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Actualités sur les solutés de remplissage en

anesthésie
F. Forestier, G. Janvier

Département d'anesthésie-réanimation II, Groupe hospitalier sud, 33604 Pessac


cedex, France

POINTS ESSENTIELS
· Le choix entre les différents solutés de remplissage se fait en fonction : a) des
propriétés physico-chimiques du soluté ; b) des propriétés pharmacocinétiques et
pharmacodynamiques du soluté ; c) du contexte et de l'indication du remplissage
vasculaire ; d) des effets secondaires du produit.

· Le pouvoir d'expansion volémique des cristalloïdes isotoniques est faible et


dépend des espaces de diffusion. L'apport en cristalloïdes doit être très supérieur au
volume à compenser, prolongé dans le temps exposant ainsi au risque d'inflation
hydrosodée.

· L'albumine reste le seul colloïde naturel d'origine humaine utilisable en tant que
soluté de remplissage. Ses effets sur l'hémostase sont quasi inexistants, en dehors
de ceux liés à l'hémodilution et à la captation du calcium ionisé.

· Les solutés macromoléculaires de remplissage se définissent en fonction de leur


poids moléculaire (PM, kDa), de leur PM moyen en poids (PMp), de leur PM
moyen en nombre de molécules osmotiquement actives (PMn), de leur indice de
polydispersion (PMp/PMn) et de leur viscosité intrinsèque.

· Le PMp in vivo des hydroxyéthylamidons (HEA) dépend du PMp initial, de leur


degré de substitution en groupement hydroxyéthyl (DS) et du rapport C2/C6. À
concentration égale, l'expansion volémique des HEA est d'autant plus grande et
leur accumulation d'autant plus faible que leur PMp in vivo est proche de 70 kDa.
Les effets des HEA sur la fonction rénale et les conséquences de leur stockage
prolongé dans l'organisme sur l'immunité sont en cours d'évaluation. De nouvelles
modalités d'administration des HEA limitent les volumes et les durées de
prescription des solutés à haut taux de substitution molaire et à forte concentration.

· Les données actuelles de la littérature permettent de dégager des indications plus


précises des cristalloïdes et des colloïdes, mais le manque d'homogénéité des
populations étudiées ou encore les différences de critères de jugement d'une étude
à l'autre aboutissent aux résultats contradictoires des méta-analyses.
L'indication principale du remplissage vasculaire en anesthésie est la correction
d'une hypovolémie vraie par diminution de la masse sanguine ou relative par
diminution du retour veineux sanguin au cœur. Plusieurs raisons expliquent
l'évolution considérable des thérapeutiques mises en jeu dans le remplissage
vasculaire : premièrement, la meilleure connaissance physiopathologique des
circulations générale et régionale des patients sous anesthésie générale ou
locorégionale, deuxièmement, la notion de seuil tolérable d'hémodilution dans des
populations à risque différents, et troisièmement les risques liés aux produits
sanguins labiles. Actuellement, deux types de solutés sont prescrits : les
cristalloïdes et les colloïdes. Le choix entre les différents solutés se fait en
fonction : a) des propriétés physico-chimiques du soluté ; b) des propriétés
pharmacocinétiques et pharmacodynamiques du soluté ; c) du contexte et de
l'indication du remplissage vasculaire ; d) des effets secondaires du produit.

RAPPELS PHYSIOLOGIQUES

Compartiments liquidiens

L'eau représente 60 % du poids du corps et se répartit en trois compartiments : les


secteurs intracellulaire, interstitiel et vasculaire. L'eau du secteur intracellulaire
représente 70 % de l'eau totale du corps et 40 % du poids du corps. L'eau du secteur
extracellulaire représente 28 % de l'eau totale du corps, répartie entre les secteurs
interstitiel (21 %) et vasculaire (7 %). Les 2 % restant de l'eau totale représentent
les volumes des sécrétions, des liquides digestifs et du LCR. Les secteurs intra- et
extracellulaire sont séparés par la membrane cellulaire perméable à l'eau et
imperméable aux grosses molécules et aux ions, rendant différente la composition
ionique de ces deux compartiments. La membrane capillaire qui sépare les secteurs
interstitiel et vasculaire étant perméable à l'eau et aux ions mais pas aux grosses
molécules (> 35 Å), la composition ionique de ces deux compartiments est
identique, mais la concentration en protéine est très supérieure dans le secteur
intravasculaire. Ces protéines restant dans le compartiment vasculaire sont à
l'origine de la pression oncotique tendant à maintenir l'eau dans le vaisseau. À l'état
normal, cette pression oncotique est assurée à 70 % par l'albumine.

