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Patrick Chardenet
Chargé de cours
Université de la Sorbonne Nouvelle Paris 3
UPRES SYLED/CEDISCOR

L’implication du langage dans l’activité évaluative, une orientation pour les


pratiques d’évaluation en milieu professionnel

Parler à propos de l’évaluation, c’est toujours s’exposer. S’exposer à des demandes


pressantes d’outils prêt-à-évaluer, à des rencontres avec des techniques les plus
fossilisées ou les plus innovantes. S’exposer également du point de vue de la fonction
et des rôles joués par ces pratiques parce qu’elles impliquent une position à l’égard
de leur finalité.

On peut être ainsi rappelé au service d’un agir fonctionnaliste et rapidement perdre
le fil d’une préoccupation que l’on pose comme essentielle : quels fondements
humains permettent une activité évaluative qui sera mobilisée lors d’un acte
d’évaluation ? On ne peut congédier la notion fonctionnelle [évaluation] sachant que
dans le même temps celle-ci fait écran à la souche évaluative. L’approche en
direction de la formation quel qu’en soit le terrain doit tenir ce double engagement
d’affronter cette position inconfortable pour éclairer sur quoi repose l’activité
évaluative et proposer des scénarios d’évaluation. Que l’on pardonne donc les
détours qui engendrent les insatisfactions et les propositions qui ne s’appliquent pas
sans l’application d’acteurs convaincus. Améliorer la qualité, la sécurité, l’efficacité
en milieu professionnel suppose la mise en place d’un processus qualifiant avec des
procédures d’interaction qui se fondent sur une analyse de l’activité évaluative.

1. Nos comportements face à l’évaluation dans le champ social


Aujourd'hui, nous considérons que l'évaluation est un processus normal des
systèmes de formation1 qui doit être pensé, préparé, organisé. Nous y consacrons
beaucoup de temps : dès l’école, près de 10% du temps scolaire en moyenne si
l'on cumule l'ensemble des actes d'évaluation, de la classe aux examens. Nous y
consacrons également beaucoup de moyens (l'évaluation à un coût). Et nous y
consacrons aussi beaucoup de discours (la production d'ouvrages sur l'évaluation,
d'articles et de colloques s'accroît dès le début des années 1980, quand le terme d'
"évaluation" se répand dans les discours tenus à propos de l’éducation et de la
formation. Mais il arrive également que certains acteurs ne voient pas l’intérêt
d’être eux-mêmes intégrés comme évaluataires 2. Parmi eux, de nombreux
professionnels ayant à évaluer (enseignants, formateurs, recruteurs, inspecteurs,
agents des ressources humaines, chefs de service) ont longtemps considéré leur
pratique évaluative comme déconnectée de leurs propres tâches professionnelles.

1
Il n’est guère de numéros de cette revue qui, au passage d’un article ou d’un autre ne mentionne
l’évaluation de programmes d’action, de pratiques, de comportements.
2
On peut décrire les situations d’évaluation par l’interaction entre l’évaluateur (qui guide le processus) et
l’évaluataire (sujet de l’évaluation).
2

Mais l’emprise évaluative nous guette, notre vie quotidienne est aujourd’hui
parsemée de situations où notre état, nos actes, nos productions sont ou seront,
d’une façon ou d’une autre évalués : le poids à la naissance, le parcours scolaire,
les habitudes de consommation, les aptitudes à un emploi, les formations dans le
cadre professionnel les capacités d’endettement, le bilan de santé, nos activités de
communication (téléphone, navigation en ligne) tout est mesuré et aboutit à un
jugement ou à une justification. Martyrs de la mesure sociale, chacun d’entre-nous
contribue également à l’entretien de cette domination du paradigme "évaluation"
par notre quête des meilleurs rapports qualité/prix, du meilleur roman de la
rentrée, du film à ne pas manquer, du meilleur établissement scolaire. A l’offre
marchande proposant le meilleur, nous répondons en consommateurs éclairés que
nous voulons en avoir pour notre argent. Alors la recherche des instruments de
validation de la qualité qui déterminerait la valeur, devient essentielle. Nous
transmettons ainsi une obsession de la compétitivité sous le règne de la
compétition.

