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Antimousses et agents démoussants

Mécanismes d’action
par Vance BERGERON
Docteur
École normale supérieure de Lyon

1. Domaines d’observation du phénomène de moussage................. J 2 205 - 2


2. Mécanismes de formation des mousses ........................................... — 2
2.1 Stabilité des mousses ................................................................................. — 2
2.2 Déstabilisation d’une mousse : approche théorique ................................ — 3
2.2.1 Action sur l’hydrodynamique ............................................................ — 3
2.2.2 Action sur les barrières d’énergie ..................................................... — 4
3. Formulations pour le démoussage et l’antimoussage chimiques — 4
4. Mécanismes du démoussage et de l’antimoussage ....................... — 5
4.1 Entraînement du fluide du film................................................................... — 6
4.2 Pincement et pontage (pinchoff ) ............................................................... — 6
5. Conclusion ................................................................................................. — 6
Pour en savoir plus........................................................................................... Doc. J 2 207

es mousses sont omniprésentes dans l’industrie : tantôt recherchées, tantôt


L combattues. Les exemples de « chasse » aux mousses ne manquent pas :
dans l’industrie chimique, bien sûr, dans ses procédés d’extraction liquide/
liquide, de polymérisation en émulsion et de fermentation. Chaque fois que l’on
agite ou que l’on transporte une solution contenant une impureté ou, a fortiori,
un tensioactif, l’apparition de mousses est immédiate et automatique.
Cette formation de mousses peut mettre en danger les conditions opératoires
ou dégrader les performances des produits fabriqués. Ce fascicule présente
d’une manière théorique les conditions de formation des mousses ainsi que les
principaux moyens pour les déstabiliser.
Dans une deuxième partie [J 2 206], nous aborderons les pratiques indus-
trielles les plus courantes de démoussage et d’antimoussage.

Cette étude sur les antimousses et les agents de démoussage se décompose donc en deux
fascicules :
— J 2 205 - Antimousses et agents démoussants. Mécanismes d’action ;
— J 2 206 - Antimousses et agents démoussants. Mise en œuvre industrielle ; auxquels se
rattache un fascicule de documentation (Doc. J 2 207 - Antimousses et agents démoussants.
Pour en savoir plus).

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© Techniques de l’Ingénieur, traité Génie des procédés J 2 205 − 1
ANTIMOUSSES ET AGENTS DÉMOUSSANTS _________________________________________________________________________________________________

