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Synthèse A.

Varvaro – Linguistique romane

Synthèse réalisée par


Adrien Lemaire

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Synthèse A. Varvaro – Linguistique romane

Remarque préliminaire : le manuel se construit à partir de cartes explicatives, les consulter pour
tout comprendre ou les insérer dans la synthèse.

I. Géographie et identité des langues romanes


A) L’espace Européen occupé par les langues romanes
Aujourd’hui, les langues romanes sont à l’ouest d’une ligne qui va du canal de la manche
à la mer adriatique. À l’est de cette ligne : langues germaniques et langues slaves. 2 aires
alloglottes1 majeures dans l’espace roman :

- Bretagne : bilingue français / parler breton


- Sud-ouest de la France – nord de la Navarre espagnole : langue basque

Dans les deux cas, la population est bilingue et tous ne parlent pas la langue locale. En outre,
autour de la masse continentale des langues romanes, plusieurs îles les parlent (ex. : Madère,
les Açores, etc.)

B) Langues standard et dialectes


Normalisation : amène à la reconnaissance d’une langue, dont l’usage devient officiel.
Les grandes langues romanes sont le portugais, l’espagnol (ou « castillan »), le français et
l’italien (anciennement « toscan »). À côté de ces langues : le gallicien, l’occitan, l’asturien,, le
rhéto-roman sont des langues largement reconnues.

Les dialectes sont très nombreux dans la Romania2 , à tel point que l’on parle d’un
continuum allant de Lisbonne à Lille à Trieste. Plus qu’une mosaïque de zones linguistiques,
c’est un dégradé de traits différents entre les langues qui caractérise l’Europe romane.

C) Le roumain
Autre espace roman en Europe, dans les Balkans : majeure partie de la Roumanie et
grande partie de la République moldave. Dialectes du même type dans la péninsule balkanique :
istro-roumain (Istrie), macédo-roumain et aroumain (Macédoine – Albanie – Grèce).

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Alloglotte : personne ou population qui parle une autre langue que celle du pays ou de l’état dans lequel elle se
trouve. Il s’agit de minorités linguistiques et souvent culturelles.
2
Romania : espace roman établi depuis la fin de l’empire romain, zone linguistique où sont parlées les langues et
dialectes romans.

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D) Le judéo-espagnol
Jusqu’au premières décennies du 20ème : parlé dans les Balkans. Langue ibéro-romane
des s-Séfarades 3 . Cette langue était parlée du Maroc à l’Anatolie (surtout à Smyrne et
Constantinople), dans de nombreuses îles de la mer d’Égée et dans quelques villes des Balkans.
Avec la 2nde guerre mondiale et l’immigration des communautés juives en Israël, disparition de
cette langue en Europe, mais elle est encore parlée en Israël (sous pression de l’hébreu), et dans
de nombreuses communautés américaines de Buenos Aires à Los Angeles et New York.

E) La Romania nova
Romania Européenne : constituée de ce qui reste de l’ancien espace latin, avec certains
changements non négligeables. Romania Nova : plus étendue et étrangère à l’empire romain :
Amérique (Québec ; Acadie ; tout le continent au Sud du Rio Grande, la frontière USA –
Mexique ; Cuba ; Puerto Rico), Afrique (français dans beaucoup de pays mais aussi portugais)
et Asie (quelques îlots mineurs mais surtout l’espagnol aux Philippines bien qu’il soit
minoritaire, et français dans quelques îles comme Tahiti).

F) Les locuteurs romans dans le monde


Nombre difficile à déterminer, mais des principales langues romanes c’est l’espagnol
qui est le plus parlé puis le portugais, le français et enfin l’Italien.

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Séfarades : juifs expulsés d’Espagne par les Rois Catholiques en 1492 et réfugiés dans l’empire Ottoman.

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II. Politiques linguistiques dans l’espace roman


Exemple de l’Afrique « romane » : décisions conscientes des gouvernements pèsent sur
la diffusion d’une langue, tout n’est pas spontané. Au plus l’autorité est grande, au plus les
décisions sont importantes. C’est la notion de politique linguistique.

A) Quelques repères historiques


813 : concile de Tours : sermons prêchés en langue vulgaire (maintien du latin dans la
liturgie). Première fois que l’on ressent la distance latin / langues romanes et les problèmes de
compréhension qui en découlent. Donne aussi une légitimité aux langues vulgaires, modifie
leur statut.

A.1) Français
Ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) : moment important dans l’histoire du français :
François Ier rend obligatoire l’usage du français. En principe, devait avantager ceux qui ne
connaissaient pas le latin mais dans les faits, lui assigne un statut qui étouffe les autres dialectes
du royaume : l’occitan du sud, le breton, le flamand, le basque, etc. Début de la politique
d’unification linguistique française, portée à ses extrêmes par les révolutionnaires pour qui
l’égalité entre citoyens implique l’usage d’une même langue.

A.2) Italien
1560 : Emmanuel Philibert de Savoie décide d’utiliser l’italien dans l’administration et
la justice du côté Italien de ses états. Tournant dans l’histoire du duché de Savoie : influence le
Piémont, qui va lui-même participer à unifier l’Italie en 1861.

A.3) Espagnol
Décret de Nueva Planta (1707) et étendu aux régions catalanes par Philippe V en 1716 :
impose l’espagnol dans l’administration et la justice aux dépends des autres langues du
royaume, surtout le catalan (opposés à Philippe pendant la guerre de succession espagnole).

B) Les Académies
- 1582 : Accademia della Crusca en Italie : la plus ancienne et la moins typique car pas
une institution publique. Opère dans un pays sans pouvoir politique unitaire et
conditionnant. Caractère normatif ne s’applique pas à la grammaire mais au lexique ;

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- 1636 : Académie française fondée par Richelieu. Norme grammaticale et lexicale basée
sur l’usage de la cour, restera toujours dans l’orbite de l’état.

- 1714 : Real Academia de la lengua Española par Philippe V, joue un rôle semblable :
normative. Influence en Espagne mais aussi en Amérique latine.

C) La politique linguistique4 en Amérique du Sud


L’indépendance des colonies américaines entre 1810 et 1820 s’accompagne d’une
affirmation de l’autonomie des différentes formes d’espagnol. On créa donc des académies
nationales autonomes. L’Académie de Madrid, afin de maintenir l’unité de l’espace linguistique
castillan, s’associe aux académies espagnoles d’Amérique.

