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CHAPITRE 2

Utilisation d’un animal dans sa gestion de la classe pour favoriser l’adaptation des élèves

Isabelle Ouellet
Jerome St-Amand

Résumé

À Cold Lake, une petite ville située en Alberta au Canada, les déménagements et les appels au
déploiement des parents dans le cadre de leur carrière dans l’armée canadienne sont fréquents.
Ce contexte de travail présente un défi de taille pour les enfants qui vivent souvent de
l’insécurité, du stress et des deuils. Cet article porte donc sur une stratégie mise de l’avant
visant à diminuer l’anxiété et à susciter l’engagement de certains élèves pendant l’année
scolaire 2015-2016. Plus précisément, l’accueil d’un lapin en salle de classe, jumelé à un
système d’émulation en lien avec cet animal, s’est avéré une stratégie en grande partie
efficace, notamment en permettant d’augmenter la motivation, de diminuer l’anxiété et, enfin,
de développer l’empathie. Soulignons le soutien de l’équipe-école et l’appui des parents des
élèves dans la mise en œuvre de cette stratégie.

Mots-clés : zoothérapie, anxiété, élèves du primaire, engagement scolaire, empathie.

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Introduction

Je suis enseignante dans une école francophone de l’Ouest du Canada depuis septembre 2014
et je termine actuellement une maîtrise en recherche à la Faculté Saint-Jean de l’Université de
l’Alberta sous la codirection du professeur et chercheur Jerome St-Amand œuvrant à
l’Université du Québec en Outaouais. Située à proximité d’une base militaire, plus
précisément dans la ville de Cold Lake, en Alberta, cette école permet la scolarisation
d’environ 200 élèves du primaire et du secondaire où environ 80 % des enfants sont issus de
familles militaires travaillant à la plus grande base aérienne du Canada : la base des forces
canadiennes de Cold Lake. Dès le mois de septembre de l’année scolaire 2015-2016, je
remarque que quelques-uns de mes 19 élèves sont très nerveux, trois d’entre eux bénéficient
d’ailleurs déjà d’un suivi médical pour ce trouble. Les premières semaines sont
mouvementées ; ces trois élèves souvent turbulents semblent grandement anxieux, agités et
paniqués devant les nouveaux apprentissages. De plus, ils manquent souvent d’empathie
envers les autres, sont très compétitifs, créent des conflits. Les batailles verbales dégénèrent
fréquemment en coups aux récréations, entraînant plusieurs autres élèves de la classe dans
leur sillage. Devant l’ampleur de la situation, réduire l’anxiété de ces élèves devient vite un
défi que je dois surmonter. Une stratégie doit être mise de l’avant. Mais quelle sorte de
stratégie peut être envisagée ?

Diminuer l’anxiété à l’aide d’un animal

Des médecins et des psychologues prônent l’utilisation de la zoothérapie pour aider à


diminuer l’anxiété et à augmenter la confiance en soi des adultes et des enfants (Grandgeorge,
2010 ; Jenkins, 2014 ; Tielsch, 2015 ; Watts et Everly, 2009). Levinson, un éminent
psychologue pour enfants des années 1960, a été le premier à remarquer, tout à fait par hasard,
qu’un patient autiste avait prononcé ses premiers mots après avoir créé un lien avec son chien
présent pendant les séances :

A practicing child psychologist in the 1960s, he theorized that his patients were less
anxious and had less resistance to therapy when his dog, Jingles, was involved in the
sessions. (Levinson, 1965, cité dans Tielsch, 2015, p. 22)

L’amélioration de la communication et de meilleures interactions sociales semblent également


être des conséquences positives à la présence d’animaux lors de séances de psychothérapie.
Tielsch (2015) rappelle à ce sujet des expérimentations de Corson qui amenait aussi son chien
lors de séances :

Corson then began focusing his work on pet-assisted therapy and the effects pets had
in psychotherapy with patients. He started to publish manuscripts reporting the
positive social interactions and influences on the patients and the staff when dogs were
brought to the psychiatric inpatient and milieus with the psychiatry profession.
(Corson, 1977, cité dans Tielsch, 2015, p. 18)

Bergesen (1989) ajoute que la présence d’animaux dans une classe du primaire pendant neuf
mois est liée à l’amélioration de l’estime de soi des enfants, progrès d’autant plus important
que les enfants avaient une faible estime de soi avant l’arrivée des animaux. Dans cette
perspective, Watts et Everly (2009) rapportent que la présence d’un animal, en plus de réduire
l’anxiété, augmenterait la motivation. À la lecture de ces résultats de recherche, cette stratégie

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liée au contact d’un animal m’a amenée à vouloir tenter l’expérience en vue de diminuer
l’anxiété de mes élèves et susciter leur engagement scolaire.

La documentation soulève le fait que la présence d’un animal apporte beaucoup de bienfaits
pour les individus. Cela étant, je devais d’abord demander la permission aux parents et à la
direction de l’école si une telle initiative serait appréciée, tout en m’assurant qu’il n’y avait
aucun cas d’allergies chez les élèves de la classe. Cependant, il me restait à savoir si cette
approche pouvait convenir à mes élèves anxieux, c’est-à-dire si des comportements positifs
pouvaient être observés chez ces enfants en présence de l’animal. À la fin du mois de
septembre 2015, je décide de tenter l’expérience.

