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RAM0010.1177/0767370118768518Recherche et Applications en MarketingBrobie

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Recherche et Applications en Marketing
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Les représentations visuelles des © l’Association Française du Marketing, 2018
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biens et des services par leurs sagepub.co.uk/journalsPermissions.nav
DOI: 10.1177/0767370118768518
https://doi.org/10.1177/0767370118768518
marquages : les fondements journals.sagepub.com/home/ram

sémiotiques d’un langage des


marques

François Bobrie
Maison des Sciences de l’Homme et de la Société, Université de Poitiers, France

Résumé
Alors que la littérature marketing s’est abondamment intéressée au concept de « Marque » (brand), elle a
délaissé l’étude du marquage (branding) dans ses dimensions figuratives les plus concrètes. Cet article est
dédié à une enquête sémiotique sur la nature des marquages et sur les principes théoriques qui rendent
compte de leurs constructions visuelles.
Après avoir décrit les outils conceptuels mobilisés, nous montrons à partir d’exemples que le marquage est avant
tout la source d’un récit de l’objet marqué et qu’il ne peut pas se résumer à une somme de stimuli, même codés.
Puis à partir d’un échantillon de bouteilles de différents crus de Bordeaux et du Beaujolais, nous montrons
comment les marquages comme langage visuel permettent de raconter toutes les nuances d’un positionnement
et d’une segmentation à l’intérieur d’une même catégorie puis de se différencier entre catégories.
En conclusion, nous soulignons l’intérêt heuristique d’une étude sémiotique pour comprendre et maîtriser
l’efficacité d’une stratégie de marquage.

Mots-clés
Icono-texte, marquage, marque, plan d’immanence, récit de marques, sémiotique du discours visuel.

Introduction : paroles
de marques, figures des
marquages
Dans les sociétés marchandes contemporaines, la langue. En France, dans des conversations courantes,
plupart des objets de la vie quotidienne peuvent être le bref dialogue fictif suivant ne soulèverait pas
désignés oralement par des noms propres, leurs d’incompréhension particulière :
marques commerciales. Celles-ci s’imposent
fréquemment en substitution du nom commun, du A - « Si tu vas à Auchan, prends la Picasso, mais
lexème, qui les catégorise dans le dictionnaire d’une laisses-moi la Clio, j’en ai besoin ! » ;

Auteur correspondant:
François Bobrie, Maison des Sciences de l’Homme et de la Société, Université de Poitiers, 86, 9, rue des Guérinelles, Val des Vignes,
16250, France.
Email: Francois.bobrie@free.fr
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B- « D’accord, mais en fait je vais faire les fort justement noté sous la notion « d’inférences
courses à Carrefour » ; secondaires » (secondary inferred associations)
(1993 : 10–12), associer un paquet de corn-flakes à
A- « Alors n’oublies-pas mes Danone Nature,
la marque Kellogg’s ou à la marque Frosties ne
prends les Chocapic et les Spécial K pour les
revient pas au même et ne constitue pas une
enfants ».
stimulation équivalente pour le choisir de préférence
à ses concurrents.
Ces verbalisations usuelles des noms de marques Bien que l’immense majorité des produits
apportent aux interlocuteurs un bénéfice sémantique marchands soit désignée simultanément par deux,
immédiat : il atteste de la réalité incontestable des trois, voire quatre marques différentes, cette
lieux et des produits cités. Les marques indiquent complexité est rarement prise en compte par les
une existence tangible des choses nommées par recherches sur l’influence des marques, qui, à
rapport à l’emploi des termes d’une langue, par quelques notables exceptions près (Aaker et
définition virtuels. A les énoncer et à les entendre, Joachimsthaler, 2000 ; Marion, 1987 ; Strebinger,
ou à les lire, chacun peut reconstituer une somme 2004), ne semblent s’intéresser qu’à « la marque »
d’informations mémorisées de ce qu’elles désignent, au singulier. Pourtant, ce que montrent les
plus précise et plus étendue en significations transactions concrètes des marchés de milliers de
cognitives et affectives que si l’interlocuteur avait produits, c’est moins la présence d’une marque
usé des mots /magasin/ ou /hypermarché/, /voiture/ toute puissante, fût-elle considérée comme une
ou /automobile/, /yaourt/, /céréales au chocolat/ ou / « icône » (Holt, 2004), que le déploiement d’un
céréales complètes/, etc. (Kripke, 1972 ; 1982). Les marquage constitué d’un assemblage de marques.
noms de marques comme tous les noms propres Leurs interactions minutieusement calculées par le
débanalisent ce qu’ils spécifient. Ils identifient à la design de leurs mises en valeur visuelles forment le
fois des entités du monde réel, ou leurs texte d’un message figuratif cohérent, nécessaire
représentations fictionnelles, et les différences que aux échanges. Dans l’expérience vécue des marchés,
celles-ci actualisent par rapport à la catégorie les images l’emportent sur les mots (Schroeder,
abstraite qui les définissent en langue. 2002). Ceux-ci ne sont finalement qu’une forme
Néanmoins ces formulations qui semblent « aller rhétorique de métonymie orale dans laquelle la
de soi » pour tout un chacun soulèvent plusieurs désignation vaut pour tout un texte de marquage qui
problèmes dans la perspective d’une observation vaut lui-même pour le produit marqué.
scientifique des échanges des biens de Cet article est consacré au marquage (branding)
consommation. Tant pour le linguiste, que pour le des biens marchands. Il vise à expliquer leur
marketer et le sociologue, ces modes de désignation construction et comprendre leur nécessité pour
ne sont rien moins qu’évidents. Une première tous les acteurs économiques. Nous cherchons à
interrogation apparait pour rendre compte du nom dépasser les limites des études sur « la marque »
propre utilisé pour faire référence à l’objet dont on (brand) comme objet conceptuel isolé, découplé
parle : dans l’exemple ci-dessus, on aurait pu dire d’applications empiriquement observables dans
Citroën plutôt que Picasso, Renault plutôt que Clio, des marquages, telles qu’elles ont été relevées à la
et former les expressions Chocapic de Nestlé ou suite de Keller en 1993 (Jourdan, 2001 ; Merunka,
Kellogg’s-Special K ou encore Special-K-All bran, 2002 ; Heding et al., 2009 ; Conejo et Wooliscroft,
voire All-bran tout court, etc., sans changer le sens 2015).
de ces énoncés. Si ces commutations ne posent pas Cette mise en perspective des marques par rapport
de difficultés pour une analyse linguistique des à leurs places dans des marquages soulève une
marques, afin de désigner efficacement un objet seconde interrogation quant à leurs positions
posé comme prédicat, il n’en va pas de même pour épistémologiques. Quels sont les signes linguistiques
le marketing qui s’interroge classiquement sur les et iconiques qui composent un marquage ? Si une
effets des perceptions de marques sur les choix et phrase comme : « j’ai vu le nouveau S8 Plus sur
les achats de « consommateurs ». Comme Keller l’a internet, il me plait bien », est compréhensible à un
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interlocuteur, ce n’est pas seulement parce que aux autres grandeurs, à l’origine des préférences d’un
« S8plus » est une métonymie pertinente pour produit, elle est par principe insécable. Concrètement
désigner un téléphone portable. Cette forme on ne saura jamais ce qui l’emporte dans la
d’expression présuppose la médiation antécédente connaissance favorable du téléphone entre Samsung
d’une image partagée. L’objet téléphone s’identifie ou S8 ou Galaxy.
en réalité par le texte « Samsung, Galaxy, S8Plus », Ensuite, (ii), le modèle exclut la possibilité de
qui contient toutes les virtualités différentielles du comprendre le degré de pertinence de la conception
sens de cette identité développée. De surcroît, celle-ci ex ante d’un marquage comme représentation
n’est pas faite seulement de mots mais des éléments figurative des significations d’une valeur de
iconiques qui les accompagnent : logotypes des consommation du produit, avant toutes déclarations
différentes marques réunies, mises en scène ex post de consommateurs interrogés.
graphiques et spatiales de leurs relations, motifs Finalement, (iii) il ne permet pas plus de
décoratifs et/ou illustratifs associés, etc. On comprend distinguer dans les préférences verbalisées, ce qui
aisément que face à ces débordements de stimuli, est l’effet d’une expérience, effective ou virtuelle,
quelques recherches (Aaker, 1991 ; Jourdan, 2001) de la consommation du produit ou d’une (re)
concernant l’influence de « la » marque sur le choix connaissance a priori de ses « attributs » par son
d’un produit particulier se soient interrogées sur les marquage (ou par la diffusion de celui-ci par la
limites de leur approche méthodologique et recourent communication).
in fine à des simplifications conceptuelles et éliminent A l’inverse, pour surmonter ces limites, cet
la différence entre marque et marquage. article prend comme fondement épistémologique la
De fait, pour Srinivasan (1979), pionnier des réalité des marquages comme « figures » sémiotiques
travaux sur l’importance des marques dans le choix d’un langage destiné à décrire le sens de la mise en
des biens de consommation, marque et marquage ne marché des objets marqués. Cette réalité est
sont jamais distingués : ils forment de façon accessible à la fois par des formes sensibles de
indissociable « un reste », une grandeur résiduelle représentations visuelles (des signifiants) et par les
qui ne peut être rattachée à aucun des attributs qui significations qui leur sont corrélées (des signifiés).
influent sur les demandes d’un produit. Ainsi, la Il s’agit ici d’observer des faits langagiers objectifs,
marque, ou plutôt ici le marquage, est théoriquement des mots et des images énoncés, indépendamment
ce qui permet de départager deux produits qui de toutes les restitutions psychologiques que
auraient exactement le même poids de « paniers pourrait en faire un lecteur par la suite. Sur un plan
d’attributs » dans la formation des préférences des pratique et managérial, il s’agit de répondre à la
consommateurs. Dès lors peu importe que ce question : comment peut-on construire ex ante un
« résidu » soit causé par telle ou telle marque ou tel marquage pour qu’il raconte au mieux le produit
ou tel signe perçu et mémorisé. Les marquages et les qu’il représente pour des publics visés, face aux
marques qui les composent n’ont plus besoin d’être récits de ses concurrents ?
étudiés comme des objets empiriques du monde réel Dans une première partie, nous examinerons, en
mais seulement indirectement, en creux, comme des nous appuyant sur un exemple commun, comment
expressions actuelles « d’associations mentales », pourrait être décrit le marquage des biens et des
(Aaker, 1991 ; 1996), causes psychologiques services en tant qu’objet sémiotique, c’est-à-dire
virtuelles, indéfinies, d’attitudes et de comportements comme un ensemble structuré d’éléments
(Leuthesser, 1988). linguistiques (verbaux) et d’éléments iconiques non
Ce modèle cognitiviste de traitement d’information verbaux. Puis dans une seconde partie, nous
installe une triple aporie. Tout d’abord, (i) il pose soumettrons à une nécessaire vérification empirique
l’impossibilité d’expliquer les effets de chaque signe la pertinence et l’opérationnalité de ces concepts.
du marquage, comme causes directes et spécifiques Nous tenterons alors de rendre compte de la
de l’importance que prend cette grandeur résiduelle différenciation par le marquage de quelques
dans le choix du consommateur. Comme celle-ci bouteilles de vins dans le champ concurrentiel des
n’est mesurable qu’en tant que totalité, relativement appellations d’origine contrôlée de Bordeaux et du
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Beaujolais. Enfin dans une dernière partie, nous Pertinence de l’analyse sémiotique des discours de mar-
ouvrirons la discussion sur l’apport des analyses de quage visuel comme plans d’immanence. La sémio-
la sémiotique structurale à la mise en œuvre des tique n’est pas l’étude des signes, domaine propre à
marquages comme récits de ce qu’ils marquent. la sémiologie (Floch, 2002 ; Marion, 2015). Elle a
pour objet l’étude des discours humains/non
humains et des conditions de production du sens
Comprendre le marquage visuel des lors de leurs mises en forme comme ensembles
biens et des services comme un objet signifiants (Floch, 1995 ; Greimas et Courtés, 1979 ;
sémiotique Marion, 2015). En se situant à l’échelle d’observa-
La sémiotique, science du langage issue des tion des phénomènes discursifs, la sémiotique struc-
recherches en linguistique de Ferdinand de Saussure turale étudie les problèmes posés par les assemblages
(1857–1913), s’est développée depuis sans d’unités signifiantes hétérogènes, et les façons de
discontinuité. Elle est devenue, au fil de ses les sélectionner et de les articuler pour générer l’ho-
avancées, la science des langages, notamment avec mogénéité d’une construction sémantique finale
les travaux de Hjelmslev (1899–1965), Greimas (Greimas, 1966). Un ensemble signifiant peut se
(1917–1992), Floch (1947–2001), et de nos jours, composer de mots et de phrases, de sons, de gestes
de Fontanille, etc. et de mouvements, de signaux, de formes et motifs
En France, dans le contexte des discours visuels, d’odeurs, de sensations tactiles, donc, de
marchands, après les études initiales de Barthes sur fait, de signes multiples et variés. Mais, c’est seule-
les messages de la publicité et sur les significations ment en tant qu’éléments d’une structure de mises
de la consommation en général (1957 ; 1964 ; 1967), en dépendance hiérarchisées, que ces signes langa-
Floch (1985 ; 1989 ; 1990 ; 1995), Hetzel et Marion giers sont objets d’analyses pour une sémiotique,
(1993), Dano (1994 ; 1996 ; 1998), Pasquier (1999 ; qualifiée à ce titre de « structurale » (Hjelmslev,
2005), et Marion (2003 ; 2015), ont montré tout 1943, 1971a ; 1971b)1.
l’intérêt épistémologique et méthodologique de la La sémiotique structurale est particulièrement
sémiotique pour la compréhension des marchés. appropriée pour analyser les marquages des objets
A partir d’exemples courants, on exposera ses marchands qui articulent des énoncés hiérarchisés
règles qui permettent de mettre en récit les qualités afin de communiquer des significations très précises
d’une offre pour des destinataires visés. Ces à partir de signifiants hétérogènes. Les marquages
observations permettront d’introduire les méthodes en tant qu’objets sémiotiques se manifestent par des
et protocoles de reconstitution de l’histoire systèmes de significations très diverses qui génèrent
racontée et des rôles qui jouent les différentes la cohérence du tout de signification énoncé. Il
marques et signes visuels qui la composent. Selon convient de décrire en détail les signes linguistiques,
cette démarche, le marquage apparait finalement iconiques et plastiques qui construisent le sens du
comme un ensemble signifiant qui manifeste un marquage au sein d’un même « plan d’immanence ».
tout de signification homogène, cohérent et (Fontanille, 2007 ; 2008 : 17–36). Le « plan
permanent, en suivant les règles d’une grammaire d’immanence » est un plan d’analyse où l’ensemble
narrative particulière. signifiant pourra être décrit comme une « entité
Au terme de ce processus d’exposition, cette autonome » de contenus sémantiques. Puis on
première partie propose un corpus restreint de étudiera, de façon exhaustive, toutes les relations
définitions concernant cinq concepts applicables réciproques de dépendances nécessaires à la
aux marquages des biens et des services : (i) le plan manifestation de la signification, immanente à
d’immanence, (ii) la structure d’un discours en l’ensemble circonscrit. Il peut s’agir de la totalité du
forme d’icono-texte ; (iii) la syntaxe des actants marquage et le plan d’immanence sera alors le texte
narratifs ; (iv) le schéma narratif ; et in fine complet des marques et signes mobilisés
(v) l’objet-valeurs et les valeurs de consommation, visuellement. Mais l’analyse peut s’effectuer à un
tels qu’ils sont travaillés et convoqués de nos jours plan d’immanence inférieur, celui de chacune des
par la sémiotique structurale. figures qui se forment par association de mots et de
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Figure 1. Plans d’immanence de l’icono-texte Nestlé -Sveltesse-Ferme et Fondant.


