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Énoncé du cas Hytec, l’innovateur en milieu hostile

J.-J. Promé bataille une nouvelle fois pour remonter la maquette réduite d’une machine
spéciale qu’il avait inventée pour récurer les égouts de Buenos Aires. Il veut la montrer à un
ami pour lui relater ses exploits passés. À chaque fois, les souvenirs affleurent et c’est
toujours avec émotion qu’il se remémore les bons vieux souvenirs de cette entreprise qu’il a
créée il y a une trentaine d’années et revendue aujourd’hui. Il se souvient de la création
d’HYTEC comme si c’était hier, de son premier local, de son premier client, de ses premières
déceptions mais aussi de ses premières réussites.
1. Présentation de l’entreprise
1.1. Historique
En janvier 1981, HYTEC SA est créée par une poignée d’hommes (ingénieurs et techniciens),
dont Pierre-Emmanuel Gaillard, actuel Président Directeur Général. L’activité de l’entreprise
est orientée vers la fabrication et la commercialisation de matériels électroniques et
mécaniques destinés aux activités professionnelles subaquatiques. En 1982, le succès
remporté par les premiers produits (caméras vidéo hyperbares 1, régies de contrôle) et
l’importance de ce marché de haute technologie incitent à de gros efforts d’investissement en
recherche et développement. La mise au point du véhicule sous-marin filoguidé HYTEX est
le premier pas de HYTEC vers la robotique en milieu hyperbare. L’originalité et les
performances de ce véhicule télécommandé positionnent HYTEC dans le milieu de
l’instrumentation et de la robotique sous-marine. Pour conforter la position financière, les
actionnaires portent le capital à 40 000 euros puis à 80 000 euros. En 1984, HYTEC et son
équipe commerciale pénètrent le marché international. Le succès technologique des premières
caméras vidéo couleurs capables de transmettre des images à plus de 6000 mètres de
profondeur et les missions successives du véhicule HYTEX couronnent trois années d’efforts.
Les dirigeants se souviennent encore de cette année 1984 où, encore à ses débuts, une
collaboration avec le sous-marin NAUTILE, équipé à l’aide de ces caméras vidéo couleurs,
prendra les allures d’un exploit d’une renommée mondiale lorsque pour la première fois
l’équipe française du « Nautile » filmera en 1987 les trésors cachés dans l’épave du célèbre
Titanic. Une première mondiale qui vaudra à l’entreprise le surnom de « l’œil de la mer » et
des titres dans les journaux tout aussi explicites : « HYTEC: vingt mille yeux sous les mers ».
1.2. Un portefeuille d’activité diversifié
HYTEC est positionné dans trois domaines distincts, les offshores pétroliers, les centrales
nucléaires et l’eau & assainissement. Ces trois domaines sont différents et à ce titre
constituent une réelle diversification. Mais ces secteurs n’en sont pas moins liés, ce qui rend
la diversification imparfaite. Par exemple, l’exploitation des plateformes pétrolières est
directement dépendante du cours du baril de pétrole. Lorsque le cours augmente, les
conditions d’exploitation s’améliorent et lors du contre-choc pétrolier de l’année 1986,
HYTEC a observé une des années les plus difficiles de son existence. C’est cette année-là
qu’HYTEC se diversifie dans le secteur nucléaire et prend conscience que sa réelle mission
est l’intervention en milieu hostile. Le cours du dollar n’est pas non plus sans incidence sur le
secteur nucléaire. Une hausse continue du cours renforce l’intérêt du nucléaire comme énergie
de substitution au pétrole. Ainsi, la hausse continue du cours du baril de pétrole depuis la fin de
2004 faisant culminer un cours à 60 dollars en 2005 est une double aubaine pour l’entreprise.
Cette hausse, ajoutée au caractère non renouvelable du pétrole, rendent le secteur du nucléaire de
plus en plus attractif. La France est un pays bien positionné dans ce secteur de l’énergie.
Deuxième producteur mondial d’énergie nucléaire avec 59 centrales qui produisent 63 000 MW,
derrière les États-Unis lesquels produisent 98 000 MW avec 104 centrales, la France se hisse à la
première place si l’on considère la part que le nucléaire représente dans la production totale
d’électricité (77 % pour la France, seulement 20 % pour les États-Unis). C’est cette
caractéristique qui fait de la France le pays le plus nucléarisé du monde.
