et les catas-
trophes naturelles de plus en plus fréquentes
ont des conséquences sur la production ali-
mentaire, le prix des denrées, la malnutrition.
Les experts dénoncent un manque de volonté
politique pour agir face à la rapidité des chan-
gements, même si des efforts ont été réalisés
pour réduire les émissions de CO2. Les efforts
financiers doivent être bien plus importants
dans des secteurs clés comme la transition
énergétique, la gestion de l'eau et de l'irriga-
tion, ainsi que l'adaptation des cultures aux
conditions climatiques, la préservation du mi-
lieu naturel (restauration des forêts et des éco-
systèmes naturels, végétalisation des villes,
arrêt d'urbanisation des zones côtières...).
Il est déjà presque trop tard dans certaines
régions du monde, et le GIEC prévient de
l'inadaptation de solutions à court terme telles
que la mise en place de digues sur le littoral.
Si l'on persiste dans le rythme de dévelop-
pement actuel, le réchauffement climatique
pourrait atteindre +2,7°C à la fin du siècle.

Des solutions pourtant accessibles

Les solutions existent cependant et, en avril
dernier, le GIEC expliquait comment réduire
les émissions de gaz à effet de serre. Ces
solutions portent naturellement sur le rem-
placement des énergies fossiles, mais aussi le
captage de CO2, la limitation des émissions
de méthane, la réduction de la demande éner-
gétique, etc.

Pour limiter la hausse mondiale des tempé-

ratures, les experts recommandent encore
une fois de remplacer les énergies fossiles
(charbon, pétrole, gaz) par des sources d'éner-
gie bas-carbone ou neutres (hydroélectricité,
photovoltaïque, éolien...), et également de
mettre en place des techniques d'élimination
Hydroélectricité, photovoltaïque, éoliennes... des solutions sont là.

36 - L’essentiel de la Science
 LES VRAIES CAUSES DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
La surpopulation
n'explique pas tout
Rappelons qu'environ 70% des émis-
sions de gaz à effet de serre sont pro-
duites par un milliard d’individus
seulement. L’accroissement de la
population mondiale ne peut donc
pas être considéré comme la princi-
pale cause du changement climatique.
du dioxyde de carbone (plantations d'arbres,
extraction du CO2 de l'atmosphère...). Quant
aux émissions de méthane (un autre gaz à effet
de serre très puissant), rappelons qu'elles pro-
viennent de la production d'énergies fossiles
mais aussi des élevages d'animaux.
Parmi les solutions proposées pour réduire
la demande énergétique, le GIEC souligne
l'importance de réduire la consommation de
viande, d'isoler les bâtiments, de développer
Limiter le réchauffement à 1,5°C : est-ce encore possible ?
« C'est maintenant ou jamais » qu'il faut limi-
ter le réchauffement à 1,5°C, affirment les
scientifiques. Et pour cela, réduire les émis-
sions de moitié d'ici à 2030, dans tous les
secteurs. Les émissions de carbone nocives
n'ont jamais été aussi élevées dans l'histoire
de l'humanité que sur la dernière décennie.
Pour António Guterres, Secrétaire général de
l'ONU, c'est la preuve que le monde s'ache-
mine rapidement vers la catastrophe. Et il sou-
ligne à nouveau « les vagues de chaleur sans
précédent, les tempêtes terrifiantes, les pénu-
ries d'eau généralisées et l'extinction d'un
million d'espèces de plantes et d'animaux. »
Alors que l'accord de Paris de 2015 voulait
limiter le réchauffement climatique à 1,5°C,
« nous sommes sur la voie d'un réchauffement
climatique de plus du double » ajoute-t-il. « Si
nous n’agissons pas aujourd’hui, il sera trop
tard : nous ne pourrons plus limiter le ré-
chauffement de la planète à 1,5°C », remarque
pour sa part J. Skea, coprésident du groupe
de travail III du GIEC. « Sans une réduction
Ce n'est pas tant la surpopulation mais plutôt la surconsommation qui est
responsable.
le télétravail, d'utiliser des véhicules élec-
triques ou des mobilités douces (vélo, trot-
tinette, covoiturage...), ou encore de limiter
immédiate et radicale des émissions dans tous
les secteurs, ce sera impossible. »
Et les experts reviennent sur la nécessité de
réduire considérablement l'utilisation des
combustibles fossiles, procéder à une élec-
trification d'envergure, améliorer le rendement
énergétique et accroître l'utilisation de com-
bustibles alternatifs comme l'hydrogène... tout
en soulignant que ces mesures de transition
doivent être prises rapidement par tous les
gouvernements du monde. À défaut de quoi
certaines grandes villes seront sous les eaux.
Ce sont d'ailleurs les villes et les autres zones
urbaines qui contribuent à l'augmentation
des émissions. Les villes représentent un
problème particulier puiqu'elles devraient
abriter jusqu'à 70% de la population mon-
diale en 2050. Repenser leur fonctionnement
pourrait contribuer de manière importante à
atténuer les pires effets du climatique. Encore
une fois le GIEC insiste sur l'importance de
réduire la consommation d'énergie en créant
le gaspillage notamment dans le domaine
alimentaire.
par exemple des villes compactes et propices
à la marche, combiner l'électrification des
transports avec l'adoption de sources d'éner-
gie à faibles émissions de carbone, favoriser
les mécanismes naturels d'absorption et de
stockage du carbone. Les solutions existent,
tant pour les villes anciennes que nouvelles
ou en croissance rapide. « Nous trouvons des
bâtiments à consommation énergétique nulle
ou à bilan carbone nul sous presque tous les
climats », note Jim Skea. « Il est essentiel
d'agir, au cours de cette décennie, pour mettre
pleinement à profit le potentiel d'atténuation
des bâtiments. »
Dans le cadre du développement durable,
certaines solutions permettent d'absorber et
de stocker le carbone tout en aidant les com-
munautés à limiter les effets du changement
climatique. Dans les villes, il est possible
par exemple de combiner l'aménagement de
parcs, de prés et de zones humides avec le
développement de l’agriculture urbaine pour
réduire les risques d'inondation et atténuer les
effets des îlots de chaleur.
L’essentiel de la Science - 37
LES VRAIES CAUSES DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

Le temps nous est compté

Pour stabiliser la température de la planète, il
faut atteindre zéro émission nette de dioxyde
de carbone. Afin de limiter le réchauffement
climatique à 1,5°C, le rapport du GIEC
explique que « les émissions mondiales de
gaz à effet de serre devraient atteindre leur
valeur maximale avant 2025, puis diminuer
de 43% d'ici 2030 », ceci pour atteindre le
zéro émission au début des années 2050. Le
méthane devrait aussi être réduit d'environ un
tiers. Les experts notent que « même si nous
y parvenons, nous risquons fort de dépasser
temporairement ce plafond de température,
mais nous pourrions redescendre au-dessous
pour la fin du siècle. »
Enfin, selon un scénario moins favorable
prévoyant de limiter l'élévation de la tempé-
Bien des côtes devraient finir sous les eaux.
rature à 2°C, les émissions mondiales de gaz
à effet de serre doivent également atteindre secteurs. De nombreux pays prennent des avenir vivable. Nous disposons des outils
leur valeur maximale avant 2025 au plus mesures climatiques efficaces : un arsenal de et du savoir-faire nécessaires pour limiter
tard, puis diminuer d'un quart d'ici à 2030. plus en plus riche de lois et de politiques amé- le réchauffement ». Les capitaux sont suffi-
Le zéro émission serait alors obtenu au début liorent le rendement énergétique, réduisent sants également à l'échelle planétaire. Reste à
des années 2070. les taux de déboisement et accélèrent la mise adopter des politiques plus fermes. D'ailleurs,
en place d’énergies renouvelables. La baisse ces nouvelles politiques feraient peu baisser le
Mais malgré les efforts réalisés lors de la der- significative du coût des sources d'énergie produit intérieur brut mondial, tandis qu'elles
nière décennie, les émissions sont toujours en renouvelable depuis 10 ans atteint jusqu'à apporteraient des avantages économiques en
croissance du fait de la hausse des niveaux 85% pour l'énergie solaire et éolienne et les diminuant les coûts d'adaptation au change-
d'activités mondiaux dans tous les secteurs : batteries. ment climatique en 2050.
industrie, approvisionnement en énergie,
transports, agriculture, bâtiment. Le GIEC « Nous nous trouvons à la croisée des che- Comme le remarque le coprésident du groupe
salue cependant des avancées et estime qu'il mins », explique Hoesung Lee, le président de travail III du GIEC, Priyadarshi Shukla,
est encore possible de réduire au moins de du GIEC. « En prenant les bonnes décisions « si nous opérons les bons choix en matière
moitié les émissions d'ici 2030 dans tous les aujourd'hui, nous pouvons garantir un de politiques, d'infrastructures et de techno-
logies, nous pourrons changer nos modes
de vie et nos comportements, avec à la clé
une diminution de 40 à 70% des émissions
de gaz à effet de serre d'ici à 2050 ». Tout
en ajoutant combien « ces changements de
mode de vie peuvent améliorer notre santé et
notre bien-être » !

Tous nos remerciements au CNRS/Marie-

Antoinette Mélières, du Laboratoire de
glaciologie et géophysique de l'environne-
ment de Grenoble (dossier Climat de Sagas-
ciences) pour les informations contenues
dans le chapitre sur les trois paramètres
astronomiques.
Protéger la planète est l'affaire de tous.

38 - L’essentiel de la Science
LES VRAIES CAUSES DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

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LES ÉTONNANTES DÉCOUVERTES DE LA BIOÉCONOMIE

Les étonnantes découve

40 - L’essentiel de la Science
rtes de la bioéconomie
Grand émetteur de gaz à effet de serre, le carbone fossile a
pour vocation à ne plus être utilisé à terme, pour les pays qui
respecteront l'Accord de Paris. Il sera remplacé par du carbone
d'origine renouvelable. C'est l'un des objectifs de la bioéconomie,
une économie basée sur la production, la mobilisation, la
transformation et le recyclage de la biomasse. Plus globalement,
elle vise à l'emploi des ressources du vivant au lieu des ressources
fossiles, afin de respecter l'environnement et assurer la pérennité
du système économique.

Mais de quoi se compose la biomasse ? D'une variété d'éléments :

végétaux et résidus provenant de l'agriculture, bois et résidus de la
sylviculture, algues, micro-organismes, coproduits de l'industrie,
déchets ménagers... Ces produits doivent par conséquent
être de plus en plus utilisés, mais sans qu'il en découle des
inconvénients. Ainsi la mobilisation de la biomasse ne doit pas
rentrer en compétition avec l'utilisation des terres destinées à
couvrir les besoins alimentaires. Elle ne doit pas porter atteinte à la
biodiversité des écosystèmes ou à la préservation des ressources
(sol et eau notamment). Elle ne doit pas venir en concurrence avec
le rôle des écosystèmes (notamment des forêts et des sols) comme
puits de carbone. Et enfin elle doit s'inscrire dans la transition
agroécologique.