Fig 1a : vue d’ensemble : Nestlé Sveltesse Ferme et Fondant.
Fig1b : figure du syntagme Nestlé-Sveltesse.
Fig 1c : figure de la topique Ferme et Fondant.

motifs visuels. Quel que soit la grandeur du plan lui soit propre afin de mettre en place la syntaxe
d’immanence choisi, l’objectif est toujours le même : appropriée à l’expression tabulaire de son message
identifier les contours d’une présence signifiante (Floch, 1995 : 69) et de guider l’interprétation qu’en
d’unités génératrices de significations. Le marquage feront des observateurs-lecteurs. L’exemple du
final tel qu’il apparait à l’observateur est un ensemble marquage d’un paquet de pots de desserts lactés
syncrétique qui fusionne dans une même « icono- allégés permet d’expliciter cette spécificité.
texte » (Fontanille, 2007 ; Nerlich, 1990), plusieurs
figures qui se composent d’unités de langues et Les figures de l’icono-texte, formes d’expression du récit
d’unités iconiques (éléments graphiques et énoncé : l’exemple d’un paquet de pots de desserts lac-
typographiques, déclinaisons chromatiques, tés allégés. Dans la figure 1, les plans d’immanence
ponctuations, motifs illustratifs, mises en page par de l’icono-texte Nestlé-Sveltesse-Ferme et Fondant
conjonction/disjonction, etc.). Ce syncrétisme de permettent d’analyser la construction visuelle de
mots et d’images manifeste l’originalité de la forme ses figures (« son plan de l’expression ») et le
d’expression des marquages par différence à d’autres contenu narratif manifesté (« son plan du contenu »
formes de textes. Cette composition particulière de selon Hjelmslev, 1971a)2.
l’icono-texte diffère des textes conversationnels et Les plans d’immanence de l’icono- texte de
fictionnels purement verbaux, (oraux et écrits), des marquage du paquet se délimitent visuellement sur
textes picturaux (images), des textes musicaux les flancs (fig 1a) de la cartonnette. Cet exemple
(partitions), des textes multimédia (images et sons, confirme la construction de l’icono-texte comme
animés et non animés), etc. une hiérarchie de dépendances (ici, principalement
L’icono-texte présente une particularité verticale, avec translation horizontale de la gauche
sémiotique essentielle par rapport aux textes verbaux vers la droite) : Ferme et Fondant dépend de
classiques : il s’agit d’un texte « tabulaire » (Floch, Sveltesse qui dépend de Nestlé.
1985) et non pas d’un texte linéaire qui se Sur chaque facing, l’icono-texte se compose de
« déroulerait » selon la consécution des phrases puis deux sous-figures : (i) une figure qui réunit dans un
des paragraphes qui le composent. Ici, toutes les même syntagme graphique la marque Nestlé (la
parties du discours s’inscrivent simultanément dans marque caution ou endorser brand du marketing) et
le champ visuel du lecteur et c’est à lui de prendre en la marque Sveltesse (la marque de gamme ou driver
charge la séquentialité des énoncés et leur brand) ; (ii) une figure qui réunit l’ensemble
actualisation sémantique afin de construire le sens iconique illustratif dans la dépendance de la marque
global de l’ensemble. Chaque marquage suppose en Ferme et Fondant, dite « topique » parce qu’elle ne
conséquence une organisation « syntagmatique » qui se manifeste que sur les packagings de ce type de
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produit, à la différence des deux autres qui se sa relation de dépendance avec la précédente permet
manifestent sur de très nombreux produits marqués. de construire la syntaxe narrative de l’icono-texte.
En revanche les blocs textes 0% sont dans la double Parce qu’un produit marchand nécessite un agent
dépendance de cette marque topique par la mise en qui légitime son prix, la marque Nestlé apparait
page, et de la caution Nestlé par le chromatisme celle qui le représente dans le texte de marquage.
bleu saturé. Malgré son cartouche rouge, le bloc Toujours en respectant le principe d’immanence
informatif « Nouveau » ne renvoie pas à Sveltesse et cette conclusion doit pouvoir être partagée
doit être exclu de la structure de l’icono-texte pour logiquement par tout lecteur pouvant lire des lettres
être analysé à part. latines, même s’il ne connait pas au préalable
L’ensemble manifeste la description figurative l’entreprise Nestlé. Outre sa position supérieure qui
des caractéristiques objectives de différentiation initie la lecture, Nestlé est un nom propre adéquat
des produits proposés selon une mise en scène qui pour signifier une entreprise, sans doute puissante
permettra à l’observateur de reconstituer les étapes dans le domaine laitier. La typographie et le
d’une narration d’un positionnement voulu. chromatisme de son logotype s’associent
immédiatement à la fraicheur, à l’énergie et à la
Le syntagme Nestlé-Sveltesse et la mise en place des protection-sécurité de l’aliment désigné (barre du
« actants narratifs ». La figure Nestlé-Sveltesse, /N/ en lettrine). Elle apparait à la fois comme une
comme forme d’expression, établit la liaison forte représentation de l’énonciateur-auteur de l’icono-
des deux marques, accolées dans la même position texte, mais plus important pour le sens du marquage,
supérieure gauche dominante. Le plan du contenu comme la représentation virtuelle du fabriquant
corrélé signifie que Nestlé domine Sveltesse et que légitime et responsable des pots de desserts qu’elle
leur réunion régit l’organisation de l’espace marque. Cette double signification « immanente » à
sous-jacent. la figuration de la marque Nestlé déclenche un
Cet acte cognitif de relier un signifiant et un processus narratif parce qu’elle présuppose à la fois
signifié, éclaire pourtant à lui seul la possibilité et un énonciataire pour le message de l’énonciateur et
l’origine des variations de la figure de rhétorique de un destinataire pour acquérir les pots proposés par
la métonymie, invoquée à propos des exemples des ce destinateur crédible. A ce titre, la figure Nestlé, à
marques « commutées » de l’introduction. Si une un niveau conceptuel sémio-linguistique, tient le
consommatrice s’adresse à un tiers pour indiquer rôle d’un « actant narratif destinateur », c’est-à-dire
« la » marque de ses desserts lactés préférés elle un principe susceptible de « mettre en action » la
pourra dire: « je n’achète que des Nestlé », mais si narration du produit à transmettre à un destinataire
elle constate une rupture devant le rayon elle dira potentiel. A la suite de Greimas (1966) cette relation
plus simplement « il n’y avait plus de Sveltesse », et Destinateur-Destinataire peut être posée comme le
elle pourrait penser, « sans mes Ferme et Fondant je premier axe « semio-narratif » structurant un
vais devoir choisir entre un dessert allégé banal ou « modèle actantiel ». A la manière dont une
un vrai dessert, en oubliant pour une fois mon grammaire permet la construction des énoncés et la
régime ». Cette figuration de plusieurs marques compréhension d’une langue, le modèle actantiel
permet une démultiplication raisonnée de la permet de construire la logique d’un récit et de
désignation du produit marqué, sans perte comprendre la narrativité d’un discours en général,
d’information, mais suggérant un glissement des et ici celui d’un marquage en particulier.
points de vue qui aura une incidence sur le Il faut maintenant identifier l’actant destinataire :
positionnement perçu du produit. On l’a vu plus celui-ci n’est pas directement figuré dans l’icono-
haut, ce phénomène récurrent dans la construction texte mais la marque Sveltesse permet d’en
des marquages est très peu pris en considération par reconstituer la présence suggérée, celle d’un acteur
la recherche marketing. virtuel, en mesure d’incarner l’unité syntaxique du
Au-delà de cette dimension pragmatique, « pour qui ? » l’action narrative a été initiée et sans
l’analyse du plan du contenu de chacune des marques lequel il n’y aurait pas de récit compréhensible
permet d’analyser, au moins partiellement, en quoi possible.
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La signification de la marque Sveltesse Le marquage raconte une double transformation :