D) Les politiques linguistiques aujourd’hui


Actuellement, il n’y a plus qu’en France que le gouvernement intervient sur l’usage
linguistique. Celui-ci revendique l’emploi du français contre celui de termes étrangers. La
politique linguistique passe surtout par les écoles. Depuis 1861, en Italie, l’usage des dialectes
(corruption de l’italien) à l’école est interdit alors qu’à cette époque peu d’enfants parlaient
l’italien. Les résultats des politiques linguistiques dépendent du contexte historique et de la
volonté des locuteurs. La Catalogne par exemple a su assuré la conservation de sa langue malgré
la politique de Franco qui voulait imposer l’espagnol.

E) Tentatives de normalisation
Ces dernières années, on voit apparaître des tentatives de normalisation de l’écrit des
parlers mineurs comme le rhéto-roman ou le sarde.

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Politique linguistique : ensemble des décisions concernant la langue qui sont prises au niveau gouvernemental
ou à un niveau similaire.

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III. La variation diatopique : dialectes et variétés


régionales
La variation linguistique la plus évidente est la variation diatopique : on utilise des
usages différents qu’on appelle dialectes, dans des lieux différents.

A) Les dialectes romans


Dans l’ancienne Romania, les dialectes sont les prolongements directs du latin parlé à
un endroit donné. Ceux-ci ont subi l’influence de parlers voisins ainsi que celle des langues
écrites de prestige. Le romanesco par exemple continue le latin de Rome en affichant d’abord
des caractéristiques méridionales avant de se rapprocher des dialectes centraux. Le romanesco
médiéval est caractérisé par :

- La métaphonie c.-à-d. qu’on a la diphtongue « je » seulement lorsque la voyelle finale


latine était « i » long ou « u » bref. Ex : vitello devient vitiello
- Le « b » latin devenu « v ».
- Le maintien du « I » latin initial, qui deviendra « dj » : Iacomo – Jacomo – Giacomo.
- Le groupe consonantique « pi » passé à « tchi ». Ex : sapiat devient saccia.
- Le maintien de certaines formes verbales comme staco, sto, etc.
- Le poitevin est un dialecte français mais au M-A, il se rapprochait de l’occitans.
- Le maintien du « a » et du « k » final.
- Le traitement des consonnes intervocaliques.

Les dialectes ne sont pas des formes corrompues des lg nationales mais dérivent
directement du latin au même titre que les lg romanes. Certaines de celles-ci se sont d’ailleurs
formées sur la base d’un dialecte comme le florentin pour l’italien. En 2000 ans, de nombreux
mouvements de population ont profondément modifié les usages linguistiques. Toutes les
langues de la Romania Nova par exemple ne sont pas un prolongement d’un latin parlé dans la
zone mais résultent de l’immigration de populations européennes à partir du XV siècle. La
variation diatopique est constante mais souvent modeste : les habitants d’une localité
comprennent le dialecte utilisé dans les localités voisines.

B) Les frontières linguistiques


Les frontières linguistiques sont rarement nettes. Les barrières géographiques ne sont
pas forcément des frontières linguistiques. Par exemple, on parle basque des deux côtés de la

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partie occidentale des Pyrénées. Les fleuves ne constituent pas non plus des frontières
dialectales. Celles-ci sont déterminées par des fractures dans l’identité sociale et culturelle.

C) Les dialectes régionaux


Les locuteurs de différentes localités peuvent s’identifier dans un seul dialecte malgré
leur différence de parlers. Ils s’identifient ainsi à des groupes plus larges que les groupes locaux.
On parle alors de dialectes régionaux qui s’identifient par des stéréotypes. Les locuteurs les
utilisent afin de ne pas employer les dialectes locaux considérés comme plus rustiques. Les
dialectes locaux sont alors uniformisés dans les dialectes régionaux mais aussi dans la langue
standard qui était indispensable pour avoir un statut social élevé et accéder à une série
d’activités professionnelles. Cette politique d’élimination des dialectes est très ancienne et
caractéristique de la France.

D) Les variétés régionales


C’est en Italie que les dialectes sont les plus vivaces. Aujourd’hui, on ne parle plus de
dialectes régionaux mais de variétés régionales. Soit celles-ci récupèrent des phénomènes
caractéristiques des dialectes correspondants, soit exploitent des variantes inhérente à la
grammaire de la langue.

En Italie par exemple, le passé simple est plus utilisé dans le sud et le passé composé
dans le nord comme c’est le cas dans les dialectes. Le lexique est caractéristique par de
nombreux géo-synonymes c.-à-d. des mots différents mais qui expriment le même concept dans
des langues différentes.

En France, les variations d’intonation, de phonétique ou de phonologie permettent


d’identifier l’origine d’un locuteur. Cependant, c’est le lexique qui montre le plus de variations
régionales du français. Un régionalisme a une vie active. Son statut peut changer selon les
époques. Un mot peut avoir été largement diffusé en Ancien Français puis être sorti de l’usage
pour se restreindre à une aire géographique. Inversement, un régionalisme peut entrer dans le
langage courant. Il y a aussi des régionalismes qu’au sein de la région et d’autres qui sont
connus dans d’autres régions qui les associent à cette région donnée. L’origine des
régionalismes est variée : archaïsmes, création récente, emprunts.

En Espagne, 3 situations peuvent expliquer la variation régionale :

- Interférences là où le castillan coexiste avec d’autres variétés romanes.

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- Là où le castillan s’est imposé sur les variétés préexistantes, celles-ci ont pu laisser des traces
dans le castillan

- Archaïsmes dans le castillan quand il s’est implanté dès le Moyen Âge

E) La variation diatopique dans la Romania Nova


La variation diatopique dans la Romania Nova est différente. L’espagnol ou le portugais
y est différent selon les régions car les parlers se sont formés sur la base de la langue des
colonisateurs qui étaient d’origines différentes et parlaient donc une variété différente. Parfois,
il y avait aussi une forte présence d’immigrés ayant une autre langue maternelle. La
romanisation des indigènes ne laisse pas de traces dans la grammaire mais a modifié le lexique
et de nombreux mots indigènes sont entrés dans le langage courant (cacao, tabac, etc.).
L’argentin et le québécois ne sont pas des dialectes néo-latins mais néo-castillan ou néo-
français.

