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Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 67 (2019) 130–139


Article original

Mythes et réalités sur les enfants à haut potentiel intellectuel en difficulté :


les apports de la recherche夽
Myths and realities regarding children with high intellectual potential and difficulties: Contributions
of research
S. Tordjman a,∗,b , S. Kermarrec a,b
a Centre national d’aide aux enfants et adolescents à haut potentiel (CNAHP), pôle hospitalo-universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (PHUPEA),
centre hospitalier Guillaume-Régnier, université de Rennes 1, 154, rue de Châtillon, 35200 Rennes, France
b Laboratoire psychologie de la perception (LPP), université Paris Descartes, CNRS UMR 8158, 75270 Paris cedex 6, France

Résumé
Les enfants à haut potentiel intellectuel (EHP) peuvent être en difficulté scolaire et/ou psychologique. Des études épidémiologiques sont
nécessaires pour déterminer la réelle fréquence des EHP en difficulté. Les résultats du Centre national d’aide aux enfants et adolescents à haut
potentiel (CNAHP) montrent que les EHP peuvent présenter des problèmes scolaires avérés (dont l’échec scolaire : 7,5 % sur 611 EHP consultant)
et socio-émotionnels en lien avec leur haut potentiel intellectuel (notamment, des troubles anxieux associés au haut potentiel verbal). C’est dire
l’importance de proposer des prises en charge thérapeutiques et pédagogiques adaptées à ces enfants. C’est une question d’éthique et de société.
© 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Haut potentiel intellectuel ; Problèmes scolaires ; Échec scolaire ; Troubles anxieux ; Trouble déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH)

Abstract
Children with high intellectual potential (HP) can have scholastic and/or psychological difficulties. Epidemiological studies are needed to know
the real frequency of HP children with difficulties. The results from the National Center for Assistance to High Potential children and adolescents
(CNAHP) indicate that HP children can show notable scholastic problems (including school failure: 7.5% of 611 consulting HP children) and
socioemotional problems related to their high intellectual potential (notably anxiety-disorders associated with high verbal potential). This highlights
the importance of proposing adapted therapeutic and educational care to HP children in difficulty. This is a question of ethics and society.
© 2019 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: High intellectual potential; Scholastic problems; School failure; Anxiety disorders; Attention deficit/hyperactivity disorder (ADHD)

1. Introduction

夽 Nous avons été sensibilisés aux enfants à haut potentiel en


Cet article correspond à l’intégralité de la communication orale présentée au
Colloque de la Sorbonne le 10 avril 2018. Le texte a été complété et a donné lieu difficulté devant le nombre d’enfants consultant dans nos centres
à l’article dont la référence est la suivante : S. Tordjman, L. Vaivre-Douret, S. médico-psychologiques, adressés pour des problèmes scolaires
Chokron, S. Kermarrec. Les enfants à haut potentiel en difficulté : apports de la pouvant aller jusqu’à l’échec scolaire, des troubles du comporte-
recherche clinique [Children with high potential and difficulties: contributions ment notamment à type d’hyperactivité avec déficit attentionnel,
of clinical research]. L’Encéphale 2018;44(5):446–456.
∗ Auteur correspondant. ou encore des troubles anxieux, et chez lesquels nous avons
Adresses e-mail : s.tordjman@yahoo.fr, cnahp@ch-guillaumeregnier.fr découvert au décours du bilan réalisé un haut potentiel intellec-
(S. Tordjman). tuel. Et c’est le contraste et plus précisément le paradoxe entre

