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Année Universitaire 2021 – 2022

Session 2 – Semestre 2
Licence Droit – 2ème année – Division Orsay
DROIT ADMINISTRATIF GENERAL
Cours de Charles VAUTROT-SCHWARZ

Date : 13 juin 2022


Nature de l’Epreuve : Pratique et/ou Théorique
Durée de l’épreuve : 3h
Documents autorisés : néant
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définitive, excepté en cas de force majeure, et l’étudiant doit obligatoirement rendre sa copie avant de quitter la salle. La pause « toilettes » n’est pas un cas
de force majeure, sauf certificat médical en sens contraire.

Traitez, au choix, l’un des deux sujets suivants :

1/ Dissertation :

Acte administratif unilatéral et droit souple

2/ Commentaire d’arrêt :

CE, 25 mai 2022, société Spie Batignolles Ile-de-France, req. n°450003


Conseil d'État

N° 450003
ECLI:FR:CECHR:2022:450003.20220525
Mentionné aux tables du recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. David Moreau, rapporteur
Mme Esther de Moustier, rapporteur public
sarl CABINET BRIARD ; SARL DIDIER-PINET, avocats

Lecture du mercredi 25 mai 2022


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La société Spie Batignolles Ile-de-France a demandé au tribunal administratif de Strasbourg


d'annuler la décision implicite de refus née du silence gardé par la société Citivia SEM sur sa
demande de communication de différents documents relatifs à l'exécution des marchés publics
conclus pour la réhabilitation de la Maison de l'Alsace dans le VIIIème arrondissement de
Paris.

Par un jugement n° 1903236 du 21 décembre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a


rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés


les 22 février 2021, 3 mars 2021 et 31 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil
d'Etat, la société Spie Batignolles Ile-de-France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de la société Citivia SEM la somme de 4 000 euros au titre des
dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme A... de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Cabinet Briard, avocat de la
société Spie Batignolles et à la SARL Didier-Pinet, avocat de la société Citivia SEM ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Spie Batignolles
Ile-de-France a demandé, le 12 juin 2018, à la société Citivia SEM, prise en sa qualité de
mandataire de maîtrise d'ouvrage du département du Haut-Rhin pour la réhabilitation de la
Maison de l'Alsace dans le VIIIème arrondissement de Paris, de lui communiquer les rapports
d'activité mensuels, les rapports aux différentes phases d'étude et les comptes rendus
trimestriels relatifs à l'état d'avancement de l'opération qu'elle a adressés au maître d'ouvrage,
l'ensemble des rapports ou comptes rendus de réunions entre elle et la maîtrise d'oeuvre,
l'ensemble des rapports ou comptes rendus de réunions en sa possession entre la maîtrise
d'ouvrage et la maîtrise d'oeuvre, l'ensemble des correspondances en lien avec les retards
d'exécution du chantier entre elle et la maîtrise d'ouvrage ou la maîtrise d'oeuvre, l'ensemble
des correspondances en sa possession en lien avec les retards d'exécution du chantier entre la
maîtrise d'ouvrage et la maîtrise d'oeuvre, ainsi que l'ensemble des avenants conclus entre elle
et le maître d'ouvrage et, s'ils étaient en sa possession, entre le maître d'ouvrage et le maître
d'oeuvre.

2. S'étant vu opposer un refus par la société Citivia SEM le 12 juillet 2018, la société Spie
Batignolles Ile-de-France a saisi, le 27 juillet 2018, la commission d'accès aux documents
administratifs (CADA), qui, par un avis du 24 janvier 2019, s'est déclarée incompétente. Elle
demande l'annulation du jugement du 21 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de
Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de refus de la
société Citivia SEM de lui communiquer les documents mentionnés au point 1, née du silence
gardé par cette société au terme du délai de deux mois après la saisine de la CADA.

Sur la recevabilité du pourvoi :

3. Si le tribunal administratif de Strasbourg a, par un jugement n° 1903237 du 21 décembre


2020 rectifié le 20 janvier 2021, devenu définitif, ordonné au département du Haut-Rhin de
communiquer à la société Spie Batignolles Ile-de-France dans un délai de deux mois les
éléments mentionnés au point 1, à l'exception des correspondances échangées entre le maître
d'ouvrage, le mandataire de maîtrise d'ouvrage et le maître d'oeuvre, d'une part, cette
injonction a été adressée au département du Haut-Rhin et non à la société Citivia SEM et,
d'autre part, il résulte de l'instruction que le département du Haut-Rhin ne l'a toujours pas
exécutée à la date de la présente décision. Par suite, la société Citivia SEM n'est pas fondée à
soutenir que le pourvoi de la société Spie Batignolles Ile-de-France avait perdu, à la date de
son introduction, tout ou partie de son objet du fait de l'intervention du jugement mentionné
ci-dessus.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Aux termes de l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration : "
Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations
mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les
documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les
conditions prévues par le présent livre ". Aux termes de l'article L. 300-2 du même code : "
Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent
livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les
documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les
collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de
droit privé chargées d'une telle mission (...) ".

5. Indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu reconnaître ou, à
l'inverse, exclure l'existence d'un service public, une personne privée qui assure une mission
d'intérêt général sous le contrôle de l'administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives
de puissance publique est chargée de l'exécution d'un service public. Même en l'absence de
telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi,
comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l'intérêt général de son
activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux
obligations qui lui sont imposées ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier que les objectifs
qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l'administration a entendu lui confier une
telle mission.

6. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que, pour écarter l'existence d'une mission
de service public gérée par la société Citivia SEM, le tribunal administratif s'est borné à
constater que le département du Haut-Rhin n'avait confié à cette société aucune prérogative de
puissance publique, sans rechercher si, en l'absence de telles prérogatives, elle ne pouvait pas
également être regardée comme assurant une mission de service public eu égard à l'intérêt
général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son
fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu'aux mesures prises pour
vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints. En statuant ainsi, le tribunal
administratif a commis une erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du
pourvoi, que la société Spie Batignolles Ile-de-France est fondée à demander l'annulation du
jugement qu'elle attaque.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des
dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur les conclusions de première instance de la société Spie Batignolles Ile-de-France :

9. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de contrôler la


régularité et le bien-fondé d'une décision de refus de communication de documents
administratifs sur le fondement des dispositions des articles L. 311-1 et L. 311-2 du code des
relations entre le public et l'administration. Pour ce faire, par exception au principe selon
lequel le juge de l'excès de pouvoir apprécie la légalité d'un acte administratif à la date de son
édiction, il appartient au juge, eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de
prendre en compte l'écoulement du temps et l'évolution des circonstances de droit et de fait
afin de conférer un effet pleinement utile à son intervention, de se placer à la date à laquelle il
statue.

10. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 2422-5 du code de la
commande publique : " Dans la limite du programme et de l'enveloppe financière
prévisionnelle de l'opération qu'il a arrêtés, le maître d'ouvrage peut confier par contrat de
mandat de maîtrise d'ouvrage à un mandataire l'exercice, en son nom et pour son compte, de
tout ou partie des attributions mentionnées à l'article L. 2422-6, dans les conditions de la
présente section ". Aux termes de l'article L. 2422-10 du même code : " Le mandataire
représente le maître d'ouvrage à l'égard des tiers dans l'exercice des attributions qui lui ont été
confiées. / Cette représentation s'exerce jusqu'à ce que le maître d'ouvrage ait constaté
l'achèvement de la mission du mandataire dans les conditions définies par le contrat ".

11. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 2422-10 du code de la commande


publique que le mandataire de maîtrise d'ouvrage d'une des personnes mentionnées à l'article
L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration, qui agit en son nom et pour
son compte, est tenu, en application de l'article L. 311-1 du même code, et tant que sa mission
n'est pas achevée, de communiquer aux tiers les documents administratifs qu'il a produits ou
reçus dans le cadre de l'exercice de son mandat, dans les conditions prévues par le livre III
dudit code.

12. Il ressort des pièces du dossier que les documents mentionnés au point 1 se rapportent
tous à l'exécution de marchés publics et ont, par suite, le caractère de documents
administratifs au sens de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et
l'administration. La société Citivia SEM ne conteste pas qu'elle les a produits ou reçus dans le
cadre des attributions qui lui ont été confiées par le département du Haut-Rhin. Il résulte par
ailleurs de l'instruction qu'elle n'a pas, à la date de la présente décision, reçu quitus de sa
mission par le département du Haut-Rhin. Par suite, en application de ce qui a été dit au point
11, la société Citivia SEM était tenue de communiquer les documents demandés dans les
conditions prévues par le livre III du code des relations entre le public et l'administration.

13. En second lieu, aux termes du f) du 2° de l'article L. 311-5 du code des relations entre le
public et l'administration, ne sont pas communicables les documents dont la consultation ou la
communication porterait atteinte " au déroulement des procédures engagées devant les
juridictions ou d'opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par
l'autorité compétente ". Il résulte de ces dispositions, eu égard à l'exigence de transparence
imposée aux personnes mentionnées par l'article L. 300-2 du code des relations entre le public
et l'administration, que la seule circonstance que la communication d'un document
administratif soit de nature à affecter les intérêts d'une partie à une procédure juridictionnelle,
ou qu'un document ait été transmis à une juridiction dans le cadre d'une instance engagée
devant elle, ne fait pas obstacle à la communication par les personnes précitées de ces
documents ou des documents qui leur sont préparatoires. En revanche, pour assurer le respect
tant du principe constitutionnel d'indépendance des juridictions, qui découle de l'article 16 de
la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, que de l'objectif de valeur
constitutionnelle de bonne administration de la justice, résultant des articles 12, 15 et 16 de
cette Déclaration, le législateur a entendu exclure la communication des documents
administratifs, sauf autorisation donnée par l'autorité judiciaire ou par la juridiction
administrative compétente dans l'hypothèse où cette communication risquerait d'empiéter sur
les compétences et prérogatives de cette autorité ou de cette juridiction.

