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Ville durable :
quelle contribution du sous-sol ?
Colloque du 23 octobre 2006
organisé par le
COMITÉ ESPACE SOUTERRAIN de l’AFTES
Table ronde n° 1 Présidée par Odile de KORNER, Directrice générale, Eau de Paris
Physiologie urbaine Animée par Olivier VION, AFTES,
avec Sabine BARLES, Dominique BIDOU, Bruno MARTIN et Michel GÉRARD
Table ronde n° 3
Politique : quelle contribution du sous-sol à la ville durable ?
Présidée par Jean-Claude BOUCHERAT, Président du Comité économique et social de la Région Île de France.
Animée par Jacques BRÉGEON, directeur du Collège des hautes études de l'environnement
et du développement durable,
avec François LEBLOND, Christian THIBAULT, François BUYLE-BODIN et Bernard LAMY
Photo Soletanche-Bachy
PRÉSENTATION
Jean PHILIPPE, Président de l’AFTES
Monique LABBÉ, Présidente du Comité Espace Souterrain de l’AFTES
Pierre DUFFAUT, Président d’honneur, Espace Souterrain
L’invitation au colloque du 23 octobre 2006 s’ouvrait par l’exposé des motifs suivants :
« Les grands enjeux climatiques, énergétiques, écologiques vont bientôt conduire à des révisions de l’organisation et de la physiologie
de la ville, afin d’aller vers un modèle de ville durable. Dans cette mutation du mode de vie urbain, en une ou deux générations, aucune
solution ne peut être négligée. C’est l’occasion de valoriser une ressource peu utilisée et très méconnue : le sous-sol et plus générale-
ment l’espace souterrain. S’il peut contribuer à rendre la ville durable, il s’agit alors de réfléchir aux conditions et aux modalités urbanis-
tiques qui permettront une meilleure prise en compte de cet espace par les concepteurs, aménageurs et gestionnaires de la ville. »
OUVERTURE
Préfet François LEBLOND, Président de la COFHUAT
D e la lumière reçue du soleil, la Terre réfléchit une partie vers l’extérieur, et certains composants de l’atmosphère jouent le rôle de la vitre
d’une serre en renvoyant une part de ce rayonnement infrarouge vers la Terre ; la vapeur d’eau, le gaz carbonique, et le méthane sont les
principaux gaz « à effet de serre » naturels.
Au niveau mondial, le gaz carbonique, auteur des 2/3 du réchauffe- Dunkerque, à condition toutefois que les écosystèmes végétaux
ment anthropique, provient pour 80% des combustibles fossiles et puissent suivre à la même vitesse malgré les barrières de l’urbanisa-
20% de la déforestation. La croissance de la consommation tion et des cultures intensives. Or ces modifications sont 10 à 100
d’énergie fossile (charbon, pétrole, gaz), date seulement des fois plus rapides que celles des évolutions climatiques passées.
années 50, avec l’explosion des transports et de la consommation La teneur en CO2 de l’air est passée en 30 ans de 280 à 382 ppm,
d’électricité. En un siècle et demi, pour chaque terrien, le nombre valeur la plus élevée depuis au moins 1 et sans doute 10 millions
de kilomètres voyageurs a triplé, celui des tonnes kilomètres de fret d’années et l’ampleur du réchauffement attendu est donc sans
a été multiplié par mille, et la population mondiale a quadruplé. commune mesure avec les variations connues dans le passé : les esti-
mations pour 2100 sont comprises entre +2 et +7°C, alors que la diffé-
rence entre périodes glaciaires et interglaciaires n’est que de 4 à 6°C.
Selon Météo France, l’été 2003 qui était improbable dans le climat
précédent, deviendra l’été moyen après 2050 en scénario tendan-
ciel. L’augmentation des sécheresses est attendue dans les zones
déjà sèches comme l’ensemble du bassin méditerranéen, et celle
des précipitations dans les zones déjà arrosées (avec des limites
définies à 300 kilomètres près), avec une probabilité de 90-99%
(« très probable » selon les termes du GIEC).
La dilatation de l’eau et la fonte des glaciers s’ajoutent pour élever le
niveau des mers. L’élévation du niveau de la mer d’ici 2100, pour
2ºC, est estimée entre 20 et 80 centimètres, compte non tenu de la
fonte des calottes polaires qui semble plus rapide qu’attendu, mais
encore mal quantifiée ; et l’inertie de ces phénomènes est considé-
rable : il faudra plusieurs siècles, à partir d’une stabilisation du CO2,
Croissance de la consommation d’énergie en France de 1860 à 2000, pour stabiliser la température, plusieurs millénaires pour stabiliser le
et parts des différentes sources d’énergie niveau des océans. Ce que nous allons faire ou ne pas faire dans les
vingt ans à venir va donc décider de l’avenir de la planète sur
plusieurs millénaires.
L’évolution du climat est nette. Par exemple l’énergie
dissipée par les cyclones atlantiques a doublé en
trente ans. L’augmentation de température
moyenne du globe est sortie du « bruit de fond »,
environ un degré de plus pour la France depuis 1860.
L’évolution des terroirs viticoles confirme ce réchauf-
fement : cette augmentation de 1°C permet à la
vigne comme au reste de la végétation de remonter
de 200 km vers le nord ou de 150 m en altitude.
D’après une étude de l’INRA, pour une augmenta-
tion de 2°C, la végétation méditerranéenne, caracté-
risée au climat par le chêne vert, remontera jusqu’au
milieu de la France, et les conditions favorables à la
végétation tempérée maritime (pin maritime) jusqu’à
Le consensus est général sur la gravité et la vitesse du phénomène. Il faut donc penser maintenant aux fonctionnements du territoire en
Au-dessus de +2ºC, des phénomènes accélérateurs se déclenche- termes plutôt de robustesse d’ensemble que de performance
ront : par exemple, la transformation de l’Amazonie en savane ajou- sectorielle. Il va falloir provisionner des sommes beaucoup plus
terait 1,5ºC à la température globale, après 3°C tous les écosys- importantes pour la prévention et la réparation des dégâts ; les
tèmes végétaux se transforment en sources nettes de carbone, et Américains le savent, ils ont un climat bien plus violent que le nôtre,
au-dessus de +4ºC, le courant chaud de la dérive nord-atlantique mais les Européens n’y sont pas habitués.
peut s’arrêter au siècle prochain. Des assureurs ont déjà décidé de moduler leurs tarifs en fonction
La fin de l’énergie abondante approche aussi, et c’est une limite à des mesures prises par les assurés pour anticiper les conséquences
prendre en compte dès demain dans l’aménagement de villes dura- du changement climatique. Ils se retirent de certaines zones,
bles : le débit du robinet « pétrole » deviendra inférieur à la demande comme la côte de Floride. Ils vont aussi exiger que les politiques
quotidienne entre 2010 pour les uns et 2030 pour les autres. publiques d’aménagement du territoire, de construction, de régle-
L’objectif étant de ne pas dépasser 2ºC, c’est-à-dire 450 ppm tous mentation et de fonctionnement prennent en compte la réduction
gaz, il faut diviser par au moins deux d’ici 2050 l’émission de gaz à de la vulnérabilité climatique et celle des émissions de gaz à effet
effet de serre dans le monde, et bien davantage dans les pays indus- de serre.
trialisés. Si en 2000 l’Inde est à deux tonnes de CO2 par tête, et la Le pic de la consommation de pétrole arrivera donc entre 2010 et
Chine à 4, la France est autour de 7, l’Europe et le Japon à 10, les 2030, alors qu’autour de 2020 le déclin des gisements de mer du
Etats-Unis à 25. Donc une division par deux ou quatre pour Nord fera dépendre l’Union européenne de l’extérieur à 75 % ; le
quelques-uns, mais à terme une division par dix pour d’autres. pic du gaz suivra 10 ans plus tard.
L’ensemble de ce que la société française pourra émettre en 2050 Or, les décisions que l’on prend aujourd’hui en infrastructures de
est inférieur à ce que les seuls transports émettent aujourd’hui. transport (aéroports, routes, etc.), structurent le territoire et les
Cet objectif de ne pas dépasser +2ºC est partagé par beaucoup de consommations énergétiques pour un siècle ou davantage.
régions industrielles en Europe, Japon, Californie. Katrina a aidé les Lorsqu’on plante une forêt de feuillus, il faut compter 80 ans avant le
Américains à prendre conscience de leur vulnérabilité ; les dégâts retour sur investissement ; il faut vraiment qu’un bâtiment soit mal
totaux liés aux évènements climatiques sont passés de 148 milliards construit pour durer moins de trois quarts de siècle ; on espère d’un
de dollars dans les années 1970 à 704 milliards de dollars pour la site industriel lourd qu’il dure au moins quarante ans. Tous ces inves-
décennie 1990, et 350 pour les deux seules années 2004 et 2005. tissements décidés aujourd’hui passeront le plus clair de leur vie
C’est possible, car ce n’est pas d’abord une question technique, dans un monde entièrement nouveau.
mais d’organisation et de finances. A condition de commencer tout Il faut donc concevoir de nouvelles organisations et notamment en
de suite à modifier les politiques publiques d’aménagement du relation avec le sous-sol. On s’inquiète de la difficulté à faire changer
territoire, de construction, de réglementation et de fonctionnement : les comportements en une génération, mais les investissements
on a moins de 10 ans pour « inverser la vapeur » de nos habitudes. d’aujourd’hui, s’ils sont inadaptés au monde futur, seront des obsta-
L’exemple de Paris permet d’entrer dans le domaine de l’adapta- cles aux changements encore plus sérieux.
tion du souterrain au sujet climat-énergie : Le Commissariat Général L’urbanisme commercial est une illustration parlante : selon
du Plan a tenté d’évaluer les effets d’une crue « 1910 » : à précipita- l’Ademe, un hypermarché de périphérie, où on fait les courses en
tion égale, le niveau serait 70 cm plus haut, à cause de l’urbanisa- voiture une fois par semaine, fait consommer cinquante à soixante
tion et de l’imperméabilisation ; le RER et le métro seraient inondés fois plus de carburant (et émettre soixante fois plus de pollution),
à 70 %, malgré les efforts pour boucher tous les trous, l’eau potable qu’une supérette de centre ville alimentée deux fois par semaine
perturbée à 50 % pendant un mois, ainsi que le téléphone et l’élec- par un camion. La livraison par camionnettes de commandes
tricité. Coût estimé à 30 milliards d’euros, soit 10 % du PIB d’Ile- passées par Internet et parcourant la même distance consomme
de-France l’année de l’inondation. non pas 60 mais quinze fois moins. L’augmentation des prix de
l’énergie (électricité, gaz et carburants) déplace l’équilibre des géothermie, et à toutes les utilisations du sous-sol au service des
budgets des ménages entre Paris et les banlieues mal desservies habitants. S’il n’est bien sur pas question d’y habiter, le sous-sol fait
puisque le poste transport dépasse 25% du revenu dans les zones à partie des éléments de réduction de la vulnérabilité climatique et
foncier pas cher, contre 5 à 8 ailleurs ; il a dépassé le poste nourriture d’accroissement de l’efficacité énergétique.
en moyenne française, passant deuxième après le logement.