Il faut savoir qu'il n'en a pas toujours été ainsi. L' Antiquité, par exemple n'a
jamais connue, ni en Grèce, ni à Rome de système organisé d'évaluation. On se
contentait à l'époque de faire confiance à la relation entre le Maître 3 et le
disciple4. A partir du Moyen Age, les choses commencent à évoluer. En Europe,
les écoles royales s'organisent et les corps sociaux se forment autour des
professions. On peut alors hériter de la profession de son père ou bien on peut
l'acquérir sous certaines conditions : être parrainé, satisfaire à des règles. La
société féodale est très hiérarchisée et certaines situations sont enviables
(charges). Il faut bien dès lors organiser la sélection car on passe progressivement
de la culture éducative de «l' homme par l'homme» 5 à celle des élites par les
maîtres. L’innovation viendra d’Orient. De 960 à 1279, la Chine vit sous la
dynastie Song qui unifie et organise l'administration. Les fonctionnaires
(mandarins) sont chargés de collecter les impôts. Pour les sélectionner,
l'administration chinoise invente l'examen. Cette procédure sera rapportée par des
voyageurs jusqu'en Europe. Mais il faut attendre le XIXe siècle, la Révolution
industrielle et ses besoins en ouvriers, contremaîtres et ingénieurs, pour assister à
la formation des grands systèmes éducatifs et à la mise en place d'examens
nationaux comme le Certificat d'Etudes primaires en France (créé en 1882). Du
côté de la formation, c’est le processus de rationalisation du facteur travail qui
amène aux Etats-Unis dans les années 1930 à analyser la formation comme on
analyse la production en actes décomposés mesurant les écarts entre l’input et
l’output pour les optimiser. Après la seconde guerre mondiale, à partir des années
1950, les systèmes scolaires européens se massifient et l' âge d'obligation scolaire
augmente de 14 à 16 ans. L'examen de fin d'études primaires devient obsolète car
98% d'une classe d'âge entre dans le cycle secondaire 6 et le seuil clé dans le

3
Magister, dérivé de magis : plus davantage.
4
Discipulus, dérivé de discere : qui apprend.
5
Gusdorf, G. Pourquoi les prof. pp-45-46
6
Le CEP est supprimé en 1989
3

dispositif de sélection est repoussé progressivement : 20% d'une classe d'âge


obtenait le baccalauréat dans les années 1970, près de 70% aujourd'hui.

Ce survol historique met en évidence deux choses essentielles pour notre


attitude face à l’évaluation : il n'y a pas unicité des procédures, elles dépendent
des finalités que la société assigne au système de formation ; d'autre part, ces
procédure sont réformables car elles ne sont pas figées.

2. Les défis de l’évaluation du facteur travail : ergologie et interaction


Au cours des vingt dernières années, les sociétés européennes ont connu des
mutations sociales qui, en bouleversant les figures de l’échec, remettent en
question la validité des procédés majeurs de sélection par les examens, les
concours comme ceux d’une évaluation objective par la distance prise avec le
processus de formation. Auparavant, ce moyen de reproduction sociale que la
sociologie a bien décrit, distribuait l’échec et l’excellence en provoquant des
solidarités de classe ou de caste qui donnaient aux élus comme aux exclus de
certains postes, emplois ou fonctions le sentiment d’appartenir à un groupe uni par
un même destin.

Paradoxalement, c’est au moment où le savoir accumulé dans les domaines de la


taxonomie de la connaissance et des compétences, de la docimologie et de la
mesure en évaluation qui permettent de faire le point entre l’opératoire et
l’opérationnel, que la force de l’exclusion impose un autre point de vue.

2.1. Ergologie et évaluation


Aujourd’hui plus que jamais, aucun diplôme ne garantit l’obtention ou la
pérennité d’un emploi. En amont, ce sont donc les procédures et les procédés qui
sont questionnés.