https://doi.org/10.1016/j.neurenf.2019.02.003
0222-9617/© 2019 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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le haut potentiel intellectuel de ces enfants et leurs difficultés de Terman a porté sur un suivi d’environ 1500 élèves califor-
scolaires (incluant l’échec scolaire), ainsi que la souffrance psy- niens (les « termites ») durant plus de 70 ans (de 1921 à 1994).
chique exprimée par certains d’entre eux, qui nous a questionnés, Ainsi, Terman [3] s’est aperçu qu’à partir d’un recrutement sys-
interpellés et mobilisés afin de proposer des prises en charge tématique basé sur le critère d’inclusion d’un QI atteignant les
thérapeutiques et pédagogiques adaptées à ces enfants. 140, il obtenait 25 % d’élèves en plus de ceux proposés par les
C’est dans ce contexte que nous avons créé en décembre enseignants initialement. Cet effectif supplémentaire correspon-
2005 le Centre national d’aide aux enfants et adolescents à dait aux enfants en difficulté scolaire, voire en échec scolaire.
haut potentiel (CNAHP) qui est un centre public intégré en Nous nous heurtons toujours actuellement au cliché associant
pôle hospitalo-universitaire de psychiatrie de l’enfant et de surdouance et réussite scolaire.
l’adolescent (PHUPEA) de Rennes. Nous recevons des familles Cela étant, il est nécessaire de ne pas minimiser le problème
venant de tout l’hexagone (avec une totale gratuité du bilan pour posé par les EHP en difficulté, ou le mettre à distance, en mécon-
les enfants d’Îlle-et-Vilaine), et réalisons un accueil d’environ naissant sa fréquence ou en considérant que ces enfants « trop
100 enfants par an, ce qui correspond à un total de près intelligents » n’ont pas besoin d’être aidés alors que certains
de 1200 enfants depuis l’ouverture du CNAHP. Ce centre d’entre eux peuvent être, comme nous le verrons plus loin, en
répond à trois missions : mission d’évaluation du haut poten- échec scolaire, voir même déscolarisés. En effet, si on reprend
tiel intellectuel et créatif ainsi que des difficultés émotionnelles, la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS)
comportementales et scolaires (Tableau 1), mission de prise en basée sur un score total de Quotient Intellectuel (QI) d’au moins
charge thérapeutique adaptée au profil de chaque enfant à partir 130 sur l’échelle de Wechsler, la fréquence des EHP correspond
du bilan réalisé, mission de recherche et de formation. à 2,3 % de la population des enfants scolarisés de 6 à 16 ans (ce
Il est nécessaire de préciser d’emblée que tous les enfants qui représente en France, plus de 200 000 enfants, soit 1 enfant
à haut potentiel intellectuel (EHP) ne sont pas en difficulté, et sur 40 ou encore un enfant par classe environ). À noter, le choix
que tous les enfants en échec scolaire ou avec des troubles du d’un QI au-dessus de 130 pour définir le haut potentiel intellec-
comportement ne sont pas à haut potentiel. Nous allons revenir tuel repose sur l’analyse de la distribution du QI de Wechsler
sur chacun de ces deux points. sur une courbe de Gauss avec la moyenne se situant à 100 et un
À l’ouverture du CNAHP en 2005, un enfant sur deux qui écart-type de 15. Mais certains professionnels tiennent compte
nous était adressé n’était pas à haut potentiel intellectuel lors du de l’intervalle de confiance (IC de 90 % : étendue de scores
bilan cognitif. Ceci est toujours d’actualité mais ne représente autour du score observé dans laquelle on a 90 % de probabi-
plus qu’un enfant sur quatre, suite à un travail en réseau avec lité d’avoir le vrai score) et parlent de haut potentiel intellectuel
nos partenaires de première ligne et à un entretien téléphonique quand le QI est supérieur à 125 comme c’est le cas en Slovénie,
approfondi et semi-structuré lors de la demande parentale de voire 120 pour Sisk (cité par Tordjman et al. [4]). D’autres consi-
rendez-vous. Comment expliquer cette observation qui paraît dèrent que le QI doit être au moins de 135 et même au-dessus
surprenante ? En fait, lorsque l’enfant est en difficulté, notam- de 140, comme c’est le cas en Chine où le nombre d’enfants
ment scolaire, alors qu’il paraît par ailleurs tout à fait bien ayant un QI de 130 à 140 est si élevé que le seuil retenu de
fonctionner intellectuellement dans son environnement familial QI a dû être monté au-dessus de 140 afin de garantir la faisa-
et/ou social, la médiatisation de la surdouance (terme utilisé bilité de la mise en place de programmes adaptés aux EHP. Au
au Québec) aboutit à ce que certains parents et professionnels CNAHP, nous avons fait le choix de présenter les résultats du
pensent que l’enfant est un « surdoué en difficulté ». Lorsque WISC-IV puis WISC-V sous forme d’intervalles de confiance
nous sommes confrontés à cette situation délicate, nous essayons de façon à éviter le plus possible, tant avec les familles qu’avec
au CNAHP de coconstruire avec la famille un projet centré les équipes, l’adhésion aux scores et à ouvrir une discussion sur
sur les difficultés scolaires, psychoaffectives et comportemen- le profil cognitif incluant les différentes dimensions évaluées par
tales de l’enfant, tout en leur renvoyant que ce dernier a tout le ces échelles. Nous avons pu observer lors du suivi des enfants
bagage cognitif nécessaire pour réussir à l’école. C’est parfois accueillis au CNAHP que, même si le sujet ne peut être réduit
un mode d’entrée dans le soin pour ces enfants qui n’aurait pu à son seul QI, la prise en considération de ce QI lorsqu’il est
être possible autrement. De plus, cette situation particulière pré- élevé et que l’enfant est en échec scolaire, peut jouer un rôle
sente l’avantage de nous avoir permis de constituer un groupe révélateur, contribuer à restaurer le narcissisme de l’enfant, per-
témoin d’enfants en difficulté non-HP précieux dans nos études mettre de porter sur lui un regard différent, et relancer toute
de comparaison au groupe des EHP en difficulté. une dynamique tant au niveau de l’enfant qu’au niveau de son
Inversement, comme nous l’avons mentionné précédemment, environnement parental et/ou scolaire.
les EHP ne sont pas tous en difficulté. Les données issues du Il semble important de rappeler ici que les échelles
CNAHP ne concernent que des enfants en difficulté et ne peuvent d’évaluation du fonctionnement cognitif, quelles qu’elles soient,
donc être généralisées à tous les EHP. Il est estimé en France, ne mesurent pas directement le potentiel réel de l’enfant, mais
selon le rapport Delaubier [2] qu’un tiers des EHP présente des seulement son expression, à savoir les compétences observées
difficultés psychologiques et/ou scolaires. Cependant aucune qui dépendent aussi des facteurs d’environnement et de la moti-
étude rigoureuse épidémiologique n’a été réalisée sur la popu- vation de l’enfant. Ces échelles, qui incluent la mesure du QI,
lation Française permettant d’étayer cette fréquence qui semble sont et doivent rester des outils, outils certes précieux, mais dont
provenir de la recherche de Terman (Professeur en Psycholo- les scores sont à replacer, à partir d’un travail de clinicien, dans
gie, l’université de Stanford, États-Unis). L’étude longitudinale le contexte environnemental du sujet (environnement familial,
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Tableau 1
Bilan d’évaluation réalisé au Centre national d’aide aux enfants et adolescents à haut potentiel (CNAHP) [1].

Évaluations Outil d’évaluation

Fonctionnement Potentiel Intellectuel : Echelles d’intelligence de Wechsler mesurant le QI (WPPSI-IV, WISC-V ou WAIS-IV en
cognitif fonction de l’âge)
Potentiel Créatif : EPoC (Évaluation du Potentiel Créatif, Todd Lubart, Maud Besançon et Baptiste Barbot)
Programme Discover (Théorie des intelligences multiples de Gardner)
Évaluation cognitive des capacités attentionnelles (TEA-Ch)
Psychoaffectives Échelles d’anxiété et de dépression
et comporte- Échelle Toulousaine d’estime de soi
mentales Tests de personnalité (Tests projectifs, Questionnaires adaptés du Big-Five)
Évaluation de l’hyperactivité (critères du DSM-5 et échelles de Conners validées pour diverses sources
d’observation permettant de comparer différentes évaluations : père, mère, enseignant et enfant)
Évaluation comportementale des capacités attentionnelles (critères du DSM-5)
Investissement Entretien sur la scolarité avec un professeur des écoles en binôme avec une psychologue
scolaire
Auto-questionnaires : Plaisir d’aller à l’école, Théorie implicite de l’intelligence, Attitude scolaire (Questionnaire de
Betsy Mc Coach, traduit par Sylvie Tordjman, Kevin Charras et Asta Georgsdottir)
Autres évaluations Évaluation systématique de l’image du corps (Dessin du bonhomme et Figure de Rey) complétée par un bilan de
Psychomotricité (si nécessaire)
Bilan d’orthophonie (si nécessaire)

