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Membres honoraires Membres corporatifs (1 000$ et plus)

Mgr Jean-Guy Couture Société d'électrolyse et de chimie Alcan Ltée (1985)


Mgr Marius Paré Ville de Jonquière (1986)
Mgr René Bélanger Raymond, Chabot, Martin, Paré et Associés (1986)
M. Robert Bergeron Fédération des caisses populaires Desjardins-Métabetchouan (1987)
Me Marcel Claveau Commission scolaire de Chicoutimi (1986)
Société d'électrolyse et de chimie Ville de Saint-Félicien (1987)
Alcan Ltée Entreprise d'électricité Grimard Inc. (1988)
Caisse populaire de Kénogami ( 1988)
Fondation Thomas-Léon Tremblay (1989)
Raoul Blackburn Ltée (1971) (1989)
Ville de Roberval (1989)
Ville de Dolbeau (1989)
Membres à vie (500$ et plus) M. Jean-Paul Tremblay (1989)
Les Augustines de la Miséricorde de Jésus-Jonquière (1989)
M. Jean-Maurice Coulombe Ville de La Baie (1990)
M. Maurice Ouellette M. Gilles Tremblay (Syndic) (1990)
M. Paul-André Bergeron, C.A. M. Gilbert Gravel (1990)
M. Georges-H. Perron M. Jacques Tardif (1992)
M. Gérard Gaudreault Fondation Mathew Ralph Kane (1992)
M. Rosario Desbiens Fondation Asselin (1993)
M. Roger Larouche Compagnie Impériale Esso (1993)
M. Paul-E. Lemieux Ville de Chicoutimi (1993)
Mme Gertrude Tremblay Le Groupe Riverin (1993)
Dr Jean-Charles Claveau Monastère des Augustines de la Miséricorde de Jésus (1994)
M. René Tremblay Hommage à nos bâtisseurs (1997)
M. Réal Lévesque
M. Jean-Hugues Tremblay
Mme Annette S. Fortin
Me Claude Gauthier
Membres bienfaiteurs (50$ à 499$)
Scierie Saguenay M. Benoît Dumont M. Jacques Coutu
M. Bernard Pelletier Mme Michelle Harvey M. C. A. Gauthier
M. Patrick Lapointe Mme Marcelle Pannunzio M. Louis Gauthier
M. Paul Murdock Dr Jean Mathieu M. Alayn-C. Larouche
M. Gilles Rinfret Dr Yves Savard Dr Louis Bélanger
M. Gérard Tremblay Dr François Tremblay Mme Jeannine Dufour Boucher
M. Roger Larouche Mme Rachel Bergeron M. Jean-Marc Patoine
Abbé Jean-Paul Vincent Mme Laurette Angers Mme Antoinette Brassard
Dr Richard Harvey M. Aimé Gagné
M. Desmond Hudson M. Rémy Roussel
Mme Marie Dharmalingan
M. Jean Lacasse
M. Joseph-Albert Perron

Membres de soutien (25$ à 49$) M. Jacques Gagnon Mme Élizabeth Murdock


M. Jean Gagnon, C.A. Dr Alyre Picard
Mme Olivette Babin Dr Maurice Gagnon M. Claude Potvin
M. Raoul Bastarache M. Victor Gagnon Dr Claire Saint-Pierre
M. me Jacqueline Beaulieu M. Antonio Gauthier Mme Hélène Savard-Jacob
M. Paul-A. Beaulieu M. François Gilbert M. Laurent-Yves Simard
M. Charles-Henri Bergeron M. Laurent Gobeil M. Robert Simard, ptre
M. Claude Bergeron M. Fernand Gravel Mme Geneviève Talbot
M. Gaston Blackburn, ptre M. Joseph Gravel M. André-Gilles Tremblay
M. Ulric Blackburn Mme Jeanne B. Grenon Mme Lise Tremblay
M. Paul-Émile Carrier M. Julien Grenon Mme Pierrette Vézina
M. Roger Côté M. Charles Jalbert M. Gérard Villeneuve
Mme Marthe Delisle M. Jacques Lambert M. Raymond Labbé
Mme Jacqueline Laprise-Demers M. Benoît Larouche M. Pierre de Champlain
M. Thomas Donohue Mme Rose-Marie Lavoie Srs Augustines de la Miséricorde (Rob.)
R. P. Albert Dumont M. Marcel LeBlanc Mme Jeannine Tardif-Hébert
M. Olivier Fillion M. Raymond Lemieux M. Fernand Gagnon
M. Jacques Fortin M. Camille Lévesque, ptre Mme Andrée Boily
Dr Armand Gagnon M. Alyre Martin

La Société historique du Saguenay tient également à remercier ceux et celles qui donnent des montants moindres.
Cependant, lorsque ces montants sont de 15$ ou 20$, nous fournissons un reçu pour usage fiscal.
§agu�nay�n§flé8l
PUBLIÉE PAR LA SOCIÉTÉ HISTORIQUE DU SAGUENAY
Fondée en 1959 par Mgr Victor Tremblay
Volume 39, numéro 3, Juillet - septembre 1997

Sommaire
2 Éditorial
3 Un voyage au lac Mistassini en 1884
par Marcel LeBlanc

19 Saint-François-Xavier: deux chapelles,


une église, trois cathédrales
par Jérôme Gagnon

31 Aspects de la préhistoire du lac de la Belle Rivière


par Geneviève Gauthier, Frédéric Côté et Érik Langevin

35 Études archéologiques dans la région du lac Vert et du


lac Kénogamishish: les sites DcEv-6 et DcEv-8
par/oane Dallaire, Frédéric Gagnon, Marie-Andrée Boivin
et Erik Langevin

Chroniques:
39 À travers les archives
41 Comptes rendus
43 En bref
45 Sites et monuments de la Sagamie

Ce numéro a été produit sous la responsabilité de Jean-François Hébert

La Fondation Monseigneur-Victor-Tremblay Inc.


Conseil d'administration
Me Marcel CLAVEAU, président M. Jean-Claude BEAULIEU, directeur
M. Gilbert GRAVEL, 1 er vice-président M. Jean GAGNON, directeur
M. Eddy LALANCETTE, 2 e vice-président M. Jean LAFLAMME, directeur
M. Charles TREMBLAY, trésorier M. Benoît LALANCETTE, directeur
M. Roland BÉLANGER, secrétaire M. Paul-E. LEMIEUX, directeur
M. Pierre BERGERON, directeur M. Georges-Henri PERRON, directeur

Saguenayensia- juillet - septembre 1997 1


.,
Saguenayensia
Comité de l'édition
Editorial
Directeur:
Jean-François Hébert

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Secrétaire:

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1
Évode Pelletier
Membres:
Roland Bélanger, Louise Bouchard, Dany C9té,
Jérôme Gagnon, Sylvain Gaudreaylt, Erik
Langevin, Jean-François Moreau, Elizabeth
Patry
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Révision des textes et épreuves:
Roland Bélanger, Jean-François Hébert, René
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ni�� $�tnî�îµî.l(! ;i19n ,1�µv� gf � �ii�r �n� � mifqµ� �Bn �ppqµg �r�§e
Laberge, Raymond Lemieux, Guy Tremblay
Conception graphique et montage: �çfüçµfË�•t� ,i rtl�ffi2p;Ê �!t2ut! ün; pppµl�tigr: i p� îp9��iii;f� si�t�tr
Jean-François Hébert
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Conseiller en communication :
· d�J�ffif\!§yy]{
Jean Laflamme
Impression:
Imprimerie Commerciale