1. Domaines d’observation mérisation en émulsion par exemple, dans le but de stabiliser les
monomères. Ces molécules peuvent aussi se former directement
du phénomène ou être présentes à l’état d’impureté dans le milieu, comme dans
le cas du traitement des eaux usées. En fait, une simple variation
de moussage des paramètres opératoires ou des impuretés provenant de phéno-
mènes de corrosion peuvent parfaitement conduire à des forma-
tions inopinées de mousses.
Nous sommes quotidiennement confrontés à ce phénomène : le
matin, au moment de la douche ou, en fin de journée, en dégustant Si aucune substance tensioactive n’est présente, la mousse ne
notre boisson gazeuse favorite. sera pas stable et une coalescence rapide des bulles du gaz dis-
persé conduira à son élimination.
De manière similaire, si nous ajustons les échelles de temps
Pour simplifier, nous pouvons définir une mousse comme une pour générer les bulles de gaz et les mettre en contact, nous
dispersion d’un gaz dans un liquide. pouvons parfaitement maîtriser le développement de mousses.
Selon les cas, l’élimination de l’agent moussant ou l’ajustement
Cette mousse peut se former lors de phénomènes naturels ou des paramètres opératoires est utilisé pour réduire la formation
d’opérations industrielles, par exemple lors de la fermentation d’un des mousses.
milieu biologique ou lors de l’agitation de solutions contenant des Pour éliminer un agent moussant, il faut donc commencer par
molécules tensioactives, naturelles ou synthétiques. l’identifier ou le caractériser, ce qui passe par une analyse chimi-
Dans certains cas, la formation d’un grand volume de mousses que de la solution moussante. Mais l’élimination de l’agent mous-
stables est recherché ; c’est le cas des shampoings ou des gels sant n’est pas toujours possible, car il peut avoir une autre fonction
pour douche. Mais, plus souvent, il est nécessaire de détruire les dans la formulation.
mousses ou, mieux, d’empêcher leur formation. C’est le cas des Les situations étant en général très complexes, il faut alors avoir
mousses formées lors des opérations de distillation ou de traite- recours à des agents de démoussage ou des antimousses. Avant
ment de l’eau. de conseiller l’utilisation de ces produits, il convient d’étudier
La formation de mousses peut entraîner des réductions de per- brièvement la physique des mousses dont la compréhension nous
formances des produits ou bien des pertes de productivité dues à guidera dans l’élaboration des diverses stratégies de contrôle des
un arrêt de fabrication. Elle peut aussi mettre en cause la sécurité mousses.
des personnes, par exemple à la suite d’un mauvais fonction-
nement d’une valve de sécurité.
Beaucoup d’industries ont dû se préoccuper de la présence ou 2.1 Stabilité des mousses
de la persistance de mousses.
Citons, parmi celles-ci : Comme une mousse est une dispersion de gaz dans un liquide,
sa stabilité dépend avant tout de la stabilité des films individuels
— l’industrie agroalimentaire ; qui séparent les phases gazeuses discontinues (figure 1). C’est
— les industries du textile, de la peinture, des encres et des pourquoi, une connaissance approfondie de la formation et de la
revêtements ; stabilité de ces films individuels nous aide à contrôler la stabilité et
— l’industrie papetière ; les propriétés de la mousse. Il faut tout de suite avoir conscience
— l’industrie pétrochimique ; que, en théorie, les mousses sont des systèmes instables, au sens
— l’industrie des biotechnologies. thermodynamique du terme. Cependant, dans la pratique, il faut
admettre que certains systèmes particuliers peuvent être stabilisés
« dynamiquement » pendant des durées de vie relativement cour-
tes (d’une seconde à quelques minutes) et d’autres systèmes peu-
2. Mécanismes de formation vent rester stables pendant des périodes plus longues (d’une heure
à quelques jours).
des mousses
Pour empêcher l’apparition des mousses ou pour les éliminer
lorqu’elles se forment, il est nécessaire de connaître les phéno- Grand volume
de mousse
mènes responsables de leur formation. La formation d’une mousse
dépend, bien sûr, des molécules présentes dans le milieu. Mais elle
dépend aussi des conditions physiques dans lesquelles les gaz
sont dispersés dans le liquide c’est-à-dire des phénomènes phy-
sico-chimiques qui contribuent à faciliter cette mise en dispersion.
Pour illustrer ce point, gardons en mémoire la différence des méca-
nismes qui interviennent dans une machine à laver, qui agite et
mélange violemment et en permanence l’air et le milieu de lavage, Air
et dans le champagne ou une boisson gazeuse, dont la mousse se
forme par débullage lent des gaz dissous dans la boisson.
Comme nous l’avons déjà laissé entendre, le gaz dispersé peut Solution
être généré directement et accompagner un procédé (exemple de
la fermentation), ce qui conduit à des quantités indésirables de
mousses qui se rassemblent alors au-dessus des réacteurs. Tensioactifs
Dans chaque cas, des interfaces gaz/liquides sont créées et des
produits présents dans le liquide viennent aussitôt s’adsorber à ces
interfaces (molécules tensioactives, particules solides...) pour inhi- La stabilité du grand nombre de films minces formés est régie par
ber la coalescence de bulles voisines qui conduisent à la formation les molécules tensioactives qui s'adsorbent à l'interface solution-air
de mousses. Selon les cas, les molécules tensioactives sont intro-
duites volontairement dans la formulation, comme lors de la poly- Figure 1 – Film de savon

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a drainage rapide : conditions b drainage lent : conditions