Gestion de classe efficace et conséquences positives chez les élèves. J’accueille Chewy dans
ma classe de troisième année, une lapine de 11 ans qui appartient à un collègue. Elle est calme
et accepte rapidement de se laisser caresser par quelques élèves. Dès les premiers jours, je
remarque l’attrait que cette dernière suscite, particulièrement auprès de mes élèves les plus
anxieux. Ils se dirigent vers la cage de la lapine en entrant dans la classe et demandent à lire à
ses côtés. Les élèves semblent rapidement plus calmes, plus ouverts à l’apprentissage.
L’expérience semble bien démarrée. Je mets en place des équipes de soins de la lapine : deux
élèves ont la possibilité de prendre la récréation de l’après-midi afin de changer son eau et
d’ajouter de la nourriture tout en passant du temps avec leur animal. Nous inventons
également des histoires de Chewy, faisons des mathématiques avec Chewy et observons ses
comportements au quotidien. Les élèves l’adorent et un calme nouveau s’installe en classe,
particulièrement pour mes trois élèves anxieux. Ils s’engagent davantage dans leurs
apprentissages. Un élève qui refusait de lire malgré son immense besoin de s’exercer accepte
maintenant de s’installer avec la lapine dans le coin lecture et de lire calmement avec moi. Un
deuxième qui se sentait incapable d’inventer des histoires se sent inspiré par l’idée d’écrire
différentes petites aventures de Chewy. Le troisième réduit de façon considérable ses conflits
avec ses pairs ainsi que son habitude de refuser de respecter les consignes de la classe (p. ex.,
lever sa main avant de parler, demander la permission pour circuler dans la classe).

Je mets également en place un système d’émulation pour la classe, mais sans le dire, plus
spécifiquement pour mes trois élèves pour qui l’anxiété se transforme souvent en
comportements perturbateurs. En effet, les élèves qui accumulent suffisamment de billes pour
de bons comportements ou une meilleure concentration en cours de semaine ont le droit de
passer du temps avec la lapine le vendredi. La bonne nouvelle est qu’au fil des semaines, mes
trois élèves sont de plus en plus souvent dignes de ce privilège.

Malheureusement, la santé de la lapine décline au mois de janvier. D’ailleurs, elle meurt


quelques semaines plus tard dans une fermette du voisinage. Une fois passés les jours de
pleurs et de deuil pour la classe, tant pour moi que pour les enfants, l’enseignement doit
reprendre ses droits. Mais plus les jours passent, plus je remarque que mes trois élèves
anxieux sont agités, nerveux, turbulents et beaucoup moins ouverts à l’apprentissage. Je me
pose des questions, je me demande quoi faire. Après cinq semaines de journées difficiles, je
décide d’acheter un lapereau.

Ce jeune lapin arrive un mercredi midi dans une classe surexcitée. J’observe les réactions.
Sans trop de surprise, mes trois élèves les plus anxieux se retrouvent naturellement devant la
cage, sourire géant sur les lèvres. En quelques minutes, ils redeviennent plus calmes et
ouverts. Je retrouve les comportements positifs qu’ils avaient développés avec Chewy : plus
sereins, respectueux des règles et de leurs pairs. Cette semaine se termine dans un climat
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beaucoup plus calme, à peine deux jours après l’arrivée de notre boule de poils. Nous faisons
un concours pour lui choisir un nom dans toute l’école et mes élèves tranchent : il s’appellera
Oréo.

Au cours des semaines qui suivent l’arrivée du lapereau, d’autres bienfaits apparaissent dans
ma classe en général, mais surtout auprès de mes trois élèves : l’empathie et une plus grande
motivation face aux apprentissages. En effet, un animal requiert une écoute de la part des
enfants, surtout en lien avec la sécurité. Par exemple, sans trop m’en rendre compte au début,
j’explique souvent que si notre petit lapin montre des signes d’impatience (p. ex., bouge, veut
se déplacer), que ses oreilles changent de position, nous devons l’écouter, car c’est sa façon à
lui de communiquer. D’ailleurs, Jenkins (2014) et son équipe confirment non pas seulement la
diminution de certains symptômes d’anxiété au contact d’un animal, mais surtout
l’amélioration des compétences sociales comme l’empathie et la cordialité. Un matin,
j’entends ainsi mon élève le plus agité et anxieux déclarer à son voisin tenant le lapereau dans
ses bras qu’il doit le déposer, car ce dernier communique par le biais de ses mouvements.
Nous terminons notre année dans un meilleur climat propice à l’apprentissage, l’estime de soi
en hausse chez les élèves anxieux qui réussissent leur année, plus engagés, sereins, heureux.

Obstacles et limites de la stratégie

Le responsable de l’entretien des écoles de notre conseil scolaire s’inquiète de l’accueil d’un
nouveau lapin. Dès le mois de mars 2016, il rencontre le directeur de l’école à qui il manifeste
ses réticences ; il s’inquiète pour la sécurité des élèves. Il se questionne : la présence du
lapereau peut-elle expliquer la prolifération du virus de la gastroentérite vécue au cours des
semaines précédentes dans notre école ? Nous sommes conscients qu’un animal est toujours
imprévisible et qu’une surveillance constante est de mise, mais la référence à la propagation
de maladies nous inquiète également. Nous effectuons donc des recherches afin de vérifier ces
possibilités avec l’aide de la directrice des ressources éducatives du conseil scolaire. Ce que
nous trouvons nous rassure : si le nettoyage de la cage est fait de deux à trois fois par semaine
et si les élèves qui ont le droit de le prendre comme récompense sont sous la surveillance d’un
adulte responsable, les dangers sont pratiquement nuls. Nos inquiétudes s’effacent ; nous
sommes déjà rigoureusement vigilants pour ces deux précautions. De plus, la présence d’un
animal auprès d’enfants comporte beaucoup plus de bienfaits que de risques. Après quelques
semaines de recherche et de discussion, la décision est prise : nous garderons notre lapereau
en classe.