présuppose un souci de son apparence physique celle d’une crème allégée banale et de faible intérêt
plutôt partagé par les personnes de genre féminin sensoriel en véritable dessert lacté multi saveurs, et
dans nos sociétés. De même, les clients des produits en même temps celle d’une contrainte frustrante
allégés sont essentiellement des consommatrices. pour répondre aux objectifs d’un régime minceur en
Les concurrents directs exploitent le même champ véritables moments de plaisirs gustatifs. Le récit se
sémantique d’un figuratif féminin : Taillefine construit finalement sur les relations entre quatre
(Danone) et Silhouette (Yoplait). Enfin la actants : (i) un actant personnifié par Nestlé qui fixe
typographie « dansante » et la mise en page du les compétences à mobiliser et les enjeux des
logotype Sveltesse, figurant un mouvement performances à accomplir ; le destinateur ; (ii)
ascendant, amplifie le thème de l’élégance et de la l’actant qui rend compte de la destination de ces
grâce corporelle associé aux gestes et au dynamisme transformations, ce pour quoi et pour qui elles
d’une femme svelte. D’autre part la couleur rouge doivent être effectuées ; le destinataire figurativisé
du cartouche associe un symbole d’énergie à la par la marque Sveltesse ; (iii) l’actant qui effectue
typographie blanche en réserve, figurant un poncif les transformations, l’opérateur de l’action décrite :
de la relation lait-vitalité. L’axe de la relation de le sujet narratif actorialisé par Ferme et Fondant ;
dépendance réciproque entre l’actant destinateur et (iv) ce qui se transforme : soit l’objet, obtenu par le
l’actant destinataire installe « le mini-univers destinataire qui en sera lui-même transformé, qui se
sémantique » du récit, (Greimas, 1966 :173), celui manifeste principalement par toute la figure Ferme
des produits laitiers allégés. Il faut ensuite décrire les et Fondant, mais aussi par la marque Sveltesse.
unités syntaxiques qui assurent le déroulement de la Pour la sémiotique greimassienne, les relations
narration de la réponse apportée à un manque. Si le entre ces quatre actants forment une structure
destinateur thématise les possibilités d’une solution actantielle qui permet de modéliser les récits d’actions
par rapport à une attente du destinataire il se de transformations décrites par les marquages
distingue très souvent de l’opérateur de l’action marchands. Ce système théorique schématise ici deux
transformatrice proprement dite. La transformation axes de relations : (i) une relation entre le destinateur
d’un objet générique en objet marchand unique défini comme compétent pour légitimer l’existence
(Callon, 2017) est le plus souvent accomplie par un potentielle d’un objet singulier et qui garantit son
actant sujet distinct du destinateur. Ici l’actant sujet transfert à un destinataire supposé le désirer et (ii) une
est incarné par l’acteur principal du récit, la marque relation imbriquée dans la première entre un sujet qui
Ferme et Fondant, qui occupe centralement transforme par ses performances un objet générique
l’essentiel du plan d’expression en régissant tout le en objet doté d’une valeur marchande unique pour le
système illustratif. La marque sujet manifeste le destinataire. Le modèle actantiel permet de conserver
« pouvoir-savoir-faire » de l’action dont le destinateur l’intelligibilité de la narration tabulaire malgré
a fixé l’objectif, et dont il garantit la réalisation par l’apparente dispersion des figures dont il sous-tend
ses compétences. La narration de cette action les positions et les relations. Comme toute syntaxe
suppose un nouvel axe de relations de dépendance langagière, la structure actantielle (figure 2) est une
entre un actant sujet, agent transformateur, et un formalisation fonctionnelle dont les règles logiques
actant objet, transformé par l’action du sujet assurent la cohérence du discours au-delà de la
(Greimas, 1983). Le facing raconte la transformation fragmentation de ses parties figurées.
d’un pot de spécialité laitière allégée semblable aux Solidement ancrées sur les fondements des
yaourts 0%, typiques de la catégorie des produits relations actantielles, les multiples significations
allégés, – la typicalité du marketing, (Ladwein, des figures de l’icono-texte vont pouvoir trouver
1994) –, en produit différent, aux qualités a priori leurs places exactes dans le récit visuel avec la
souhaitables pour satisfaire le désir ou simplement même rigueur syntaxique que dans un récit linéaire
susciter l’intérêt d’un destinataire soucieux de son verbal. La suite des énoncés peut alors s’articuler
aspect corporel, – le positionnement différentiel du selon un « schéma narratif » prédéterminé (Floch,
marketing. 1990 : 61 ; 2002 : 114 ; Marion, 2015 : 35–37).
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Figure 2 . Le modèle actantiel dans le marquage Nestlé-Sveltesse-Ferme et Fondant.

Le schéma narratif de l’ensemble du marquage d’un Toutefois, le récit d’un facing, même répétitif, ne
facing. Le schéma narratif modélise les étapes constitue pas la totalité du message de marquage
logiques suivies par la narration et s’applique à auquel est exposé un client. Les packagings
l’icono-texte tabulaire comme à un texte verbal. Il présentent plusieurs plans d’immanence et peuvent
s’agit toujours d’instaurer un dialogue entre un déployer plusieurs icono-textes possibles. Dans ces
énonciateur et un énonciataire à propos d’un présentations, les volumes des emballages
échange de biens et de services. Reprenons donc les constituent des ensembles signifiants plastiques qui
actants pour reconstituer la progression de l’his- procurent de nouvelles dimensions de significations.
toire. Celle-ci peut se transposer en langue par la Elles s’ajoutent à celles manifestées par l’icono-
consécution des énoncés suivants : « Je suis l’énon- texte du facing stricto-sensu (Fontanille, 2008).
ciateur destinateur Nestlé qui m’adresse à des D’autre part l’objet matériel dans son emballage
consommatrices énonciataires, destinataires sou- n’est plus toujours complétement visible, donc
cieuses de leur « Sveltesse » (contrat) car j’ai le pou- reconnaissable comme type de sa catégorie. Le récit
voir de faire des produits lactés allégés (0%), d’ensemble doit alors développer avec plus de force
(compétences), savoir-faire que je délègue à mon figurative, concrète et sensible, et thématique,
Sujet-opérateur Ferme et Fondant. Celui-ci est abstraite et intelligible, en quoi consiste la valeur de
capable de transformer (compétences) un produit de différenciation de l’actant-objet par rapport aux
type yaourt allégé 0% en véritable dessert lacté aux significations qui « vont de soi » (taken for granted)
multiples saveurs, un objet représentatif de nou- (Schütz, 1987) pour un produit typique de sa
velles valeurs de consommation, la spécialité lai- catégorie d’appartenance.
tière « Ferme et Fondant » (performances). Ces
compétences et performances pourront être véri- Emboitement des plans d’immanence et développement
fiées à chaque cuillérée (jugement-évaluation) d’un de l’objet-valeurs : l’exemple de la cartonnette de 12
destinataire. pots Ferme et Fondant. La cartonnette des douze pots
On observe que le modèle du schéma narratif présente une répétition de l’icono-texte du facing sur
qui structure le déroulement du discours de trois faces plus un icono-texte informatif sur la face
marquage peut être mis en correspondance avec la de fond du paquet. D’autre part, chacun des douze
démarche empirique des professionnels lorsqu’ils pots, dont certains visibles grâce aux découpes laté-
décrivent leurs pratiques comme une suite d’actions rales d’allégement de la cartonnette, présentent un
programmées : une formulation de promesses, – icono-texte de structure comparable à celui des faces
« un contrat » –, reposant sur des raisons de croire principales. Ils mettent en scène des récits mono-
des consommateurs, – « des compétences » –, dans saveurs selon un modèle actantiel similaire à celui
les bénéfices d’un produit, – « des performances » –, du récit multi saveurs du paquet. A cette différence
en vue d’obtenir une satisfaction des clients – « un près, l’objet en tant qu’actant narratif des valeurs des
jugement ». produits Ferme et Fondant, est identique dans les
Bobrie 9

