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Ameur Oueslati
Éditeur
Presses Universitaires de Provence
Référence électronique
Ameur Oueslati, « Plages et urbanisation en Tunisie: des avatars
de l’expérience du XXe siècle aux incertitudes
de l’avenir », Méditerranée [En ligne], 115 | 2010, mis en ligne le 30 décembre 2012, consulté le 30
septembre 2016. URL : http://mediterranee.revues.org/4928 ; DOI : 10.4000/mediterranee.4928
Les plages de la Tunisie, notamment celles de la façade orientale, sont parmi The beaches of Tunisia, mainly those of the eastern coast, are among the
les plus fortement aménagées de la rive sud de la Méditerranée. Elles ont éga- most densely occupied by man in the Mediterranean south bank. They have
lement commencé, relativement tôt, à manifester différentes formes de fai- also begun to manifest different forms of weakness early in the twentieth
blesse et de dégradation. century.
Cette contribution vise d’abord à rappeler, à partir de l’expérience du This paper is first to recall, from the experience of the twentieth century,
xx e siècle, les principales caractéristiques de l’évolution qui a conduit à l’état the main features of the evolution that led to the current state of beaches in
actuel des plages dans les milieux urbanisés et dans les zones touristiques. urbanized and in tourist areas. It also tries to identify the main problems
Elle tente également de dégager les principaux problèmes que rencontrent faced by these forms. Special attention is given to marine erosion that we try
ces espaces. L’accent sera mis sur l’érosion marine, dont on essaye de carac- to characterize and quantify.
tériser le mode d’intervention et pour laquelle on donne des éléments de This work also provides a place for the prospective approach and shows that
quantification. the vulnerability of Tunisian beaches is increasing especially with storms and
Ce travail accorde aussi une place à l’approche prospective et montre que la in a condition of a sea level rise.
vulnérabilité de ces plages va en croissant surtout face aux tempêtes et dans
une conjoncture d’élévation du niveau marin.
Mots clés : Tunisie, plages sableuses, érosion littorale séculaire, urbanisation Key words: Tunisia, sandy beaches, long term littoral erosion, urbanization
et développement touristique and touristic development
La Tunisie est, aujourd’hui, le pays de la rive sud de la vestiges archéologiques, largement désertés pendant de
Méditerranée qui offre les exemples les plus nombreux de longs siècles. L’examen des documents cartographiques et
rivages sableux côtoyés par des villes et des zones touris- photographiques, de différentes dates disponibles, révèle
tiques et des conséquences d’une occupation accélérée, par- qu’une majeure partie des plages et des espaces dunaires
fois même hâtive, de ce type de rivages. Les plages y sont qui les bordent présentait encore, à la fin du dix-neuvième
en effet, les formes littorales qui ont, jusqu’ici, attiré le plus siècle, un cachet naturel. Le vingtième siècle va inaugu-
d’installations humaines de bord de mer. Cette attractivité et rer une nouvelle ère, caractérisée par la multiplication des
la perception de ces formes par l’homme ont toutefois sensi- aménagements de front de mer et des constructions « pieds
blement varié avec le temps. dans l’eau ». Mais les vraies manifestations de la densifica-
Après une lecture des principales caractéristiques de tion du bâti et de son extension le long des plages sableuses
l’évolution récente, l’accent sera mis sur l’érosion marine ne vont vraiment prendre de l’ampleur qu’après les années
dont nous tenterons de dégager les causes et les modalités 1960. Une telle évolution reflète en fait, de profondes muta-
dominantes et que nous essayerons de quantifier. Enfin, les tions dans la perception et l’utilisation, par l’homme, de
dernières parties seront consacrées aux tendances actuelles tels rivages.
et aux risques d’avenir, surtout avec de fortes tempêtes et
dans une conjoncture d’élévation du niveau marin. 1.1 - Jusqu’au milieu du vingtième siècle
Il n’y a pas de citadins plus amoureux de la plage que les
Tunisiens. Cela tient sans doute à la proximité de la mer de
1 - Construire en dur au bord des rivages leur ville… Oui, vraiment, on est tenté de croire à quelque
sableux : un très vieux désir ressuscité obscur atavisme amphibie, à quelque secrète superstition
ondine, quand on voit avec quelle frénésie, quelle impa-
Le nombre impressionnant de sites archéologiques tience, Tunis l’Arabe, dès les premières chaleurs, se déverse
antiques identifiés le long des côtes tunisiennes (Slim et al., sur les plages.