Avantages pour les autres élèves et le personnel de l’école

Dès les premiers jours de l’arrivée de notre premier lapereau, et encore aujourd’hui avec notre
Oréo, j’accueille souvent les élèves de l’école avec l’animal dans mes bras. Je me promène
dans le secteur primaire en permettant que les enfants le voient et le touchent. Dès ce moment,
un sourire apparaît sur le visage de chacun, l’intonation des voix change, le ton baisse. Deux
enseignantes me demandent parfois la permission d’utiliser le lapereau comme période de
récompense pour leurs élèves, par exemple en permettant de jouer avec lui dans la classe de
4e année pendant une récréation. J’accepte, car cela me permet également de responsabiliser
certains élèves de ma classe en leur offrant la responsabilité d’être responsable du lapereau
avec moi pendant ces quelques minutes. L’ensemble des collègues de l’école adorent le
lapereau et trouvent l’idée d’intégrer un animal dans la classe excellente. D’ailleurs, quelques
membres du personnel viennent parfois dans ma classe en fin de journée ou le matin alors que
je l’ai dans les bras afin de caresser notre petite bête. L’effet est immédiat, comme pour les
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beaucoup plus calme, à peine deux jours après l’arrivée de notre boule de poils. Nous faisons
un concours pour lui choisir un nom dans toute l’école et mes élèves tranchent : il s’appellera
Oréo.

Au cours des semaines qui suivent l’arrivée du lapereau, d’autres bienfaits apparaissent dans
ma classe en général, mais surtout auprès de mes trois élèves : l’empathie et une plus grande
motivation face aux apprentissages. En effet, un animal requiert une écoute de la part des
enfants, surtout en lien avec la sécurité. Par exemple, sans trop m’en rendre compte au début,
j’explique souvent que si notre petit lapin montre des signes d’impatience (p. ex., bouge, veut
se déplacer), que ses oreilles changent de position, nous devons l’écouter, car c’est sa façon à
lui de communiquer. D’ailleurs, Jenkins (2014) et son équipe confirment non pas seulement la
diminution de certains symptômes d’anxiété au contact d’un animal, mais surtout
l’amélioration des compétences sociales comme l’empathie et la cordialité. Un matin,
j’entends ainsi mon élève le plus agité et anxieux déclarer à son voisin tenant le lapereau dans
ses bras qu’il doit le déposer, car ce dernier communique par le biais de ses mouvements.
Nous terminons notre année dans un meilleur climat propice à l’apprentissage, l’estime de soi
en hausse chez les élèves anxieux qui réussissent leur année, plus engagés, sereins, heureux.

Obstacles et limites de la stratégie

Le responsable de l’entretien des écoles de notre conseil scolaire s’inquiète de l’accueil d’un
nouveau lapin. Dès le mois de mars 2016, il rencontre le directeur de l’école à qui il manifeste
ses réticences ; il s’inquiète pour la sécurité des élèves. Il se questionne : la présence du
lapereau peut-elle expliquer la prolifération du virus de la gastroentérite vécue au cours des
semaines précédentes dans notre école ? Nous sommes conscients qu’un animal est toujours
imprévisible et qu’une surveillance constante est de mise, mais la référence à la propagation
de maladies nous inquiète également. Nous effectuons donc des recherches afin de vérifier ces
possibilités avec l’aide de la directrice des ressources éducatives du conseil scolaire. Ce que
nous trouvons nous rassure : si le nettoyage de la cage est fait de deux à trois fois par semaine
et si les élèves qui ont le droit de le prendre comme récompense sont sous la surveillance d’un
adulte responsable, les dangers sont pratiquement nuls. Nos inquiétudes s’effacent ; nous
sommes déjà rigoureusement vigilants pour ces deux précautions. De plus, la présence d’un
animal auprès d’enfants comporte beaucoup plus de bienfaits que de risques. Après quelques
semaines de recherche et de discussion, la décision est prise : nous garderons notre lapereau
en classe.

Avantages pour les autres élèves et le personnel de l’école

Dès les premiers jours de l’arrivée de notre premier lapereau, et encore aujourd’hui avec notre
Oréo, j’accueille souvent les élèves de l’école avec l’animal dans mes bras. Je me promène
dans le secteur primaire en permettant que les enfants le voient et le touchent. Dès ce moment,
un sourire apparaît sur le visage de chacun, l’intonation des voix change, le ton baisse. Deux
enseignantes me demandent parfois la permission d’utiliser le lapereau comme période de
récompense pour leurs élèves, par exemple en permettant de jouer avec lui dans la classe de
4e année pendant une récréation. J’accepte, car cela me permet également de responsabiliser
certains élèves de ma classe en leur offrant la responsabilité d’être responsable du lapereau
avec moi pendant ces quelques minutes. L’ensemble des collègues de l’école adorent le
lapereau et trouvent l’idée d’intégrer un animal dans la classe excellente. D’ailleurs, quelques
membres du personnel viennent parfois dans ma classe en fin de journée ou le matin alors que
je l’ai dans les bras afin de caresser notre petite bête. L’effet est immédiat, comme pour les
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élèves : un sourire apparaît instantanément sur les lèvres de chaque personne. Par là même, le
directeur de l’école appuie le projet dès le départ puisqu’il croit à la diminution de l’anxiété à
l’aide d’un animal. Au décès de la première lapine, il constate également l’augmentation de
l’anxiété de mes trois élèves et accepte l’achat d’un autre lapin. Il m’appuie également lors
des discussions avec le conseil scolaire. Ainsi, après l’arrivée du lapereau et les discussions
terminées, les élèves du secteur secondaire demandent aussi un lapin, ce que le directeur
accepte avec joie.