Il y a un effet de mise à distance de l’évaluation comme moyen d’accès,


affolant les recruteurs qui n’ont de cesse de diversifier les moyens de classer les
candidats, jusqu’à avoir recours à la graphologie, voire à la numérologie, autant
dire à la loterie. Dans ce contexte économique de la gestion du travail dans lequel
les tâches de production sont rationalisées à l’extrême et où la plus ou moins
grande spécialisation comme le nombre des emplois nécessaires se gèrent à flux
tendus, la question de l'adaptation des procédures (types d’évaluation selon les
buts) et des procédés (techniques d’évaluation selon les procédures) aux normes
du travail et non plus seulement du marché du travail se pose.

Car c’est finalement la notion de [travail] et ses mutations (chômage, emploi,


flexibilité, mobilité, mondialisation) qui pèse dès l’école sur le rapport du sujet au
savoir. Or, si la mesure détermine la place du sujet dans la hiérarchie scolaire puis
dans la promotion professionnelle elle n'est jamais pure abstraction qui reflète les
savoirs et les compétences. La mesure est le signe d'un rapport complexe: rapport
de savoir, rapport d'échange entre celui qui sait et celui qui apprend, rapport social
puisque les notes ne sont jamais obtenues pour tout le monde avec les mêmes
4

épreuves, les mêmes critères et les mêmes correcteurs (ce qui serait impossible).
Le procédé se complexifie encore lorsque se pose le problème de la construction
de savoirs spécifiques et l’acquisition de compétences sur des terrains au carrefour
de multiples disciplines dont la congruence recherchée est le travail dans
l’humain. Les domaines de l’éducation, de la santé, de l’action sociale se
caractérisent par une intervention de l’homme sur l’homme et mobilisent des
approches spéculatives, praxéologiques et axiologiques 7 qui ne permettent pas de
disposer a priori d’un simple Référentiel à double entrée. Les capacités
combinatoires sont telles que les critères de la compétence dépendent autant
du savoir tel qu’il a été construit en formation et tel qu’il évolue, des sujets
destinateur et destinataires des actes professionnels, de la situation qui fonde
un point de vue.

L’analyse du facteur travail est donc nécessaire, mais pas seulement du point de
vue de sa rationalité stratégique. « Toute connaissance qui se dit scientifique mais
qui ne traite l’homme que comme objet à travers des "grilles", "modèles",
"comportements", "logiques sociales", pratiques, "corpus linguistiques",
régularités et autres signes socialement dénotés et connotés, n’est-elle pas
usurpatrice … ? »8 . C’est sa rationalité communicationnelle en tant que « force
d’appel/rappel »9 qui motive la notion de [travail]. Il s’agit là d’une approche
ergologique qui associe les acteurs, destinateurs et destinataires des actes
professionnels. L’enseignement/apprentissage, la formation, le soin, mais aussi le
soutien social, la justice, l’ordre social sont des interactions qui impliquent des
modèles de rigueur qui ne doivent pas être empruntées de façon univoque à
ceux des disciplines convoquées : matières d’enseignement, techniques
professionnelles, sciences de la nature, psychologie comportementale, droit.