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La Société historique du Saguenay Î5Ôe
Conseil d'administration:
M. Paul-E. Lemieux, président
M. Réal Lévesque, 1 er vice-président i � t ,i1 t!i t� ; �(l
M. Alex Tremblay, 2 e vice-président
M. Jacques Chouinard, C.A., trésorier
M. Rosaire Villeneuve, secrétaire Comment expliquer une telle ferveur de la population pour cette forme
Mme Louise Bouchard, directrice
Mme Mimi Constance Couture, directrice de spectacle?-N~us croyons qu'il s'agit d,une manière extraordinaire de
Me Gaston Allard, directeur rendre l'histoire vivante, d'y passer des messages sans heurts et de la rendre
M. Val Rasmussen, directeur
· · ••�sc���!jJG · ··��f• •i�. . P!�9•··!ti�ttil t·· cqlJ11UeIÎl .�;��}9�·• ti!§!•·•·�•�·•·•�.Oif�e? Çat;.•S·'.x�t

;c1,tiil!!li�lli�J1i1ttrfîi!;�!r�:l�i�f�iltriJ�l�!
M. Roland Tremblay, directeur
1

.
Conseillers:
Dolbeau: M. Joseph-A. Perron . tr�°1�9��!iêI?�êtâts�rinI�i11ç1neniie l oisir4e. �écc. fay!ir.Ri�ndecompl}q�é.
Hébertville: Mme Annette Fortin Tout paj-a.î(si siqïpl�. Mais ë'èst lâ le tal entde l'aufour et. Je �avoir-faire.fun
Métabetchouan: M. Denis Marcoux ·
Normandin: M. Gérald Bélanger honimê de thêâtre..···. · .
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Roberval: M. Gérard Guay
Saint-Félicien: Mme Gemma Lepage
Shipshaw: M. J.-M. Coulombe . . ÇÊg�mË �Ë > çr�{ltjgn �stMnftppgrt préciçllJC PQllf:4�veJppper le go�t ge
.
·•·• · 1·fü§tgit,� �t iY$§{� RQllffiUQÎ f)(ts; d�v�lqppel"ull� �Jinê êGr�9sité et-le bçsqin
Archiviste: . . . . . .
Roland Bélanger êf ê� �ayplt: <Jix�fü�ge. ... . . .. .. ........ . ... . ·.· · .. .. ·•.·. ·••.• •.· . ··.··.• •· . ·•.•· ·. .·.·.·.·. .
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Personnel bénévole:
M. Albert Larouche, M. Léon Garnache �p�s Îfr()ttçp{ dy l 'Ôcçlsion pour sou lignçr J� mérite de Ghislain
. �puçp ijd Ët sfüî appoJ1 danfl�piffusion d� la çonp'1issance historique. Les
gr�4e,. ifré�qq��Jü�toriquçs�emeurent sans contestepne m�ère hautement
p�cJ#iôiigp� ��Jrure ge . n1�;t01re.

2 Saguenayensia- juillet - septembre 1997


Au Canada, en 1885, pendant que subséquents qui s'y rendirent, il y a le Monsieur Bignell doit cependant
la population francophone déplore la Père Charles Albanel en 1672, le Père attendre au 13 mai 1884 avant de
pendaison de Louis Riel et que, la Crespieul en 1674, l'arpenteur Louis recevoir des instructions qui le placent
même année, tous les Canadiens se Jolliet en 1679, les frères Joseph et sous l'autorité bizarre et incongrue
réjouissent de l'arrivée du chemin de Jean-Baptiste Dorval en 1728 et les d'un fonctionnaire fédéral,Alfred R.C.
fer aux rives de l'océan Pacifique, en nombreux gardiens des postes dont Selwyn, directeur de la Commission
diversion, l'opinion publique se Jérôme Saintonge et autres qui se sont géologique. Même si le gouvernement
passionne à propos des dimensions succédé, le Père Laure en 1733, le d'Ottawa paie la moitié des frais7 de
d'un élément hydrographique majeur botaniste André Michaux en 1 792, l'expédition, on peut sûrement parler
dans le Grand Nord. Les journaux de James McKenzie de la Compagnie du ici d'un empiètement sur les préroga­
Québec provoquent une telle agitation Nord-Ouest en 1808,Joseph Bouchette tives du gouvernement provincial.
au sujet des mystères du lac Mistassini fils en 1829, le géologue James
que même la presse de la ville de New Richardson en 1870, le géologue Puisque le but principal du voyage
York y fait écho1 • Walter McOuat en 1871, le professeur est de mesurer enfin le légendaire lac
Galbraith de l'Université de Toronto des Mistassins, on devrait normale­
À la suite de la récente expédition en 18825 • ment s'y rendre par des chemins connus
d'un arpenteur-géomètre, John et déjà arpentés, soit par les rivières
Bignell, accompagné du géologue En dépit de ce long passé inscrit Ashuapmushuan ou Mistassini qui se
Albert Peter Low, chacun d'eux vient dans de nombreux et méticuleux jettent dans le lac Saint-Jean. Autre
de publier un rapport 2 dont les rapports, le lac Mistassini n'a quand facette bizarre des instructions: au lieu
conclusions sont contradictoires quant même jamais été mesuré officiellement d'emprunter cette route estimée à 325
aux dimensions du lac: c'est la et la population en général n'en connaît km, on demande à Bignell de monter
confusion concernant cette immense que des contes et des légendes. Plus par la rivière Betsiamites, soit un
étendue faisant partie d'un château les mythes se répandent, plus la voyage estimé à 840 km, plus du
d'eau à l'origine de la rivière Rupert; curiosité est en éveil à ce sujet. C'est double,et en terrain inconnu. La raison
le lac Mistassini est devenu comparable ainsi qu'en 1883, à la suite d'une invoquée, c'est qu'on désire rattacher
en longueur et en superficie au lac campagne d'opinion lancée par la l'arpentage du lac Mistassini à celui
Supérieur. Des blagueurs vont jusqu'à Société de Géographie de Québec, le du lac Pipmuacan. De toute façon,
le dénommer «mer intérieure de gouvernement provincial et l a Bignell n'a pas à discuter des instruc­
Bignell» et d'autres affirment sérieu­ Commission géologique d'Ottawa tions préparées par le sous-ministre E.­
sement qu'on pourrait même y pêcher décident conjointement d'y faire E. Taché des Terres de la Couronne8 à
des poissons de quatre mètres3• e n t r ep r e n d r e u n e e x p l o r a t i o n Québec et approuvées par M. Selwyn
scientifique. Pour une énième fois, on à Ottawa.
Pourtant,le lac Mistassini est pour allait découvrir le lac Mistassini. C'est
ainsi dire connu depuis toujours. Il y a c e qu'annoncent de nombreux John Bignell, arpenteur-géomètre
quelques millénaires,dès la disparition iournaux du Québec en juillet 18836 • et arpenteur fédéral,admis à la pratique
du dernier glacier, des hommes A ce qu'on y lit,le réputé John Bignell, de sa profession au Québec en 1844,
s'établissaient à proximité de ses rives arpenteur-géomètre de Québec,sera en appartient à une vieille famille anglai­
ou, du moins, ils y passaient à charge de l'expédition avec Monsieur se, qui compte des professionnels dont
l'occasion. E. Coste,de l'Ecole des Mines de Paris, le notaire William Bignell dans
comme assistant. Monsieur Napoléon­ l'ancienne cité de Champlain.
En 1663, seize ans après la venue Alexandre Corneau, de Sept-Iles, se Possédant une force herculéenne et
du Père Jean Dequen au lac Saint-Jean, joindra à l'équipe à titre de naturaliste. champion de tire-au-poignet(bras-de­
Guillaume Couture, Denys Guyon, Ce voyage, dont le coût serait défrayé fer),il a même suivi des leçons de boxe
Couillard Després,François Pelletiet4, par les gouvernements fédéral et à l'époque où il étudiait le droit, avant
Laurent Dubeau et d'autres auraient provincial, serait organisé sous les de s'orienter vers les mathématiques
découvert le lac Mistassini, sillonné auspices de la Société de Géographie e t l ' a r p e n t a g e9• C o n n a i s s a n t
depuis si longtemps par de nombreuses de Québec dont le président est le parfaitement les langues anglaise et
tribus. Parmi les voyageurs officiels colonel William Rhodes. française, sa longue expérience