En outre, la France jouit d’une excellente réputation en matière de sécurité. Cette image positive
joue favorablement en faveur des services de maintenance proposés par HYTEC.
Le secteur nucléaire retrouve aujourd’hui un nouvel essor qui se fonde sur la raréfaction
croissante des réserves de gaz et de pétrole, sur le réchauffement de la planète qui incite à
développer des énergies plus propres et enfin sur la croissance économique soutenue de la
Chine dont la consommation d’énergie augmente en conséquence.
1.3. Une organisation innovante
Lorsque J.-J. Promé se remémore les premières heures de HYTEC, il ne peut s’empêcher
d’éprouver un brin de nostalgie, y compris lorsqu’il évoque les premières erreurs
d’organisation. « Au départ, nous voulions tout faire, tout contrôler. Par exemple, nous
faisions nous-mêmes nos propres cartes électroniques, car il était difficile de trouver sur le
marché des cartes conformes aux besoins spécifiques de nos clients. Avec le temps, on s’est
vite aperçu que ce n’était pas notre métier et qu’il valait mieux externaliser. La sous-traitance
électronique a fait d’énormes progrès et s’est de plus en plus spécialisée dans la production en
petites séries, voire même des cartes et des assemblages sur-mesure. Dans notre métier, il faut
trouver un juste équilibre entre la capacité d’innovation et l’efficacité industrielle. Toute
entreprise qui a perduré dans nos secteurs a parfaitement intégré cette règle du jeu. »
Cette double logique est tellement au cœur de la compétitivité de la firme que J.-J. Promé va
éprouver le besoin de créer une autre entreprise, HYMATEC, cette fois-ci spécialisée dans la
sous-traitance mécanique. Cette petite unité de sous-traitance présentait à l’époque un double
avantage : d’une part, la création d’HYMATEC permettait à HYTEC de maîtriser en interne
la qualité de ses propres prestations et d’autre part, la proximité de l’entreprise, localisée en
face des locaux d’HYTEC, occasionnait des gains de temps et de la réactivité. La structure
duale de l’organisation reflète la stratégie de spécialisation entre les activités de conception et
les activités de fabrication. D’un côté HYTEC prend en charge les activités nécessitant de la
souplesse et de l’innovation, de l’autre HYMATEC est cantonnée dans les activités
industrielles requérant rigueur industrielle et standardisation. En outre, la configuration du
groupe est composable et décomposable à souhait. C’est précisément ce qui va se passer avec
le temps. Au fil de sa croissance, J.-J. Promé se rend compte que ce qui l’anime vraiment,
c’est de trouver des solutions là où précisément tout le monde échoue. Répéter deux fois la
même chose est quasiment impossible pour cet esprit curieux et ouvert à tous les défis. La
routine lui est insupportable. J.-J. Promé comprend que la véritable mission qui le captive est
l’innovation et non le développement industriel.
En accord avec les salariés d’HYMATEC, HYTEC va revendre son unité industrielle pour se
recentrer sur son activité à forte valeur ajoutée. HYMATEC est aujourd’hui une entreprise
autonome qui réalise plus de 20 % de son chiffre d’affaires avec HYTEC, mais il n’existe plus
de liens financiers qui relient les deux entreprises. HYTEC, quant à elle, est une organisation
très adaptable. Son fonctionnement interne privilégie les petits groupes constitués le plus
souvent autour de projets fortement mobilisateurs et à fort contenu d’imagination et de
créativité. Ses équipes pluridisciplinaires d’experts travaillent la plupart du temps sur des
projets définis par appel d’offre. Selon les projets, les contours des équipes réunies ne sont pas
les mêmes. Tantôt le problème principal relève de la robotique, tantôt de la visionique ou
encore de la mécanique. En fonction du problème principal, le chef de projet ne sera pas le
même.
HYTEC est une entreprise qui convient bien à ceux qui fuient les routines et les procédures
trop contraignantes. Travailler chez HYTEC nécessite une forte tolérance à l’ambiguïté de la
part des opérateurs. La circulation de l’information est diffuse. L’esprit d’initiative qui règne
dans cette organisation valorise ceux qui sont les plus talentueux et les plus compétents.
Compétences et talents sont les deux aptitudes essentielles pour l’entreprise. La compétence
est l’aptitude à apporter une solution efficace à un problème classique tandis que le talent est
l’aptitude à apporter une réponse rapide à un problème inédit.
