Vous êtes sur la page 1sur 12

ARTICLE DE LA REVUE JURIDIQUE THÉMIS

On peut se procurer ce numéro de la Revue juridique Thémis à l’adresse suivante :


Les Éditions Thémis
Faculté de droit, Université de Montréal
C.P. 6128, Succ. Centre-Ville
Montréal, Québec
H3C 3J7

Téléphone : (514)343-6627
Télécopieur : (514)343-6779
Courriel : themis@droit.umontreal.ca

© Éditions Thémis inc.


Toute reproduction ou distribution interdite
disponible à : www.themis.umontreal.ca
Droit cambiaire

L’unification des législations relatives aux


lettres de change : un projet laborieux
Martin PINAULT
Avocat (LL.M.), chargé de cours à la Faculté des sciences de
l’administration, Université Laval

Plus que n’importe quelle autre L’expansion toujours grandissan-


branche du droit commercial sans te des échanges commerciaux in-
doute, les législations relatives aux ternationaux et l’emploi d’effets de
effets de commerce ont fait l’objet commerce pour ces opérations ne
d’efforts répétés dans le sens de fait qu’augmenter l’intérêt vis-à-vis
l’unification. Malgré cela, les dispa- cette idée d’unifier les différentes
rités entre les deux principaux lois relatives aux effets de com-
systèmes juridiques relatifs aux merce. Poursuivant cet objectif, la
effets de commerce, soit celui de la Commission des Nations Unies
Convention de Genève portant loi pour le Droit Commercial In-
uniforme sur les lettres de change et ternational (CNUDCI) proposait
billets à ordre1 (ci-après citée : récemment la Convention des
CGLU) et celui que représentent les Nations Unies sur les lettres de
législations adoptées par les pays change internationales et les billets
de common law subsistent tou- à ordre internationaux (convention
jours2. CNUDCI)3.

1. Convention portant loi uniforme sur les let-


tres de change et billets à ordre (Genève, pratiques commerciales ou bancaires ain-
1930). Ce document est reproduit dans si que par les 23 réserves de la CGLU
NATIONS UNIES, Registre des textes des permettant à ses membres de maintenir
conventions et autres instruments relatifs des particularités nationales; Gerold
au droit commercial international, vol.1, HERRMANN, « Background and Salient
New-York, Nations Unies, 1971, p. 154. Features of the United Nations Con-
2. L’affirmation selon laquelle le monde est vention on International Bills of Exchange
divisé en deux régimes juridiques en ce and International Promissory Notes »,
qui concerne les effets de commerce doit (1988) 10 :4 U. Pa. J. Int’l Bus. L. 517,
tout de même être nuancée. Tout d’abord, 519.
quelques pays ne peuvent être associés à 3. Le texte de la Convention CNUDCI adop-
aucun des systèmes. Ensuite, il n’y a pas tée le 9 décembre 1988 par la résolution
d’uniformité complète à l’intérieur de 43/165 est reproduit en annexe au
chacun de ces deux systèmes. Cette non- Rapport du sixième comité à la quarante-
uniformité se manifeste soit au niveau de troisième session de l’Assemblée Générale
la législation, de la jurisprudence, des des Nations Unies (Doc. A/43/820).
170 (1999) 33 R.J.T. 169

Étant boudée par les pays euro- I. La problématique liée à


péens surtout, la convention ne l’unification des législations
pourra achever cette unification relatives aux effets de
tant désirée. Plusieurs pays du commerce
continent ont condamné l’influence
américaine se dégageant des règles A. Historique des travaux dans
prévues à la nouvelle convention et le sens de l’unification
préfèrent, pour cette raison, con-
Avant d’aborder l’étude du
server le statu quo. La CNUDCI,
champ d’application de la conven-
comme ses prédécesseurs, s’est
tion CNUDCI, nous croyons perti-
butée à cette mentalité incon-
nent de présenter brièvement l’his-
tournable des représentants de
torique des travaux dans le sens de
chacun des systèmes de rechercher
l’unification des législations rela-
une solution qui soit plus sem-
tives aux effets de commerce.
blable avec celle avec laquelle ils
L’examen de ce long processus
sont familiers plutôt qu’une solu-
s’avère très révélateur de la nature
tion qui soit d’abord efficace.
des difficultés à surmonter et du
Nous avons tenté de démontrer,
degré d’unification que l’on peut
lors d’une étude antérieure, le com-
raisonnablement espérer obtenir
promis réalisé par la convention
par une convention internationale
CNUDCI, en comparant les règles
telle que la convention CNUDCI.
des deux principaux régimes et
celui de la convention4. Cet ouvra-
ge commente un autre aspect de la
1. Les tentatives
nouvelle loi uniforme : son champ
d’application plus restreint. Dans d’unification avant les
l’ombre des critiques portant sur travaux de la CNUDCI
les règles de fond, ce dernier sem- Faisant logiquement suite à la
ble avoir passé inaperçu auprès réalisation de l’uniformité du droit
des États européens. Pourtant, une de change au sein de plusieurs
plus grande considération de cette pays fédéralistes5, le premier mou-
nouvelle orientation préconisée par vement pour l’unification sur un
la CNUDCI aurait peut-être évité à plan international, enclenché par
la convention CNUDCI d’être ainsi l’Association de droit international,
repoussée du revers de la main. prend forme dès 1863. Cependant,
cette tentative, comme les quelques
autres qui ont suivi d’ailleurs,
n’obtint aucun succès6. Ce n’est

