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Téoros
Revue de recherche en tourisme

L’écotourisme
Expérience d’une interaction nature–culture
Marie Lequin

Volume 21, numéro 3, automne 2002

Écotourisme

URI : https://id.erudit.org/iderudit/1072501ar
DOI : https://doi.org/10.7202/1072501ar

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Éditeur(s)
Université du Québec à Montréal

ISSN
0712-8657 (imprimé)
1923-2705 (numérique)

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Citer cet article


Lequin, M. (2002). L’écotourisme : expérience d’une interaction nature–culture.
Téoros, 21(3), 38–42. https://doi.org/10.7202/1072501ar

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L'écotourisme
Expérience d'une interaction nature-culture

Marie Lequin phénomène écotouristique et la sensibili­ proche scientifique, esthétique ou


sation accrue à la question environne­ philosophique du voyage, quoiqu 'il
mentale à partir de l’évolution des rapports n'est pas nécessaire que l'écotouriste
/écotourisme, paradigme en émergen- de l’humain avec la nature. soit un scientifique, un artiste ou un
L ! ce et phénomène en croissance, réfè­
re actuellement à plusieurs types d’analy­ Nous présentons en trois temps l’analyse
philosophe de profession. Ce qui
compte par-dessus tout, c'est que la
ses et d’applications directes. Mais de l’évolution de ces rapports ainsi que du personne qui s'adonne à l'écotou­
comment expliquer un tel engouement phénomène de l’écotourisme. Dans un risme ait l'occasion de se tremper
pour un tourisme orienté vers la nature ? premier temps, nous expliquons notre dans un environnement naturel au­
Quelle est l’importance de la nature dans compréhension du paradigme de l’éco­ quel elle n 'a généralement pas accès
cette nouvelle forme de tourisme ? En tourisme ; dans un deuxième, nous analy­ en milieu urbain (dans Scace et al.,
quoi l’expérience recherchée par les éco- sons l’évolution historique du concept na­ 1992 : 13).
touristes traduit-elle la motivation de ceux- ture en faisant un lien avec l’écotourisme
ci à se tremper dans un univers autre que et, dans un troisième temps, ces concep­ Une autre définition, elle aussi abondam­
celui stressé et stressant du milieu urbain, tions d’écotourisme et de nature amènent ment citée, est celle de la Société
celui où l’on se trouve habituellement ? Le à situer le phénomène de l’écotourisme Internationale d’Ecotourisme (TIES) qui
but du présent article est de mettre en évi­ comme expérience d’une interaction cons­ définit l’écotourisme comme une forme de
dence certaines caractéristiques du phé­ cientisée avec une forme de nature. voyage responsable, dans les espaces na­
nomène de l’écotourisme, les possibilités turels, qui contribue à la protection de
de recherche et d’applications pratiques l’environnement et au bien-être des popu­
selon diverses dimensions et divers ni­ Le paradigme d'écotourisme lations locales. Que ce soit l’approche
veaux d’analyse. Aux fins de réalisation, Sans prétendre faire une recension ex­ quelque peu idéologique de Ceballos-
l’enchaînement de la présentation s’appuie haustive des définitions de l’écotourisme, Lascurain ou encore celle plus éthique de
sur trois repères successifs et complé­ nous en retenons deux qui apparaissent la TIES, certaines caractéristiques se dé­
mentaires : l’analyse de la portée du centrales à notre analyse. Le paradigme de gagent de ces définitions et sont reconnues
concept d’écotourisme ; la relation natu­ l’écotourisme, tel que défini par Hector par d’autres chercheurs. Ces caractéris­
re-culture dans laquelle se situe le phéno­ Ceballos-Lascurain en 1983, a d’abord tiques ont d’ailleurs été reconduites dans la