HYTEC a clairement besoin des deux aptitudes à la fois pour faire face aux problèmes
récurrents de manière efficace, mais aussi pour apporter rapidement des solutions innovantes.
L’efficacité et la rapidité sont au cœur de la compétitivité de l’entreprise.
Mais comme souvent dans les petites entreprises, les collaborateurs trop talentueux sont très
difficiles à conserver. Un grand nombre des concurrents actuels de HYTEC sont des
entreprises qui ont été créées par d’anciens salariés. Les entreprises LTD, Cyberia et
Exavision sont toutes des excroissances de HYTEC. À ce jour, HYTEC ne souffre pas de
cette concurrence. Les dirigeants sont même fiers d’être à l’origine de cette petite industrie
qui est concentrée géographiquement dans le sud de la France. Mais il est clair que
HYTEC doit adopter une culture intrapreneuriale non seulement pour préserver sa
compétitivité vis-à-vis de la concurrence, mais aussi pour éviter que ses actuels salariés
collaborateurs ne deviennent demain de nouveaux concurrents.
1.4. Une concurrence fragmentée
Quand on interroge les dirigeants d’HYTEC pour connaître le nom de leur principal
concurrent, la réponse ne leur vient pas spontanément à l’esprit. À vrai dire, si l’on cherche à
comparer le portefeuille d’activités de HYTEC, diversifiée dans trois secteurs d’activité
distincts (offshore, nucléaire et eau & assainissement), on ne trouve aucune entreprise
équivalente dans le monde. C’est peut-être là la principale spécificité stratégique de
l’entreprise. HYTEC réalise un chiffre d’affaires équitablement réparti entre ses trois activités
(un tiers pour le offshore, un tiers pour le nucléaire, un tiers pour les eaux).
Les trois domaines d’activités ne présentent pas le même degré d’homogénéité. Si le secteur
nucléaire est le plus homogène et les clients facilement identifiables (59 centrales en France,
439 dans le monde), les secteurs offshore et eaux & assainissement sont plus hétérogènes et
sont subdivisés en plusieurs sous-segments. Le secteur offshore se décompose en deux
segments – pétrole et océanographie – lesquels représentent 80 % et 20 %.
Au sein du domaine d’activité « eau & assainissement », HYTEC réalise 70 % de son chiffre
d’affaires dans le segment de l’assainissement (voies d’eaux usagées et égouts), 25 % dans les
forages d’eau et environ 5 % dans les grands travaux hydrauliques.

Sur chacun de leurs créneaux, les dirigeants connaissent même très bien leurs principaux
rivaux. Cette connaissance précise de la concurrence tient au fait de l’extrême spécialisation
de l’activité. « On retrouve toujours les mêmes lors des appels d’offre. On se côtoie en
permanence lors des mêmes salons. » Chaque secteur fonctionne comme un oligopole où la
variable du prix, importante au demeurant, n’est pas pour autant la variable stratégique clé.
Comme dans un oligopole, la compétitivité se joue sur l’innovation, sur les délais, sur la
réactivité des offres et des produits. À cela, on doit ajouter une autre variable, plus spécifique
à la petite taille des marchés : le rôle des relations interpersonnelles et de la confiance. Ce
point est primordial notamment dans le secteur nucléaire. « HYTEC ne vend pas uniquement
de la technologie, elle vend aussi de la confiance. » La confiance et les relations
interpersonnelles jouent également un grand rôle dans le secteur militaire. L’indépendance
technologique est toujours un enjeu majeur pour les pays. La nationalité française est un atout
pour prospecter le marché militaire français, elle vient un handicap à l’exportation où chaque
armée préfère traiter avec une entreprise de son pays. L’entretien de bonnes relations est au
cœur du développement de HYTEC.
