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CHAPITRE II : LE PROCESSUS DECISIONNEL

Le processus décisionnel permet de faire une distinction entre organisations de coopération et organisations
d’intégration. Pour les premières, le mode privilégié de prise de décision est l’unanimité (modalité classique en
droit international) tandis que pour les secondes, une majorité d’Etats peut imposer ses points de vue à une
minorité (modalité supranationale). Il faut entendre par modalités classiques, les règles qui président à la prise
de décision en droit international public. Etant donné que les acteurs sont les Etats, les sacro-saints principes
d’égalité et de souveraineté entraînent la recherche de l’unanimité et du consensus. Dans ces cas, les Etats
entendent seulement coopérer et ne font pas d’abandon de souveraineté. Quant aux modalités supranationales,
ce sont celles qui président à la prise des actes dans les organisations d’intégration. Les Etats ayant consenti à
un abandon de souveraineté, une majorité peut imposer ses points de vue à une minorité dans l’intérêt de la
Communauté. Ces modalités s’opposent à celles qui prévalent dans les organisations de coopération où une
petite minorité peut constituer un obstacle dans la prise de décisions. Tant dans l’UEMOA (Section 1), que dans
la CEDEAO (Section 2), un équilibre s’opère entre les modalités classiques et les modalités supranationales de
décision.

SECTION 1 : Dans l’UEMOA


Nous verrons, tour à tour les modalités classiques et les modalités supranationales.

§ 1 : Les modalités classiques de prise de décision


L’inter-étatisme d’un organe se reconnaît de prime abord à son mode de délibération unanimitaire. Au sein des
organes de l’UEMOA., le principe de l’unanimité dans les processus de délibération est en vigueur aussi bien à
la Conférence qu’au sein du Conseil.
Au niveau de la Conférence, le principe est sans équivoque ; l’unanimité y constitue d’ailleurs le seul1 procédé de
prise de décision. D’aucuns diront que la nature de l’organe ne laissait point d’alternative, tant il est vrai qu’au
sommet d’une organisation d’Etats, il faut marcher au rythme de consensus politiques. On ne peut cependant
s’empêcher de faire remarquer que, bien que souvent « considéré comme un facteur d’accélération et de garantie
du processus d’intégration parce qu’impliquant les plus hauts responsables des Etats, le recours à l’unanimité,
s’il n’effarouche pas les susceptibilités de souveraineté, ne sert pas l’approfondissement du processus »2.
L’affirmation du principe est moins fortement ressentie au niveau du Conseil, ce d’autant plus qu’il n’est pas
exclusivement consacré comme tel, au moins dans le traité de Dakar. Il convient d’ailleurs de faire la part des
choses selon que le Conseil exerce les compétences à lui confiées par le traité de l’UEMOA ou celles existant
depuis la création de l’UMOA.
Pour ce qui est des nouvelles attributions opérées par le traité de Dakar, le recours à l’unanimité semble,
heureusement, plutôt rare, même s’il n’est pas inexistant. L’unanimité est par exemple exigée pour l’adoption des
règlements financiers ainsi que des règles de reddition et de vérification des comptes 3. Dans la plupart des cas,
le Conseil est habilité à adopter ses actes à la majorité des deux tiers.
Ceci n’est cependant vrai que pour les domaines où le mode de délibération a été spécifié. Pour les autres
hypothèses, l’unanimité semble s’imposer de facto comme le principe. En effet, l’article 21 du traité de l’UEMOA

1
Voir article 114 du traité de l’UEMOA reprenant et complétant l’article 5 du traité de l’UMOA qui dispose que “ (…) les
décisions de la Conférence (…) sont prises à l’unanimité ”.
2
Voir L.M. IBRIGA, “Problématique de l’intégration en Afrique de l’Ouest : essai de définition d’un cadre juridique
efficient ”, in RBD n° de décembre 1993.
3
Voir. Article 51 du traité de l’UEMOA.
1
dispose que « le Conseil des Ministres de l’Union monétaire prévu à l’article 6 de l’UMOA exerce les fonctions qui
lui sont dévolues par le présent traité ». En renvoyant à cette disposition du traité de l’Union monétaire, les
rédacteurs semblent faire de ce texte une référence. C’est dire que le Conseil, s’il venait à délibérer sur une
question non prévue – ou en tout cas dont la compétence ne lui a pas été explicitement reconnue – par le traité
de l’UEMOA., il devrait le faire en se fondant sur le texte de base qu’est le traité de l’UMOA. La règle de l’unanimité
édictée par l’article 2 de ce traité trouverait donc à s’appliquer, même si la règle semblait édictée pour des
domaines bien spécifiés.
Et justement, pour ce qui concerne les compétences dévolues au conseil par le traité de l’UMOA., et qui relèvent
presque exclusivement du domaine monétaire, le maintien de l’unanimité comme règle de délibération ne souffre
guère de débat : l’exercice de ces compétences par le Conseil est donc toujours soumis à la dure loi de
l’unanimité, puisque la règle de l’article 2 du traité de 1973 n’a pas été modifiée par le traité de Dakar, ce dernier
se contentant de renvoyer à ce qui était en vigueur avec l’ancien traité4. L’unanimité comme règle de délibération
n’est donc pas encore un souvenir, mais une réalité vivace dans l’UEMOA.5, du moins en ce qui concerne la
Conférence et le Conseil dont le caractère intergouvernemental.