2004), témoigne de l’importance de l’attraction exercée Ce texte, extrait d’un article paru, sous le titre « Plages
par les rivages, y compris ceux sableux, sur les sociétés tunisiennes » le 17 juillet 1909 dans le no 3464 du journal
du temps de Carthage et de l’empire romain. Cette situa- L’illustration, ne laisse pas de doute quant à la place qu’oc-
tion va changer plus tard et ces mêmes rivages vont res- cupait la plage chez le tunisien et l’ambiance que cela occa-
ter, à en juger par la répartition des espaces bâtis et des sionnait il y a déjà un siècle. En fait, les choses étaient bien
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1 Les noms de lieux sont donnés sur les figures correspondantes à l’objet pour lequel ils sont évoqués.
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Fig. 4 - Trois photos illustrant l’évolution de la plage de Hammamet à la hauteur du mur externe de l’hôtel Aladin, situé entre les hôtels Sindabed et Parc.
Sur la première photo, prise au début de l’été de 1995, la plage couvre le pied du mur d’enceinte de l’hôtel Aladin sur presque la moitié de sa hauteur. Sur la
deuxième photo, prise au lendemain d’une tempête survenue à la fin de l’automne de 2001, la plage a perdu une partie importante de son matériel ; le mur est
affouillé à la base et menace de basculer. Dans la troisième photo, datant du printemps de 2002, la plage s’est partiellement reconstituée
Crédit photo : A. Oueslati
Tableau 1 - Exemples de vitesses de déplacement de rivage sableux dans les villes et les zones touristiques da la Tunisie
Élargissement
Retrait du rivage
Ville ou zone touristique Période de la plage
moyenne (m/an) maximum (m/an) moyenne (m/an)
Bizerte
Plage de Sidi Salem (contre la jetée nord du port de commerce) 1936-1974 1,31
1974-1981 4,2 à 5,7
Zone des hôtels au Nord de Ain Mariem 1994-2003 2 à 3,5 4,5
Tunis et ses banlieues
Raoued (plage publique) 1970-1996 1,3 à 2
1948-1988 0,5 à 2
La Marsa
1974-1985 0,5 à 1,8
La Goulette (contre la jetée nord du port) 1974-1985 1 à 1,3
De Salammbô à La Goulette 1962-1974 0,1 à 0,25
Ezzahra 1962-1976 6,4
Hammam Lif 1962-1976 4,2
Ejjehmi 1990-2004 7,2
Soliman plage 1996-2004 5
Klibia
Zone de l’hôtel Mamounia 1981-2004 2 3
Côte de Nabeul-Hammamet
Maamoura-Bni Khiar 1962-2000 0,5 à 1
Bni Khiar (au Nord du port de pêche) 1982-2000 2,7
Hammamet (hôtel Sindabed) 1979-1982 12
Hammamet (hôtel Continental) 1979-1993 2,3
Hammamet Sud (au Nord de Oued Moussa, 1962-1985 0,9 à 2,2
à l’écart des embouchures) 1949-1996 0,27 à 1,08
Sousse-zone touristique de Skanès
Sousse Nord (hôtel Royal Salem) 1990-2004 0,8
Sousse (au Sud de Oued El Hallouf) 1983-2004 0,5 à 1,4
Sousse Sud (Sidi Abdelhamid) 1998-2004 0,5 à 1,2
Skanès 1962-2004 1,5 à 2,5
Zone touristique de Jerba-Zarzis
Jerba (hôtel Ulysse) 1962-1999 0,5 à 1
Jerba (hôtel Les Sirènes) 1991-2001 2,5
Zarzis (hôtel Zita) 1991-2002 1,5
Zarzis (au Nord du port de pêche) 1977-2004 1,85 à 3,4
Zarzis (au Sud du port de pêche) 1980-2002 1,6 8
Valeurs recueillies dans la bibliographie citée ou obtenues par des mesures personnelles. Elles sont souvent le résultat de comparaisons de photos-aériennes
de différentes dates. La correction géométrique de telles photos n’ayant commencé à devenir courante, en Tunisie, qu’au cours des dix dernières années,
certaines valeurs doivent donc être prises avec beaucoup de précaution
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des premières années qui succèdent à l’implantation des amé- de certains estivants, de certains propriétaires des construc-
nagements au bord des plages. Des valeurs supérieures à 5 m tions de front de mer ou de certains organismes locaux
sont alors très fréquentes (tab. 1). notamment les municipalités. On pense par exemple, à la
Il est intéressant de retenir aussi que pour les plages bor- destruction de la végétation de l’avant dune, à l’extraction