1.5. Un réseau de distribution mondial sous forme d’alliances informelles
Sur ce point, P.-E. Gaillard est catégorique : ce sont les agents qui font la loi. Les alliances
sont rarement formalisées par un contrat écrit. Certes, la plupart des agents d’HYTEC à
l’étranger réclament un contrat d’exclusivité, mais P.-E. Gaillard est convaincu que quelle que
soit la qualité du contrat rédigé, l’agent qui veut le contourner pourra le faire. De plus,
l’inexistence d’un service juridique ne permet pas à HYTEC de s’engager dans cette
perspective. P.-E. Gaillard préfère les relations de confiance. L’engagement est à la fois oral
et moral privilégiant la parole donnée et les valeurs communes. Le contrat n’est pas refusé,
mais il est considéré par cette petite entreprise comme inutile. C’est la confiance qui est le
ciment du réseau relationnel de HYTEC. Plusieurs arguments justifient la primauté de la
confiance sur le contrat : la volonté de conserver l’autonomie de chaque partenaire (le contrat
est trop rigide, la confiance permet la flexibilité), l’importance de la parole donnée et des
valeurs partagées. De toute façon, HYTEC n’a pas les moyens de les contrôler. « Nous ne
sommes pas une multinationale. Nous voulons rester une entreprise de petite taille, souple et
flexible. »
Au fil des années de développement international, P.-E. Gaillard a construit sa propre
méthode: pour réussir, il faut que l’agent nous ressemble. Ce doit être une petite entreprise
d’environ 10 salariés jusqu’à 60 au maximum. Puis, nous ne voulons pas être le seul client de
l’entreprise. Nous veillons à gérer le flux d’affaires à son égard en ne dépassant pas les 15 à
20 % de son chiffre d’affaires. En clair, nous voulons être un client important mais pas
essentiel. Si notre agent ne travaille que pour nous, il est totalement dépendant et cela n’est
pas bon pour lui comme pour nous. En Pologne, nous avions un agent qui travaillait seul avec
une secrétaire. Mais cela s’est avéré par la suite très difficile de travailler dans ces conditions.
L’idéal pour nous est que mon chargé SAV (service après-vente) soit en relation avec le
responsable SAV de notre agent et que notre responsable production soit en relation avec son
homologue à l’étranger. La proximité organisationnelle simplifie la relation et la rend plus
efficace.
Il faut dire que le coût de l’investissement relationnel n’est pas nul. Pour avoir un bon agent, il
faut passer plus d’une semaine à le former. C’est du temps investi dans une relation qui n’est
amortissable que si la relation perdure. Un mauvais choix en termes d’agent est extrêmement
coûteux.
1.6. Des produits uniques
Il est difficile de définir les produits de HYTEC tant chaque produit se fonde dans une logique
sur-mesure. Bien entendu, la réussite et la pérennité de cette entreprise découlent de la
possibilité de commercialiser des produits standards. Les marchés sont tellement évolutifs que
les échelles de production sont restreintes.
En fait le système de production repose sur quatre opérations : la conception (design), la
fabrication, l’assemblage et la distribution. Les activités-clés de HYTEC sont la conception et
l’assemblage. Les opérations de fabrication sont externalisées auprès de sous-traitant. La
distribution est pilotée à partir d’un dense réseau de distributeurs disséminés dans le monde
entier. En amont, il y a la phase de conception. Parfois, il faut concevoir une machine sur
mesure pour pouvoir répondre aux besoins nouveaux et spécifiques de certains clients. Le
coût de la conception est élevé et ne peut être rentable que si l’entreprise arrive par la suite à
standardiser, même à petite échelle son prototype. Le type d’organisation correspond à une
production prototypique où parfois la machine conçue et produite ne servira qu’une seule fois
pour un seul client. Dans ce cas, le coût de la conception ne peut pas être amorti sur plusieurs
machines. Tout le pari consiste alors à chercher d’autres clients aux besoins similaires pour
pouvoir rentabiliser les frais de conception. La plus grande réussite de HYTEC est le GISYS
vendu à 250 exemplaires, le record de vente à ce jour. C’est dire combien les échelles de
production sont restreintes. Ceci explique que la politique de brevet est relativement peu
étoffée ; P.E. Gaillard explique cela : « déposer un brevet uniquement pour la France n’aurait
aucun sens car nos marchés sont mondiaux. Or, déposer un brevet mondial coûte trop cher.
Nous sommes donc condamnés à innover en permanence afin d’avoir toujours un coup
d’avance. Le temps moyen pour concevoir une nouvelle machine est d’environ 6 mois. Or la
durée de vie moyenne d’une machine ne dépasse que rarement deux ans.
Ceci fait que nos échelles de production dépasse rarement la centaine. » Même le GISYS qui
a été vendu à 250 exemplaires a évolué quatre fois en 8 ans.