"sans contraintes" "sans glissement"

Figure 3 – Influence des propriétés viscoélastiques


de l’interface air/eau sur le drainage du film

coup de situations pratiques, la viscosité du milieu est en général


a mousse de champagne : b mousse de bière "robuste": déjà faible et une baisse de viscosité supplémentaire n’a guère
courte durée de vie longue durée de vie (présence d’effet visible.
(pas de barrière d'énergie) d'une barrière d'énergie)
■ Par contre, la baisse des propriétés viscoélastiques de l’interface,
c’est-à-dire du film moléculaire qui s’y trouve, s’avère être une
Figure 2 – Durée de vie de deux mousses mesure plus efficace dans beaucoup de situations difficiles.
Lorsqu’un fluide s’écoule au voisinage d’une surface, nous pou-
vons considérer deux situations extrêmes : les molécules du fluide
sont stationnaires, c’est-à-dire immobiles ou, au contraire, elles se
Comme le montre la figure 2, la mousse de champagne illustre déplacent librement, sans entrave. Dans le premier cas, nous
un système stable pendant quelques dizaines de secondes, alors sommes dans une situation aux limites d’hydrodynamique « sans
qu’une mousse de bière « robuste » peut rester stable pendant une glissement », tandis que, dans le second cas, nous sommes dans
heure environ. Cette différence de durée de vie traduit des diffé- des conditions limites d’une situation « sans contraintes ». Pour le
rences entre les mécanismes primaires qui gouvernent la stabilité drainage dans une bulle de savon, ces deux situations sont sché-
des films individuels. matisées sur la figure 3. La vitesse du liquide dans le film est
Dans les mousses à coalescence rapide, la durée de vie du film représentée par la longueur des flèches sur la figure.
est contrôlée par la vitesse de drainage du liquide à partir du film ● Dans des conditions « sans contrainte », le fluide s’échappe
liquide, c’est-à-dire par un phénomène hydrodynamique, tandis avec une vitesse identique en tous les points du film, conduisant
qu’une durée de vie plus longue peut être obtenue en jouant sur ainsi à sa rupture instantanée en son centre. C’est la situation que
les temps nécessaires pour vaincre les barrières d’énergie qui l’on rencontre dans le cas des liquides purs : ils n’ont pas de visco-
retardent la coalescence du film. Ce sont en particulier les forces sité superficielle et ne forment donc pas de mousses.
d’interaction de surface provenant de la répulsion entre les deux
● Au contraire, si des molécules s’adsorbent à la surface, le
surfaces du film (appelées pression de disjonction) qui expliquent
déplacement du fluide perturbe la concentration des molécules
la formation de telles barrières énergétiques. Mais, dans certains
adsorbées, à l’origine de la viscoélasticité superficielle. Celle-ci, à
cas, le temps nécessaire pour vaincre cette barrière peut s’avérer
son tour, crée une résistance à l’écoulement du liquide du film.
tellement long que d’autres paramètres, tels que la diffusion des
La situation se rapproche de conditions aux limites « sans
gaz dans le milieu, provoquent une coalescence par un mécanisme
glissement » et le drainage du film devient très lent.
de type « mûrissement d’Oswald » et déterminent, de fait, la durée
de vie effective du film. Pour le favoriser et accélérer la destruction de la mousse, nous
devons par conséquent diminuer cette viscoélasticité. Les molé-
cules tensioactives présentes doivent donc être remplacées par des
Le contrôle des mousses est donc basé sur la maîtrise de molécules à viscoélasticité plus faible.
l’hydrodynamique du drainage du liquide et sur les conditions
de franchissement de la barrière énergétique qui régulent la coa- Exemple : des alcools à courte chaîne hydrocarbonée (moins de
lescence du film. 10 atomes de carbone) peuvent être ajoutés à des solutions aqueuses.
Par contre, des alcools à chaîne plus longue ont un effet opposé et
favorisent la stabilité des mousses.
2.2 Déstabilisation d’une mousse :
La viscoélasticité superficielle diminue, comme la viscosité mas-
approche théorique sique, lorsque la température augmente. Par conséquent, un ajus-
tement des paramètres opératoires entraînant une augmentation
de la température permet de limiter la formation de mousses. Dans
2.2.1 Action sur l’hydrodynamique ces conditions, un meilleur drainage et une certaine évaporation
du film en freinent le développement.
Si nous voulons favoriser la destruction de mousses relative-
ment instables, nous devons avant tout améliorer le drainage du Le drainage du film peut aussi être amélioré en jouant sur la
fluide qui sépare les bulles de gaz. Deux solutions se présentent : pression capillaire, en pressant les bulles plus fortement les unes
réduire la viscosité du fluide et/ou agir sur les propriétés visco- contre les autres. L’application d’une force centrifuge à la solution
élastiques de l’interface gaz/liquide. moussante, qui force le liquide hors du film, est une solution qui
s’avère possible. De même des vibrations soniques et ultrasoni-
■ La réduction de la viscosité s’avère d’autant plus efficace que ques, en créant des fluctuations locales de pression, peuvent éga-
cette dernière est élevée. Une augmentation de la température per- lement s’avérer efficaces pour accélérer le drainage et provoquer la
met alors souvent d’améliorer la situation. Cependant, dans beau- rupture des films.