dées par des constructions en dur la valeur du recul du du sable de cette dernière et de la plage pour les chantiers de
rivage tend à diminuer, avec le temps (Oueslati, 2004). construction ou encore à l’enlèvement, dans un souci de pro-
Ceci ne doit pas s’expliquer par une diminution dans la preté de la plage, des feuilles de posidonie accumulées (par-
vigueur et l’efficacité des processus de l’érosion. La plage fois sous la forme de véritables banquettes) par les vagues
se rétrécissant et devenant de moins en moins volumi- sur l’estran et qui, en fait, offrent aux rivages une protection
neuse à mesure que l’érosion travaille, le corps exposé aux naturelle.
vagues est de moins en moins large et les valeurs obte- Les problèmes les plus délicats viennent toutefois de la
nues quant à la valeur du recul ne fait que suivre. De plus, présence même des espaces bâtis au contact des rivages et
à partir d’un moment donné, les vagues s’attaquent plus de la façon dont ils ont été implantés. Les plus directs sont
facilement et plus fréquemment aux murs qui finissent par en rapport avec les aménagements causant un dérèglement
fonctionner comme falaises vives ou en sommeil. La plage du mouvement des sédiments le long du rivage (transit lit-
va alors, au gré de l’état de la mer, se rétrécir, disparaître toral) ou une perturbation de l’échange sédimentaire entre
ou se reconstituer, mais toujours provisoirement. Un suivi, les différentes parties du profil transversal des plages. Ils
sur plus de vingt cinq ans, de l’évolution de segments de sont parfois aussi, on y reviendra, en rapport avec les tech-
plage de la ville de Hammamet est très significatif à cet niques utilisées pour lutter contre l’érosion marine. Une car-
égard (fig. 4 et 5). tographie de l’évolution, au cours du vingtième siècle, des
Si bien que, ce sont les valeurs de la période antérieure espaces bâtis au bord des rivages à plages et des secteurs
au passage à la dynamique de « falaise » qui doivent être touchés par l’érosion confirme la bonne corrélation entre les
considérées comme les plus significatives quand au rythme deux phénomènes (fig. 6 et 7). Par ailleurs, les plages qui
de l’érosion, aux effets des aménagements et à la capacité souffrent, aujourd’hui, des formes d’érosion et de dégrada-
de la plage à résister à l’action des vagues. En Tunisie, tion les plus épineuses et celles dont l’état a nécessité des
cette capacité s’est un peu partout avérée limitée, voire travaux de défense appartiennent aux villes et aux zones
même très limitée. Presque partout, les côtes bordées touristiques.
par des constructions en dur et ayant connu des tempêtes La population connaît bien cette évolution et les plages
marines importantes ont vu leurs plages démaigrir par- de différentes agglomérations, notamment Tunis, ont perdu
fois jusqu’à la disparition. Le démaigrissement s’exprime leur attractivité d’antan (fig. 8). Des enquêtes menées dans
à travers un recul du rivage, un dégarnissement vertical des côtes situées à l’écart des milieux urbains ont toutes
de la plage ou les deux à la fois. Les rares cas de plages révélé qu’une part, parfois très importante, des estivants
qui ont connu, dans les villes et les zones touristiques, un qui les fréquentent, est originaire de grandes villes qui sont
engraissement s’expliquent surtout par l’existence d’obs- pourtant dotées de plages. Ces dernières sont, en fait, de
tacles bloquant le transit littoral, notamment les jetées de plus en plus fuies à cause des problèmes d’encombrement
ports ou certains ouvrages de défense comme les épis et certes, mais aussi à cause des différentes formes de dégra-
les brise-lames (tab. 1). dation qu’elles ont subies, dont le rétrécissement, voire par-
fois la disparition, par érosion.