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IV. L’étude de la variation : glossaires,


dictionnaires et grammaires
On a très tôt pris conscience de la variation dans l’espace roman. Le troubadour occitan
Raimbaut de Vaqueiras, entre 1190 et 1203, proposait déjà 5 strophes écrites dans une langue
différente chacune : occitan, italien, français, gascon, portugais.

Les gloses : première activité culturelle liée à la variation


La pratique de la glose constitue la plus ancienne trace d’une activité culturelle liée à la
variation. Les Glosas Emilianenses en Espagne vers l’an 1000 sont l’un des exemples les plus
anciens de gloses en langue romane. On a eu l’idée de séparer les gloses du texte et de les
regrouper dans un glossaire. Au début, les mots étaient regroupés par des champs conceptuels
: animaux, plantes, maïs. Cela compliquait la recherche d’un mot particulier et on a donc
remplacé par un classement alphabétique.

Les dictionnaires dialectaux


Les glossaires latino-romans apparurent tardivement. Le Vallilium en 1500 est le plus
ancien glossaire impliquant un dialecte. Il fournit le terme latin correspondant au mot dialectal
et l’accompagne de renvois aux auteurs classiques latins et à des explications du terme. Ce n’est
pas pour aider les personnes qui ne connaissent pas le dialecte mais ceux qui l’utilisent et qui
doivent utiliser une variété plus haute. Ces glossaires sont produits par des bourgeois et pas par
des linguistes. Ce n’est qu’au 20ème siècle qu’apparaissent des dictionnaires dialectaux qui
rassemblent le lexique entier d’un dialecte pour en permettre la connaissance dans toute sa
variété formelle et sémantique.

Dans les autres pays que l’Italie, on portait une plus grande attention à la nécessité
d’aider les personnes qui se rendaient dans un pays étranger et devaient satisfaire les exigences
linguistiques quotidiennes.

Les grammaires
Leur première finalité, normative, a été largement motivante pour beaucoup d’auteurs.
Toutefois, la seconde finalité, qui est celle d’aider les étrangers et les personnes projetant de
partir à l’étranger, est énormément représenté également. La production de grammaires
dialectales est moins prolifique que celle des lexiques car moins impérative pour comprendre
et se faire comprendre dans un dialecte étranger relativement proche du sien.

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V. L’étude de la variation : dialectologie et


ethnolinguistique
Dialectologie : étude des dialectes visant à démontrer que le dialecte n’est pas moins
digne que la plus influente langue littéraire de l’époque. Au départ, ce sont des grammaires
normatives qui disent comment il fallait écrire le dialecte et ne décrivent pas la manière de
parler effectivement. La dialectologie moderne (seconde moitié du 19ème siècle) est
descriptive. On étudie normalement le parler d’une seule localité.

Méthodologie
La méthodologie employée est basée sur la récolte directe des données orales par le chercheur
sur le terrain. Avant, on cherchait à étudier le dialecte supposé pur à partir de sujets âgés et
incultes. Or, ce dialecte est une illusion et il n’existe aucune homogénéité. La dialectologie est
devenue sociolinguistique.

Présentation des résultats : rapport avec le système latin pour la phonétique et la


phonologie, les grandes catégories morpho, les principaux phénomènes syntaxiques, le lexique.
L’étude d’un réseau de dialectes mène à la constatation de différences et de ressemblances. La
ligne de séparation entre ces aires est une isoglosse.

VI. L’étude de la variation : la sociolinguistique


Le cas de la Roumanie
La Roumanie ne présente pas de graves problèmes sociolinguistiques, mais le roumain
ne se parle pas seulement en Roumanie. Au nord de la Roumanie, existe une population romane
de langue roumaine. Elle s’est trouvée divisée de 1918 à 1944 entre la Roumanie et la Moldavie.
- En 1928, le retour à l’alphabet cyrillique à la place de l’alphabet latin en Moldavie creuse un
écart entre cette région et le reste de la Roumanie.
- En 1944, quand la Roumanie est soviétisée, il devient impossible d’imposer cet alphabet. Les
linguistes sont alors obligés de parler du moldave comme d’une langue différente du roumain
et un atlas autonome moldave est réalisé.
- En 1991, la Moldavie est devenue indépendante mais les conditions socio-économiques ont
rendu impopulaire l’idée d’une unification avec la Roumanie. Toutefois, l’alphabet latin y a été
réintroduit et le moldave est considéré comme une variété du roumain. La Roumanie a souvent
eu envers ses minorités une politique répressive, ce qui explique que les non-Roumains de
Moldavie ne voient pas d’un œil favorable une possible réunification.

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VII. Langues Romanes et Non-Romanes en


contact
Les variétés daco-romanes
Les variétés daco-romanes (Dace & langue romane) ont été perpétuées par les bergers
transhumants. Les Aroumains sont des groupes de bergers en contact avec des Albanais. Le
contact était inégal au détriment de l’Aroumain : il y a plus d’emprunts de l’aroumain à
l’albanais que l’inverse. Les groupes de bergers sont marginalisés par l’économie
contemporaine et les états nationaux imposent leurs langues (qui ne sont jamais romanes) à
travers l’école et l’administration.

VIII. La Reconquista de l’Espagne et de la Sicile


Au haut Moyen Âge, l’expansion de l’Islam érode une grande partie de la Romania
méridionale.

A) L’Espagne
A.1) La Conquête Musulmane
Cela ne cause pas la disparition de l’Eglise catholique, ni celle des parlers romans, mais
de plus en plus d’immigrés de langue arabe ou berbère arrivent dans la péninsule et l’arabe
acquiert de plus en plus de prestige. Les chrétiens qui restent en terre arabe sans renier leur foi
et leur langue romane sont appelés Mozarabes. Ce dialecte n’avait aucun prestige ni de normes.

Les Mozarabes cultivés connaissaient le latin et l’arabe. Seules les formes littéraires de
transmission orale existaient. La seule documentation sur ce dialecte sont les strophes en
mozarabe introduites à la fin des poésies des poètes arabes et juifs entre le 11ème et le 13ème
siècle. On pense que ce dialecte est assez homogène. Les états chrétiens du nord étaient restés
romans. Les dialectes en question (galicien, asturien-léonais, castillan, navarro-aragonais et
catalan) présentaient de nombreuses différences.