14. La société Citivia SEM fait valoir que les documents demandés ne sont pas
communicables en application des dispositions précitées de l'article L. 311-5 du code des
relations entre le public et l'administration au motif que leur communication porterait atteinte
au déroulement de la procédure d'expertise diligentée par le tribunal de grande instance de
Paris le 13 mars 2015 pour déterminer les causes des retards ayant affecté l'opération de
réhabilitation de la Maison de l'Alsace et au déroulement de la procédure en cours relative au
séquestre des documents concernés ordonné par le président tribunal judiciaire de Mulhouse
le 27 août 2021. Toutefois, d'une part, la communication à la société Spie Batignolles Ile-de-
France des documents demandés n'est pas de nature à empiéter sur les compétences et
prérogatives du juge chargé du suivi de l'expertise diligentée par le tribunal de grande instance
de Paris en 2015, dont il résulte d'ailleurs de l'instruction qu'elle a donné lieu à un rapport
remis par l'expert au mois d'octobre 2019. D'autre part, il ressort des termes de l'ordonnance
du 27 août 2021 du président du tribunal judiciaire de Mulhouse que la procédure de
séquestre en cours invoquée par la société Spie Batignolles Ile-de-France porte sur des
documents enregistrés ou reçus entre le 30 décembre 2020 et le 1er juillet 2021, et non sur les
documents relatifs à l'exécution de l'opération de réhabilitation de la Maison de l'Alsace dont
la société a demandés la communication à la société Citivia SEM le 12 juin 2018 et qui font
l'objet du présent litige.

15. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de prononcer sur les autres moyens de la
requête, que la société Spie Batignolles Ile-de-France est fondée à demander l'annulation de la
décision par laquelle la société Citivia SEM, agissant au nom et pour le compte du
département du Haut- Rhin, lui a refusé la communication des documents mentionnés au
point 1.

16. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : "
Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un
organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure
d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit,
par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ". Aux
termes de l'article L. 911-3 du même code : " La juridiction peut assortir, dans la même
décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte
qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet ".

17. La présente décision implique que la société Citivia SEM communique à la société Spie
Batignolles Ile-de-France les documents mentionnés au point 1 qui sont en sa possession. Il y
a lieu, par suite, d'enjoindre à la société Citivia SEM de procéder à cette communication dans
un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision. Dans les circonstances
de l'espèce, il y a lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte de 500 euros par jour de retard.

Sur les frais de l'instance :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce
qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Spie Batignolles Ile-de-France, qui
n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de
l'espèce, de mettre à la charge de la société Citivia SEM une somme de 4 000 euros à verser à
la société Spie Batignolles Ile-de-France au titre des mêmes dispositions.

DECIDE:
--------------
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 21 décembre 2020 est
annulé.
Article 2 : La décision par laquelle la société Citivia SEM a refusé de communiquer à la
société Spie Batignolles les documents relatifs à l'opération de réhabilitation de la Maison de
l'Alsace mentionnés au point 1 de la présente décision est annulée.
Article 3 : Il est enjoint à la société Citivia SEM, agissant au nom et pour le compte du
département du Haut- Rhin, de communiquer les documents sollicités à la société Spie
Batignolles Ile-de-France dans un délai de deux mois à compter de la notification de la
présente décision.
Article 4 : Une astreinte de 500 euros par jour est prononcée à l'encontre de la société Citivia
SEM s'il n'est pas justifié de l'exécution de la présente décision dans le délai mentionné à
l'article 3. La société Citivia SEM communiquera à la section du rapport et des études copie
des actes justifiant des mesures prises pour exécuter la présente décision.
Article 5 : La société Citivia SEM versera à la société Spie Batignolles Ile-de-France une
somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Les conclusions présentées par la société Citivia SEM au titre des dispositions de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à la société Spie Batignolles Ile-de-France et à la
société Citivia SEM.
Copie en sera adressée à la section du rapport et des études.
Délibéré à l'issue de la séance du 9 mai 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président
adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, M. Frédéric Aladjidi
présidents de chambre, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, Mme Anne Egerszegi, M.
Thomas Andrieu, M. Alain Seban, conseillers d'Etat, et M. David Moreau, maître des
requêtes-rapporteur.

Rendu le 25 mai 2022.

Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :
Signé : M. David Moreau

La secrétaire :
Signé : Mme Naouel Adouane

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