Le GISYS : c’est un système pour canalisations et forages (pipes and boreholes systems).
GISYS signifie en fait Global Inspection SYStem. Le GISYS a trois qualités : il est
modulable, très mobile et incorpore la meilleure technologie de pointe. Le robot téléopéré est
relié à un écran de contrôle qui permet de visionner en temps réel les images, d’ajuster la
vitesse du robot (jusqu’à 15m/min) ainsi que la luminosité. Enfin, un logiciel permet
d’analyser les images et traite les informations.
Ce système résulte de la combinaison de plusieurs produits commercialisés par HYTEC : les
caméras, les roues, les lumières allogènes.
Les produits de l’entreprise HYTEC ressemblent au jeu de légo. Par un savant assemblage en
fonction des besoins spécifiques auxquels ils doivent faire face, les opérateurs d’HYTEC
assemblent les divers produits pour en faire des systèmes de produits assemblés.
Les produits de base sont les caméras qui varient selon la taille du diamètre et de la
luminosité. Puis, les robots téléopérés varient eux aussi en fonction de la taille, de la vitesse et
de la maniabilité. Enfin, les unités de commande et de contrôle se sont améliorées avec le
temps et les logiciels incorporés sont aujourd’hui capables d’analyser en temps réel les images
afin de donner le maximum de connaissances au client. Ainsi, le GISYS est composé d’une
caméra DTR 65 HR TV ou de la caméra FTR 80 TV, d’un tracteur VSCE 200, d’un câble
ORO 0200 et de lumières VSE 45.
Il y a deux types de caméras, cinq types de tracteurs, trois types de roues. Ainsi, par le jeu des
combinaisons, le produit système peut prendre plusieurs configurations en fonction des
besoins auxquels le client est confronté. Cette combinaison de produits relativement standards
permet à l’entreprise de bénéficier d’économie d’échelle tout en proposant un produit sur
mesure.
2. L’innovation permanente
2.1. Une technologie évolutive
La technologie de HYTEC n’a jamais cessé d’évoluer, au gré de ces nouveaux clients
réclamant toujours plus d’ingéniosité et d’innovativité. Si l’on prend l’exemple de la caméra,
les technologies n’ont jamais cessé de se complexifier sur les trente dernières années. Au
départ, dans les années 80, les évolutions dans ce domaine étaient relativement mineures.
Avec l’émergence, puis l’essor du marché du caméscope grand public, l’industrie de la
visionique s’est considérablement développée. Les industriels ont commencé à proposer des
caméras de plus en plus petites, permettant ainsi de nouvelles applications. C’est cette
miniaturisation de la caméra qui a permis à HYTEC de faire ses premiers développements.
La miniaturisation des caméras rendait possible ce qui était impensable jusqu’alors.
Par la suite, les caméras sont devenues de plus en plus résistantes (aux radiations, aux
déflagrations, à la pression…). En combinant les progrès de la visionique miniature et ceux de la
robotique (téléguidage à distance…), HYTEC a pu affiner ses solutions et inventer de nouveaux
procédés et de nouveaux équipements. Mais les évolutions se sont poursuivies.
Les clients ont fini par réclamer non seulement de l’image mais aussi de la mesure. Les
technologies sonar et ultrasons font alors leur apparition pour être intégrées dans les solutions
proposées par HYTEC. Il ne s’agit plus de voir mais aussi d’évaluer des taux d’érosion,
d’évaluer certains risques potentiels. Les caméras devenaient ainsi plus intelligentes.
Enfin, grâce aux évolutions de l’informatique, des logiciels ont pu être combinés au savoir-faire
technologique pour apporter au client non seulement de l’image et de la mesure mais aussi et
surtout de la connaissance. L’information ne devient de la connaissance opérationnelle que si elle
est traitée par des logiciels intelligents. De sorte qu’HYTEC ne vend pas seulement de
l’intervention en milieu hostile, mais aussi de l’expertise de haut niveau.
Les évolutions technologiques sont autant de nouvelles possibilités pour HYTEC sans cesse
confrontée à de nouveaux défis. Être en veille permanente pour scruter la moindre nouveauté
peut donner à l’entreprise qui sait traduire ces évolutions technologiques en produits et
services concrets un avantage concurrentiel sur ces concurrents et lui permettre de remporter
de nouveaux marchés. Le champ des possibilités s’élargit dès qu’un paramètre se modifie. Par
exemple, l’arrivée sur le marché d’une caméra encore plus petite a permis à HYTEC de
remporter un nouveau contrat (cf. l’histoire).