C'est pourquoi INRAE (l'Institut national de recherche pour

l'agriculture, l'alimentation et l'environnement) en a fait une de ses
priorités stratégiques...

L’essentiel de la Science - 41
LES ÉTONNANTES DÉCOUVERTES DE LA BIOÉCONOMIE

De formidables ressources !
Par chance, les ressources pour la bio-
masse sont particulièrement importantes
puisque, avec plus de 16,9 millions d'hec-
tares, la France est le 4e pays européen en
surfaces boisées (notre meilleur atout pour
emprisonner les GES).

Les chercheurs d'INRAE évaluent le potentiel

de cette formidable ressource à l'aune des 3S :
séquestration du carbone dans la biomasse,
stockage du CO2 dans les produits résultant de
l'industrie du bois, substitution des matériaux
pétrosourcés pour la chimie, l'énergie ou la
construction.

Ce travail est délicat, d'autant que le change-

ment climatique va transformer nos forêts. Les
scientifiques développent donc des outils de
modélisation et mènent des études prenant en
compte ces incertitudes, étudient de nouvelles
manières d'exploiter cette ressource. Par
exemple, les coproduits sont trop souvent brû-
lés alors qu'ils regorgent de molécules utiles
pour la pharmacie, la cosmétique, la méde-
cine, la chimie ou l'agro-industrie. En plus des
arbres, tous les résidus de l'agriculture, c'est-
à-dire les parties aériennes des végétaux non
La bio-économie, au plus près des sites de production. Ici, une usine de biogaz.
récoltées et laissées au sol (tiges, chaumes,
feuilles, gousses...), pourraient être valorisés
pour remplacer de nombreux produits d'ori-
gine pétrosourcée : béton de chanvre, isolants
à base de lin ou de tournesol, caoutchouc en
peau de tomate, plastique antimicrobien,
crème antioxydante...
Si leur conception a été validée, leur fabrica-
tion à l'échelle industrielle requiert de lourds
investissements. Or, pour que la substitution
soit rentable, ces nouveaux produits doivent
offrir des services comparables à un coût
similaire. Ce qui complique cette transition
vers la bioéconomie, même si les initiatives
se multiplient dans ce sens.

En France, la Stratégie nationale bas

carbone* envisage d'atteindre l'objec-
tif de zéro émission nette de gaz à effet
de serre (GES) d'ici à 2050. Il en est
de même dans la plupart des pays
européens.

*www.ecologie.gouv.fr/
strategie-nationale-bas-carbone-snbc

La France est le 4e pays européen en surfaces boisées.

42 - L’essentiel de la Science
 Les atouts de l'économie circulaire
Le principal avantage de la biomasse est
d'être constamment recyclée : on parle
d'économie circulaire.
Prenons le bois par exemple. Les arbres
contiennent nombre de composés chimiques
extractibles par l'eau ou l'éthanol. Or, lors de la
transformation industrielle du bois, les parties
en contenant le plus (écorce, noeuds...) sont
généralement brûlées pour fournir de l'éner-
gie ou servent de copeaux pour recouvrir les
sols. Le projet EXTRAFOR_EST (2017-
2021), dans les régions Grand Est et Bour-
gogne-Franche-Comté, a mesuré la quantité
de composés chimiques présents dans les
espèces locales exploitées par l'industrie du
bois, et a déterminé quelle quantité de bio-
masse pourrait être disponible et pour quelle
utilisation, au niveau national comme inter-
national. Le succès de cette étude a mené au
développement actuel de deux filières locales
forêt-chimie. L'INRAE les encourage en étu-
diant la caractérisation des propriétés fonc-
tionnelles des composés.
Technique ancestrale, le gemmage effectué
permet de récolter l'oléorésine produite pour
cicatriser une blessure opérée sur leur tronc.
Une fois purifiée et distillée, elle donne la co-
lophane et l'essence de térébenthine riche en
© INRAE - P.Inzerillo
éléments chimiques employés en médecine,
en cosmétique ou en droguerie. Aujourd'hui,
en Europe, le gemmage est presque exclusi-
vement pratiqué sur les pins maritimes. La
technique employée consiste à réaliser une
pique circulaire dans l'écorce pour éviter d'en-
dommager le tissu cellulaire de l'arbre, puis à
appliquer une pâte sur la plaie pour retarder
la cicatrisation. Ensuite, un réservoir étanche
permet de recueillir l'oléorésine tout en évitant
l'évaporation des composés volatils.
La plupart des résineux produisent de la
gemme après une blessure, il serait donc envi-
sageable de relancer l'activité de gemmage sur
L’essentiel de la Science - 43
LES ÉTONNANTES DÉCOUVERTES DE LA BIOÉCONOMIE
Les résidus du bois contiennent nombre de composés chimiques dignes d'intérêt.
d'autres essences : mélèze, épicéa, sapin ou
pin sylvestre. Dans la région Grand Est, ces
essences abondent. Les chercheurs d'INRAE
Grand Est-Nancy et de l'université de Lor-
raine, dans le cadre du projet GEMM_EST,
ont étudié pendant deux ans 5 espèces de rési-
neux, révélant que le pin sylvestre s'avère le
Des plantes pour remplacer les polymères
issus du pétrole
Parmi les plantes représentant de formi-
dables sources de biomasse lignocellulo-
sique (la source de carbone renouvelable
la plus abondante de la planète), le miscan-
thus se distingue...
Sa culture requiert très peu d'engrais, ne
demande aucun entretien, aucun traitement
phytosanitaire, et elle n'empiète pas sur les
terres nécessaires à l'alimentation humaine.
Cette grande plante utilisée essentiellement
pour la litière animale et le paillage horticole,
44 - L’essentiel de la Science
plus productif avec une production de 500
g par arbre et par an d'oléorésine. Ce qui
demeure toutefois bien moins que le pin
maritime (3,5 kg par arbre et par an), mais
qui suffit à envisager son exploitation loca-
lement. Pratiqué dans les dernières années
précédant la coupe de l'arbre, le gemmage
et depuis peu comme additif pour l'alimenta-
tion des vaches laitières, peut atteindre plu-
sieurs mètres de hauteur. Elle est peu cultivée
en France, mais cela pourrait prochainement
évoluer. Les industriels s'y intéressent en effet,
par exemple pour la fabrication de béton ou
de matériaux composites en remplacement
de la fibre de verre. Cependant, la variété
présente en France est stérile et les coûts
d'installation de la culture élevés. La solu-
tion serait d'employer des variétés multipliées
par graines fertiles, mais cette plante pourrait
pourrait ainsi assurer un complément de reve-
nus aux propriétaires.
Autre exemple : les os des animaux de bou-
cherie, qui représentent entre 30 et 50%
de leur poids, sont gaspillés car considérés
comme des résidus. Ils sont donc brûlés,
ou bien utilisés pour fabriquer croquettes et
pâtés pour chiens et chats, ou encore huiles
techniques. Et pourtant ils contiennent des
molécules dotées de propriétés quasi impos-
sibles à répliquer par synthèse chimique !
Comme par exemple les antioxydants syn-
thétiques destinés à améliorer la conservation
des aliments, mais qui peuvent en altérer le
goût, la texture, voire la digestibilité. Grâce à
leur compatibilité biologique, les molécules
animales antioxydantes isolées par les cher-
cheurs d'INRAE dans les os des bovins ne
modifient pas les propriétés de la viande. De
plus, elles présentent des avantages nutrition-
nels et peuvent être à la fois antioxydantes,
antidiabétiques et antihypertenseurs. Parmi
leurs nombreuses utilisations, on pourrait
concevoir des emballages dotés de proprié-
tés antioxydantes et antimicrobiennes qui
protégeraient naturellement les aliments, des
biofiltres pour la dépollution des eaux usées,
des crèmes cicatrisantes ou hémostatiques,
des cosmétiques, etc.
alors être invasive. Les chercheurs étudient
donc actuellement le développement de varié-
tés de miscanthus capables de produire de
grandes quantités de graines donnant lieu à
des plantes stériles. Les premiers essais sur
le terrain pourraient débuter dans quelques
années.
Le lin, par contre, est largement cultivé en
France (principalement en Normandie)
puisque notre pays est le premier producteur
mondial de lin textile. Les fragments de paille,
récupérés après la récolte des longues fibres
de lin pour la fabrication de tissus, étaient eux
aussi utilisés pour le paillage ou la litière ani-
male. Aujourd'hui c'est l'ensemble de la plante
qui est employé pour répondre aux nouvelles
attentes du marché. Les fibres sont incorpo-
rées à divers polymères et servent ainsi à la
fabrication de matériaux composites dont
la qualité d'usage est améliorée grâce aux
remarquables propriétés mécaniques du lin.
De plus, à performance mécanique égale,
ces fibres naturelles sont plus légères que les
fibres synthétiques comme la fibre de verre.
C'est pourquoi l'industrie automobile com-
mence à les employer pour le garnissage des
coffres, des tableaux de bord ou des portières.
L'avantage de ces biomatériaux est de réduire
le poids des véhicules et par conséquent leur
consommation de carburant. Dans le bâtiment
également, on installe des panneaux compo-
sites à base de lin afin d'augmenter l'isolation
thermique et phonique. Enfin, associée au
carbone, la fibre de lin confère d'excellentes
capacités d'absorption des vibrations que le La France est le premier producteur mondial de lin textile.
carbone seul ne possède pas. Ce matériau
composite hybride dissipe jusqu'à 40% de
l'énergie qu'il reçoit. Les applications sont de tennis aux cadres de vélo en passant par Le lin serait-il donc le candidat idéal pour
donc nombreuses : elles vont de la raquette les coques de bateaux. remplacer des polymères issus du pétrole ?
Un problème apparaît encore ici : son coût
demeure relativement élevé par rapport à
d'autres fibres exotiques, et sa durabilité
reste à démontrer. Des chercheurs français,
notamment d'INRAE, et italiens ont mené
une étude sur des fibres de lin prélevées sur
4 tableaux italiens peints au XVIIe et XVIIIe
siècle. Les résultats montrent que les fibres de
lin sont sensibles aux variations de tempéra-
ture et d'hygrométrie, ou encore au contact de
certains composants chimiques ou organiques
(colles, peintures...). Alors que des fibres de
lin provenant d'un linge mortuaire égyptien
vieux de 4000 ans présentaient un bien meil-
leur état de conservation ! Il s'agit donc de
mieux comprendre le processus de vieillisse-
ment des fibres de lin pour prévoir leur dura-
bilité lorsqu'elles seront associées à d'autres
polymères. Selon l'application recherchée, il
faudra garantir la durabilité la plus longue
possible ou au contraire accélérer la dégra-
La fibre de lin possède des capacités remarquables qui pourraient lui dation des fibres. En effet, leur dégradation
permettre de remplacer des polymères issus du pétrole.
L’essentiel de la Science - 45
LES ÉTONNANTES DÉCOUVERTES DE LA BIOÉCONOMIE