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2.2.2 Action sur les barrières d’énergie


Tableau 1 – Liste des substances employées
Les molécules absorbées aux interfaces gaz/liquide ont aussi un comme antimousses
effet direct sur les barrières d’énergie dont l’existence explique en
général la stabilité des mousses à durée de vie longue. Ces bar- Variété Substance
rières énergétiques résultent des interactions d’origine électrosta-
tique et/ou stérique. Les interactions électrostatiques proviennent Composés organiques Polydialkylsiloxanes
essentiellement des molécules chargées adsorbées aux interfaces, à base de silicium Résines silicones
tandis que les interactions stériques résultent schématiquement de
l’empilement des molécules à la surface des films. Huiles minérales et cires
Paraffines
■ Les tensioactifs chargés, comme ceux que l’on trouve dans les
formulations détergentes, sont une bonne illustration de systèmes Hydrocarbures Huiles synthétiques et cires
qui développent de fortes répulsions électrostatiques dans des Huiles de table et cires
films de savon. Ces répulsions trouvent leur origine dans la double
couche ionique à la surface du film. Pour les modifier et pour les Cires naturelles et microcristallines
réduire, il faut donc jouer sur cette double couche. Pour cela, Acides gras et esters d’acide gras
l’addition d’un excès d’électrolyte à la solution moussante est tou- Carboxylates
jours efficace. Cet ajout a un effet déstabilisateur immédiat sur la Savons
solution. En particulier, l’addition d’électrolytes divalents, comme Amines
ceux à base de calcium, a en général une efficacité maximale, car
ces ions divalents écrantent de manière très efficace cette double Composés contenant Amides
couche et peuvent de plus se combiner aux tensioactifs anioniques, de l’azote Résines à base de mélamine
les éliminant de la solution par précipitation. Ces phénomènes
expliquent d’ailleurs pourquoi les eaux dures moussent diffi- Urées
cilement. Esters des acides mono-
et dialkylphosphoriques
■ Les mousses stabilisées par répulsion stérique par empilement Phosphates
de molécules à la surface, surtout en présence de polymères en Esters des acides
général et de protéines en particulier, posent souvent des pro- fluoroalkylphosphoriques
blèmes plus ardus. C’est le cas des mousses « robustes » qui se Composés fluorés Alcools fluorés et acides carboniques
forment dans l’industrie de la pâte à papier et celle du papier. Dans
ce cas, des molécules complexes de polysaccharides, extraites du
bois dans les solutions de traitement, s’adsorbent à l’interface
air/solution et bloquent la coalescence des bulles d’air. Pour détruire Mais la différence reste strictement formelle car, en pratique, les
ce type de mousses, nous devons perturber l’empilement des molé- termes et les produits sont utilisés et formulés indistinctement.
cules à l’interface et les remplacer. Comme nous l’avons déjà évo- Les démoussants ou les antimousses sont donc à base de
qué, certains alcools à courte chaîne ont été utilisés dans le passé. savons, des carboxylates essentiellement, d’amides (des mono-
D’autres additifs peuvent être recommandés, tels des acides gras, amides de préférence), d’esters d’acide phosphorique, de mélan-