social et scolaire) et de son histoire singulière. Il est ici essen- chez des jeunes pourtant identifiés comme étant à haut potentiel
tiel de souligner l’importance des différences interindividuelles intellectuel.
au sein même de ces populations, alors même que la littéra- Comment expliquer ce paradoxe des difficultés scolaires, et
ture grand public sur le thème tend à réduire les EHP à une notamment de l’échec scolaire, chez des enfants et adolescents
liste de spécificités plaquées, au risque de les enfermer dans à haut potentiel intellectuel ?
une représentation et typologie standardisées dangereuses pour La réussite scolaire des EHP paraît évidente. Cependant cette
la construction de leur identité et non représentatives de leur réussite scolaire implique non seulement des compétences intel-
diversité et singularité. lectuelles mais aussi une motivation, la capacité à déployer
La suite de cet article est centrée sur les difficultés observées et maintenir un effort, et une intégration en milieu scolaire.
chez les EHP accueillis au CNAHP, difficultés scolaires (avec le Différents mécanismes peuvent être incriminés. L’absence de
paradoxe de l’échec scolaire), socio-émotionnelles (notamment, méthodes de travail et/ou d’apprentissage de l’effort intellectuel
les troubles anxieux), et/ou comportementales (avec en particu- chez beaucoup d’EHP, peut être la source d’un fléchissement
lier le trouble déficit de l’attention/hyperactivité : TDAH). à certains moments de la scolarité par absence de méthodo-
logie et de persévérance chez ces enfants habitués à réussir
2. Les difficultés scolaires : le paradoxe de l’échec sans effort. Ceci est en particulier observé dans les périodes
scolaire chez les enfants à haut potentiel intellectuel de changement d’environnement scolaire, comme l’entrée en 6e
ou en 2e , qui peuvent constituer des facteurs de stress et désta-
Lorsque les EHP sont en difficulté, les problèmes scolaires biliser certains EHP. Dans d’autres situations, l’ennui amène
sont loin d’être rares. Ainsi, ces problèmes scolaires sont retrou- l’EHP à basculer dans son imaginaire, bien plus stimulant que
vés avec une fréquence de 76,6 % dans une population de certaines activités scolaires. Les résultats scolaires sont alors
611 EHP en difficulté accueillis au CNAHP, et constituent le pre- hétérogènes et parfois faibles dans les tâches les plus simples
mier motif de consultation et de demande de rendez-vous par les car les plus ennuyeuses. Par ailleurs, certains EHP vont mas-
parents. Parmi ces difficultés scolaires, on observe des troubles quer voire inhiber leur potentiel intellectuel afin de correspondre
du comportement en milieu scolaire (67,8 %), des troubles des aux représentations et attentes de l’enseignant et des élèves de
apprentissages (28,8 %), un redoublement effectif durant la la classe, et ce pour ne pas se marginaliser. Ce comportement
scolarité (4,4 %), et un échec scolaire défini ici en termes de risque d’entraîner un désinvestissement scolaire, et être même
redoublement avéré ou envisagé (7,5 %). responsable sur du plus long terme d’échec scolaire. Le désinves-
À noter, nous avons arrêté notre analyse descriptive à la tissement scolaire fait souvent partie des premiers symptômes
fin de l’année scolaire 2013, compte tenu d’un possible biais relevés dans l’anamnèse des EHP accueillis au CNAHP, avant
de résultats introduit par la loi du 08 juillet 2013 (article 37) même l’apparition d’une altération de l’estime de soi et d’affects
qui fait du redoublement une procédure exceptionnelle. Rap- dépressifs [5]. Des troubles des apprentissages sont également
pelons que l’échec scolaire représente ici 7,5 % des 611 EHP susceptibles de provoquer des difficultés scolaires chez les EHP
accueillis au CNAHP jusqu’en 2013, et même si nous sommes (ils sont habituellement regroupés sous le terme des « DYS » qui
loin des 70 % d’échec scolaire annoncés par certains articles de incluent la dysgraphie, dyspraxie, dysorthographie, dysphasie,
presse à sensation, nous ne pouvons pas ne pas être interpellés dyslexie, dyscalculie, l’autisme, l’hyperactivité et les troubles
par cette fréquence élevée de redoublement avéré ou envisagé de l’attention, mais aussi la précocité [6]), mais ne seront pas
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ici développés car ils font l’objet d’une recherche actuellement scolaires, autres participants institutionnels (IEN, CPE, etc.),
en cours au CNAHP. Cependant, nous souhaiterions mentionner professionnel du soin (s’il y a lieu) ;
l’exemple de la dysorthographie présentée par certains enfants • les échanges sur toutes les mesures possibles pour ajuster le
suivis au CNAHP, dont les causes sont extrêmement diverses et parcours scolaire en fonction des besoins de l’élève/enfant et
ne relèvent donc pas d’une typologie de l’EHP. . .En effet, cette des ressources de l’établissement (saut de classe, décloison-
dysorthographie, lorsque nous l’observons chez les EHP, peut nement, programmes d’enrichissement, etc.) ;
s’expliquer dans certains cas par des problèmes de coordination • l’organisation d’un suivi permettant d’accompagner la mesure
motrice, mais dans d’autres cas, par des problèmes de stress asso- d’ajustement.
ciant l’écriture aux évaluations d’une performance scolaire, ou
par un perfectionnisme dans la production des lettres, ou encore Nous avons également l’expérience à Rennes du partenariat
par des difficultés à utiliser le langage écrit perçu par l’enfant du CNAHP avec les dispositifs innovants du Collège Echange
comme trop lent ou figeant les mots, comparé au langage ver- et du Lycée Jean Macé qui permettent à des enfants et ado-
bal oral. C’est dire l’importance de ne pas dresser un tableau lescents à haut potentiel en difficulté d’accéder à un espace
stéréotypé de l’EHP avec des relations de causalité linéaire qui transitionnel tout en restant dans leur classe. Il y a aussi les
ne tiendraient pas compte des différences interindividuelles tant regroupements par niveau dans lesquels nous retrouvons les
de ces enfants, que de leurs possibles difficultés. Enfin, l’échec regroupements interclasses avec des temps de décloisonnement
scolaire peut également être en lien avec des difficultés psycho- pour l’enseignement d’une discipline (comme cela est prati-
logiques que rencontrent certains EHP, notamment des troubles qué au Pays-Bas et qui donne des résultats intéressants pour les
anxieux majeurs pouvant entraîner un refus scolaire anxieux EHP), mais aussi le système de la classe à plusieurs niveaux avec
incluant la phobie scolaire. parfois un tutorat qui se révèle souvent stimulant pour les EHP
Il existe plusieurs mesures d’ajustement du parcours scolaire (et tout aussi intéressant pour les autres enfants confrontés alors
qui peuvent être proposées aux EHP, en fonction des besoins de à la différence), et enfin les classes spéciales pour EHP. Notre
l’enfant et des ressources disponibles de l’école ou établissement expérience au CNAHP est que ces classes ou établissements
scolaire. Ces mesures ont pour objectif d’éviter le désinvestis- spéciaux, s’ils peuvent être adaptés quand le développement de
sement scolaire de l’enfant en maintenant sa motivation par la l’enfant se déroule bien, ne constituent pas le meilleur mode de
création d’une situation de challenge sollicitant la production scolarisation pour les EHP lorsqu’ils sont en difficulté. L’étude
d’un effort mais aussi en rapport avec les centres d’intérêt de de Hertzog [8] qui a porté sur 50 jeunes regroupés dans des
l’enfant, et donc avec son plaisir. Une revue de la littérature de classes ou établissements pour élèves précoces, apporte ici un
ces diverses mesures est présentée dans le Tableau 2 à partir de éclairage intéressant : ces jeunes, pour la plupart, disent avoir
méta-analyses. Le saut de classe, souvent critiqué et en forte mal vécu d’être séparés des autres élèves et s’être sentis stig-
diminution depuis plusieurs décennies, peut cependant soulager matisés, mêmes s’ils reconnaissent, par ailleurs, des bénéfices
les difficultés des EHP. Jacques Lautrey [7] écrit que « les réti- pédagogiques à ces programmes spéciaux de scolarisation. On
cences du corps éducatif à l’encontre du saut de classe se réfèrent peut également citer les programmes d’enrichissement propo-
plus à des cas rencontrés au cours de leur carrière d’enseignants sant aux EHP des activités qui leur permettraient de développer
qu’à des documents scientifiques ou à des statistiques ». Ceci leur potentiel, et dont le plus répandu et connu aux Etats-Unis
semble d’autant plus regrettable que les statistiques publiées est le Schoolwide Enrichment Model (SEM) de Renzulli [9].
(voir Tableau 2) montrent un effet plutôt positif de l’accélération Les programmes d’enrichissement présentent l’avantage de per-
(saut de classe et compactage). Quoi qu’il soit, il apparaît impor- mettre aux EHP de rester dans leur classe, mais de mettre à
tant de discuter l’indication de l’accélération au cas par cas, et de profit le temps gagné par leur avance dans le cursus scolaire
la travailler avec l’enfant, sa famille et l’équipe pédagogique et pour bénéficier d’activités d’enrichissement qui vont être éta-
l’équipe thérapeutique s’il y a lieu. C’est dans cette perspective blies à partir des centres d’intérêts de l’enfant, et ce non de façon
qu’a été élaboré au CNAHP le QADAPS (Questionnaire d’Aide ponctuelle mais tout au long de l’année scolaire. On distingue
à la Décision d’Ajustement du Parcours Scolaire) en collabora- l’enrichissement de type I (activités d’éveil et d’exploration
tion avec les Académies de Nantes et de Rennes. Le QADAPS visant à élargir les intérêts de l’enfant ; par exemple, rencon-
est un outil de médiation et de dialogue dont l’objectif principal trer des marins), de type II (activités en groupe, accompagnées
est de favoriser : par l’enseignant, d’entraînement à la créativité, méthodologie et
esprit critique ; par exemple, faire un exposé sur la mer et les
marins), et de type III (projet individuel ou en petits groupes sur
• le croisement t la pluralité des regards portés sur des problèmes concrets mettant l’enfant à une place de chercheur
l’élève/enfant ; et le confrontant à une pratique avec un travail sur l’autonomie ;
• l’analyse objective des facteurs à considérer (compétences par exemple, construire un aquarium avec un budget donné).
scolaires, mais aussi taille de l’enfant, ses amis dans la Enfin, plus qu’une approche pédagogique spécifique, il faut
classe, etc.) dans l’aide à la décision d’ajustement du parcours souligner le rôle essentiel de l’enseignant qui, dans le cadre
scolaire réalisée en concertation avec toutes les personnes d’une rencontre humaine avec l’enfant, peut l’aider à expri-
concernées : Chef d’établissement/Directeur d’école, ensei- mer son potentiel et développer son estime de soi, lui permettre
gnant(s), parents, personne de confiance recueillant la parole d’investir la scolarisation et d’accéder à la socialisation. L’étude
de l’enfant, psychologue scolaire, médecin et/ou infirmière de Hertzog [8] apporte à nouveau ici un argument intéressant,
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Tableau 2
Résultats des méta-analyses d’études portant sur les effets des modes d’ajustement du parcours scolaire des enfants à haut potentiel [1].
Mode d’ajustement Nombre d’études Type d’évaluation Résultats
scolaire dans l’analyse