5. Sur la question de l’unification au niveau


interne, voir Daniel FELDER, Étude
comparée de certaines divergences entre
les droits de change des pays anglo-nord-
américains et les pays ayant adopté la Loi
uniforme de Genève eu égard au projet de
la Convention de la CNUDCI sur les lettres
4. Martin PINAULT, « La réconciliation des de change internationales , coll. « thèses
irréconciliables : la Convention des Na- canadiennes », Montréal, Institut de droit
tions Unies sur les lettres de change comparé de l’Université McGill, 1986, pp.
internationales et les billets à ordre 14 et suiv.
internationaux », (1997) 38 C. de D. 503. 6. Id., p. 16.
DROIT CAMBIAIRE 171

qu’en 1910 et 1912, lors des confé- sés à sacrifier les résultats atteints
rences à La Haye, que des résultats par cette dernière unification 11.
concrets voient le jour7. Cette der- Les divergences majeures existant
nière année donne naissance à la entre les deux systèmes consti-
Convention introduisant un règle- tuaient également un obstacle à
ment uniforme sur les lettres de l’adhésion des pays de common law
change et les billets à ordre8. Celle- à la convention de La Haye12.
ci est signée par 17 pays européens Le travail effectué à la Haye n’est
et 10 autres provenant de l’Améri- tout de même pas perdu; il sert
que centrale et de l’Amérique du d’assise aux travaux de la Société
sud. Toutefois, la convention n’est des Nations lors de la Conférence
pas ratifiée, en raison des tensions internationale pour l’unification des
occasionnées par la Première Guer- lois relatives aux lettres de change,
re mondiale qui commence à faire billets à ordre et chèques tenue à
rage à la même époque9. Genève en 1930 et qui a donné
Les États-Unis et l’Angleterre, les naissance à la CGLU. Plus de 40
deux nations les plus commer- pays ont adopté la CGLU ou l’ont
çantes de l’époque, avaient parti- utilisée comme modèle de législa-
cipé à l’ensemble des conférences tion relative aux effets de com-
de La Haye. Ces deux pays avaient merce13. Bien que cette dernière
clairement établi toutefois qu’ils ait achevé un degré considérable
n’entendaient pas apporter de mo- d’harmonisation, elle ne réussit
difications à leur législation relative toutefois pas à rallier les pays
aux effets de commerce quels que anglo-saxons. Cela n’était pas une
soient les résultats obtenus à la surprise : les États-Unis et l’Angle-
conférence10. Cette position se jus- terre avaient manifesté encore une
tifiait par le fait que les pays de fois, lors d’une enquête menée par
common law avaient déjà procédé la Société des Nations en 1923,
entre eux à une certaine uniformi- leurs réticences à modifier leur
sation, suite à l’adoption en An- législation 14.
gleterre du Bills of Exchange Act
(BEA) en 1882 qui a par la suite 11. C’est le cas particulièrement des États-
servi de base à la législation de la Unis qui, à cette époque, avaient tout
plupart des pays du Common- récemment convaincu les gouvernements
wealth. Ils étaient donc peu dispo- de tous les États d’adopter la Negotiable
Instruments Law de 1896 après trente
ans d’efforts; Pascale BLOCH, Les lettres
7. Willem C. VIS, « Unification of the Law of de change et billets à ordre dans les
Negotiable Instruments : The Legislative relations commerciales internationales;
Process », (1979) 27 Am. J. Comp. L. 507, étude comparative de droit cambiaire
508. français et américain, Paris, Economica,
8. La convention est reproduite dans les 1986, p. 11; D. FELDER, op. cit. , note 5,
Actes de la deuxième conférence de La p. 8; Manley O. HUDSON et A. H.
Haye pour l’unification du droit relatif à la FELLER, « The International Unification
lettre de change, de billet à ordre et de of Laws Concerning Bills of Exchange »,
chèque, La Haye, Imprimerie nationale, (1930-31) 44 Harv. L. Rev. 333.
1912, pp. 237-258. 12. D. FELDER, op. cit., note 5, p. 8.
9. Wolfgang Freiherr VON MARSCHALL, 13. W.C. VIS, loc. cit., note 7, 509. En plus de
« Uncitral’s Proposed International Bill of la CGLU, la Convention de Genève réglant
Exchange », (1987) 4 Ariz. J. Int’l Comp. L. certains conflits de lois voyait le jour lors
6, 7; W.C. VIS, loc. cit., note 7, 508. de ces conférences.
10. D. FELDER, op. cit., note 5, p. 17. 14. D. FELDER, op. cit., note 5, p. 18.
172 (1999) 33 R.J.T. 169