deux récits. La question qui se pose au marketer est comme hypothèse initiale que ces marquages sont
la suivante : en quoi la répétition de ces structures (i) des discours, au sens de la sémiotique, c’est-à-
narratives sur différents plans d’immanence est-elle dire des objets de langage qui ont un sens, manifesté
susceptible de modifier le nouveau récit d’ensemble par des suites de signifiants corrélés à des signifiés ;
créé par le packaging ? En quoi l’objet-valeurs peut- puisque, (ii) ces discours s’énoncent sous formes de
il se modifier pour un observateur par rapport à celui figures qui composent des icono-textes constituant
manifesté par le récit de marquage du facing princi- un plan d’immanence à analyser en tant que formes
pal ? La réponse à ces interrogations passe par l’ana- d’expression pour des formes de contenus séman-
lyse du packaging comme un plan d’immanence tiques finies, (iii) que ces contenus sont des récits
supérieur qui intègre les plans d’immanence infé- dont le déroulement suit les règles d’une grammaire
rieurs qui le constituent (Fontanille, 2008). Si l’on sémio-narrative, modélisable selon un schéma
admet que la figure centrale, iconique et verbale, actantiel, qui permet (iv) la mise en place d’un
Ferme et Fondant du facing constitue la forme d’ex- schéma narratif type, partagé par tout ce genre de
pression et la forme du contenu sémantique à la discours (contrat-compétences-performances-éva-
source de l’objet-valeurs du récit du marquage, (fig luation et jugement), et (v) dont l’objectif de com-
1c), à un niveau N, alors l’icono-texte complet du munication, (l’intentionnalité sémiotique à les
facing constitue un plan d’immanence N+1. Puis le énoncer), est de formuler sous forme d’objet-valeurs
packaging représente un nouveau palier d’analyse tout ce qui permet de se différencier de ses concur-
N+2. A chaque niveau l’objet-valeurs va recevoir de rents. Nous allons maintenant montrer la pertinence
nouvelles déterminations de significations, que nous de ces concepts à pouvoir décrire les différences
résumons dans le tableau 1. narratives que les marquages manifestent pour des
En synthèse, l’objet-valeurs raconté par le produits relevant d’une même grande catégorie : les
packaging et son marquage différentie le produit, à vins de qualité.
la fois des yaourts allégés natures et des desserts
lactés aux fruits, par la forme des contenus
Raconter ses différences par le
sémantiques qu’il manifeste sous quatre dimensions
marquage : exemples de discours
de valorisations particulières : (i) une dimension
visuels de bouteilles de vins de crus
fonctionnelle similaire à celle des yaourts ; (ii) une
du Beaujolais et de Bordeaux
dimension expérientielle similaire à celle des
crèmes desserts ; (iii) une dimension existentielle Dans cette étape de l’article, on analyse deux
(ou de projet de consommation orienté par un échantillons de marquages de bouteilles de vin. Il
projet de vie) propre à un idéal-type féminin ; s’agit de vérifier si l’outil sémiotique permet
(iv) une dimension pratique d’appropriation et d’identifier et d’expliquer des écarts différentiels de
d’accès au produit permettant la répétition des positionnement et de segmentation au sein de séries
consommations, comme les yaourts mais sans leur composées de vins directement concurrents, puis
banalité, avec tous les plaisirs gourmands de la entre des vins de catégories éloignées dans le champ
variété des desserts lactés. concurrentiel. Il s’agit également de savoir si la
En suivant Floch (1990 ; 1995)3, on définira ces modélisation d’une axiologie commune à une
quatre valorisations comme la forme d’une catégorie, la connaissance de son « algorithme »
axiologie, aujourd’hui communément dénommée d’objet-valeurs, partagé par chacun de ses
« le carré sémiotique » d’un objet-valeurs de représentants, permettrait d’élaborer des stratégies
consommation (Greimas, 1966 :252). d’offres différenciées pour chaque producteur. Il
serait alors possible « de proposer une plateforme
Récapitulatif des concepts pour opérationnaliser une commune » aux designers et aux responsables
sémiotique du marquage visuel. Nous pensons que la marketing, (Marion, 2015 :39), pour répondre, grâce
quasi-totalité des biens sur un marché ne sont pas au marquage, à la fois à une typologie de demandes
désignés par une marque mais par un assemblage de de consommation propre à une catégorie et à un
marques ou marquage (branding). Nous avons posé positionnement spécifique dans celle-ci.
10 Recherche et Applications en Marketing

Tableau 1. L’émergence de l’objet-valeurs dans le discours final du packaging sur le produit présenté à la vente.
(Analyse non exhaustive limitée aux principaux traits distinctifs).

Niveau N : La figure Ferme et Fondant


Plan de l’expression Plan du contenu
Logotype Ferme et Fondant Fermeté de texture du yaourt, fondant d’une crème
dessert lactée
Figure du pot et de la cuillère Texture yaourt (ne coule pas)
Texte 0%, Allégement en matière grasse, pas de sucre Aliment sain, ne fait pas grossir, à la façon d’un yaourt
ajouté 0%
Couleur de fond (pot et cartonnette) Débanalisation gustative par rapport au yaourt
nature (+intense pour le pot, plus étendue pour la
cartonnette)
Motifs iconiques des saveurs Saveur gourmande
Résumé : c’est aussi sain qu’un yaourt nature allégé, mais ce n’est pas un yaourt ; ce n’est pas une crème lactée de
dessert, mais c’est aussi savoureux qu’une crème dessert avec différents parfums aux fruits
Valeurs construites : valeur fonctionnelle d’un yaourt nature allégé + valeur expérientielle d’un dessert lacté
Niveau N+1 : L’icono-texte complet
Plan de l’expression Plan du contenu
Cartouche rouge Sveltesse en bandeau de contrôle La marque Sveltesse régit les qualités des produits
dynamique de la figure Ferme et Fondant Ferme et Fondant : énergie, dynamisme, alimentation
bien être
Nom de marque Sveltesse Minceur physique, et élégance ; une minceur au service
d’une représentation idéale-typique de la beauté
féminine
Résumé : c’est sain, c’est bon et en plus sa dégustation est un moyen de contrôler son apparence physique par
rapport à une norme idéalisée de beauté au féminin
Valeurs construites : valeur fonctionnelle d’un yaourt nature allégé + valeur expérientielle d’un dessert lacté + valeur
existentielle de contrôle d’une image de soi idéalisée
Niveau N+2 : Le discours du packaging comme volume signifiant
Plan de l’expression Plan du contenu
Cartonnette allégée sans faces latérales et découpée à Confirmation d’un produit léger et allégé
la base ; Compréhension de la diversité des saveurs,
Visibilité des pots et de leurs codes chromatiques ; confirmation de la dimension yaourt-santé équilibrant
Perception de la quantité offerte (12 pots) la dimension dessert lacté ;
Suggestion de la répétition des occasions de
consommation gourmandes sans sentiment de
culpabilité par rapport à la santé
Texte informatif de fond de cartonnette Réaffirmation des critères de santé et de variété d’une
bonne alimentation
Résumé : c’est vraiment la réunion d’un yaourt allégé sain et raisonnable pour sa ligne et d’un dessert lacté gourmand,
à consommer régulièrement sans restriction mentale
Valeurs construites : valeur fonctionnelle d’un yaourt nature allégé + valeur expérientielle d’un dessert lacté varié +
valeur existentielle de contrôle d’une image de soi idéalisée + valeur d’accès à un produit de dessert dont les variétés
gustatives permettent la répétition des consommations