Ce que nous retenons de la stratégie

Je ne suis pas une spécialiste de la zoothérapie ni psychologue, mais j’ai observé que les
bienfaits ont été et sont toujours réels dans ma classe : diminution de l’anxiété, augmentation
de l’engagement des élèves dans leurs apprentissages, augmentation du niveau d’empathie,
amélioration de l’estime de soi. Ces bienfaits n’auraient jamais émergé sans le soutien de mes
collègues, des parents de mes élèves et de ma direction d’école. Cette collaboration fut non
seulement essentielle à la mise en place de la stratégie, mais également névralgique pour la
bonne poursuite du projet pendant toute l’année scolaire. Malgré tous les bienfaits, nous
retenons qu’un enseignant souhaitant intégrer un animal dans la classe doit être conscient du
temps, de l’énergie, des coûts associés à l’expérience. Il est donc important de s’entourer d’un
réseau de personnes prêtes à s’investir pour les soins de l’animal, et ce, pendant l’année
scolaire et les vacances d’été. Enfin, cette stratégie axée sur le recours à un animal nous a
convaincus de la pertinence d’avoir parfois recours à des interventions dites alternatives ou
non traditionnelles comme les sports (St-Amand, Girard, Hiroux et Smith, 2017), la danse
(Lobo et Winsler, 2006), le jeu ou le dessin (Morand, 2013) pour surmonter les défis
quotidiens de nos élèves en salle de classe.

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élèves : un sourire apparaît instantanément sur les lèvres de chaque personne. Par là même, le
directeur de l’école appuie le projet dès le départ puisqu’il croit à la diminution de l’anxiété à
l’aide d’un animal. Au décès de la première lapine, il constate également l’augmentation de
l’anxiété de mes trois élèves et accepte l’achat d’un autre lapin. Il m’appuie également lors
des discussions avec le conseil scolaire. Ainsi, après l’arrivée du lapereau et les discussions
terminées, les élèves du secteur secondaire demandent aussi un lapin, ce que le directeur
accepte avec joie.

Ce que nous retenons de la stratégie

Je ne suis pas une spécialiste de la zoothérapie ni psychologue, mais j’ai observé que les
bienfaits ont été et sont toujours réels dans ma classe : diminution de l’anxiété, augmentation
de l’engagement des élèves dans leurs apprentissages, augmentation du niveau d’empathie,
amélioration de l’estime de soi. Ces bienfaits n’auraient jamais émergé sans le soutien de mes
collègues, des parents de mes élèves et de ma direction d’école. Cette collaboration fut non
seulement essentielle à la mise en place de la stratégie, mais également névralgique pour la
bonne poursuite du projet pendant toute l’année scolaire. Malgré tous les bienfaits, nous
retenons qu’un enseignant souhaitant intégrer un animal dans la classe doit être conscient du
temps, de l’énergie, des coûts associés à l’expérience. Il est donc important de s’entourer d’un
réseau de personnes prêtes à s’investir pour les soins de l’animal, et ce, pendant l’année
scolaire et les vacances d’été. Enfin, cette stratégie axée sur le recours à un animal nous a
convaincus de la pertinence d’avoir parfois recours à des interventions dites alternatives ou
non traditionnelles comme les sports (St-Amand, Girard, Hiroux et Smith, 2017), la danse
(Lobo et Winsler, 2006), le jeu ou le dessin (Morand, 2013) pour surmonter les défis
quotidiens de nos élèves en salle de classe.

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Bibliographie

Bergesen, F. (1989). The effects of pet facilitated therapy on the self-esteem and socialization
of primary school children, Proc. 5th Int. Conf. Relationship bet. Humans and Animals. IOS.

Grandgeorge, M. (2010). Le lien à l’animal permet-il une récupération sociale et cognitive


chez l’enfant avec autisme ? (thèse de doctorat inédite). Université Rennes 2, France.

Jenkins, C. D., Laux, J. M., Ritchie, M. H. et Tucker-Gail, K. (2014). Animal-assisted therapy


and Rogers’ core components among middle school students receiving counseling services: A
descriptive study. Journal of Creativity in Mental Health, 9 (2), 174-187.

Lobo, Y. B. et Winsler, A. (2006). The effects of a creative dance and movement program on
the social competence of head start preschoolers. Social Development, 15 (3), 501-519.

Morand, L. (2013). Élèves difficiles : récompenser ou punir ? Une stratégie d’intervention


pour les enseignants basée sur le dessin et le jeu. Revue des sciences de l’éducation de
McGill, 48 (1), 243-251.

St-Amand, J., Girard, S., Hiroux, M.-H. et Smith, J. (2017). Participation in sports-related
extracurricular activities: A strategy that enhances school engagement. McGill Journal of
Education, 51 (1), 197-206.

Tielsch Goddard, A. et Gilmer, M. J. (2015). The role and impact of animals with pediatric
patients. Pediatric Nursing, 41 (2), 65-71.

Watts, K. et Everly, J. S. (2009). Helping children with disabilities through animal-assisted


therapy. Exceptional Parent, 39 (5), 34-35.

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Bibliographie

Bergesen, F. (1989). The effects of pet facilitated therapy on the self-esteem and socialization
of primary school children, Proc. 5th Int. Conf. Relationship bet. Humans and Animals. IOS.

Grandgeorge, M. (2010). Le lien à l’animal permet-il une récupération sociale et cognitive


chez l’enfant avec autisme ? (thèse de doctorat inédite). Université Rennes 2, France.

Jenkins, C. D., Laux, J. M., Ritchie, M. H. et Tucker-Gail, K. (2014). Animal-assisted therapy


and Rogers’ core components among middle school students receiving counseling services: A
descriptive study. Journal of Creativity in Mental Health, 9 (2), 174-187.

Lobo, Y. B. et Winsler, A. (2006). The effects of a creative dance and movement program on
the social competence of head start preschoolers. Social Development, 15 (3), 501-519.

Morand, L. (2013). Élèves difficiles : récompenser ou punir ? Une stratégie d’intervention


pour les enseignants basée sur le dessin et le jeu. Revue des sciences de l’éducation de
McGill, 48 (1), 243-251.

St-Amand, J., Girard, S., Hiroux, M.-H. et Smith, J. (2017). Participation in sports-related
extracurricular activities: A strategy that enhances school engagement. McGill Journal of
Education, 51 (1), 197-206.