Suite aux succès partiels de la bancaires et commerciales19. Ces


CGLU, une nouvelle initiative, ve- questionnaires portent sur les
nant cette fois-ci de l’Institut méthodes et pratiques selon
international pour l’unification du lesquelles les paiements interna-
droit privé (Unidroit), aboutit en tionaux sont actuellement effectués
1950 à la création d’une commis- et reçus, sur les problèmes que
sion chargée d’étudier les moyens pose le règlement des transactions
d’atteindre une plus grande unifor- internationales au moyen d’effets
misation en matière de lettres de de commerce, et sur la teneur de
change et de chèques. Cette com- règles uniformes éventuelles 20. En-
mission conclut dès 1955, que les suite, conformément à la méthode
probabilités d’une unification entre de travail de la CNUDCI, un groupe
les droits des pays de common law de travail formé d’experts sur le
et ceux de la CGLU sont minces; sujet provenant de plus de 50 pays
par conséquent les travaux en est institué en avril 1971 et un
restent là 15. premier projet est rédigé en
197221. Ce n’est qu’en 1981, toute-
fois, qu’une rédaction finale est
2. Le début des travaux de adoptée et communiquée pour
la CNUDCI commentaires. Les critiques adres-
Enfin, la CNUDCI, motivée par sées à ce dernier projet sont
les échecs de ses prédécesseurs, sévères et le groupe de travail doit
décide lors de sa première session revoir le projet en profondeur. En
en février 1968 d’inscrire en fait, devant l’insatisfaction réitérée
priorité à son programme de travail des pays européens surtout vis-à-
le droit des effets de commer- vis le projet, ce scénario se répète à
ce16.La réputation de la CNUDCI et plusieurs reprises. Le travail
son expertise dans le commerce nécessaire à l’achèvement de la
international sont bien établies17. convention s’avéra plus ardu et
La première démarche de cette étendu qu’on pouvait le croire au
dernière consiste à demander à début. Après plus d’une vingtaine
UNIDROIT d’effectuer une nouvelle d’années de travail, le projet est
étude sur la question, à savoir finalement adopté par l’Assemblée
quelle stratégie doit-on employer générale des Nations Unies en
pour atteindre une plus grande décembre 1989, et ouvert à la
unification du droit en matière signature par les États. Au 18 mai
d’instruments négociables 18. De 1998, la convention CNUDCI avait
son côté, la CNUDCI effectue des reçu 3 signatures, soit celles du
consultations à l’aide de question- Canada, des États-Unies et de la
naires détaillés auprès de nom-
breux gouvernements, institutions 19. Rapports de la Commission sur les
travaux de sa deuxième session (1969),
15. W.F. VON MARSHALL, loc. cit., note 9, Documents officiels de l’Assemblée
10. générale, vingt-quatrième session,
o
16. Doc. N.U. A/CN.9/213. Supplément n 18 (A/7618), par. 79, 86
17. Parmi les grands succès de la CNUDCI et 87.
citons la Convention des Nations Unies 20. On peut trouver le texte du questionnaire
sur le contrat de vente internationale de au Doc. N.U. A/CN.9/38. L’analyse des
marchandise. réponses au questionnaire se retrouve au
18. Le rapport de Unidroit est reproduit à Doc. N.U. A/CN.9/48.
l’annexe du Doc. N.U. A/CN.9/19. 21. Doc. N.U. A/CN.9/67.
DROIT CAMBIAIRE 173