Mouvements d'eau entre les différents compartiments


Échanges entre les secteurs intra- et extracellulaires

Ils sont dépendants des concentrations en ions K+ et Na+ qui sont respectivement les
ions prépondérants dans l'osmolarité des secteurs intra- et extracellulaires. Une
variation de l'osmolarité entraîne un transfert d'eau pour rétablir l'équilibre
osmotique.
Échanges entre les secteurs vasculaires et interstitiels
La loi de Starling définit les facteurs qui déterminent les mouvements de fluides
entre ces deux compartiments : Jv = Lp A [(Pc - Pis) - ( c - is)], Jv représentant le
flux d'eau à travers le vaisseau, Lp la conductivité hydraulique de la membrane, A
la surface d'endothélium disponible pour les échanges, (Pc - Pis) le gradient de
pression hydrostatique entre le capillaire (c) et le secteur interstitiel (i), ( c - is) le
gradient de pression osmotique des protéines ou des colloïdes (pression oncotique)
entre le capillaire et le secteur interstitiel et le coefficient de réflexion osmotique
de Staverman. Ce coefficient représente le degré de perméabilité de la membrane
capillaire aux protéines plasmatiques ( = 0 : perméabilité totale aux
protéines ; = 1 : imperméabilité totale aux protéines) [1]. En résumé, le gradient
de pression hydrostatique, tendant à faire fuir l'eau vers le secteur interstitiel,
s'oppose à un gradient de pression oncotique qui retient l'eau dans le secteur
vasculaire, la résultante étant un flux physiologique du secteur vasculaire vers le
secteur interstitiel lui-même compensé par l'adaptation du débit lymphatique [2].

PHARMACOLOGIE
DES SOLUTÉS DE REMPLISSAGE VASCULAIRE

Cristalloïdes
Solutés isotoniques

Le Ringer lactate est le plus prescrit en clinique. Contrairement au sérum salé


isotonique, il ne présente pas l'inconvénient d'une éventuelle acidose
hyperchlorémique. Ces cristalloïdes isotoniques se distribuent en moins d'une heure
à l'ensemble du secteur extracellulaire, expliquant ainsi la faiblesse de leur pouvoir
d'expansion volémique. Ainsi, 25 % des volumes perfusés iront dans le
compartiment vasculaire et 75 % dans le secteur interstitiel. L'inflation interstitielle
augmente le flux lymphatique, qui ramène l'albumine vers le secteur
plasmatique [3]. Par ailleurs, de récents travaux ont mis en évidence une
diminution de la constante d'élimination de ces solutions chez des volontaires sains
hypovolémiques [4]. Mais l'apport en cristalloïdes doit être très supérieur au
volume à compenser, et prolongé dans le temps exposant au risque d'inflation
hydrosodée. De plus, l'utilisation massive de cristalloïdes isotoniques ne semble pas
efficace pour restaurer une microcirculation efficace [5] [6]. En revanche, dans les
hypovolémies majeures, et du fait d'une diffusibilité plus grande au secteur
interstitiel, ces solutés présenteraient l'avantage de rétablir de façon précoce le
potentiel de membrane, et donc un fonctionnement cellulaire normal [7].
Solutés hypertoniques