Les questions ont porté sur l’Asie, qu’il faut convaincre d’accélérer
Conclusions : ses réorientations techniques et économiques, sur les inondations à
Il faut mettre l’accent sur l’adaptation climatique des structures Paris et les exercices à prévoir en détail, sur les comportements à
urbaines et leur efficacité énergétique, l’influence de la végétation modifier (de type consommateur ou de type citoyen), sur la
en ville, les systèmes de transport, etc. ; sur la robustesse des infras- géothermie et sur les maisons à énergie positive.
tructures des bâtiments et des organisations, par exemple s’orga- La discussion de 1995 sur la loi sur l’air l’a montré : lorsqu’ils savent
niser avec une fiabilité des transports qui ne serait plus de 100% du qu’il faut choisir, par exemple entre l’utilisation de l’automobile en
fait de conditions extrêmes moins prévisibles et plus fréquentes. Il faut ville et l’asthme des enfants, les citoyens changent, à condition que
prévoir la disponibilité en eau notamment en été (gestion des incen- les solutions existent ; ici, les transports collectifs, les déplacements
dies, refroidissement des sources d’énergies, boisson, agriculture…). « actifs » (vélo, marche), des organisations logistiques et urbaines
A réorganiser aussi : la gestion des zones inondables, dont les sous- différentes... Le côté impératif des changements ne fait plus guère
sols, car l’imperméabilisation accroît le ruissellement, et les dégâts de doute. Mettre l’ensemble du parc de logements à 50 kWh/m2
par inondation, ainsi que celle des réseaux pluviaux et d’assainisse- (une division par trois au moins) est faisable pourvu qu’on organise le
ment face à la variabilité des débits très importante. Prévenir les financement ; c’est un investissement de l’ordre de 8 Ge/an sur 45
menaces d’effondrements et glissements de terrain sur les réseaux ans, avec 100 000 à 190 000 emplois à la clé. En revanche, il ne
de transport et les menaces de déformations des sols argileux. faudrait plus investir dans un bâtiment ou une infrastructure de
Accepter la densification urbaine (le Paris haussmannien est trois transport inadaptée. Un pas de temps de changement de mentalité,
fois plus dense que La Courneuve), pas seulement en termes de c’est une génération, 25 ans, et donc beaucoup plus évolutif que
logements mais aussi de mixage des fonctionnalités, en permettant des constructions ou des infrastructures mal adaptées au monde
l’accès facile et peu coûteux en énergie. Faire appel à la qui vient.
J e suis tombé très jeune dans le chaudron de l’espace souterrain et ce qui m’y a conduit m’y ramène toujours, la géologie et l’envi-
ronnement, les usines souterraines d’EDF, la mécanique des roches, plus récemment la Principauté de Monaco, avec laquelle je me
présente ici en duo.
J’ai l’impression de répéter le même discours depuis longtemps, afin de faire mieux connaître le potentiel et les avantages des solutions
souterraines, de dissiper des craintes et des malentendus trop répandus ; le même discours, mais sous des angles chaque fois différents,
dont l’ensemble cerne de mieux en mieux un sujet complexe. L’angle d’aujourd’hui, laVille durable, m’apparaît essentiel.
Une question de mots d’abord : Parmi les qualités intrinsèques du - l’ignorance des demandeurs, qu’il faut renseigner sur les avan-
souterrain, la durabilité est au premier rang, mais pas exactement tages et les succès ;
au sens moderne du mot : il y a d’innombrables grottes naturelles, - et la mauvaise image des ouvrages souterrains, dont les compo-
qui perdurent depuis des millénaires, il y a beaucoup d’ouvrages santes sont multiples et toujours renaissantes : dans le grand
souterrains qui datent des débuts de l’histoire, comme le tunnel public, sous-sol est associé à basse-fosse, tombeau ou même
creusé pour l’alimentation en eau de Samos ; en France, le plus enfers, à des lieux humides, sales, privés d’air et de lumière, à la
ancien tunnel de génie civil donne passage au canal du Midi depuis crainte d’être enfermé et de n’avoir pas la force de remonter à l’air
1675, un bel exemple de durabilité, et pour un transport propre. libre : chez les maîtres d’ouvrage tant publics que privés, souterrain
En regard, on sait que les exploitations souterraines de charbon, de évoque des surprises géologiques, et des dépassements imprévi-
minerais, mais aussi d’eau ou d’hydrocarbures, sont suivies d’affais- sibles de délais et de coûts.
sements de la surface, étendus ou ponctuels, lents ou brutaux, avec Il y a du vrai dans ces réactions, mais il y a aussi des réponses à déve-
des impacts considérables sur les eaux, les infrastructures et les lopper dans chaque cas. Pour susciter la demande, il faut faire mieux
constructions. C’est un aspect moins agréable de la durabilité : connaître l’offre en mettant ses attraits en valeur.
toute atteinte au sous-sol y laisse une trace indélébile, rien n’y peut
jouer le rôle dévolu en surface à la démolition, qui fait table rase En effet le sous-sol offre à la ville de quoi loger des services absents
pour un nouveau départ à zéro. D’où la nécessité de voir loin avant ou insuffisamment développés, seul moyen de lutter à la fois contre
d’agir et d’agir avec prudence et soin. L’urbanisme souterrain la désaffection pour le centre-ville et l’extension démesurées des
demande davantage de recul qu’en surface, avant, davantage de banlieues pavillonnaires : les exemples ne sont pas rares mais
surveillance, pendant et après la construction. souvent isolés et peu mis en valeur :
Une présentation classique sépare l’offre et la demande d’espace - petits réseaux, classiques, mais trop indépendants ;
souterrain : à l’évidence la demande ne s’exprime pas assez ou pas - grands réseaux, transport en commun de masse ou véhicules parti-
du tout ; j’y vois deux raisons : culiers pour les personnes (LASER) et pourquoi pas étendus au
transport souterrain de fret ? des études sont en cours ;
La problématique de l’urbanisation en souterrain est très présente à mécanisées facilitent la marche à pied dans un territoire peu étendu
Monaco, un territoire de 200 hectares, avec 32 000 habitants la mais pénalisé par d’importantes dénivelées.
nuit et le double le jour. Malgré 34 ha de terrains gagnés sur la mer, Logistique : Monaco est à l’aval d’un important bassin versant dont
la croissance de l’activité impose de recourir au sous-sol. il faut gérer les eaux pluviales et usées. Elles sont traitées pour partie
Circulation : Pour commencer, la voie ferrée a été mise en souter- dans une station souterraine sous le Rocher, pour partie dans le
rain, en deux phases, autour de 1960, puis de 1990. Ensuite sous-sol d’un immeuble industriel du quartier Fontvieille. Le
plusieurs tunnels ont facilité la circulation automobile, sous le transport des boues est éliminé car la station est mitoyenne de
Rocher d’abord, puis pour la liaison avec les routes et l’autoroute. l’usine d’incinération. Dans ce quartier gagné sur la mer, un réseau
Pour éliminer le transit dans les rues en lacets, les travaux d’une de collecte pneumatique amène directement les ordures ména-
« dorsale » à 80 % souterraine ont commencé fin 1999. 15 000 gères à cette usine. Pour le transport des marchandises, un centre
places de stationnement public (y compris pour les bus) sont de distribution reçoit les gros porteurs dans un sous-sol d’im-
presque toutes en sous-sol, l’espace récupéré étant affecté à des meuble, d’où part la distribution en petits véhicules (le système est
espaces verts (34 ha sur 200). De nombreuses liaisons piétonnes gratuit, pris en charge par la Principauté).
Parking souterrain des Boulingrins,devant le Casino (lors de la construction). La même place après achèvement du parking.
INTERVENANTS :
Olivier Vion
D ans cette table ronde intitulée « Physiologie urbaine » (ou métabolisme de la ville). Sabine Barles va nous parler des flux entrants et sortants,
du stockage et de l’ensemble de ce qu’on met en sous-sol, Odile de Korner va nous dire comment l’eau circule dans Paris, Bruno Martin
traite le transport pneumatique des déchets, Dominique Bidou la ville durable, et Michel Gérard les galeries techniques.
TABLE RONDE 1
Sabine BARLES
C ette table ronde n’a pas été dénommée « physiologie » pour faire une analogie plus ou moins douteuse entre la ville et un organisme
vivant, mais pour mettre l’accent sur le fait bien connu que les flux que ces villes voient circuler, même extrêmement divers, sont en fait
très liés les uns aux autres. Leur interdépendance va bien au-delà de ce que l’on appelle l’approche réticulaire. En effet, la plupart des
réseaux urbains de services sont souterrains et peuvent être étudiés avec des concepts communs et des méthodes communes, d’où l’intro-
duction dans le génie urbain une discipline appelée réseautique.
TABLE RONDE 1
Odile de KORNER
L ’eau est indissociable du sous-sol. Paris est une ville très dense en matière d’égouts et de galeries, qu’elles soient techniques ou d’eau
potable. Nous devons ce réseau très dense à Eugène Belgrand, et au Baron Haussmann. Nous avons plus de 1800 km d’égouts dans
Paris, qui abritent non seulement l’eau usée, mais aussi l’eau potable, l’eau non potable (ce sont deux réseaux différents), des réseaux d’eau
glacée, des réseaux de chauffage et des réseaux de télécommunications, autant d’installations qui permettent de ne pas éventrer Paris lors-
qu’une intervention est nécessaire.
L’eau est indissociable du sous-sol, puisque 80 % de l’eau potable Ainsi, l’eau est difficilement accessible en ville, et pire ! le réseau
consommée en France est de l’eau souterraine, qu’elle provienne d’eau peut être considéré comme une source de nuisance, puisqu’il
des nappes phréatiques ou des sources. Paris est alimenté pour peut fuir. On a, certes, la chance à Paris d’avoir un réseau visitable.
