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Question d’interprétation philo :

Anouilh (1910-1987) a connu un grand succès lorsqu’il a fait jouer Antigone, où il


présente sa vision pessimiste de la condition humaine. Les personnages et la situation sont
inspirés de la mythologie grecque et de la pièce de Sophocle : Antigone veut enfreindre la loi
en enterrant son frère, traître à l’État. Son oncle Créon, roi de Thèbes, va devoir la faire
exécuter. Un des passages qui a le plus troublé les lecteurs/spectateurs est la confrontation
entre ces deux personnages, et leur opposition totale qui est perturbante, notamment sur leur
conception du bonheur.Albert Einstein, un savant connu par le monde entier, a un jour déclaré
que « si vous voulez vivre une vie heureuse, attachez-la à un but, non pas à des personnes ou
des choses. ». Dans cette citation, il y a précisément les deux conceptions du bonheur qui
s’opposent entre Antigone et Créon. Nous nous demanderons alors en quoi les deux
perceptions du bonheur se différencient.

Premièrement, les deux personnages n’ont pas la même ambition. Antigone, elle, veut
un bonheur absolu alors que Créon se contente de sa famille et d’artifices. Antigone « veut
tout, tout de suite,- et que ce soit entier – ou alors (elle) refuse » ( ligne 35-36), elle ne veut
pas faire de concessions. Un chanteur moderne, Keen’v, reprend cette idée dans une de ses
chansons La vie du bon coté en chantant qu’ « On a qu’une seule vie, donc profiter est
important/ J’n’ai pas envie d’nourrir des regrets à 40 ans ». C’est exactement ce que la jeune
fille reproche à Créon, de se contenter de peu, de ne pas avoir de rêves, de préférer un livre,
un outil et un enfant aux joies de la passion et de l’aventure. Antigone aspire donc à un
bonheur absolu alors que Créon se contente d’un bonheur étriqué, une opposition due aux
différentes mentalités.

Ensuite, Créon et Antigone sont deux personnes qui se différencient sur leur âge, leur
caractère et leur expérience. Antigone est jeune et rebelle, ce qu’elle veut c’est profiter de la
vie sans conditions, sans règles. Créon, lui, à l’âge d’être son père, il est donc plus posé,
mature et ne porte pas le même regard que le jeune fille sur le monde. Créon est roi, il se doit
de faire respecter les lois et d’assumer ses responsabilités, il ne peut pas se permettre de fuir
sous prétexte de vouloir être heureux, et c’est ce qu’il tente d’expliquer à une Antigone très
têtue. Elle ne partage pas le même avis que lui, notamment à propos d’Hémon. Une des
moralités présentent dans La Reine des neiges est que « l’amour c’est de faire passer les
besoins de l’autre avant les siens ». Créon explique à Antigone que le bonheur est d’avoir un
bon mari, aimant et heureux, et qu’elle devrait se réjouir d’avoir un Hémon aussi attentionné
et dévoué. Mais Antigone ne veut pas que son fiancé devienne aussi conciliant, car pour elle
c’est l’opposé de la passion. Elle veut qu’Hémon soit à la fois attentionné et dur, un homme
qui fait des concessions mais qui sait défendre ses choix. La vision du bonheur est donc
influencée par leurs âges distincts, mais aussi par le rôles qu’il jouent.

Enfin, ce qu’Antigone ne comprend pas, c’est que Créon ne peut pas faire ce qu’il
veut, il se doit de faire appliquer des lois afin de faire régner l’ordre dans la ville, ce n’est pas
par choix mais par obligation. Le roi tente d’expliquer cela à la jeune fille, comme quand
André Gide écrit que « le bonheur de l’homme ce n’est pas la liberté, c’est l’acceptation d’un
devoir ». Créon n’est pas libre, il a choisit de dire oui pour le bien commun, mais Antigone
n’arrive pas à imaginer que dire oui puisse être compliqué, pour elle c’est lâche. Cependant,
Créon a un avis opposé, car il lui reproche de dire non, que c’est trop facile de dire non.
Antigone a juste à attendre la mort, alors que Créon est tiraillé par un choix cornélien :
exécuter sa nièce ou la laisser désobéir et remettre son autorité en question. On peut donc dire
qu’Antigone ne se rend pas compte de la difficulté de dire oui, pour elle, dire non et
enfreindre une loi qui ne lui convient pas à elle seule demande beaucoup plus de courage que
de devenir roi et instaurer des règles.

Dans cette scène de la tragédie Antigone, deux personnages emblématiques s'opposent sur la
question du bonheur, l'un le trouvant dans les petites choses du quotidien, l'autre le voyant comme
un tout idéal et inaccessible. En réalité, on s'aperçoit qu'il s'agit d'une même conception universelle
du bonheur mais qui évolue en fonction de l'âge. Créon et Antigone nous montrent bien à travers
cette joute verbale que chacun est en quête d'un même bonheur mais que celui-ci diffère selon l'âge.
Enfant on le vit pleinement sans même se poser de questions ; à l'âge adolescent on le veut entier,
sans concession. Avec l'âge, l'expérience et la maturité, on s'aperçoit que le bonheur est partout
présent autour de nous pour qui sait le saisir. Dans ce passage, Antigone ne le comprend pas encore.
Il lui faudra attendre d'être face à la mort pour le comprendre enfin comme en témoigne ces deux
répliques : « Créon avait raison… », « Je le comprends seulement maintenant combien c'était
simple de vivre… ».

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