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Contentieux constitutionnel

Leçon 7 : La justice constitutionnelle en France : le déroulement


du " procès constitutionnel " - La décision juridictionnelle.
Frédérique RUEDA

Table des matières


Introduction.................................................................................................................................................................. p. 2
Section 1. Le processus de décision........................................................................................................................p. 3
§ 1. La préparation de la décision et son délibéré..............................................................................................................................p. 3
§ 2. La rédaction de la décision.......................................................................................................................................................... p. 5
Section 2. L'effet de la décision................................................................................................................................ p. 9
§ 1. Le principe de l'autorité absolue de chose jugée des décisions du Conseil................................................................................ p. 9
§ 2. Les problèmes d'exécution de la chose jugée........................................................................................................................... p. 10

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Introduction
Aux termes de l'Ordonnance du 7 novembre 1958, dans son article 14, le Conseil constitutionnel est habilité
à prendre deux types d'actes : les avis et les décisions. Les avis n'apparaissent que dans le cadre de
deux procédures : celle de l'article 16 de la Constitution (la mise en oeuvre des décisions du Président de
la République étant subordonnée à l'avis consultatif du Conseil) et celle de l'article 11 de la Constitution
(concernant l'organisation des opérations référendaires). En effet, le Conseil a refusé de se reconnaître une
compétence générale de donneur d'avis en dehors des spécifications constitutionnelles, par une décision du
14 septembre 1961 (Rec. 55).Les décisions, elles, sont pour l'essentiel prises dans le cadre de l'exercice de
ses fonctions juridictionnelles (même si elles apparaissent parfois comme des actes administratifs). L'étude
des décisions juridictionnelles du Conseil constitutionnel passe par l'analyse du processus de décision suivi,
avant d'aborder la portée juridique de ces décisions.

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Section 1. Le processus de décision
Une fois achevée l'instruction du dossier, le conseiller-rapporteur en informe le Président du Conseil
constitutionnel, qui convoque le Conseil en séance plénière, après avoir négocié une date avec le Secrétaire
Général. Le processus de décision est alors déclenché, et s'articule autour de deux étapes : la préparation de
la décision et son délibéré et la rédaction de la décision. Il faut noter ici que ces règles de fonctionnement
sont communes à l'ensemble des compétences du Conseil, instaurant sur ce point une certaine unité
procédurale.

§ 1. La préparation de la décision et son


délibéré
Le Conseil constitutionnel se réunit, sur l'ordre du jour déterminé par son Président (qui y inscrit les affaires
à mesure qu'elles deviennent en état d'être jugées), au jour fixé par lui, compte tenu des délais impératifs de
jugement qui s'imposent à lui. Cependant, un quorum de sept membres est nécessaire pour que les réunions
du Conseil puissent valablement se tenir, sauf cas de force majeure qui devrait être consigné au procès-verbal
(Cf. l'article 14 de l'Ordonnance du 7 novembre 1958 qui fixe cette condition, de façon assez souple du reste :
"Les décisions et les avis du Conseil constitutionnel sont rendus par sept conseillers au moins, sauf cas de
force majeure dûment constatée au procès-verbal.").

Cette condition entraîne deux conséquences :


• d'une part la nécessité de mentionner le nom des membres qui ont participé à la délibération, afin
de prouver que le quorum a été rempli - or cette obligation n'a été remplie systématiquement qu'à partir
de 1995 -,
• et d'autre part la nécessité de rédiger un procès-verbal, en principe imposé par l'ordonnance, mais
qui est en pratique remplacé par un simple compte-rendu sans valeur officielle.

Des aménagements sont prévus concernant la composition de l'assemblée délibérante en matière électorale
: en effet, doivent être présents, d'une part le greffier, et d'autre part le rapporteur-adjoint, qui a instruit
le dossier soumis au Conseil (compte tenu du grand nombre d'affaires en la matière), mais n'a cependant
pas voie délibérative.

Au départ courtes et peu fréquentes, les réunions du Conseil se sont peu à peu multipliées et allongées
- en parallèle avec les décisions elles-mêmes -, marquant le développement du rôle de l'institution.

Le point de départ du travail du Conseil est le projet de décision élaboré par le conseiller-rapporteur,
qui, après avoir été transmis aux membres du Conseil quelques jours avant la délibération par le Secrétariat
Général pour qu'ils en prennent connaissance, est présenté dès le départ de la délibération, et sert de base
à la discussion.