50 % en eau de source (c’est une proportion importante, très peu de Néanmoins, il existe quelques canalisations enterrées et lorsque de
parisiens le savent). Et tout le cycle de vie de l’eau est pratiquement l’eau fuit, les dégâts peuvent être importants (j’avais à traiter hier un
souterrain : l’eau est puisée, acheminée, stockée, distribuée puis effondrement dans le quartier des Peupliers, à cause d’une conduite
évacuée, le tout en sous-sol. Ce mode d’activité contribue effective- fuyarde depuis des années). Comme l’eau n’est guère visible dans la
ment à une gestion durable de la ville, la comparaison est éloquente ville, il y a une perte de relation à l’eau en milieu urbain.
entre 215 millions de tonnes d’eau potable livrées par an et 32
millions de tonnes de marchandises qui transitent chaque année à L’eau est aussi en danger, parce que la ville épuise ses propres
Paris par la route et le rail. ressources. Par exemple la nappe phréatique sous Paris est difficile-
ment exploitable parce qu’elle baigne du gypse. Il faut aller cher-
Si cette eau potable ne transitait pas par des tuyaux, vous imaginez
cher l’eau très loin, à 100, 150 kilomètres par des pompages signi-
le nombre de semi-remorques qui encombreraient Paris. C’est un
ficatifs. Ainsi Paris pompe 80 % des ressources de la Vallée de l’Avre
problème, notamment en cas de crise majeure. Comment approvi-
dans la région de Verneuil-Sur-Avre.
sionner les parisiens, si l’eau du réseau souterrain n’était plus
potable ? Imaginez qu’on puisse distribuer quelques litres d’eau à Les eaux souterraines sont de plus en plus polluées. D’après le
chaque parisien en faisant venir des citernes de banlieue ou de l’eau récent rapport de l’IFEN sur la qualité des eaux en France, 80 % des
embouteillée. Paris n’y survivrait pas. Le préfet de région nous eaux sont contaminées par des pesticides. Les nitrates sont un
demande de réfléchir à un réseau d’eau de secours qui serait lui moindre problème, sauf en Bretagne. Insuffisamment protégée,
aussi souterrain. l’eau se dégrade. Des pollutions de nappes fossiles sont dues à des
L’encombrement du proche sous-sol de Paris est particulièrement forages mal faits qui mettent plusieurs nappes en communication.
dense. Pour libérer la plateforme du tramway sur le boulevard des L’imperméabilisation des sols et la non-utilisation de l’eau de pluie
Maréchaux, il a fallu vraiment jouer des coudes tellement il y avait de épuisent aussi cette ressource naturelle. On place des constructions
concessionnaires installés dans ce sous-sol. Faire de la place coûte en sous-sol à tort et à travers, faute d’un véritable chef d’orchestre
très cher, les neuf kilomètres de déviation des canalisations pour pour le sous-sol : c’est le premier arrivé qui s’installe. Il n’y a pas
libérer cette plateforme de tramway ont coûté aux parisiens 65 d’étude d’impact pour les ouvrages souterrains, qui créent parfois
millions d’euros. Donc le sous-sol est intéressant,
mais le sous-sol encombré est cher.
L’eau en milieu urbain est importante, mais elle
est dévalorisée. L’eau n’a plus sa place, on la
camoufle et pourtant beaucoup de villes sont
nées parce qu’une eau abondante y était facile-
ment accessible. On connaît tous la relation de
Lutèce avec la Seine. A ce jour, l’eau en ville est
camouflée : on a couvert la Bièvre, et tout ce qui
n’est pas montrable. Le canal Saint-Martin fait
l’objet de nombreuses couvertures. Les nappes
phréatiques sont ignorées.
La Seine sert d’autoroute urbaine et il a fallu une
opération comme Paris Plage pour redécouvrir le
charme de ses berges. L’eau dans une ville sert à
nettoyer, à faire disparaître les déchets. Il y a rela-
Photo Eau de Paris
TABLE RONDE 1
TABLE RONDE 1
Bruno MARTIN
L a société ENVAC est née à la fin des années 1950, avec un premier marché d’importance pour un quartier résidentiel de Stockholm en 1961,
à la demande des élus de la ville qui souhaitaient faire évoluer le métier de ripeur et d’éboueur. Evidemment, ils ont des conditions de travail
qui sont un peu plus difficiles que chez nous du fait notamment de la météo. La société s’est développée mondialement, avec un peu plus de
600 installations de collecte pneumatique de déchets.
En France, il y a deux installations sous licence à Monaco et à diamètre intérieur est constant, l’épaisseur augmente d’amont en
Grenoble depuis quelques années, et nous espérons une rénova- aval pour supporter l’abrasion et garantir la durée de fonctionne-
tion de celle de Grenoble. Nous avons obtenu un premier marché, à ment sur trente ans. Les terminaux de collecte sont enterrés, semi
Narbonne, qui souhaitait utiliser ce système pour collecter les enterrés, ou en surface (parfois dans des ronds-points). Un camion
déchets par voie souterraine dans le cadre du développement collecte les containers de déchets compactés.
durable d’un quartier neuf. Un deuxième marché a été signé avec Nos cibles commerciales sont les nouveaux quartiers, où on peut
l’hôpital Lapeyronie à Montpellier, pour collecter les déchets de faire un seul trou pour tous les réseaux (l’eau, l’assainissement,
linge et une partie des déchets de chambre. l’électricité, etc. et nous), et la rénovation urbaine, dans les villes
Les réseaux de collecte sont formés de tubes enterrés. Des bornes existantes et les centres-villes historiques. Ainsi dans le quartier
d’entrée sont installées près des habitations par exemple tous les d’Ecusson à Montpellier, très exigu, où les camions poubelles
cinquante mètres, voire dans les habitations, plusieurs bornes en passent près de dix fois par jour l’intérêt d’un réseau souterrain
fonction du tri que l’on veut faire. Chaque tri est aspiré et transporté devient évident. Si nous n’exploitons que 280 installations dans le
jusqu’au terminal de collecte (dans un rayon de 1,8 kilomètre). Le monde sur les 600, c’est parce que notre objectif n’est pas de faire
terminal aiguille les déchets choisis dans des containers. Le courant de l’exploitation, nous voulons garder l’image d’industriels qui
d’air véhicule les déchets à 70 km/h environ, ce qui permet en créons des réseaux.
quelques minutes de collecter un quartier entier. Le fonctionnement Parmi les exemples, 3 500 appartements à Stora, un petit
est automatique, matin et soir ou suivant le niveau de remplissage réseau,avec un seul terminal. 11 000 logements, 30 000 habitants
des bornes. au centre-ville historique de Palma de Majorque, avec douze kilo-
Dans certains restaurants de Suède, il y a des bornes dans les restau- mètres de réseau, 350 bornes, et deux fractions de déchets, recycla-
rants ou les centres commerciaux. Les bornes sont des tubes tout bles ou non. A Barcelone, il y a quatorze installations.
simples, avec deux types de portes, un diamètre relativement faible A Narbonne, le marché comporte deux phases : d’abord 660 loge-
chez les habitants, pour éviter tout problème de sécurité,et un ments dans le quartier du théâtre à volonté de développement
diamètre plus grand dans les commerces (nous aspirons des sacs durable et, à terme, nous allons nous connecter jusqu’au centre-ville
qui vont jusqu’à cent litres). historique. Comme nous l’avons déjà fait à Barcelone, nous allons
Nous avons des réseaux en diamètre 500 mm, aux normes gaz, utiliser une partie des égouts romains, qui font presque 1,70 m de
calculés pour une durée de vie minimale de trente ans. Comme le hauteur.
Pour répondre à la question sur l’économie d’énergie, nous avons
fait des études dans ce sens à Montpellier : on passe de 2 800 kilo-
mètres annuels à moins de 250 pour les camions de collecte.
TABLE RONDE 1
TABLE RONDE 1
Michel GÉRARD
En écoutant mes partenaires de la table ronde, j’ai noté un certain nombre de mots.
1/ «Densification» (M. Thibault) : or la densification de la ville, c’est aussi la densification des réseaux, parce qu’ils sont de plus en plus nomb-
reux et qu’on en invente tous les jours de nouveaux.
2/ Mme de Korner a parlé des «fuites» et des «accidents» qu’elles peuvent provoquer. Les galeries multiréseaux sont une très bonne réponse
à ce fléau.
3/ «Adaptabilité» : comment changer, adapter, transformer rapidement des réseaux enfouis ? C’est toujours long et difficile, à moins qu’ils
soient dans une galerie multiréseaux.
4/ «Connaître ce qui se passe dans le sous-sol». C’est évidemment nécessaire pour les habitacles des galeries multiréseaux, mais quand ces
galeries existent, on connaît vraiment tout ce qui se passe dans ce volume du sous-sol.
5/ «Inondations». C’est une des questions que l’on nous pose sur le comportement des réseaux en galeries lors des inondations. En bref, leur
situation est plus sûre que celle des réseaux enfouis.
Je vais résumer Clé de Sol en six propositions : un travail de quinze réseaux (majoritairement des réseaux enfouis) croissent continuelle-
ans, dont cinq officiels, «à ciel ouvert» si je peux dire, mais auparavant ment et de nouveaux réseaux apparaissent (si certains disparaissent,
dix ans en «immersion» pour préparer le projet de recherche, le pneumatique par exemple à Paris, les extensions et les nouveaux
prouver qu’il était faisable, etc. La recherche proprement dite a sont beaucoup plus nombreux, fibres optiques, élimination des
mobilisé cent personnes pendant cinq ans sur toute la France. Ce surverses en rivière, etc.) Sans compter que la mise en concurrence
travail a produit à peu près mille pages d’un guide pratique des gale- des opérateurs, conséquence de la dérégulation européenne, fait
ries multiréseaux : réalisation, entretien, surveillance, gestion, etc. apparaître de nouveaux prestataires.
En effet nous avons voulu donner aux maires un ouvrage qui Tout cela aboutit à un encombrement de l’espace public souterrain
réponde à toutes leurs questions dans tous les domaines, y compris et à des difficultés croissantes pour les communes - les maires ne
ceux qui ne sont pas considérés comme techniques : économie, savent plus où donner de la tête, parce que la coordination n’est
montages financiers, droit. A propos du droit, qu’a évoqué vraiment pas facile, tous ceux qui l’ont pratiquée peuvent le dire.
M. Philippe Laurent, je suis fier d’avoir convaincu, non sans peine, Quoique non marchande, car le domaine public est inaliénable, la
qu’il fallait le faire entrer dans la recherche appliquée, particulière- valeur économique de l’espace public souterrain croît rapidement,
ment en contexte urbain ; c’était une première, dont Clé de Sol a été elle est bien réelle et mesurable.
l’occasion. C’est bien le droit qui pose les questions les plus diffi-
Dans le même temps, on assiste à une montée des exigences envi-
ciles, ce qui ne m’a pas étonné outre mesure.
ronnementales et du goût pour le confort. Il est contradictoire de
Le premier schéma montre que les galeries multiréseaux devraient vouloir de l’eau impeccable à son robinet, Internet en haut débit à
s’imposer, parce que tout y pousse. En effet les objets souterrains son ordinateur, toujours plus sur tout sujet, et de protester contre les
prolifèrent ; les volumes demandés dans le sous-sol public par les travaux dans sa rue. Et pourtant, il faut résoudre cette contradiction.