Ces solutions, dont l'osmolalité est supérieure à celle du plasma (300 mOsm · kg -1)
ont un espace de diffusion réduit au compartiment extracellulaire [8]. Elles peuvent
être salées ou non, le chlorure de sodium hypertonique étant le soluté de référence.
L'expansion du compartiment vasculaire qu'elles provoquent est transitoire
(< 1 h) (tableau I), liée à un mouvement d'eau provenant des compartiments
interstitiel et cellulaire (hématies et cellules endothéliales) [9], mais ne rend pas
compte de toutes leur propriétés. Leur efficacité prolongée dans la correction des
hypovolémies est due à une amélioration des conditions de charge du ventricule
gauche [10]. L'augmentation de la précharge du ventricule gauche est liée à une
vasoconstriction artérielle (musculocutanée) et veineuse (> 6 h) qui serait d'origine
réflexe et médiée par le nerf vague [11] [12]. La diminution de la postcharge
(dépendante de la vitesse d'injection du soluté) est liée à une diminution des
résistances vasculaires systémiques essentiellement par vasodilatation précapillaire
dans les territoires splanchnique, rénal et coronaire [13]. La combinaison des effets
vasodilatateurs et de la diminution de la résistance à l'écoulement du sang dans les
capillaires, par modification du volume des hématies et des cellules endothéliales,
crée des conditions de perfusion et d'oxygénation tissulaires particulièrement
favorables dans le cadre d'un choc hypovolémique. L'augmentation de la
contractilité myocardique est discutée chez l'homme [14]. Les modèles
expérimentaux animaux rendent compte de la complexité de cet effet inotrope lié
soit à l'hyperosmolarité de la solution, mais l'effet observé est variable suivant les
espèces, soit à un effet inotrope lié à l'entrée de calcium dans le myocyte via
l'échangeur Na+-Ca2+, dans le cas des solutés salés hypertoniques [15].

Tableau I. Efficacité volémique des différents solutés de remplissage.


Efficacité volémique initial Durée d'expansion volémique
(% du volume perfusé) (h)
Cristalloïdes
Ringer-Lactate 19 0,5
NaCl 9 ‰ 25 0,5
NaCl 7,5 % 700 0,5
Colloïdes naturels
Albumine 4 % 80 6-8
Albumine 20 % 400 6-8
Colloïdes de synthèse
Dextrans
Rhéomacrodex
140-180 4-6
Hémodex®
100 12-24
Gélatines
Plasmion®
80-100 3-4
Gélofusine®
80-100 3-4
Haemaccel®
80-100 3-4
HEA
Lomol® (1)
150-170 6-8
Elohès®
100-140 10-18
Hesteril®
100-140 4-8
(1) AMM obtenue mais non commercialisé

Colloïdes
Colloïde naturel

L'albumine reste le seul colloïde naturel d'origine humaine utilisable en tant que
soluté de remplissage. Elle représente environ 55 % des protéines plasmatiques,
70 % de la pression oncotique et son poids moléculaire est de 69 kDa. L'albumine
transporte de nombreux médicaments, hormones, enzymes et capte les radicaux
libres. Son origine est plasmatique ou placentaire, elle est obtenue par
fractionnement et présentée en solutions iso-osmolaires, à 4 % (hypo-oncotique par
rapport au plasma) et 20 % (hyperoncotique). Les réserves échangeables
d'albumine de l'organisme sont de 4,5 à 5 g · kg -1 dont un tiers dans le
compartiment vasculaire, le reste se répartissant dans le secteur interstitiel avec une
distribution variable selon les tissus. Après une injection intraveineuse d'albumine,
60 % de la masse injectée se retrouve après 24 heures dans le secteur interstitiel. Le
taux de transfert d'albumine à travers le capillaire vers le secteur interstitiel est de
5 % par heure, mais peut augmenter dans certains états pathologiques comme le
sepsis ou l'insuffisance cardiaque. La demi-vie d'élimination de l'albumine est de
18 jours, correspondant au temps nécessaire pour son catabolisme par le système
réticulo-endothélial. Chez un sujet sain, le pouvoir d'expansion volémique de
l'albumine est de 18 à 20 mL · g -1, la perfusion de 500 mL d'albumine à 4 %
entraînant une augmentation dans le compartiment vasculaire de 400 mL, du fait de
l'hypo-oncocité de la solution, alors que celle de 100 mL d'albumine à 20 %
entraîne la même augmentation par mobilisation de l'eau interstitielle, l'effet
persistant 6 à 8 heures (tableau II).
Colloïdes de synthèse

Les solutions macromoléculaires de remplissage appartenant à cette catégorie se


définissent en fonction de caractéristiques physico-chimiques communes. En raison
de leur composition en molécules de poids moléculaire (PM, kDa) variable, le PM
moyen en poids (PMp) et le PM moyen en nombre de molécules osmotiquement
actives (PMn) ont été définis, ainsi qu'un indice de polydispersion (PMp/PMn). La
viscosité de ces solutions dépend de leur viscosité intrinsèque, viscosité mesurée
lorsque la concentration est proche de 0, de leur viscosité dynamique, viscosité
rapportée au solvant, et de l'interaction avec la viscosité du sang après perfusion du
colloïde. Le solvant de ces colloïdes est une solution hydroélectrolytique de type
Ringer lactate ou sérum salé isotonique. Les principales caractéristiques
physicochimiques de ces solutés sont résumées dans le tableau II.
Dextrans