Fédération de Russie et 2 ratifi- tants des pays de common law


cations, soit celles de la Guinée et pour cette réticence? Il faut com-
du Mexique22. Elle nécessite 10 prendre qu’un tel ralliement con-
instruments de ratification pour sisterait à demander aux pays de
son entrée en vigueur23 common law de modifier des règles
et des pratiques bien établies dont
B. Les différentes approches à la mise au point a pris un temps
l’unification du droit des considérable et qui semble donner
effets de commerce entière satisfaction dans les tran-
Il était nécessaire de trouver une sactions intérieures.
nouvelle approche originale et effi- Cette méthode implique de plus
cace afin de supprimer la division que le même compromis soit exigé
qui existe en matière d’effets de également des pays européens.
commerce entre le système de droit Évidemment, les changements re-
des pays anglo-saxons et celui des quis à la CGLU afin de la rendre
pays de la CGLU. Découvrir la acceptable aux yeux des pays de
méthode démontrant le plus de common law affecteraient de toute
chances de succès a fait l’objet du évidence les pratiques relatives aux
mandat confié à UNIDROIT en transactions internes des pays
1968. En fait, trois méthodes sont européens. Selon nous, les légis-
envisagées à cette époque. lations des pays de common law et
La première, avancée par les la CGLU étant directement liées
pays de droit civil, consiste à aux concepts traditionnels et
réviser la CGLU pour la rendre principes fondamentaux du droit, il
plus acceptable aux pays de com- paraît peu approprié de boule-
mon law. Toutefois, la profondeur verser l’ordre qu’elles établissent 26.
des divergences entre la CGLU et le Après de longues délibérations, il
système de common law rend peu est convenu à la deuxième session
plausible le ralliement des pays de du groupe de travail que cette
common law à la CGLU24. D’ail- méthode démontre peu de chances
leurs, des critiques sévères envers d’apporter les résultats désirés, les
cette idée avaient été vivement solutions avancées par la CGLU
manifestées dans le passé, et il n’y étant inacceptables aux yeux des
a pas de raison d’espérer un représentants des pays de common
changement de position de la part law27.
des pays de common law 25. Peut- Une autre option consiste à
on blâmer l’attitude des représen- assurer une reconnaissance et une
protection internationales récipro-
ques aux instruments négociables
22. Doc. N.U. Adresse URL :
régis par la common law ainsi
[http://www.un.or.at/uncitral/]
23. Convention CNUDCI, art. 89.
qu’aux instruments régis par la
24. Robert F. BLOMQUIST, « The Proposed CGLU. Cette deuxième méthode
Uniform Law on International Bills of
Exchange and Promissory Notes : A 26. Sur les auteurs partageant notre opinion,
Discussion of Some Special and General voir Pascale BLOCH, « Le projet de
Problems Reflected in the Form and convention sur les lettres de change
Content, Choice of Law, and Judicial internationales et les billets à ordre
Interpretation of Articles », (1979) 9 Calif. internationaux », (1979) 106 Clunet 770,
W. Int’l L.J. 30, 31. 774.
25. W.C. VIS, loc. cit., note 7, 509; G. 27. W.C. VIS, loc. cit., note 7, 509; G.
HERRMANN, loc. cit., note 2, 521. HERRMANN, loc. cit., note 2, 521.
174 (1999) 33 R.J.T. 169