mène de l’écotourisme et ce qui explique été associé à une forme de tourisme dont Déclaration de Québec sur l’Ecotourisme
sa popularité ; l’analyse de « l’expérience » l’effet sur l’environnement physique et (2002) sous forme de principes :
recherchée par l’écotouriste. culturel était très faible : • contribuer activement à la protection
du patrimoine naturel et culturel ;
L’écotourisme, une façon autre de voyager, [...] une forme de tourisme qui
représente un courant nouveau de penser le consiste à visiter des zones naturel­ • inclure les communautés locales et in­
développement et l’expérience touristiques les relativement intactes ou peu per­ digènes dans sa planification, son déve­
qui se situe à même les principes du tou­ turbées, dans le but précis d'étudier loppement et son exploitation, et contri­
risme durable, c’est-à-dire une forme de et d'admirer le paysage, et les plan­ buer à leur bien-être ;
tourisme respectueuse de l’environnement, tes et animaux sauvages qu 'il abri­ • proposer aux visiteurs une interprétation
prise au sens large, signifiant à la fois te, de même que toute manifestation du patrimoine naturel et culturel.
protection de la ressource, respect des culturelle (passée et présente) obs­
identités culturelles et responsabilisation ervable dans ces zones. Dans cette Le paradigme d’écotourisme dépasse la
des intervenants, locaux et autres. Le pré­ perspective, le tourisme axé sur la perspective économique, trop réductrice
sent texte tente d’expliquer l’émergence du nature signifie une méthode d'ap­ d’un problème plus large, et prend en
considération d’autres facteurs d’équilibre • il concerne généralement des groupes contraire, se hâte, se fatigue et se re­
dont le bien-être à long terme des com­ restreints qui voyagent par leurs propres lâche. La nature emploie des siècles
munautés d’accueil et la protection de la moyens ou organisés par de petites en­ à préparer grossièrement les mé­
nature. L’écotourisme constitue ainsi une treprises spécialisées (Lequin, 2001). taux, l’art se propose de les perfec­
stratégie de développement régional qui tionner en un jour. La nature emploie
exige de procéder à une gestion intégrée Le fil conducteur de ce concept émergent des siècles à former les pierres pré­
des ressources naturelles, tout en tenant réside essentiellement dans la valorisa­ cieuses, l’art prétend les contrefaire
compte des intérêts particuliers des diffé­ tion de la nature. Au-delà de la valeur ac­ en un moment (Diderot : XXXVil).
rents acteurs, y compris ceux des visi­ crue qu’on accorde à la nature, quelle est
teurs. la véritable essence de cette « nature re­ Il semble que ce soient les Grecs qui aient
cherchée » par l’écotouriste ? Pour ré­ d’abord valorisé le mot « nature ». C’est à
Les effets liés à l’écotourisme vont au-delà pondre à cette question, il apparaît néces­ Aristote que l’on doit l’idée d’apposer ra­
des dimensions économiques et écolo­ saire de comprendre l’évolution des dicalement la technè (la fabrication, le
giques que l’on trouve dans toute forme de différentes conceptions de la nature qui se dehors) à laphusis (la nature, l’intérieur) :
tourisme durable. Le phénomène de l’é­ sont succédées dans le temps et des rela­ «[...] sont choses naturelles toutes celles
cotourisme apparaît comme un moyen de tions que les différentes sociétés ont en­ qui, mues d’une certaine façon continue
réhabiliter le touriste, de ne pas le consi­ tretenues avec elle. par un principe intérieur, parviennent à
dérer uniquement sous l’angle des « mé­ une fin » (Physique, II, 8,199b). Ce qui ca­
faits du tourisme » dans la mesure où il ractérise ici la nature c’est l’union indis­