Ce sont des polysaccharides d'origine bactérienne (Lactobacillus leuconostoc


mesenteroïdes). Les PMp des dextrans 40 (D40), 60 (D60) et 70 (D70) sont
respectivement de 40 kDa, 60 kDa et 70 kDa, et les PMn de 25 kDa (D40), 39 kDa
(D60), et 32 kDa (D70). La diversité des voies d'élimination des dextrans rend
compte de la complexité de leur pharmacocinétique. Après administration
intraveineuse, une grande partie du soluté est éliminée par le rein par filtration
glomérulaire, une autre partie passe dans le secteur interstitiel, avec soit un retour
dans le compartiment vasculaire via la circulation lymphatique, soit une
métabolisation dans certains organes aboutissant à la production de CO2. Enfin, une
fraction du soluté est éliminée par le tube digestif sous forme de sécrétions
intestinales et pancréatiques. La filtration glomérulaire des molécules de dextran
dépend de leur taille : au bout de 6 heures, 50 % du D40 perfusé est éliminé dans
les urines, contre 30 % du D70. La demi-vie plasmatique du D40, qui est fortement
corrélée à la fonction rénale, est de 2 heures alors que celle du D70 de 24 heures.

Tableau II. Principales caractéristiques physicochimiques des colloïdes de synthèse.


C PMo PMn CRE VI
Noms S TSM C2/C6
(%) (kDa) (kDa) (mL·g-1) (cp)
Dextrans

Rhéomacrodex® 10 NaCl 40 25 30 3,5 5,4

Hémodex® 6 RA 60 39 20 2,08 3,5


Gélatines

Plasmion® 3 RL 35 14 1,17 2,2

Gélofusine® 4 NaCl 25 15 40 0,9

Haemacel® 3,5 NaCl 35 15 1,2 1,8


HEA
250
Lomol® (1) 10 NaCl
200
Elohès® 6 NaCl 63 30 2,3 5,5 0,62 13,4
240
Hesteril® 6 NaCl 60 30 1,21 3 0,5 5,7
(2) 130
6-10 NaCl 63 30 1,21 2,2 0,4 >8
200-
Heafusine® 6-10 NaCl 0,5 5-6
250
C : concentration ; S : solvant ; CRE : capacité de rétention d'eau ; : pression
oncotique soluté/pression oncotique plasma ; VI : viscosité intrinsèque ; RA :
Ringer acétate ; RL : Ringer lactate.
(1)
AMM obtenue mais non commercialisé.
(2)
AMM en cours.

Le pouvoir d'expansion volémique d'un gramme de dextran varie suivant les


solutions. Le D40 retient 30 mL d'eau en intravasculaire, contre seulement 20 à
25 mL pour le D70, mais cet effet est plus prolongé [16] [17] (tableau II). La
puissance et la durée de l'expansion volémique sont aussi dépendantes de l'état de la
volémie au moment de la perfusion, elles sont diminuées en situation de
normovolémie. Le D40 a des effets rhéologiques bénéfiques puisque, à des niveaux
d'hémodilution comparables, il diminue la viscosité sanguine de façon plus
importante que d'autres solutés de remplissage [18]. Le D40 diminue la viscosité à
bas niveau de cisaillement, augmente le temps de formation des rouleaux
érythrocytaires et diminue l'agrégation plaquettaire [19]. Enfin, l'hypothèse selon
laquelle ces solutés diminueraient l'adhésion leucocytaire atténuant ainsi les
conséquences des phénomènes d'ischémie-reperfusion reste discutée [20] [21].
Gélatines

Ces polypeptides obtenus par hydrolyse du collagène osseux de bœuf sont de deux
types : des gélatines fluides modifiées (GFM) et des gélatines à pont d'urée (GPU).
Leur PMp est d'environ 35 kDa, et leur PMn se situe autour de 23 kDa. Ces solutés
relativement peu dispersés, sont légèrement hypertoniques et exercent un pouvoir
oncotique proche de celui du plasma. Leur point de gélification, à la concentration
utilisée en clinique, se situe entre 0 et 4°C. Leur viscosité, proche de celle du
plasma ne varie pas pour des températures allant de + 4°C à + 20°C. La
pharmacocinétique de ces produits est mal connue. Leur demi-vie plasmatique
serait de cinq heures, et environ 20 à 30 % de la dose administrée passerait dans le
secteur interstitiel. L'élimination des gélatines est essentiellement rénale, et elles ne
semblent pas s'accumuler dans l'organisme.