Tout converge pour justifier chaque jour davantage les galeries
multiréseaux, du point de vue économique, social, et aussi écolo-
gique. Je pense qu’on peut actuellement bénéficier d’une sorte de
«fenêtre de tir» à peu près correcte, mais que le surencombrement
inextricable du domaine public finira par rendre quasiment impossi-
bles les travaux de ces galeries si l’on s’y prend trop tard.
Une première leçon de Clé de Sol, c’est qu’il n’y a pas de problème
technique insoluble : Clé de Sol les a tous résolus. On a commencé
par « Le gaz, c’est dangereux, il faut l’exclure des galeries », puis
nous avons répondu par « le gaz est dans la galerie, qu’est-ce
qu’on fait pour l’accepter ? ». C’est la bonne façon de poser la
question, et c’est ainsi qu’on l’a résolue. Les exclusions, totales ou
partielles, ne peuvent provenir que de raisons économiques : Seule
la rentabilité peut éloigner un réseau de la galerie. Par exemple,
l’enfoncement d’un habitacle pour accepter l’écoulement libre des
eaux pluviales malgré un relief défavorable pourrait augmenter le
coût du projet au point de le tuer. Il faut alors exclure ce réseau au
moins localement.
Une galerie multiréseaux n’est pas la transposition d’un ensemble
de réseaux enfouis. Les prestataires habitués à la pleine terre raison-
Pourquoi des galeries communes à tous les réseaux ? nent d’abord comme si leurs tuyaux et fils étaient enfouis : dans la
TABLE RONDE 1
Les occasions à saisir ments. A l’inverse, il y a des sources d’économie très importantes,
pour proposer des galeries multiréseaux sur les terrassements c’est évident, mais sur beaucoup d’autres
points moins évidents, si on prend la peine d’y réfléchir. Enfin les
mutualisations de frais sont nombreuses.
Une difficulté juridique grave est propre aux domaines publics fran-
çais et il faudra vraiment éliminer un jour cette difficulté : un Maire ne
peut pas obliger un opérateur à placer son réseau dans une galerie,
même quand elle existe au bon endroit. Il ne peut que lui interdire
d’ouvrir le sol, et en cas d’obstruction passive les opérateurs bran-
dissent la menace de suppression d’emplois si telle entreprise n’est
pas satisfaite du réseau. Ce qui fait renoncer le Maire. Tant qu’il n’y
aura pas un changement du droit sur ce point, on n’arrivera donc
pas à faire en France ce qui se fait à l’étranger, notamment dans les
pays inspirés des traditions germaniques, comme la Finlande, la
Suisse, la Tchéquie : construire des habitacles à l’avance puis obliger
progressivement les réseaux à y entrer à l’occasion de demandes de
galerie du quai François Mauriac, un opérateur de télécoms a travaux.
demandé que ses câbles et fibres optiques soient placés dans un Les autorités urbaines y ont aussi plus d’autorité sur les opérateurs,
massif de terre rapportée, afin de ne rien changer à sa technique ! puisque la plupart des distributeurs de service urbains, qu’il s’agisse
Au contraire, chacun doit se dire qu’étant protégé de l’extérieur, il de régies municipales ou de sociétés industrielles par actions (sur le
peut utiliser d’autres matériaux et techniques qu’en pleine terre ». modèle des Stadtwerke), sont sous la dépendance intégrale des
Certaines différences sont des charges supplémentaires, les villes. Ce n’est pas un hasard, à mon avis, si Besançon est, en France,
supports, haubans et attaches sont les plus importantes puisque les un bon exemple, car Besançon a été une ville d’Empire, et qu’elle a
réseaux n’ont plus la terre pour les porter et contenir leurs mouve- gardé pour elle un grand nombre de régies. Toutes ces villes ont en
outre une vue consolidée, selon le langage bancaire, de ce
que peut leur apporter une galerie en échange des investis-
sements qu’elle va leur demander ainsi qu’à leurs services.
Je me désole de voir le nombre des occasions qui n’ont pas
été saisies, notamment celle du tramway des Maréchaux, à
Paris, déjà évoquée. On a déplacé tous les réseaux sans
profiter de l’occasion pour les loger ensemble dans une
galerie. On aurait pourtant été là particulièrement fondé à le
faire. J’en ai vu passer quelques autres, pendant la recherche
Clé de Sol, dont certaines très proches de déboucher, comme
à Grenoble. Il est consternant qu’aucun tramway en France
n’ait encore été accompagné d’une galerie multiréseaux,
alors qu’un magnifique exemple nous est donné tout près de
nous, à Genève. Dans tous ces cas, la difficulté est triviale :
elle tient au planning du tramway (ou du projet principal). Si
on dit : « Attendez que le projet soit mieux précisé, et puis on
pensera à la galerie », comme le déplacement des réseaux
vient en tête du planning, on met en retard l’opération princi-
pale, donc on tue la galerie dès le départ ! Moralité : il faut
travailler les deux projets ensemble, dès le départ, et dans ces
conditions, le planning des galeries ne dérange jamais celui
de l’opération principale.
Autre leçon, très importante, de Clé de Sol : les galeries ne
doivent être faites que si elles sont rentables socio-économi-
quement – et socio-écologiquement, puisqu’on prend en
compte les biens environnementaux (la qualité de l’air, la
qualité de l’eau, la lutte contre l’effet de serre etc.). Si elles ne
sont pas rentables, nous endetterions indûment les généra-
tions futures en les faisant. Un autre avantage de cette analyse
(qu’il faut réapprendre à beaucoup de gens parce qu’elle
n’est plus beaucoup pratiquée), c’est qu’elle livre aussi une
méthode pour répartir l’effort d’investissement de l’habitacle
entre : la commune, le preneur de risque de l’habitacle (qui
peut être la commune, ou un tiers), et les opérateurs, qui
tirent avantage de la galerie.
TABLE RONDE 1
Il ne serait pas normal que les opérateurs entrent gratuitement : maître d’ouvrage d’un projet d’aménagement qui me disait : « La
encore faut-il très tôt discuter avec eux des conditions de leur galerie que désire le Maire va charger exagérément mon budget »,
entrée. En effet, une commune peut «avancer» financièrement l’ha- j’ai répondu : « Non, Monsieur, cela ne vous coûtera rien de plus.
bitacle, mais tout opérateur concerné pourra, à cause de cette On vous demandera de payer ce que vous auriez payé si tous les
question de droit à laquelle je faisais allusion tout à l’heure, «faire réseaux avaient été enfouis et pour le reste, on se débrouillera entre
des manières» pour entrer dans la galerie. Il finira par y entrer, parce opérateurs et commune, sans vous demander d’apporter autre
qu’il sait très bien qu’il y a avantage, mais le Maire aura grand mal à chose que ce que vous auriez apporté de toute façon » (les aména-
tirer un sou de lui. geurs de ZAC payent généralement la première pose des «réseaux
obligatoires»). Il faut donc éviter de prendre comme maître d’ou-
Dans un déplacement groupé de réseaux, à l’occasion d’une opéra-
vrage celui de l’opération principale, et lui ôter la crainte d’avoir à
tion principale, une commune peut arriver à obtenir une contribu-
payer le surcoût de l’investissement initial.
tion équitable des opérateurs, non que le droit ait changé, mais plus
trivialement parce que l’opération principale, fédératrice, oblige les Les montages juridico-financiers à retenir dans la majorité des cas
opérateurs à se montrer plus coopératifs. L’analyse socioécono- nous sont apparus lumineux et finalement peu nombreux : pour les
mique fournit alors la clé de la répartition des efforts financiers de petites galeries, la commune doit prendre la maîtrise d’ouvrage. Les
chacun. Je ne vous explique pas complètement comment, parce coûts de transaction avec les opérateurs rendraient en effet difficile
que cela me prendrait trop de temps, mais vous trouverez l’explica- un montage de partenariat public/privé. Pour que les opérateurs
tion dans le guide : il est important de bien l’assimiler. payent, il convient de monter une régie communale, dotée de la
personnalité juridique et de l’autonomie financière (ce à quoi la loi
Enfin, quel doit être le maître d’ouvrage ? La plupart du temps, le d’ailleurs obligerait en tout état de cause, étant donné les caractéris-
responsable urbain qui essaie de promouvoir un projet de galerie tiques «industrielles» de la galerie).
commence par demander au responsable de l’opération principale
de prendre ce projet en compte. Or, l’opérateur de l’opération prin- Pour les projets importants, une innovation récente s’impose, vrai-
cipale (celle qui fournit l’occasion) n’est, en général, nullement inté- ment bien tombée en 2004 pour Clé de Sol : c’est le «partenariat
ressé par la galerie. Cette erreur tue dans l’œuf de nombreux projets public/privé», PPP, qui permet en effet l’intervention d’un tiers sur le
de galeries. L’éviter demande, semble-t-il, à beaucoup de gens domaine public, avec des droits réels sur ledit domaine. Ces droits
d’agir contre leur intuition. Pour le promoteur ou l’aménageur de permettent au tiers privé concerné d’emprunter à des banques,
ZAC, le service est le même, que les réseaux soient enfouis ou en avec des sûretés comparables aux hypothèques.
galeries. Ce sont les opérateurs et la commune qui y gagnent : ce Comme je n’ai pas pu tout dire, je vous recommande de lire notre
sont donc eux qui doivent payer l’investissement. Donner l’impres- guide. Il est de présentation et de lecture agréables, avec des cari-
sion au maître d’ouvrage de l’opération principale, qui n’a rien à catures amusantes. Le CD-ROM inclus donne la version intégrale
gagner au projet, qu’il en sera le premier payeur, est une erreur alors que les 200 pages papier sont principalement destinées aux
assez systématique qui fait de lui le premier ennemi du projet. Au Maires et aux Directeurs de services municipaux.
INTERVENANTS :
Sabine BARLES
L ’idée est de ne plus s’intéresser uniquement aux flux, mais à la ville comme espace vivable, c’est bien un des objectifs du développe-
ment durable. Stéphane Cobo de la RATP va dépasser les flux de transport pour parler des enjeux de société qui sous-tendent ces flux ;
Max Le Nir, Directeur régional du BRGM présentera le milieu souterrain ; vous entendrez ensuite Dominique Sellier de l’Agence Régionale
de l’Environnement Ile-de-France, Jacques Bédu, qui représente la Société Française des Urbanistes, et dirige le Pact Arim des Hauts-de-
Seine ; Yves Draussin qui a œuvré à la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines et Bernard Lamy, architecte et conseiller en stratégie
urbaine, avant que le préfet François Leblond ne donne quelques mots de conclusion.