suppose l’élaboration d’une règle convention y parvient en imposant


de conflit de lois. Elle satisfait des conditions de forme particu-
certaines des exigences que nous lières.
jugeons importantes. Notamment,
elle fait disparaître les difficultés II. Les conditions d’application
rencontrées lorsque des effets de de la convention CNUDCI
commerce émis conformément à la
législation en vigueur au lieu A. Le rôle des conditions de
d’émission ne répondent pas aux forme dans la convention
exigences de forme de la loi du lieu CNUDCI
de paiement. Plusieurs difficultés Dans chacun des systèmes
demeurent cependant irrésolues considérés, l’effet de commerce doit
par cette méthode. C’est le cas des obéir à des règles de forme spé-
divergences entre les deux systè- cifiques pour que le document soit
mes concernant les droits du assujetti à la loi relative aux effets
porteur, notamment en cas d’en- de commerce applicable. À titre
dossement faux, ainsi que ceux d’exemple, l’effet de commerce doit
concernant la garantie, dont l’af- être écrit, signé et daté. Le rôle
faire Montage c. Irvani en est un premier de ces exigences est de
exemple frappant28. Par consé- permettre au porteur d’identifier le
quent, un régime juridique complet document comme instrument né-
obtenu par la rédaction d’un gociable et d’évaluer à la lecture de
nouveau texte apparaît préférable. l’effet s’il pourra bénéficier du
Enfin, la troisième méthode, principe de l’inopposabilité des ex-
suggérée par UNIDROIT dans son ceptions.
rapport établi en 1955 29, et La convention CNUDCI contient
finalement adoptée par la CNUDCI aussi des exigences relatives aux
dans la convention actuelle, con- conditions de forme de l’effet de
siste en la création d’un nouvel commerce. Certaines d’entre elles
instrument négociable réservé aux ont un rôle identique à celui que
transactions internationales. Cette jouent les exigences imposées par
méthode, moins ambitieuse, ne re- la CGLU et par les législations en
cherche plus une uniformisation vigueur dans les pays de common
complète des lois relatives aux law. D’autres exigences de forme
lettres de change, mais vise seule- sont particulières à la convention
ment à établir un régime unifié CNUDCI et elles agissent plutôt à
pour les seuls effets internatio- titre de règle de conflit de loi31. En
naux, désignés comme tels30. La
31. Soulignons que le paragraphe 3 de
28. G. & H. Montage G.m.b.H. c. Irvani, [1990] l’article premier de la convention CNUDCI
1 W.W.R. 667 (C.A.). exclut expressément les chèques de
29. Les conclusions du rapport sont l’application de la convention. Compte
reproduites à Doc. N.U. A/CN.9/19, tenu de la trop grande différence entre les
Annexe 1. Cette approche avait été règles relatives aux chèques de chacun
également préconisée par une sous- des systèmes, le groupe de travail a
commission d’UNIDROIT dans un rapport décidé lors de sa quatorzième session que
établi en 1955 : Doc. N.U. A/CN.9/213. le projet de convention sur les lettres de
30. Alain PRUJINER, Traités et documents change internationales et les billets à
internationaux usuels en droit du ordre internationaux et les règles
commerce international, Montréal, Wilson uniformes applicables aux chèques
et Lafleur, 1992, p. 107. internationaux feraient l’objet de deux
DROIT CAMBIAIRE 175

effet, la convention CNUDCI se le texte de l’expression suivante


distingue des autres conventions « Lettre de change internationale
internationales en ce qu’elle ne (Convention de la CNUDCI) », s’il
remplace pas les législations natio- s’agit d’une lettre de change33 ou
nales en vigueur mais elle vient « Billet à ordre international (Con-
plutôt s’ajouter à celles-ci. Elle doit vention de la CNUDCI) » s’il s’agit
donc contenir des dispositions qui d’un billet34. Ce formalisme s’ins-
ont pour fonction de déterminer pire de l’article premier de la CGLU
son champ d’application. L’accom- qui exige que les termes « Lettre de
plissement ou non des formalités change » ou « Billet à ordre » appa-
prévues par ces dispositions lors de raissent sur l’effet35. Le système de
l’émission de l’effet de commerce common law, quant à lui, ne fait
détermine si l’effet est régi par la pas d’une telle désignation une
nouvelle convention ou par une loi condition de validité de l’effet de
nationale qu’appliquerait le for commerce 36.
saisi d’un éventuel litige. Ces Par cette exigence, la convention
conditions ont trait à la volonté des CNUDCI ne fait pas que choisir
parties d’utiliser la convention entre le formalisme de la CGLU et
CNUDCI, au caractère internatio- la souplesse du système de
nal et à l’adhésion par les États à common law. Cette condition re-
la convention CNUDCI. pose plutôt sur la nécessité de
déterminer, à la lecture de l’instru-
B. La volonté des parties ment, s’il est soumis ou non aux
d’utiliser la convention règles uniformes. Par cette mention
CNUDCI sur l’effet, il sera facile pour les
La voie adoptée par la CNUDCI, parties à qui l’effet est négocié de le
soit la création d’un nouvel ins- distinguer des instruments tradi-
trument de commerce, fait en sorte tionnels. Cela n’est pas sans con-
que la ratification de la convention séquence pour elles puisqu’elles
CNUDCI par les États ne signifie consentent à être liées par le
pas que leurs résidents soient régime unifié dès lors qu’elles
automatiquement régis par la nou- apposent leur signature sur l’effet
velle loi unifiée lors de l’émission de commerce international ou l’ac-
d’un effet de commerce. L’ap- ceptent.
plication des règles de la conven-
tion CNUDCI est entièrement facul- 33. Convention CNUDCI, art. 1(1).
tative et reste à la discrétion du 34. Id., art. 1(2).
35. Outre le fait qu’elle attire l’attention des
tireur ou du souscripteur32. Cette
signataires sur les obligations rigou-
intention doit être clairement reuses découlant de l’effet de commerce,
manifestée sur l’effet par l’inscri- cette exigence est indispensable en ce
ption à son en-tête ainsi que dans qu’elle distingue l’effet de commerce du
chèque qui a un régime complètement
textes distincts, et non d’un seul texte différent dans les pays des Conventions
intégré : Doc. N.U. A/36/17. de Genève; M.O. Hudson et A.H. FELLER,
32. Pour cette raison, John A. Spanogle loc. cit., note 11, 349; René ROBLOT, Les
qualifie la convention CNUDCI de effets de commerce, Paris, Éditions Sirey,
« international private law » : John A. 1975, p. 113.
SPANOGLE, « The U.N. Convention on 36. Loi sur les lettres de change (LLC), L.R.C.
International Bills and Notes (CIBN): A (1985), c. B-4, art. 16; BEA, section 3(1)
Primer for Attorneys and International et 83(1); Uniform Commercial Code (UCC),
Bankers », (1992) 25 UCC L.J. 99, 100. section 3-104.
176 (1999) 33 R.J.T. 169