Chez le malade hypovolémique, 500 mL de gélatine augmente le compartiment


vasculaire de 400 à 500 mL, mais il n'en reste au mieux que 300 mL, quatre heures
plus tard (tableau II).
Hydroxyéthylamidons (HEA)

Ce sont des polysaccharides naturels, extraits d'amidon de maïs, modifiés par


hydroxylation, afin de ralentir leur hydrolyse enzymatique par l' -amylase. Cette
hydroxyéthylation consiste en une substitution sur une molécule de glucose au
niveau du carbone C2 essentiellement, celle-ci donnant la plus grande résistance à
l'hydrolyse enzymatique, mais aussi au niveau C3 et C6. Le ratio C2/C6 qui
exprime le type d'hydroxyéthylation conditionne la pharmacocinétique de l'HEA.
Ces solutés se caractérisent par un degré de substitution (DS), correspondant au
pourcentage de molécules de glucose porteuses d'au moins un groupement
hydroxyéthyl (de 0 à 100 %), et par un taux de substitution molaire (TSM),
correspondant au nombre moyen de substitution par molécule de glucose (de 0 à
300 %), mais aussi par leur PMp et leur PMn. Les molécules de PMp inférieur à
50-60 kDa sont éliminés rapidement par filtration glomérulaire dans les urines et
par passage dans le secteur interstitiel. Les molécules de PMp élevé sont
fragmentées en molécules de plus petites tailles (70 kDa) par l' -amylase
plasmatique et restent dans le compartiment vasculaire où elles maintiennent
l'expansion volémique pendant deux à quatre heures. Elles sont ensuite éliminées
très lentement par le système réticulo-endothélial, qui donne naissance à des oligo-
et polysaccharides sans augmentation de la glycémie, et par le rein. L'élimination
des HEA est très dépendante du DS, leur demi-vie étant de l'ordre de 18 à
24 heures, mais n'est que peu influencée par le PMp [22]. En fait, la description de
la pharmacocinétique de ces molécules polydispersées ne rend compte que d'une
moyenne des cinétiques de molécules de tailles différentes. Certains auteurs
suggèrent que les différentes solutions d'HEA, présentes sur le marché, soient
comparées d'après leur PMp in vivo après hydrolyse partielle de la solution
initialement injectée, celui-ci dépendant du PMp initial, du DS et du rapport
C2/C6 [23]. Le PMp in vivo est d'autant plus élevé, que ces trois paramètres sont
élevés. À concentration égale, plus le PMp in vivo est faible, plus l'expansion
volémique est importante et moins l'HEA s'accumule. Les HEA sont en solution
isotonique dans du chlorure de sodium à 0,9 %, et leur viscosité est élevée.

Chaque gramme d'HEA retient environ 30 mL d'eau dans le compartiment


vasculaire (tableau II). Les solutions de PM moyen entraînent une augmentation de
la volémie en fin de perfusion de 100 à 140 % du volume perfusé, des valeurs
proches de celles de l'albumine à 4 %. La durée de leur efficacité est liée à leur
persistance dans le compartiment vasculaire, à la mobilisation de l'albumine du
secteur interstitiel et à l'adaptation rénale [24].

Les associations

Les associations NaCl 7,5 %-HEA ne sont pas disponibles en France. Leur
importante efficacité hémodynamique pour un faible volume de remplissage
pourrait les rendre intéressantes dans certaines indications, comme le choc
hémorragique et dans le contexte préhospitalier, mais ces indications ne sont pas
encore confirmées par des études cliniques.