2.2 - Le dérèglement du transit littoral,
l’opposition à l’échange sédimentaire entre Le dérèglement du transit littoral
les différentes parties du profil transversal La dérive littorale étant souvent monodirectionnelle
des plages et l’utilisation de moyens sur de grand segments du littoral tunisien, les différents
de protection non adaptés : les principales obstacles, même les plus petits d’entre eux (embarca-
causes accélératrices de l’érosion marine dères, appontements, sorties de canalisations d’égouts ou
en milieu urbain d’évacuation des eaux pluviales, …) ont très souvent eu
La fragilité des plages des villes et des zones touristiques, des effets très apparents sur la dynamique sédimentaire.
en Tunisie, a parfois des liens avec des aménagements Mais ce sont certains ouvrages de défense du rivage (épis
situés en dehors de tels espaces. C’est ainsi par exemple, et brise-lames) et surtout les aménagements portuaires qui
que les nombreux barrages implantés sur les cours d’eau, ont entraîné les conséquences les plus graves.
notamment l'oued Majerda et l'oued Miliane, qui débouchent Le schéma qui revient le plus souvent dans la littéra-
dans le golfe de Tunis, ont entraîné une réduction sensible ture, même s’il ne représente qu’une partie de la réalité
de l’alimentation des plages de la capitale en sédiments et ne donne parfois qu’une image simpliste de la situation
(Paskoff, 1985 ; El A rrim, 1996 ; Oueslati, 2004). De (Oueslati, 2004), insiste sur la dynamique contrastée dans
son côté, l’accentuation de l’érosion dans les plages de la les segments de rivage qui bordent ces aménagements.
corniche de Bizerte et de La Marsa s’explique, en partie, par Selon qu’elles sont exposées au courant de la dérive litto-
une réduction des apports sableux par le vent depuis que les rale dominante ou qu’elles en sont coupées, les plages ont
dunes de l’arrière pays immédiat ont été fixées par reboise- souvent connu un engraissement ou un démaigrissement.
ment (Oueslati, 2004). La vitesse avec laquelle s’est déplacé le rivage est parfois
La fragilité des rivages sableux a été également accentuée, rapide et a, dans bien des situations, obligé à recourir à des
et pour longtemps, par le comportement ou les interventions travaux de protection. Mais ce ne sont pas toujours les plus
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Fig. 6 - Les rivages sableux directement bordés par des constructions (indiqués en noir gras) à l’orée (A) et la fin (B) du xxe siècle.
(Sources : cartes marines de la fin du xixe siècle, différentes missions de photos aériennes, cartes topographiques de différentes dates et relevés personnels
sur le terrain)
Fig. 7 - Les plages (indiquées en gras) dans lesquelles ont été signalées (dans la bibliographie et les documents d’archives) des manifestations d’érosion au
début (A), au milieu (B) et à la fin (C) du xxe siècle : une évolution parallèle à celle donnée par la figure 6 − Réalisation : A. Oueslati
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Fig. 8 - Origines des estivants qui fréquentent les plages de Kalaat Landlouss (d’après Oueslati, 2004) et Maamoura-Bni Khiar (d’après statistiques de
Ben Ali, 2001). Une part importante vient de Tunis parce que ses plages sont devenues de plus en plus encombrées et ont, surtout, subi différentes formes de
dégradation dont celles dues à l’érosion
grands ports ou les jetées les plus longues qui ont occa- alimentation sédimentaire importante du fait, par exemple,
sionné l’érosion la plus rapide. La nature du site, surtout de leur éloignement des sources d’alimentation sédimen-
l’importance du rôle que joue la dérive littorale dans l’ali- taire (embouchures des cours d’eau ou des falaises vives), de
mentation sédimentaire de la plage, peut être plus décisive. leur exposition ou de l’existence d’un obstacle qui les prive
Les vitesses de déplacement enregistrées à Ghar El Melh des apports des courants côtiers. Des illustrations parmi les
sont parmi les plus importantes, pourtant les jetées du port plus expressives existent dans la zone touristique de Jerba, à
(créé en 1974) responsable n’avaient, au départ, que 300 et Raf Raf et à Klibia (fig. 9 et 10).