Tielsch Goddard, A. et Gilmer, M. J. (2015). The role and impact of animals with pediatric
patients. Pediatric Nursing, 41 (2), 65-71.

Watts, K. et Everly, J. S. (2009). Helping children with disabilities through animal-assisted


therapy. Exceptional Parent, 39 (5), 34-35.

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CHAPITRE 3

Dynamique de groupe : accompagner les élèves


au développement d’une pensée critique dans un courant humaniste

Martine Nadon

Résumé

La pédagogie ouverte et interactive comblerait les besoins des élèves tout en leur donnant
l’occasion de faire le choix de leurs activités d’apprentissage, de travailler en équipe et de
prendre en charge la gestion de la classe conjointement avec l’enseignante (Glasser, 1984).
Cette approche d’enseignement met l’accent sur la vie de groupe et sa dynamique. L’article
présente le récit d’un cas vécu qui conduit vers l’énoncé de réflexions au regard de
l’accompagnement au dialogue constructif face à un conflit de groupe. L’adhésion à des
croyances issues dans un courant humaniste s’avère être le prétexte afin de traiter du
développement du jugement critique chez les élèves et des stratégies qui incitent à
l’importance d’apprendre à vivre ensemble (UNESCO, 2015).

Mots-clés : pédagogie, groupe, dialogue, pensée critique, éducation.

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Introduction

Depuis quelques années, j’enseigne au 3e cycle du primaire. J’affectionne ce groupe d’âge et


j’ai opté pour la pédagogie par projet. Bien sûr, les Dewey, Glasser, Montessori, Rodgers et
Caron de ce monde m’ont inspiré ce que je préconise comme environnement d’apprentissage.
Ce style d’enseignement issu de la pédagogie active permet de développer, chez les élèves,
des habiletés en lien avec le travail en équipe. Les élèves progressent à leur rythme sur des
projets multidisciplinaires à l’image d’une communauté apprenante qui permet à chacun de :

« construire et partager ses connaissances et ses découvertes avec les autres,


documenter ses apprentissages, disposer des ressources, des lieux et des
accompagnements nécessaires pour progresser[,] mais aussi pour permettre à d’autres
de s’en inspirer et d’améliorer leurs pratiques ». (Taddei, Becchetti-Bizot et Houzel,
2017, p. 1)

Comme enseignante, mon rôle consiste à les soutenir dans leur autonomie, à leur laisser une
part de responsabilité au regard de leurs apprentissages et de surcroît, à faire des sciences avec
eux tout en ayant le plaisir d’apprendre. Dans cette approche ouverte et interactive
d’enseignement qui confère aussi une attention à la démarche scientifique, il s’avère
important de développer une bonne communication ainsi qu’un lien d’appartenance fort dans
le travail d’équipe. D’ailleurs, nous prévoyons régulièrement du temps à l’horaire afin de
discuter des avancées des projets et résoudre les problèmes en grand groupe, ce qui permet
aux élèves de confronter leurs idées et d’être à l’écoute de leurs pairs. Ces moments de
dialogue offrent l’occasion d’échanger au regard du travail de classe, mais en plus, c’est aussi
la place pour s’exprimer sur divers sujets qui concernent la vie en groupe. Il va sans dire que
la qualité de la dynamique de groupe est très importante. Tous doivent apprendre à se
respecter, à partager et à montrer un esprit collaboratif. Le récit suivant relate une situation
vécue lors d’une année scolaire avec un groupe d’élèves où j’utilisais la pédagogie par projets.

Le cas de Simon

Dès le début de l’année, la dynamique de groupe n’était pas évidente. Un élève dans la classe
ressortait du lot, mais pas pour les bonnes raisons. Simon se révélait être un bon élève en
mathématiques et dans la plupart des autres matières. Cependant, sa passion première était de
faire rire les autres pour avoir toute l’attention possible. Simon pratiquait le hockey et se disait
très bon joueur. Ses parents l’encourageaient beaucoup dans son sport. À l’école, c’était une
autre histoire ! La communication école-famille était quasi absente du fait que les parents ne
voulaient rien entendre des problèmes qui concernaient leur garçon.

Bien qu’il arrive que les répliques verbales de Simon fussent de bon goût, ce besoin de jouer
des tours au détriment des autres ou de lancer de fausses rumeurs était omniprésent chez lui. Il
dérangeait souvent le rythme de la classe avec ses commentaires et ses comportements. Je
devais intervenir à plusieurs reprises. Il faut préciser aussi que son arrogance lui attirait un
certain pouvoir devant ses amis (quelque peu craintifs de le dénoncer) et cela semblait lui
plaire. Bon leader négatif, il usait de cet avantage et entraînait souvent certains élèves à défier
avec lui les règles de conduite.

Un matin du mois de novembre, j’annonçai l’arrivée d’un nouvel élève dans la classe :
Émilio. La journée arriva et Émilio se présenta tout sourire dans la porte en se dirigeant vers
le pupitre qui lui était destiné. Dès son arrivée sur la cour d’école, il s’était lié d’amitié avec
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plusieurs élèves, tous curieux d’en apprendre sur lui. Il faut dire qu’avec le temps, Émilio
avait attiré l’attention autant des filles que des garçons par son enthousiasme à converser avec
tout le monde. De plus, il aimait partager ses nombreuses connaissances puisées dans
différents pays à travers le monde où il avait habité, son père occupant un emploi important
dans une ambassade. Bref, Émilio semblait apporter un vent de fraîcheur avec ses histoires et
son humeur contagieuse. En plus, il s’intégrait aisément à la routine de la classe, démontrait
une adaptation rapide et un enthousiasme à travailler en équipe.