Ce projet comporte plusieurs parties :


• tout d'abord est exposé le contexte d'élaboration et le contenu du texte soumis au Conseil (sauf en
matière de contentieux électoral bien entendu),
• puis vient l'analyse des arguments échangés dans le cadre de la contradiction qui a été organisée par
le conseiller-rapporteur, ainsi que des moyens que le Conseil peut soulever d'office ;
• enfin, une ébauche de la décision finale est présentée.

En pratique, non seulement le rapporteur, mais également les autres membres du Conseil particulièrement
intéressés par le sujet ou les enjeux de la décision, auront préalablement fait appel au service juridique

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du Conseil et à son Secrétaire Général, dans le but de faire le tour des arguments juridiques pertinents
en l'espèce.

Plusieurs raisons permettent d'expliquer cette évolution.


• En premier lieu joue un phénomène que nous avons déjà évoqué à plusieurs reprises : la motivation
des saisines, qui est devenue à la fois plus abondante et plus détaillée. Le Conseil constitutionnel est
ainsi incité à répondre aux arguments de manière plus précise, ce qui renforce la nécessité pour
lui de développer une argumentation juridique cohérente - et donc le rôle des juristes en son sein
-, tout en poussant les membres du Conseil à consacrer beaucoup plus de temps que par le passé
aux travaux de l'institution - ce qui concourt ainsi à la juridictionnalisation de cette dernière. Le poids de
l'encadrement administratif et juridique du Conseil s'est de ce fait affirmé au fil de cette évolution, ce qui
le dote d'une influence non négligeable sur la " politique jurisprudentielle " de l'institution, et rend son
rôle d'autant plus délicat.
• En second lieu, les diverses alternances politiques qui se sont succédées depuis le début des
années quatre-vingt ont considérablement diversifié la composition du Conseil, notamment sur le
plan de l'orientation politique de ses membres ; de ce fait, l'accord sur une décision, pour ne pas
parler de l'unanimité, est parfois plus difficile à obtenir, et nécessite des discussions beaucoup
plus longues. En particulier, les réformes mises en oeuvre par voie législative par une nouvelle majorité
parlementaire à son arrivée au pouvoir, qui sont presqu'automatiquement déférées au Conseil par
l'opposition parlementaire, susciteront des discussions importantes, tant de telles décisions emportent
des enjeux politiques délicats...

Lors du délibéré, le projet de décision est examiné et discuté considérant par considérant, puis voté.
Une grande liberté est laissée en la matière aux membres du Conseil, dans la mesure où ils peuvent s'écarter
du projet au cours de leur délibération, pour discuter de points qui n'avaient pas été examinés ou retenus
par le rapporteur : ceci doit être rattaché à son pouvoir de soulever d'office tout moyen qui lui semble
pertinent.Le délibéré est collégial, et couvert par le principe du secret, qui interdit de diffuser le contenu
des discussions qui ont lieu, les arguments échangés, les points les plus controversés ou ceux sur lesquels
l'accord se fait sans problèmes, etc... On sait cependant que ne peuvent en principe participer à la prise de
décision que les membres du Conseil qui ont participé à l'ensemble des séances au cours desquelles l'affaire
concernée a été abordée, et qu'en principe encore ils ne peuvent s'abstenir (bien que l'on croie savoir qu'ils
peuvent parfois y être autorisés par le Président).

Les décisions sont prises à la majorité des membreset, en cas de partage des voix, celle du Président
emporte la décision. Cependant, dans deux cas de figure, des règles de majorité spécifiques s'imposent, qui
enlèvent toute prépondérance à la voix du Président : il s'agit d'une part de la décision prise pour constater
le manquement à ses obligations d'un des membres du Conseil, qui doit être prise à la majorité simple des
membres le composant, et d'autre part de celle qui constate l'empêchement du Président de la République,
pour laquelle la majorité absolue des membres du Conseil est requise.