TABLE RONDE 2
Stéphane COBO
D’abord, une bonne nouvelle : la RATP s’intéresse à nouveau au D’où une relance de la réflexion que l’on a dû mener sur toutes les
métro en tant qu’objet de recherche. L’ingénierie et l’exploitation composantes du transport, autant sur le matériel roulant que sur les
sont mobilisées depuis des années sur ce cœur de notre métier et interfaces avec la ville, sur l’avenir des compétences du personnel,
nous avons formé une cellule de prospective et de développement sur les financements, puisqu’une grosse tension s’exerce aussi sur le
innovant. métro à ce point de vue. En un mot, la demande explose et le finan-
Si la recherche a été gelée pendant longtemps, c’est que les innova- cement public s’assèche. Pour la rocade (du métrophérique,
tions technologiques de Météor et son effet de vitrine, ont fait croire évoqué tout à l’heure), on nous a demandé de travailler sur un métro
que le futur était atteint. Lorsqu’on voulu « météoriser » le réseau de type Météor, mais beaucoup moins onéreux.
historique, on s’est trouvé assez rapidement face à des infaisabilités Les premiers résultats de nos recherches identifient un changement
techniques, à de grandes incohérences, ainsi qu’aux tensions de paradigme. Pendant longtemps le paradigme était la fluidité
nouvelles apparues sur les espaces de transport. absolue. Une masse indifférenciée d’individus était traitée grosso
En effet, les grandes innovations techniques ont quelque peu modo avec une logique de mécanique des fluides. Avec les
« dématérialisé » les frontières entre ce qu’on appelle communé- nouvelles technologies et la génération Internet, les rapports entre
ment l’espace public et l’espace ferroviaire. Avec la vente manuelle, les individus nous amènent à essayer de positionner cette foule
les poinçonneurs et chefs de train constituaient une « police » différemment, de faire d’une contrainte une opportunité. Il y a sans
ferroviaire qui faisait observer le règlement à l’intérieur. Aujourd’hui, doute une valeur ajoutée dans la proximité de personnes à profil
l’automatisation de la vente, le passe sans contact, la « porosité » différent et on doit pouvoir trouver dans le métro un renouveau de
de réseaux tels que le Wifi, effacent ces frontières. Les voyageurs socialité, comme cela se fait dans le monde virtuel de l’Internet. Le
ont l’impression d’être sur un espace public et non plus sur l’espace métro deviendrait un lieu de re-matérialisation du virtuel.
ferroviaire ; ils veulent donner un peu de substance à leur attente, En deuxième point, les pôles d’échange deviennent un point
pouvoir consommer, pouvoir travailler, pouvoir dialoguer, comme ils majeur dans le dispositif : on est même en train d’inverser la logique
feraient sur l’espace public. C’est une grande nouveauté pour les de conception, en partant de points qui structurent le territoire, qui
espaces de transport, qui n’étaient conçus auparavant que comme dialoguent avec les territoires dans lesquels ils s’inscrivent, afin de
des interfaces avec la ville. générer de la centralité dans ces espaces. Cela permet de repenser
Il est apparu aussi dans le monde des métros sans rails, des métros le rapport au territoire et de maîtriser la planification urbaine.
en surface, des lignes de bus à grande capacité : 1,2 million de voya- L’exemple de Madrid est assez fondateur : la ville a eu la volonté
geurs quotidiens à Bogota, c’est autant que la ligne A du RER. d’essaimer au lieu de densifier, en construisant MetroSur, une ligne
Alors, que reste-t-il du concept métro si des transports de surface nouvelle de 40 km à 12 km au sud du centre, pour un peu moins
atteignent les mêmes performances ? d’un million d’habitants au départ. Le pari est que ce métro, qui
Dans notre cellule prospective nous avons distingué deux dimen- circule déjà, suscite une implantation massive de centres commer-
sions : « spective », qui élargit le regard à d’autres disciplines que ciaux, d’universités, d’hôpitaux, et que cette zone accueille quatre à
celles liées directement au transport, et « pro », pour proactive, qui cinq millions d’habitants. Dans le débat sur l’étalement urbain, il faut
vise à décliner cette vision sur l’offre des produits RATP : comment donc envisager « essaimage versus compacité ».
décliner ces connaissances nouvelles et bénéficier des croisements Les modèles de financement sont le troisième point sur lequel on a
de nouvelles disciplines identifiables ? lancé beaucoup d’études, avec les modèles PPP, soit public-privé,
Parmi les connaissances nouvelles, les nouvelles technologies ont soit public-public, il ne faut pas l’oublier. De même que Intel finance
bouleversé les usages de la mobilité. Les gens connaissent le réseau des laboratoires capables de créer des logiciels justifiant l’augmen-
de transport presque aussi bien que nos agents et l’interaction n’est tation de puissance des processeurs, de même la URATP pourrait
plus tout à fait la même. Un besoin d’immédiateté est né avec la envisager d’alimenter des recherches vers des produits sans
génération Internet. Dans les espaces de transport, les voyageurs commerciaux et sans voitures, afin de devenir l’organisme qui
n’ont pas besoin d’agents quand tout va bien, mais au moindre alimentera ces centres commerciaux ?
souci, ils veulent une aide immédiate (ce que depuis une quaran- On pourrait aussi parler de mutualisation de l’espace pour le
taine d’années les sociologues américains appellent la sérendipité). transport de fret et de personnes. Nous faisons circuler des hommes,
On constate aujourd’hui sur Météor que le surcroît de disponibilité d’autres font circuler du gaz, des fluides, et des matériaux ; pourquoi
généré par l’automatisme de la conduite n’est pas perçu comme ne pas mutualiser ces espaces, à l’image de ce qu’a fait Clé de Sol ?
permettant une meilleure information au service des voyageurs ; ce
constat est partagé par les exploitants et les voyageurs.
TABLE RONDE 2
Max Le NIR
Nous avons vu que la densification de l’habitat pouvait participer au Dans les futurs aménagements impliquant des vides importants, il
bien-être des habitants, comme Haussmann l’avait montré (au faut donc exploiter au mieux les matériaux de valeur, il faut porter
moins après l’achèvement des travaux). L’efficacité énergétique cette valeur à la connaissance du maître d’ouvrage, qui souvent
d’un habitat densifié tient à des transports raccourcis, mais aussi à la l’ignore, et qui borne les reconnaissances au coût des fondations, au
température relativement constante des structures enterrées. Le volume de matériaux à extraire et au choix de la décharge.
sous-sol contribue donc à la gestion et à l’économie de la consom- Beaucoup de villes seront obligées, en raison de la complexité qui
mation énergétique. Un exemple type est l’aménagement du sous- les gagne, et de la saturation de leurs réseaux, tant en surface qu’en
sol de Montréal, dont un objectif était d’effacer la rigueur du climat. subsurface, de rationaliser l’aménagement de leur espace souter-
Lorsqu’on invoque la qualité de vie, il ne s’agit pas de vivre à l’inté- rain. Le savoir-faire développé en France pour la mise en valeur de
rieur, comme des taupes, mais aussi de récupérer de l’espace en l’espace souterrain a une grande valeur à l’exportation à l’heure des
surface pour des aménagements agréables et verdoyants, comme à métropoles et des mégapoles dans le monde. Il y a donc un besoin
Monaco. de connaissance synthétique, pour les aménageurs, les maîtres
On a évoqué les menaces des évènements climatiques, par d’ouvrages, les collectivités, tous les futurs chefs d’orchestre de
exemple, le risque d’inondation est extrêmement réel et extrême- l’aménagement urbain et de l’aménagement souterrain : une vision
ment coûteux si des zones souterraines sont envahies, mais les à trois dimensions de leur sous-sol, avec les niveaux géologiques et
structures enterrées sont à l’abri des impacts climatiques forts. On le l’eau souterraine. Jusqu’à une profondeur de 50 à 100 m suivant
voit par exemple sur les réseaux téléphoniques ou électriques dans les cas.
les zones très ventées du littoral breton : les tronçons qui ont été L’eau est une ressource et peut-être une nuisance ; il faut prendre en
enterrés pour préserver un site touristique ont beaucoup moins d’in- compte les phénomènes de remontée de nappes dans les
cidents au cours de l’hiver. L’espace souterrain est donc un moyen problèmes d’aménagement. Il faut une bonne connaissance des
de protection dans lequel on peut trouver à vivre agréablement. caractéristiques des matériaux, de leur comportement mécanique,
Au départ, avant tout aménagement, l’espace souterrain est des usages et valorisations possibles, de leur valeur, sans oublier
« plein ». Lorsqu’on creuse pour créer de l’espace, on met le maté- leur composition chimique qui n’est pas toujours neutre. Il y a d’un
riau en décharge ou on l’utilise de façon assez peu noble, comme côté une analyse de risque, et de l’autre des potentiels, des oppor-
remblai, et son déplacement est coûteux. Dans le même temps, la tunités qu’il faut bien connaître.
construction demande de plus en plus de matériaux, qu’on ache- Enfin l’espace souterrain n’est pas illimité, il n’est pas économique
mine parfois de très loin, alors que le développement de l’urbanisa- de descendre trop profond, cela viendra plus tard, petit à petit peut-
tion empêche d’exploiter les ressources en matériaux au plus près, être. C’est une ressource qui possède des valeurs économiques à
et que la carrière est considérée comme une nuisance. Le sol fournit plusieurs titres. Bien la connaître permet de l’organiser, l’optimiser ;
des argiles, des calcaires, et d’autres matériaux d’excellente qualité de la protéger aussi, singulièrement pour préserver la qualité de
parfois, dont on peut faire autre chose que du remblai (le gypse l’eau à Paris et dans toutes les métropoles. C’est tout cela qui fera un
étant plutôt cause de nuisance et de difficultés géotechniques). bon développement pour une ville durable.