Tournesol et crustacés pour des panneaux isolants

rapide peut constituer également un réel avan-
tage pour le recyclage des matériaux compo-
sites en fin de vie, alors qu'il est difficile de
séparer les différents polymères les uns des
autres. L'utilisation d'écomatériaux à base de
lin, dont les propriétés mécaniques demeurent
optimales pendant 15 ans, serait indiquée pour
la fabrication d'objets à la durée de vie utile
relativement courte (certaines pièces méca-
niques, des filets de pêche...). La phase de
recyclage de ces objets serait facilitée et une
pollution durable de l'environnement en cas
de perte ou de casse serait évitée.
Encore une fois, dans le cas du tournesol, les tiges ne sont guère utilisées après la
récolte. Pourtant, leur enveloppe est constituée de fibres extrêmement résistantes
qui protègent la moelle très poreuse dont la texture rappelle le polystyrène. Les
chercheurs estiment que ces matériaux peuvent présenter des propriétés méca-
niques et thermiques dignes d'intérêt : mais il reste à le démontrer.
Le projet Demether, mené de 2011 à 2015, a permis d'explorer de nouvelles voies
de valorisation de ces coproduits, par exemple leur utilisation dans la fabrication
de panneaux isolants pour le bâtiment. Le matériau obtenu est suffisamment
performant pour rivaliser avec les panneaux traditionnels, et de plus il est inté-
gralement biosourcé car la colle employée pour lier les particules est constituée
de chitosane, extraite de la chitine qui compose la carapace des crustacés. Ces
produits peu coûteux, durables et renouvelables, ne remplaceront pas à eux seuls
les panneaux pétrosourcés, d'autant qu'ils ne conviennent pas à tous les usages,
mais ils représentent un pas en avant pour accompagner le secteur du bâtiment
dans la transition énergétique.

De nouveaux matériaux à partir

de coproduits alimentaires
Comme matériau nocif pour la planète,
le plastique figure parmi les premiers. En
plus de son impact en termes d'émissions
de CO2, le désastre écologique qu'il risque
d'entraîner avec les mégatonnes de micro
et nanoparticules de plastiques qui s'accu-
mulent pour des centaines d'années dans
les sols et dans les océans est encore plus
inquiétant.

La loi AGEC (anti-gaspillage pour une éco-

nomie circulaire) a pour objectif de mettre
fin aux plastiques à usage unique : elle inter-
dit par exemple l'usage des plastiques pour
l'emballage des fruits et légumes frais. Mais
il reste beaucoup à faire dans ce domaine, et
notamment changer profondément les usages
et les mentalités de chacun, industriels comme
consommateurs.
Développer des bioplastiques est indispensable à la planète.
Les solutions pour développer des bioplas-
tiques sont particulièrement attendues et la
recherche se développe en ce sens. Les scien- agricoles. Les liquides sont constitués des biodégradable. Puis ce dernier est associé à
tifiques, notamment d'INRAE, sont parve- eaux de lavage des huileries ou des laiteries des coproduits solides de productions agri-
nus à élaborer des bioplastiques, destinés à et des effluents urbains, et sont employés coles - sarments de vigne, paille ou fumier
l'emballage alimentaire, à partir de résidus comme substrat de fermentation pour des - dans des proportions ajustables selon les
liquides et de coproduits des productions bactéries qui stockent du PHA, un polyester besoins de conservation des aliments.

46 - L’essentiel de la Science
Les chercheurs ont aussi développé des outils
informatiques permettant de concevoir des
matériaux qui puissent être réutilisables, recy-
clables et biodégradables. Le projet NoAW,
récompensé en 2021 par le trophée les Etoiles
de l'Europe (ciblant des projets de recherche
au service d'enjeux sociétaux majeurs), har-
monise ainsi toutes les étapes du cycle de vie
du matériau, depuis la création de la matière
première en passant par l'usage du produit,
jusqu'à son recyclage puis sa disparition totale
dans les cycles naturels de notre écosystème.
À Vérone, en Italie, une bioraffinerie pilote a
été développée pour coupler, grâce à un pro-
cessus de digestion anaérobie en deux étapes
des effluents, la production de bioénergie par
méthanisation et la production de PHA.
L'argent, matériau également néfaste pour la
planète, est employé depuis le XXe siècle sous
forme de nanoparticules afin de démultiplier
sa zone d'échange avec l'environnement, ce
qui permet d'en utiliser beaucoup moins. Mal-
gré tout, la toxicité des nanoparticules d'argent
demeure préoccupante. De par leurs proprié-
tés antimicrobiennes, elles sont utilisées dans
les cosmétiques, les emballages alimentaires,
les produits ménagers, le matériel dentaire,
les dispositifs de traitement de l'eau, les pein-
tures, etc. Ces nanoparticules se présentent
sous forme d'agrégats, alors que seules les
particules situées à la surface, à proximité des
bactéries, sont utiles. La solution serait donc
de ne conserver qu'une enveloppe en argent
et de remplacer le cœur de nanoparticules par
un matériau biosourcé, ne présentant pas de
danger pour l'environnement.
Les chercheurs d'INRAE s'intéressent depuis
plusieurs années à la cellulose, le biopoly-
mère le plus abondant sur Terre : contenue
dans la paroi des cellules végétales, elle est
notamment utilisée dans la fabrication de
papiers et textiles. Après étude de formula-
tions associant des nanoparticules d'argent, de
diverses formes et tailles, ancrées à la surface
de nanocristaux de cellulose, ils sont parvenus
à obtenir une activité antibactérienne opti-
male grâce à des nanocristaux constitués de
20% de nanoparticules d'argent et 80% de
cellulose. Au-delà de son gain d'efficacité, cet
hybride a l'avantage de se disperser aisément
dans les liquides. Il pourrait par conséquent
être employé dans des peintures qui, une fois
appliquées et sèches, conserveraient leurs pro-
priétés biocides. En présence de bactéries,
les nanoparticules d'argent se dissolvent et
perdent leur toxicité : il ne reste alors que le
cœur de cellulose biodégradable. En l'absence
de bactéries, la faible quantité de nanoparti-
cules d'argent qui compose l'hybride limite de
façon conséquente les dommages qu'il peut
causer sur l'environnement.

Un « caoutchouc » naturel à base de tomate

Des produits vraiment sans nocivité pour
l'environnement peuvent être également
obtenus en récupérant les déchets de
l'agro-industrie...

Prenons l'exemple de la tomate. Transfor-

mée à grande échelle pour la confection de
sauces, de jus, etc., elle laisse de nombreux
déchets (peaux et pépins) souvent peu valo-
risés. L'industrie de la tomate génère, à elle
seule, 1,5 million de tonnes de déchets par an.
Les scientifiques d'INRAE étudient depuis
des décennies la structure et la fonction de la
peau de la tomate, appelée cuticule. En effet,
comme elle constitue l'interface entre le fruit
et son environnement, son étude permet de
sélectionner les plantes les mieux adaptées
pour résister aux différentes agressions (pa-
thogènes, sécheresse...), et également d'envi-
sager toutes les possibilités de valorisation. matériau ayant ces mêmes propriétés s'avé- constituants, parmi lesquels des acides gras
Les propriétés de la peau des fruits sont ines- rerait particulièrement intéressant. Les cher- hydroxylés (des composés présents dans la
timables. Extrêmement fine, elle est hydro- cheurs ont ainsi élaboré un procédé permettant plupart des êtres vivants qui jouent un rôle
phobe, insoluble et très élastique. Obtenir un de déconstruire la cuticule et de libérer ses essentiel notamment pour le maintien de

L’essentiel de la Science - 47
LES ÉTONNANTES DÉCOUVERTES DE LA BIOÉCONOMIE

la membrane et des structures cellulaires).

Ces molécules peuvent être réassemblées
pour construire un nouveau polymère. Un
« caoutchouc » 100% naturel et biodégradable
a ainsi pu être créé, et ses propriétés peuvent
être modifiées sur mesure, en changeant le
schéma d'assemblage selon l'usage désiré
(élasticité, antifouling...). Comme le souligne
l'INRAE, « si l'on ne mangera jamais assez
de sauce tomate pour subvenir aux besoins
de l'industrie du pneu, cet écomatériau serait
néanmoins idéal pour subvenir aux besoins
d'autres marchés à faible volume et à forte
valeur ajoutée ou encore pour la fabrication
de matériaux composites. »

À noter que les molécules de cutine peuvent

avoir une autre application qui est déjà un
stade avancé, montrant tous les atouts du
biomimétisme. Face à une attaque de patho-
gènes, la peau des plantes libère des acides
gras hydroxylés pour prévenir la plante de
l'agression. Les chercheurs ont alors eu l'idée de limiter le recours aux produits phytosa-
d'utiliser ces « lanceurs d'alerte » pour créer nitaires. Le procédé a été validé et breveté
un stimulateur de défense des plantes afin en 2018.

S'inspirer du vivant : les plantes à traire !

Ils ont commencé par concevoir un herbicide
biosourcé efficace à 100% dont les premiers
essais sont encourageants, même s'il reste de
nombreux travaux à mener pour parvenir à
sa mise au point. De plus en plus, les molé-
cules impliquées dans la défense des plantes
sont identifiées, et celles-ci révèlent d'autres
propriétés, notamment anti-inflammatoires
et antioxydantes.

Ces propriétés ne sont pas étonnantes : depuis

Contribuant à la résistance et à la pro-
tection des plantes et des champignons,
la lignine, la chitine, la cellulose sont
d'inépuisables réservoirs de molécules :
un carburant essentiel de la chimie verte.
Malheureusement ces composés sont par-
ticulièrement difficiles à dégrader. Mais
certains organismes comme les termites y
parviennent sans difficulté. Les chercheurs
s'en inspirent donc...
500 millions d'années, les plantes n'ont pas
cessé d'évoluer pour s'adapter à leur environ-
nement. Elles ont du développer des méca-
nismes de défense, basés sur la production de
molécules toxiques pour leurs agresseurs. On
en connaît déjà des milliers mais il en reste
encore plus à découvrir. À l'Institut national
polytechnique de Lorraine et à INRAE, les
scientifiques ont développé une technologie
originale : les plantes à traire ! Elle est mise
en œuvre depuis 2005 par une start-up, PAT

48 - L’essentiel de la Science
LES ÉTONNANTES DÉCOUVERTES DE LA BIOÉCONOMIE

(Plant advanced technologies), dans de vastes

serres abritant des centaines de végétaux d'es-
pèces et d'origines diverses. Leurs racines,
une fois stimulées, émettent des centaines
de molécules. Ces dernières sont récupérées
sans abîmer la plante, à l'occasion de coupes
ponctuelles. Puis elles sont analysées pour
déterminer leurs actions : herbicide, anti-in-
flammatoire, antifongique... Ces capacités
peuvent d'ailleurs être cumulées dans une
seule plante. L'industrie pharmaceutique, la
cosmétique et l'agro industrie s'y intéressent.