Saguenayensia- juillet - septembre 1997 3


Pourquoi n'avait-on n'arrivera au lac Onistagane que le 16
pas autorisé deux équipes octobre et l'équipe d'arpentage le 2313•
différentes et indépen­
dantes l'une de l 'autre? À la mi-juillet 1884, alors que
Frank Bignell remonte déjà l'Ashuap­
Semble-t-il que John mushuan, l'arpenteur John Bigne Il
Bignell jouit encore d'une reçoit enfin des nouvelles du gérant de
excellente santé et qu'il la Compagnie de la Baie d'Hudson à
nourrit toujours la passion Bersimis. Il lui apprend que la rivière
des découvertes, mais son est alors facilement navigable et que la
expérience lui enseigne de plupart des chasseurs de l'endroit sont
procéder lentement et avec de retour de leur dernier hiver de
prudence. A. P. Low, au chasse. Il expédie alors ses équipe­
contraire, manifeste ments, instruments, bibliothèque 14,
l'impatience de son âge et planche à dessin, canots et provisions
il est anxieux de faire ses sur une goélette dans le port de Québec;
preuves. Aussi, arrive-t-il elle part le 18 juillet et les chefs de
à Québec dès le 12 juin avec l'expédition doivent la rejoindre à
l'espoir que le départ pour Rimouski le 20 juillet.
le voyage est imminent.
Bignell refroidit alors ses Le 19 juillet, à 16 hres, John
ardeurs en l'avisant que Bignell, Albert Peter Low et deux
plusieurs détails sont techniciens s'embarquent à Lévis sur
encore à planifier et qu'il un train express de l'Intercolonial en
n'est pas question de quitter route pour les Maritimes.
Québec avant de recevoir
certains renseignements de Pendant que, sur des banquettes
Betsiamites. En plus des différentes, A. P. Low lit un roman de
conflits de générations et de Charles Dickens, Bignell parcourt les
L'arpenteur-géomètre John Bignell. professions, il y a entre les journaux du jour, le Montreal Star, le
Source: ANQC, coll. de la SHS, carton 9758. deux hommes des différen- Journal de Québec ou le Morning
c e s d e t e m p é r a m e n t , Chronicle tout en sirotant un léger
d'explorateur lui a également permis d'approche, d e méthode et fort tonique de whisky blanc.
de maîtriser plusieurs dialectes probablement des préjugés.
amérindiens. Il possède une excellente
renommée d'homme de science, mais Afin de s'assurer de
il est surprenant que les gouvernements trouver des provisions à son
décident de confier une mission si arrivée au lac Mistassini,
importante et même périlleuse à un l'arpenteur y délègue son
vieillard de 67 ans10 • Pourquoi n'est-il fils Frank H. Bignell, qui
pas assisté de son fils, le lieutenant­ part de Québec à la fin de
colonel John Georges Bignell, âgé de juin pour se rendre d'abord
trente-quatre ans, lui aussi arpenteur au moyen d'un vapeur à
depuis 1876 et ayant son propre bureau Chicoutimi et ensuite au lac
à Lévis11 ? Au contraire, on lui impose Saint-Jean en voiture à
comme assistant un jeune géologue de cheval par le chemin de
vingt-trois ans, Albert Peter Low, Ké n o g a m i . D a n s u n e
d'Ottawa; Canadien anglais né à flottille de canots conduits
Montréal en 1861, il est depuis 1882 par dix-huit Montagnais,
un bachelier ès sciences appliquées Patrick Cleary, Prospère
wi th first honor de l'Université Cleary et autres, il quitte
McGill12• Pointe-Bleue en juillet.
Après avoir remonté les
Dès le départ, cette expédition vers rivières Ashuapmushuan et
le Grand Nord est ainsi planifiée avec du Chef, il arrive au lac
de sérieux irritants: ingérence d'un Mistassini à l'automne. Il
gouvernement par rapport à l'autre, de revient au lac Saint-Jean en
nombreux travaux prévus à l'intérieur octobre mais, cette fois, en
d'un seul mandat, route trop longue passant par la Témiscamie
avant d'atteindre l'objectif principal, et la Péribonca, dans
un arpenteur-géomètre soumis d'une l'espoir de rencontrer son
part à obéir à un géologue et d'autre père; cette tentative ne lui Le géologue Albert Peter Low.
part à commander un autre géologue. réussit pas car M. Low Source: ANQC, coll. de la SHS, carton 5006.