contribue, par définition, à améliorer la Évolution du concept « nature » sociable entre ses constituants (la forme et
qualité de vie des populations locales, à re­ Les conceptions de la nature ont été, à tra­ la matière) et surtout l’auto-mouvement qui
hausser le degré de sensibilisation des vi­ vers les âges, socialement construites en l’anime et témoigne de sa puissance, alors
siteurs et des responsables du développe­ majeure partie. Elles sont fondées à la que les objets se caractérisent par leur in­
ment à la protection de la ressource et, fois sur des réalités tangibles et sur des per­ ertie et leur distinction (séparation). Par la
enfin, à favoriser des relations entre les vi­ ceptions qui relèvent de l’imaginaire col­ suite, d’autres, tel Copernic ou Galilée, ont
siteurs et les visités qui soient fondées lectif du temps. En somme, cet agencement substitué la mécanique rationnelle à la
sur le respect et la reconnaissance réci­ inextricable de rapports entre nature et physique (phusis, la nature) qualitative et
proques à partir de la découverte (ou la re­ culture détermine les choix d’une époque ce qui subsiste alors du terme nature se
découverte) d’un patrimoine naturel ; en un en matière de conservation de façon à ex­ confond avec celui d’univers.
mot, faire vivre une expérience enrichis­ primer les valeurs et les idées pour les­
sante au visiteur. quelles elle reconnaît des responsabilités, La période de l’industrialisation a favori­
tant sur le plan écologique que socio-éco­ sé celle de l’urbanisation rapide avec,
L’écotourisme constitue une forme de nomique. La perception même que l’hu­ comme conséquences, l’entassement et la
voyage qui se caractérise de la manière sui­ main a de l’environnement est induite par proximité physique ainsi que la pollution
vante : sa culture et, selon cette culture, la nature par la fumée et le bruit des machines.
sera respectée et préservée ou fera l’objet L’évasion dans la nature apparaît alors
• l’intérêt des voyageurs porte principa­
d’une exploitation parfois excessive. comme une solution aux effets pervers de
lement sur les espaces naturels, aussi
cet univers technique alors que la science
bien terrestres que marins, relativement
Le radical latin du mot nature, comme son médicale reconnaît formellement les bien­
peu perturbés et les plus « authentiques »
équivalent grec, renvoie à ce qui naît faits de l’air de la montagne, de l’eau de
possible ;
(nasci) et se développe (phuomai, se met­ mer et des séjours à la campagne.
• il fait vivre une expérience unique aux tre à pousser, croître). Orientée vers l’idée
visiteurs en leur permettant d’apprécier de naissance et de vie, la notion de nature Darwin, par sa théorie sur la sélection na­
la nature ainsi que la relation qu’entre­ s’oppose à tout ce qui serait fabriqué et se turelle dans laquelle il reconnaît l’impor­
tiennent les communautés locales avec situe dans une dimension à la fois de chan­ tance de la persistance du plus apte et la
leur territoire, par des activités d’obser­ gement et de stabilité (comme le montre conservation des différences comme fac­
vation, d’éducation ou d’interprétation ; l’expression « nature morte »). teurs essentiels au maintien de l’équilibre
entre l’espèce et son milieu, a eu un effet
• il répond à un besoin d’évasion, loin du
La nature est opiniâtre et lente dans déterminant sur l’évolution du concept de
stress quotidien et du rythme imposé par
ses opérations. S’agit-il d’éloigner, nature. Pour Karl Marx, l’histoire humai­
les milieux urbains ;
de rapprocher, d’unir, de diviser, ne commence avec la transformation déli­
• la principale motivation des écotouristes d’amollir, de condenser, de durcir, de bérée de la nature par l’humain ; il en dé­