Le biomimétisme consiste à s'inspirer de

la nature, des plantes comme des animaux.
Certains chercheurs d'INRAE, associés à la
société Ynsect et à un laboratoire de l'univer-
sité Paris-Est-Créteil, étudient les termites.
Quelles sont les ressources cachées de ces
insectes ? Leur carapace est constituée de
chitine, un polysaccharide utile en pharma-
cologie, cosmétique ou agriculture, tandis que
leur pulpe représente une source de protéines
et de lipides pour l'alimentation animale. Éle-
ver des termites pour extraire ces ingrédients
d'intérêt est donc envisageable. Mais le prin-
cipal défi du projet ZELCOR, mené de 2007
à 2021, était d'arriver à alimenter des colonies
avec des coproduits de l'industrie papetière
et de la fabrication de biocarburants. Car si
En matière de biomimétisme, les chercheurs s'inspirent des termites.
certaines espèces consomment du bois, il est
bien plus difficile pour elles de s'accommoder
de produits pauvres en cellulose et contenant
des composés chimiquement complexes et
résistants (lignines, humines...).
Généralement, ces résidus industriels de trans-
formation de la lignocellulose sont brûlés pour
fournir de l'énergie. Cette combustion émet
du CO2, et de plus la valeur ajoutée de cette
transformation est réduite.
Les chercheurs ont donc conçu un dispositif
d'élevage de termites, mais aussi un procédé
d'extractions successives qui permet d'exploi-
ter tout le potentiel des lignines et de fournir
un substrat adapté à l'alimentation des colo-
nies. L'un des extraits obtenus est particuliè-
rement digne d'intérêt : outre ses propriétés
antioxydantes et antimicrobiennes, il a une
action répulsive vis-à-vis des insectes qui
pourrait fortement intéresser les fabricants
d'emballages alimentaires.

Une plante pour nourrir les saumons

et fournir une huile pour peintures
Dans le cadre de la transition agroécolo-
gique de l'agriculture, des plantes oubliées
comme la cameline reviennent sur le de-
vant de la scène.
Cette plante oléagineuse, cultivée en Europe
pendant plusieurs milliers d'années, avait
presque disparu au XXe siècle : on lui pré-
férait des espèces à meilleurs rendements
comme le colza ou le tournesol. Cette plante
rustique a pourtant l'avantage de présenter
une étonnante résistance aux stress bio-
tiques (agressions d'organismes vivants) ou
abiotiques (variations environnementales) et
elle se satisfait de sols relativement pauvres.
Elle peut par exemple protéger les plantes
fragiles (pois, lentilles...) en leur servant de
tuteur, les éloignant du sol et les conduisant
vers la lumière, loin de certains microorga-
nismes pathogènes.
Les chercheurs l'utilisent comme plante mo-
dèle, comme ils le font avec l'arabette des
dames. Car, parmi ses multiples propriétés,
elle dispose de trois sous-génomes. Leur
étude permet de mieux comprendre comment
ils interagissent, notamment lors de la repro-
duction. Les scientifiques peuvent aussi expé-
rimenter facilement la modification de gènes
grâce à sa croissance rapide. On peut ainsi
obtenir des camélines produisant des huiles
de composition et de qualité différentes, adap-
tées à l'industrie, à la santé, à l'alimentation
humaine et animale, ou à la cosmétique. Ainsi,
une cameline à très haute teneur en oméga-3
pourrait nourrir les saumons d'élevage, en
remplacement des farines animales, ou encore
produire une huile adaptée à la composition
de peintures et lubrifiants.

L’essentiel de la Science - 49
LES ÉTONNANTES DÉCOUVERTES DE LA BIOÉCONOMIE

Une bactérie qui produit du plastique biodégradable !

Et si les bactéries pouvaient nous aider à lut-
ter contre le changement climatique ? Au-
jourd'hui, grâce à l'ingénierie métabolique,
les scientifiques peuvent doter des microor-
ganismes de nouvelles fonctions, les rendant
capables de réaliser des tâches inédites. Ainsi
la bactérie Escherichia coli a appris à se nour-
rir de méthanol et à produire des monomères
de plastiques biodégradables ! L'intérêt du
méthanol réside dans sa capacité à piéger de
grandes quantités de CO2. Cet « aliment »
permet à la bactérie de produire les briques
qui, une fois récupérées et assemblées, consti-
tueront le bioplastique.

Ce n'est pas la première fois que l'on fait pro-

Certaines bactéries peuvent être entraînées
duire à des bactéries de nouveaux composés à à manger n'importe quoi !
partir du carbone. Ce procédé est employé pour
la formulation de biocarburants, mais aussi par l'industrie pharmaceutique notamment pour la production d'insuline. Mais
ce carbone provient principalement de sucres issus de plantes cultivées, occupant donc la place de cultures qui pourraient
être destinées à l'alimentation humaine ou animale. Alors qu'utiliser du méthanol, ce composé organique très simple obtenu
par électrocatalyse du CO2 présent dans l'atmosphère, comme source d'alimentation des bactéries s'avère particulièrement
intéressant : cela permettrait à la fois de libérer des terres arables, et de capturer le CO2 et réduire la pollution provenant
de plastiques issus d'hydrocarbures.

Les enzymes gloutons : comment valoriser

la biomasse récalcitrante
C'est la nature qui nous a donné l'idée de
l'économie circulaire : chez elle, tout se
recycle ! Par exemple, les champignons
métabolisent le bois mort pour en extraire
les nutriments, recyclant ainsi la matière
organique. Ces mécanismes complexes ins-
pirent les chercheurs pour mettre au point
des procédés biotechnologiques de dégra-
dation des polysaccharides, notamment la
cellulose (composant des parois cellulaires
végétales) et la chitine (composant de la
carapace des insectes et crustacés).

Ces dernières comptent en effet parmi les po-

lymères les plus résistants, ce qui est normal
Les champignons recyclent la matière organique avec des enzymes qui nous puisqu'elles protègent les plantes et les ani-
seraient bien utiles. maux contre les bioagresseurs. Comme nous

50 - L’essentiel de la Science
LES ÉTONNANTES DÉCOUVERTES DE LA BIOÉCONOMIE

l'avons dit précédemment, on les retrouve en

grandes quantités dans les coproduits du bois
et de l'agriculture, et les molécules qu'elles
recèlent intéressent l'industrie agroalimen-
taire et pharmaceutique, mais également le
secteur de l'énergie notamment pour la for-
mulation de biocarburants avancés et autres
produits biosourcés.

Les scientifiques tentent donc d'identifier et

de mesurer, chez les champignons, l'efficacité
des enzymes impliquées dans la dégradation
de ces polysaccharides. Et ces champignons
sont particulièrement nombreux : le Centre
international de ressources microbiennes
d'INRAE en possède une collection de 3000
souches provenant du monde entier. Récem-
ment, les chercheurs ont découvert de nou-
velles enzymes oxydatives très performantes
permettant de dégrader la cellulose et la
chitine. Il faut maintenant intégrer ces bio-
catalyseurs dans un bioprocédé respectueux
de l'environnement. D'ailleurs ces enzymes
naturelles produites par les champignons
pourraient être employées pour d'autres
usages, comme par exemple la dégradation
de polymères artificiels dangereux pour
l'environnement.
Des bois robustes face aux agressions bio-
tiques et abiotiques, comme le teck, le
robinier, le faux-acacia, sont employés en
construction pour leur résistance hors norme.
Mais pas seulement du fait de leur extrême
dureté. Ces essences, même après la coupe,
produisent des molécules toxiques pour leurs
agresseurs. Ces dernières intéressent le sec-
teur de la cosmétique, de la médecine ou de
l'agro-industrie.
Les chercheurs se sont inspirés des modes
d'action des champignons quand ils utilisent
des enzymes pour éliminer les molécules pro-
tectrices qui freinent leur accès aux sucres
(comme la cellulose) contenus dans le bois. À
chaque molécule son enzyme. Employées en
cocktail par les chercheurs grâce à un procédé
technologique innovant, ces enzymes criblent
les molécules présentes dans des extraits vé-
gétaux. Il s'avère que ces molécules possèdent
souvent des propriétés antifongiques, mais
également antioxydantes, insecticides ou her-
bicides. Le procédé employé est particulière-
ment rapide : moins de 3 heures suffisent pour
identifier l'ensemble des molécules d'intérêt à
partir d'un extrait végétal, contre 3 ou 4 jours
avec la méthode traditionnelle de culture des
champignons. Suite au criblage, le dispositif
dresse une cartographie des molécules d'inté-
rêt de l'extrait sous la forme d'un code barre
utilisable par les industriels.

Un colorant fluorescent au cœur d'un arbre

Pour prendre l'exemple du robinier faux-
acacia, utilisé pour fabriquer les piquets
des clôtures grâce à sa durabilité excep-
tionnelle, cet arbre originaire d'Amérique
du Nord et très répandu en France possède
d'étonnantes propriétés.
Elles sont dues notamment à la dihydroro-
binétine, largement présente dans ce bois, et
qui a de fortes propriétés antimicrobiennes.
Les chercheurs ambitionnent donc de l'utili-
ser comme biopesticide. Au cours du projet
WoodProActif, se déroulant de 2020 à 2023,
les scientifiques évaluent les effets d'un pail-
lage « bioactif » constitué de broyat de robi-
nier sur la vigne et sur 3 plantes modèles : la
tomate, le cyclamen et l'oranger du Mexique.
La dihydrorobinétine étant soluble, il suffit
d'arroser le paillage pour qu'elle se répande
dans le sol. On attend les résultats pour éva-
luer l'efficacité phytosanitaire et l'absence
de toxicité de cette méthode. Au-delà de
réduire les intrants chimiques de synthèse,
elle permettrait une meilleure répartition et
conservation du carbone accumulé par l'arbre
au cours de sa vie, au contraire de la combus-
tion. Et de plus, la molécule pourrait convenir
à bien d'autres usages, comme par exemple
la formulation de désinfectants de surface,
ou encore comme conservateur. Et cela va
bien plus loin ! Le bois de cœur du robinier
contient entre 5 et 10% de robinétine, une
molécule aux propriétés de fluorescence ! Si
l'on place un objet taillé dans ce bois sous une
lumière noire, il diffuse une intense lumière
jaune. Et en rendant soluble le pigment extrait,