L’évaluation comporte ces mêmes contraintes de prise en compte du « facteur


irréductiblement humain »10

2.2. Evaluateur, évaluataire : une dialectique de l’inclusion et de


l’exclusion
Les mutations socio-économiques qui accompagnent le processus de
mondialisation des échanges génèrent d’énormes besoins de savoirs et de
compétences en même temps qu’elles en disqualifient d’autres installés depuis
longtemps comme finalités d’activités cognitives, sociales, économiques. Les
attendus de formation, les espoirs des individus se rompent sur l’écueil de
nouvelles exigences que certains assimilent plus rapidement que d’autres,
s’assurant ainsi une meilleure position. C’est que les finalités attribuées par
chaque contexte professionnel à son système de formations ont à la fois le résultat
de ces mutations dans l’ordre économique et celui des exigences des acteurs
7
Astolfi, J.-P., 1992, "Une science didactique est-elle possible ?", Revue de l’ARSI, n° 30, pp.11-18.
8
Schwartz, Y., 1992, Travail et philosophie –Convocations mutuelles, Octarès, Toulouse.
9
Matheron, G., Michel, A., 1997, "Activité soignante: éthique et savoirs pertinents", dans Schwartz,
Y, (Sous la dir.) Reconnaissances du travail –Pour une approche ergologique, PUF, pp. 255-273.
10
Matheron, G., Michel, A., ibid.
5

sociaux. Les finalités changent aujourd'hui rapidement sous l'effet de


l'économisme qui marque la mondialisation.

Face à cela, comment se définissent les objectifs et les buts de formation dans
les établissements, dans les équipes de formation ? D’abord, les cursus et les
programmes varient moins rapidement que les contraintes imposées par le
contexte. Ce n’est peut-être pas un facteur négatif in fine, mais cela accroît les
écarts. Ensuite, les processus de formation des formateurs sont tellement variés,
éclatés qu’il est impossible de définir aujourd’hui en France le profil académique
en termes de savoir didactique et pédagogique, et le profil professionnel du
formateur. Par conséquent les objectifs d'évaluation, les procédures et les
procédés qui dépendent étroitement des uns et des autres dans leur mise en
pratique sont également variés et éclatés. Ce n’est pas non plus forcément négatif
sur le fond, mais cela ne contribue pas à une appréhension globale. Nous nous
trouvons dans un rapport d'inclusion d'un côté et d'exclusion de l'autre. Le facteur
évaluation est partagé en tant qu’acte commun transmis par la nécessité de la
fonction de formateur et reproduit comme démarche d’évaluateur selon les
représentations d’un plan de formation dont nous venons de montrer qu’il tendait
à se construire en écarts par rapport aux contextes.

Or l’évaluation est avant tout une interaction entre évaluateurs et


évaluataires et à ce titre est instruite autant par ceux qui évaluent que par
ceux qui sont évalués. Mais très souvent, si l’on en reste à ce que disent les uns
sans les autres de l’évaluation, on se condamne à ne pas assumer ce rapport.

Ce qui est en cause dans les systèmes d’évaluation actuels, ce sont les
caractères irréversible, externe et excluants de la sanction qui est appréciée
comme une sentence. Comment développer dans le travail les valeurs de la
citoyenneté sans adapter des systèmes qui régulent les flux des ayants droits et des
exclus à celle-ci. On ne peut décider extérieurement de l’acquisition de
connaissances et de compétences chez un sujet comme on ne peut évaluer
extérieurement cette acquisition.

Le passage de procédures quantitatives ponctuelles à des procédures


qualitatives continues est l’un des enjeux actuels qui résonnent à travers les
expressions du malaise. Parmi les pathologies de l’extension des marchés aux
modes de vie et aux activités sociales, la promotion des biens et des personnes par
des procédures de sélection est chaque jour plus étendue, chaque fois plus féroce
et tend à s’imposer comme modèle impitoyable du "défaut zéro". Cette notion
élaborée pour la production de biens est-elle une rationalité stratégique
transférable en formation ?

Qui décide et comment décide-t-on de cette valeur ? Des réponses données


dépend en partie le fonctionnement du système.

3. La détermination de rapports langagiers


6

Un des problèmes des pratiques d'évaluation actuelles est la faiblesse de leurs


fondements théoriques. Tout se passe comme si on se trouvait devant une simple
théorie de l'action, une praxéologie. Il suffirait alors de trouver les techniques
adéquates, les procédures et les procédés les plus performants. C'est un peu
comme si en psychologie on se contentait des techniques thérapeutiques sans
jamais s'interroger sur les fondements psychanalytiques des comportements.