200 m de long. En effet, dans le secteur coupé des apports
de la dérive littorale, le recul du rivage a atteint au cours L’utilisation de moyens de protection non adaptés
des seules trois premières années (1976-1978) qui ont suc- La lutte contre l’érosion marine, en Tunisie, date du début
cédé à la création du port, quatre vingt dix à cent mètres du vingtième siècle. Dans la banlieue nord de Tunis, la pre-
sur un tronçon long de 560 m (El A rrim, 1996). mière à voir ses rivages sableux démaigrir, parce justement
elle est la première à voir des constructions en dur se mul-
L’interruption de l’échange sédimentaire entre tiplier au bord et aux dépens des plages, des épis en pieux
les différentes parties du profil transversal des plages de bois ont commencé à être utilisés dès les années 1910.
On le sait bien aujourd’hui, les constructions en dur au Mais, au lendemain d’une forte tempête survenue en janvier
bord des plages ont comme inconvénient, outre la fixa- 1981 sur les rivages des golfes de Tunis et de Hammamet,
tion du trait de côte et le renforcement de l’action des eaux va commencer l’ère de la défense lourde. Les ouvrages uti-
marines lors des tempêtes, suite à leur réflexion par les murs lisés sont, selon les cas, des murs de soutènement, des enro-
qu’elles heurtent, l’interruption des échanges sédimentaires chements, des épis et des brise-lames. Comme c’est le cas
dans le profil transversal de ces formes. Or, de tels échanges dans d’autres littoraux, ils ont souvent occasionné, outre les
jouent un rôle fondamental puisqu’ils s’inscrivent dans une lourdes dépenses, de nouveaux problèmes environnemen-
dynamique d’adaptation aux conditions météomarines et de taux (Paskoff, 1993 ; Oueslati, 1993) et ont parfois accen-
complémentarité entre les différentes parties d’un tel profil. tué l’érosion ou l’ont déplacée vers d’autres secteurs.
Rien n’est plus significatif que le fait que presque toutes les
plages bordées par des constructions en dur sont aujourd’hui Les murs de soutènement ont presque toujours, en favori-
confrontées à des problèmes d’érosion. Le déclenchement de sant la réflexion des eaux marines, accéléré la fuite des sédi-
cette dernière peut être très rapide. Mais là aussi, ce ne sont ments vers le large avant de céder sous l’effet du sapement
pas, nécessairement, les sites les plus anciennement occupés basal par les vagues. Les épis ont eu des effets comparables
ou dont l’occupation est la plus dense qui vivent les situa- à ceux des jetées des ports. Les brise-lames ont parfois eu
tions les plus critiques. L’état initial de la plage et le cadre les effets les plus néfastes. Certes, ils ont presque toujours
naturel ainsi que la manière dont se fait l’aménagement permis la formation de tombolos (Zeggaf Tahri, 1999).