des paraffines ou des savons saturés. Mais c’est incontestablement ges d’huiles minérales, d’alcools à chaîne courte, de tensioactifs
l’addition de formulations d’antimousses spécialement préparées à fluorés, de mélanges de silice hydrophobée et d’huiles silicones.
cet effet, à base d’huiles hydrocarbonées ou siliconées, qui s’avère Par la suite, nous tenterons une interprétation physique du mode
le plus efficace. L’intérêt de telles formulations est leur possibilité d’action de ces agents démoussants/antimousses pour en faciliter
d’utilisation dans des situations ou milieux très divers : elles ont le choix et les recommandations d’emploi.
montré leur efficacité aussi bien dans des mousses à base de S’il existe une grande variété et une large gamme d’antimous-
solutions aqueuses qu’à base de solutions organiques. ses (tableau 1), un même principe de formulation les unit : il s’agit
toujours d’un composé fluide et l’on distingue les huiles chargées
des huiles non chargées.
Les antimousses chargés contiennent en général de faibles
3. Formulations concentrations de particules minérales finement divisées (3 à 10 %
en masse) (figure 4). Dans la plupart des cas, c’est de la silice
pour le démoussage calcinée qui est utilisée, dont la taille des particules est de l’ordre
de 0,1 à 1 micromètre. Ces particules subissent en général un trai-
et l’antimoussage chimiques tement hydrophobe pour augmenter leur dispersibilité dans l’huile
de base. Cette huile est en principe une huile minérale ou une huile
de polydiméthylsiloxane non modifiée. Ce sont les seules huiles
Dans de nombreux procédés de fabrication, la formation de qui ont vraiment des propriétés antimousses mais l’incorporation
mousses est absolument rédhibitoire. Les industries concernées de fines particules solides permet de les améliorer encore. Les
doivent alors faire appel à des démoussants ou des antimousses composés commerciaux sont normalement proposés sous forme
chimiques. de prédispersions, ou d’émulsions, de manière à optimiser la dis-
persibilité de l’antimousse dans la solution. Une liste de produits
disponibles commercialement et de leurs producteurs est propo-
Un démoussant chimique est, en général, une formulation qui sée en [Doc. J 2 207], tableau A.
détruit une mousse : il s’agit d’éliminer une mousse déjà
formée. Les antimousses non chargés sont moins courants et moins effi-
caces. Ils ne s’utilisent que dans des situations bien particulières ;
Un antimousse chimique est, au contraire, une formulation ils ont l’avantage d’être meilleur marché que les antimousses char-
qui empêche la formation d’interfaces gaz/liquide stables dans gés. Dans ce cas, la dispersibilité de l’huile dans le milieu de for-
la solution : il s’agit de prévenir la formation de mousses mulation est obtenue par l’incorporation de tensioactifs ou de
stables. Ce qui veut dire concrètement que l’antimousse est polymères. Ou alors la molécule d’huile est directement modifiée
ajouté avant que la mousse soit éventuellement susceptible de par l’incorporation de fonctions hydrophiles. C’est le cas, par
se former tandis que le démoussant est ajouté lorsque la exemple des huiles silicones modifiées par des groupements
mousse est déjà formée, en général de manière accidentelle. oxyde d’éthylène.