L’essentiel de la Science - 51
LES ÉTONNANTES DÉCOUVERTES DE LA BIOÉCONOMIE
on obtient un colorant fluorescent qui peut
servir d'encre sympathique. Les secteurs de
la mode, de la publicité et de l'événementiel,
de la cosmétique sont intéressés.
Comme nous l'avons dit plus haut, les li-
gnines, coproduits de l'industrie papetière et
de la production de bioéthanol, sont le plus
souvent brûlées sur le site de production alors
qu'elles contiennent de nombreuses molécules
d'intérêt. 50 millions de tonnes de lignines
industrielles servent ainsi dans le monde
pour fournir de l'énergie mais, ainsi que
l'indique INRAE, on pourrait faire tellement
Développer les technologies blanches
Après la recherche et l'innovation, il s'agit
d'accompagner le développement des tech-
nologies blanches. On appelle ainsi les tech-
nologies ayant pour objet la fabrication
de produits, l'invention de procédés ou la
production de bioénergie à partir de l'uti-
lisation de la biomasse, matière première
renouvelable.
En France, un partenariat public-privé unique
et original, inauguré en 2012, fédère tous les
Beaucoup d'industries sont concernées par les nouvelles solutions issues de la valori-
sation de la biomasse.
52 - L’essentiel de la Science
plus avec cette ressource d'origine végétale
renouvelable !
Toujours dans le cadre du projet ZELCOR,
des scientifiques d'INRAE et de l'université de
Warwick, au Royaume-Uni, se sont employés
à convertir, avec des méthodes respectueuses
de l'environnement, les lignines (mais aussi la
cellulose récalcitrante qui leur est associée) et
également les humines en ingrédients et maté-
riaux à haute valeur ajoutée. Ces humines,
issues de la condensation des sucres, sont des
matières organiques insolubles présentes dans
les sols. 16 nouvelles enzymes capables de
modifier les lignines ont été identifiées et
acteurs : TWB (Toulouse white biotechno-
logy). Cette initiative favorise la recherche,
accompagne des start-ups en leur offrant un
accès à l'ensemble des équipements technolo-
giques disponibles, finance des projets d'inno-
vation de rupture susceptibles de déboucher
sur de nouvelles briques technologiques.
Transformer la biomasse en une immense
variété de produits et services apparaît comme
l'une des clés du renouveau industriel. Dans ce
produites. Certaines favorisent la dispersion
dans l'eau des fractions de lignines solubles
uniquement dans des solvants organiques
polluants. D'autres leur confèrent des pro-
priétés adhésives, menant à la fabrication de
panneaux de particules. L'utilisation de ces
procédés à l'échelle industrielle permettrait
donc d'éviter le gaspillage de cette précieuse
ressource.
Ces découvertes ont permis à Stéphanie
Baumberger, la coordinatrice du projet ZEL-
COR, de remporter le prix spécial du jury
lors de l'édition 2021 des Etoiles de l'Europe.
secteur, l'Europe doit demeurer compétitive
et indépendante. Coordonné par INRAE, le
projet européen IBISBA s'inscrit en ce sens,
fédérant les infrastructures de recherche pour
accompagner les projets vers leur développe-
ment industriel. L'Europe est d'ailleurs pion-
nière dans le domaine des biotechnologies.
Depuis Pasteur en France ou Koch en Alle-
magne, les centres de recherche européens
n'ont cessé d'étudier le vivant : que ce soit pour
lutter contre les pathogènes, favoriser les or-
ganismes bénéfiques, ou inventer des moyens
d'en exploiter le potentiel. Aujourd'hui elle
compte faire entrer la biotechnologie dans
l'industrie 4.0 en développant l'automatisa-
tion de procédés et en intégrant les nouvelles
composants de l'informatique (Internet des
objets, intelligence artificielle, cloud com-
puting, etc.).
LES ÉTONNANTES DÉCOUVERTES DE LA BIOÉCONOMIE

Un exemple de coordination à l'échelle européenne

Bisy, une start-up autrichienne, souhaitait réaliser la production de molécules d'intérêt produites à partir de levures. Tout
d'abord un centre de recherche de Barcelone a validé les résultats avant de tester avec succès le procédé. Puis les recherches
ont été transférées vers une infrastructure finlandaise pour étudier le projet à l'échelle industrielle. La technologie proposée
a ainsi été validée et la jeune pousse a pu la valoriser auprès d'un investisseur. Aujourd'hui, Bisy propose différents services
en biotechnologie et est un spécialiste de la production de molécules d'intérêt à partir de levures pour différents secteurs.

La transition vers la bioéconomie

Des outils sont nécessaires pour aider à
développer la bioéconomie...

Si l'on prend l'exemple de la culture du

chanvre, on s'aperçoit en effet que les agri-
culteurs ne peuvent compter que sur leur
expérience pour déterminer le moment idéal
pour la récolte. Car après fauchage, les pailles
sont couchées au sol pour le rouissage. Cela
signifie que, pendant 3 semaines environ,
les micro-organismes dégradent la matière,
facilitant la séparation ultérieure des fibres de
périphérie qui serviront en papeterie ou dans
l'élaboration de matériaux d'isolation pour le
bâtiment, tandis que les autres parties de la
plante servent en plasturgie et dans l'industrie
textile, et que la partie boisée sert de paillage
ou de litière pour les animaux mais également
de matériaux pour la fabrication de béton iso-
lant pour la construction. De plus en plus, on trouve des panneaux isolants en matière naturelle.

Mais pour cela, la matière doit être récoltée
au bon moment : trop tôt, le rouissage est
incomplet, trop tard, les fibres sont altérées.
C'est pourquoi INRAE, l'université de Reims
Champagne-Ardenne, l'université de Lille et
la société FRD s'emploient à mesurer rapide-
ment, par analyse spectroscopique, le niveau
de rouissage du chanvre. Ils ont développé
un outil qui analyse le spectre de la lumière
réfléchie par un échantillon de paille. De
l'ultraviolet à l'infrarouge, ce spectre porte
l'information chimique indiquant le processus
de dégradation des tiges. En quelques mi-
nutes, il est ainsi possible de connaître avec
une précision inédite le niveau de rouissage
des pailles.
Autre exemple : pour respecter les objectifs de
la Stratégie nationale bas carbone, pas moins
de 12 millions de m3 de bois supplémentaire
devront être prélevés dans les forêts de France
métropolitaine d'ici 2026. Les ressources en
bois sont importantes dans notre pays : envi-
ron 2,6 milliards de mètres cubes. Cependant,
elles sont souvent difficiles d'accès et leur
composition est parfois méconnue.
Les chercheurs du projet Protest (Prospective
territoriale spatialisée) ont alors profité des
technologies innovantes pour cartographier
l'ensemble du peuplement forestier d'un ter-
ritoire et en extraire des données d'intérêt. Ils
ont notamment fait appel pour cela au Lidar
aéroporté, un outil de télédétection basé sur
l'émission d'impulsions laser à très haute
fréquence, et qui génère un nuage de points
reconstituant en 3D l'ensemble de la zone sur-
volée. Les cartes des forêts obtenues suite à
l'analyse de ces données ont une résolution
spatiale de 25 mètres et une précision per-
mettant d'identifier la densité d'une parcelle,
sa composition, la taille moyenne des arbres,
et son accessibilité. Par contre, le Lidar ne
détecte pas les plus jeunes arbres, ne don-
nant ainsi aucune donnée sur la régénération
et donc l'avenir du peuplement. Il faut pour
cela faire appel à un forestier sur le terrain
afin de déterminer le besoin de mettre en
place des mesures de sauvegarde. Les algo-
rithmes créés permettent en effet d'identifier
les zones d'habitat susceptibles d'abriter des

L’essentiel de la Science - 53
LES ÉTONNANTES DÉCOUVERTES DE LA BIOÉCONOMIE

espèces animales et végétales vulnérables,

ou encore des forêts peu exploitées qui pré-
sentent un intérêt pour la conservation de la
biodiversité. Les données renseignent enfin
sur les services écosystémiques des forêts,
comme par exemple en montagne le rôle dans
la prévention des chutes de pierres ou des
avalanches.

Autre outil d'intérêt pour le développement de

la bioéconomie, SI-BOAT (Système d'infor-
mation sur les biomasses d'origine agricole à

L'olive pour l'énergie, la cos-

métique et... les stades de foot !
Parmi les cultures générant de
grandes quantités de sous-produits
peu exploités, l'oléiculture se dé-
marque. Aussi en Espagne et en Italie,
immenses producteurs de ce secteur,
des sociétés spécialisées dans la valori-
sation des déchets récupèrent les gri- l'échelle des territoires) agrège les différentes flux potentiels. Par exemple identifier les
gnons (peaux, fragments de noyaux et bases de données sur les producteurs de bio- ressources en paille pour mettre en place des
résidus de la pulpe) et plus rarement masse. Il permet à l'utilisateur de produire, filières de matériaux biosourcés, identifier les
les margines (liquides résultant du pour son territoire, un premier diagnostic sur types d'élevage ou de culture pour les inclure
traitement des olives). Toutefois, les son fonctionnement agricole, sur les acteurs dans des filières de matériaux ou de réutilisa-
coûts d'exploitation demeurent élevés en présence, et quantifier les productions et tion des biodéchets.
ce qui rend l'activité pas toujours très
rentable.

Alors des initiatives voient le jour

pour employer ces sous-produits
pour des applications à forte valeur
ajoutée. Au Maroc, l'entreprise Aveo
transforme la biomasse locale en
énergie pour alimenter des hôtels.
En Espagne, Elayo Group produits
des aliments et des cosmétiques haut
de gamme à partir de graines d'olives.
En France, la société Méditerranée
environnement répand les noyaux
concassés sur les pelouses artifi-
cielles des stades de foot,
à la place de billes de
caoutchouc. Des ini-
tiatives souvent
méconnues mais
qui sont plé-
biscitées par les
consommateurs.
54 - L’essentiel de la Science
Quel impact et quelles
nuisances ?
Chaque année, l'Europe génère environ
700 millions de tonnes de coproduits
d'origine agricole. La ressource est donc
immense.
Pour aider à la transition vers l'économie cir-
culaire, les chercheurs ont mené une vaste
étude auprès de 40 entreprises d'Europe et
d'Asie, impliquées dans la valorisation des
coproduits, pour identifier les facteurs de
succès et de risques de ces initiatives. Cela
montre qu'il faut bien évaluer l'équilibre entre
les bénéfices résultant de l'exploitation de
ces coproduits et les nuisances que cela peut
apporter (par exemple des nuisances sonores
et olfactives pour la population locale). Et
surtout bien prendre en compte les spécificités
liées à chaque coproduit et celles du territoire.
Rappelons que le développement et la produc-
tion de biomatériaux coûtent parfois plus cher
que leurs équivalents provenant des énergies
fossiles : aussi ne peuvent-ils être utilisés que
pour des domaines à très forte valeur ajoutée
comme les cosmétiques, la santé ou la fabri-
cation de composites.
Un projet comme BESTS porte sur l'impact
positif ou négatif des initiatives locales au ni-
veau environnemental, économique et social.
Ce qui a conduit à la conception de la plate-
forme de modélisation MAELIA qui permet
de tester différents scénarios. Par exemple,
LES ÉTONNANTES DÉCOUVERTES DE LA BIOÉCONOMIE

quelles sont les conséquences de l'installation

d'un bio méthaniseur intercommunal sur la
fertilité des sols, la production alimentaire, le
mix énergétique ou encore les émissions de
CO2 ? Cela fournit les bases pour développer
par la suite des outils logiciels adaptés aux
préoccupations des différents acteurs.