Il n'y a pas de théorie générale de l'évaluation, ce qui autorise toutes les


tentatives techniques sans les justifier autrement que par leur apparente
rentabilitéimmédiate. Et nous vivons encore sous deux influences : celle de la
généralisation des examens comme procédure de référence captant les
représentations et celle du paradigme docimologique comme tentative de
rationalisation des actes d’évaluation. On entre dès lors dans une illusion, celle
des rapports subjectivité/objectivité. Mais jamais rien est dit sur le fondement
de l’activité évaluative. Faute d'une théorie de l’acte d’évaluation qui prend en
compte l'interaction, l'évaluateur n'a pour recours qu'une instrumentation
sous la forme de techniques qui effacent les individus sous prétexte
d'objectivité. Si l’acte d’évaluation en formation, dont les fonctions peuvent
varier comme nous l’avons montré, est de nature sociale et ergologique, il repose,
quelle que soit la fonction attribuée sur une même souche anthropologique, celle
d’une constante activité de hiérarchisation des objets du monde.

L’approche théorique que je propose se fonde sur l’interaction langagière :


évaluer, c’est dire parce qu’en énonçant on procède à de l’activité évaluative. Il
n’est donc guère possible de concevoir l’évaluation sans parole, sans échange et
sans intégrer les représentations de la plasticité du monde. Pour être validé, c’est-
à-dire accepté et acceptable, l’acte d’évaluation doit impliquer cette relation
communicationnelle jamais définitive. Il ne s’agit donc pas de modèle mais d’une
orientation théorique proposée à l’accompagnement des procédures face à
l’insatisfaction qu’elles provoquent.

Si l’on prend comme exemple les difficultés rencontrées à l’égard de


l’autoévaluation, on remarque en général deux choses :
- des procédures grillagées fournies par l’évaluateur et renseignées par
l’évaluataire ; c’est alors le plan de formation de l’évaluateur qui sert de cadre
référentiel et au mieux ses propres représentations du plan d’acquisition de
l’évaluataire ;
- des procédures non grillagées pour lesquelles la construction du Référentiel
est assignée comme consigne à l’évaluataire ; celui-ci manifeste alors des
incompréhensions sur les rôles, des difficultés à identifier les évaluables, voire
des résistances construites.
Du point de vue de notre orientation communicationnelle, les problèmes à la mise
en place de l’autoévaluation révèlent une certaine impossibilité à l’évaluation
de soi par soi en dehors d’une relation analytique. Nous nous trouvons devant une
tentative de renvoi de l’être à lui-même sans médiation, en imposant le monologue
au détriment d’une élaboration dialogale des valeurs. Pour réellement prétendre
atteindre les objectifs d’une autoévaluation qui entend jouer le jeu de la prise en
7

compte de l’être sujet évaluataire, il serait nécessaire d’entrer dans une procédure
analytique complexe et des procédés d’entretiens non directifs que les moyens
institutionnels généralement accordés aux pratiques d’évaluation ne permettent
pas. L’autoévaluation actuellement généralement pratiquée reste bien en
deçà de ce qu’elle pourrait prétendre atteindre. C’est peut-être davantage en
milieu professionnel que son rôle et les moyens qu’elle implique seraient
susceptibles d’être introduit de façon acceptable.

Il ne peut s’agir d’une doctrine ou d’une idéologie mais plus certainement d’une
posture à l’égard d’une pratique sociale globale et des tours qu’elle se donne entre
la sélection et l’orientation, le contrôle et le formatif.

Michel Vial11 propose de distinguer entre les processus humains, ceux qui
permettent à l’être de convoquer le sens pour se situer et situer ses actes, et les
moyens mis en œuvre pour actualiser ces processus : les procédures. C’est au
niveau des processus que se créent les modèles qui permettent d’appréhender le
réel des situations par des schématisations actives. Or, entre le modèle issu de la
description et les schémas de l’action se glisse toujours d’autres rationalités : celle
du vivant, celles des acteurs et celle du langage même du modèle et des schémas.
"Mesurer" , "gérer ", "construire du sens" peuvent être considérés comme les trois
paradigmes de référenciation de l’évaluation12.Ces trois sources de modèles à
partir desquels sont imaginées les procédures et les procédés sont des actes où le
langage, de l’axiologie à l’argumentation joue un rôle de support cognitif et
discursif. Le rapport langagier y est constant mais le troisième instruit une
qualité distinctive dans l’ordre de l’interaction. On ne peut se passer de l’autre
pour interagir et l’évaluateur ne peut se passer de l’évaluataire pour construire le
sens attendu d’un acte professionnel, d’une production dans une situation donnée.