Classes de niveaux 51 Test de connaissances en début et en fin d’année Effet faible à nul sur les performances
scolaire scolaires
Regroupements 11 Réussite scolaire 9 études concluent à de meilleurs résultats
intraclasse avec le regroupement intraclasse, 2 études ne
font pas ressortir de différences. L’effet
moyen est faible
Regroupements 14 Connaissances acquises dans la matière concernée 11 études : meilleures performances
interclasses 2 études : moins bonnes performances
1 étude : pas de différences
Enrichissement 25 Performances scolaires L’effet moyen sur les performances scolaires
Estime de soi est positif et de taille modérée. Pas d’effet
sur l’estime de soi
Compactage (âge 11 Test de connaissances. Comparaison EHP accélérés Les EHP qui ont bénéficié d’une accélération
égal) vs. EHP pas accélérés ont davantage de connaissances scolaires que
les EHP de même âge qui n’en ont pas eu
Compactage (cursus 12 Test de connaissances. Comparaison EHP accélérés Les EHP qui ont bénéficié d’une accélération
égal) vs. EHP pas accélérés ont le même niveau de connaissances
scolaires que les EHP de même niveau
scolaire (même classe) qui n’en ont pas eu
Accélération : saut de 38 Tests de connaissance Effet positif de l’accélération sur les
classe Développement socio-émotionnel (concept de soi, performances académiques et léger effet
principalement et estime de soi, confiance en soi, relations sociales, positif sur le développement
2 études sur le participation aux activités périscolaires, et socio-émotionnel
compactage satisfaction de vie)