A.2) La Reconquista
Ces états du nord combattirent les Arabes et reconquirent des territoires du sud : la
Reconquista. En 1492, Grenade, qui était le seul royaume appartenant encore aux arabes, fut
reconquise par les rois catholiques et les derniers musulmans furent expulsés entre 1609 et
1614. Les gagnants de cette reconquête furent les Castillans (Léon, Estrémadure, Castille,

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Andalousie et Murcie). Navarre : royaume indépendant. Aragon et Catalogne : de l’est jusqu’à


Alicante au sud et les Baléares. (Carte p.140 et 141).

Conséquences linguistiques de la Reconquista

La Reconquista se fit par étapes par les chrétiens vers le sud. Dans le sud, la population
chrétienne et romane avait fini par disparaitre presque complètement. Les parlers romans des
territoires reconquis ne prolongent donc pas les langues indigènes mais celles des conquérants.
Le castillan devint la langue romane dominante en Espagne. C’était le dialecte septentrional le
plus original, celui qui se distinguait le plus des autres. L’Andalousie fut reconquise assez tard.
La romanisation y est due à l’immigration nordique. Les dialectes qui s’y sont formés étaient
castillans à la base. L’Amérique fut découverte en 1492 et colonisée par des Espagnols qui ne
pouvaient partir que du port andalou de Séville. En Amérique, on a donc un espagnol de type
andalou.

B) La Sicile
En Sicile, l’invasion arabe commença en 827 et en 902, les Arabes possédaient l’île.
Elle était hellénophone à l’est et romane à l’ouest. Au 11ème siècle, les Byzantins et les
Normands entreprirent la Reconquista jusqu’en 1091. Immigrèrent en Sicile les nouveaux
seigneurs qui venaient du sud et du centre de l’Italie ainsi que de la Ligurie et du Piémont au
nord. Ils ont conservé un dialecte de type septentrional. Il s’est donc constitué une variété
romane basée sur la langue des indigènes mais avec les apports linguistiques de l’immigration.
Le dialecte est moins diversifié et moins méridional qu’on le croirait.

Malte et Gozo furent musulmanes de 870 à 1090 et l’arabisation fut si radicale que la
Reconquista chrétienne ne parvint pas à en changer la langue. Le maltais actuel est un dialecte
arabe.

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IX. Les premiers textes Romans


Le français
Au haut Moyen Âge (8ème et 9ème siècles), la langue écrite était le latin mais il arrivait
que ce latin manifeste des phénomènes romans. La langue écrite était lue comme du roman. On
la lisait avec des particularités régionales. Ces différences sont dues à des interférences entre le
latin écrit et la langue parlée. Ces traces romanes dans les textes latins ne peuvent pas être
considérées comme des textes romans à proprement parler.

Serments de Strasbourg : premier cas où on est sûr que le scripteur avait conscience
d’opposer deux systèmes linguistiques. Ils ne s’exprimaient pas de façon improvisée mais à
partir d’un acte politique préparé mais ils sont conscients que le français et l’allemand étaient
des langues différentes du latin. On compte ensuite des textes gallo-romans en vers pour la
plupart des textes cléricaux et à contenu religieux comme la Cantilène de Sainte Eulalie.

X. Les changements du système phonologique


du latin aux langues romanes
A) L’accent et sa position
Dans les langues romanes, la voyelle tonique subit un traitement différent de la voyelle atone.
Il y a eu des discussions sur la nature de l’accent latin :

- Nature musicale (ton plus élevé).


- Nature expiratoire (produite avec une plus grande émission d’air).

La voyelle portant l’accent est prononcée avec plus de force : affaiblissement des voyelles
atones. En langues romanes, la position de l’accent reste la même qu’en latin : accent sur
l’avant-dernière syllabe (paroxyton) sauf si elle est brève. Dans ce cas, il est sur
l’antépénultième (proparoxyton). Voyelle brève suivie de deux consonnes 2 consonnes donne
une voyelle longue avec accent même si elle est pénultième.

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Dans le latin de l’époque impériale, 3 phénomènes modifient la position de l’accent :

- Voyelle brève suivie d’une occlusive et d’un R ≠ d’une voyelle longue. Ex : «


CÁTE(bref)DRA », « CÓLU(bref)BRA ». Dans les langues romanes, ces voyelles
pénultièmes (avant dernière) ont été considérées comme des longues car l’accent est
passé de l’antépénultième à la pénultième. Ex : « catédra » devient « chaiere » en
français. Le fait que certains de ces mots soient proparoxytons en italien signifie qu’il
s’agit d’emprunts au latin.

- En latin, les verbes composés avec un préfixe prépositionnel respectaient la règle de


l’accent et la voyelle brève, devenue atone, était modifiée. Ex : « Cum + Te(brève)net
» devient « Cónti(brève)net ». En latin impérial tardif, l’accent a été reporté là où il se
trouvait dans le verbe simple. C’est pareil dans les lg romanes. Ex : « demorat » devient
« demeure » en français. Parfois, on a même restitué la voyelle du verbe simple. Il existe
donc des mots paroxytons à pénultième brève et la règle de l’accent n’est plus valable.

- Mots où l’avant-dernière voyelle E(bref) ou O(bref) est précédée de I ou de E en hiatus


: normalement l’antépénultième aurait dû être accentuée. Ex : « PU-TÉ-O(bref)-LI. À
la fin de la période impériale, ces hiatus se sont effacés : le E et le I de la première des
deux syllabes sont devenus des semi-voyelles et les mots ont perdu une syllabe. Ex : «
PU-TEO-LI ». L’accent est déplacé sur la voyelle suivante.

B) Le sort des consonnes finales


- M : accusatif singulier ou terminaison verbale de la 1er personne du singulier.
- S : nominatif pluriel, accusatif pluriel, désinence verbale de la 2e personne du singulier
et de la 1er du pluriel.
- T : terminaison verbale de la 3e personne du singulier.