Choix du corpus : les étiquetages des vins des crus du cette catégorie sont commercialisés en bouteilles et
Beaujolais et de l’Union des Grands Crus de Bor- systématiquement marqués par des étiquettes, dans
deaux. Le marché des vins de qualité fournit un ter- tous les pays du monde ; (ii) le marquage est toujours
rain pertinent pour tester l’intérêt des méthodes multimarque, permettant l’évaluation de la structure
sémiotiques, à plusieurs titres : (i) tous les vins de discursive et de sa modélisation actantielle, à partir
Bobrie 11

d’un corpus très large ; (iii) le marquage articule des les différences inter-catégorielles et d’identifier
marques privées créées par les producteurs et des éventuellement un segment potentiel de destinataires
marques collectives et de certification, le plus sou- privilégiés par les discours de chacune d’entre elles.
vent de nature publique, ce qui nécessite des ana-
lyses plus complexes pour comprendre la tension Les différenciations discursives intra-catégorielles
entre une nécessaire différentiation individuelle et le Les crus du Beaujolais. On se limitera à l’analyse
partage obligatoire d’unités narratives communes des étiquettes, les bouteilles dites « bourguignonnes »
(Bobrie, 2010) ; (iv) les récits du vin font appel à des des Beaujolais étant normalisées, du moins pour
figures et des thèmes récurrents, fortement ancrés les crus des appellations citées. Pour des raisons
dans des pratiques sociales souvent multiséculaires, de cohérence entre les plans d’immanence, on a
qui conduisent la narration vers des « figures impo- sélectionné des étiquettes similaires par la surface,
sées » sans devoir cependant négliger les « figures sinon par la forme des découpes (fig. 3). En
libres » (Celhay et Passebois, 2011 ; d’Hauteville et revanche ces vins appartiennent à différents crus
Siriex, 2007 ; Pantin-Sohier et al., 2015) ; (v) sur le du Beaujolais : Côte de Brouilly, Fleurie, Juliénas
marché français, les vins de Bordeaux et du Beaujo- et Morgon.
lais possèdent une longue histoire et une forte noto- Les formes d’expression de ces quatre marquages
riété auprès des consommateurs, ce qui facilite la semblent comparables au premier abord à celui de
connaissance des représentations attendues par des l’exemple étudié précédemment : (i) consécution
destinataires visés, mais d’autre part complique la ordonnée de trois, voire quatre marques en
création de discours originaux pour les destinateurs- dépendance réciproque, (ii) inégalité des présences
énonciateurs en quête d’identités fortes et distinc- visuelles de chacune d’entre elles dans la structure
tives ; enfin, comme pour tous les vins, (vi) du fait discursive, (iii) dépendance des éléments iconiques
des restrictions légales sur la publicité médiatique, de l’icono-texte par rapport une marque régissante,
l’étiquetage et la bouteille sont au centre de la com- (iv) dissémination de mots, expressions et motifs
munication vers les consommateurs et réussir son complémentaires dans la dépendance de la macro-
message est particulièrement crucial. figure du bloc-marques. En revanche, dans les
Toutes ces caractéristiques propres aux marchés formes du contenu une différence apparait
des vins de qualité exigent le recours à des immédiatement : l’actant narratif Destinateur parait
méthodologies analytiques des marquages plus s’incarner sous les figures des deux acteurs
efficientes que les seules compilations des stimuli différents : d’une part, celle de la marque privée du
émis et perçus. Pour savoir se situer face à ses domaine d’où provient le vin embouteillé, et d’autre
concurrents et pouvoir concevoir un positionnement part celle d’une marque d’appellation d’origine
original, celles-ci montrent vite leurs limites collective qui garantit et légitime la qualité
(Celhay et al., 2017) : de fait la perception d’une générique de la catégorie d’appartenance du vin. Il
différence de sens de l’ensemble signifiant de faut toujours deux marques pour raconter le pouvoir
l’étiquette ne passe pas par la commutation d’un être de la valeur du vin. De plus cette complémentarité
signe monadique mais in fine par une nouvelle n’est pas régulière, tantôt la marque privée l’emporte
orientation narrative, nécessairement holistique, sur la marque collective, tantôt l’inverse. (cf tableau
attribuée à l’objet-valeurs. 2 ci-dessous)
Le corpus est constitué d’étiquettes de quatre La qualité et le prix de ces vins, issus du même
bouteilles de vins de Bordeaux, appartenant à cépage gamay, ainsi que la notoriété de leurs quatre
l’Union des Grands Crus de Bordeaux, et de quatre appellations, étant similaires, ces constructions
bouteilles en appellation crus du Beaujolais. manifestent une intentionnalité narrative concernant
L’observation cherche à vérifier si les récits la nature de l’objet-valeurs proposé. Dans le premier
permettent de déterminer des positionnements cas le récit est orienté vers le pouvoir et le savoir-
particuliers intra catégoriels, malgré l’affirmation faire du Domaine, dans l’affirmation d’une
forte de l’appartenance à la catégorie. Puis, dans compétence viticole (culture de la vigne) qui
chaque catégorie, un récit type ayant été établi conduit à des performances vinicoles (élaboration
dans ses variations, il devient possible d’analyser du vin) ; dans le second cas le récit met en avant le
12 Recherche et Applications en Marketing

Figure 3. Quatre icono-textes d’étiquettes de crus du Beaujolais : Château Thivin, cuvée Godefroy, Côte de Brouilly ;
La Madone, cuvée spéciale vieilles vignes, Fleurie ; Laurent Perrachon, Les mouilles, Juliénas ; Domaine Raphaël Chopin,
Les Charmes, Morgon.

pouvoir-faire vinicole associé à l’ensemble du principalement à un pouvoir-faire du terroir, il faut


vignoble du terroir d’origine et le devoir/vouloir accorder plus d’importance aux performances du
faire du domaine pour réaliser des performances sujet-opérateur, et à l’inverse quand la dominante
viticoles conformes aux normes de l’Appellation. du destinateur se figure par les compétences et
Conformément à la théorie du modèle actantiel, performances du Domaine, il faut plus fortement
(Greimas et Courtés, 1979 : 147), la figurativisation montrer les liens entre le sujet-opérateur et le terroir,
du destinateur détermine alors celles des sujets ainsi que le montre le tableau 3.
opérateurs de la transformation du vin en cuvée Bien que l’actorialisation des destinateurs et
unique. Lorsque la narration associe le destinateur des sujets-opérateurs différent en expression et en
Bobrie 13

Tableau 2. L’actorialisation du Destinateur dans les marquages des crus du Beaujolais.

MARQUE DE DOMAINE DOMINANTE MARQUE COLLECTIVE DOMINANTE


Laurent Perrachon, vigneron, Julienas Côte de Brouilly, Château Thivin
Domaine Raphael Chopin, Morgon Fleurie, La Madone

Tableau 3. Dépendance de la figurativisation et de la thématisation des sujets opérateurs à celles des destinateurs
(limités aux principaux signes et motifs).

ACTANT DESTINATEUR FIGURATIVISATION DU SUJET THEMATISATION DU SUJET


Côtes De Brouilly > + Forte : Cuvée Godefroy en rouge + Forte : personnalisation du savoir-faire
Château Thivin associée au nom et à l’icône du château : de Claude Geoffray, viticulteur, comme
Performances vinicoles vigneron, en rouge : performances vinicoles
Fleurie > La Madone +Forte : fronton en mandorle valorisant + Forte : personnalisation de Jean Marie
en lettres capitales dorées la « Cuvée Desprès comme savoir-faire de viticulteur :
spéciale vieilles vignes » : performances performances viticoles
viticoles, associée au paysage du Domaine
La Madone
Laurent Perrachon, + Terroir : Les mouilles, cuvée de +Terroir : cuvée rattachée par le sceau et
vigneron > Juliénas parcellaire, mention du mot vigneron, la typographie rouge à l’Appellation Juliénas
pour qualifier L. Perrachon ; performances valorisée par sa centralité : compétences
vinicoles viti-vinicoles indissociables
Domaine Raphaêl + Terroir : importance visuelle de Terroir : bandeau brun pour signaler plus
Chopin> Morgon la marque Les Charmes, cuvée de fortement la valeur de la terre Morgon,
parcellaire ; figure de la feuille de vigne reprise dans les couleurs typographiques.
gamay : performances viticoles Compétences viti-vinicoles

contenus, l’objet-valeurs représenté dans Les quatre récits s’organisent selon un même axe
l’ensemble de ces quatre récits d’étiquettes répond sémantique pour raconter la valeur des cuvées :
à une même axiologie sous-jacente. La cuvée l’authenticité viti-vinicole est la source de l’originalité
originale embouteillée, en tant qu’objet de gustative promise. Néanmoins cet « algorithme »
différentiation d’un vin type d’un cru du Beaujolais, narratif commun n’exclue pas les différences puisque
repose toujours sur deux formes de valorisation chaque bouteille peut se situer à un point de l’axe
principales : d’une part une valeur expérientielle plus proche de l’un des deux pôles et par suite plus
de sensations gustatives différentes, particulières à éloigné de l’autre. On peut schématiser ces positions
la cuvée distinguée, soit par les performances de la façon suivante : (i) accent sur l’authenticité plus
vinicoles (cuvée Godefroy) soit viticoles (cuvée que l’originalité à la dégustation : Côte de Brouilly-
spéciales vieilles vignes), soit les deux (cuvée Les Château Thivin-cuvée Godefroy et Fleurie-La
Mouilles et Les Charmes), et d’autre part une Madone-Cuvée spéciale vieilles vignes ; (ii) accent
valeur d’accès en confiance à un vin authentique, sur l’originalité plus que l’authenticité : Laurent
représentatif des normes et des traditions de son Perrachon-Juliénas-Les Mouilles et Les Charmes-
appellation, ce qui se manifeste à la fois par la Domaine Raphael Chopin-Morgon. On perçoit à
mise en valeur de la marque de cru (sauf Morgon) travers ces exemples tout l’intérêt managérial de
et par l’illustration principale qui en dépend : l’analyse sémiotique pour définir un positionnement
paysage de la côte de Brouilly, paysage de La attractif au sein d’un champ concurrentiel, autant
Madone de Fleurie, sceau-fleur de lys de Juliénas, encombré que complexe, à partir de l’observation
feuille de vigne typique du gamay, associée au des discours de marquage de ses concurrents. Plus
millésime de Raphael Chopin. important encore, la mise en évidence de l’axe
14 Recherche et Applications en Marketing