4 Saguenayensia- juillet - septembre 1997


. À 22 heures, l'équipe descend sur entamer leurs provisions,
le quai de la gare à Rimouski et chacun l'équipe de Québécois
s'empresse de se rendre à l'hôtel pêche un peu chaque jour
Lingan, à proximité. Le lendemain, les et se nourrit de fritures
voyageurs prennent un cocher pour d'éperlans. À l'occasion,
aller s'inscrire à l'hôtel Lavoie, près Low et les jeunes chaîneurs
de l'endroit où il faut attendre la ou hommes de mire
goélette, dans le faubourg du quai de s'éloignent en mer pour
Rimouski. aller chercher de la morue
ou du hareng pris au filet;
Retardée par du mauvais temps et pendant ce temps, Bignell
un fort vent d'est, la goélette n'entre se rend parfois taquiner le
au port que cinq jours plus tard, soit le saumon dans la rivière.
vendredi 25 juillet, une semaine après
son départ de Québec. Tous ces retards Le géologue Peter Low
indisposent le jeune Peter Low pour brûle toujours de la même
qui l'oisiveté est insupportable. Est-ce impatience et ces délais le
une prémonition des difficultés et des font souffrir. Enfin, le lundi
longues attentes qui deviendront le lot 11 août, après une longue
des explorateurs? On s'embarque semaine d'inaction en
aussitôt, mais on n'arrivera à Bersimis bordure de la grève, il
que le samedi 26 au matin pour lever s'embarque avec deux
un campement à proximité du quai. guides et un canot sur le
Bignell s'occupe dès lors de rencontrer petit vapeur qui fait le
les guides montagnais dont il a requis service entre la scierie du
les services. Bien que ces hommes bord du fleuve et les chutes,
soient de vieille souche amérindienne, distantes de 58 km. Bignell
ils portent les noms français de Moreau, lui a fait promettre d'at­
Volant, Hervieux, Bacon, Vachon, tendre le reste de l'équipe à
Picard, Lafontaine et autres. Il y a ce premier portage, dans le Une goélette échouée à Saint-Jean, J.O. Même si cette
même parmi eux le jeune Siméon canton actuel de Villejouin photographie représente mal la réalité, elle indique
Raphaël, de Pointe-Bleue, alors âgé de ou au barrage Bersimis 2 17 • fort bien le modèle d'embarcation qui a servi longtemps
pour le transport des marchandises et des passagers
dix-sept ans 15 • Ils sont vivement sur le fleuve Saint-Laurent.
i n t é r e s s és à c e t t e e x p é d i t i o n Le dimanche 16 août, Source: Raymond Létqurneau, Un visage de 1 'Ile
d'arpentage où leurs connaissances après la messe du curé d'Orléans, Saint-Jean, Edition privée, 1979, p. 107.
topographiques et géographiques sont Charles Arnaud o.m.i.,
indispensables, mais comme ils sont à quatre hommes conduisant
peine de retour de leur dernière saison deux autres canots de provisions Painkiller (térébenthine) pour des
de chasse, ils espèrent que l'arpenteur partent pour le lac Pipmuacan. Et «ponces» chaudes, quelques outils
retardera son départ le plus longtemps finalement, le mardi 19 août, un an dont une gouge pour des marques sur
possible. Le paiement qu'ils retireront après avoir été autorisé à entreprendre les arbres et un couteau croche, une
de ces travaux les intéresse plus ou cette exploration et trois mois et demi trousse d'urgence avec une alène et du
moins car, en parallèle avec les après la réception des dernières ligneul, des agrès de pêche dont un filet,
pêcheurs de la Gaspésie envers la instructions, c'est le départ définitif de un fusil, une carabine, cartouches et
Compagnie Robin, Jones & Whitman, John Bignell et de ses derniers hommes balles, fil de laiton, etc.
cet argent ira presque entièrement à la dans quatre canots bien chargés. Il y a
Compagnie de la Baie d'Hudson pour en tout sept embarcations et dix-huit Et voilà entrepris un voyage qui
y éteindre leurs dettes perpétuelles. hommes. Les provisions consistent en devrait durer de douze à dix-huit mois.
quarts de lard dans la saumure, sacs de Si Peter Low est à l'aurore de sa carriè­
De toute façon, ils ne peuvent farine, pois, fèves, quelques chaudières re, John Bignell doit sûrement réaliser
entreprendre l'expédition immédiate­ de graisse pour varier le menu, des un de ses derniers rêves d'explorateur:
ment car certains leaders indispensa­ oreilles de crisse, sel fin, thé, sucre et
bles ne sont pas de retour de leur voyage de la poudre à pâte, le tout calculé en C'est l'aviron
d'hiver et, de plus, la grande fête an­ quantité homme/jour 18 • Dans les ballots qui nous mène en haut!
nuelle des Montagnais, l'Assomption de provisions, on a inclus quelques
du 15 août, n'est pas encore célébrée. boîtes de chandelles de paraffine pour Envoyons d'l'avant nos gens!
D'autres participants doivent renoncer utilisation parcimonieuse des chefs
à regret à leur pèlerinage traditionnel à d'équipe durant leurs soirées de travail. Envoyons d'l'avant les voyageurs!
Sainte-Anne-de-Pointe-au-Père 16 • Il est bien entendu que les guides
Néanmoins, tous les engagés de s'éclaireront à la lueur de leurs poêles. C'est l'histoire millénaire des
Bignell s'occupent à fabriquer des Parmi les autres menus équipements, Amérindiens et l'épopée séculaire des
raquettes, des mocassins d'orignal et il y a une pharmacie contenant exploratçurs canadiens qui se poursuit.
divers équipements.Afin de ne pas trop invariablement quelques bouteilles de C'est l'Enéide, ou mieux, l'Iliade et

Saguenayensia- juillet - septembre 1997 5


excitées qui sautent à gauche et à droite,

CANADA
des canards effarouchés qui fuient à
tire-d'aile et même parfois une femelle
orignal et son jeune, qui broutent des
rhizomes de nénuphars au fond d'une
baie, tandis que des libellules égarées
voltigent et vrombissent autour des
rameurs.
L o r s q u ' i l faut descendre à
l'approche d'un portage, l'autochtone,
homme libre et qui ne ressemble en
rien à l'ex-batelier de la Volga, fera
preuve à nouveau de sa fierté, de son
talent et de son habileté. Les charges
qu'il peut porter sur son dos varient de
200 à 400 livres de pesanteur. Avant
de se coiffer du canot lourd et humide,
il prendra sur ses épaules deux sacs de
farine d� cent livres chacun ou un quart
de lard. A d'autres occasions, il s'impo­
sera deux poches de fèves de 120 livres
En remontant la rivière. chacune, un sac de farine de 100 livres
Source: Carte postale, coll. de l'auteur. et une chaudière de graisse au sommet.
Qui dit mieux!
l'Odyssée servis à la moderne dans un plonge sa pagaie dans l'eau, la proue
décor moins fabuleux mais tout aussi de son embarcation lève tandis que la Pendant que les guides se défient
poétique. poupe laisse une traînée blanche dans les uns les autres avec des charges de
l'onde noire de la rivière. Le chef de plus en plus lourdes, Bignell prend des
L'équipe au complet, avec un file ne doit jamais permettre à ses mesures et pose des repères. Lorsque
homme de plus engagé avec son canot congénères de le dépasser, même qu'ils l'arpenteur atteint l'extrémité du
aux environs du lac Waweashton, doivent jalousement conserver la portage avec son ouvrage, le reste des
arrive au lac Pipmuacan le 10 distance initiale qui les sépare. C'est bagages et provisions y arrivent en
septembre; Bignell a dû voyager 23 ainsi que la flottille se dirige vaillam­ même temps que lui. On profitera de
jours pour franchir une distance de 164 ment vers le Nord. Les non-initiés ne l'occasion pour préparer le repas du
km. Peter Low n'a pas respecté la pourraient entendre que le bruit midi. Ayant parfois au menu des filets
consigne d'attendre au premier portage cadencé des avirons et le clapotis sur de truites, ou un steak d'orignal avec
et ainsi il y eut moins d'hommes pour les flancs des canots, mais pour l'oeil les perpétuelles grillades de lard, il y
transporter les ballots dans les et l'oreille exercés de l'homme des aura toujours d'excellentes tasses de
nombreux portages variant de 100 bois, il y a tantôt des truites voraces et thé fort trois bouillons, de même que
mètres à 16 km, principalement entre
la décharge du lac Brochet (au lac
Waweashton) et le lac Cassé; de plus,
un peu partout sur la rivière, les forts
courants ralentissaient la vitesse des
canots. Contretemps supplémentaires,
pourtant normal à cette saison et sur de
grandes eaux, le vent et le mauvais
temps empêchent quiconque de sortir
des tentes du 10 au 15 septembre.