comptent beaucoup. D’une façon générale, le déclenchement Mais ces derniers ont un peu partout évolué vers des sols
et la progression de l’érosion ont été les plus vite ressen- compactés et salés qui ont vite été colonisés par des plantes
tis là où des constructions en dur se sont trop approchées halophiles infestées de moustiques (fig. 11 et 12). Si bien
de la mer empiétant sur des plages ne bénéficiant pas d’une que, dans certains cas la décision a été de les couvrir par
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Fig. 9 - La plage de Raf Raf : l’un des nombreux exemples de plages ayant
connu une forte et rapide dégradation par érosion suite à l’envahissement de
l’avant dune par des constructions en dur
À l’état naturel cette plage est limitée, dans ses deux extrémités, par des
falaises vives ce qui lui permet de bénéficier d’une alimentation sédimentaire
par la dérive littorale. Mais elle appartient à une côte à mode battu et ne reçoit
pas de cours d’eau importants. Elle devient particulièrement vulnérable dès
que des constructions en dur s’approchent de l’espace atteint par les vagues
de tempêtes − Photographies : A. Oueslati
2 D’après le site [http://www.apal.nat.tn.]. D’autres secteurs aménagés en esplanades sont cités, mais leur extension est exprimée en superficies.
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Tableau 2 - L’évolution du bâti au bord des plages et l’état actuel de ces dernières dans quelques villes et zones touristiques de la Tunisie
marine annoncée pour les prochaines décennies (IPCC, 1992 ; plages mais aussi, et en même temps, à l’apparition de
GIEC, 2007). Des travaux récents (O ueslati , 1991 ; différentes formes de dégradation parmi lesquelles l’éro-
Oueslati et al., 1992, Oueslati, 2004 ; DGQV, 2008) l’ont sion est, souvent, l’élément le plus apparent ou le plus
déjà dit. Les différents scénarios, basés sur les projections menaçant. Les imprudences les plus graves et fréquentes,
les plus récentes du niveau marin, montrent en effet, que les au sein même des milieux urbains, et ayant conduit à
problèmes les plus épineux se poseront dans les rivages bor- une telle dégradation, ont accompagné la multiplication
dés par des constructions en dur, denses et continues sur de des aménagements de front de mer. C’est notamment le
grandes distances et qui vivent déjà un déficit sédimentaire. cas des implantations résidentielles, touristiques, indus-
Car, dans de telles circonstances les plages n’auront pas la trielles et portuaires qui ont entraîné une perturbation de
possibilité de s’adapter à la nouvelle conjoncture. Les murs la dynamique sédimentaire dans le profil des plages et le
et les différents corps rigides s’opposeront à leur migration long du rivage. Cette responsabilité de l’homme, à tra-
vers l’intérieur, à la manière d’un tapis roulant, connue à tra- vers l’urbanisation, dans l’aggravation des risques liés à
vers le principe de Bruun (Paskoff, 1993). l’érosion marine apparaît clairement. Les plages les tou-
De fait, cette migration est vue comme l’une des com- chées par l’érosion appartiennent aux segments de côtes
posantes essentielles de l’adaptation des plages à une ten- qui renferment les villes et les zones touristiques les plus
dance marquée par le retrait du rivage suite à une éléva- importantes. C’est aussi dans ces mêmes zones qu’ont été
tion du niveau marin ou par simple érosion. Les côtes de entrepris les travaux de protection les plus nombreux et
la Tunisie offrent de nombreuses illustrations d’une telle les plus coûteux mais qui ont souvent aussi aggravé le
adaptation. Dans bien des secteurs, les plages ont continué à problème parce qu’ils sont la plupart du temps restés au
exister malgré les indices d’un retrait important de la ligne niveau de la défense lourde.