CHOIX D'UN SOLUTÉ DE REMPLISSAGE

Le choix du produit de remplissage vasculaire en anesthésie doit se faire en


fonction : a) des propriétés physico-chimiques du soluté ; b) des propriétés
pharmacocinétiques et pharmacodynamiques du soluté ; c) du contexte et de
l'indication du remplissage vasculaire ; d) des effets secondaires du produit.

Les données actuelles de la littérature ne sont cependant pas suffisamment


concluantes pour aider dans ce choix. Les études comparatives chez l'homme sont
rares, souvent non randomisées, et les thérapeutiques évaluées différentes d'une
étude à l'autre. Les méta-analyses sont également souvent critiquées pour le
manque d'homogénéité des populations étudiées, ou encore pour des critères de
jugement différents d'une étude à l'autre, voire inadaptés à ce genre
d'analyse [25] [26].

Indications des solutés de remplissage vasculaire

De récentes recommandations pour la pratique clinique ont été émises en


France [27]. L'essentiel de ces recommandations est résumé dans le tableau III.
D'une façon générale, l'hypovolémie modérée, qu'elle soit vraie ou relative, est une
bonne indication des cristalloïdes isotoniques. En revanche, l'utilisation large de
cristalloïdes pour maintenir ou augmenter le compartiment vasculaire exposant à
une inflation du secteur interstitiel, les colloïdes doivent leur être préférés chaque
fois que l'hypovolémie perdure, s'aggrave ou s'accompagne d'altération de la
perméabilité de la membrane capillaire (sepsis, œdème cérébral, circulation
extracorporelle) [28] [29].

Effets secondaires des solutés de remplissage vasculaire


Effets secondaires communs

Surcharge volémique

Ce risque est commun aux cristalloïdes et aux colloïdes et peut compromettre la


fonction pulmonaire. Sur un poumon sain, sans altération de la membrane alvéolo-
capillaire, le seuil de survenue de l'œdème pulmonaire est abaissé si la pression
oncotique est basse. L'expansion volémique doit donc être lente. Une mauvaise
appréciation du degré de l'hypovolémie et/ou la présence d'une cardiopathie
contribuent à la survenue d'un œdème pulmonaire au cours du remplissage
vasculaire. L'utilisation de solutions très concentrées (10 %) accroît le risque de
surcharge volémique, ainsi que le risque de déshydratation du secteur interstitiel
dans les chocs hémorragiques.

Tableau III. Indications des solutés de remplissage en anesthésie.

1. cristalloïdes si pertes < 20 %


masse sanguine
Hémorragie 2. colloïdes si pertes > 20 %
masse sanguine
ou PAM < 80 mmHg
1. cristalloïdes
Déshydratation
2. colloïdes si choc persistant
Choc septique colloïdes
Choc anaphylactique cristalloïdes
Hypovolémie relative de l'anesthésie générale ou cristalloïdes
locorégionale
1. cristalloïdes *
2. colloïdes, à partir de la
Brûlés 24e heure si surface brûlée
> 40 % et si hypovolémie
persistante
1. cristalloïdes isotoniques
Traumatisés crâniens
2. colloïdes
colloïdes sauf dextran 40 et HEA
Donneurs d'organes
200/0,6 **
Contextes particuliers hypovolémie aiguë 1. cristalloïdes hypertoniques
hémorragique en contexte préhospitalier 2. colloïdes

femme enceinte 1. cristalloïdes


2. albumine
* Règle de Parkland : volume des 24 premières heures (mL) = 4 x surface brûlée
(%) x poids (kg).
** Risque d'insuffisance rénale avec le dextran 40 et de lésions de néphrose
osmotique avec HEA 200/0,6
Hémodilution

L'administration massive de dérivés non sanguins pour le remplissage vasculaire


expose à une hémodilution avec baisse de l'hématocrite et des facteurs de la
coagulation. Les cristalloïdes et les colloïdes perfusés en grand volume peuvent être
responsables de cet effet non spécifique sur l'hémostase.
Effets secondaires spécifiques

Effets sur l'hémostase

L'albumine est considérée comme une solution neutre sur l'hémostase en dehors des
conséquences de l'hémodilution et de la captation du calcium ionisé. Une étude in
vitro relève cependant un état d'hypercoagulabilité induit par une hémodilution à
20 %, avec de l'albumine 4 % [30].