Enfin, le 16 septembre, tous étant


désormais réunis, Bignell entreprend
l'arpentage de la Betsiamites (Tsa­
shats) au point où l'arpenteur Casgrain
avait terminé. Il autorise alors son
assistant Low à s'occuper du transport
des provisions jusqu'au lac Manouane
et à l'attendre au portage conduisant à
la Péribonca.
Des guides transportant des bagages.
Fier parmi les fiers et même plus Source: Sylvain Gingras et al., Le Club Triton, Les Editions Rapides Blancs, 1989,
fier qu'Artaban, lorsque le Montagnais p. 52.

6 Saguenayensia- juillet - septembre 1997


la très nourrissante banique. La
banique, fabriquée chaque matin par
un portageur s'improvisant cuisinier,
c'est un gâteau, ou grande crêpe, fait
de farine, de poudre à pâte, de sel et
d'eau; il faut une heure de rôtissage
dans un poêlon ou sur un baker, grande
plaque métallique avec des rebords,
pour rendre à point ce pain des Indiens,
épais de deux pouces, bien croûté et
pesant environ trois livres. Il est
fortement conseillé de déguster ce mets
la journée même de sa fabrication19 •

Et la journée se termine comme


elle a commencé. Chaque matin, avant
de quitter le campement, l'arpenteur
camoufle ses carnets de notes et son
tube à plans à l'intérieur de son sac de
couchage, habituellement enroulé dans
un feutre épais et une petite toile; voilà
u n e m p a q u e t a g e q u i p o u r r ai t
facilement flotter à la surface de l'eau.
Depuis le naufrage de Louis Jolliet et
du Père Marquette dans les rapides de
Lachine, au retour d'une expédition au
golfe du Mexique en 1673 20 où ce Une rivière montée à la perche.
géomètre d'une autre époque avait Source: Sylvain Gingras et al., Le Club Triton, Les Editions Rapides Blancs, 1989,
perdu ses papiers, tous les explorateurs p.129.
procèdent de cette façon afin d'éviter
les mêmes pertes irréparables.
de l'hiver leur apportent de la nostalgie sion modérée, se sont fait sentir
Lorsque la pression atmosphérique et de la tristesse. Si Bignell possède la durant tout l'hiver, vu que cela
est à la baisse, particulièrement au fond patience des autochtones, il n'en est nous a forcés à retourner sur nos
d'une baie et à l'abri de la moindre pas de même pour A. P. Low qui ne pas et à faire un voyage pour aller
brise, les mouches noires deviennent sera satisfait que le jour de l'arrivée au chercher les provisions que nous
parfois insupportables, même en poste de traite. En ce moment, il avions laissées le long de la route,
septembre. Il faut alors bien se coiffer, s'affaire à mesurer le lac Manouane attendu que nous en manquions,
fermer toutes les ouvertures de ses par cheminement. Quant à l'arpenteur, et, plus tard, retourner sur nos pas
vêtements de manière à diminuer les qui est le seul à faire un travail officiel pour reprendre l'ouvrage à l'en­
appâts au minimum. Règle générale, et reconnu, il se dirige vers le sud-ouest droit où nous avions été obligés de
avec des hardes à senteur de en mesurant les lacs Kapitagamat, l'abandonner, pour la même
transpiration, d'épinette et de sapin, Opitoonis et Opitoone, tous trois sur raison, enfin à retourner sur nos
l'Amérindien résiste assez facilement une branche de la rivière Manouane. pas pour aller chercher nos canots.
aux morsures des insectes21 • Le 11 octobre, en arrivant au susdit lac Toute cette perte de temps et ces
Manouane, il est retenu deux jours à voyages, plus de 600 milles, au­
Le 4 octobre, après dix-neuf jours son embouchure à cause des grands raient été évités si mes instructions
d'arpentage sur une rivière dont la vents; il ne débarquera au portage çle la avaient été suivies.»
largeur varie de 40 à 250 mètres, rapide Péribonca que le 16 octobre. A sa
et coupée de plusieurs portages, Bignell grande déception, Low s'est encore Bignell entreprend alors la montée
arrive au lac Manouanis, 203 km au impatienté et, par malice ou ne des portages vers la rivière Modeste
nord du lac Pipmuacan. comprenant rien à la situation, il a qu'il navigue ensuite vers le sud-ouest
décidé d'avancer plus loin en ne jusqu'au lac Onistagane où il arrive
Alors que des volées de bernaches, laissant ni équipements ni provisions une semaine plus tard, soit le 23
d'oies blanches et de canards en à son patron, sauf un sac de farine et un octobre. Son départ de la réserve de
direction du sud passent chaque jour message écrit enroulé dans une écorce Betsiamites date déjà d'au-delà de deux
dans le ciel des latitudes nordiques du de bouleau. Que fera Bignell, sans mois et ses travaux sont encore à
Québec, nos voyageurs sont encore provisions ni raquettes, à la venue plusieurs jours de marche du lac
bien loin de leur objectif ultime, le prochaine de l'hiver? Voici ce qu'il Mistassini. Durant la nuit, au moment
grand lac Mistassini. Lorsque des écrit à ce sujet dans son rapport: où il vient enfin d'atteindre la
hommes savent qu'ils passeront les Péribonca, les lacs et les rivières gèlent
fêtes de Noël et du Jour de l'An en «Les conséquences de cette grave et c'est maintenant la saison d'hiver
forêt, les premiers signes annonciateurs erreur, pour employer une expres- qui s'amorce. Il se voit ainsi obligé