4. L’implication du langage dans l’activité évaluative


Pour compléter cette approche de l’évaluation par les implications que le langage
introduit dans les procédures, il faut mettre en évidence les éléments qui lient
l’activité évaluative et le langage.

Comme a pu le montrer Claude Chabrol13 à propos des situations de formation, les


pratiques discursives lors de réunions, d’entretiens révèlent un intense travail du
langage qui met en rapport le monde des pratiques réelles et « celui de la
sémiotique discursive selon l’intertexte éducatif »14. Nous sommes ici au cœur de
l’interaction formative dans laquelle s’inscrit l’interaction évaluateur/évaluataire.
On y repère l’ensemble des moyens d’approximation que permet le langage :
- les axiologiques, les quantificateurs d’intensité ;
11
Bonniol, J.-J., Vial, M., 1997, Les modèles de l’évaluation, De Boeck, p. 22.
12
Ibid.
13
CHABROL, C., 1994, Discours du travail du travail social pragmatique, PUF.

14
Ibid. p. 155.
8

- les opérations discursives (argumentation : autorité, persuasion, justification ;


modalisations ) ;
- les opérations psycho-socio-langagières (protection des faces) ;
- l’intonation comme facteur facilitant ou inhibiteur15.
L’interaction en situation d’évaluation se situe entre échange prescrit et
échange réel. Entre les règles de procédure et les règles qui régissent
l’interaction, des écarts peuvent être relevés (tentatives de dé/valorisation ;
poursuite ou rupture de l’échange, énoncés métadiscursifs sur les procédés :
« N’ayez crainte, cette question n’est pas destinée à vous faire échouer », « Cette
question n’est pas très bien formulée, je le reprends », "Donc, vous parlez aussi
espagnol ", "Je préfère que vous n’abordiez pas ce qui n’est pas de votre
compétence au lieu de me dire de l’à-peu-près" ). On pourrait penser que le
contexte contraignant tant au plan du rituel que de l’atmosphère qui devrait
permettre la production d’une performance et la mesure de compétences tendrait à
figer la norme langagière. Ce qui reste apparent dans la correction d’épreuves
écrites l’est beaucoup moins dans la relation de face à face (épreuve orale,
entretien d’évaluation, entretien de recrutement).

On observe donc dans le discours les qualités communicationnelles du choix des


procédés, de leur cohérence avec la procédure et de l’orientation de celle-ci.
Opter pour la recherche du sens en tant que stratégie verbale impose des
scénarios d’évaluation qui prennent en compte les sujets
évaluateur/évaluataire dans la complexité de leur rapport à cet instant.

Construire du sens, c’est aussi s’exposer en tant que sujet et exposer un discours.
En situation d’évaluation, celui-ci soit va au plus court, soit affronte la
complexité. Soit il donne face à un Référentiel fermé une réponse monologale
attendue à une non-question dans le cadre d’un rite social, soit il élabore des
séries de questions dialogales, face à un Référentiel dynamique dans le cadre
d’une pratique de connaissance.