est de satisfaire un besoin cognitif et af­ liquéfier, de dissoudre, d’assimiler, truit l’altérité pour se l’approprier. Ce qui
fectif en se ressourçant dans un milieu elle s’avance à son but par les de­ nous amène, en ce début du XXIe siècle,
naturel à la fois unique et évocateur ; grés les plus insensibles. L’art, au une période qui valorise plus que jamais
l’idée de nature ; mais comment l’expli­ ainsi sur le même plan que l’humain ? Ou sont pas illimitées et qu’elles sont sensibles
quer ? C’est dans la possibilité de sa dispa­ n’est-elle qu’un objet au service de l’hu­ à notre action, mais que nous en demeurons
rition que s’annonce la nécessité d’une re­ main ? fortement dépendants. Cette crise nous a
composition des rapports entre l’humain et permis d’appréhender les limites des tech­
la nature. A ce titre, Ferry (1992) relève deux ap­ niques modernes sous l’angle de la ratio­
proches à la question du droit de la nature. nalité mécanique et de comprendre qu’il
L’attribution relativement récente d’une La première, l’approche « écocentrique », faut désormais agir avec prudence (principe
responsabilité morale envers la nature re­ privilégiée par les écologistes radicaux, de précaution).
lèverait-elle de certains mouvements de ré­ prétend instaurer la nature en sujet de
volte face à de faux progrès, plus dévasta­ droit lui accordant les mêmes droits que les Actuellement, il existe un modèle de pro­
teurs que créateurs de richesse ? Il semble humains. Selon la deuxième approche, tection de la nature qui correspond à celui
que le clivage entre nature et moralité re­ qualifiée d’« anthropocentrique », la nature de la « nature sauvage » préservée dans son
lève de la modernité qui, en instrumenta­ ne saurait occuper un autre statut que celui intégrité, telles les réserves écologiques
lisant la nature, a fait de l’humain l’unique d’un objet à caractère utilitaire ou « ro­ (catégorie « la », selon la classification de
source de valeur. La modernité n’est pas mantique », selon le cas. D’où la question : F Union internationale pour la conservation
seulement la rationalisation, ni même la sé­ faut-il, pour assurer la protection de notre de la nature (UICN) sur les aires proté­
cularisation. environnement, que nous lui accordions gées). Si certains reprochent à cette idée de
des droits égaux, voire supérieurs à ceux nature sauvage de maintenir une séparation
[..Je 'est la séparation du sujet et de des êtres humains ? Dans sa critique du entre l’humain et la nature, d’autres per­
la nature. La tradition affirmait que fondamentalisme écologique, Ferry sou­ çoivent l’impossibilité de séparer l’his­
le monde est à la fois rationnel etfi­ tient que les écologistes radicaux com­ toire humaine de celle de la nature, celle-
nalisé, avec un dieu mathématicien, mettent une faute logique, une « contra­ ci étant culturellement et socialement
architecte et géomètre, et donc que diction performative », et qu’à ce titre ils déterminée.
le sujet et la nature sont mêlés. Mais deviennent eux-même anthropocentristes
Cette brève rétrospective des rapports
des penseurs, qu'on appelle les en prétendant savoir ce qui est le mieux
homme-nature remet en question la pri­
Augustiniens, se sont opposés à cette pour l’environnement naturel. Ils font
mauté d’un certain paradigme écologique
tendance unificatrice visant à tout preuve d’illogisme en oubliant que « toute
qui questionne l’approche où les idées
réduire à la raison. Ils ont opéré une valorisation, y compris celle de la nature,
courantes sur l’environnement sont fondées
distinction entre l’ordre de la natu­ est le fait des hommes et que, par consé­
sur la croyance que la nature représente une