Saguenayensia- juillet - septembre 1997 7


les lacs unis comme de des pipes et se mêlent à la vapeur
grandes nappes blanches lourde des vêtements qui sèchent;
et les ondulations des la conversation languit, lente,
collines, lesforêts malin­ e n t recoupé e. As sommés d e
gres et les tourbières fatigue, la torpeur les gagne. Les
désolées où l'on trébuche voix se taisent, les pipes meurent,
sur les arbustes enneigés, la chandelle soufflée a rendu son
les neiges paresseuses, le haleine de suif. Il ne reste plus dans
verglas ou les poudreries la nuit que le poêle rougi qui
qui mordent comme des ronronne et la bourrasque qui se
fouets. Chaque matin, joue dans les épinettes. Les
lever avant l'aube et couvertures étroitement enroulées
déjeuner. Puis,les poêles se gonflent au rythme des poitrines
démontés, les tentes et c'est à peine si quelqu'un s'en
s'affaissent; mais avant dégage le torse pour entretenir
de plier les toiles defond l'attisée dans le poêle.»
gelées, ilfaut les amollir
près d'un feu de camp. Il faudra marcher durant dix jours,
Les provisions envelop­ soit jusqu'au 9 décembre, pour
pées dans les tentes et les remonter la rivière Grande Loutre et
couvertures, les paquets enfin arriver à la hauteur des terres entre
Un partageur ploie les genoux pour un court repos. ficelés solidement sur les le fleuve Saint-Laurent et la Baie
Source: Paul Provencher,Le dernier des coureurs de bois, traînes sauvages, à 8h3 0 James. Le lendemain, c'est la descente
Montréal, Les Éditions de l'Homme, 1974, p. 43. le guide prend la tête, au lac Témiscamie. On y distingue
attelé à une charge légè­ encore les ruines du vieux poste que la
d'abandonner l'ouvrage à midi pour re, traçant le sentier aux associés Compagnie de la Baie d' Hudson
entreprendre la remontée de la rivière, qui suivent en raquettes à la file entretint de 1825 à 1860; on dit que
à la poursuite de son fuyard associé indienne, ployant sous la bricole dix-neuf personnes y vivaient en 1838
qu'il ne rejoindra que le 4 novembre, de babiche qui tire la tobagane et soixante-quinze en 185823 •
sur le premier lac de la Grande Loutre, lourde de 200 livres de bagage.
branche ouest de la Péribonca. Avec Après une trentaine de kilomètres
sa continuelle avance sur l'équipe de «À midi, dîner au bord d'un sur la rivière Témiscamie, l'équipe
Bignell, Low aurait voulu lui faire ruisseau ou d'un lac,
perdre son temps, lui empoisonner sur la neige, autour
l'existence et l'empêcher d'atteindre d'unfeu de camp. Et de
son objectif qu'il n'aurait pas agi nouveau la marche
autrement. jusqu'à 4h, avant la
tombée de la nuit. En
À toutes fins utiles, il n'est plus piétinant un carré de
possible de faire de l'arpentage et il neige avec les raquet­
faudrait même se hâter d'atteindre le tes, on a vite fait de
Poste de Mistassini afin d'éviter le préparer un lieu de
manque de provisions et la famine. campement. La tente se
gonfle, le plancher de
Un Amérindien Nascapi, dénom­ neige se tapisse d'une
mé Benjamin Napuchoir22, rencontré litière de rameaux de
à proximité et qui connaît bien tous les sapins ou d'épinettes,
lacs et portages vers le lac Albanel, est que vient recouvrir une
engagé comme guide. Cependant, il bâche et, le poêle allu­
faut attendre au 27 novembre car, à mé, la tente respire. Ce
cause de ses obligations de famille, il n'est plus un morceau
ne sera pas libre avant cette date. Dans de coton, mais une
l'intervalle, les hommes fabriquent les demeure vivante, une
traînes sauvages dont ils auront besoin oasis de chaleur dans
durant l'hiver et ils placent les canots les froids de quarante
à l'abri. Arrive enfin le jour où ils degrés sous zéro. La
entreprennent leur marche forcée. Ci­ provision de bois s'ac­
après, Jacques Rousseau décrit une cumule pour la nuit; le
journée de ces vaillants voyageurs: souper, silencieux,
s'engouffre dans des
«Rude voyage qui débute alors, abîmes insondables Un partageur ne craignant pas le nombre de sacs.
varié seulement par les soleils d'appétit. Les volutes Source: Paul Provencher, Le dernier des coureurs de
éblouissants et les ciels sombres, de fumée s'échappent bois,Montréal,Les Éditions de l'Homme, 1974,p. 178.

8 Saguenayensia- juillet - septembre 1997


s'engage dans le portage qui mène à
l'extrémité nord-est du Petit lac
Mistassini, lac Albane}, et y arrive le
13 décembre. On est encore à environ
135 km du Poste de la Compagnie de
la Baie d'Hudson, mais au moins le
trajet se fera sur des surfaces planes.
Cependant, la nourriture manque et il
faut envoyer d'urgence deux hommes
qui reviennent du Poste quarante-huit
heures plus tard avec du lard et de la
farine. Si on a évoqué l'expression
«crève ou marche» à propos de nos
ancêtres, les célèbres soldats du
régiment de Carignan, les hommes de
Low et Bignell se trouvent devant la
même obligation et ils doivent, jour
après jour, continuer leur marche
forcée.L'arpenteur, qui jouit sûrement
de l'avantage d'avancer sur une piste
battue et en n'ayant présumément L'extrémité d'un portage.
aucun bagage à traîner, doit probable­ Source: Coll. de l'auteur.
ment compter ses pas pour estimer la
longueur du lac Albane} que lui et son nombreux enfants, i l leur fait lagopèdes, gélinottes, tétras ou même
équipe auront parcouru en entier. Mais rencontrer ses quatre employés, Joe des lièvres cuits sur les fèves au lard
supposant toujours des passes cachées Isoroff, son frère et leurs épouses, deux du déjeuner, mais ça n'enlève rien à la
donnant accès à de nouvelles étendues jolies femmes blanches. De nombreux saveur de ces mets toujours appréciés.
de plus en plus grandes, il ne croit pas chiens esquimaux, à demi sauvages, On a l'habitude de dire que «faute de
ce qu'il voit. Il est vrai que de nom­ circulent dans les environs. On les grives on mange des merles», mais ici
breuses îles, presqu'îles et baies sur emploie pour charroyer le bois de c'est l'outarde ou le canard, conservés
les deux lacs immenses, Albane} et chauffage et visiter les filets de pêche, dans la glacière depuis l'automne, qui
Mistassini, l'incitent facilement à sous la glace, souvent tendus assez loin; remplacent la dinde traditionnelle.
imaginer de telles possibilités. nourris au poisson durant l'hiver, ces Peut-être y ajoute-t-on un castor ou un
bêtes sont laissées à elles-mêmes pour lynx rôtis, mais le clou du repas, c'est
Après avoir franchi les 90 km du subsister durant l'été. Le Poste est le délicieux plum-pudding préparé par
lac Albane}, les 10 km du long portage approvisionné par la voie du Fort Mme Isoroff.
et 35 km sur le lac Mistassini, l'équipe Rupert, à la Baie James, où M. Miller
arrive enfin en vue du Poste, le 23 se rend une fois par année24• En dépit de cette chaleureuse
décembre, 127 jours ou quatre mois réception, l'arpenteur et le géologue
après le départ du village de Betsia­ Si la venue de l'hiver apporte ressentent de la tristesse à la pensée de
mites en bordure du fleuve.Lorsqu'au toujours de la nostalgie, particulière­ leur famille respective.La bonne vieille
fond de la baie Abatagamouche les ment aux explorateurs ayant passé une ville de Québec (66 000 habitants) de
hommes aperçoivent à l'horizon la partie de l'été en forêt, le temps des même que la progressive ville de
silhouette des bâtisses blanchies à la Fêtes de Noël et du Jour de l'An est Montréal (150 000 habitants)25 sont
chaux et qui se découpe sur le fond également une période difficile pour malheureusement bien loin du solitaire
vert des épinettes, c'est pour eux un ceux qui sont éloignés de leur famille lac Mistassini.
moment de joie profonde, de fierté et au fond des bois.
de satisfaction indescriptible. Leurs Le 30 décembre, une semaine
sentiments pourraient être alors ceux Low et Bignell auront au moins la après leur arrivée au poste et l'avant­
du poète qui a écrit «Voir Naples et consolation d'être campés près d'un veille du Jour de l'An, Bignell renvoie
mourir», mais ici, ce n'est pas le temps magasin et ils sont même conviés chez ses hommes pour récupérer des
de succomber puisque, théoriquement, Monsieur Miller pour les repas bagages laissés au lac Albanel; il est à
ces hommes à la raquette agile ne traditionnels de la Nativité et du présumer que, pour cette corvée, ils
viennent d'atteindre que le début de Premier de l'An; ils y auront droit à un utilisent les chiens esquimaux26 de M.
leur travail. excellent menu. Pour commencer, une Miller.
surprise fort appréciée dans ce coin
Une fois sur le terrain du Poste, où perdu, un apéritif, un bon scotch Pendant que Peter Low demande
on compte six bâtiments incluant écossais, servi à l'insu des autres à Bignell de commencer immédiate­
l'entrepôt et la chapelle en construc­ convives. Ensuite, Mme Miller ment l'arpentage du lac Mistassini, le
tion, le gérant, Monsieur William présente un succuJent bouillon de premier but de leur mission, ce dernier
Miller, accueille les explorateurs avec perdrix blanche. Evidemment, les affirme qu'il préfère aller recommen­
chaleur et courtoisie. Après leur avoir explorateurs sont familiers des cer ses mesures à l'endroit où il a
présenté son épouse métisse et ses consommés au gibier ou encore aux abandonné, à la tête du lac Onistagane