2.2. L’affaire de Buenos Aires : le premier dépôt de brevet
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, HYTEC n’a pratiquement jamais déposé de brevet. «
La technologie dans notre domaine évolue tellement vite que nous n’aurions pas le temps
d’amortir son coût de dépôt. De plus, notre champ d’intervention étant le monde, le coût d’un
brevet d’une telle portée s’avérerait trop onéreux », déclare P.-E. Gaillard.
Toutefois, HYTEC a, une fois n’est pas coutume, déposé un brevet. Il s’agissait de protéger la
mise au point d’un équipement inédit permettant de déblayer les dépôts qui obstruent un
réseau d’assainissement des eaux.
Tout commence à Paris, lorsque HYTEC se retrouve face à un géant français, pour curer les
égouts de Paris. HYTEC ne remporte qu’une partie de l’appel d’offre, la ville de
Paris ayant préféré confier les travaux aux deux entreprises en concurrence. « On a passé des
centaines d’heures dans les égouts où l’on n’a pas découvert de trésors cachés mais des
carcasses de chevaux. Cette expérience nous a donné confiance en nous car nous étions
capables de rivaliser avec les plus grandes entreprises du pays. »
Quelques années plus tard, à notre grand étonnement, les dirigeants de la filiale argentine du
géant industriel français, nous contactent pour demander notre avis à propos d’un problème
qu’ils n’arrivaient pas à résoudre. À Buenos Aires, il y avait des tunnels à 35 mètres de
profondeur où les dépôts de saletés obturés aux trois quarts le passage des eaux usagées.
Comment enlever ces tonnes de dépôts ? Le grand groupe conçoit une première machine mais
qui fonctionne mal et engloutit beaucoup d’argent. Ne voyant pas d’autres solutions,
l’entreprise renonce à l’idée d’un nettoyage et envisage une solution radicale : faire un
nouveau tunnel sous la ville. Cette nouvelle solution était chiffrée à l’époque à des centaines
de millions de dollars d’investissement. Face à l’ampleur de l’investissement, l’un des agents
de la filiale argentine se rappelle des prouesses de HYTEC à Paris et propose qu’on contacte
cette petite entreprise pour lui demander son avis.
C’est ainsi que les dirigeants d’HYTEC se retrouvent à Buenos Aires. « Pour une petite
entreprise comme HYTEC, c’était exaltant de voir qu’une entreprise aussi grande s’adresse à
nous. Nous savions que nous avions un bon coup à jouer mais la partie était difficile car
l’accès aux égouts de Buenos Aires était bien plus compliqué que ceux de Paris. Le principal
inconvénient était que les voies d’accès étaient trop étroites pour permettre de faire passer les
machines habituelles trop volumineuses. » Les dirigeants d’HYTEC ont alors une idée
géniale: puisque certains conduits sont trop étroits, pourquoi ne pas concevoir une machine
capable de se replier sur elle-même pour réduire son envergure et ainsi franchir certains
passages difficiles puis de se déplier une fois l’obstacle franchi ? L’idée est séduisante mais il
reste à convaincre le principal client, Aguas Argentina, la société qui gère pour le compte du
gouvernement argentin les eaux potables et usagées de Buenos Aires et des environs (13
millions d’habitants).
Lorsque le géant industriel convoque le conseil d’administration d’Aguas Argentina, la réunion
se termine par un fiasco. Personne n’a véritablement compris l’intérêt de cette machine
redéployable et cela d’autant plus que HYTEC n’est pas conviée à la réunion. Le grand groupe
industriel français ne veut pas avouer à son principal client qu’il a fait appel à une petite société
technologique pour trouver une solution. À la suite de ce refus, J.-J. Promé fulmine de colère et
ne veut pas abdiquer. Il est convaincu que son idée est la solution au problème posé. Revenant en
France, il contacte une petite société de production de sa région pour concevoir des croquis, des
dessins puis un film. Avec cette explication animée, J.-J. Promé est sûr de son coup. Il incite le
groupe français à se réunir à nouveau avec les membres du conseil d’administration d’Aguas
Argentina. La persévérance du dirigeant de PME va s’avérer payante. Le conseil
d’administration est conquis devant cette machine redéployable capable de se plier pour passer
dans des conduites de 60 à 100 mm, puis de se déployer une fois atteint le sol.