re et l'ordre du sujet. [...] La mo­ quent, toute éthique normative est en
communauté (écologique) stable, holis­
dernité s'oppose à cette conception quelque façon humaniste et anthropocen­
tique, homéostatique, capable de préserver
en affirmant simultanément que la trique » (1992 : 196). La nature est un objet
son équilibre naturel plus ou moins indé­
nature doit être comprise sans réfé­ puisqu’elle est incapable d’agir avec toute
finiment si l’homme peut éviter de la per­
rence au sujet, et que le sujet n 'est la « réciprocité » qu’on attend d’un sujet ;
turber (Cronon, 1996). Des recherches
pas nature, mais purement cons­ l’humain seul peut, si tel est son souhait,
dans plusieurs disciplines, en écologie, en
cience. [...] Le monde dans lequel accorder une certaine valeur à la nature. En
anthropologie et en histoire culturelle, no­
nous vivons n'est pas seulement somme, la nature possède la valeur que
tamment, ont démontré que la conception
celui d'une séparation positive entre nous, les humains, lui accordons pour la
historique que nous avons du monde na­
le sujet et la nature, c'est égale­ beauté, la force et le respect qu’elle nous
turel n’est peut-être pas si naturelle que
ment celui d'un écartèlement pro­ inspire. C’est en ce sens, selon Ferry, que
nous le pensons, mais peut être beaucoup
blématique entre le monde techno­ nous nous contraignons à des « devoirs »
plus dynamique, changeante et liée à l’­
cratique et le monde communautaire envers la nature, parce que nous nous sen­
histoire humaine que les croyances popu­
(Touraine, dans Cabin et Dortier, tons responsables de sa dégradation.
laires ne le laissent entendre (Bourg, 1997).
2000 : 201).
En somme, cela montre que le sens que
Le souci actuel de la nature témoigne
nous conférons à la notion de « nature » est
D’autres remettent en question l’adéqua­ d’une volonté commune de considérer l’­
déterminant sur notre engagement, nos
tion moderne entre humanité et moralité, humain comme faisant partie de la nature.
valeurs, ainsi que sur la recherche d’une
où la nature serait exclue, et font de la na­ La nature, tantôt puissante et pouvant ser­
expérience agréable et unique dans un mi­
ture l’objet d’une préoccupation essen­ vir de modèle, se révèle de plus en plus fra­
lieu peu perturbé par l’action humaine, telle
tiellement éthique. Il existe actuellement un gile et nous fait tendre vers son respect en
l’expérience écotouristique.
débat en partie d’ordre philosophique et ju­ limitant nos actions et en choisissant quel­
ridique entourant la question des droits de le nature nous devons conserver, protéger
la nature. Possède-t-elle une valeur in­ et transmettre. La crise environnementale L'expérience écotouristique
trinsèque qui lui donne des droits en tant des années 1970 est née de la prise de cons­ D’une part, le concept d’écotourisme per­
que personne juridique (sujet), la plaçant cience que les ressources de la nature ne met de brosser les grands paramètres qui
définissent ce nouveau type de tourisme,
notamment les dimensions de développe­
ment durable, de développement régional
et de démocratie participative (Lequin,
2000). D’autre part, l’évolution du concept
de nature permet de progresser dans l’a­
nalyse du phénomène écotouristique en le
montrant comme une forme recherchée
d’activité « interactive » entre l’humain et
l’environnement, naturel et culturel, ce
qui nous permet de comprendre l’activité
écotouristique également comme une « dy­
namique de sensibilité » particulière qui
nourrit cette relation. La prochaine étape de
progression dans l’analyse se pose alors sur
le plan de l’individu, à savoir en quoi
consiste pour l’essentiel l’expérience éco­
touristique ?