Les dextrans et en particulier ceux ayant un PM élevé entraînent un allongement du


temps de saignement et une fragilisation du caillot à des doses supérieures à
1,5 g · kg -1 · j -1. Ces effets sont secondaires, d'une part à une baisse des facteurs
VIIIc et von Willebrand (vWF) avec diminution de l'adhésivité plaquettaire, et
d'autre part à une altération de la polymérisation de la fibrine. Ces modifications
sont similaires à celles rencontrées dans le syndrome de Willebrand de type I, et
justifient la contre-indication de ces solutés de remplissage en cas de troubles de
l'hémostase ou de thrombopénie, et la prudence en cas de traitement anticoagulant
associé. In vivo, l'administration de desmopressine ne semble pas améliorer ces
symptômes [31].

Les gélatines diminueraient l'agrégation plaquettaire induite par la ristocétine, la


fixation du vWF par la gélatine modifiant les rapports vWF-GPIb, ainsi que
l'agrégation impliquant les récepteurs plaquettaires GPIIb-IIIa. Cet effet est plus
marqué pour les GPU. Ces solutés réduisent également la formation du caillot et la
synthèse de thrombine [32] [33] [34]. En revanche, les conséquences cliniques de
ces effets semblent modérées.

Les HEA sont à l'origine d'accidents hémorragiques rares, compte tenu de leur très
large utilisation, mais graves. Ces accidents qui sont en rapport avec une
diminution des facteurs VIII et vWF, et avec une altération de la polymérisation du
caillot de fibrine, se traduisent par un allongement du temps de saignement, une
diminution du temps de thrombine et de la concentration plasmatique du
fibrinogène. La diminution des taux de facteurs VIII et vWF est probablement due
à une clairance accélérée de ce complexe qui se lie aux molécules d'HEA
circulantes. Plusieurs études ont montré que la fixation du complexe Willebrand sur
les molécules d'HEA était proportionnelle à la quantité de molécules
circulantes [35] [36]. Plus le PM, le TSM et le ratio C2/C6 de ces HEA sont élevés
et plus ces molécules persistent en intravasculaire. L'impact de ces HEA sur le
complexe Willebrand est donc plus grand avec des HEA ayant un PMp in vivo
élevé, qu'avec des HEA ayant un PMp in vivo faible, à condition que ces derniers
ne soient pas administrés dans de grandes quantités. L'Agence Française de
Sécurité Sanitaire des Produits de Santé a fixé récemment les nouvelles modalités
d'administration des HEA : pour l'Elohès®, la dose administrée doit être limitée à
33 mL · kg -1 · j -1, la durée du traitement doit être inférieure à 4 jours, et la dose
maximale administrée inférieure ou égale à 80 mL · kg -1 · j -1. Une surveillance de
l'hémostase par mesure du temps de céphaline activé, du cofacteur de la ristocétine
et du VIIIc est recommandée. Cette surveillance est renforcée chez les patients
recevant un traitement pouvant retentir sur l'hémostase et chez les patients du
groupe sanguin O, en raison d'un taux de vWF spontanément plus bas.
L'administration d'Elohès® est contre-indiquée en cas de troubles de l'hémostase
constitutionnels ou acquis, d'hémophilie et de maladie de Willebrand. Les autres
HEA font l'objet de règles de surveillance identiques en cas de traitement d'une
durée supérieure à 4 jours et d'une dose totale supérieure à 80 mL · kg -1 · j -1.
Enfin, in vitro et à des concentrations retrouvées en clinique, les HEA ne montrent
pas d'effet sur l'agrégation plaquettaire [37].
Risques allergiques

L'incidence des réactions anaphylactoïdes de l'albumine est de 0,011 % par flacon


et de 0,099 % par patient, ces chiffres étant inférieurs à ceux des gélatines et des
dextrans, mais comparables à ceux des amidons [38]. Des réactions d'hyperthermie,
de frissons, ont été décrites comme secondaires à la présence d'endotoxines non
détectées par un test des pyrogènes, mais sans rapport avec une réaction
anaphylactoïde.