TABLE RONDE 2
Dominique SELLIER
Notre Agence a voulu raisonner en termes de quartiers, cette insiste sur les modes alternatifs et les organisations collectives
échelle intermédiaire entre la ville et l’immeuble, lieu de nouvelle (l’auto-partage) pour un meilleur usage du véhicule. Tout l’argent
convivialité à créer. Un certain nombre d’expériences européennes qui n’a pas été investi sur des places de parking en sous-sol, très
de quartiers durables ont mis en évidence un travail commun sur onéreuses, peut être affecté en surface à des espaces publics de
plusieurs thématiques environnementales en essayant d’optimiser meilleure qualité, à l’usage d’énergies renouvelables, ou d’autres
au mieux l’espace construit d’une ville compacte, une ville de dépenses allant dans le même sens. Ce que nous attendrions c’est
courtes distances, mais on y a peu abordé l’espace souterrain. une démonstration économique de l’intérêt du recours au sous-sol
Voyons en quoi le sous-sol pourrait s’inscrire dans une approche de dans les quartiers durables. C’est un chantier à ouvrir en termes de
quartier durable : parlant de qualité environnementale, on pense coût global et de cycle de vie que de chercher les économies
d’abord qualité de la lumière naturelle, qui apporte un confort engendrées par une meilleure optimisation des réseaux ?
visuel. Les puits de lumière sont tout à fait intéressants en permet- Cette réflexion nous intéresse, puisque l’on parle beaucoup de villes
tant d’inonder de lumière l’intérieur de locaux qui paraissaient compactes, de villes à courte distance pour lutter justement contre
opaques ou sombres. Ils sont envisageables à plus grande échelle l’étalement urbain. L’allongement des réseaux est coûteux pour la
en souterrain.
collectivité en termes d’investissement et de gestion. Une gestion
En matière de bilan thermique les constructions en sous-sol bénéfi- centralisée et des galeries techniques permettraient une meilleure
cient de l’inertie de la terre, mais nécessitent des apports énergé- optimisation économique.
tiques pour assurer la ventilation et la qualité de l’air intérieur, ainsi
que la lumière artificielle. En Ile-de-France, la ressource géother-
mique est abondante, la chaleur est vraiment sous nos pieds. Conclusions de l'ARENE concernant la Région Île-de-France
L’eau est omniprésente à la surface des quartiers étudiés, conçue
comme un élément écologique, biologique et ludique, et pas seule- • Valider la volonté politique forte de développement durable
ment comme un élément technique qu’il faudrait faire disparaître sous urbain
terre (une approche pathogène, me souffle mon voisin). La démarche • Privilégier la reconversion des friches urbaines
de gestion des réseaux d’eau, dans l’approche quartier durable, est • Planifier dès le départ les infrastructures de transport et
avant tout une démarche préventive. L’eau doit couler à la surface équipements
avant de s’infiltrer naturellement, suivant les capacités du terrain. • Investir dans des études approfondies
En France on conçoit trop souvent des nouveaux quartiers, sans • Innover et favoriser l’exemplarité sur quelques thématiques
prévoir leur desserte. La concordance des aménagements entre le • Relever le niveau d’exigences pour les promoteurs investis-
sous-sol et le sol est importante, entre les infrastructures de seurs
transport en surface et leur aménagement. Cette problématique est • Elaborer un système global d’information, participation,
très présente sur les quartiers qu’on a pu observer en Europe : les communication
nouveaux quartiers sont immédiatement accessibles en transport • Mettre en place un système de management d’opération
en commun, ce qui crée pour les futurs résidents l’habitude de ne avec évaluation
pas utiliser leur véhicule personnel. On limite aussi le recours au
véhicule personnel en limitant le nombre de places de parking. On
Jacques BÉDU
J’ai beaucoup appris de cet exposé introductif, un peu effrayant à par rapport aux aspects techniques ou économiques. Il y a des villes
vrai dire. Je représente ici le Président Jean-Pierre Gautry de la SFU, classiques, les villes européennes telles que nous y vivons encore,
société créée en 1911 pour regrouper différents professionnels, afin mais aussi des réseaux de villes et des villes régions. En Europe, où
de faire évoluer la pensée urbaine en France. Il s’agissait alors de la démographie est en perte de vitesse (les Français n’y sont pas les
lutter contre la pauvreté, puisque l’urbanisme au sens moderne est plus mal placés), il s’agit de pays riches, de sociétés évoluées, avec
parti en France de la question du logement social. On sait que l’orga- des réseaux de professionnels en sciences de l’ingénieur, en art
nisation de la profession d’urbaniste est très récente en France ; nous urbain, des techniques sophistiquées. Les concepts dont on a parlé
sommes très peu nombreux, et l’Office public de qualification n’existe jusqu’ici ont pu avoir vocation à s’exporter, mais aujourd’hui ce n’est
que depuis 1998 ; c’est seulement depuis ce temps-là que le Conseil plus vrai : on ne peut absolument pas envisager que les grandes
Français des Urbanistes regroupe tous les réseaux. Nous sommes des mégalopoles du sud, dans des pays qui sont des chaos humains de
professionnels issus de métiers différents, de formations différentes et guerres civiles et d’insécurité (cf. l’ouvrage de Rem Koolhaas), puis-
d’exercices professionnels différents, fonctionnaires, libéraux, petites sent jamais accéder à des immeubles HQE.
entreprises associatives comme les Pact Arim. Nous travaillons au développement et à l’harmonie de nos cités ici
Selon la définition reconnue au niveau européen, la ville est « un et maintenant. Notre réflexion sur des cités à visage humain est au
établissement humain ayant un certain degré de cohérence et de niveau du Conseil de l’Europe où des travaux ont été faits sur le
cohésion ». La notion de l’humain est essentielle dans l’urbanisme, réchauffement climatique et l’utilisation du sol.
TABLE RONDE 2
Dans la nouvelle charte d’Athènes du Conseil européen des La réflexion la plus durable est une réflexion sur la démocratie face
Urbanistes qui s’appelle « Vision sur les Villes du 21ème siècle », la aux défis dont il s’agit. Sans elle, le modèle européen, latin, de la
cité, c’est de l’air, de l’espace et de la lumière. ville risque d’imploser. Lorsque les contraintes relèvent de l’état
d’urgence, la police ou l’armée échappent au concept de durabi-
Les urbanistes sont aux côtés des élus pour projeter ces établisse- lité. Le modèle de Breda ou d’autres quartiers européens, concerne
ments humains que sont les quartiers, les villes, les réseaux de villes. des petites villes de 30, 40 000 habitants, pas des conurbations de
Pour relever les défis, une check-list a été établie au niveau euro- 200 000 habitants. Dans les pays du nord la poussée démogra-
péen : le Guide du Conseil Européen des Urbanistes pour les phique est faible ou nulle (mais le taux de suicide extraordinaire).
professionnels du développement urbain et durable, dans lequel Ces modèles datent de cinq ans et ne sont absolument plus adaptés
toutes ces questions sont abordées, le sol, le sous-sol, l’eau, l’air,. aux enjeux décrits par Dominique Dron.
Cela permet à tout professionnel de disposer d’une grille de lecture
Pour terminer sur les villes souterraines dans l’histoire de l’humanité,
pour analyser l’ensemble des paramètres sur un territoire donné.
en Cappadoce, ou dans le nord de la France, elles ont été conçues
Le paramètre nº1, ce sont les facteurs de cohésion sociale, les dans une optique de sécurité, pour protéger les populations. Et
problèmes de relations, de sécurité, je dirai même de police, étroi- dans les années 1970 il y a eu débat sur les abris antiatomiques et la
tement liés à toute conception. Le problème de tout équipement protection contre les radiations ionisantes. D’ailleurs la suppression
quel qu’il soit, au sol, en sous-sol, ou sur dalle, c’est le problème de de la couche d’ozone pourrait aussi entraîner des problèmes de
la vie ensemble. radiations et nous obliger à vivre comme des taupes.
Yves DRAUSSIN
Tout le monde connaît l’adage sur les villes à la campagne mais cela Mon premier croquis date de 1979, il y a plus de 25 ans : en descen-
ne va pas forcément dans le sens souhaitable de l’économie et de la dant de la gare, on voulait un ensemble de rues piétonnes, la liaison
ville durable ; Saint-Quentin-en-Yvelines est une ville peu dense ; la perpendiculaire entre l’étang de Saint-Quentin et la vallée de la
ZAC du centre de Saint-Quentin-en-Yvelines, sur 450 hectares (c’est Bièvre, et entre les deux, l’avenue du Centre. Après plus de quatre
plus grand que Monaco) n’est pas très dense. Avec 2,5 millions de ans d’étude, de multiples changements politiques et quinze projets,
mètres carrés de planchers, elle est le deuxième pôle tertiaire de l’Etablissement public a repris la main (qu’on lui avait enlevée) : les
l’Ouest parisien, mais sa densité est très faible pour une ZAC de villes nouvelles sont parfois des grands lieux de bataille politique.
centre ville : le COS moyen est 0,55). J’avais postulé quelques principes : interdiction de l’urbanisme de
On pourrait retrouver dans ce cœur de ville les quatre thèmes qui on dalle ; défense de mettre les commerces dans un immobilier fermé
été évoqués aujourd’hui : une très grande galerie technique justifiée suivant la logique des zones périurbaines ; obligation de mettre les
par un dispatching électrique de toute la région nord de la France, parkings en souterrain. Les promoteurs commerciaux imposaient
avec des fibres optiques et des câbles électriques importants, donc une autre contrainte en proscrivant toute discontinuité dans la zone
une raison technique majeure ; un obstacle extrêmement infranchis- commerciale : un système commercial marche d’une manière bipo-
sable constitué par une grande voie ferrée et la Nationale 10, laire, avec une locomotive à chaque bout, et entre les deux, un mall.
auxquelles le centre de Saint-Quentin-en-Yvelines est
adossé. Pour pouvoir desservir les quartiers, le projet
d’urbanisme souterrain a été un transport en commun
souterrain en site propre y compris la gare, passant sous
les voies ferrées et la RN 10 pour relier les quartiers de
part et d’autre.
Le troisième point, c’est la grande base de loisirs de
l’étang de Saint-Quentin. On a cherché à faire une
liaison dans le centre urbain, à travers toutes ces infras-
tructures, entre ce parc et la vallée de la Bièvre, en trai-
tant le thème de l’eau. Malgré de nombreuses études,
on n’a pu aboutir. Le problème le plus complexe et le
plus intéressant est l’hypercentre de 35 hectares, avec
500 000 m2 de planchers, un COS de 1,5 à peu près,
1,9 si on le ramène à la parcelle, donc une densité
importante. A l’intérieur de ce périmètre il fallait mettre
l’université, 3 000 logements, 150 000 m 2 de
bureaux, et le centre commercial de la ville, que l’on ne
voulait pas traiter en centre commercial : on voulait une
ville avec ses commerces, pas un centre commercial
Saint-Quentin-en-Yvelines :Les enseignes du Centre commercial autour de Carrefour
fermé comme on les faisait encore dans les années 1970.
TABLE RONDE 2
C’est ce que nous avons fait, les rues piétonnes constituant un mall
ouvert.
L’idée est arrivée un jour - ce n’était pas prémédité - que la seule
solution était d’enterrer l’hypermarché. Un hypermarché, c’est tota-
lement anti-urbain, cela n’a pas de façade, cela n’apporte aucune
animation en soi, donc on l’enfouit. Et on en ressort sur des rues
piétonnes. Comme les parkings se trouvent dessous, il y a superpo-
sition des différentes maîtrises d’ouvrages.