authenticité- originalité, par ailleurs partagé par les mais selon des variations importantes dans sa
dix crus du Beaujolais (Bobrie et al., 2014), permet dépendance à la marque du « Château », ce qui
aux professionnels de délimiter le champ de indique immédiatement des choix narratifs différents
pertinence de leur communication par le marquage, de la part des énonciateurs. De même, la puissance
quelle que soit la dominante choisie : sans signe de la marque du château se décline sous plusieurs
d’authenticité la bouteille perdrait son avantage formes figuratives et thématiques : Château Giscours
concurrentiel de cru et elle se trouvera en concurrence s’associe fortement, par deux fois, à la mention de
avec tous les Beaujolais génériques ; sans signe son classement de 1855, le summum dans les
d’originalité, la bouteille perdrait les significations distinctions des domaines de l’appellation Bordeaux ;
du savoir-faire viti-vinicole du producteur et Château Malartic-Lagravière, s’associe à son
deviendra un vin de consommation de masse à classement dans l’appellation des graves ; Clerc
l’identité de domaine purement décorative, soudain Milon, à son classement comme Grand Cru classé,
devenue inutile à l’expression du positionnement. sans autre précision, mais également à la
Enfin, on notera ici l’absence de figuration de personnalisation de son propriétaire, le GFA
destinataires, même de façon indirecte, à la manière (groupement foncier agricole) Baronne Philippine
de Sveltesse. Ceux-ci sont seulement présupposés de Rothschild ; et enfin Château Maucaillou se
« in absentia ». Tout au plus peut-on faire complète par la mention « sarl château Maucaillou,
l’hypothèse que les récits plus orientés authenticité propriétaire à Moulis en Médoc ». Non seulement la
présupposent des segments plus connaisseurs des marque du Château l’emporte toujours sur celle de
crus du Beaujolais et que les plus orientés originalité l’Appellation dans les figurativisations du
souhaitent attirer des consommateurs à la recherche Destinateur définissant la valeur du vin, mais elle
de découvertes et d’expériences gustatives, sans tend également à s’imposer comme figure du Sujet-
nécessairement connaître les appellations. opérateur de la cuvée embouteillée. Le modèle
actantiel/actoriel des quatre récits manifeste la même
Les Grands Crus de Bordeaux. Comme le structure (fig 5).
précèdent, cet échantillon prend uniquement en Si la figure du château s’impose avec force dans
compte les étiquettes des bouteilles retenues, du l’organisation du récit de l’objet-valeurs des quatre
fait que les formes bordelaises sont normalisées et Grands Crus pris comme exemples, elle oriente la
identiques pour les 133 membres de la prestigieuse narration selon des figurativisations et des
Union des Grands Crus de Bordeaux. On demeure thématisations très différentes d’une bouteille à
dans le cas d’un marquage à plat en deux dimensions l’autre : (i) Château Giscours prétend jouer sous son
avec mise à disposition de la surface d’expression seul nom tous les rôles et concentrer toutes les
de l’étiquette à la discrétion de l’énonciateur. On formes de pouvoir-savoir-faire qui génèrent l’objet-
a sélectionné des formes rectangulaires à peu près valeurs. Seul le millésime « 2011 » et le classement
similaires afin de pouvoir centrer l’analyse sur les de 1855 sont distingués chromatiquement ou par un
mises en scène des récits s’inscrivant dans des plans cartouche spécial de la figure typographique
d’immanence comparables (fig. 4). prédominante du Château. Même l’appellation
Le plan de l’expression de chaque icono-texte se Margaux et le « mis en bouteille au château », en
compose classiquement d’une macro-figure d’au gris, restent « sous tutelle » de la marque du domaine.
moins trois marques, d’un ensemble iconique Sa marque patronymique le détache du terroir : sa
illustratif dans la dépendance d’une ou plusieurs des force n’est plus d’ordre spatial, géographique,
marques et de textes verbaux complémentaires mais temporelle, ou plutôt intemporelle, associée
isolés ou dépendants de marques. Le plan du contenu à son statut aristocratique pluri-centenaire, voire
est le récit de l’objet-valeurs du vin embouteillé. mythologique, par la figure héraldique de la sirène
Comme dans les cas des crus du Beaujolais, l’actant dorée. Celle-ci se dresse de toute sa hauteur,
destinateur du récit apparait sous la double figure au-dessus de la couronne, au sommet de l’étiquette,
d’une marque de Domaine, ici toujours dominante, soit trois symboles figuratifs cumulés et emboités
et d’une marque d’Appellation, toujours dominée, pour signifier le thème de l’accès à un monde
Bobrie 15

Figure 4. Quatre icono-textes d’étiquettes de Grands Crus de Bordeaux : Château Giscours, Margaux, Grand Cru
classé en 1855 ; Château Clerc Milon, Pauillac, Grand Cru classé ; Château Malartic Lagravière, Pessac Léognan, Grand
Cru classé de Graves ; Château Maucaillou, Moulis.

supérieur, hédonique et sensuel, à des plaisirs comme une forme semi-symbolique, du fait que le
absolus. Cette construction visuelle qui met en signifié d’absolu dépend simultanément des signifiés
relation le contenu sémantique de /l’ultime/ à partir d’élévation, manifestés par ce triple emboitement de
de trois unités d’expression signifiantes de « l’au- signes iconiques en position supérieure. Désormais,
dessus » est définie par Floch (1985 ; 1990 1995) à ce niveau d’exceptionnalité, il n’y a plus à justifier
16 Recherche et Applications en Marketing

Figure 5. Modèle actantiel/actoriel des quatre récits.

de compétences, ni même de performances viti- la réalité du lien entre les deux châteaux. D’autre
vinicoles : ce à quoi on reconnait le discours d’un part la figurine est un objet précieux de collection
produit de luxe, réservé à ses initiés ; qui suppose que l’amateur du vin soit aussi un
(ii) Château Malartic-Lagravière, manifeste de la amateur d’art et qu’il mérite d’appartenir au cercle
même manière syncrétique toutes les compétences restreint de l’élite des connaisseurs des Grands Crus
et performances d’un destinateur et d’un sujet- classés. Finalement Clerc Milon veut tenir la valeur
opérateur. La marque du château, pourtant loin du de son appartenance à la famille des domaines
fleuve, s’attribue comme icône centrale la figure Rothschild, partie d’un même « GFA », plus qu’à
d’une goélette, et s’identifie de la sorte à l’histoire son appellation.
du vignoble de Bordeaux et à l’ancienneté de sa (iv) Château Maucaillou, est le seul icono-texte
mondialisation. Même le millésime 2009, en de l’échantillon à figurer l’image, très stylisée, d’un
banderole, devient une qualité à la gloire du Château château, ce qui témoigne, s’il en était besoin, des
et non de la cuvée. L’appellation Pessac-Léognan limites de la pertinence de la computation de codes
est sous-valorisée, réduite à une dernière ligne en pour définir un positionnement dans une catégorie.
bas d’étiquette, comme une inopportune mention Cette figure s’associe par la couleur rouge au
obligatoire qui n’apporterait rien au château et à son millésime 2003, en tête d’étiquette, et à la marque
classement dans les crus de Graves. d’appellation Moulis bien valorisée, puis au texte
(iii) Château Clerc Milon semble un cas « Mis en bouteille au château », et enfin avec les
particulier. Si à la façon des deux précédents, il deux informations obligatoires de degrés et de
minore, voire dévalue son appellation Pauillac, il contenance. L’ensemble forme un syntagme visuel
est seul à mettre au premier plan la figure chromatique prégnant qui différencie cette macro-
personnalisée d’un sujet-opérateur, le propriétaire, figure de celle de la typographie noire de la marque
la Baronne Philippine de Rothschild, typographiée du Château qui conserve néanmoins sa position
en italiques anglaises dorées au sommet de narrative prédominance. De fait, en prenant la même
l’étiquette. Ce choix typographique permet d’établir couleur rouge que le millésime pour styliser l’icône
un lien de dépendance avec la légende de centrale du château comme un « chais », le récit fait
l’illustration centrale et avec la mention de Grand une place à l’importance d’un sujet-opérateur pour
Cru Classé, renforçant le rôle actantiel du sujet- le pouvoir-savoir-faire du vin. Effectivement
opérateur face au destinateur. De fait, cette exception Maucaillou est réputé pour ses vinifications, ses
apparente confirme la règle : l’objectif narratif de « élevages » autant que pour son terroir de Moulis,
valorisation de « Baronne Philippine de Rothschild » commune sans Grand Cru Classé. Par déduction, on
est probablement de créer un lien sémantique avec comprend maintenant l’apport non redondant de la
Mouton Rothschild, premier des Grands Crus mention de « sarl château Maucaillou, propriétaire à
classés en 1855, certainement connu des clients Moulis en Médoc » comme la signification de
potentiels de Clerc Milon. Cette hypothèse l’importance technique du savoir-faire vinicole,
« transcendante » – (en fait seulement transitive) – assuré par une personne morale professionnelle à la
est confirmée en immanence par la légende de façon d’un négociant-éleveur, avec la garantie du
l’illustration : « Bouffons dansants, en or émail et pouvoir faire viticole associé à la double référence
perles, XVII se. Musée de Mouton », ce qui établit au terroir Moulis et Médoc.
Bobrie 17