Un présumé coupable

Lors d’une journée de classe ordinaire, les élèves s’affairaient à l’organisation de leur projet
de science. Roseline me mentionna qu’elle ne trouvait plus son étui à crayons dans son
pupitre et qu’à l’intérieur de celui-ci, il y avait un objet précieux à ses yeux. J’attirai
l’attention du groupe et les informai de la situation. J’invitai Roseline à décrire dans les
détails l’étui en question. La période se passa sans autre incident jusqu’à la récréation.

Au retour de la pause, les élèves reprirent place à leur bureau pour prendre leur collation. Tout
se déroula normalement jusqu’au moment où on entendit une exclamation provenir du fond de
la classe. Jade se dirigea vers le bureau d’Émilio en criant : « C’est l’étui de Roseline ! C’est
Émilio qui l’a pris ! » Des élèves exprimèrent leur stupéfaction et quelques accusations
fusèrent à l’intention du présumé coupable. Émilio était figé de peur et montrait la surprise en
me regardant sans rien dire. Simon se leva, se planta derrière Émilio et déclara à haute voix :
« c’est un voleur ! » À ce moment, j’ordonnai à Simon de retourner à sa place sans ajouter un
autre commentaire. Ce dernier y retourna lentement en riant.

En utilisant un ton calme, je demandai à Roseline d’aller voir Émilio et récupérer son étui, si
c’était bien l’article en question. Émilio remit l’étui à Roseline en lui disant qu’il ne
comprenait rien. Puis, il demanda, les larmes aux yeux, la permission de sortir de la classe
quelques minutes. Je lui fis un signe affirmatif de la tête et attendis que la porte se referme
derrière lui pour regarder les élèves un à un. Ceux-ci attendaient le verdict patiemment et en
silence. Je demandai à tous s’ils avaient été témoins de quelque chose en lien avec cet
incident, mais personne ne prononça un mot. Je sentis le malaise dans la classe. Roseline fut
la première à briser la glace en avouant qu’elle ne comprenait pas le geste d’Émilio à son
égard. J’observai Simon, tout sourire, qui mangeait sa pomme et je perçus un regard persistant
qui se dirigeait vers Alexandre, un de ses amis. Comme pour éviter de répondre au signe
visuel de Simon, Alexandre s’obstinait à regarder par terre. Je compris que l’on avait
probablement affaire à un complot orchestré par Simon et que personne ne s’aviserait de
dénoncer l’acte. Mais il fallait s’en tenir aux faits de façon objective. Le doute se confirma le
lendemain puisqu’Alexandre finit par se confier à moi, fortement encouragé par ses parents à
qui il avait raconté l’histoire et avoué sa peur d’être pris pour complice. Je m’empressai de
remercier Alexandre de son honnêteté et de sa bravoure. Celui-ci se sentit soulagé, mais me
supplia tout de même de ne rien dire à son sujet. Il craignait des représailles de la part de son
camarade Simon et probablement aussi de ses acolytes. J’avais donc dans ma classe un
problème qui concernait presque tous les élèves, certains étant en situation de pouvoir sur
d’autres qui, eux, se sentaient comme des victimes.

Amorcer un dialogue constructif

Puisque j’adhère à une gestion démocratique en classe, il me fallait penser à intervenir tout en
ayant une visée éducative pour l’ensemble du groupe en utilisant la discussion collective
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comme outil à la résolution du dilemme. J’ai donc informé les élèves que nous reviendrions
sur la situation ensemble lors de notre prochaine discussion en grand groupe. Tout d’abord,
j’avais confiance en la discussion de groupe puisque certains éléments facilitateurs (lien
affectif assez fort avec le groupe, espace du dialogue déjà établi dans la routine, élèves ayant
une facilité à s’exprimer, etc.) me permettaient de croire en la réussite d’un dialogue
constructif. Et puis, j’avais cette forte conviction que ma tâche se situait bien au-delà d’un
règlement de conflit et consistait à accompagner les élèves à se percevoir comme des citoyens
engagés dans la construction d’une société plus juste et équitable, en commençant par le cadre
de vie à l’école. Cependant, mes connaissances sur les fondements théoriques de cette école
de pensée s’avéraient peu élaborées à cette période. En fait, c’est vers la fin des années 2000
que j’ai eu le bonheur de trouver une très grande résonnance avec les idéologies du courant
critique et citoyen dans les ouvrages en éducation au Québec sous le thème « éducation dans
une perspective planétaire ». Le pédagogue humaniste brésilien Paulo Freire (Freire, 1997) fut
pour moi une révélation. Pour lui, l’épanouissement social et personnel de l’élève passe par sa
responsabilisation dans son rôle de citoyen engagé de son environnement. Chaque individu
possède en lui les qualités humaines de liberté et de dignité essentielles à son émancipation.
Par ailleurs, Freire (1997) décrit l’enseignant comme celui qui guide l’apprenant et
l’accompagne à trouver les solutions afin de changer le monde dans lequel il vit. Ainsi, il
affirme que les jeunes ont la capacité de réfléchir et de faire des choix responsables en société.

L’utilisation du dialogue constructif avec les élèves était de mise, d’autant plus que le
contexte vécu en classe à ce moment s’y prêtait parfaitement. Il était important pour moi de
prévoir un espace à l’expression des élèves qui avaient subi des injustices sans que le discours
laisse place à un règlement de compte entre les personnes soi-disant responsables et les
présumées victimes. Aussi, je désirais aborder avec eux le thème de l’influence des pairs,
autant positive que négative, ainsi que des conséquences directes de nos choix sur nous et
pour la vie de groupe en général. Enfin, la discussion devait se conclure en nommant des
pistes de solution qui permettraient d’installer une harmonie dans le groupe. Tout comme
Freire, j’avais confiance que mes élèves étaient en mesure de discuter en exprimant leurs
réflexions de façon à ne blesser personne et d’en ressortir des éléments permettant de
construire positivement pour le bien-être du vivre-ensemble.