puisque les étudiants recrutés rapportaient que le point positif Comment expliquer de tels résultats contradictoires ? Selon la
des programmes spéciaux de scolarisation pour les élèves pré- revue de la littérature que nous avons réalisée [11], ces résultats
coces comparés aux « classes normales » était, selon eux, que contradictoires relèveraient de biais méthodologiques portant
les enseignants se montraient plus enthousiastes et meilleurs. sur des cohortes de faible taille, des critères de définition du haut
potentiel intellectuel différents d’une étude à l’autre, et des éva-
3. Les problèmes de régulation des émotions : les luations de l’anxiété basées sur une seule source d’observation
troubles anxieux (principalement des auto-questionnaires remplis par l’enfant et
parfois non validés).
Des troubles anxieux incluant les troubles phobiques,
l’anxiété généralisée et les troubles anxieux non spécifiés ont Face à ce constat, nous avons mené une recherche au
été diagnostiqués par la pédopsychiatre selon les critères de la CNAHP donc l’objectif était d’étudier les relations entre le
fonctionnement intellectuel et les troubles anxieux dans une
CIM-10 pour une proportion importante (40,5 %) des enfants et
adolescents accueillis au CNAHP [10]. population de grande taille (n = 608) d’enfants en difficulté HP
et non-HP à partir des critères de définition précis et vali-
Les études portant sur les troubles émotionnels chez les EHP,
et plus particulièrement les troubles anxieux, présentent des dés du haut potentiel intellectuel (selon le WISC-IV) et de
résultats contradictoires résumés dans le Tableau 3 (Tableau différentes sources d’observation de l’anxiété (évaluation par
le pédopsychiatre, évaluation parentale, auto-questionnaire de
réalisé d’après Kermarrec et Tordjman [11]). Ainsi, certains
l’enfant validé : le R-CMAS). Les résultats de cette étude
auteurs rapportent des troubles anxieux significativement plus
fréquents ou sévères chez les enfants HP comparés aux enfants mettent en évidence qu’il y a significativement plus d’enfants
non-HP, suggérant que le haut potentiel intellectuel pourrait être HP (QI Total ≥ 130) présentant des troubles anxieux que
un facteur de vulnérabilité aux troubles anxieux. Inversement, d’enfants non-HP (QI Total < 130) selon le diagnostic posé
par le/la pédopsychiatre sur les critères diagnostiques de la
d’autres auteurs observent des troubles anxieux significative-
CMI-10 et des DSM [12]. Si l’on s’intéresse maintenant à
ment moins fréquents ou sévères chez les enfants HP comparés
l’auto-évaluation de l’enfant, on observe des scores significa-
aux enfants non-HP, suggérant que le haut potentiel intellectuel
tivement plus élevés d’anxiété au R-CAMS chez les enfants
pourrait être un facteur de protection contre les troubles anxieux.
à haut potentiel verbal (Indice de Compréhension Verbale :
Enfin, plusieurs recherches ne mettent pas en évidence de diffé-
ICV ≥ 130) comparés aux enfants non à haut potentiel verbal
rence significative entres les enfants HP et les enfants non-HP
concernant les troubles anxieux. (ICV < 130).
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Tableau 3
Études de l’anxiété chez les enfants et adolescents à haut potentiel intellectuel (HPI) [1].

Études Population Évaluation de l’anxiété Évaluation cognitive Principaux résultats