Permettre aux parties de décider indiqués sur la lettre ou le billet,


des règles applicables à leur tel que le lieu où l’effet est tiré ou
transaction est un avantage non souscrit, le lieu désigné à côté du
négligeable mis de l’avant par la nom du tiré ou de la signature du
convention. Celle-ci pourra alors souscripteur, le lieu désigné à côté
être laissée de côté lorsque les du nom du bénéficiaire ou le lieu
solutions qu’elle prévoit ne corres- de paiement sont situés dans des
pondent pas aux besoins par- États différents38. Il faut de plus,
ticuliers des parties. De plus, com- dans le cas de la lettre de change,
me toute autre nouvelle loi unifiée, que le lieu où elle est tirée ou le
certaines inquiétudes ont été lieu du paiement soit mentionné
manifestées à l’égard de la conven- sur la lettre. Dans le cas du billet,
tion. Les praticiens et opérateurs c’est le lieu de paiement qui doit
du commerce moins audacieux nécessairement être précisé sur le
pourront ainsi ne pas utiliser la loi billet. L’article 2 de la convention
unifiée en attendant qu’elle ait fait CNUDCI prévoit ainsi la plupart
ses preuves. des situations où les effets de
Malgré ce choix laissé aux commerce sont utilisés dans les
parties, la nouvelle convention ne opérations internationales39. Par
constitue pas la consécration du conséquent, la faculté des parties
principe de l’autonomie de volonté. d’utiliser la convention demeure
À cette volonté des parties, s’a- très étendue.
joutent d’autres conditions pour En exigeant que deux ou plu-
que la convention CNUDCI puisse sieurs lieux soient indiqués sur
s’appliquer. l’effet de commerce, la convention
CNUDCI emprunte un formalisme
C. Le caractère international de qui s’apparente à celui de la
l’effet de commerce CGLU40. Le système de common
Les commentaires adressés aux law ne contient pas de telles
projets antérieurs à la convention exigences. Néanmoins, les enquê-
CNUDCI ainsi que les études tes menées auprès des institutions
effectuées par UNIDROIT démon- bancaires démontrent qu’il est une
trent que plusieurs États ne sont pratique courante dans les pays
pas prêts à remplacer leur anglo-saxons d’indiquer sur l’effet
législation nationale établie par de l’endroit où l’effet est tiré ou
nouvelles règles uniformes37. Don- souscrit ainsi que l’endroit où le
ner satisfaction à ces États est paiement doit être effectué41. Par
effectivement possible par la créa- conséquent, les usagers de ces
tion d’un nouvel effet de commerce pays ne devraient pas éprouver
et la convention CNUDCI prévoit trop de difficulté à s’ajuster à cette
que l’effet de commerce doit avoir nouvelle formalité.
un caractère international pour
qu’elle s’applique à celui-ci.
Le caractère international de 38. Convention CNUDCI, art. 2.
l’effet apparaît à la lecture de celui- 39. Doc. N.U. A/CN.9/213; P. BLOCH, loc.
ci. L’effet a un caractère interna- cit., note 26, 778.
40. CGLU, art. 1(5), 1(7), 75(4) et 75(6).
tional en vertu de la convention
41. Jürgen DOHM, « Draft Uniform Law on
CNUDCI si au moins deux lieux International Bills of Exchange and
International Promissory Notes », (1973)
37. Doc. N.U. A/CN.9/SER.A/1970. 21 Am. J. Comp. L. 474, 482.
DROIT CAMBIAIRE 177