La discussion de groupe a finalement eu lieu quelques jours plus tard, peu après la collation
du matin. Comme à l’habitude, nous avons disposé les chaises de manière à former un grand
cercle. Tous les élèves étaient présents lors de cette journée. J’ai amorcé la discussion en
mentionnant que nous allions revenir sur le conflit vécu durant la semaine. J’ai précisé que la
première partie des échanges avaient pour but de nous exprimer en parlant au « je » et surtout,
en ne montrant personne du doigt dans le groupe. Les élèves ont acquiescé à la demande. Ils
ont commencé à parler à tour de rôle. J’ai dû intervenir à quelques reprises parce que leurs
discours étaient parfois empreints de colère et de frustrations à l’égard de l’injustice qu’eux
ou leurs camarades avaient subie. Puisque c’était l’espace prévu à l’expression des émotions,
il était donc important que chacun puisse avoir cette liberté de dire ce qu’il ressentait, mais
dans le respect. Ensuite, nous avons discuté du thème de l’influence positive et négative.
J’avais prévu des questions ouvertes afin de provoquer la réflexion et la discussion. Tous
avaient le droit de s’exprimer sur le sujet. Je me permettais parfois d’inviter la personne à
préciser davantage sa pensée et à faire des liens avec ce qui avait déjà été dit. Les élèves
appréciaient le partage qui avait lieu puisqu’ils écoutaient avec respect leurs pairs et
demandaient la parole de temps à autre. Après plusieurs minutes de discussion en grand
groupe, j’ai invité les élèves à proposer des pistes de solution pour une meilleure harmonie en
classe. Cette fois, j’insistais pour que les élèves s’expriment en utilisant le « nous » de
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manière à promouvoir leur engagement ainsi que leurs responsabilités sociales (Rorty, 1991,
cité dans Daniel, 2017). Certains élèves ont spontanément partagé leur intention de faire plus
attention aux autres, de les respecter plus et de dénoncer les actions injustes. Il a aussi été
mentionné qu’il était important de venir en aide à une personne qui vit une situation
embarrassante et qu’il faut demander conseil à un adulte au besoin. Un élève a proposé de
faire appel au policier éducateur de l’école afin qu’il vienne en classe discuter avec nous, ce
que nous avons fait. Somme toute, j’étais assez fière des résultats de cette discussion de
groupe. Cela m’a permis de voir à quel point mes élèves étaient en mesure de développer un
dialogue constructif face aux problèmes qu’ils rencontrent sur leur chemin.

Après la fameuse discussion, la dynamique de groupe était un peu plus harmonieuse. Bien sûr,
les comportements de Simon ne sont pas complètement disparus, mais il vivait de plus en plus
les conséquences de ses actes étant donné l’isolement provoqué par la distance imposée de la
part de ses pairs. À cette étape, j’ai continué à offrir mon aide à Simon afin qu’il développe
des habiletés sociales positives dans le groupe. Aussi, je profitais souvent d’occasions en
classe pour mentionner ses qualités aux autres en lien avec son sport et ses connaissances
scolaires. Bref, j’ai continué à porter une attention particulière à la communication et au bien-
être des élèves.

À cette période de mon parcours professionnel, j’abordais de plus en plus le thème de la


démocratie avec les élèves et l’approche utilisée favorisait souvent la participation de ceux-ci
aux décisions, par exemple à travers le conseil de classe (Caron, 1996). L’intervention faite en
lien avec l’incident du vol de l’étui à crayons a été l’un des événements qui m’ont fait réaliser
à quel point je tenais à accompagner mes élèves à construire leur sens de responsabilisation en
tant que futurs adultes engagés dans la société. Les enfants m’avaient démontré, lors de cette
fameuse discussion de groupe, qu’ils étaient capables de raisonner, de chercher des réponses
et de confronter leurs idées avec les autres au regard de thèmes tels que la justice, la solidarité
et le respect de l’environnement. Les concepts de conscientisation critique et d’engagement,
définis par Ferrer et Allard (2002, p. 4), ont permis d’y porter un premier regard pour
consolider mes intentions éducatives : « […] il importe de favoriser la réflexion critique tout
autant que l’engagement réfléchi dans l’action quotidienne ». Bien que je ressente une
certaine satisfaction face à mes compétences pour guider les élèves lors des discussions de
groupe, des remises en question subsistaient en moi à ce moment en ce qui a trait à la qualité
des interactions désirée avec mes élèves : comment accompagner efficacement mes élèves ?
Quelles sont les bonnes interventions qui les aident à développer leur réflexion critique ?
J’avais ce besoin d’améliorer la qualité de mes interactions et l’écoute active qui permet à
l’autre de réfléchir, sans être dans un mode transmissif consistant simplement à donner la
réponse attendue. Mes intérêts se sont alors dirigés vers la compréhension de ce concept afin
de m’outiller pour l’accompagnement dans le développement d’une pensée critique.

Développer la pensée critique en classe

Le concept de pensée critique est entré dans l’histoire de l’éducation dans les années 1980 où
le cognitivisme, la psychopédagogie ou la psychologie de la connaissance attribuait un rôle
déterminant au développement de la pensée dans l’apprentissage. La pensée critique fait place
à des qualités d’analyse méticuleuse, de logique et de clarté d’esprit qui servent à construire
une pensée plus concise, apte à prononcer un jugement réfléchi (Lipman, 2011). Plusieurs
raisons motivent le développement d’une pensée critique : il peut s’agir d’améliorer la
capacité à raisonner de manière logique et rationnelle, de s’attarder à des critères précis pour
la réalisation d’une discipline donnée ou bien de parfaire ses compétences à circonscrire des
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problématiques ainsi qu’à trouver des solutions efficaces. Par l’utilisation de critères
rigoureux et l’évaluation de l’action en fonction de ces derniers, la pensée critique s’avère
donc une pensée solide.