Dans les langues romanes, on ne trouve aucune trace du M final dans les mots plurisyllabiques.
Ex. : « amicum » devient « ami » en français. Dans les monosyllabiques, il a soit :

- Disparu : « iam » devient « giá » en italien


- S’est conservé sous la forme d’un N : « meum » devient « mien ».

Le T final a disparu dans toute la Romania sauf en Sardaigne et entre la Basilicate et la Calabre
où il peut être suivi d’une voyelle de soutien.

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Synthèse A. Varvaro – Linguistique romane

Le S est conservé dans les langues romanes comme marque du pluriel et désinence verbale dans
toute la Romania occidentale. En Italie centro-méridionale et en Roumanie, il a disparu en
passant par une phase « j » maintenue dans les monosyllabiques. Ex : « feminas » devient «
femmes » en français mais « femmine » en italien. Aujourd’hui, on retrouve le S en frioulan,
dans le piémontais, dans l’aire calabro-lucaine.

XI. Les changements du système


morphosyntaxique du latin aux langues
romanes
La déclinaison
Dans la plupart des langues romanes, on ne trouve aucune trace de déclinaison des noms.
Une seule forme pour le singulier et une seule pour le pluriel. Cette forme dérive de l’accusatif
latin. Le français et l’occitan ont conservé pdt tout le Moyen Âge une déclinaison à deux cas :
le cas sujet et le cas régime. Cette distinction s’était uniquement perdue dans les substantifs en
« A ». Dans la seconde partie du Moyen Âge, ces deux langues ont suivi toutes les autres en
supprimant cette déclinaison en faveur du cas régime. Le français commença à perdre le « S »
final entrainant une confusion entre les deux cas mais aussi entre formes au singulier et au
pluriel. Ex. : confusion entre les deux formes du singulier « ami » et entre le singulier et le
pluriel.

La déclinaison s’est mieux conservée dans le cas des pronoms. Ex. : le pronom sujet «
je » qui vient du nominatif ego et le pronom objet « moi » qui vient de l’accusatif me ou du
datif mihi.

En italien, au féminin, le « S » final devient « J » et la diphtongue « AJ » se réduit à


« E ». En italien et en roumain, le pluriel féminin se termine par « E » et le masculin par « I ».

L’article et les démonstratifs


Contrairement aux langues romanes, le latin ne possédait aucun article. L’article roman
défini vient du pronom démonstratif ille : « celui-là ». Les formes du singulier viennent de illu
et de illa. Le pluriel vient de illos au masculin et de illas au féminin sauf le féminin italien qui
vient de illae.

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Synthèse A. Varvaro – Linguistique romane

Les articles en sarde et dans certaines variétés catalanes viennent de ipse. L’article défini
précède généralement le nom mais en roumain, il le suit sous la forme d’un enclitique. L’article
indéfini est antéposé et dérivé de unu.

Pour les démonstratifs, le latin a trois degrés de proximité :

- hic : 1er personne et désigne quelque chose de proche du locuteur = « celui-ci »

- iste : 2e personne et désigne quelque chose de proche de l’interlocuteur = « celui-là »

- ille : 3e personne et désigne quelque chose n’étant proche d’aucun des interlocuteurs = « celui-
là »

Les formes romanes ont été renforcées par eccu et ecce. Ce système est conservé en
espagnol, portugais, sarde, catalan et dans quelques dialectes méridionaux de l’Italie mais pas
en français, occitan, roumain et italien où on a un système à deux degrés.

Le système verbal
Le futur latin ne s’est pas maintenu car il a souffert de l’évolution phonétique de « B »
et « V » qui l’a rendu homophone du parfait et de la confluence des formes des troisième et
quatrième conjugaisons avec celles du présent. Alternative en langues romanes :

- Présent avec un adverbe temporel (ex. : « demain, je viens »).

- Périphrase avec velle, debere, venire, ire et habere.

- Habere avec de/ad et un infinitif ou précédé de l’infinitif.

L’auxiliaire habeo s’est transformé en désinence : facere habeo devient « je ferai ». On


retrouve cette périphrase avec l’imparfait et le parfait. Ex : amare habebam devient « j’aimerais
». On crée donc le conditionnel.

XII. Le rapport continu avec le latin


Les emprunts lexicaux
Il faut distinguer les mots héréditaires qui ont toujours été présents dans la langue parlée,
des emprunts. Ces emprunts sont le fait de personnes maîtrisant la langue latine. Si un mot
d’origine latine a subi les changements phonétiques propres aux langues romanes, c’est un mot
héréditaire. Ex. : « oreille » vient de auricula. Si non, c’est un emprunt. Ex. : l’adjectif «
auriculaire » ne présente pas ces mutations.

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Synthèse A. Varvaro – Linguistique romane

Seule une petite partie des emprunts latins n’a pas subi d’adaptation : termes religieux
et scientifiques. Tous les A finaux ont été conservés sauf en français où on a un « E », les « U »
finaux deviennent « O » en italien et en espagnol et ont disparu en français.

Règle pour les latinismes en français : « S » initial + consonne devient « ES » +


consonne, tous les « U » sont prononcés « Y ».

En italien, « CT », « PT », etc. sont assimilés alors qu’ils se conservent en français et en


espagnol. En français et en espagnol, les consonnes doubles deviennent simples mais pas en
italien.

Beaucoup de doublets (deux mots ayant la même origine mais au parcours différent) :
un héréditaire et un emprunt. Ex. : « chose » (héréditaire) VS « cause » (emprunt) ou « hôtel »
(héréditaire) VS « hôpital » (emprunt).

L’influence du latin sur la morphosyntaxe des langues romanes


L’influence du latin peut aussi toucher la morphologie (ex : adverbes en « MENTE »)
et a syntaxe (ex. : position du verbe en fin de phrase).

Un effet centripète
Le latin a une fonction centripète qui empêche une différenciation interne trop forte et
accentue la ressemblance entre les différentes langues romanes.

XIII. Le rapport avec l’arabe


L’influence de la conquête arabe
Séville fut arabe pdt 536 ans et Palerme pdt 250 ans. L’influence linguistique de l’arabe
tient à deux facteurs :

- L’intérêt pour la science arabe souvent d’origine grecque et les traductions des textes arabes

- Le commerce méditerranéen entre pays arabes et pays romans.