Le vote est couvert par le principe du secret du délibéré, règle d'or qui gouverne comme on l'a vu le statut
des membres du Conseil. Ceci empêche de savoir, non seulement quelles sont les pièces qui composent le
dossier ou le contenu du projet de décision, mais aussi le nom du rapporteur pendant le temps de l'instruction,
comment les membres du Conseil se prononcent (méthode, ordre, etc...) et à quelles conditions de majorité
les décisions sont prises. Pour les décisions les plus controversées, des indiscrétions filtrent, mais de
manière purement officieuse, et donc invérifiable. Même les compte-rendus des décisions rédigés par le service
juridique du Conseil ne sont pas publiés... Cette confidentialité, qui fait régulièrement l'objet de remises en
question de la part d'une partie de la doctrine au nom de la transparence qui doit s'affirmer au sommet de
l'Etat, n'a cependant jamais été abandonnée (un prolongement de cette controverse peut être trouvé dans
le problème des opinions dissidentes, que nous aborderons dans le point 3). C'est même l'une des rares
caractéristiques de la procédure du Conseil qui n'a fait l'objet d'aucune évolution significative. Un coin du
voile est cependant levé dans une certaine mesure aujourd'hui, par déduction, à partir des commentaires que
le Secrétaire Général publie sur les décisions du Conseil ; de même, on sait depuis 1995 quels membres

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du Conseil siégeaient pour chaque décision... mais ces avancées restent très insuffisantes au regard de la
transparence souhaitable.

§ 2. La rédaction de la décision
Toutes les décisions du Conseil constitutionnel obéissent au même schéma de rédaction, défini à l'article
18 du Règlement (Article 18 du Règlement applicable à la procédure, applicable à la procédure suivie pour le
contentieux de l'élection des députés et sénateurs), qui est sur ce point appliqué beaucoup plus largement, à
tous les domaines d'activité juridictionnelle du Conseil.

En pratique, un élément de cet article 18 n'a pendant longtemps été appliqué que dans le cadre du contentieux
électoral : la mention des membres qui ont siégé lors de l'adoption de la décision. Cependant, depuis 1995, la
méthode de rédaction a été unifiée, et cette règle s'applique de manière générale à l'ensemble du contentieux
constitutionnel.

Le recours est donc d'abord identifié, en tête de la décision, par la mention de l'objet et de l'origine de la
saisine permettant un classement sommaire symbolisé dans la numérotation de la décision par les initiales
suivantes :
• D (déchéances parlementaires - art. LO 136 C. Elect.),
• DC (décisions de constitutionnalité des articles 54 et 61 de la Constitution),
• FNR (fins de non recevoir - art.41 de la Constitution),
• I (décisions d'incompatibilité parlementaire - art. LO 151 C. Elect.),
• L (décisions de déclassement de l'article 37 al.2 de la Constitution),
• LOM (déclassement outre-mer)
• et LP (décisions concernant les lois de pays de Nouvelle-Calédonie - art. 77 de la Constitution).

Suit dans les visas la mention des textes applicables, qui renseignent plus précisément le lecteur sur le
recours proprement dit. Leur degré de précision est un élément à part entière de la politique jurisprudentielle
du Conseil, souvenez-vous de la célèbre décision du 16 juillet 1971, dont la portée révolutionnaire tenait au
visa " Vu la Constitution, et notamment son préambule... ".

L'analyse que le Conseil fait de l'affaire qui lui est soumise est ensuite exposée dans les motifs, dont l'existence
est imposée par l'article 20 de l'Ordonnance du 7 novembre 1958. Il faut noter ici que la technique de rédaction
des décisions du Conseil constitutionnel s'est pendant longtemps distinguée par la brièveté de leur motivation.
Ceci peut s'expliquer par le fait qu'une importante partie du personnel du Conseil - dont le Secrétaire Général de
manière presque systématique -, ainsi que son Président pendant les six premières années, étaient auparavant
passés par le Conseil d'Etat, son voisin au Palais-Royal, et avaient donc probablement été influencés par le
goût pour la concision argumentaire qui caractérise cette institution. Plus largement, certains membres de la
doctrine n'ont pas hésité à opposer une véritable tradition française de la brièveté en matière d'argumentation
juridictionnelle, suivie par le Conseil constitutionnel aussi bien que par le Conseil d'Etat et la Cour de Cassation,
à la tradition dissertante retenue à l'étranger (où le juge entend avant tout justifier sa décision, et en explique
la signification exacte dans une motivation fleuve).