On a donc deux niveaux de sous-sols, un niveau commercial au-
dessus, et la ville qui vient se superposer dessus, avec suivant le cas,
de l’espace public et de l’espace bâti, en logements, en bureaux, ou
en équipements publics.
Ayant récupéré le niveau du terrain naturel, on a pu y créer de
nouveaux commerces, après avoir enfoui tout ce qui n’avait pas de
valeur urbaine. Il y a 25 ans, il a fallu se battre pour vaincre les habi-
tudes et les préventions des maîtres d’ouvrage de commerces, pour
lesquels le commerce enfoui était une aberration, une hérésie.
On a rencontré quelques difficultés, notamment en matière de sécu-
rité, et des refus de permis de construire ; il a fallu quelques innova-
tions, notamment des systèmes de cours anglaises dans les trottoirs
des avenues pour l’évacuation des personnes. Toutes les fonctions
sont assurées de manière souterraine. Ce qu’on voit est un urba-
nisme au niveau du sol naturel, qui est construit sur un sol artificiel.
Bernard LAMY
Comme conseiller en politique urbaine à la ville de Courbevoie et un nouveau processus de réflexion urbaine.
au département, j’ai réalisé le Faubourg de l’Arche, un programme J’ai inventé à Courbevoie un atelier de paysage urbain, complète-
d’un million de mètres carrés en dix ans derrière La Défense. J’y ai ment inodore et transparent, n’appartenant à personne, sous l’auto-
été confronté à toute une série d’attitudes négatives ; pourquoi, rité d’aucun directeur, qui ne soit que poil à gratter pour faire
chez nous, n’arrive-t-on pas à faire fonctionner une stratégie sur l’ur- avancer une idée ; et cela marche. On a aménagé les berges de la
banisme simple et réaliste ? Je crois que c’est le vrai problème, la Seine, on a travaillé dans le cadre du développement durable, on a
stratégie en termes de réflexion urbaine n’existe pas. transformé les rues en rues vertes, mais avec une volonté politique.
Pourquoi ? parce que chaque décision est sectorielle, elle est
Pour transformer une rue en rue verte, il faut penser à son accessibi-
partagée entre des autorités variées, des services et des chapelles,
lité, au plan de circulation, aux flux de transit à éviter, au problème
des organismes chargés du sous-sol, du sursol, de l’aménagement,
de la démocratie de quartier, car on oublie souvent que l’urbanisme
qui ont chacun leurs pratiques : l’ensemble du processus urbain est
ne se fait qu’avec les hommes, les habitants, les utilisateurs.
pervers et ne fonctionne pas. Confronté à cela, il m’a fallu un combat
journalier pour obtenir une galerie technique, ou des arbres dans la Ce travail de réflexion globale, transversale, est le seul processus qui
ville (au Faubourg de l’Arche, on a planté 2 000 arbres). Chaque peut permettre aujourd’hui de faire avancer une réflexion de déve-
fois, on m’objectait la chambre de tirage des PTT, le réseau loppement durable au niveau du terrain. On l’a fait, cela marche
d’égouts, des histoires extraordinaires sur des éléments absolument depuis maintenant deux ans, et je pourrai vous en donner des résul-
incontournables. En fait, on peut toujours contourner. tats à une prochaine réunion.
Il faut bien voir que sur l’espace urbain public, 60 % du territoire des On a totalement transformé la ville, comme on a transformé certains
collectivités de la région parisienne, le décideur, c’est l’élu. Il peut y quartiers. On tient des réunions permanentes avec les habitants sur
avoir des EPA (il y a trente ans à la Défense, il y a cinquante ans en le développement durable et le quartier, la façon de faire, la façon
Yvelines), des ZAC, c’est-à-dire des outils d’aménagement dans de réfléchir. La façon de transformer une rue n’est pas uniquement
lesquels il y a une réflexion plus globale, mais pour la majorité des l’acte d’un ingénieur, aussi compétent soit-il ; la façon de la faire
territoires, c’est l’élu qui décide. Il faut donc faire en sorte que les accepter est essentielle. Il est vraiment important de replacer
gens travaillent les uns avec les autres dans les collectivités, qu’il y ait l’homme au centre du sujet si on veut faire avancer toutes vos idées.
TABLE RONDE 2
Photo Chany
CONCLUSION
Sabine BARLES
Ces quelques mots percutants nous rappellent que le poil à gratter est important, mais surtout la gouvernance.
Je laisse la parole au Préfet François Leblond pour la conclusion de cette table ronde.
François LEBLOND
C’est très difficile de conclure, parce que ces interventions sont contrôle du BRGM – les problèmes de l’eau : comment éviter les
toutes plus intéressantes les unes que les autres et la synthèse n’est impacts sur la nappe phréatique. Toutes ces questions peuvent
pas simple. Je vois deux sujets différents dans l’espace souterrain : retarder énormément les dossiers. La connaissance du sous-sol sous
d’une part ce qui est fait au service des populations et qu’on peut cet angle est très importante.
mettre en souterrain ; de l’autre, la fréquentation des espaces
J’ai rencontré une association qui s’intéresse aux entrées de villes,
souterrains par des populations ; ce sont deux questions différentes.
qui sont souvent décevantes parce que défigurées par des cons-
En ce qui concerne les services rendus aux populations, qui libèrent tructions en « boîtes de chaussures ». Les architectes devraient se
des espaces en surface, on est très content de récupérer en surface poser la question d’enterrer ces bâtiments dans les entrées de villes,
pour y faire tout ce que les urbanistes ont envie de faire d’intelligent c’est un sujet que je livre à vos réflexions.
en surface. Le problème est l’organisation de tous ces services en Je pense qu’il y a beaucoup d’autres bonnes choses dans tout ce
souterrain. On rejoint toutes les questions techniques en la matière, qui a été dit. Je travaille avec plusieurs d’entre vous à cette tribune
et nécessité d’une bonne connaissance du sous-sol. et je sais combien les uns et les autres vous essayez d’approfondir
Sur la fréquentation des espaces souterrains, on rejoint la réflexion vos réflexions sur ces sujets et combien le sujet du jour entre dans
de Monsieur Sellier tout à l’heure qui a posé notamment la ques- nos préoccupations, même s’il n’a peut-être pas été suffisamment
tion de la lumière. A titre d’exemple, sous la Pyramide, l’accueil du traité jusqu’ici. Cette très riche table ronde montre bien que les
Louvre est bien en souterrain. Parmi ces espaces, on trouve les choses évoluent et que votre association est en train de faire bouger
transports publics et des espaces privés, par exemple les parkings et certains sujets. C’est ce que j’en retire.
certains commerces. Aux problèmes des
services rendus s’ajoutent ceux de la
sécurité et de la convivialité.
Il y a donc des possibilités d’usage du
souterrain, avec de bons architectes, de
bons urbanistes, qui préservent cet
objectif de lumière dans les espaces
souterrains. J’y suis d’autant plus sensible
que certains lieux ont été traités de
manière très regrettable. Donc il faut y
faire très attention. Sans revenir sur les
problèmes de sécurité, bien réels dans les
espaces souterrains et qu’il faut traiter
d’une façon spécifique, la lumière – artifi-
cielle la plupart du temps, mais naturelle
si on le peut – est toujours un élément
fondamental.
Un point commun à ces deux objectifs de
service aux populations et d’espaces
fréquentés par les populations – je l’ai
vécu sur certains dossiers – c’est la
rencontre d’énormes problèmes tech-
niques, notamment – je parle sous le
Piscine souterraine des Halles de Paris (Paul Chemetov,architecte) - (photo Pierre Utudjian)
INTERVENANTS :
• François LEBLOND, Préfet, président de la COFHUAT
• Christian THIBAULT, Directeur de l’Environnement Urbain et Rural de l’I.A.U.R.I.F.
• François BUYLE-BODIN, Directeur du Réseau Génie Civil et Urbain
• Bernard LAMY, architecte et conseiller en stratégie urbaine
Jacques BRÉGEON
TABLE RONDE 3
Jean-Claude BOUCHERAT
TABLE RONDE 3
François LEBLOND
Eugène Hénard (1910), la rue actuelle Eugène Hénard (1910), la rue future
TABLE RONDE 3
Christian THIBAULT
François BUYLE-BODIN
TABLE RONDE 3
centre-ville, on voit bien qu’on n’atteindra pas notre objectif en Concrètement, nous avons soutenu un certain nombre de projets,
termes de performance… par exemple le projet Clé de Sol. Il nous a montré au passage qu’in-
vestir de la matière grise dans l’aménagement du sous-sol n’était
Les ouvrages souterrains sont plutôt controversés chez nous : la
pas seulement profitable pour la technique et la technologie, mais
densification de la ville est devenue une nécessité, mais implique-t-
également pour l’ensemble des problèmes liés à la création d’ou-
elle qu’on fasse vivre les gens sous terre ? Aller en sous-sol pose des
vrages, surtout d’ouvrages atypiques. La galerie technique multiré-
problèmes, par exemple des problèmes de risques, des problèmes
seaux est atypique, ni tube en béton, ni tunnel classique. Le tunnel,
de déblais. c’est la partie la plus simple du problème à résoudre. Ce qui est
Nous abordons la thématique du développement durable de façon compliqué c’est convaincre les gestionnaires de réseaux à y recourir,
globale, en disant : il faut des ouvrages qui contribuent au dévelop- c’est de veiller à l’équilibre financier et à l’équilibre juridique. C’est
pement durable et il faut les réaliser en respectant le développe- également faire en sorte que des conditions de sécurité soient
ment durable. Dans le cas particulier des ouvrages souterrains, il respectées. C’est dans Clé de Sol que le grand mot de « cindy-
faut assurer une utilisation équilibrée des déblais et il faut tenir nique » a été employé pour la première fois.
compte de l’énergie nécessaire à leur fonctionnement. Les Maintenant on voit émerger des projets de recherche sur l’ingé-
mauvaises langues disent que le tunnel sous la Manche consomme nierie et sur la sécurité incendie. Les gestionnaires de tunnels savent
une part appréciable de l’énergie produite par une tranche de bien ce qu’implique la sécurité incendie. Le jour où on fera « vivre »
centrale nucléaire. On ne fait donc pas de travaux souterrains sans les gens dans les sous-sols, il faudra bien s’en préoccuper sérieuse-
que cela ait des implications sur l’ensemble. ment. Finalement, le monde souterrain est une des approches
Fidèle au principe de l’analyse du cycle de vie, le Réseau Génie Civil globalisantes de nos réflexions.
et Urbain essaie d’avoir une vision la plus globale possible, en Nous ne sommes pas les seuls en France à partager cette approche :
évitant les effets indirects. Très souvent des solutions qui paraissent nous assurons le secrétariat de la Plateforme Française Construction
bonnes à première vue pour le développement durable, s’avèrent au sein de la Plateforme Européenne. Dans la vision de la ville et des
mauvaises quand on va au bout de l’examen. Une grande partie des grandes infrastructures de transport structurantes pour les territoires
experts, scientifiques, et chercheurs pensent qu’il n’est pas à 2030, cette plateforme a clairement identifié la thématique des
possible de faire en même temps de l’espace souterrain et du déve- travaux souterrains. Son Assemblée générale se tiendra le 21 et le
loppement durable. Là où les aménageurs disent : de toute façon, 22 novembre prochains à Versailles. Un atelier est spécialement
on n’a pas le choix, les gens de science ont toujours tendance à consacré au sous-sol : « Underground and Cities below the City ».
penser qu’ils ont le choix. C’est un point à travailler.