Les études sur l’écotourisme montrent


que les écotouristes ont un intérêt évident
pour les espaces naturels relativement peu
perturbés par l’action humaine.
L’écotourisme procède à une valorisation
morale de la nature « sauvage » qui est in­
trinsèquement liée à sa rareté et, par consé­
quent, à la difficulté d’accès. Selon Georg
Saint-Narcisse [Québec).
Simmel, l’objet n’acquiert de prix aux
Photo : J. B. Carrière.
yeux d’un individu que s’il est suffisam­
ment proche pour susciter le désir et suf­
fisamment éloigné pour justifier des sa­ la nature où ce n’est pas tant la nature qui selon un « engagement » en faveur des
crifices. Sous quelle logique d’interaction s’est humanisée, mais plutôt l’humanité qui valeurs.
ou raison d’agir explique-t-on la ou les mo­ s’est faite nature (Larrère, 1997).
tivations des écotouristes à se déplacer, à Bien que ce soit la combinaison de ces trois
effectuer des voyages où la recherche Une telle conception de la relation cultu­ logiques d’action à des degrés divers qui
d’une relation avec la nature, une relation re-nature détermine les logiques d’action détermine ce que Dubet appelle l’« expé­
de fusion, d’incorporation pourrait-on dire, des écotouristes. De façon générale, rience sociale », la troisième est peut-être
dans un espace naturel et culturel, est es­ François Dubet (1994) distingue trois lo­ celle qui explique le mieux l’expérience re­
sentielle ? giques d’action sociale qui sont à l’œuvre cherchée par l’écotouriste, pour qui les va­
dans une culture : leurs liées à la nature et à son authenticité
Selon une hypothèse, la motivation prin­ sont très prégnantes et la définition même
• L’intégration : une logique identitaire qui
cipale qui oriente l’écotouriste dans ses dé­ de ce concept inclut la contribution des ac­
renvoie aux communautés qui existent
placements et qui le pousse à aller vers cer­ teurs à la protection de la ressource.
dans toute formation sociale. L’action est
tains espaces naturels est liée aux valeurs
conçue du point de vue de l’apparte­
et aux préférences que sa culture person­ Pour poursuivre cette analyse de logique
nance sociale de l’individu et l’objectif
nelle et celle de la société accordent à la na­ d’action, il est possible de concevoir l’ex­
consiste à maintenir ou à consolider
ture. Or, la menace qui pèse aujourd’hui sur périence écotouristique en ce qui concerne
une telle identité dans le cadre.
la nature fait prendre conscience de son im­ l’individu dans une perspective phénomé­
portance pour notre survie et de notre dé­ • La stratégie : une logique d’intérêt qui nologique, plus précisément comme une ex­
pendance envers elle. En ce sens, l’éco­ renvoie au monde du marché et élabore, périence de la conscience, d’un « rapport au
tourisme exprime une relation aux valeurs à ce titre, des stratégies individuelles et monde » défini par l’intentionnalité, une ex­
de la société où notre perception et notre at­ « égoïstes ». L’action est guidée ici par périence subjective. Une expérience qui,
tirance envers la nature s’en trouvent cul­ des principes de la rationalité utilitariste. selon l’approche phénoménologique dé­
turellement déterminées. L’écotourisme • La subjectivité : une logique éthique veloppée par Edmund Husserl, prend appui
s’inscrit dans une nouvelle conception de dans laquelle l’action est déterminée sur la relation qui s’établit entre le « moi »

