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L’essentiel pour le géostratège serait de faire passer sous son contrôle une partie de
l’espace adverse. La géostratégie théorique étudierait - cartes, concepts et expérience
historique à l’appui - la manière la plus efficace de couper les communications, d’isoler
les places et les armées, de soulever les populations, d’établir un contrô-le efficace des
provinces tombées. Elle décrirait la suite cohérente d’opérations intellectuelles,
matérielles et déclaratoires permettant de rendre l’espace adverse comme étranger à
l’adversaire lui-même, et comme ouvert, transparent, contrôlable à l’envahisseur.
L’idée que le géostratège s’occupe de l’espace nous semble assez satisfaisante pour
l’interprétation du préfixe : le gain territorial, les méthodes qui y conduisent le plus
sûrement, les opérations à prévoir sur les routes, les aéroports, les réseaux de
communications, les voies de chemins de fer, la destabilisation des campagnes et des
villes... tout cela nous semble parfaitement géographique et tout à fait passionnant.
Mais à trop s’attacher au préfixe, on en vient à oublier le nom. Qu’y a-t-il de stratégique
dans toute cette "géostratégie" dont nous forçons un peu le trait à dessein ?
Ce n’est pas par hasard si, dans la vaste production de la géopolitique, un thème surtout
a retenu l’attention non pas seulement des politiques mais aussi des stratèges : le
glacis. Un glacis est un espace/temps d’information plus qu’un simple terrain de
manoeuvre. Sur le glacis se teste la détermination de l’adversaire, d’escarmouches
d’avant-postes en manoeuvres de grande ampleur. Le glacis renforce l’avantage du
temps dont dispose la défense : il retarde, il permet de "voir venir". Un glacis
géostratégique est tout le contraire d’un vide où l’on attend de voir paraître l’ennemi à
l’horizon : c’est un système d’information échelonné où la détermination de l’adversaire
rencontre des obstacles de plus en plus puissants.
La question des glacis est embarrassante d’un point de vue politique : personne ne
souhaite voir son territoire servir de glacis à une puissance alliée. Dans le cas de
l’Europe occidentale la question est particulièrement embarrassante : personne n’ose se
demander si les nations de l’OTAN servent de glacis aux Etats-Unis, ni si la France ou
l’Angleterre considèrent une partie de l’Allemagne comme un glacis géostratégique.
L’insistance allemande en faveur d’une défense musclée de l’avant cherche à éviter que
l’Allemagne joue effectivement ce rôle.
CONCLUSION
La géostratégie n’est pas un type particulier de stratégie. Elle ne fixe pas comme objectif
au stratège la conquête de l’espace adverse. La géostratégie travaille à conquérir pour le
stratège un espace-temps qui lui permette d’optimiser ses décisions. La géostratégie
théorique essaie de comprendre comment organiser de manière optimale l’espace-temps
dont il va disposer pour prendre la suivante. La géostratégie théorique est donc un des
instruments d’aide à la décision dont dispose le praticien, et c’est en tant que telle
qu’elle mérite qu’il s’y intéresse.