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La vidéo : le fléau pédagogico-narcissique

Condamné d’avance par le manque de réflexion initiale que nous dénoncions ici, l’e-learning
traditionnel a depuis ses balbutiements recours à un format discutable : la vidéo pédagogique
en prise de vue réelle – c’est-à-dire la vidéo dans laquelle quelqu’un vous explique quelque
chose face caméra. C’est devenu un réflexe : lorsqu’un individu estime avoir quelque chose à
vous expliquer, on l’invite (ou il s’invite tout seul) à prendre place devant une caméra et à
dérouler son explication, seul la plupart du temps, l’apprenant étant prié de rester derrière son
écran et de boire ses paroles.
Cet automatisme, pour être devenu incontournable, est-il pertinent ? Pas sûr (c’est un
euphémisme).

E-learning et présentiel : bonnet blanc etc.


La vidéo face caméra est tout d’abord l’archétype du mimétisme béat contribuant à la
stagnation en matière d’e-learning. Puisqu’à l’école, au sens large, les apprenants écoutent et
regardent un expert leur expliquer des choses, on s’est dit qu’il suffisait de copier ce modèle
et de l’adapter à l’apprentissage à distance pour que le tour soit joué. Ce faisant, on a donc
supposé, notamment :

 que s’adresser à un auditoire et parler devant une caméra requièrent les mêmes
compétences
 qu’être face à quelqu’un qui explique quelque chose à une assemblée quelle qu’elle
soit, et dont on fait partie, et se trouver seul devant un écran reviennent au même
 que pour comprendre quelque chose, il suffit de voir et d’entendre un expert
l’expliquer
 que la perception du temps était la même en présentiel et devant son ordinateur ou son
smartphone.

On s’est trompé. En éludant ces problématiques essentielles, on a ouvert la boîte de Pandore


et torturé des générations d’apprenants à coups de vidéos pour le moins gênantes. Je pourrais
céder à la tentation d’étayer mon propos à l’aide de liens édifiants… mais je me bornerai à
décrire à quoi ressemblent les vidéos en question – même si vous voyez déjà très bien, j’en
suis certain, de quoi je parle.
La vidéo punitive
Sur un fond blanc (dans le meilleur des cas, parce que parfois personne n’a imaginé que le
décor pouvait avoir une importance, ce qui donne des résultats atroces – le pire étant encore
l’utilisation d’un fond « numérique » mal maîtrisé, façon préhistoire des effets spéciaux), un
quidam (formateur ou expert souvent, mais jamais acteur) s’escrime à expliquer quelque
chose en émaillant son discours de traits d’humour improvisés (le non-acteur se rendant lui-
même compte au fur et à mesure qu’il ne tiendra pas la distance et qu’il est soporifique)
pendant une durée pouvant aller d’une à x minutes, x tendant vers l’infini (et au-delà).

Résultat : on focalise sur les imperfections vocales (et bien naturelles), les gestes récurrents ou
les postures maladroites (si la vidéo a le malheur d’être en plan moyen) ou les accrocs
vestimentaires de la personne visible, on s’agace devant une improvisation ratée ou la lecture
scolaire d’un prompteur traître, ou l’on stoppe le visionnage à la première phrase incomplète.
Incroyable, non ? parler devant une caméra ne s’improviserait pas, ne pas avoir quelqu’un en
chair et en os à qui s’adresser changerait radicalement la donne, et l’attention d’un apprenant
face à un formateur n’obéirait pas aux mêmes lois que celle d’un spectateur devant son
ordinateur ! Je m’arrête ici, ça fait déjà pas mal de révélations d’un coup.

Merci YouTube
Il faut avouer que l’e-learning subit, à sa décharge, l’influence de YouTube qui diffuse à
longueur de chaînes des vidéos recourant à la même mise en scène. Qui n’est jamais tombé
sur une de ces productions dans lesquelles des amateurs s’efforcent d’intéresser, d’informer
ou de faire rire le spectateur en exhibant – parfois en (trop) gros plan – leurs visages
maquillés ? Qu’est-ce qui pousse tous ces gens à se montrer pour appuyer leur propos (et à
avoir des propos, mais c’est un autre débat) ? À quoi cela sert-il de voir celui ou celle qui
nous explique quelque chose si l’on ne peut pas lui parler ? établir une proximité ? mimer la
confidence ? Je ne sais pas, mais c’est la mode. En tout cas, si ce dispositif a un intérêt au
niveau du narcissisme planétaire, d’un point de vue pédagogique, c’est complètement inutile.
Que faire ?
Pour finir, quelques conseils pour réussir une vidéo pédagogique et ne pas endormir ou agacer
vos apprenants :

 ne montrez que ce qui est nécessaire (vous ne l’êtes pas, enfin pas forcément)
 rédigez minutieusement le texte qui sera entendu
 soyez convaincu qu’un schéma ou une image en dit plus sur votre sujet que votre
visage ou celui de votre expert
 interrogez-vous avant de commencer sur ce que la vidéo peut apporter, en tant que
média particulier, à l’explication. Vous pourriez vous rendre compte qu’un article ou
une image feraient parfaitement l’affaire.

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