Saguenayensia- juillet - septembre 1997 9


.
10 Saguenayens1a- J·umet - septembre 1997
sur la Péribonca. Ça ne doit pas être en piste est battue et souvent balisée sur courrier. Quant à Peter Low, il prend
vain que l'arpenteur a parcouru un si la majeure partie du parcours27 • la route de Québec en carriole, voyage
long trajet car il faut absolument que Malheureusement, après quelques qui durera six jours, du 24 février au
tous ses travaux soient rattachés jours de marche, de nombreuses chutes premier mars. Changeant de charretier
ensemble. Ce sont d'ailleurs les de neige rendent la trace introuvable. de place en place, il va de Chicoutimi
instructions de Monsieur Taché. Les La tente de toile, humide et pesante, à Baie-Saint-Paul par le chemin de
discussions à ce sujet alimentent la devient alors trop encombrante et, Saint-Urbain car, à cette époque, le
discorde entre l'arpenteur et son décision cruelle, les commissionnaires chemin de Québec dans les montagnes
assistant géologue qui s'accusent doivent se résoudre à l'abandonner des La\_lrentides est abandonné depuis
réciproquement de compromettre le ainsi que le poêle de tôle devenu inutile. 1883. A Québec, il s'embarque sur le
succès de l'expédition. D'après le Désormais, il faudra passer les nuits train et arrive à Ottawa le 2 mars 1885.
témoignage du «vieil érudit monta­ dans une tranchée de 3,6 mètres de
gnais Siméon Raphaël, de Pointe­ longueur sur 1,8 mètre de largeur, Après avoir donné sa version à son
Bleue», à Jacques Rousseau en 1947, creusée avec les raquettes. Dans ces patron Alfred R. C. Selwyn, ce dernier,
«deux proches de Bignell avaient abris de fortune, les voyageurs qui n'aimait sûrement pas qu'un
même tenté de faire un mauvais parti à couchent sur des branches à une géologue demeure sous l'autorité d'un
Low». Et pourtant, «il n'y avait pas de extrémité tandis que le feu se trouve à scientifique de discipline différente,
meilleur garçon que lui». l'autre et, de préférence, adossé à une d écide, sans autre enquête, de
pierre; en plus d'accumuler de la congédier l'arpenteur pour confier le
Du 12 janvier 1885 jusqu'à la fin chaleur, la pierre sert de cheminée, commandement à Low. Peut-être a-t­
du mois, alors que Low enregistre ses empêchant les nuages de fumée de il communiqué avec le Ministère à
observations météorologiques et s'étendre dans l'abri dont une partie Québec avant de prendre sa décision,
autres, il ne �emble pas se faire possède un toit de branches28• Person­ mais elle est irrévocable. Ainsi,
d'arpentage. A bout de patience, nellement, pour coucher dehors en l'arpentage officiel du lac Mistassini
Bignell prépare des messages pour hiver, je préfère la hutte de branches est remis aux calendes grecques.
rendre compte de la situation au sous­ avec un feu devant pour l'heure du
ministre Taché et lui expliquer que non repas et de la courte soirée qui s'en À la suite d'un repos et d'une
seulement son assistant lui cause de suit. Nos ancêtres faisaient de même à attente de trois semaines dans la
l'embarras mais qu'il l'empêche de l'époque du Régime français et même capitale du pays, le nouveau patron de
procéder. Lorsque, le lundi 2 février, durant une bonne partie du XIXe siècle. l'expédition repart pour le lac
vient le temps d'envoyer deux hommes Mistassini le mardi 24 mars; il est cette
poster les lettres au Lac-Saint-Jean, Matin, midi et soir, les intrépides fois accompagné du botaniste John
comme s'il s'agissait pour cette voyageurs avalent leurs crêpes au lard Macoun. Ils arrivent au lac Saint-Jean
distance minimum de 290 km de se et,jour après jour, c'est peine et marche le 5 avril et quittent Pointe-Bleue le 9
rendre au bureau de poste ou au avant de se cacher dans leur tanière avec les deux hommes de Bignell et
dépanneur du coin, Peter Low décide pour la nuit. Lorsqu'au fond de ce gîte six guides supplémentaires. Deux
de chausser ses bottes de sept lieues et plus ou moins glacial ils entendent le d'entre eux retourneront du lac
de partir avec eux. Si l'arpenteur désire lugubre hurlement d'un loup à la Ashuapmushuan après y avoir laissé
l'incriminer auprès du gouvernement recherche de sa pitance, leur confiance une cache de provisions. Il est quand
provincial de Québec, il se rendra lui­ n'est nullement altérée; contrairement même bizarre qu'on entreprenne un
même à Ottawa pour donner sa version aux citadins dont la mémoire est farcie semblable voyage au moment même
à son supérieur et ami, le grand patron, de légendes, les Montagnais savent que où s ' a m o r c e l a m o r t e - s a i s o n .
M. Selwyn. Bignell lui défend expres­ le loup est inoffensif. Même si rares Probablement que tous sont chaussés
sément de quitter les lieux, mais le sont les bêtes qui peuvent montrer de bottes imperméables en loup-marin
jeune Low, qui n'a jamais voulu se autant d'astuce et de ténacité pour sous leurs mocassins d'orignal et qu'ils
soumettre aux ordres du vieux, se rit de traquer une proie, la peur de l'homme utilisent des raquettes lacées avec de
cette injonction. est leur caractéristique prédominante. la babiche de caribou; à l'humidité, ce
genre de lacets se contracte au lieu
Un Cri des environs les guide dans Enfin, le 23 février, après trois d'amollir. Si la rivière du Chef est la
la partie est de la Baie du Poste jusqu'au semaines de périple, ils atteignent le voie normale pour descendre du lac
sentier battu qui mène d'abord à la ligne lac Saint-Jean, ce qui leur Jait une Mistassini au lac Saint-Jean, les
du partage des eaux et ensuite à son moyenne de 16 km par jour. A la suite Montagnais choisissent un trajet plus
campement du lac File Axe, à quelque d'un bain chaud, la première faveur facile pour s'y rendre: ils bifurquent à
32 km de leur point de départ. Une que Peter Low demande au colon qui la rivière Chigoubiche, font la longueur
première nuit dans son wigwam en les accueille à Saint-Félicien, c'est de du lac Ashuamushuan, la rivière
écorce de bouleaux avec un feu au lui faire cuire un poulet. Et même si ce Normandin et le lac Nicabau, les lacs
centre devient une épreuve semblable jeune homme est un abstinent, il n'a Obataugamau, Chibougamau et
à celle des premiers missionnaires sûrement pas refusé une bonne ponce Waconichi pour finalement déboucher
j�suites à l'époque du Régime français. de whisky29• à la Baie du Poste.
Etant désormais dans le bassin du lac
Saint-Jean, il n'ont plus qu'à suivre la Les lettres jetées à la poste, les Le voyage de retour prendra le
rivière du Chef et l'Ashuapmushuan hommes de Bignell vont se réfugier à même temps que la descente mais avec
dans le sens du courant. D'ailleurs, la Pointe-Bleue en attendant le retour du autant sinon plus de difficulté: la neige