Milgram (1976) 2 groupes (âgés de 9 à Wallach et Kogan WISC (Wechsler Les enfants HPI ont des scores
12 ans) : enfants HPI (QI versions de l’échelle Intelligence Scale for significativement plus bas d’anxiété
Total ≥ 140) (n = 182) ; Sarason Scale of anxiety Enfants) comparés aux scores des enfants non-HPI
enfants non-HPI (QI
Total < 140) (n = 310)
Reynolds et 2 groupes : enfants HPI (QI R-CMAS (Revised Binet ou WISC Les enfants HPI ont des scores d’anxiété
Bradley (1983) Total ≥ 130) (n = 465) ; Children’s Manifest significativement plus bas comparés aux
enfants non-HPI (QI Anxiety Scale) scores des enfants non-HPI
Total < 130) (n = 329) STAIC (State Trait
Anxiety Inventory for
Enfants)
Roome et Romney 2 groupes (âgés de 11 à STAIC Non spécifié Pas de différence significative de
(1985) 14 ans) : enfants suivant un l’anxiété-état et de l’anxiété-trait entre
programme spécial pour les les deux groupes
élèves HPI (n = 30) ; enfants
de la population générale
(n = 602)
Scholwinski et 2 groupes (âgés de 7 à R-CMAS WISC Les enfants HPI ont des scores d’anxiété
Reynolds (1985) 18 ans) : enfants HPI significativement plus bas comparés aux
(n = 584) ; enfants de la scores des enfants non-HPI
population générale
(n = 4000)
Forsyth (1987) 2 groupes (âges non STAIC Non spécifié Pas de différence significative de
spécifiés) : enfants-HPI (QI l’anxiété-état et de l’anxiété-trait entre
Total ≥ 130) (n = 41) ; enfants les deux groupes
non-HPI (QI Total < 130)
(n = 41)
Rost et Czeschlik 2 groupes (âgés de 10 ans) : AFS (Anxiety WISC Pas de différence significative entre les
(1994) enfants HPI (QI Total ≥ 120) questionnaire for deux groupes
(n = 50) ; enfants non-HPI (QI Children)
Total < 120) (n = 50)
Robert et Lovett 3 groupes (âgés de 12 à School Failure Tolerance Pas d’évaluation Les élèves HPI présentent une
(1994) 14 ans) : élèves HPI (n = 20) ; (SFT) incluant des cognitive augmentation significativement plus
élèves à hautes performances sous-scores d’affects Standford importante des affects négatifs et des
académiques (n = 20) ; élèves négatifs ; évaluation de la Achievement Test réponses au stress physiologique que les
non-HPI (n = 20) réponse au stress Series élèves à hautes performances
physiologique par un académiques et les élèves non-HPI
capteur digital mesurant
le changement de
température de la peau
Tong et Yewchuk 2 groupes (élèves grade 10 à Echelle Piers-Harris Test de QI pendant Les enfants HPI ont des scores plus
(1996) 12) : élèves HPI (n = 39) ; Children’s Self-Concept l’école élémentaire élevés d’anxiété comparés aux scores des
élèves non-HPI (n = 39) Scale (Sous-échelle et/ou l’école primaire enfants non-HPI
d’anxiété)
Martin et al. Méta-analyses Les enfants HPI ont des scores plus bas
(2010) d’anxiété comparés aux scores des
enfants non à HPI
Fouldachang et al. 2 groupes : élèves HPI DASS (Depression Classes spéciales pour Les enfants HPI ont des scores plus bas
(2010) (n = 284) ; élèves non-HPI Anxiety Scale) élèves HPI d’anxiété comparés aux scores des
(n = 386) enfants non-HPI
Simoes Loureiro 2 groupes (âgés de 7 à Test Diag-80 (évaluation WISC- IV Les enfants HPI ont des scores plus
et al. (2010) 11 ans) : enfants HPI (QI parentale) élevés d’anxiété comparés aux scores des
Total ≥ 125) (n = 45) ; enfants enfants non-HPI
non-HPI (QI Total < 125)
(n = 30)
Zeidner and 2 groupes : élèves HPI EMAS (Endler IQ test and academic Les enfants HPI ont des scores plus bas
Shani-Zinovich (n = 374) ; élèves non-HPI Multidimensional achievement d’anxiété comparés aux scores des
(2011) (n = 428) Anxiety Scale) enfants non-HPI
Guénolé et al. Enfants HPI (âgés de 8 à R-CMAS WISC-III Les enfants HPI ont des scores et
(2013a) 12 ans) (n = 111) sous-scores d’anxiété qui ne diffèrent pas
significativement des normes.
136 S. Tordjman, S. Kermarrec / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 67 (2019) 130–139

Tableau 3 (Continued)

Études Population Évaluation de l’anxiété Évaluation cognitive Principaux résultats

Guénolé et al. 2 groupes (âgés de 8 à CBCL (Child Behavior WISC-III Les enfants HPI ont des scores plus
(2013b) 11 ans) : enfants HPI (QI Checklist) élevés d’anxiété/dépression comparés
Total ≥ 130) (n = 144) ; aux scores des enfants non-HPI
enfants de la population
générale (n = 144)
Peyre et al. (2016) 2 groupes (âgés de 5-6 ans) : SDQ (Strengths and WPPSI-III (Wechsler Les enfants HPI ont significativement
enfants HPI (QI Total > 130) Difficulties Preschool and plus de problèmes émotionnels
(n = 23) ; enfants non-HPI Questionnaire) Primary Scale of (p = 0,045), en particulier plus de peurs
(70≤QITotal≤130) Intelligence) (p = 0,009) que les enfants non-HPI
(n = 1058)
Kermarrec et al. 2 groupes (âgés de 8 à Trois sources WISC-IV Les enfants HPI ont significativement
(2019) 16 ans) : enfants HPI (QI d’observation : plus de troubles anxieux que les enfants
Total ≥ 130) (n = 211) ; psychiatre : critères non-HPI selon l’évaluation
enfants non-HPI (QI DSM-5 et CIM-10 ; psychiatrique.
Total < 130) (n = 397) enfant : R-CMAS ; Les enfants avec ICV ≥ 130 se
parents : entretien perçoivent plus anxieux que les enfants
semi-structuré avec ICV < 130 ; Les enfants avec
IRP ≥ 130 se perçoivent moins anxieux
que les enfants avec IRP < 130. Pas de
différence significative entre les deux
groupes selon l’observation parentale