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Film de mousse
Huile de base Particules solides
Gouttelette
d'antimousse

Taille des gouttelettes : 10 à 15 µm en moyenne


Taille des particules solides : 0,1 à 1 µm

Figure 4 – Gouttelette d’antimousse typique contenant une huile


de base et des particules hydrophobes

z
x

a entraînement du fluide b pincement ou pontage


sous-jacent du film

Figure 6 – Schémas des deux mécanismes primaires de destruction


des films par une formulation d’antimousse à base d’huile
a huile formulée b émulsion non chargée

Ces deux mécanismes sont représentés schématiquement


figure 6. De cette figure, nous déduisons que, pour être active,
l’étape initiale, cruciale, est le passage de la gouttelette à l’interface
air/eau. C’est la raison pour laquelle les antimousses sont hydro-
phobes ; en effet, si les gouttelettes étaient hydrophiles, elles res-
teraient dispersées dans le milieu aqueux et ne participeraient pas
c huile chimiquement modifiée
aux différentes étapes nécessaires à la destruction du film.
d émulsion chargée
Les principes de base qui interviennent dans les mécanismes
d’action sont ceux qui interviennent aussi dans les phénomènes de
Figure 5 – Antimousses : différentes formes de présentation
mouillage : les surfaces non mouillables détruisent les films de
liquides pour former des gouttes, tandis que les surfaces mouil-
lables restent couvertes par un film stable de liquide. Ainsi, comme
pour les phénomènes de mouillage classiques, tension superfi-
En résumé, la formulation d’antimousse peut être vendue sous
cielle et angles de contact sont aussi les paramètres physiques qui
forme d’émulsions (chargées ou non) ou sous forme concentrée
caractérisent le comportement d’un antimousse. La performance
(autodispersable ou formulée) mise en émulsion par l’utilisateur.
d’un antimousse est directement reliée à la relation entre ces dif-
Ces quatre formes de présentation sont schématisés figure 5.
férents paramètres. Cette relation détermine les conditions néces-
Le développement de formulations d’antimousses a fait l’objet saires pour obtenir une action antimousse.
d’un nombre impressionnant de travaux de recherche. L’ouvrage Comme nous l’avons déjà indiqué, les globules ou les goutte-
de P.R. Garrett (cf. [Doc. J 2 207]), publié récemment, constitue une lettes d’antimousse doivent commencer par pénétrer l’interface
référence à jour de la théorie, du mode d’action et des applications air/eau. Cela nécessite la rupture du film mince séparant la goutte
des antimousses. Nous ne faisons que résumer les éléments d’huile de l’air. Le coefficient d’entrée, Eh/e , constitue la quantité
majeurs pour expliquer l’utilisation et sélectionner les formulations thermodynamique clé qui détermine cette rupture. Ce coefficient
les plus intéressantes pour une application donnée. est très lié à une autre caractéristique thermodynamique essen-
tielle, le coefficient d’étalement S h/e .
Ces deux coefficients s’expriment simplement à partir des
tensions interfaciales comme le montrent les équations suivantes
4. Mécanismes pour un système moussant aqueux :
S h/e = σ e/a – σ h/e – σ h/a
du démoussage (1)

E h/e = σ e/a + σ h/e – σ h/a


et de l’antimoussage (2)

avec σ tensions superficielles ou interfaciales ; les indices h, e et


a indiquent respectivement l’huile, l’eau et l’air.
Lorsque l’on ajoute un antimousse à une formulation, celui-ci
commence par former une émulsion de gouttelettes qui agissent Ces relations montrent simplement que pour S h/e positif, l’huile
sur les films liquides individuels et détruisent les mousses. Deux s’étale à l’interface air/eau, tandis que si E h/e est positif, l’huile
mécanismes interviennent pour expliquer cette destruction : la pénètre l’interface air/eau à partir de la phase aqueuse.
gouttelette d’huile s’étale à l’interface air/liquide et provoque un C’est pourquoi la première obligation pour un antimousse à
amincissement du film par entraînement du fluide sous-jacent ou base d’huile est qu’il ait un coefficient d’entrée E h/e > 0. Nous pré-
alors l’amincissement du film est piloté par le démouillage de la sentons les bases des deux mécanismes qui expliquent le mode
gouttelette hydrophobe d’antimousse (pincement ou pontage du d’action des antimousses, dans l’ordre chronologique et dans
film ). l’ordre de complexité croissante.