Car déterminer l'impact environnemental

d'une culture est plus complexe qu'il n'y
paraît. Prenons l'exemple de la carotte. Son
exploitation requiert de l'eau, éventuellement
des engrais et pesticides, du diesel pour le
tracteur qui la récolte et les camions qui la
transportent jusqu'au marché. Mais pour-
quoi ne pas prendre en compte les matériaux
employés pour la fabrication de l'usine qui
a produit l'engrais ou le tracteur, et même Il serait dommage de ne pas exploiter la biomasse...
plus en amont le poids environnemental de
l'extraction des matières premières ? une immense base de données, AGRIBA- systèmes de production végétale, animale, et
LYSE, qui permet de connaître le poids envi- de transformation des produits issus de l'agri-
Les chercheurs ont ainsi créé l'Analyse du ronnemental d'un produit alimentaire depuis culture. C'est grâce à cela que des évaluations
cycle de vie (ACV), une méthode d'évaluation sa production jusqu'à sa préparation par le sont produites régulièrement à destination des
multicritère des impacts environnementaux consommateur. Mais également la plate- scientifiques et des acteurs économiques pour
d'un produit ou d'un système depuis l'extrac- forme MEANS qui regroupe de nombreux répondre à des questions de société comme les
tion des matières premières jusqu'à leur fin de développements informatiques pour l'évalua- circuits courts, les biocarburants, ou encore
vie ou leur recyclage. Ils ont à leur disposition tion de la dimension environnementale des les avantages de l'agriculture bio.

Une microferme 2.0 en Guadeloupe

Pour finir, partons à la découverte du
projet de microferme KARUSMART, en
Guadeloupe, dans lequel est mis en pra-
tique par INRAE depuis 3 ans le concept
d'agriculture climato-intelligente.
Augmenter la production alimentaire tout en
l'adaptant aux changements climatiques et en
réduisant les émissions de gaz à effet de serre,
tel est l'objectif de l'agriculture climato-intel-
ligente. La FAO a défini ce concept, extrê-
mement ambitieux, mais qui reflète l'urgence
de la situation.
Sur cette exploitation en agriculture bio-
logique de seulement 1 hectare, la canne
à sucre et les bananes jouxtent la zone de
maraîchage et la prairie destinée à quelques
animaux d'élevage. Le principe du jardin
créole traditionnel est respecté, basé sur la
diversification des cultures et la valorisation
des biomasses résiduelles. Mais ici l'orga-
nisation est extrêmement rigoureuse afin
d'exploiter le moindre mètre carré et d'opti-
miser les rendements. Les déchets, recyclés
sous forme de bio-intrants, participent à la
séquestration du carbone. Les bagasses, rési-
dus de la canne à sucre, commencent à être
recyclées car elles contiennent d'importantes
ressources. En effet, en les répandant sur la
zone maraîchère, elles limitent le dévelop-
pement des adventices, protègent le sol lors
des fortes pluies, et maintiennent l'humidité
au cours de la sécheresse. Sont également tes-
tés des cocktails naturels biostimulants pour
les plantes, d'ailleurs hérités de l'agriculture
traditionnelle des Antilles. La microferme
obtient ainsi des rendements égaux ou supé-
rieurs aux moyennes régionales : 1500 m²
suffisent pour nourrir une personne, contre
4000 m² en moyenne en Europe !
Il y a cependant une contrepartie : il faut pos-
séder de solides connaissances techniques
et la charge de travail est très importante au
niveau de la gestion. Mais les revenus sont
d'autant plus élevés, permettant à une micro-
ferme de 2 hectares de subvenir aux besoins
d'un couple d'agriculteurs tout en assurant une
production couvrant les besoins d'environ 12
personnes.
Ainsi, 30 000 microfermes réparties sur
l'ensemble de l'île permettraient d'assurer
l'autonomie alimentaire de la Guadeloupe.

L’essentiel de la Science - 55
LACTIPS : LE PLASTIQUE LE PLUS VERT DE LA PLANÈTE !

LACTIPS : le plastique le

56 - L’essentiel de la Science
 LACTIPS : Le PLASTIque Le PLuS verT de LA PLAnèTe !

plus vert de la planète !

Face à la catastrophe planétaire causée par la

pollution par les déchets plastiques dans les
océans, cette entreprise française a conçu une
solution unique au monde : le premier plastique
sans impact sur l'environnement.
Ce bioplastique est produit à partir d'une ma-
tière première naturelle, la caséine (une des
protéines du lait). Il est donc propre, biodégra-
dable, et respectueux du consommateur et de
l'environnement.

Cette technologie fait l'objet de six bre- hydrosoluble, industrialisable, imprimable

vets internationaux. Elle est lauréate de
plusieurs prix et labellisée par l'Alliance
mondiale des solutions efficientes pilotée
par la Fondation Solar Impulse de Ber-
trand Piccard.
Elle fait ainsi partie des 1000 solutions
innovantes, propres et rentables, pour
relancer l'économie mondiale tout en
préservant la planète.
« Enlever le plastique de nos océans et
le garder dans nos industrie », telle est
l'ambition de Lactips. Et les possibili-
tés d'application sont nombreuses avec
cette nouvelle génération de plastique
et même comestible !
Frédéric Prochazka, Ph. D., enseignant-
chercheur à l'Université Jean Monnet de
Saint-Étienne (au laboratoire d'Ingénie-
rie des Matériaux Polymères), a conçu ce
matériau après 10 années de recherche. Et
en 2014, il a fondé Lactips (anagramme de
Plastic) avec Marie-Hélène Gramatikoff,
ingénieure plasturgiste diplômée de l'Itech
Lyon et spécialiste en stratégie d'entre-
prise, pour développer et commercialiser
son invention qui conquiert aujourd'hui
l'Europe et le Japon.

L’essentiel de la Science - 57
LACTIPS : LE PLASTIQUE LE PLUS VERT DE LA PLANÈTE !

Plus de plastique que de poissons dans la mer !

Synthétiques ou semi-synthétiques, les plas-
tiques sont en réalité une famille de matériaux
différents. Elaborés avec des caractéristiques
spécifiques selon leur application, ils sont pré-
sents dans tous les secteurs : emballages, vête-
ments, véhicules, construction, équipements
ménagers, électronique... La plupart d'entre
eux est issue du pétrole et de ses dérivés,
même si la prise de conscience environne-
mentale de ces dernières années a favorisé
l'adoption de nouvelles matières premières re-
nouvelables comme la canne à sucre, l'amidon
ou les huiles végétales. Mais ces nouveaux
polymères, que l'on retrouve notamment dans
les sacs plastiques, contiennent toujours du
pétrole puisque la part autorisée est de 60% !
Une limite de 40% est fixée pour 2025.
Aussi les Etats ont-ils commencé à entre-
Et l'énorme production mondiale de plastiques « Aujourd’hui, la plupart des prendre des actions pour faire face à ce fléau.
est en constante augmentation, une majeure plastiques ne sont pas totalement L'Union Européenne a réduit les plastiques
partie d'entre eux étant toujours conçue pour biodégradables et le problème des mi- à usage unique (coton-tiges, couverts et as-
être jetée après une seule utilisation. Quant au cro-plastiques, bien que moins visibles, siettes, pailles...). Elle ambitionne pour 2030
recyclage, seulement 9% des 9 milliards de est le talon d’Achille des dernières une nouvelle économie des plastiques plus
tonnes de plastique produites depuis 1950 ont générations de plastiques » durable, dont 100% des emballages seront
été recyclés*. Selon les Nations Unies, plus Marie-Hélène Gramatikoff utilisables ou recyclables. La France souhaite
de 13 millions de tonnes sont déversés chaque atteindre le zéro plastique jetable d'ici 2040.
année dans les océans. Rappelons que le pro- On connaît depuis 1997 l'existence de ce que En attendant, les plastiques sont là... avec
cessus de dégradation du plastique prend en l'on appelle le 7ème continent, cette soupe plas- leurs polluants organiques persistants (POP)
moyenne 400 ans (450 ans pour un sac, 100 à tique, grande comme six fois la France, située à l'origine de problèmes de santé humaine et
1 000 ans pour une bouteille). On estime ainsi dans le nord-est du Pacifique. Quatre autres animale. Perturbateurs endocriniens (phta-
que 96% de la biodiversité ingèrent potentiel- gyres seraient présents dans les autres océans lates, bisphénols, ignifuges…), substances
lement du plastique*. On en retrouve même du globe. En 2050, il pourrait y avoir plus de chimiques dangereuses... toute la chaîne ali-
au point le plus profond des océans, à 11 km plastique que de poissons dans la mer ! mentaire est contaminée.
de fond dans le Pacifique !
© Lactips

© Lactips

Lactips se présente sous forme de granulé … qui est ensuite transformé en film.
thermoplastique...