En synthèse, comme pour les crus du Beaujolais, du rêve virtuel d’un monde de happy few,
on constate que l’appartenance revendiquée à une potentialise la joie de vivre et un moment de fête
catégorie puissante, qui impose à tous une même réel associés à l’euphorie du vin, grâce à l’illustration
structure sémio-narrative aux discours de leur vin, des « bouffons dansants ». A l’inverse, Château
n’est pas contradictoire d’une mise en récit d’objets- Malartic-Lagravière, dont le nom comme celui de
valeurs différentiés, pour des destinataires « en Maucaillou évoque un toponyme de parcellaire
absence » mais visés comme consommateurs de viticole, réactualise l’imaginaire générique du
vins de luxe. Bordeaux, premier vin de luxe à connaître un succès
Ici, l’axe sémantique organisateur n’est plus mondial dès le 18ème siècle, opposant un imaginaire
celui de l’opposition principale authenticité intersubjectif socio-culturel à l’imaginaire subjectif
collective-originalité des cuvées particulières, ces hédoniste de Clerc Milon, bien que les deux fassent
deux valeurs étant présupposées par l’appartenance référence à la même époque historique.
aux Grands Crus, comme en témoigne le relatif Finalement le partage d’un même objet-valeurs
désintérêt à la fois pour les appellations et pour la orientant la narration à partir de l’axe sémantique de
valorisation du faire viticole de la cuvée l’exceptionnalité non seulement n’interdit pas mais
embouteillée (sauf Maucaillou). Contrairement aux au contraire encourage un déploiement de positions
crus du Beaujolais la cuvée ne bénéficie plus jamais différenciées selon une « pondération axiologique »
d’une marque dédiée et elle n’existe que par son (Fontanille, 2015) du marquage qui fera porter
Château, bénéficiaire du classement. Il faut l’accent tantôt du côté du réel de l’objet vin présenté,
maintenant justifier d’une exceptionnalité posée tantôt sur le virtuel des plaisirs rêvés d’un sujet
comme « allant de soi » et suggérer en quoi elle énonciataire dégustateur. On constate à nouveau
consiste lors de la dégustation de la bouteille par que ces manifestations de différences grâce à la
ceux qui pensent accéder à un produit unique. visualisation des icono-textes ne relèvent pas des
Chaque discours peut opter pour un point de vue poncifs de codes, graphiques ou linguistiques, mais
particulier sur la véracité de ce qu’il raconte. Il peut de constructions narratives toujours originales
mettre l’accent sur des critères « objectifs » attestant (Bobrie et Mora, 2011)
la réalité de l’exceptionnalité du vin, au risque
d’une redondance avec la mise en avant des Esquisse d’une différenciation discursive inter-catégo-
classements. Sans surprise, c’est l’orientation rielle. Bien évidemment les Grands Crus de Bor-
choisie par Château Maucaillou, seul domaine non deaux et les crus du Beaujolais ne sont pas
classé de l’échantillon, bien que membre de l’Union. directement en concurrence, ni en France, ni sur les
Mais à l’opposé le discours peut s’organiser en marchés mondiaux du vin. L’intérêt de comparer
fonction de la virtualité des plaisirs « subjectifs » ces deux types de marquages ne consiste pas à éva-
attendus, qui n’exigent pas de preuves. C’est luer quel genre narratif serait le plus performant ni
l’option retenue par Château Giscours. L’axe de savoir si tel objet-valeurs définitoire d’une caté-
sémantique devient maintenant : réalité objective de gorie pourrait être transposé dans l’autre. Par prin-
l’exception du vin versus virtualité subjective des cipe l’efficience communicationnelle de ce genre de
satisfactions ultimes de sa dégustation. Dans le récit est corrélée à des capacités à dire au mieux les
premier cas le discours développe un récit concret valeurs de consommation du produit raconté et non
d’une cuvée considérée comme réalisée dans le à s’approprier celles des autres. En revanche une
cadre du château, dans le second cas celui de plaisirs comparaison inter-catégorielle permet de dégager
imaginaires mais virtuellement imaginables. Entre les spécificités des discours mis en œuvre selon des
les deux, toutes les formes de combinaisons modèles sémio-narratifs similaires et de mieux
possibles entre figurativisation et thématisation décrire et comprendre, par leurs différences, les
d’éléments réels et virtuels permettent la objets-valeurs de chaque catégorie. Comme sug-
manifestation d’une multitude de positionnements géré plus haut, ces comparaisons introduisent la
en adéquation avec les ressources narratives de possibilité d’établir une typicalité sémiotique propre
l’énonciateur. Ainsi Château Clerc Milon, du côté à une catégorie empiriquement observable sur le
18 Recherche et Applications en Marketing

marché et d’expliquer le sens des écarts suscep- Dans la macro-catégorie des vins de qualité, le
tibles d’apparaître entre la typicalité définie par les marquage de la sous-catégorie des vins de luxe se
acteurs de l’offre, notamment par le truchement du définit par un objet-valeurs d’exceptionnalité et
merchandising, celle verbalisée par les consomma- d’absolu qui oriente le discours des marquages vers
teurs dans les études de marchés (Aurier et al., un pouvoir faire croire ou rêver plutôt que vers le
2004) et celle effectivement manifestée par les mar- faire éprouver les sensations de la dégustation, c’est-
quages et leurs extensions par le design packaging. à-dire vers une prédominance du sens de valeurs
Concrètement, avec l’exemple choisi des marchés existentielles associées à une forme de vie (imaginer
des vins de qualité, il s’agirait d’appréhender la la vie virtuelle de buveurs réguliers de crus
typicalité sémiotique, c’est-à-dire le genre, d’un d’exception) sur les valeurs expérientielles de la
discours de vins de luxe d’une part, et celle d’un polysensorialité potentielle d’une dégustation
discours de vins de découvertes gustatives non effective, mais ponctuelle. Par différence, le
déceptives d’autre part. Cette démarche est facilitée marquage de la sous-catégorie des vins dont l’objet-
si l’on intègre l’icono-texte de marquage de valeurs consiste en découvertes hédoniques oriente
l’étiquette au plan d’immanence de la bouteille, les discours vers le pouvoir-faire rassurant d’une
comme nous l’avons montré avec l’exemple des appellation collective et le savoir-faire unique d’un
pots à la marque Ferme et Fondant. En effet les deux domaine. Le récit donne une prédominance aux
plans d’immanence emboités composent maintenant valeurs de maîtrise et d’authenticité de pratiques
un tout de signification homogène pour vitivinicoles d’un opérateur crédible, qui donne accès
l’énonciataire. Dans la mesure où les formes des à des valeurs expérientielles de plaisirs ponctuels
bouteilles sont normalisées dans une appellation, mais reproductibles, sans risque de déception à
elles signifient immédiatement l’appartenance à chaque nouvelle actualisation des dégustations.
cette région et de fait renforcent la présence narrative Finalement, cette démarche inférentielle procure
du destinateur. Les Grands Crus de Bordeaux n’ont l’heuristique pour comprendre comment les récits
pas besoin de rappeler leurs origines bordelaises, des marquages des Grands Crus de Bordeaux visent
elles se voient par la bouteille. Le récit peut alors se à générer le sens d’une valeur de consommation
développer sur les autres aspects à valoriser pour se avant tout existentielle et ceux des crus du Beaujolais
différencier individuellement dans sa catégorie. Il celui d’une valeur de consommation principalement
n’en va pas de même pour les crus du Beaujolais qui expérientielle, selon la terminologie de Floch
devront se distinguer des bourgognes et de la quasi- (1990 : 126–131 ; 1995 : 148–151).
totalité des vins de Loire et de la vallée du Rhône. A
l’inverse la transparence et la couleur du verre, la
Discussion
surface laissée libre par l’étiquetage, le nombre et la
forme des étiquettes et l’habillage des cols et du Cet article propose de vérifier que les mots et les
bouchage sont des éléments signifiants qui varient images des marquages (branding) forment
d’une bouteille à l’autre pour modifier ou moduler le effectivement des récits complexes où chaque signe
sens du récit de l’étiquette principale. possède une signification en fonction de ses
La multiplicité des manifestations figuratives relations avec tous les autres, et non pas à titre de
et thématiques des bouteilles déterminent une « code ». Néanmoins ces constructions du sens sont
pondération axiologique. Ce sont les relations entre connaissables scientifiquement avec la sémiotique
les termes de l’axiologie sous-jacente, fondatrice structurale. Celle-ci permet des interprétations
de l’objet-valeurs, qui permettent seulement reproductibles indépendamment des analystes qui
d’identifier une typicalité sémiotique catégorielle. les utilisent.
Celle-ci pourra alors être plus ou moins en La sémiotique du marquage repose sur le réalisme
cohérence, et congruente, avec les autres formes (la matérialité) des significations immanentes à tout
de typicalités propres aux diverses catégorisations objet de langage, verbal et non verbal, qui en donnent
effectuées dans les pratiques marchandes in fine un sens interprétable par un sujet quelconque,
(merchandising, communication médiatique). pour en manipuler les significations particulières
Bobrie 19

dans ses propres pratiques du marché. Elle consommateurs, dans le cadre d’une forme
diffère des interprétations « transcendantes » des d’existence culturellement prédéterminée. Du point
significations de représentations mentales, qui ne de vue de la sémiotique structurale, il s’agirait de
seraient observables que dans les verbalisations comprendre comment une pratique de consommation
et/ou les comportements d’un sujet, ou d’une se constitue en plan d’immanence de niveau N, en
communauté intersubjective, qui seuls en donneraient intégrant des objets sémiotiques de niveaux N-1,
un sens légitime, parce que connaissable selon le N-2, etc., comme une bouteille de niveau N intègre
paradigme de la psychologie comportementaliste les plans d’immanence N-1 de l’étiquette et N-2 de
(behavioriste) et cognitiviste. ses figures constitutives.
Bien que toujours usuel en marketing, le Dans le cadre de cette discussion, on se limitera
behaviorisme a été critiqué depuis les années 1950 ici à l’intérêt managérial d’opérationnaliser les
et il est aujourd’hui le plus souvent reformulé avec méthodologies sémiotiques pour l’étude et les
un meilleur réalisme opérationnel par les approches pratiques de marquage.
de la psychologie cognitive d’un sujet rationnel, en
mesure de traiter l’information émise, en fonction Opérationnaliser les connaissances des marquages
de ses projets. Ce traitement de l’information est comme récits visuels. Le modèle sémiotique du mar-
lui-même hautement problématique, en-deçà même quage comme récit visuel contribue à deux
des avancées (et des limites) des neurosciences. Il moments du processus de l’échange marchand :
est toujours couramment théorisé comme une (i) au moment de la conception du marquage pour
recherche d’information, donc de stimuli, qui raconter son produit comme affirmation de diffé-
s’effectuerait dans le cadre présupposé universel de rences face à ses concurrents et (ii) au moment de
la micro-économie néo-classique, comme une son interprétation effective par des consommateurs
« découverte d’une utilité et de son prix », selon la afin de choisir le produit marqué en cohérence avec
formulation de Hayek. Cette conception purement le sens qu’ils lui donneront dans leurs vies indivi-
« économiste » semble aujourd’hui incapable de duelles ou collectives.
rendre compte des phénomènes observables sur les La première contribution a déjà été évoquée à
marchés. A partir des années 1970 et 1980, le plusieurs reprises au long des exemples décrits dans
traitement de l’information a été analysé plutôt cet article. Le discours des concurrents peut être
comme une sélection de ressources par « tri », tant analysé selon une analyse comparative des récits :
cognitif qu’émotionnel ou « affectif », aboutissant à par rapport à un objet-valeurs identifié comme
un « construit » préalable aux décisions de typique à toute la catégorie d’une part et par rapport
consommation. Celle-ci apparait alors comme une aux variations discursives proposées pour mettre en
fonction dans la dépendance d’une culture des avant telle ou telle valeur de l’objet-valeurs. Cette
consommateurs, telle que décrite par les avancées analyse permet alors de prendre des décisions sur le
actuelles du courant de la CCT (Consumer Culture positionnement qui devra être raconté par le
Theory). Celui-ci permet de s’émanciper du marquage. De nos jours, cette pratique des études
paradigme purement économique-utilitaire qui régit sémiotiques est de loin la plus fréquente. Son succès
toujours les pratiques dominantes du marketing des auprès des professionnels réside dans le caractère
entreprises. Le tableau 4 ci-dessous présente les non subjectif et robuste des résultats obtenus par
principaux écarts des points de vue entre ces deux des méthodologies simples à mettre en œuvre. Elles
familles de paradigmes. permettent un dialogue entre les marketers et les
L’examen critique des écarts entre ces points de designers (Floch, 1995 ; Hetzel et Marion, 1993 ;
vue souligne l’intérêt d’examiner la complémentarité Marion, 2015).
éventuelle de ces analyses pour mieux comprendre La seconde contribution de la sémiotique au
et expliquer la consommation marchande. marquage est plus ambitieuse mais aussi plus lourde
Notamment, on peut mettre en relation l’étude par à réaliser par les entreprises. Elle fut initiée et
les chercheurs de la CCT des opérations de sélection développée par Floch (Floch, 1989 ; 1990 ; 1995 ;
des ressources pertinentes aux pratiques des Petit-Imbert, 2014). Fondée sur une appropriation
20 Recherche et Applications en Marketing