Cependant, on constate, depuis une dizaine d'années, une évolution sur ce point. Les décisions
juridictionnelles du Conseil constitutionnel sont de plus en plus longues et détaillées, atteignant souvent
entre cinquante et cent considérants, quand elles ne dépassaient pas la dizaine auparavant. Elles sont
également plus " pédagogiques "et donc nécessairement moins concises, dans la mesure où elles
reprennent l'argumentation des requérants en y répondant point par point et en rappelant à chaque fois
l'interprétation des textes applicables, avant de présenter la motivation retenue par le juge.Ce changement,
qui aligne peu à peu la pratique du Conseil sur celle de la plupart des Cours constitutionnelles (et plus largement
des cours suprêmes) étrangères, peu s'expliquer de plusieurs manières. On peut tout d'abord faire valoir qu'il
s'agit d'une conséquence nécessaire de la motivation sans cesse plus précise des requêtes qui lui sont

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présentées : depuis le milieu des années 1980, sous l'influence des professionnels du Droit, et notamment
des universitaires, les requérants se fondent, non seulement sur leur propre interprétation des dispositions et
principes à valeur constitutionnelle, mais aussi de plus en plus fréquemment et abondamment sur les décisions
du Conseil constitutionnel lui-même. Les saisines comportent ainsi de plus en plus souvent des invitations
à faire évoluer une jurisprudence, ou à reconnaître une valeur constitutionnelle à un nouveau principe, ou
encore à se rapprocher de telle ou telle jurisprudence étrangère. En parallèle à cette première explication
possible, on peut également penser que, son rôle s'affirmant toujours davantage dans le jeu institutionnel,
le Conseil est confronté à la nécessité de mieux expliquer ses décisions, afin d'échapper aux procès
d'intention que certains sont tentés de lui faire sur une base politique... Enfin, l'allongement des décisions du
Conseil est aussi lié aux techniques mises en oeuvre dans le cadre de son contrôle, et en particulier celle des
décisions de conformité sous réserve, qui implique d'éclairer les autorités chargées de l'application
de la jurisprudence sur le contenu exact de celle-ci.

Enfin, le juge constitutionnel expose la conclusion de son raisonnement dans le dispositif, avec une
différence entre le contentieux électoral et le contentieux normatif. Dans le premier cas, le Conseil annule ou
confirme les opérations électorales contestées devant lui. Il faut cependant noter ici que le constat d'une
irrégularité, ou même d'une fraude, ne débouche pas nécessairement sur l'annulation de la décision. En effet,
il peut arriver qu'une fraude manifeste n'ait pas eu de conséquence appréciable sur le résultat de l'élection :
en ce cas, après l'avoir relevée, le Conseil constatera son absence d'effets nuisibles et confirmera l'élection...
Les irrégularités qui méritent le qualificatif de substantielles à ses yeux sont celles qui ont une influence
déterminante sur le résultat du scrutin, influence appréciée à partir de l'écart de voix entre les candidats. A
l'inverse, il arrive que le Conseil, sans infirmer directement le résultat d'une élection, déclare un candidat non
élu inéligible (inéligibilité valable pendant un an à partir de la décision du Conseil), circonstance entraînant
l'annulation des opérations électorales ; cette hypothèse devient de plus en plus fréquente depuis l'entrée en
vigueur des lois relatives au financement des campagnes électorales. Enfin, le Conseil a la possibilité, qu'il
n'a jamais utilisée jusqu'à présent, de réformer lui-même le résultat d'une élection, en proclamant élu le
candidat battu ; ce pouvoir, qui l'amène en définitive à se substituer à la volonté des électeurs, est jugé trop
périlleux, et il préfère annuler simplement l'élection pour permettre aux citoyens de se prononcer.

Dans le second cas, plusieurs possibilités se présentent, qui permettent au Conseil d'élaborer une politique
jurisprudentielle nuancée. La solution la plus simple consiste à déclarer le texte conforme, permettant
sa promulgation, ou non conforme, interdisant son entrée dans l'ordre juridique. Le Conseil peut
ensuite prononcer la conformité partielle du texte qui lui est déféré à la Constitution, ce qui peut influer
sur les conditions de mise en oeuvre d'une politique législative, sauf si le Président de la République décide
de demander au Parlement une nouvelle lecture de ces dispositions. Mais il existe d'autres techniques
décisionnelles qui permettent au Conseil d'intervenir beaucoup plus directement dans l'oeuvre du
législateur, sans lui laisser la possibilité de rectifier son oeuvre : ce sont les " réserves d'interprétation ", dont
nous avons déjà évoqué le rôle à plusieurs reprises. Elles peuvent être, par ordre croissant d'interventionnisme
juridictionnel, neutralisantes, constructives ou directives.Les interprétations neutralisantes consistent
pour le Conseil à limiter la portée de dispositions législatives, sans cependant les déclarer franchement
inconstitutionnelles (en précisant, par exemple, que tel champ ou tel principe leur demeure soustrait); il s'agit
donc d'écarter une ou plusieurs interprétations possibles du texte.