C’est souvent grâce à des petites astuces que les PME tirent mieux leur épingle du jeu que les
grands groupes plus rompus à des solutions classiques et conventionnelles.
Convaincu de la pertinence de sa nouvelle machine, HYTEC contrevient à ses habitudes et
dépose un brevet. La motivation de ce brevet est double : HYTEC entend d’une part
conserver le caractère innovant de cette machine spéciale et ne veut pas, d’autre part, que le
grand groupe français puisse copier leur idée. Ce savoir-faire a permis à la PME de remporter
plusieurs contrats mais n’ayant pas de réseau commercial pour vendre cette technologie,
l’entreprise n’a pas valorisé suffisamment ce système.
Si ce dépôt n’a pas débouché sur grand-chose, J.-J. Promé a toutefois un grand regret concernant une
autre innovation qui aurait pu faire la fortune d’HYTEC si un brevet avait été déposé.
2.3. La première caméra hémisphérique : une occasion en or perdue
HYTEC est l’une des premières, voire la première entreprise à avoir inventé la caméra avec un
écran hémisphérique. J.-J. Promé regrette de n’avoir jamais déposé de brevet à l’époque.
Avec toutes les caméras de ce type qui ont été vendues dans le monde aux grands magasins, aux
supermarchés, aux aéroports… pour des motifs de sécurité, nous serions milliardaires.
Mais à l’époque, l’invention ne répondait pas à un motif de sécurité mais de miniaturisation.
L’invention est pourtant toute simple. La stratégie d’HYTEC se positionnant très tôt dans la
niche de l’intervention en milieu hostile, il lui fallait imaginer et concevoir des machines sans
cesse plus petites, plus résistantes tout en étant plus performantes. Très souvent les caméras
qui existaient sur le marché ne convenaient pas à HYTEC, constamment à la recherche de
systèmes de caméras plus petits. À ces débuts, les caméras étaient toutes agencées de la même
façon. Devant le capteur d’image se tient l’objectif, le tout protégé par un hublot plat et
encastré dans un boîtier de support de protection. On a ainsi un ensemble qui a la forme d’un
parallélépipède. Le problème est que la caméra ne filme que ce qu’elle a en face d’elle. Mais
en installant un système de motorisation, on peut déplacer l’ensemble de la caméra, ce qui
permet d’orienter l’axe de vision. Mais il demeure encore un inconvénient. Il fallait trouver le
moyen de motoriser l’axe de vision de la caméra dans un espace confiné. Autrement dit,
même si un moteur permet de faire bouger la caméra, faut-il encore que l’espace dans lequel
elle se meut lui permette de bouger. Si l’objectif de la caméra bouge, le hublot de protection
bouge aussi. C’est là tout le problème surtout quand l’intervention se déroule dans un espace
très contraint.
Face à ce type de problème, l’équipe d’HYTEC se met à réfléchir. C’est lors d’un énième
brainstorming dont raffole J.-J. Promé que l’équipe trouve une idée géniale. Équiper la caméra non
plus d’un hublot plat mais d’un hublot hémisphérique. Ainsi, à l’intérieur du boîtier de protection, la
caméra pourrait bouger dans tous les sens. Quelle que soit sa position horizontale ou verticale, un
hublot hémisphérique permet à la caméra de visionner avec une grande liberté d’action. Avec un tel
ensemble monobloc, il n’y a plus de mouvements extérieurs.
HYTEC invente la caméra hémisphérique qui est équipée sur tous ses appareils. Ce sera
pendant plusieurs années sa marque de fabrique et les concurrents mettront plus de 6 ans à
copier le système qui s’est aujourd’hui quasiment généralisé.
QUESTIONS :
Monsieur Promé est invité par le Centre des Jeunes Dirigeants pour réaliser une conférence
sur l’innovation en PME. Il souhaiterait :
– Mettre en évidence les différentes formes d’innovation.
– Sensibiliser les dirigeants aux risques de ce type de stratégie.
– Leur faire prendre conscience du rôle prépondérant de la proximité dans la conduite de
l’innovation au sein d’une PME.
– Leur faire comprendre les difficultés à standardiser des produits à forte valeur ajoutée ?
– Analyser les avantages et les inconvénients de l’organisation innovante.

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