Bernard LAMY
TABLE RONDE 3
Je crois que ce message rejoint une préoccupation d’Espace souter- Gilles BROUSSE
rain, c’est la dimension culturelle du sujet, à travers les problèmes Je suis responsable de la mission architecture du SIAAP dont on a
d’éducation. Nous sommes dans un pays où l’on a d’un côté des parlé tout à l’heure et qui réalise effectivement beaucoup de travaux
ingénieurs et de l’autre des urbanistes, des architectes et puis aussi en souterrain, à la fois pour reconstruire ces réseaux, mais aussi pour
une autre profession qui est importante, ce sont les géographes. En certaines des usines d’épuration qui, pour des raisons d’intégration
fait, plus personne n’a une vision globale de ces sujets. Je crois qu’il dans un environnement resserré, sont construites beaucoup en
faut que nous trouvions la voie pour intéresser les géologues à la sous-sol. D’une part, j’ai regardé hier soir l’émission « Voyage au
dimension urbaine et architecturale, et pour intéresser les urba- centre de la Terre » pour me préparer à notre réunion d’aujourd’hui.
nistes à la dimension souterraine des choses. D’autre part, je sais bien qu’il ne faut pas trop de réglementations,
Une de nos inquiétudes à Espace Souterrain et à l’AFTES, c’est que mais le jour où il y aura une réglementation des immeubles de
nous n’avons pas de corpus à enseigner ; on a d’excellents exem- grande profondeur ou au moins d’une certaine profondeur, je crois
ples et de belles réalisations, mais aucun corpus théorique n’est que nous aurons pas mal avancé dans le domaine que nous avons
transmis dans nos écoles. Si certains d’entre vous appartiennent à traité aujourd’hui.
des écoles concernées par le sujet, écoles d’ingénieurs ou d’archi- Yves EGAL émet des doutes sur l’opportunité de réglementer
tecture, il faut que nous trouvions le moyen de développer ce l’espace souterrain : c’est une immense chance que l’espace souter-
corpus et de le transmettre, parce que c’est comme cela que les rain soit libre.
idées vont émerger. C’est à travers les projets des jeunes architectes Il donne l’exemple des deux lignes de transport en commun en
que l’on intéresse les élus, etc. construction à Gennevilliers : l’extension de la ligne 13 du métro et
Espace Souterrain se bat depuis 25 ans ou à peu près pour essayer celle du tramway T 1. Les deux projets ont été conçus ensemble, et
de faire passer l’idée. Il est vraiment important d’amener les élus, les c’est le métro qui va arriver le premier, parce qu’en surface, on a des
professionnels à s’intéresser au sous-sol pour que surviennent ces difficultés énormes avec tout le monde, les associations, les maires,
manifestations. y compris les Verts qui, au nom du développement durable, ont
empêché le tramway de passer parce qu’il fallait un deuxième pont.
La densité est un des vrais grands moments du débat, et Monaco en
a été un moment exceptionnel. Les Monégasques ont été obligés Le développement souterrain s’est toujours fait et se fera toujours, à
d’être intelligents, ce qui est tout de même extraordinaire. La partir du moment où il y a un besoin. Quand Montréal a fait ses
densité rapprochée à la qualité nous apporte des solutions excep- magasins en sous-sol, personne ne s’est posé la question de savoir
tionnelles. Je crois qu’il ne faut pas dissocier le mot de densité du si c’était autorisé, personne ne s’est demandé : est-ce que les gens
mot de qualité, sinon on dérape complètement. Ce sont des débats vont apprécier ? Il y avait un avantage à lutter contre le froid et donc
qu’on a eus d’ailleurs avec beaucoup d’associations environnemen- cela s’est fait. Quand on a fait le métro (à Paris), c’était la même
tales. Oui, la ville durable – si on peut appeler cela comme cela – chose, il y avait un avantage à aller dessous, donc personne ne s’est
passe par une forme de densité qu’il faut savoir accepter ; c’est posé de question.
évident. Le souterrain d’ailleurs s’impose – Monaco en est un exemple
remarquable – à partir du moment où l’espace coûte cher. Pour
l’économiser, on fait du souterrain. Il n’y a besoin de rien d’autre.
Jean-Claude BOUCHERAT Inutile de faire des lois qui vont mettre des entraves.
Nous sommes totalement d’accord et vous connaissez la position Un autre exemple est le projet d’un centre de tri aux Batignolles ;
du CESR, il a inscrit cette infrastructure et nous pensons qu’il faut tout le monde parle de densité, mais les projets parisiens ne sont
effectivement faire cette Orbitale d’une nouvelle génération. C’est pas très denses.
une question de 4 à 6 milliards d’euros, disent certains. On ne va pas
Emile GAUMART (RATP) ajoute à l’exposé de Stéphane Cobo sur
parler de question d’argent, on pourrait se fâcher. Tout à l’heure ont
les pôles d’échange qu’on peut construire des centralités très fortes
été évoquées les trois lettres PPP, il y a du partenariat public - public,
dans un tissu complètement dépassé par les évènements, tout en
mais il y a du partenariat privé - public. Lisez les rapports du CESR, il
évitant l’extension de la grande banlieue. Il pense que le
l’a préconisé depuis 2003 pour les grandes infrastructures en Ile-de-
Métrophérique est un vrai projet qui rendrait de grands services aux
France. C’est quelques fois d’ailleurs un des problèmes.
Franciliens, d’autant mieux qu’il habite cette banlieue et la connaît
Dans ce qu’on disait tout à l’heure, si le monde du souterrain ou du très bien, elle est complètement à reconstruire, cela a été dit. Ce
sous-sol n’est pas écouté, c’est peut-être parce que de temps en projet-là peut faire une très belle synthèse de tous les propos qui ont
temps on confond travaux souterrains, c’est-à-dire le monde de été tenus. Quant à son financement, quand on veut le faire, on trou-
l’entreprise qui fait les travaux souterrains, avec la nécessité urbaine vera l’argent.
de faire des choses en sous-sol. Jacques GAUTHIER souhaite rebondir sur les projets des Batignolles
Donc il faut agir au niveau de la communication pour faire passer et du Métrophérique : Paris possède une infrastructure complète-
des mots comme souterrain ou sous-sol ou des mots comme densi- ment dans le coma, la Petite Ceinture. Or elle arrive aux Batignolles
fication, il faut aujourd’hui faire de la pédagogie et une bonne et les deux grands projets parisiens des Batignolles et du dévelop-
communication, parce que ce sont un peu des mots tabous. pement des 200 hectares du Nord-est parisien l’ont totalement
effacée du sol parisien. Pourquoi à tous les niveaux, depuis l’Etat
jusqu’aux communes, tout le monde ignore-t-il cette infrastructure ?
N ous allons terminer cette après-midi extrêmement riche, féconde, pour laquelle le temps, malheureusement, se révèle trop court au
regard de tout ce que nous avons à dire les uns et les autres. Mais nous avons pu aborder tous les thèmes, il s'en révèle une cohérence
que je vais essayer de dégager.
DEUX MONDES PROFESSIONNELS POUR d'autre part, que l'économie directe d'énergie n'est qu'une des
UN SOUS-SOL UNIQUE dimensions de l'apport possible du sous-sol à la ville, qu'une de ses
qualités intrinsèques.
Nous pouvons être satisfaits, le pari audacieux que nous avons fait
Sont en cause l'étalement urbain autour d'une centralité unique, les
est réussi! Il était de provoquer la rencontre entre deux mondes qui
trop souvent s'ignorent : celui des généralistes de l'aménagement, modes de déplacement, la ségrégation spatiale des fonctions (d'ha-
du développement durable, qui, dans leur grande majorité, mécon- biter, de travailler, …) héritée du zonage, etc… Or, dans la problé-
naissent le sous-sol, et celui des praticiens du sous-sol qui le matique qui était ainsi posée, le sous-sol, ressource particulière,
connaissent, l'utilisent et le transforment, mais en ont, de fait, une s'est imposé comme un des possibles pour réparer la ville,
vision sectorielle. permettre son rééquilibrage et son développement durable.
Cette double entrée dans la problématique du sous-sol, généra-
liste-conceptuelle et sectorielle-pratique, devait permettre de l'ap- NÉCESSITÉ D'UNE VISION ET D'UNE
préhender dans sa globalité. Le thème de notre journée était la
APPROCHE GLOBALES
nécessaire recomposition de la ville pour sa durabilité ; le parti pris
d'introduction dans ce thème étant le réchauffement climatique. L'espace souterrain est apparu dans sa double dimension d'espace
Il est intéressant de noter qu'après la convaincante introduction de technique -à partir de la valorisation de ses qualités de confinement,
Dominique DRON sur le réchauffement climatique, ses consé- d'opacité, de source énergétique-, et d'espace urbain -à la condi-
quences et l'indispensable modification de nos modes de vie et de tion d'en réfléchir l'aménagement de manière globale avec
production pour stabiliser ce réchauffement, paradoxalement, le l'espace aérien et de lui conférer partout la dimension humaine qui
thème de l'économie directe d'énergie par l'utilisation des qualités est l'objet premier de l'urbanisme-.
énergétiques du sous-sol (géothermie ou capacités d'isolation) n'a Avant tout s'impose la nécessité de l'appréhender dans sa globa-
pratiquement pas été abordé. lité, en tant que ressource à préserver et à renouveler, loin de la
Preuve s'il en est besoin, que, d'une part, l'économie directe conception d'espace servant, actuellement en cours, qui le gâche. Le
d'énergie n'est qu'une des dimensions -bien qu'essentielle- de la gâche parce qu'en effet, à quelques exceptions près, nous passons à
durabilité de la ville, que sa recomposition structurelle s'impose côté, voire même nous épuisons cette ressource extraordinaire,
bien dans tous les esprits comme une nécessité incontournable, et, multiple, de matière, d'énergie et d'espace qu'est le sous-sol.