Comment comprendre cette association significative entre À noter, il n’y a pas de relation significative entre l’anxiété
des scores élevés d’ICV et d’anxiété ? On peut faire ici plusieurs rapportée par les parents et le niveau de fonctionnement intel-
hypothèses : lectuel évalué selon le QI Total ou les indices du WISC-IV.
Cette étude souligne l’importance de ne pas utiliser uni-
• les enfants anxieux investiraient le langage verbal de façon quement le score composite du QI Total, mais d’analyser
défensive avec un perfectionnisme au niveau du choix des aussi les différentes dimensions du fonctionnement intellec-
mots qui les aiderait à mettre à distance leurs émotions et tuel (avec les 4 indices du WISC-IV et actuellement les
anxiété ; 5 indices du WISC-V). Enfin, il apparaît indispensable de croiser
• inversement, un ICV élevé permettrait à l’enfant d’accéder diverses sources d’observation afin d’appréhender de façon plus
à des représentations verbales de concepts abstraits, comme complète l’évaluation de l’anxiété, sous des angles différents et
le concept de mort ou des questions existentielles poten- avec des perspectives variées complémentaires.
tiellement anxiogènes, ce d’autant que lorsque ces concepts
deviennent dicibles et que l’enfant peut les nommer, cela vient
renforcer leur réalité et les cristalliser ;
4. Le TDAH : trouble déficit de l’attention/hyperactivité
• enfin, les enfants avec ICV élevé pourraient avoir une
meilleure capacité d’expression verbale de leurs émotions,
Plusieurs auteurs ont rapporté des problèmes de TDAH chez
et donc seraient plus à même d’exprimer leur anxiété dans un
les EHP [14–17]. Le TDAH est défini comme un regroupe-
auto-questionnaire utilisant le langage verbal.
ment de comportements qui se répartissent selon deux axes
principaux, à savoir le déficit de l’attention et l’hyperactivité-
De plus, on observe des scores significativement plus bas impulsivité. Pour que le diagnostic du TDAH puisse être posé
d’anxiété au R-CMAS chez les enfants à haut potentiel pour selon la classification américaine du DSM-5, un certain nombre
le raisonnement perceptif (Indice de Raisonnement Perceptif : de critères (au moins 6 symptômes) doivent être présents sur
IRP ≥ 130) comparés aux enfants non à haut potentiel dans ce l’une ou l’autre de ces deux dimensions, pendant une durée de
domaine (IRP < 130). Concernant cette association significative plus de 6 mois et provoquer une gêne fonctionnelle dans au
entre des scores élevés d’IRP et bas d’anxiété, on peut faire moins deux types d’environnement différents (par exemple à
l’hypothèse qu’un niveau élevé de raisonnement perceptif per- l’école et à la maison).
mettrait de mettre à distance l’anxiété. Ceci est à rapprocher de Or le TDAH retrouvé chez les EHP serait contextualisé car
la théorie de la sémantique générale développée en 1933 par spécifique au milieu scolaire. Ainsi, selon Lind et Silverman
Alfred Korzybski [13] qui reposait justement sur l’idée que la [18], il ne serait pas rare d’observer chez les EHP des troubles
pensée rationnelle et le raisonnement permettraient de mettre de l’attention ou une hyperactivité à l’école mais pas à la mai-
à distance les émotions avec une application thérapeutique de son. Ceci n’est pas sans poser problème [19] : rappelons ici
cette théorie. Inversement des niveaux d’anxiété élevés pour- que le DSM-5 requiert que les symptômes soient présents dans
raient entraver le processus de raisonnement et expliquer aussi au moins deux types d’environnement différents pour qu’un
l’association observée. diagnostic de TDAH soit posé.
S. Tordjman, S. Kermarrec / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 67 (2019) 130–139 137

Fig. 1. Les capacités attentionnelles (TEA-Ch) chez les enfants à haut potentiel intellectuel (HPI) et non HPI [1].

À noter, il était précisé par le DSM-IV, dans la rubrique lui-même. Les résultats de cette étude sont plus amplement
du diagnostic différentiel du TDAH qu’« on peut observer discutés dans l’article de Tordjman et al. [20].
de l’inattention en classe chez des sujets d’intelligence éle- Enfin, il est important de différentier l’évaluation des troubles
vée placés dans des environnements scolaires insuffisamment attentionnels sur un plan comportemental (comportements
stimulants ». d’inattention répondant aux critères DSM), de celle réalisée
Afin de clarifier cette question du TDAH chez les EHP, sur un plan cognitif. Ainsi, le Test Everyday Attention-Children
nous avons mené une étude au CNAHP [20] comparant les (TEA-Ch) met en évidence chez les EHP en difficulté accueillis
fréquences des comportements d’inattention et d’hyperactivité- au CNAHP des capacités attentionnelles non seulement pré-
impulsivité selon les critères DSM dans un groupe d’enfants servées mais de surcroît bien supérieures à celles des enfants
HP (n = 105) et un groupe d’enfants non-HP (n = 260). Les non-HP en difficulté accueillis également au CNAHP, et ce
évaluations ont été réalisées à partir des observations paren- pour toutes les dimensions attentionnelles étudiées. On observe
tales en différenciant l’observation du père de celle de la notamment chez les EHP comparés aux enfants non-HP des
mère. De plus, les questionnaires de Conners permettant scores significativement plus élevés de flexibilité attentionnelle
d’obtenir un Index d’Hyperactivité ont été rempli par le père, (capacité à alterner de manière souple entre deux modes de
la mère, l’enseignant et l’enfant. L’ensemble de ces évalua- fonctionnement correspondant dans le test à deux tâches dif-
tions ne met en évidence aucune différence significative entre férentes de comptage, l’une croissante automatique et l’autre
le groupe HP et le groupe non-HP pour les comportements de plus complexe décroissante), d’attention divisée (capacité à faire
TDAH. Contrairement aux résultats attendus, nous observons deux choses en même temps), et d’attention soutenue (capacité
même que, chez les EHP, l’Index d’Hyperactivité du question- à maintenir sa vigilance dans une tâche monotone de comptage
naire de Conners des enseignants est significativement plus de sons). Les résultats sont présentés sur la Fig. 1. Ils rendent
bas que celui des parents (p < 0,01). Sur les quatre sources compte de l’existence d’excellentes capacités attentionnelles
d’observation utilisées pour le questionnaire du Conners (père, chez les EHP même lorsqu’ils sont en difficulté scolaire et/ou
mère, enseignant, enfant), l’Index d’Hyperactivité le plus élevé psychologique et renforcent l’hypothèse développée par cer-
pour les EHP est celui obtenu à partir de l’évaluation pater- tains auteurs [21] de liens étroits entre intelligence et attention.
nelle. Cependant, il est important de mentionner que le test cognitif du
Ces résultats suggèrent qu’il est important de replacer TEA-Ch représente une situation de challenge, avec une passa-
l’hyperactivité dans un contexte relationnel entre un enfant qui tion individuelle, particulièrement stimulante pour beaucoup de
s’exprime au travers d’un comportement et une personne qui ces enfants, qui ne correspond pas à la situation groupale vécue
y réagit avec son propre seuil de tolérance. On peut faire ici à l’école. Les résultats ainsi obtenus au moyen de tests attention-
l’hypothèse que l’enfant HP n’aurait pas le même comportement nels chez les EHP dans les évaluations du CNAHP ne peuvent
vis-à-vis de son père qui représente une figure d’autorité, et ce donc pas être généralisés et ne sont pas forcément représentatifs
dernier n’aurait pas non plus la même perception de l’agitation des capacités attentionnelles de ces enfants dans leur environne-
motrice de son enfant que la mère, l’enseignant ou l’enfant ment scolaire. Ils témoignent néanmoins d’importantes aptitudes
138 S. Tordjman, S. Kermarrec / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 67 (2019) 130–139