Il y avait des latinismes dans l’arabe d’avant l’invasion et ceux-ci sont réapparus dans
les langues romanes sous leur forme et sens arabe. L’émigration des Mozarabes du sud vers le
nord chrétien de la péninsule a généralisé de nombreux arabismes. Ex. : aldea a donné « village
». Le castillan a 4000 arabismes.

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Synthèse A. Varvaro – Linguistique romane

Ces contacts laissent des traces dans la morphologie. Ex. : le suffixe adjectival –i qu’on
retrouve dans marroqui qui donnera « marocain ».

L’influence de l’arabe fut lexicale et comporta des adaptations systématiques. L’arabe


n’avait que 3 voyelles. Des consonnes inconnues furent remplacées par les consonnes romanes
les plus proches.

Les arabismes
Le trait le plus caractéristique des arabismes ibériques est l’intégration de l’article arabe
« al ». Presque tous les arabismes espagnols commencent donc par un « A ». Ex. : « alcoba » -
alcôve, « azucar » - sucre.

On trouve des arabismes dans tous les domaines surtout dans les noms de villes, de
montagnes et de fleuves. Ex. : Gibraltar. Il y a aussi des arabismes scientifiques. Ex. : algèbre.

La Sicile, Pise, Venise et Gêne ont été des plaques tournantes dans la diffusion des
arabismes. Le roumain n’a pas eu de contacts directs avec l’arabe mais possèdent des arabismes
provenant du turc.

XIV. Influences externes sur le roumain


Le premier texte roumain qui nous est parvenu remonte à 1531. Pour les 1000 ans qui
séparent l’abandon de la Dacie par les Romains (274 PCN) et le premier texte en 1521, nous ne
disposons que de quelques témoignages indirects, ainsi que de ce que nous pouvons reconstruire
par la linguistique comparée.

L’influence du slave
Au 7ème siècle, les Slaves s’installèrent sur les terres roumaines. Ils imposèrent une
variante du slave ancien comme langue de l’église orthodoxe et des chancelleries princières. 4
variétés roumaines : roumain, aroumain, macédo-roumain et istro-roumain. Le slave influence
les 4. On compte une centaine de slavismes et ce sont des concepts fondamentaux. Ex. : amo
est abandonné pour iubesc. Le rapport entre le roumain et le slave est si étroit que des termes
d’origine latine ont pris en slave, un sens supplémentaire que revêt le mot slave correspondant.
Ex. : floare qui vient de « flore » signifie « fleur » mais aussi « couleur ».

C’est entre le 11ème et le 15ème siècle que le slave exerça la plus grande pression sur
le roumain. Ensuite, les mots slaves pénétrèrent dans la langue roumaine par le bulgare, le serbe
ou l’ukrainien. Après 1700, on remarque de nombreux emprunts au russe. Les slavismes

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Synthèse A. Varvaro – Linguistique romane

représentent 14% du lexique roumain actuel contre 20% de latinismes héréditaires et 37%
d’emprunts au français du 19ème et 20ème siècles.

L’influence du grec
L’influence du grec sur le roumain est importante pdt le Moyen Âge et aux 17ème et
18ème siècles. Cela vient du contact entre personnes. Les emprunts au grec augmentent après
la prise de Constantinople en 1453. Ex. : piper : « poivre ».

L’influence d’autres langues


Il y a également des traces dans le lexique de l’invasion germanique. Le contact avec le
hongrois a laissé de nombreux noms de lieu et appellatifs en Transylvanie. Le roumain a aussi
été en contact avec la langue turque. Ex. : cafea vient de l’ottoman.

XV. Le latin et sa diffusion à l’époque ancienne


Les anciennes langues d’Italie.
L’expansion de l’air du latin est la conséquence de l’expansion politique de la ville de
Rome. En 300 ACN, le territoire romain se limitait au Latium et à l’actuelle Terre de Labour.
Cf. cours pour voir toutes les langues du Latium.

L’expansion du latin
En 100 ACN, le territoire romain correspond à la péninsule ibérique, sud de la Gaule, la
plaine padane, la Dalmatie, la péninsule italienne, la Sicile, la Sardaigne, la Corse, les Baléares,
la Tunisie et les provinces orientales.

Avec César et Auguste, conquête des Gaules, rive gauche du Rhin, Alpes, Pannonie,
Mésie, Afrique septentrionale jusqu’au golfe de la Syrte.

Plus tard, les Romains conquirent également la Mauritanie, la Bretagne et la Dacie.


(cartes p.242 et 243).

Les facteurs de latinisation


Le processus de latinisation de ces territoires n’a pas totalement abouti puisque le basque
ou l’albanais ont survécu. Il a consisté en une émigration dans l’empire de personnes dont la
langue maternelle était le latin et dans le changement de l’adoption du latin par les indigènes.

Le premier contact avec le latin se fit à travers la présence de l’armée romaine dans les
terres conquises. La langue de l’armée resta toujours le latin.

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Synthèse A. Varvaro – Linguistique romane

- Après leurs longues années de service, les légionnaires s’installaient dans les colonies à des
endroits stratégiques, ce qui est un facteur de latinisation.

- Autre facteur : la présence des marchands romains. Marché qui favorisa la circulation des
biens mais aussi celle des personnes et donc des langues.

- Autre facteur : les fonctionnaires. Système d’administration homogène et étendu.

- Autre facteur : le réseau des communautés chrétiennes qui adoptent le latin à partir du 2ème
siècle PCN.

Les indigènes ont adopté le latin car l’intégration était possible à condition d’adopter les
valeurs de la civilisation romaine dont sa langue. Les villes d’Occident devinrent latines. Les
esclaves parlaient latin car ils vivaient chez des romains. Le prestige de la culture romaine a été
renforcé par la diffusion des écoles où l’on enseignait le latin.

Les Romains concédèrent les droits politiques très lentement en vérifiant que celui qui
recevait ces droits participait à la vie civique romaine dont la langue est l’un des plus importants
piliers. Au début du 3ème siècle PCN, tous les habitants de l’Empire sont reconnus citoyens
romains (carte p.246).

Au début du 1er siècle PCN, en Italie, on parlait presque exclusivement le latin. En


Gaule, le gaulois demeura jusqu’au 5ème siècle. En Bretagne, on parlait toujours celtique au
moment des invasions anglo-saxonnes. En Afrique, le punique et le lybique étaient encore
parlés à la fin de l’empire.