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4.1 Entraînement du fluide du film par les tensions interfaciales, cette condition peut être traitée et
exprimée en termes de tensions. Le coefficient de pontage P h/e est
défini par l’équation (3) :
Après avoir pénétré dans l’interface air/eau, une goutte d’huile
peut soit s’étaler le long de la surface ou former une lentille. Les 2 2 2
huiles formant une lentille détruisent le film par démouillage, mais P h/e = σ e/a + σ h/e – σ h/a (3)
les huiles qui s’étalent ont un mode d’action différent. Quand une
monocouche d’huile s’étale sur la surface d’un film, elle entraîne Si θ h/e < 90 o , le coefficient de pontage est positif et, par
avec elle le liquide sous-jacent, ce qui conduit à l’amincissement conséquent, chaque gouttelette d’huile qui touche les deux inter-
du film liquide et, finalement, à la rupture de celui-ci. Une confir- faces du film de mousse (c’est-à-dire ponte le film) démouillera et
mation convaincante de ce mécanisme est fournie lorsque l’on conduira le film à se rompre. Donc, pour des antimousses à base
pose le doigt sur le bord d’un verre de champagne. Les huiles d’huiles, la condition critique nécessaire pour amener le film à se
naturelles présentes à la surface du doigt s’étalent sur les surfaces rompre par ce mécanisme de pincement est que P h/e > 0.
et détruisent la mousse. Le phénomène d’étalement est un Mathématiquement, les coefficients de pontage et d’entrée sont
exemple classique de flux créés par des gradients de tensions similaires, et l’on constate qu’un coefficient de pontage positif
superficielles (flux induits par effet Marongoni). C’est pourquoi, garantit à coup sûr un coefficient d’entrée positif mais, par contre,
une valeur positive du coefficient d’étalement (S h/e > 0) est la l’inverse n’est pas vrai. Ce qui signifie, bien qu’une particule
condition nécessaire pour provoquer ce flux, et c’est aussi pour- d’huile puisse satisfaire éventuellement aux conditions du coeffi-
quoi les huiles à tension superficielle faible sont, en général, plus cient d’entrée, qu’elle ne conduit pas nécessairement au méca-
efficaces [cf. équation (1)]. nisme de pincement recherché car la condition de pontage n’est
pas obligatoirement satisfaite. Pour cela, la recherche simultanée
d’un coefficient de pontage positif apporte l’assurance d’une plus
grande efficacité.
4.2 Pincement et pontage (pinchoff )
Ce mécanisme est un phénomène de démouillage qui a d’abord
été vérifié pour des particules solides d’antimousses. Cependant,
toute phase non mouillante (fluide, solide ou combinaison 5. Conclusion
fluide/solide) peut répondre aux conditions nécessaires à son
apparition. À l’image de tout processus de démouillage, les angles
de contact déterminent les performances et peuvent donc être uti- Dans la suite (article [J 2 206]), nous montrerons les diverses
lisés pour réguler et quantifier les effets. L’optimum des angles de solutions pratiques qui ont été développées et nous détaillerons
contact pour les applications de démouillage dépend des les constituants clefs des formulations employées pour le contrôle
conditions géométriques particulières du système. En règle géné- des mousses, de manière à pouvoir proposer des recommanda-
rale, une particule ou une huile est d’autant plus efficace pour tions indispensables aux principaux utilisateurs.
détruire une mousse qu’elle est non mouillante.
Pour des antimousses à base d’huiles, la condition essentielle La traduction de cet article de M. Vance Bergeron a été assurée par
est que θ h/e < 90o (angle de contact huile/eau inférieur à 90 o). Gilbert Schorsch, conseiller Innovation - Recherche de l’UIC, Île-de-
France.
Simultanément, comme l’angle de contact huile/eau est déterminé

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