§ 2 : Les modalités supranationales de prise de décision


Dans l’UEMOA, les modalités supranationales se retrouvent surtout à travers le pouvoir décisionnel du Conseil
des Ministres et de la Commission. La consécration de la majorité comme mode de décision a été faite, non de
façon systématique mais de façon casuistique et empirique. En réalité, on ne peut véritablement parler de
consécration puisque, nulle part, il n’a été question d’ériger la majorité en principe.
Cependant, le traité de l’UEMOA. a procédé à une série d’indications des cas où le Conseil peut arrêter ses
décisions à la majorité des deux tiers de ses membres. Il apparaît, à la fréquence de ces situations, que l’exercice
de la plupart des attributions du Conseil se fait à la majorité qualifiée des deux tiers6 si bien que ce mode occulte
pratiquement la condition de principe de délibération qu’est l’obtention de l’unanimité des voix.
Cet abandon est synonyme de la négation aux Etats du droit de veto. De ce fait, il bat en brèche les velléités de
souveraineté, puisque désormais un Etat peut se voir imposer une réglementation qu’il aura pourtant combattue
par le biais de sa représentation au sein du Conseil. En un mot, l’abandon de l’unanimité comme principal mode
de décision permet au processus décisionnel de l’UEMOA de franchir les barrières de l’inter-étatisme.
S’agissant de la Commission, ses délibérations sont acquises au terme d’un vote formel réunissant la majorité
simple des suffrages des membres. La voix du Président est toutefois prépondérante en cas de partage des
suffrages7. Mais il est important de souligner que les articles 19 à 21 du Règlement intérieur de la Commission
instaurent une procédure écrite. Ainsi, le Président ou un membre de la Commission peut-il soumettre un dossier
à ses collègues en les priant de faire part de leurs observations et objections dans un délai déterminé. Passé
celui-ci, leur accord est réputé acquis et permet d’estimer que la décision envisagée est celle de la Commission
dans son intégralité.

4
Voir. Article 61 du traité de l’UEMOA.
5
Voir infra l’incidence de ce mode sur la nature du processus.
6
Ainsi par exemple, pour l’adoption des règlements ou directives nécessaires pour la réalisation des programmes
d’harmonisation des législations arrêtés par la CCEG, le Conseil y procède à la majorité des deux tiers (Voir article 61).
Ainsi également de la mise en œuvre de la politique économique de l’Union (Voir article 64, 65, 66) surtout pour la mise
sur pied du mécanisme de surveillance multilatérale des politiques macro- économiques (Voir article 67 à 75) ou de la
politique commerciale, (Voir article 82 à 87), ainsi également de l’établissement du marché commun (Voir article 78 à 81),
de l’adoption des règles de concurrence (Voir article 89).
7
Article 32 et 42 du Traité de l’UEMOA.
2
SECTION II : LA CEDEAO
Les modalités de prise de décision au sein de la CEDEAO étaient classiques. Mais, avec le Traité révisé de 1993
et le Protocole d’amendement de 2006, des modalités supranationales sont envisagées.

§ 1 : Les modalités classiques de prise de décision


Ce sont ces modalités qui prévalaient au sein de la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement et du Conseil
des ministres de la CEDEAO avant la révision de son traité. Tous les actes communautaires étaient pris sur la
base de l’unanimité ou du consensus. Ainsi l’article 6 paragraphe 6 du Traité de 1975 disposait : « Lorsqu’un Etat
membre formule une objection à une proposition soumise pour décision au Conseil des ministres, cette
proposition sera soumise pour décision à la Conférence à moins que l’objection ne soit retirée ». Or, ce dernier
organe ne prenait ces décisions qu’à l’unanimité ou par consensus. Cette situation constituait un obstacle majeur
dans la mise en œuvre d’action positive par la Communauté. Une minorité, voire un seul Etat, pouvait bloquer la
prise de décisions. Cette procédure entraînait également une certaine lenteur dans la prise des décisions dans la
mesure où les décisions n’ayant pas recueilli l’unanimité devaient attendre la Conférence des chefs d’Etat et de
Gouvernement pour être éventuellement adoptées. Ces modalités de prise de décision étaient en déphasage
avec l’esprit d’intégration qui suppose avant tout des abandons de souveraineté. C’est peut-être pour tenir compte
de ces critiques que le Traité révisé innove, bien que timidement, en prévoyant, à terme, quelques modalités
supranationales.

§ 2 : Les modalités supranationales de prise de décision


Contrairement au Traité CEDEAO de 1975, celui de 1993 envisage la possibilité de prise de décisions à la
majorité. Le Protocole additionnel A/SP.1/06/06 de 2006, mentionne que « …les actes de la Communauté sont
adoptés à l’unanimité, par consensus ou à la majorité des deux tiers ». La répartition des matières selon les
différentes modalités sera précisée dans un protocole qui, à notre connaissance, n’est pas encore signé. Pendant
la période transitoire, les décisions comme les règlements continueront d’être pris par consensus ou à l’unanimité.
Bien que ces nouvelles dispositions constituent une innovation, on ne peut s’empêcher d’en relever la timidité. En
effet, seules certaines matières relèveront de la majorité ; qui plus est, il s’agira d’une majorité qualifiée.

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