XVI. Les variétés du latin


La langue de la littérature classique a été soumise à une normalisation et à un
autocontrôle, qui l’ont rendue très homogène et standardisée.

La variation en latin
Il existe des variétés au sein du latin. Ex. : langue des paysans VS langue des citadins.
Au 5ème siècle, Saint Jérôme explique que le latin change dans le temps et dans l’espace.
Aujourd’hui, on est toujours pas en mesure d’établir la provenance d’un texte latin sur la base
de critères linguistiques. Les textes non littéraires n’ont jamais été soumis à une normalisation
linguistique.

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Synthèse A. Varvaro – Linguistique romane

Le latin tardif
Entre 1866 et 1868, Schuchardt rassemble sous le nom de latin vulgaire une série de
phénomènes de vocalisme déviant. Cette étiquette désigne la langue parlée tous les jours. Elle
a souvent été mal utilisée :

- Soit évolution du latin archaïque en latin vulgaire puis en roman.

- Soit latin dans lequel on regroupe toutes les erreurs.

Il n’y a jamais eu de situations de diglossie dans l’Empire romain. Il y avait une langue
dominante qui était le latin et qui ne présentait pas de changements importants dans le temps ni
dans l’espace. Toutefois, cela ne signifie pas que le latin de l’empire tardif était le même que
celui de Cicéron.

Le latin tardif est une langue qui conserve la majorité des traits de la langue classique
mais qui présente une série de variations par rapport à la norme surtout dans la langue parlée.
Cette variation n’est pas systématique car le sentiment d’appartenance à une communauté civile
et culturelle permet de contrôler ces écarts. Les langues romanes sont issues du latin tardif.

XVII. Les substrats du latin


Le latin tardif se distingue du latin archaïque et classique par les rapports qu’il
entretenait avec d’autres langues. Un grand nombre d’habitants de l’empire a changé de langue
tout en restant dans son village. Effets de substrat : traces de ces langue abandonnées au profit
du latin.

Le substrat italique
En Italie, le latin s’est superposé à des langues proches :

- L’osque : ils partageaient une série de mots où le B latin correspondait à un F osque. Quand
on a en latin des paires lexicales comme ruber et rufus, on pourrait penser que la 2ème forme
est un emprunt (situation d’adstrat) à l’osque mais ça peut aussi être un résidu linguistique
(situation de substrat).

- L’ombrien

Le substrat étrusque
Se superpose aussi à des langues très différentes comme l’étrusque. La correspondance
entre l’espace moderne dans lequel est attesté un phénomène et l’espace occupé par une

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Synthèse A. Varvaro – Linguistique romane

population antique n’est donc pas suffisante pour considérer ce phénomène comme un effet de
substrat : il faut pouvoir prouver que cet espace est resté plus ou moins stable dans le temps
(carte p.255).

Les étrusques ont toujours eu des rapports très étroits avec Rome. Les derniers rois de
Rome étaient étrusques et l’alphabet latin provient d’Étrurie. Plusieurs noms de personnes sont
passés de l’étrusque au latin ainsi que des mots comme « persona ». Ce sont des phénomènes
d’adstrat. Après la latinisation de l’Étrurie, on passe à des rapports de substrat. Thèse de
l’origine étrusque de la Gorgia Toscana (aspiration des occlusives intervocaliques en toscan) :
pas sure car pas de trace avant le 16ème siècle, 1500 ans après la disparition de l’étrusque.

Le substrat celtique
On suppose que le passage de U à Y et celui de C + A à TF puis à F est dû au substrat
celtique en Gaule. Ces phénomènes ne sont pas très anciens, après les invasions germaniques.
Les influences lexicales sont plus claires. Déjà en latin, on comptait de nombreux emprunts ou
résidus linguistiques issus de variétés celtiques. Ex. : « salmo » qui signifie « saumon ».

Les langues ibériques


Les langues préromanes parlées dans la péninsule ibérique ont aussi nourri le latin. Le
basque a donné un certain nombre de noms aux variétés ibéro-romanes. Le lexique latin s’est
enrichi de nouveaux termes issus de la civilisation des régions conquises par les Romains.

Les adstrats du latin


Adstrat : une langue qui en influence une autre entretient un rapport d’égalité avec elle.
Ce sont des langues qui ont coexisté avec le latin et entretenu d’étroites relations avec lui. Les
langues peuvent passer du statut d’adstrat à celui de substrat. Deux lg qui restèrent toujours un
adstrat au latin sont le grec et le germanique.

Influence du grec
Une légende parle d’une fusion entre les Troyens d’Énée et les Grecs d’Évandre. Les
Mycéniens étaient présents en Italie avant la fondation de Rome. Depuis toujours, il existe en
latin des mots d’origine grecque. Ex. : « oliva ». A partir du 3ème siècle ACN, la culture grecque
éblouit les Romains. De nombreux mots savants sont donc des hellénismes purs et simples. Ex
: « idea ». Il y avait aussi des hellénismes populaires. Le latin absorba des éléments
morphologiques du grec. Ex : le suffixe nominal « -icus », le suffixe verbal « -issare ». Une
troisième vague d’hellénismes est liée à la diffusion du Christianisme. Les rituels étaient

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Synthèse A. Varvaro – Linguistique romane

d’abord en grec puis les évangiles ont été traduits en latin. Le latin des chrétiens est donc rempli
d’hellénismes. Ex : « evangelium ». On se demande si le grec n’a pas pu servir de modèle au
latin pour la création de l’article, des périphrases verbales et de quod + verbe.

Influence des langues germaniques


Les invasions germaniques commencèrent vers le 3ème siècle PCN. Royaumes
germaniques :

- Ostrogoth en Italie

- Franc en France du nord

- Wisigoth en Espagne et dans le sud de la France

- Souabe dans le nord-ouest de l’Espagne

- Vandale en Afrique

- Angles et Saxons en Bretagne

- Alamans et Bavarois vers les Alpes

On trouve déjà des germanismes d’adstrat dans le latin impérial. Les emprunts plus
tardifs sont des effets de superstrat c.-à-d. qu’ils viennent de la langue d’un groupe social
dominant. Ils ne sont plus issus d’une langue germanique indifférenciée mais se distinguent
selon leur origine. Ex. : emprunts au francique. Une grande partie de ces emprunts se sont
diffusés dans toutes les langues romanes souvent par le biais du français. Dans la dernière phase
de l’Empire, des noms de personnes germaniques entrent en latin.