* Source : ONU- 2018

58 - L’essentiel de la Science
 LACTIPS : Le PLASTIque Le PLuS verT de LA PLAnèTe !
Un produit zéro déchet comestible
Aussi Lactips a souhaité agir plus rapidement.
Le plastique conçu par la société peut être
qualifié comme le plus vert de la planète, le
premier sans impact sur l'environnement.
Soluble (en eau chaude comme en eau froide),
100% biosourcé et totalement biodégradable,
il utilise la caséine, un co-produit laitier (déjà
employé pour les peintures ou colles écolo-
giques, la papeterie ou la cosmétique). Il s'ins-
crit donc dans une économie circulaire, adopte
les principes de la chimie verte et a accès
aux labels écologiques. Aucun problème pour
les applications agroalimentaires puisqu'il est
comestible : il permettrait donc la création
de nouveaux produits dans ce secteur. Pas
de souci non plus au niveau de l'impression.
D'autre part, il est doté de hautes proprié-
tés barrières contre l'oxygène (facilitant la
conservation des aliments et la préservation
de leurs saveurs), la graisse, ou encore les
huiles minérales. Enfin, il peut permettre de
porter ou transporter des éléments fragiles
sur un support green.
Au niveau industrialisation, le produit est
présenté sous forme de granulés thermoplas-
tiques, comme les plastiques conventionnels.
© Lactips
Les sacs de blanchisserie à lien hy-
drosoluble évitent tout contact avec
le linge contaminé.
Pour plus d'informations : www.lactips.com
Hydrosoluble, naturel et biodégradable, Lactips est mis en application sur le
marché pour les emballages unidoses de détergence.
Ce qui permet de l'utiliser sur toute la chaîne
de la transformation plastique pour toutes les
applications : film, ensachage, injection et
compoundage. D'où une production à prix
compétitifs, ne nécessitant aucun changement
de machines. De plus, le matériau Lactips
a d'autres propriétés écoresponsables : les
températures de transformation requises sont
deux fois inférieures à celles exigées par les
matières conventionnelles.
« Lactips fait partie de ces sociétés
qui veulent démontrer que l’on peut
adopter des alternatives industrielles
propres et efficientes »
Marie-Hélène Gramatikoff
Le principal marché ciblé est le secteur des
détergents avec emballage hydrosoluble, car
les plastiques employés actuellement se dis-
solvent mal, laissent des résidus sur la vais-
selle, bouchent les filtres. Mais le produit peut
être utilisé à court terme dans le secteur de
la construction, de l'emballage alimentaire,
et dans un futur proche des développements
sont possibles pour les emballages comes-
tibles. On pense notamment aux quantités de
déchets plastiques causés par les emballages
uniques dans l'alimentation (biscuits, etc.). La
société travaille également pour proposer des
solutions face à la disparition des plastiques
© Lactips
à usage unique tels que la vaisselle jetable,
les coton-tiges... Également pour offrir une
alternative au carton et papier d'emballage
lorsqu'il n'assurent pas une préservation opti-
male des denrées alimentaires.
La start-up est bien accompagnée par les
instances régionales, des organismes scien-
tifiques, et a séduit des grands groupes finan-
ciers. Son plastique est déjà commercialisé
auprès de grands fabricants d’emballages. En
2021, une nouvelle usine construite à côté de
Saint-Étienne doit permettre une industriali-
sation à grande échelle avec 3000 tonnes par
an. L'objectif étant plus de 10 000 tonnes par
an l'année suivante.
Car les innovations de la société se multi-
plient. Ainsi, dans le cadre de la crise sani-
taire, Lactips a été sollicitée par les hôpitaux
et a développé en un temps record, en par-
tenariat avec un industriel français, un lien
hydrosoluble destiné à sceller les sacs de linge
contaminé utilisés par les acteurs de santé. Ce
lien permet de mettre le linge infecté direc-
tement dans la machine à laver, sans autre
manipulation. Commercialisés en Europe,
les sacs hermétiques Unidro+ intégrant la
technologie Lactips permettent d'éviter l'uti-
lisation de linge à usage unique et protègent
efficacement les hommes et l'environnement.
L’essentiel de la Science - 59
AVIS D’EXPERTS : QUELLES ÉNERGIES POUR DEMAIN ?

Avis d'experts : quel

pour demain ?

60 - L’essentiel de la Science
 AviS d'expertS : quelleS énergieS pour demAin ?

les énergies
Parce qu'il est urgent que le système
mondial de production,
de distribution et de consommation
d'énergie soit engagé sur une trajectoire
visant à protéger l'avenir de la planète et
de ses habitants, la course aux énergies
nouvelles est lancée. Des énergies
flexibles, propres, abondantes, décarbonées
devraient connaître des facteurs de
croissance record dans les prochaines
décennies.

La recherche se mobilise pour innover, mais

également pour optimiser les technologies
existantes. L'objectif : garantir l'accès à
tous de services énergétiques fiables à des
coûts abordables. Lors de son 25e colloque
intitulé «Chimie et énergies nouvelles»,
la Fondation de la Maison de la Chimie, à
Paris, a souhaité faire un point scientifique,
avec les experts les plus qualifiés de la
recherche, de l’industrie et de l’économie,
sur une évolution possible du «bouquet
énergétique diversifié» en cours de
développement.
L’essentiel de la Science - 61
AVIS D’EXPERTS : QUELLES ÉNERGIES POUR DEMAIN ?

Les technologies arrivent sur le marché

Malgré la crise sanitaire, les investissements
mondiaux dans les technologies vertes se
poursuivent. La transition énergétique vers
une économie bas carbone est en route, avec
la baisse régulière des coûts des technologies
solaires et éoliennes, l'électrification crois-
sante d'énergie, le déploiement de véhicules
électriques, etc. Mais il s'agit d'accélérer,
car les émissions de gaz à effet de serre ne
baissent pas assez rapidement.

Le GIEC l'a établi en 2014 : sous forme

d’électricité, de chaleur ou de mouvement,
notre consommation d’énergie génère les
trois-quart des émissions mondiales de
gaz à effet de serre. Atteindre les objectifs
de l’Accord de Paris de 2016 nécessite par
conséquent une transition énergétique dont
l’ampleur et la vitesse n’ont aucun précédent
historique. Comme l'observe Benjamin Tincq,
co-fondateur et Président de Good Tech Lab
et fondateur de Solve Climate, selon l’Agence
Internationale de l’Energie, 35% des réduc-
tions d’émissions nécessaires proviendront chaleur industrielle, capture de carbone, géo- technologies, d'améliorer leur efficacité et de
de technologies qui sont encore à l’état de thermie, véhicules à efficacité énergétique ou déclencher des ruptures technologiques.
prototype, et 40% d’innovations n’ayant encore extraction durable des métaux de la La chimie représente l'une de ses compétences
pas encore largement pénétré leur marché transition. historiques fortes, la chimie catalytique est au
(chiffres de juillet 2020). cœur des procédés de raffinage et de pétro-
Catherine Rivière, Directrice Générale ad- chimie. Associée à une autre discipline (élec-
Ces technologies innovantes sont donc très jointe d'IFP Energies nouvelles, explique tro-chimie, physico-chimie, photo-chimie,
attendues. Après l'euphorie des années 2000 elle aussi que la transformation globale du bio-chimie...), elle est aussi une compétence
avec les clean tech, puis un passage à vide, système énergétique actuel vers un système clé dans le développement des technologies
on parle aujourd'hui des climate tech pour neutre en carbone reste un défi de taille. Et bas carbone. Catherine Rivière évoque par
évoquer les start-up évoluant dans le secteur elle prendra du temps, avec de nécessaires exemple la transformation de la biomasse
de l'énergie. Elles innovent dans des domaines investissements conséquents, une recherche en carburant pour décarboner le secteur des
très variés : stockage de longue durée des mobilisée, de nouvelles innovations technolo- transports encore trop dépendant du pétrole,
renouvelables, nucléaire de nouvelle géné- giques. L'IFPEN travaille sur ces innovations ou encore les procédés chimiques de recy-
ration, hydrogène, carburants de synthèse, qui auront pour but de diminuer les coûts des clage des plastiques.

décarboner l'industrie
La France a fixé ses objectifs. Ainsi que le et du climat) fixe un mix énergétique à 80% d’efficacité énergétique. Son engagement se
rappelle Jean-Philippe Laurent, Directeur électrique. La SNBC précise comment agir traduit notamment dans quatre plans : le plan
Stratégie et Développement chez EDF, la PPE dans l’industrie : remplacer le gaz par le bio- solaire (30 GW), le plan stockage (10 GW),
(la Programmation pluriannuelle de l'énergie) gaz, électrifier la chaleur basse température le plan mobilité et le plan hydrogène. Pour la
et la SNBC (la Stratégie nationale bas car- et développer l’hydrogène pour le transport. décarbonation de l’industrie, quatre voies sont
bone) en donnent le cadre global pour une développées : l’efficacité énergétique, la récu-
neutralité carbone en 2050. Dans l’industrie, Parmi les acteurs du marché, depuis plus de pération de chaleur et l’intégration énergé-
la DGEC (la Direction générale de l'énergie 20 ans le Groupe EDF déploie des services tique de pompes à chaleur haute température,

62 - L’essentiel de la Science
 AviS d'expertS : quelleS énergieS pour demAin ?
la substitution d’énergie fossile par l’électri-
fication des procédés (comme par exemple
la compression mécanique de vapeur), le
développement des énergies renouvelables,
qu'elles soient photovoltaïque, biomasse ou
CSR (combustible solide de récupération).
Le Groupe travaille aussi à réduire l’em-
preinte carbone des intrants et/ou matières
premières des procédés industriels issus du
pétrole ou du gaz, en proposant par exemple
de l’hydrogène décarboné.
Le stockage de l'énergie,
notamment via les batteries,
doit faire des progrès.
Les matériaux de la transition énergétique
En novembre dernier, l’Europe a proposé
une stratégie portant à 60 GW la puissance
éolienne offshore en 2030 (contre 12GW
aujourd’hui) et 300 GW en 2050. L’initiative
commune « Fuell Cell and Hydrogen Joint
Undertaking » (FCH JU) a publié sa feuille de
route en 2019 visant à produire 3,7 millions
de voitures particulières à hydrogène, 500 000
utilitaires légers et 45 000 poids lourds et bus
hydrogène d’ici à 2030.
Mais, comme le souligne Jean-Paul Mou-
lin, Directeur Scientifique Matériaux chez
Arkema, ces objectifs ambitieux se tra-
duisent par des attentes élevées en termes de
Comment stocker l'énergie ?
Autre problème de taille, pour diminuer notre
dépendance aux sources d'énergies fossiles, le
stockage de l'énergie représente un élément
clé. De même que la collecte et la concentra-
tion des énergies dites renouvelables, ainsi
que la conception d'un réseau de connexion
entre la source et le consommateur. Le stoc-
kage électrochimique est dans ce contexte
un acteur important, tant pour les applica-
tions stationnaires que pour les applications
mobiles.
performances techniques, économiques et de
capacités d’industrialisation pour fabriquer
les équipements de production, de transport,
de stockage et d’utilisation de l’énergie, et
donc pour les matériaux mis en oeuvre dans
ces équipements.
Par exemple les matériaux composites doivent
permettre de construire des pales de plus de
100 mètres pour l’éolien « offshore », des
réservoirs stockant de l’hydrogène à 700 bars
dans des conditions économiques permettant
de diviser par 3 les coûts des réservoirs. Les
volumes de production escomptés avant 2030
exigent de disposer de lignes industrielles de
Dominique Larcher et Mathieu Morcrette, du
Laboratoire de Réactivité et Chimie des So-
lides (Université de Picardie Jules Verne/Ins-
titut de Chimie de Picardie), expliquent que
les batteries de dernière génération (comme
les Li-ion) présentent des points faibles.
Parmi ceux-ci, leur forte limitation cinétique
et les problèmes de sécurité liée à l'utilisa-
tion d'électrolytes liquides organiques (dont
les solvants sont volatils et inflammables).
production opérationnelles dès 2025. Pour la
mobilité, il est aussi essentiel de réduire la
masse des équipements (batteries, réservoirs)
et donc de faire appel à des composites fibres
de carbone en optimisant leur usage.
Enfin, le recyclage en fin de vie de ces maté-
riaux doit être démontré et intégré dans des
analyses de cycle de vie permettant de bien
en peser tous les impacts.
Les défis sont donc nombreux à relever au
niveau des matériaux. Les thermoplastiques
de hautes performances peuvent d’ores et déjà
répondre à certains d'entre eux.
Les recherches dans ce domaine portent sur
la mise au point d'accumulateurs Na-ion
capables d'être rechargés très rapidement, et
sur la synthèse et l'étude d'électrolytes solides
inorganiques non inflammables.
Ces développements ont mis à jour des pro-
blèmes inattendus et des limitations encore
non résolues, mais ils prouvent le fort poten-
tiel d'innovation dans ce domaine.
L’essentiel de la Science - 63
AVIS D’EXPERTS : QUELLES ÉNERGIES POUR DEMAIN ?