Encore une fois, ces conditions désignation incontestable du ré-


de forme exigées dans la nouvelle gime juridique applicable est né-
convention, bien qu’elles soient cessaire selon nous car la sécurité
similaires à celles de la CGLU, se des transactions effectuées au
justifient cependant par des consi- moyen des lettres de change inter-
dérations différentes. Plusieurs nationales ou billets à ordre
États avaient manifesté le désir internationaux en dépend46.
que la nouvelle loi unifiée ne puisse L’application de la loi unifiée
s’appliquer aux transactions in- qu’aux seuls instruments interna-
ternes. Les dispositions de la tionaux constitue sûrement le
convention CNUDCI visent donc à progrès le plus remarquable par
vérifier le caractère international de rapport aux solutions proposées
la transaction. Ainsi, les parties à précédemment à la convention
l’effet ne peuvent faire en sorte que CNUDCI. En effet, le prix à payer
les nouvelles règles supplantent les pour une harmonisation du droit
lois et pratiques nationales dans la des instruments négociables peut
mesure où celles-ci se rapportent à s’avérer élevé s’il faut bouleverser
des transactions internes 42. les pratiques en ce qui concerne les
Néanmoins, le caractère inter- transactions locales pour l’obtenir.
national de l’effet de commerce est D’ailleurs, les nombreuses réserves
complètement indépendant de la effectuées par les États membres
transaction sous-jacente. Si le titre de la CGLU attestent de l’hésitation
rencontre les conditions énumérées des États à implanter dans le droit
plus haut, il y a une présomption national un régime juridique inter-
irréfragable de soumission de l’effet national unifié qui se marie mal
à la convention CNUDCI43. Le fait avec les principes de ce droit natio-
de porter sur l’effet une mention nal47.
inexacte, quant au lieu de l’émis- Cette alternative ne constitue
sion par exemple, dans le but de le pas pour autant une semi-
soumettre aux nouvelles règles unification ou une unification in-
uniformes ne lui enlève pas sa complète. Une unification du droit
validité en tant que lettre de n’est nécessaire que lorsque les
change ou billet à ordre internatio- disparités entre deux régimes
nal44. On attache plus d’impor- causent des problèmes pratiques à
tance à la forme de l’effet qu’à la cause de la pluralité des règles
véracité de son contenu45. Une
est laissée au droit national applicable;
convention CNUDCI, art. 2(3).
46. La convention CNUDCI répond à ce
42. CNUDCI, COMMISSION DES NATIONS besoin également par des exigences telles
UNIES POUR LE DROIT COMMERCIAL que celle relative à la mention à l’intérieur
INTERNATIONAL, La commission des du texte de l’effet, des mots prévus à
Nations Unies pour le droit commercial l’article premier; ce qui permet d’éviter
international, New-York, Nations Unies, toute fraude en modifiant le caractère de
1987, p. 24. l’effet après son émission au moyen d’un
43. Convention CNUDCI, art. 2(3). ajout; R.F. BLOMQUIST, loc. cit., note 24,
44. Selon Dohm, ce ne serait même pas une 36.
défense contre un porteur qui savait 47. Fairfax LEARY Jr. et Théodore H.
qu’un élément était faux : J. DOHM, loc. HUSTED Jr., « An Approach to Drafting
cit., note 41, 480. an International Commercial Code and a
45. La question des recours contre celui qui Modus Operandi Under Present Laws »,
aurait fait de telles fausses déclarations (1949) 49 Colum. L. Rev. 1070, 1073.
178 (1999) 33 R.J.T. 169

applicables48. Les effets internes une condition de trop. D’une part,


n’étant soumis qu’à un seul ré- elle restreint injustement et de fa-
gime, le droit les concernant n’a çon considérable le champ d’appli-
donc pas à être unifié. La méthode cation de la convention. En intro-
d’unification proposée par la duisant cette exigence, la CNUDCI
CNUDCI correspond donc aux semble avoir oublié le rôle joué par
expectatives des États qui dési- les deux exigences vues précédem-
raient conserver le statu quo ment (volonté des parties d’utiliser
concernant les effets de commerce la convention CNUDCI et caractère
qui ne devaient pas dépasser leurs international de l’effet). Celles-ci
frontières49. suffisent à protéger les parties
contre les effets non souhaités de
D. L’adhésion par les États la convention. De quelle façon la
La volonté des parties d’utiliser convention peut-elle avoir des ef-
la convention CNUDCI peut se fets malvenus si elle ne peut
heurter à ce que les États con- s’appliquer sans que les parties y
cernés n’adhèrent pas à la con- aient consenti?
vention. En effet, cette dernière D’autre part, un tel intervention-
prévoit, dans le cas de la lettre de nisme étatique n’a pas sa place en
change, que le lieu où la lettre est droit commercial international. Il
tirée ou le lieu où elle est payée50 faut se souvenir que la convention
doit être situé dans un État CNUDCI préserve la souveraineté
contractant51. Dans le cas du bil- des États pour les instruments qui
let, c’est le lieu du paiement qui ne dépassent pas les limites de
doit être situé dans un État leurs frontières. Les transactions
contractant52. Cette exigence étant commerciales internationales sont
considérée comme le grand compro- effectuées par des professionnels.
mis53 a été ajoutée à la dernière Ces derniers sont donc les person-
minute afin de sécuriser les États nes les plus en mesure pour
non contractants qui affirmaient déterminer les règles les plus
risquer d’être exposés aux effets appropriées pour régir leurs rela-
extraterritoriaux de la loi unifiée54. tions. Le principe de l’autonomie de
Aussi louable qu’apparaît cette la volonté reconnu dans plusieurs
considération, nous pensons que la pays en ce qui a trait au choix de
subordination de l’application de la la loi applicable avait sa place ici et
nouvelle convention à l’adhésion aurait dû être considéré plus am-
par les États des parties à l’effet est plement.