de rivage (fig. 16). Par contre, d’autres plages, parfois voi- L’origine du mal se trouve aussi dans un manque, parfois
sines, ont connu un démaigrissement important ou ont été très net, au niveau des approches intégrées et des approches
totalement érodées à cause des constructions qui les bordent prospectives, de la coordination entre les différentes ins-
et qui occupent très souvent l’emplacement de l’avant dune. tances concernées par la gestion et l’aménagement des
espaces naturels, ainsi que des insuffisances au niveau de
la connaissance des plages, faute de recherches approfon-
dies et d’études d’impact, préalablement à leur exploita-
tion. Le malheur est souvent venu des faiblesses des études
et des diagnostics qui ont présidé à l’aménagement. Si bien
que les plages des villes tunisiennes ont longtemps offert,
et continuent parfois à offrir, une remarquable illustration
du déphasage ou de la coupure qui existe entre les aspects
juridiques et les efforts déployés par certains départe-
ments chargés de la protection de l’environnement d’une
part et l’attitude de leurs utilisateurs d’autre part. La même
Fig. 16 - Blockhaus dans le littoral nord de Sousse. Engagé dans la mer alors
qu’il se trouvait, lors de sa construction à l’époque de la deuxième guerre constatation s’applique quant à la valorisation des résultats
mondiale, au moins au niveau de l’avant dune. et recommandations des recherches scientifiques. L’intérêt
Le rivage s’est retiré mais la plage n’a pas disparu. Plus au Sud dans la
économique l’a presque toujours emporté sur l’environne-
même ville, la plage naturelle a localement disparu parce que bordée par des
constructions en dur continues - Photographie : A. Oueslati mental. Les scientifiques, spécialistes du milieu naturel,
n’ont commencé à être vraiment suivis que lorsque, et par-
fois seulement là où, la situation s’est trop dégradée.
Conclusion Il faut reconnaître aussi que la recherche scientifique a
encore bien des questions à affiner. Les plages de la Tunisie,
Ainsi, il apparaît que la perception, la fréquentation et offrent, par la variété des espaces naturels et humains aux-
l’utilisation des plages ont beaucoup évolué, en Tunisie, quels elles appartiennent ainsi que par leur histoire, un ter-
au cours du vingtième siècle. Mais le changement le rain très propice à la recherche. Mais on a parfois continué
plus significatif s’est produit durant les quatre dernières à voir paraître des écrits qui, par leur contenu et surtout
décennies et plus particulièrement depuis les années 1980 par leur approche et apport, ne dépassent pas des publica-
avec la confirmation et le développement du secteur tou- tions datant des années 1980 et parfois même des années
ristique et l’accélération de l’urbanisation. Des rivages 1970. Plus grave, l’observation directe du terrain a souvent
sableux longtemps livrés à la nature sont devenus den- fortement décliné au profit de l’analyse à distance facilitée
sément aménagés et très recherchés. De leur côté, des par l’outil informatique. Le retard est toujours important
agglomérations littorales qui ont longtemps tenu à garder au niveau des études quantitatives significatives et criant
une distance par rapport à la mer, ont autorisé leur bâti quant à la modélisation et aux approches de simulation. De
à s’étaler en direction des rivages souvent sur des terres plus, les tentatives dans ce domaine n’ont souvent fourni
humides. Peu importe le risque, l’essentiel est d’avoir un que des résultats douteux ; car plusieurs données de base
pied au contact de l’eau et une fenêtre qui donne sur le sont encore lacunaires ou manquent carrément pour dif-
bleu. férents espaces (mesures directes, courantologie, contenu
Cette course vers le bord de mer a conduit à plusieurs biologique de plusieurs rivages, mobilité du sol, dyna-
formes de dérèglement de la dynamique naturelle des mique sédimentaire au large, …).
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Mais aujourd’hui, la protection des plages reste sur- et approches de protection des plages et une place plus
tout du ressort des pouvoirs publics. C’est à ces derniers importante doit revenir à la recherche scientifique et aux
qu’incombe l’application des différentes lois et mesures approches prospectives.
déjà existants et qui constituent, si elles sont bien appli- Bien connaître les unités naturelles, dans leur fonction-
quées, un garant de protection au moins pour les rivages nement actuel et face aux aléas d’aujourd’hui et de demain,
qui échappent encore à l’urbanisation et dont on sait com- avant leur aménagement, aidera à mieux préparer et orien-
bien ils sont, ou ils peuvent être, convoités. Si ces lois et ter l’aménagement. Continuer à marginaliser l’apport de la
mesures avaient été appliquées depuis leur promulgation, recherche scientifique au nom de la rentabilité économique
plusieurs plages ne seraient pas dans l’état de dégradation immédiate, est contre tout développement durable. Il ne
que nous connaissons. Parallèlement, un grand effort est pourra que faire perdurer la boule de neige ; on continuera à
à faire au niveau de l’application des nouvelles techniques voir, comme par le passé, se reproduire les mêmes bavures.
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