L'hydrogène vert : une énergie idéale ?

Dans le domaine des énergies, l'hydrogène
vert, ou hydrogène zéro-carbone, est porteur
d'espoir et s'est imposé dans toutes les straté-
gies et les plans de relance internationaux : il
représente aujourd'hui une énergie alternative
idéale pour décarboner à grande échelle les
secteurs de l'industrie, de la mobilité et de
l'énergie.

Laurent Carme, Directeur Général de McPhy

(société française spécialiste des équipements
de production et distribution d'hydrogène),
explique que l'hydrogène, massivement em-
ployé dans des procédés industriels, est ma-
joritairement utilisé sous sa forme « grise »,
c'est-à-dire qu'il est produit à partir d'énergies Energie très propre, l'hydrogène vert devrait bientôt devenir compétitif.
fossiles. Par conséquent, il est responsable
de fortes émissions de CO2, équivalentes partir d'électricité zéro ou bas carbone (pro- à la fois technologique et industrielle. Une
aux émissions du fret aérien (chiffres IEA - venant de l'éolien, du photovoltaïque). voie dans laquelle la firme est très engagée
Agence internationale de l'énergie, 2019). On dans ses trois centres de développement, ingé-
envisage donc de le remplacer par l'hydrogène Mais il s'agit d'en améliorer la compétitivité, nierie et production en Europe (en France, en
« vert », qui est lui produit par électrolyse à et pour cela accélérer le « passage à l'échelle » Italie et en Allemagne).

Quid du nucléaire ?
L'abandon des énergies fossiles (charbon,
gaz et pétrole) n'implique pas que celles-ci
soient entièrement remplacées par des éner-
gies renouvelables. En France, le nucléaire
devrait conserver une place notable.

Christophe Behar, directeur énergie du groupe

Fayat et Président des fournisseurs de l'indus-
trie nucléaire française, fait le point sur les
futures utilisations du nucléaire. Il explique
d'une part que cette énergie restera dans le
futur un moyen de production d'énergie élec-
trique important. La demande énergétique
au niveau mondial ne cesse de croître, et le
nucléaire est dans le peloton de tête parmi les
moyens de production d'électricité en terme
de CO2 produit par Kwh. Si les ressources
en uranium sont limitées, comme pour les
énergies fossiles, on peut cependant les éco-
nomiser fortement en fonction de la technolo-
gie de réacteur retenue, notamment avec des
réacteurs à neutrons rapides (RNR).
Le nucléaire fera partie du mix énergétique.

64 - L’essentiel de la Science
 AviS d'expertS : quelleS énergieS pour demAin ?

Pour Christophe Behar, un mix énergétique

regroupant renouvelable et nucléaire serait
souhaitable. Le fonctionnement des réacteurs
doit être adapté à l'intermittence des renou-
velables (comme cela est déjà le cas), et il
s'agit de les utiliser au mieux, par exemple
pour produire de la chaleur ou de l'hydrogène
par électrolyse.

Avant la fin du 21e siècle, l'État prévoit la

mise en place de quelques réacteurs à neutrons
rapides. Pour quelles raisons ? D'une part
parce que cette technologie préserve la res-
source en uranium naturel, également parce
qu'elle permet de recycler totalement toutes
les matières, et enfin parce qu'elle simplifie la
gestion des déchets de très haute radioactivité
à vie longue.
Et qu'en est-il des solutions de fusion de
l'hydrogène ? Bernard Bigot, Président de la
Fondation de la Maison de la Chimie, est le
Directeur Général de l'organisation ITER. Il La tendance est plutôt vers l'augmentation de la consommation énergétique :
rappelle tout d'abord que les premières re- ce qui pose problème pour les moyens de production intermittents.
cherches sur le sujet remontent au début du
20e siècle. Le Français Jean Perrin, en 1919, Le premier brevet a été déposé en 1946 par grand programme international de recherche a
et l'Anglais Arthur Eddington, en 1920, ont des physiciens britanniques pour un réacteur été lancé en 1985 par les États-Unis et l'Union
été les premiers à proposer l'hypothèse que formé d'une chambre à vide torique entou- soviétique afin de construire l'équipement
la source d'énergie du Soleil et des étoiles rée d'une cage magnétique. En 1950, les ITER. Le projet, impliquant 35 pays, est en
pourrait provenir de la fusion des noyaux Russes ont conçu la première installation cours de réalisation depuis 2007 sur le site de
d'hydrogène pour donner de l'hélium. La de recherche de ce type, Tokamak, où sont Cadarache, en Provence.
première expérience de fusion d'un isotope rapidement produites les premières réactions Bernard Bigot a présenté l'état actuel d'avan-
de l'hydrogène, le deutérium, a été réalisée de fusion. cement du projet. Un premier plasma est
en 1934 par Ernest Rutherford. Et, dans les prévu fin 2025, les premières expériences de
années 40, on a envisagé de remplacer sur De nombreux pays construisirent ensuite physique fin 2028, et la capacité de fusion à
Terre les gigantesques forces gravitationnelles des Tokamak de plus en plus performants. pleine puissance fin 2035. Et en 2040, selon
à l'œuvre dans les étoiles pour permettre la Mais la taille requise pour une installation de les résultats des recherches, une première
fusion d'hydrogène par des forces magné- démonstration capable d'une production nette installation industrielle connectée au réseau
tiques d'une capacité équivalente. d'énergie s'avère tellement importante qu'un sera envisagée pour 2050-2060.

L’ammoniac, un des futurs e-fuel

Second composé chimique le plus fabriqué
au monde (en termes de volume), l'ammo-
niac, de formule chimique NH3, possède tant
d'avantages qu'il aura un rôle dans la tran-
sition énergétique. Facile à produire loca-
lement, capable de stocker et de transporter
facilement de l'énergie, il se révélera d'autant
plus intéressant lorsqu'il sera produit à partir
de l'excès d'électricité issue des ressources
renouvelables.
Comme le souligne Christine Mounaim-
Rousselle, du Laboratoire PRISME (Uni-
versité d’Orléans), beaucoup moins cher à
stocker sur une longue période que l'hydro-
gène, l'ammoniac, un des hydrogènes azotés,
est au moins 3 fois moins coûteux à trans-
porter en mer ou sur terre. Son utilisation
peut être envisagée soit comme un vecteur
de l'hydrogène, en le décomposant en H2,
soit comme combustible dans les systèmes
énergétiques industriels stationnaires ou ins-
tationnaires (tels que les brûleurs industriels,
les générateurs d'électricité ou le transport)
voire même dans une pile à combustible. Et
surtout sa combustion ne génère que de l'eau
et de l'azote, comme pour H2.
Déjà pendant la Seconde guerre mondiale,
la Belgique a fait rouler un parc d'autobus
au gazogène et au NH3. L'idée d'utiliser de

L’essentiel de la Science - 65
AVIS D’EXPERTS : QUELLES ÉNERGIES POUR DEMAIN ?
l'ammoniac comme carburant n'est donc
pas nouvelle. Dans les années 1960-70, on
a étudié cette solution pour les moteurs à
combustion interne. Pour entamer la décar-
bonation du secteur, l'OMI (l'Organisation
Maritime Internationale) a annoncé en 2019
que l'ammoniac fera partie de l'éventail des
solutions explorées. Le secteur aérien est
également intéressé.
Cependant, note Christine Mounaim-
Rousselle, cette molécule ne peut encore
Les Français sont-ils prêts ?
Des freins demeurent parfois, comme l'acceptabilité des populations. Ce qui est regrettable lorsqu'il s'agit d'éner-
gies vertes.
En 2019, plus de 80% de l'énergie consom-
mée dans le monde provenait de combustibles
fossiles. Notre infrastructure énergétique
doit donc subir une transformation totale
dans les 30 prochaines années pour respecter
l'Accord de Paris sur le climat, soit diviser
nos émissions de CO2 au moins par 4 d'ici
2050 et atteindre la neutralité carbone dans
la seconde moitié du siècle.
Comme l'ont souligné les intervenants de ce
colloque, les débats autour de la transition
énergétique sont souvent centrés sur le type
de sources d'énergie à employer, mais les
technologies à mettre en place sont beau-
coup moins évoquées. Ainsi que le remarque
66 - L’essentiel de la Science
être employée du fait des gros problèmes
qu'elle pose au niveau approvisionnement
et sécurité, et du fait de ses caractéristiques
physiques par rapport aux carburants clas-
siques. En effet, bien que l'ammoniac soit
plus dense en énergie que l'hydrogène, il
occupe beaucoup plus d'espace que le die-
sel pour la même quantité de propulsion. Il
peut être un carburant adapté dans le cas des
groupes auxiliaires de puissance (ou des pro-
longateurs d'autonomie pour les véhicules à
Grégory De Temmerman, Directeur Général
chez Zenon Research, la notion de temps est
importante. Loin des discours très optimistes
souvent mis en avant, il faut tenir compte
des limites sur ce qui est physiquement
possible. L'étude des transitions passées et
de leurs durées, tant au niveau national que
mondial, permet de tirer des enseignements
pour l'étude du déploiement des différentes
sources d'énergie (nucléaire, photovoltaïque,
éolien...).
Autre aspect essentiel à considérer pour la
transition à venir : l'intégration d'une part
croissante de moyens de production renou-
velables intermittents suppose que, pour la
première fois dans son histoire, l'humanité
batterie), car l'autonomie est plus limitée. On
l'étudie également pour des groupes énergé-
tiques stationnaires comme les turbines à gaz
ou les moteurs électrogènes, où il pourrait
servir de combustible pur ou partiellement
mélangé préalablement avec H2.
Enfin, de récentes études montrent son
intérêt dans les brûleurs industriels fonc-
tionnant au charbon ou au gaz de cokeries,
afin de décarboner partiellement ce type
d'installations.
évolue dans la direction d'une abondance
et d'une densité de puissance décroissante.
Alors que la tendance est plutôt vers l'aug-
mentation de la consommation énergétique,
ainsi que la concentration d'une part crois-
sante de la population dans des mégapoles.
La question de l'acceptabilité sociale des
différentes technologies est également im-
portante, ajoute Grégory De Temmerman.
Le nucléaire comme l'éolien sont sujets à
controverse, pour la gestion des déchets, les
besoins en matériaux ou encore l'occupation
des sols. D'où un frein à la réalisation de
grands projets dans un contexte d'urgence
climatique croissante.
LE MEILLEUR DE LA PRESSE
AviS d'expertS : quelleS énergieS pour demAin ?

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