Outre les travaux de plusieurs chercheurs qui s’intéressent à la pensée critique, ceux de
Dewey (1990) ont fait émerger l’idée qu’une communauté pratiquant la démocratie et
employant la méthode scientifique pouvait servir en éducation à faire progresser la pensée des
élèves. On doit cependant à Lipman (2011) d’avoir vulgarisé les savoirs théoriques pour le
milieu de l’éducation avec la notion de communauté de recherche philosophique (CRP). Cette
dernière encourage l’exploitation de la pensée critique et créative en prenant comme modèle
méthodologique, les principes de la démarche de recherche ; réfléchir à travers une pensée
philosophique en CRP favoriserait le développement intellectuel et contribuerait à former des
individus plus consciencieux, outillés de jugements fondés qui accueillent la différence et les
valeurs diverses qui fondent la société (Lang, 2010). D’ailleurs, un rapport de l’UNESCO
(2015, p. 34) soutient une éducation où la mission doit véhiculer la valeur de dignité humaine
et consiste, entre autres, à accorder une place importante au développement du jugement
critique chez les enfants : « Une vision renouvelée de l’éducation doit promouvoir la réflexion
critique, l’indépendance de jugement et le dialogue. » Nul doute que le développement de la
pensée critique et citoyenne fait partie des nouveaux courants humanistes dont les valeurs
premières sont la dignité et l’engagement de l’individu comme agent actif dans la société.

En ce qui concerne les habiletés pour accompagner efficacement les élèves dans le
développement d’une pensée critique en CRP, Sasseville (2009) apporte des éléments de
réponses. Une fois l’espace propice aménagé pour le dialogue réflexif, les élèves sont invités
à s’exprimer sur différentes idées issues de leur expérience. Il revient à l’animateur de faire
des liens efficaces avec ce qui est dit. L’opération permet l’organisation de l’information en
reformulant et en posant des questions ouvertes. Pour ce faire, des outils pédagogiques, dont
une grille d’observation de la pratique d’une pensée critique aux enseignants et enseignantes
(Sasseville, 2009, p. 157-161), offrent des questions types permettant d’accompagner les
élèves à développer une pensée critique, soit une pensée qui encourage à tenir compte des
critères (p. ex. : « sur quoi t’appuies-tu pour penser que… ? »), qui se réfère au contexte
(p. ex. : « en quoi ce que tu dis ressemble à ce que nous avons vu auparavant ? ») et enfin, qui
est autocorrectrice (p. ex. : « comment as-tu réussi à trouver cela ? »). Pour Daniel (2017,
p. 16), les questions ouvertes et critiques servent à créer des doutes face aux certitudes, aux
croyances et aux idéologies parce que : « le doute et le questionnement, du fait qu’ils
supposent une remise en question du connu et du stable, sont le point de départ du processus
de réflexion critique ». Bien plus qu’un « arbitre » dans ce jeu du dialogue, l’animateur d’une
CRP doit user d’une certaine influence pour guider les élèves à approfondir leur réflexion à
travers les échanges avec les pairs (Sasseville, 2009). Du coup, ces quelques éléments de
réponse incitent à l’exploration plus approfondie du concept de la pensée critique.

Conclusion

Parmi ses écrits récents, Daniel (2017) réitère la nécessité de développer chez les jeunes, des
plus petits aux plus âgés, les aptitudes à réfléchir afin de travailler à la préservation des droits
de la personne et pour faire face aux défis de la société. Il m’apparaît donc primordial
d’accompagner ceux-ci dans le développement de leur pensée critique afin qu’ils apprennent à
devenir autonomes, qu’ils puissent s’approprier un certain pouvoir de décision et d’action sur
leur vie comme participant à la société, et ce, peu importe l’approche utilisée en classe pour
créer des discussions (philosophie pour enfants, apprentissage par problèmes, résolution de
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conflits, conseil de classe ou CRP). En ce sens, les élèves participeront à l’avancement de la
connaissance et à l’évolution de la société dans une optique qui privilégie la vérité, la justice
et le bien.

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Bibliographie

Caron, J. (1996). Quand revient septembre… : guide sur la gestion de classe participative.
Montréal, Canada : Chenelière Éducation.

Daniel, M.-F. (2017). Dignité humaine et Pensée critique dialogique chez des enfants et des
adolescents. Éthique en éducation et en formation. Les Dossiers du GREE, 3 (3), 1-22.

Dewey, J. (1990). Démocratie et éducation. Paris, France : Armand Colin.

Ferrer, C. et Allard, R. (2002). La pédagogie de la conscientisation et de l’engagement : pour


une éducation à la citoyenneté démocratique dans une perspective planétaire. Première partie :
Portrait de la réalité sociale et importance d’une éducation à la conscientisation critique et à
l’engagement. Éducation et francophonie, vol. XXX, no 2, 66-95.

Freire, P. (1997). Pédagogie de l’autonomie : des savoirs nécessaires à la pratique éducative.


Paris, France : Éditions du Cerf.

Lang, M. (2010). La pensée critique au cœur de l’éducation à la citoyenneté (thèse de


doctorat, Faculté de philosophie). Université Laval, Québec, Canada.

Lipman, M. (2011). À l’école de la pensée : enseigner une pensée holistique. Bruxelles,


Belgique : De Boeck.

Rorty, R. (1991). Objectivity, relativism and truth: Philosophical papers. Cambridge, R.-U. :
Cambridge University Press.

Sasseville, M. (2009). La pratique de la philosophie avec les enfants (3e éd.). Québec,
Canada : Les Presses de l’Université Laval.

Taddei, F., Becchetti-Bizot, C. et Houzel, G. (2017). Vers une société apprenante : les grands
axes du rapport. Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la
Recherche.

UNESCO (2015). Repenser l’éducation : vers un bien commun mondial ? Paris, France :
UNESCO.

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