Les mécanismes des réactions allergiques aux dextrans sont connus [39]. Les
réactions sont de type anaphylactoïde pour les dextran de PM élevé, mais tous les
dextrans peuvent donner une réaction anaphylactique avec réaction antigène-
anticorps (anticorps formés par les bactéries du tube digestif ou à la suite de
l'ingestion de dextran d'origine alimentaire), production de complexes immuns et
activation du complément. La fréquence de ces réactions est de 1,3 à 13/100 000
flacons, et la fréquence globale par malade est de 1 %. L'injection préventive
systématique de 20 mL d'un dextran de 1 000 daltons (Promit®) deux minutes avant
la perfusion de dextran a permis de réduire l'incidence de ces réactions et d'en
éliminer presque complètement leurs formes sévères. Pour ces raisons, les dextrans
sont contre-indiqués chez la femme enceinte.

Le risque de réactions allergiques aux gélatines est six fois supérieur à celui de
l'albumine et des HEA, et comparable à celui des dextrans. Le mécanisme de ces
réactions allergiques est mal connu. Ces phénomènes sont plus fréquents avec les
GPU.

La tolérance immuno-allergique des HEA semble excellente, similaire à celle de


l'albumine. Des réactions sévères, dont la physiopathologie reste mal connue, ont
cependant été décrites [40].
Tolérance rénale

Des cas d'insuffisance rénale aiguë (IRA) ont été rapportés chez des sujets âgés et
artéritiques, après perfusions répétées de grandes quantités de dextran 40 à
10 % [41]. Une augmentation de la pression osmotique importante s'opposant à la
pression hydrostatique glomérulaire semble en être la cause, expliquant la
réversibilité du phénomène.

Les HEA peuvent entraîner des modifications histologiques au niveau rénal.


Quelques cas de lésions de nécroses tubulaires avec vacuolisation de cellules
épithéliales ont été décrits chez des patients sans atteinte préalable connue, mais
l'essentiel des observations est rapporté dans l'environnement de la transplantation
rénale [42]. Les lésions de néphrose osmotique observées sur les reins transplantés
pourraient être liées à une accumulation d'HEA au niveau tubulaire, s'ajoutant ainsi
aux lésions d'ischémie-reperfusion. Ces lésions de néphrose osmotique
retarderaient la reprise de la fonction rénale des patients greffés par rapport à des
patients dont le greffon n'a pas été exposé à un amidon.
Tolérance hépatique

Neuf cas de surcharge de cellules de Kupffer ont été rapportés en 1998 chez des
patients ayant reçu de façon itérative des HEA, mais leur utilisation dans le cadre
des hypovolémies après paracentèse chez le cirrhotique n'a pas révélé de
complications supplémentaires par rapport à des patients recevant un colloïde
naturel [43].
Risque infectieux

Le risque viral n'existe plus en théorie, en raison des techniques d'élaboration.


Les parvovirus qui résistent à la pasteurisation de l'albumine n'ont pas, jusqu'à
présent, provoqué d'effet pathogène majeur. Le risque de transmission d'agents
pathogènes, de type prions, ne semble que « théorique », dans les conditions
normales d'utilisation de l'albumine [28]. L'origine animale des gélatines ne permet
pas de considérer le risque de transmission de l'agent de l'encéphalopathie
spongiforme bovine comme nul.
Autres effets secondaires spécifiques

Les HEA augmentent l'amylasémie par formation de complexes macroamylases


sériques dont l'élimination rénale est retardée. Cette augmentation sans
conséquence clinique doit être prise en compte lors de la perfusion d'HEA chez un
patient suspect de pancréatite aiguë. Les effets à long terme du stockage des HEA
dans le système réticulo-endothélial sur l'immunité ne sont pas connus.

Des erreurs d'appréciation du facteur Rhésus peuvent survenir en présence de


gélatines, ainsi qu'une gêne dans l'interprétation du groupe sanguin en présence
d'HEA, imposant le prélèvement du sang pour groupage avant la perfusion de ces
solutés.

CONCLUSION

L'objectif principal du remplissage vasculaire en anesthésie est la correction de


l'hypovolémie, afin d'améliorer les conditions de circulation régionale et générale.
Un compromis entre, d'une part l'indication et le contexte du remplissage
vasculaire, et d'autre part les caractéristiques pharmacologiques et les effets
secondaires du soluté de remplissage doit être trouvé pour guider la prescription des
produits les plus adaptés.

L'évolution des volumes et de la distribution compartimentale des liquides


corporels à l'état normal et dans certains états pathologiques justifie l'adaptation de
cette prescription médicale dans le temps.

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