et compétences (même pour des tâches monotones, comme


l’illustrent les résultats d’attention soutenue), qui peuvent Encadré 1
s’exprimer ou être inhibées en fonction de l’environnement Modes d’ajustement scolaire
dans lequel évolue l’enfant. C’est dire l’importance de mieux
connaître les facteurs facilitateurs et inhibiteurs de ces com- • Regroupements par classes de niveaux.
pétences de façon à permettre à l’enfant de développer son L’objectif est de constituer différentes classes
potentiel et faire de sa différence une source d’épanouissement de niveaux homogènes (fort, faible et moyen).
et d’enrichissement, et ce tant pour les autres que pour l’enfant. Le programme enseigné dans ces différentes
classes reste cependant le même. Le niveau
5. Conclusions des élèves est évalué en début d’année, le plus
souvent avec des épreuves standardisées de
Nous venons de voir dans cet article que même lorsque des connaissances.
EHP sont en difficulté scolaire et/ou psychologique, certaines de • Regroupements intra-classe. L’enseignant fait
leurs compétences cognitives peuvent être préservées contraire- au sein de sa classe des sous-groupes de
ment aux apparences, avec par exemple d’excellentes capacités niveaux différents pour l’enseignement de cer-
attentionnelles objectivées par des tests cognitifs. Ces compé- taines matières, et enseigne de façon différen-
tences sont importantes à connaître car elles constituent des ciée à ces différents sous-groupes. Néanmoins,
ressources sur lesquelles étayer le projet thérapeutique et péda- le programme de la classe reste le même.
gogique. Mais nous avons également vu que les EHP peuvent • Regroupements interclasses. Mise en place
présenter de réels problèmes scolaires (allant jusqu’à l’échec de temps de décloisonnement interclasses
scolaire) et psychoaffectifs (notamment, des troubles de la régu- permettant le regroupement d’élèves de diffé-
lation des émotions incluant les troubles anxieux) en rapport rentes classes mais de niveau homogène dans
avec leur haut potentiel intellectuel, et plus précisément leur une certaine discipline, par exemple la lecture.
haut potentiel verbal. Cette association significative entre haut • Enrichissement. Le principe des programmes
potentiel verbal et troubles anxieux nécessite des études ulté- d’enrichissement est de tirer profit de la pro-
rieures de façon à ne pas établir des relations de causalité gression plus rapide des EHP pour leur proposer
linéaire unidirectionnelle et réductrice, un haut potentiel verbal des activités qui ne figurent pas dans les pro-
pouvant susciter des représentations anxiogènes, tout comme grammes scolaires, mais dont on pense qu’elles
des troubles anxieux pouvant entraîner un hyper-investissement leur seront utiles pour exprimer leur potentiel.
défensif du langage verbal. Elles peuvent avoir pour objectif le développe-
C’est dire l’importance de ne pas minimiser les possibles ment de la créativité, socialisation, sensibilité
difficultés scolaires et/ou psychologiques rencontrées par cer- artistique, ainsi que la réalisation d’un projet
tains EHP, comme nous l’avions d’ores et déjà souligné dans personnel.
l’introduction, mais aussi de ne pas considérer que ces diffi- • Accélération. Elle repose sur le rythme
cultés n’ont aucun lien avec le haut potentiel intellectuel. Il est d’apprentissage plus rapide des EHP pour
nécessaire de mettre en place des prises en charge thérapeu- leur faire parcourir plus vite le cursus scolaire.
tiques et pédagogiques adaptées au EHP en difficulté avec une La pratique la plus courante est celle du saut
articulation entre les partenaires. De la même façon qu’on s’est de classe. Il existe aussi le compactage des
intéressé aux enfants présentant une déficience intellectuelle, programmes afin que le cursus habituellement
il est important de se préoccuper des EHP en difficulté qui se parcouru, par exemple, en trois ans, le soit en
situent à l’autre extrémité du continuum. C’est une question deux ans, ou bien en étendant l’année scolaire
d’éthique. Cela concerne tant les professionnels du soin, que pour qu’une année soit gagnée, par exemple
ceux de l’Education nationale. Cela nous concerne tous au regard en participant à des écoles d’été pendant les
de l’enjeu sociétal que constitue aussi les EHP, l’expression vacances scolaires.
de leur haut potentiel intellectuel et créatif (et donc la levée
d’inhibition de ce potentiel si nécessaire) pouvant être essen-
tielle au développement sociétal de stratégies innovantes et à
l’avenir d’un pays. Déclaration de liens d’intérêts
Enfin, notre propos peut être élargi à tous les enfants, quel que
soit leur potentiel. Ce que nous apprennent les EHP en difficulté Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
peut être appliqué à chaque enfant : il est fondamental, à un
niveau familial, scolaire et sociétal, de faciliter l’expression du Références
potentiel d’un enfant, de le valoriser dans ses compétences, de
l’aider à lever ses inhibitions. L’acceptation de la singularité et [1] Tordjman S, Vaivre-Douret L, Chokron S, et al. Les enfants à haut
de la différence peut être mise au service de la tolérance et du potentiel en difficulté : apports de la recherche clinique. L’Encéphale
2018;44(5):446–56.
développement de la créativité, dans l’intérêt du sujet et de la [2] Delaubier J.-P. La scolarisation des élèves « intellectuellement pré-
société (Encadré 1). coces ». Rapport à Monsieur le Ministre de l’Education nationale 2002;
S. Tordjman, S. Kermarrec / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 67 (2019) 130–139 139

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