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« Par le chant, la foi est expérimentée comme un cri éclatant de joie et d’amour,
une attente consciente de l’intervention salvifique de Dieu »
Jean-Paul II, Lettre aux artistes
Un chant liturgique
Il est donc possible, en langue française, de produire autre chose que de la musique sacrée
académique ou des chants pour veillées scoutes ! Enfin une vraie musique liturgique, qui
transcende tout sentimentalisme et chante, au cœur de l’Eglise en prière, le mystère d’un
Dieu infiniment proche mais trois fois saint ! Tel fut, pour beaucoup, le premier
émerveillement suscité par la musique « gouzantine ».
Le secret de cette réussite se cache dans une inspiration profondément pascale, suivant en
cela l’intuition fondamentale de la réforme liturgique pré- et post-conciliaire : toute la
célébration liturgique, toute l’année liturgique, mais aussi tout l’office choral d’une journée
jaillissent du mystère pascal « comme une série d’ondes concentriques à partir du point
d’impact de la vigile pascale. »1 pour en exprimer tour à tour les innombrables facettes. Or,
Pâques n’est pas d’abord un dogme ou une idée mais le drame du Christ - au sens
étymologique d’action -, son passage de la mort à la Vie. Et la liturgie, par sa puissance
mystagogique, nous rend participants de cette action divine. De là le second
émerveillement : être introduits par la musique en ce mystère de régénération pascale.
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Introduction au volume 1 des partitions de la Liturgie de Pâques et du Temps pascal, éd. de Sylvanès,
diffusé par adf-bayard.
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A partir de cette intuition fondatrice, le fr. Gouzes s’est attaché à proposer un ensemble de
chants aux saveurs et aux couleurs diverses, selon les différents temps liturgiques. Les
mélodies et les chants ne sont pas pour lui interchangeables comme c’est encore trop souvent
le cas, mais chacun convient à un temps précis, à une facette du mystère chrétien célébré. Un
autre émerveillement fut de découvrir que ces mélodies typées avaient généré au fil des ans,
pour chacun des temps liturgiques, comme un « éthos » communautaire intérieur. Proposer
un corpus à la fois cohérent et diversifié couvrant la totalité de l’année liturgique, mais aussi
les fêtes de la Vierge Marie, celles de chacun des Apôtres et de plusieurs saints du sanctoral,
fut pour André l’œuvre de toute une vie. Avec les offices de laudes et de vêpres, nous
disposons ainsi de plus de 3000 pages de musique, ce qui est assez unique dans la
production contemporaine.2
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La plupart de l’œuvre est désormais disponible sur le site http://www.adf-bayardmusique.com, mais
de nombreuses pièces, en particulier sur s. Dominique, ste Catherine, s. Thomas d’Aquin ou la bse
Agnès de Langeac demeurent malheureusement composées « pro manuscripto ». Il ne faudrait pas les
laisser se perdre…
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Honorius III, 18 januarii 1221.
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Jacques Kauffmann, organiste du couvent de l’Annonciation à Paris.
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Une création musicale
S’il fallait maintenant caractériser la composition proprement musicale de l’œuvre de
Gouzes, nous retiendrions comme essentielles ces deux notes :
- le recours constant au patrimoine ancien de l’Eglise : chant grégorien modal, mais
aussi chant populaire, motets de la Renaissance, choral luthérien ou des frères moraves,
polyphonie byzantine russe, cantillation hébraïque… On peut y déceler la volonté de puiser
aux sources de l’église indivise. Mais ces sources multiples, comme l’écrit un ami organiste 5,
le frère André « se les est appropriées au point d’en faire quelque chose d’éminemment
personnel » et du coup, d’extrêmement cohérent. Se faisant, il a œuvré pour que le peuple de
Dieu puisse conserver ou se recréer une mémoire musicale de sa propre tradition. Il a par là
même œuvré liturgiquement, à travers le dialogue des cultures musicales, au dialogue
œcuménique.
- une création « de haute tenue mélodique et harmonique6 », souvent très élaborée,
malgré la contrainte astreignante de composer une musique facile à exécuter par des non-
professionnels. Bannissant les enchaînements harmoniques fades, son écriture utilise une
harmonie verticale simple et très souvent le faux-bourdon slavon, qui sait si bien faire prier
et qui fut lui-même influencé par la pratique occidentale.
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liturgiques, la mystérieuse alchimie entre l’inspiration du compositeur, le monde de la
culture et l’attente secrète de ceux qui viennent là, croyants ou non. Combien sont-ils à être
arrivés un jour en ce lieu perdu d’austère beauté et à en être repartis transformés par les
rencontres d’amitié, de beauté, de vérité, quelquefois re-nés à la vie de Dieu et de l’Eglise
grâce à la liturgie ? Car Sylvanès, ce sont des célébrations, des sessions de chant liturgique au
moment des grandes fêtes, des sessions musicales, mais pas seulement, des colloques
spirituels ou théologiques, et aussi un superbe festival international de musiques sacrées,
« Musiques du monde », programmé chaque été. Et ce dont tous conviennent, c’est que ce
lieu a une âme, et que la qualité des rencontres en est comme la meilleure publicité. Pour
faire vivre Sylvanès, le frère Gouzes aidé par son ami de toujours Michel Wolkowitsky, s’est
dépensé sans compter en en faisant un lieu fort de prédication, « à la périphérie » de nos
couvents et autres institutions ecclésiales. Non, la beauté n’empêche pas d’être missionnaire,
bien au contraire !
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Expression empruntée à P. Trainar dans Les ruptures fondatrices de la poésie d’aujourd’hui.
10
Homélie prononcée le 18 août 1996 à Sylvanès lors d’une messe radiodiffusée sur France-Culture,
texte repris dans Louange et beauté, n°2, p.6-7.
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l’authentique spiritualité chrétienne qui est une spiritualité de l’incarnation et de
l’inhabitation divine. De jeunes frères, musiciens eux aussi, se lèvent dans nos Provinces :
puissent-ils faire leur miel de la musique du Père Gouzes et de son exemple de prédication
par la beauté liturgique.
Merci frère André d’avoir éveillé des aurores en bien des vies.