Tableau 4. Comparaison des paradigmes cognitivistes du consommateur rationnel et sémiotiques des marquages
visuels marchands.

PARADIGME COMPORTEMENTALISTE PUIS PARADIGME SEMIOTIQUE


COGNITIVISTE
Objet de connaissance : Objet de connaissance :
Stimuli monadiques discrétisés empiriquement par un Un tout de signification délimité dans un plan
observateur ex ante ou par le répondant ex post. d’immanence défini par sa pertinence d’entité (structure)
Aujourd’hui le stimulus est majoritairement construit analysable selon des normes et catégories établies par la
comme un « paquet » d’information à traiter théorie
Traitement des stimuli par le sujet : Mode de connaissance de l’objet :
Problème non pertinent, « boite noire » pour les Interprétation méta-linguistique (transposition en langue
behavioristes historiques. naturelle des différentes unités de langage du tout de
Théories de la psychologie de la connaissance et signification) répondant à des protocoles cognitifs et
du traitement de l’information pour les différents logiques précis, sur le modèle de la linguistique, de
cognitivismes. la phénoménologie et dans certains cas des logiques
formelles
Nature du marquage : Nature du marquage :
Compilation de stimuli dont les co-occurrences Organisation structurée, dite syntagmatique, d’éléments
demeurent problématiques : problèmes de la hétérogènes pour constituer l’ensemble d’un récit
congruence et problème des « saillances » de certains homogène (ici les contenus de l’icono-texte plus
stimuli, problèmes du tri des informations pour éventuellement ceux du packaging-support)
construire les représentations pour les cognitivistes
socio-culturalistes
Attribution de significations aux stimuli : Significations manifestées :
Indirecte par les réponses verbales et/ou Associées à l’ensemble signifiant du marquage,
comportementales formulées par des sujets indépendantes des lecteurs/observateurs (énonciataires)
conscients des stimuli (ce qui pose les problèmes des et des énonciateurs (une fois chaque unité sélectionnée
seuils de perception) puis articulée dans leurs énoncés)
Relations des réponses aux stimuli : Relations du marquage à l’objet marqué :
Toujours problématiques du fait de l’impossibilité Un récit toujours situé par rapport à un plan
de distinguer les stimuli émis par les marquages, d’immanence permettant de déterminer la source de ses
par les produits eux-mêmes comme types d’une significations : (i) une figure ; (ii) un (icono) texte ; (iii) un
catégorie, par les associations mentales effectuées par objet support ; (iv) une pratique de manipulation de l’objet
le répondant du fait de ses pratiques antérieures du marqué ; (v) une insertion de la pratique marchande dans
produit marqué et par ses expositions à d’éventuelles une forme d’existence socio-culturelle stable.
publicités

des protocoles des terrains ethnographiques, elle l’objet-valeurs typique d’une crème dessert lactée
consiste à analyser les discours des consommateurs allégée et d’un vin d’appellation, d’un point de vue
lorsqu’ils parlent de leurs achats et de leurs générique à un consommateur. Le plan d’immanence
consommations d’une catégorie d’objets, afin de analysé se compose, comme en ethnologie, des
saisir le sens qu’ils donnent à celle-ci dans leur vie textes oraux ou écrits d’interviews de personnes
quotidienne. Il s’agit alors de dégager l’objet- ayant à interagir d’une façon ou d’une autre avec
valeurs de cette catégorie ex ante, préalablement à ces objets pour toutes raisons propres à leur mode
tout choix d’un produit marqué, pour comprendre d’existence, mais également des observations des
ce qui le ferait appartenir sui generis à une catégorie pratiques individuelles et collectives dans lesquelles
et exclure d’une autre, avant tout contact avec des ces objets sont manipulés. L’analyse sémiotique de
textes (des icono-textes) de marquage et a fortiori ces plans d’immanence a permis à Floch de mettre
de textes publicitaires. Par exemple dans cette en évidence les objets-valeurs de dizaines de biens
enquête il s’agirait de déterminer quel serait et de services (Floch, 1990 : 152 ; 1995 : 150) puis
Bobrie 21

de proposer un modèle théorique d’un objet général Un autre point majeur pour le marketing découle
des valeurs de la consommation marchande, sous la de la logique essentiellement cognitive de l’analyse
forme d’un carré sémiotique souvent cité, mais dont sémio-narrative, qui fournit une intelligibilité du
les fondements théoriques sont rarement compris. récit mais ne dit rien de sa capacité à créer des
Muni de ce modèle d’un objet-valeurs d’une sensations et des émotions vécues par un
catégorie conçue du point de vue des usagers énonciataire. Il est alors nécessaire de mobiliser
(Marion, 2017), l’entreprise peut alors le comparer, d’autres outils, pour évaluer les effets « passionnels »
avec les mêmes méthodologies sémiotiques (la dimension affective) du marquage comme
d’analyse des significations. Les professionnels message d’une communication ayant une dimension
peuvent alors décider de stratégies marketing en émotionnelle. Il s’agit là sans doute d’une possible
conséquence. On notera que la définition de l’objet- fertilisation croisée entre les théories sémiotiques
valeurs catégoriel permet également de comparer de l’énonciation et les théories marketing
les pondérations axiologiques des récits énoncés cognitivistes fondées sur le tri des stimuli à partir de
par différents dispositifs marchands (Cochoy, dimensions culturelles et expérientielles.
2004 ; 2011), pour un même produit marqué En conclusion, l’analyse du marquage comme
(discours merchandising, marquage, média, écrans, système sémiotique de représentation visuelle a pu
etc.). Aujourd’hui ces méthodologies, relativement gagner en légitimité dans le champ du marketing,
complexes et longues à déployer, sont plus souvent pour les gains heuristiques : elle permet de
réservées aux groupes multinationaux pour comprendre des façons de mettre en scène et de
opérationnaliser des stratégies de marquage de raconter le positionnement et la segmentation
produits globaux dans des contextes locaux d’une offre. Néanmoins, il subsiste de nombreuses
(Bobrie, 2009). problématiques théoriques à explorer, en rapport
d’une part, (i) avec les interrogations managériales,
Limites et perspectives de recherches. L’application nécessairement holistes, concernant les différentes
de la sémiotique à l’étude du marquage doit faire pratiques de mises en marché des produits marqués
face à plusieurs types de limites, tant de nature théo- où le branding demeure un actant essentiel et en
rique que méthodologique. Une première difficulté liaison d’autre part, (ii) avec les pratiques de
provient de la segmentation/intégration des plans consommation, dans lesquelles le sens du
d’immanence : si le marquage comme icono-texte marquage marchand se transforme progressivement
repose sur un plan d’immanence analysable comme en sens de la consommation de l’objet, actualisant
système d’homogénéisation de significations de toutes les autres significations d’une situation par
mots et d’images hétérogènes, celui-ci, on l’a vu, principe non-marchande (Marion, 2017). L’étude
s’intègre également dans des plans d’immanence des marquages visuels suppose alors un programme
supérieurs. En passant d’un facing à un emballage de recherches sémiotiques qui viseraient à
complet et de l’étiquette à la bouteille, cette transi- identifier tous les plans d’immanence où s’ajustent
tivité de l’expression détermine d’autres contenus les récits et les objets-valeurs des produits marqués
de significations. La mise en œuvre du marquage pour manifester la permanence des formes de vie
doit en tenir compte, notamment lors des briefings marchandes.
qui sont donnés aux designers. Puis les biens mar-
chands sont manipulés dans des pratiques de Notes
consommation qui génèrent de nouveaux discours
1. La définition d’une structure selon Hjelmslev
dans lequel ces objets prennent d’autres « sens »
(1971b) est la suivante : « Une entité autonome de
(Fontanille, 2015 ; Marion, 2017). L’emboitement dépendances internes constituée en hiérarchie ».
de ces plans d’immanence multiples suppose des 2. Le plan de l’expression correspond pour Hjelmslev
analyses complémentaires, adaptées à l’analyse de à l’agencement de tous les signifiants qui composent
ces formes d’intégration successives, qui doivent les formes d’une figure, puis d’un texte, et le plan
faire l’objet d’autres recherches, dans la continuité du contenu, à tous les signifiés correspondants qui
des travaux de Floch. leur sont corrélés du fait des écarts différentiels
22 Recherche et Applications en Marketing

qu’ils peuvent manifester pour schématiser des role of perceived risk. International Journal of Wine
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