48. G. HERRMANN, loc. cit., note 2, 522. *


49. W.F. VON MARSCHALL, loc. cit., note 9,
14. Voir cependant Doc. N.U. * *
A/CN.9/248 où il est mentionné que
l’Allemagne et l’Australie n’étaient pas L’originalité de la convention
favorables à cette solution. CNUDCI par rapport aux projets
50. Un ou l’autre de ces lieux doit être stipulé antérieurs visant à unifier le droit
dans la lettre, tel que prévu à l’article 2 de change est son champ d’appli-
de la convention CNUDCI.
cation restreint aux effets interna-
51. Convention CNUDCI, art. 2(1).
52. Id., art. 2(2).
tionaux et subordonné à la volonté
53. G. HERRMANN, loc. cit., note 2, 523. des parties d’utiliser la convention.
54. Id., 524. Cette méthode a le grand avantage
DROIT CAMBIAIRE 179

de permettre l’harmonisation sans qui aboutissent au rejet des solu-


que soit affecté le droit relatif aux tions provenant de l’autre système.
transactions qui s’effectuent à Il est permis de se demander si ces
l’intérieur des frontières. traditionnelles jalousies nationales
L’orientation préconisée par la dont nous sommes témoins ne
CNUDCI implique nécessairement rendent pas utopique le projet
des conditions de forme particu- qu’est l’unification des législations
lières qui la distingue des autres relatives aux effets de commerce.
législations relatives aux effets de Le degré de conformité entre la
commerce. Ces exigences qui loi nationale et la loi unifiée est-il à
jouent le rôle de règle de conflit de un point si capital qu’il faille
loi se marient tout de même bien sacrifier l’harmonisation du droit
avec le caractère abstrait et incon- de change? Il faut bien comprendre
ditionnel de l’effet de commerce et qu’une convention internationale
le formalisme cambiaire. Les condi- doit correspondre à des besoins
tions de forme prévues présentent particuliers distincts de ceux pré-
une homogénéité avec les règles sents au niveau local. Cette homo-
des législations nationales en généité tant revendiquée par les
vigueur, celles de la CGLU plus pays continentaux ne peut être
particulièrement. Cela constitue un établie qu’au détriment de l’effica-
avantage non négligeable : dans le cité de la nouvelle réglementation.
cas où le tribunal saisi d’un Dans leur décision quant à leur
éventuel litige ne serait pas situé adhésion à la convention CNUDCI,
dans un État contractant et que la les décideurs politiques devraient
règle de conflit de ce dernier ne considérer davantage son champ
référerait pas à la convention d’application et laisser aux opéra-
CNUDCI, celui-ci va tout de même teurs du commerce international le
reconnaître le caractère négociable soin de juger de la pertinence de la
de l’effet conformément à la loi nouvelle loi unifiée.
nationale applicable.
Les incertitudes et les difficultés
causées par les disparités entre les
lois cambiaires nationales com-
mandent la mise en place d’un
nouveau régime unifié. Pourtant, la
convention CNUDCI n’entrera pro-
bablement jamais en vigueur ne
réussissant pas à obtenir l’appro-
bation des pays continentaux.
Ceux-ci justifient leur position en
dénonçant la saveur américaine se
dégageant des nouvelles règles. Ils
auraient préféré un régime qui res-
semble un peu plus à celui prévu
par la CGLU. L’élaboration de la
convention CNUDCI, à l’instar des
expériences passées, démontre que
la mise en vigueur d’une loi uni-
forme est compliquée par ces atti-
tudes conservatrices et patriotiques

Vous aimerez peut-être aussi