Jurisprudence
Décision n°2004-492 DC, du 2 mars 2004, "Evolutions de la criminalité", Rec. 66 : : La loi "Perben II" du 9 mars
2004, " portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité", permet au juge d'instruction d'autoriser
l'enregistrement sans le consentement des intéressés de paroles prononcées à titre privé ou confidentiel dans
des lieux privés ou publics, ou de l'image de personnes se trouvant dans un lieu privé. Dans le considérant
n° 65 de sa décision, le Conseil estime que le législateur, en limitant le contenu du procès-verbal aux seuls
enregistrements utiles à la manifestation de la vérité, a "nécessairement entendu" que les séquences de la
vie privée étrangères aux infractions visées ne pourront en aucun cas être conservées dans le dossier de
la procédure.

Ensuite, les interprétations constructives consistent pour lui à compléter, voire réécrire le texte de la loi,
dans le but d'éviter de désavouer franchement le travail de la majorité gouvernementale... L'argument est peu

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convainquant, dans la mesure où un désaveu n'empêcherait pas le Parlement de voter une nouvelle loi tenant
compte des critiques du Conseil, alors que la réserve constructive substitue le Conseil à Parlement dans son
rôle de rédacteur de la loi, et en fait donc indubitablement unvéritable co-législateur.

Jurisprudence
Décision n° 99-419 DC, du 9 novembre 1999 : La loi sur le PACS (Pacte Civil de Solidarité) a introduit dans
le Code Civil des articles affectant la notion de "vie commune". Le Conseil interprète ces dispositions comme
signifiant en fait "vie de couple", en expliquant que seule cette réécriture justifie la fermeture du PACS aux
parents proches sans violer le principe d'égalité.

Enfin, les interprétations directives visent à permettre au Conseil de fixer la manière dont les autorités
qui mettront la loi en oeuvre devront l'interpréter et l'appliquer, afin d'éviter des abus... Elles portent donc
prescription à l'égard de ces autorités. Si le Conseil se pose ici en interprète privilégié de la Constitution, c'est
faire bon marché des capacités d'interprétation des autres institutions et en particulier des autres juges. Cette
dernière technique soulève avec le plus d'acuité les problèmes d'autorité de la chose jugée qui se posent aux
décisions du Conseil, comme nous allons le voir.

Jurisprudence
Décision n° 2004-504 DC, du 12 août 2004, Rec. 153 : La loi sur l'assurance-maladie permet une majoration
de la participation des assurés au coût d'une consultation médicale quand ils vont voir un spécialiste sans
être préalablement passés par leur médecin traitant. A cette occasion, le Conseil a émis une réserve selon
laquelle la fixation du montant de cette majoration ne devra pas remettre en cause les exigences du onzième
alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, qui garantit à tous la protection de la santé. Cette réserve
s'adresse ici au pouvoir réglementaire.

Décision n°2007-550 DC, du 27 février 2007 : La loi relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle
et à la télévision du futur prévoit l'attribution d'une chaîne numérique supplémentaire à certaines chaînes
de télévision (TF1, M6 et Canal Plus), pour compenser la cessation anticipée de la diffusion de leurs
programmes par voie hertzienne terrestre en mode analogique, qui leur est imposée par le législateur. Le
Conseil constitutionnel ne juge pas cette compensation disproportionnée, sous une réserve d'interprétation : à
l'occasion de l'autorisation de nouveaux services de télévision numérique et de l'attribution des trois services
compensatoires, les autorités compétentes devront veiller au respect du pluralisme des courants de pensées
et d'opinions compte tenu des ressources radio-électriques alors disponibles.

Pour terminer, un problème spécifique aux décisions du Conseil constitutionnel français est lié aux principes du
secret et du délibéré collégial, que nous avons mentionnés au point précédent : dans la mesure où la décision
est réputée prise sous la responsabilité commune des membres du Conseil, aucune place n'est laissée
à l'expression des opinions personnelles des conseillers. La pratique des " opinions dissidentes ", qui
est pourtant assez généralement reçue au sein des Cours constitutionnelles étrangères, est donc résolument
écartée en France. Le débat sur ce point est cependant récurrent, tant les arguments des partisans comme des
adversaires de cette technique entraînent de conséquences sur le rôle de l'institution tout entière. Il comporte
un enjeu majeur : celui du lien entre la transparence du fonctionnement d'une institution et la portée de
son magistère. L'essentiel des arguments défavorables à la publication d'opinions dissidentes est classique et
bien connu : la " tradition française " du secret du délibéré s'y opposerait ; il s'agirait d'une atteinte à l'anonymat
des juges et à l'égalité de leur position, seuls à même de protéger l'indépendance de leur jugement ; l'autorité
du Conseil et de sa jurisprudence recevrait une atteinte intolérable...