Repères bibliographiques
ABRECHT, R., 1991, L'évaluation formative, une analyse critique, De Boeck,
Bruxelles.
BONNIOL, J.-J., VIAL, M., 1997, Les modèles en évaluation, De Boeck,
Bruxelles.
BRONCKART, J.-P., 1985 (en collaboration), Le fonctionnement du discours,
Delachaux & Niestlé, Neuchâtel/Paris.
CHABROL, C., 1994, Discours du travail du travail social pragmatique, PUF.
CHARDENET, P., 1999, De l’activité évaluative à l’acte d’évaluation,
L’Harmattan.
CHARDENET, P., 1997 (a), ""Evaluer" : le processus qualifiant, formation
sociale et formation discursive", dans Changer, revue du Groupe de

15
Pevzner, I., 1997, "Le rôle organisateur de l’intonation dans le traitement de l’énoncé par l’auditeur", Actes du
16e Congrès International des linguistes, Pergamon, Oxford, Paper n°0122.
9

Développement des Etudes Canadiennes, Pontifícia Universidade Católica,


Curitiba, Brésil.
FABRE, J.-M., 1980, Jugement et certitude, Peter Lang, Berne, Francfort, New
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MEYER, G., 1995, Evaluer: Pourquoi ? Comment ?, Hachette.
NUNZIATI, G., 1990, L’évaluation formatrice, dans Cahiers Pédagogiques
n°280, janvier 1990.
OUELLETTE, L.-M., 1990, La communication comme support théorique à
l’évaluation formative, dans Mesure et Evaluation en Education, ADMEE, vol.
13/2.
PERRENOUD, P., 1991, Pour une approche pragmatique de l’évaluation
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VIAL, M., 1997, L'auto-évaluation, entre auto-contrôle et auto-questionnement,
coll. Titres en question, Université de Provence.
VIGNAUX, G., 1988, Le discours acteur du monde, OPHRYS.
VOGLER, J., 1996 (Coord.), L’évaluation, Hachette.

Résumé

L’implication du langage dans l’activité évaluative, une orientation pour les


pratiques d’évaluation en milieu professionnel

L’approche de l’évaluation quel qu’en soit le terrain doit tenir ce double engagement
d’éclairer sur quoi repose l’activité évaluative et proposer des scénarios
d’évaluation. Dans le cadre de cet article seul le premier engagement dont dépendra
étroitement le second, sera abordé. Améliorer la qualité, la sécurité, l’efficacité en
milieu professionnel suppose la mise en place d’un processus qualifiant avec des
procédures d’interaction qui se fondent sur une analyse de l’activité évaluative.

Nos comportements face à l’évaluation dans le champ social


Un survol historique met en évidence deux choses essentielles : il n'y a pas unicité
des procédures, elles dépendent des finalités que la société assigne au système de
formation ; d'autre part, ces procédure sont réformables car elles ne sont pas
figées.

Les défis de l’évaluation du facteur travail : ergologie et interaction


Au cours des vingt dernières années, les sociétés européennes ont connu des
mutations sociales qui, en bouleversant les figures de l’échec, remettent en
question la validité des procédés majeurs de sélection la force de l’exclusion
impose un autre point de vue.

La détermination de rapports langagiers


L’acte d’évaluation repose, quelle que soit la fonction attribuée sur une même
10

souche anthropologique, celle d’une constante activité de hiérarchisation des


objets du monde. Evaluer, c’est dire parce qu’en énonçant on procède à de
l’activité évaluative. Il n’est donc guère possible de concevoir l’évaluation sans
parole, sans échange et sans intégrer les représentations de la plasticité du monde
que le langage permet.

L’implication du langage dans l’activité évaluative


Les pratiques discursives révèlent un intense travail du langage qui met en rapport
le monde des pratiques réelles et l’instance langage avec ses moyens
d’approximation les axiologiques, les quantificateurs d’intensité ; les opérations
discursives ; les opérations psycho-socio-langagières ; l’intonation comme facteur
facilitant ou inhibiteur.
L’interaction en situation d’évaluation se situe entre échange prescrit et échange
réel. Entre les règles de procédure et les règles qui régissent l’interaction, des
écarts peuvent être relevés. Opter pour la recherche du sens en tant que stratégie
verbale impose des scénarios d’évaluation qui prennent en compte les sujets
évaluateur/évaluataire dans la complexité de leur rapport à cet instant.

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