Téüfos 41
et le « monde », entre la conscience du sujet l’essence et la portée, principalement dans Bibliographie
et celle de l’objet. Nous concevons cette re­ ses dimensions socioéconomique (produit Bourg, Dominique (1997), Nature et tech­
lation comme centrale à l’expérience éco- touristique différencié, développement ré­ nique. Essai sur Vidée de progrès, Collection
touristique. Comme le souligne Maurice gional), politique (démocratie participati­ Optiques Philosophie, Paris, Hatier.
Merleau-Ponty, c’est par notre corps que ve) et écologique (développement durable). Cabin, P., et J.-F. Dortier (2000), La sociologie.
nous percevons le monde (dans Dortier, Histoire et idées, Presses universitaires de
1998). Ce corps, dit-il, vit, agit, ressent, voit. Sur un plan mitoyen, la perspective du phé­ France, Paris, Éditions Sciences Humaines.
Il est en relation avec le monde. Il n’est pas nomène, quand on l’analyse à partir d’une Comte-Sponville, André (2001), Dictionnaire
un observateur objectif, il n’est pas non plus explication contemporaine de ce que l’on philosophique, Paris, Presses universitaires de
une intériorité absolue ». Dans le même conçoit comme étant « naturel », permet de France.
sens, nous pouvons parler de la relation de progresser dans l’explication en précisant Cronon, W., éd. (1996), Uncommon Ground :
l’écotouriste avec la nature. Cette nature que l’écotourisme s’inscrit inexorable­ Rethinking the Human Place in Nature, New
(objet esthétique), dans laquelle il (sujet) ment dans une relation particulière entre York, London, W.W. Norton.
prend place, possède une signification par nature et culture au sein d’une société, soit Diderot, Denis (1983), Pensées sur l'interpré­
la relation, voire « l’interaction » de cons­ un niveau qui met en évidence une di­ tation de la nature, Paris, J. Vrin.
cience qu’il noue avec elle. Percevoir, c’est mension anthropologique. Cette analyse Dortier, Jean-François (1998), Les sciences
attribuer une signification aux objets, leur montre que si l’écotourisme est culturel­ humaines. Panorama des connaissances, Édi­
donner un sens qui n’a de sens que dans un lement déterminé, il en serait de même, à tions sciences humaines, Presses universitaires
rapport au monde. C’est dans cette « mise l’évidence, en ce qui regarde les produits de France.
en forme » que l’expérience écotouris- et les retombées de l’écotourisme qui doi­ Dubet, François (1994), Sociologie de l'expé­
tique prend son sens alors que la relation na­ vent être développés en congruence avec rience, Paris, Seuil.
ture-culture en détermine le sens. les cultures et qui ne sont pas a priori de Ferry, Luc (1992), Le nouvel ordre écologique.
caractère universel. L'arbre, l'animal et l'homme, Paris, Éditions
L’écotourisme, à ce stade d’analyse, se pré­ Grasset.
sente alors comme une expérience sub­ Sur un plan davantage individuel, l’éco­ Hamelin, Octave (1931), Physique II/Aristote,
jective ; une expérience de la nature qui tourisme peut être analysé comme la re­ 2e éd. ; traduction et commentaire de
sollicite la sensibilité, le plaisir ; une rela­ cherche d’une expérience d’interaction af­ O. Hamelin, Paris, Librairie philosophique
tion de fusion confiante, d’incoiporation de fective et consciente avec une certaine J. Vrin, Collection Bibliothèque d’histoire de la
l’écotouriste dans un environnement na­ forme ou activité de nature. Il peut être ana­ philosophie.
turel et culturel qui le définit ; une expé­ lysé dans une perspective phénoménolo­ Husserl, Edmund (cl991), Problèmes fonda­
rience fondamentale qui demeure en mé­ gique, ce qui permet de faire ressortir mentaux de la phénoménologie, Paris, Presses
moire et, à la limite, qui transforme. pourquoi l’écotouriste recherche cette universitaires de France, Collection Épimé-
L’écotouriste est, en ce sens, un touriste de forme ou ce site spécifique d’interaction thée
l’intime qui puise dans sa propre culture et nature plutôt qu’un autre et, également, ce Larrère, Catherine, (1997), Les philosophies de
sa subjectivité (liée à l’expérience de la qu’il recherche pour lui-même par cette ex­ l'environnement, Collection Philosophie, Paris,
conscience) pour apprécier un ailleurs périence de conscientisation, « la cons­ Presses universitaires de France.
unique, dans une relation où s’entremêlent cience étant comme une fenêtre qui ne Lequin, Marie (2000), Gouvernance en éco­
le « soi » et « l’autre ». s'ouvrirait sur le monde qu 'en se regardant tourisme : développement durable, développe­
d'abord » (Comte-Sponville, 2001 :127). ment régional et démocratie participative,
Thèse présentée comme exigence partielle au
Conclusion doctorat en études urbaines, Département des
Marie Lequin, Ph.D. en études urbai­
études urbaines et touristiques, Université du
Le présent article montre qu’une analyse nes, est professeure-chercheure au Dépar­ Québec à Montréal.
d’ensemble du phénomène de l’écotouris­
tement des sciences du loisir et de la com­ Lequin, Marie (2001), Ecotourisme et gouver­
me exige d’englober plusieurs disciplines
munication sociale, à l'Université du nance participative, Sainte-Foy, Presses de
et niveaux. Aux fins de réalisation et de
Québec à Trois-Rivières. l’Université du Québec.
progression dans l’analyse, le phénomène
d’écotourisme a été analysé à partir de trois Scace R. C., E. Grifone, et R. Usher (1992),
Ecotourism in Canada, Canadian
repères ou points d’ancrage progressifs. Ce
Environmental Advisory Council, Minister of
survol a permis d’entrevoir plusieurs voies
Supply and Services Canada.
potentielles de recherche et d’applications
pratiques dans le domaine.

Sur le plan général, une brève analyse des


formulations et des caractéristiques du
concept d’écotourisme permet d’en saisir

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