Ces arguments sont certes recevables, mais ils font trop bon marché des enseignements du droit comparé, que
l'invocation d'une " tradition " ne peut suffire à écarter. Dans les - nombreux - pays où cette pratique est admise,
elle n'a altéré ni l'autorité des décisions, ni leur crédibilité ; l'indépendance et le sérieux de l'exercice de leurs
fonctions par les juges n'ont pas non plus été remis en cause. En revanche, ses avantages sont indéniables :
elle favorise notablement la clarté du procès constitutionnel, ce qui peut permettre d'écarter le spectre toujours
renaissant du " gouvernement des juges " et l'accusation d'arbitraire ; en développant et en éclaircissant la

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motivation retenue par le Conseil, ou en exposant des arguments écartés en l'espèce, elle contribuerait à
renforcer le débat juridique en matière constitutionnelle (au même titre, d'ailleurs, que les conclusions des
commissaires du gouvernement près le Conseil d'Etat, publiées en parallèle avec les décisions de ce dernier,
dont on connaît le rôle important dans le développement du Droit administratif), et à préparer le cas échéant
l'évolution de la jurisprudence.

En définitive, il s'agirait d'une avancée importante sur la voie d'une juridictionnalisation plus poussée de la
procédure de contrôle de constitutionnalité en France.

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Section 2. L'effet de la décision
Les décisions du Conseil constitutionnel sont signées par son Président, le rapporteur et le Secrétaire Général,
et mentionnent comme on l'a vu le nom des membres qui ont participé à la décision. Elles sont ensuite
immédiatement publiées au Journal Officiel (contrairement aux avis du Conseil, qui, eux, ne sont publiés
que si l'autorité qui en est destinataire le décide, à l'exception de celui que le Conseil rend sur la décision de
mise en application de l'article 16 de la Constitution par le Président de la République), communiquées aux
autorités qui ont saisi le Conseil, et notifiées, dans certains cas, à des autorités expressément désignées
par des textes particuliers.

Cependant, le Conseil n'exerce aucun contrôle sur la manière dont ses décisions juridictionnelles sont
exécutées. Leur effet est gouverné par le principe de l'autorité absolue de la chose jugée, mais la mise en
oeuvre pratique de ces décisions se heurte malheureusement parfois à des problèmes d'exécution .

§ 1. Le principe de l'autorité absolue de chose


jugée des décisions du Conseil
Il faut ici se référer au deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution (Article 62 alinéa 2 de la Constitution :
"Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs
publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles"), qui pose la règle générale de l'autorité
absolue de chose jugée, erga omnes, des décisions du Conseil constitutionnel. Cette règle se comprend
aisément : elle est la conséquence logique de la nature objective du contentieux constitutionnel - qui
vise à protéger l'intégrité de l'ordre juridique interne sous l'autorité de la Constitution -, et de son caractère
d'ordre public. L'interprétation de cette disposition par le Conseil constitutionnel découle de décisions qui se
sont succédées, renforcées et précisées tout au long de son existence, de la décision de principe du 16 janvier
1962 aux nombreuses décisions qui, aujourd'hui encore, réaffirment régulièrement l'autorité de la chose jugée
par le Conseil.

Jurisprudence
La décision du 16 janvier 1962 (n°62-18 L, Loi d'orientation agricole, Rec. 31) a pour principal intérêt d'affirmer
pour la première fois que les décisions du Conseil font autorité, même si l'expression " autorité de la chose
jugée " n'est pas explicitement employée - on parlait à l'époque d'" autorité de chose décidée ", utilisant
ainsi une expression normalement employée pour les décisions administratives -. Leur portée s'attache "
non seulement à leur dispositif, mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en constituent le
fondement même"(Considérant n°1). Ce dernier point a reçu une précision nécessaire ultérieurement, tout
d'abord, avec une portée limitée, dans le cadre du contentieux électoral (Dans une décision n°87-1026 du 23
octobre 1987, AN Haute-Garonne , Rec. 55, le Conseil estime qu'un recours en rectification d'erreur matérielle
ne remet pas en cause l'autorité de chose jugée), puis dans une autre décision de principe, celle du 20
juillet 1988 (n°88-244 DC, Loi d'amnistie, Rec. 119), qui se réfère expressément à " l'autorité de chose jugée
attachée à la décision du Conseil constitutionnel ", expression régulièrement réutilisée par la suite, sous des
formes voisines - en particulier dans la décision " Maastricht II " du 2 septembre 1992 (n°92-312 DC, Rec. 76).