Théories et hypothèses sur le passage du latin aux


langues romanes
La « corruption » barbare
À partir du 15ème siècle, on attribua le passage aux langues romanes aux invasions
germaniques. Langues romanes considérées comme des formes corrompues du latin. Latinité :
civilisation et germanité : barbarie. Cette explication ne suffit pas.

La diglossie
Existence dans le monde antique d’une diglossie entre la langue élaborée de la littérature
et la langue familière (le latin vulgaire). C’est cette dernière qui aurait donné lieu aux langues

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Synthèse A. Varvaro – Linguistique romane

romanes. Mais, on n’a pas de preuves de cette diglossie et le rapport exclusif entre le latin
vulgaire et les langues romanes est réducteur. Cette hypothèse ne nous dit rien de la division de
l’espace roman en différentes variétés.

Le substrat
Hypothèse des substrats prélatins par Ascoli en 1881 : fragmentation du latin parlé en
diverses variétés selon les substrats qui l’auraient influencé dans les différentes régions. Or, il
est difficile de montrer que les langues romanes remontent à des langues anciennes et mal
connues et que le latin tardif était déjà fragmenté. Les changements du système nominal et
verbal ne peuvent être attribués aux phénomènes de substrat puisqu’ils sont communs à des
espaces où les substrats étaient totalement différents.

L’époque de la latinisation des provinces


Corrélation entre la physionomie différenciée des langues romanes et le stade de
développement atteint par le latin à la date de la première latinisation des provinces
correspondantes. Hypothèse de Gröber en 1884 : chaque langue romane est associée à un stade
du latin. Ex. : le sarde vient du latin archaïque, le français du latin de la seconde partie du 1er
siècle ACN et le roumain du latin du 2ème siècle PCN. 3 objections à cette théorie :

- Elle présuppose que le latin impérial s’était différencié au cours du temps.

- Elle considère la latinisation comme une conséquence directe de la conquête.

- Elle présuppose que le latin d’une province n’ait pas subi l’influence du latin qui était parlé
ailleurs, or, la circulation des personnes et donc de la langue resta intense.

Toutefois, cette hypothèse est probable en ce qui concerne les colonies : la langue d’une
colonie conserve parfois quelques traits diatopiques et diachroniques venant de l’époque à
laquelle la langue s’y est implantée.

Les niveaux linguistiques de la latinisation


Hypothèse de Walter von Wartburg en 1936 : la Romania occidentale aurait été
romanisée par la haute société (école et classes sociales cultivées) donc langue fidèle à la
grammaire tandis que la Romania orientale aurait été romanisée par le bas (soldats et paysans)
donc langue moins élaboré. À cela, sont ajoutés les superstrats germaniques dont l’influence
est différente selon les régions. Cette hypothèse choisit arbitrairement les phénomènes
linguistiques qu’elle juge décisifs. Elle se limite à des généralisations inutilisables, parfois

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Synthèse A. Varvaro – Linguistique romane

même absurdes. Mais elle reste féconde car elle associe l’histoire linguistique à l’histoire
générale.

Le proto-roman
Hypothèse de R.A. Hall jr. et de R. de Dardel : le concept de proto-roman. Si on compare
les langues romanes entre elles, on peut essayer de reconstruire leur état antérieur. Cette langue
possède les traits communs aux langues romanes absents en latin (ex : l’article) et ne possède
pas les traits documentés en latin mais que les langues romanes ne permettent pas de
reconstruire. Grâce à l’importante documentation que nous possédons, on peut voir que cette
hypothèse ne résiste pas à la vérification historique. Supposer que le latin et le proto-roman ont
coexisté à l’époque impériale nous ramène au problème de la diglossie.

L’invention du latin médiéval


Hypothèse de R. Wright en 1982 : le point de départ ne sont plus les langues romanes
mais le latin médiéval qui ne serait pas dans le prolongement direct du latin classique. Jusqu’à
Charlemagne, les lettrés rédigeaient des textes romans en les camouflant sous une graphie
latine. La graphie reflète la prononciation ancienne. Cela change avec Charlemagne qui lance
une restauration du latin : invention du latin médiéval où la graphie ne reproduit plus la
prononciation ancienne. On a donc du inventer les graphies de chaque langue romane. C’est
donc l’invention de ce latin qui a rendu nécessaire l’invention des langues romanes qui sont
l’évolution normale du latin. Cette théorie n’explique rien car on ne peut savoir ni quand le
passage du latin aux langues romanes a eu lieu ni pourquoi il a été différent selon les régions.

En guise de conclusion…
Toutes ces hypo ont un défaut en commun : leur unilatéralité et leur écart par rapport à
la recherche historique en général. Bien que latin impérial fut adopté par des masses
d’alloglottes à travers un processus de changement de langue, la force centripète du réseau
politique, militaire et éducatif romain générait une grande cohésion linguistique. L’unité du
latin impérial ne fut jamais mise en danger grâce à la littérature.

Toutefois, au début du 6ème siècle, quelque chose changea. L’Empire romain


d’Occident avait disparu et les horizons de la vie politique, sociale et économique s’étaient
réduits ainsi que les espaces d’activité des marchands. Les nouvelles classes dirigeantes ne
considéraient plus l’instruction comme une valeur sociale importante. Le modèle de prestige
était la langue parlée par les groupes au pouvoir. Les nouvelles normes, différentes selon les
régions, autorisaient des phénomènes qui étaient auparavant de simples variations.
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Synthèse A. Varvaro – Linguistique romane

Les forces centripètes laissèrent la place aux forces centrifuges. Les langues romanes
avaient acquis leur individualité, liée à de nouvelles identités sociales qui n’étaient plus la
communauté romaine. Le latin écrit et littéraire restait compréhensible malgré les nouvelles
frontières à ceux qui l’avaient étudiés. Avec la réforme de Charlemagne, les langues romanes
acquirent une pleine identité et la diversité apparut aux yeux de tous.

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