Bien que cette extension de l'autorité de chose jugée aux motifs qui sont le soutien nécessaire de la
décision s'accorde aux règles fondamentales du droit processuel, elle a pris une grande importance au
cours de l'évolution de la jurisprudence du Conseil, avec le développement de la technique des réserves
d'interprétation : le Conseil considère en effet expressément que l'autorité de chose jugée de ses décisions
s'étend à ces dernières (Décision n°84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984, Rec. 78).

De plus, en l'absence de toute voie de recours contre les décisions du Conseil constitutionnel dans l'ordre
interne, force est de reconnaître que les décisions du Conseil bénéficient de cette autorité de chose jugée de

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manière absolue : elles s'imposent en effet à tous les pouvoirs publics, et en particulier aux autorités
administratives et juridictionnelles qui ont normalement à les appliquer. Cependant, cela ne signifie pas
que les décisions du Conseil constitutionnel bénéficient de cette autorité de façon inconditionnée : elle ne vaut
que quand les litiges ont la même cause et le même objet. La portée absolue de cette autorité de la chose
jugée doit donc être nuancée, dans la mesure où le Conseil constitutionnel a précisé à plusieurs reprises,
d'abord dans le cadre du contentieux électoral (en application de l'article 44 de l'Ordonnance du 7 novembre
1958, les décisions du Conseil n'ont d'effet juridique qu'en ce qui concerne l'élection dont il est saisi), puis
dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois, que la solution appliquée dans une hypothèse donnée
n'est pas nécessairement ni automatiquement transposable à des cas apparemment semblables. Ce ne sera
le cas que si la loi nouvelle, malgré l'emploi de termes différents, se caractérise en fait par le même contenu
que la loi précédemment invalidée.

Complétant logiquement cette jurisprudence, la décision " Maastricht II ", que nous avons déjà citée, nous
enseigne que l'autorité de chose jugée d'une décision du Conseil constitutionnel peut encore céder dans
une autre occasion : après une révision de la Constitution. En effet, l'autorité de la décision peut disparaître
alors dans deux hypothèses : " d'une part s'il apparaît que la Constitution, une fois révisée, demeure contraire
à une ou plusieurs stipulations du traité; d'autre part, s'il est inséré dans la Constitution une disposition nouvelle
qui a pour effet de créer une incompatibilité avec une ou des stipulations du traité dont s'agit "(Décision n
°92-312 DC du 2 septembre 1992, Maastricht II, Rec. 76) .

En définitive cependant, la portée de ce principe d'autorité de la chose jugée des décisions du Conseil
constitutionnel dépend toujours largement, au-delà des textes, de la manière dont les pouvoirs publics
l'appliquent et le respectent...

§ 2. Les problèmes d'exécution de la chose


jugée
Comme nous l'avons vu, l'alinéa 2 de l'article 62 de la Constitution deuxième phrase, impose à tous les
pouvoirs publics la mise en oeuvre des décisions du Conseil constitutionnel. Ceci concerne le Parlement au
titre du pouvoir législatif, le Président de la République et le Premier ministre au titre du pouvoir exécutif, et
l'Administration tout entière, autorité judiciaire comprise.

Le Parlement est principalement concerné par les décisions du Conseil relatives aux règlements des
Assemblées. L'exécution de la chose jugée implique alors l'abrogation des dispositions déclarées non
conformes, et leur remplacement éventuel ; en pratique, si cela a toujours été le cas, on a pu ponctuellement
noter quelques retards dans l'application des décisions du Conseil. Le pouvoir législatif est également touché
par les décisions prises dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois, dans la mesure où, comme
nous l'avons vu, l'autorité de chose jugée est opposable aux dispositions législatives qui sont la simple
reprise de dispositions antérieurement déclarées inconstitutionnelles.

Au sein de l'Exécutif, le Président de la République est concerné par l'exécution des décisions du Conseil
dans la mesure où il ne peut promulguer de loi qui ait été déclarée inconstitutionnelle. Il peut cependant,
soit demander une nouvelle lecture de la loi au Parlement afin qu'il puisse tirer les conséquences de la décision
du Conseil, soit, quand seules certaines dispositions d'un texte ont été déclarées inconstitutionnelles, et qu'elles
sont séparables de l'ensemble, de promulguer la loi en omettant ces dispositions. Le Premier ministre et son
Gouvernement, quant à eux, doivent aussi exécuter les décisions du Conseil - et le font en pratique, bien qu'ils
aient pu ponctuellement émettre des critiques à l'égard du contenu de telle ou telle jurisprudence susceptible
de compliquer la mise en oeuvre de leur politique (il en fut notamment ainsi à chaque alternance, grande ou
petite : notamment en 1981, 1986, 1993, etc...).Il faut ici noter que la tendance est depuis quelques années
à prôner - officiellement au moins - un respect attentif du contenu de la jurisprudence constitutionnelle,
comme l'ont montré les prises de position successives de Lionel Jospin et de Jean-Pierre Raffarin lors de

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leur accession au poste de Premier ministre. On peut donc parler d'une véritable " veille constitutionnelle "
menée par l'Exécutif, grâce en particulier au rôle joué par le Secrétariat Général du Gouvernement, par la prise
en considération constante, à tous les stades de l'action gouvernementale - et plus largement administrative
- des impératifs liés aux problèmes de constitutionnalité.Cependant, l'Exécutif dispose d'une " arme " qui,
pour n'être pas infaillible, peut lui permettre de surmonter une décision du Conseil constitutionnel, en cas
de heurt frontal entre cette dernière et une de ses politiques. Il s'agit de la possibilité de déclencher une
procédure de révision de la Constitution, qui, en changeant la norme de référence à laquelle se réfère le
Conseil, l'obligera à modifier sa jurisprudence. Comme vous le savez, cette possibilité a été utilisée pour la
première fois en 1993, quand la révision constitutionnelle du 19 novembre 1993 a permis de surmonter la
décision du Conseil sur la maîtrise de l'immigration et le droit d'asile, (décisionn°93-325 DC du 13 août 1993,
Rec. 224).

Au sein de l'Administration proprement ditela qualité de la mise en oeuvre des décisions du Conseil
constitutionnel est étroitement liée à leur degré de précision - notamment sur le plan des réserves
d'interprétation destinés aux autorités chargées de l'application des lois contrôlées, et sur le plan des
destinataires de ces réserves d'interprétation (il peut en effet s'agir des autorités réglementaires, ou des
administrations déconcentrées ou décentralisées, ou encore d'autorités administratives spéciales...). De ce
fait, plus la formulation de la décision est claire et précise, plus sa mise en oeuvre par l'Administration
sera satisfaisante.En pratique, les principaux problèmes d'application sont posés par les autorités
juridictionnelles, qu'elles appartiennent à l'ordre judiciaire ou à l'ordre administratif. En effet, bien qu'elles
soient, comme l'ensemble des pouvoirs publics, soumises au respect de la chose jugée par le Conseil, aucune
procédure n'a été mise en place dans la Constitution ou ailleurspour trancher les conflits de jurisprudence
qui ne peuvent manquer d'apparaître entre des jurisprudences en perpétuelle évolution. La conséquence en
est que seule la bonne volonté de la Cour de Cassation et du Conseil d'Etat assure la primauté des
décisions du Conseil constitutionnel sur leurs propres jurisprudences...

Ce n'est qu'à partir de 1985 que ces deux institutions ont commencé à respecter explicitement cette primauté.
Pour commencer, la Cour de Cassation, dans deux arrêts du 25 avril 1985, Bogdan et Vukovic (D 1985.329,
concl. Dontenwille), a procédé à un revirement sur sa jurisprudence antérieure pour tenir compte d'une décision
du Conseil constitutionnel interprétant l'article 66 de la Constitution, attitude globalement maintenue depuis.
Très rapidement, le Conseil d'Etat a suivi le même chemin, par une décision d'Assemblée du 20 décembre
1985, Société des Etablissements Outters (R. 382), se référant ensuite régulièrement aux prises de position
jurisprudentielles du Conseil constitutionnel.

Cependant, quelques difficultés ponctuelles, mais tout de même préoccupantes après plus de quarante ans
d'application de la Constitution de 1958, persistent, comme nous avons eu l'occasion de le voir précédemment
dans ce cours (Leçon 3, Section 2, 1. La concurrence croissante des autres juges nationaux), notamment à
l'occasion de l'application des réserves d'interprétation énoncées par le Conseil constitutionnel dans certaines
de ses décisions. On peut donc dire que le respect de l'autorité de chose jugée des décisions du Conseil n'est
pas encore parfait.

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