Saguenayensia- juillet - septembre 1997 11


position d'une caverne en marbre,
qui est indiquée sur une ancienne
carte géographique faite par le
Père Laure, jésuite missionnaire,
1733, avec l'inscription suivante:
Antre de marbre en forme de
chapelle g i c h è c h e manitou
outchouapi, maison du grand
Génie. Une description que j'avais
eue de cette caverne par un
sauvage me rendit curieux de la
visiter. Il me dit qu'il y avait une
antichambre et une chambre
intérieure élevée de trois marches
au-dessus de l'antre, que les deux
chambres étaient de forme ovale
et les murs parfaitement polis et
blancs. Il me dit aussi que les
anciens rapportaient qu'on leur
avait toujours dit que, dans les
temps anciens, une pierre en forme
de cloche se projetait au-dessus
de l'entrée. La caverne est
remarquable, mais ne répond
nullement à ce que je m'attendais
de voir, excepté sous le rapport de
Un campement, au moment de la première neige. la grandeur. L a chambre
Source: Paul Provencher, Le dernier des coureurs de bois, Montréal, Les Éditions de extérieure a 18 pieds de largeur
l'Homme, 1974, p. 23. sur 16 de profondeur; la porte, ou
plutôt l'ouverture, est de toute la
est molle et fondante et on est réduit à Si Bignell avait, semble-t-il, perdu largeur de la chambre et d'à peu
ne voyager que la nuit. On lève le camp le mois de janvier en palabres avec près 8 pieds de haut.
vers trois heures du matin et on marche Low, il n'avait sûrement pas chômé
sans raquettes sur la croûte durcie durant la fuite de son adjoint contrariant «La chambre intérieure a environ
jusqu'à 8 heures de la matinée; après vers Ottawa. Pour rattacher ses 8 pieds de largeur sur 6 de
un dîner pris à la sauvette, on reprend arpentages à celui du lac Onistagane profondeur. Elles paraissent avoir
la marche en raquettes jusqu'à midi. où il avait dû s'arrêter le 23 octobre, il été entourées par des fragments
La journée de marche étant terminée, recommença son travail dès le 5 février de rochers détachés et arrondis
on se couche vers seize heures pour se à l'endroit où la rivière Témiscamie se par le mouvement des eaux. Les
relever à une heure du matin et recom­ jette dans le lac Albane!. Pourquoi murs ne sont pas de marbre, mais
mencer la même routine30 • Voilà le n'avait-il pas débuté avant et dans la de spath. Le caveau est sur leflanc
voyage invraisemblable que l'inexpé­ b�ie du Poste? Il n'en donne pas la d'une montagne escarpée, environ
rience de Low impose à ses hommes. raison. soixante pieds au-dessus de la
rivière et à quinze chaînes de
Le 20 avril, après onze jours de En passant à la Montagne blanche, distance de cette dernière. Le laps
cette course épuisante, l'équipe arrive il s'éloigne un peu de son trajet pour de temps ( 152 ans) a sans aucun
au lac Chibougamau, mais on ne peut une visite à l'Antre de marbre31 auquel doute opéré un changement et il y
plus continuer à ce rythme et on doit le Père Laure avait attaché une grande a des indices de la façade de
s'y arrêter quelques jours.La nourriture importance. Depuis 1733, c'était la l'ouverture où se trouvait la
manque et on est, paraît-il, trois jours première visite officielle à cet endroit porte.»
sans manger. Est-ce possible? Quatre étrange.L'arpenteur et ses Montagnais
hommes à jeun parcourent en quarante ne considèrent sûrement pas la petite Par la suite, pour continuer son
heures la distance de 97 km qui les caverne comme un prest igieux arpentage, Bignell abandonne la
sépare du lac Mistassini pour aller sanctuaire de pèlerinage puisqu'ils s'en Témiscamie pour se rendre
chercher des provisions; évidemment servent pour mettre des provisions à directement à la rivière Péribonca dans
qu'ils y arrivent exténués. Bignell, qui l'abri. Voici le mot à mot du rapport de une direction est. De ce fait, il doit
a peine à croire aux risques qu'a pris Bignell32 : s'ouvrir un chemin mais son travail est
son désobéissant assistant, s'empresse facilité par des brûlis de grande
aussitôt de lui envoyer deux hommes «Je commençai à l'embouchure de étendue33 et de nombreux lacs. Il se
reposés avec du secours. Finalement, la baie et j'arpentai environ onze trouve ainsi un peu au nord du parallèle
Low revient au Poste le 29 avril avec milles en montant la rivière, de latitude 51°, tracé durant les années
Macoun et les deux guides qui lui m'éloignant un peu de ma course, 1940 et 1950. Le 11 mars, il traverse la
étaient restés. afin d'aller voir et marquer la ligne de hauteur des eaux et, le 20, il

12========================= Saguenayensia- juillet - septembre 1997


r,attache son travail au lac Onistagane. reviennent de la Péribonca avec les traverses répétées des portages
A ce moment, plusieurs de ses hommes canots; ils ont fait eux aussi un voyage avec nos provisions et les voyages
souffrent du mal de neige, un malaise de misère dans la gadoue et la neige répétés des canots, dans les
de la vue causé par l'éblouissement des fondante. Ils apprennent à Bignell que endroits où il fallait partager la
reflets du soleil sur la neige34 • N'ayant la rivière est libre aux Grands-Détroits, char ge. De ces 1,500 milles,
d'autre traitement à préconiser que à 24 km du Poste. environ 400 ont été parcourus en
l'arrêt de ses arpentages, Bignell canots et le reste à pied, chaque
envoie quatre hommes plus haut sur la Mais la mauvaise nouvelle que lui h o m m e t r ans p o r t an t , aux
Péribonca pour ramener les canots et, apporte le retour de Low est pour portages, de 200 à 400 livres sur
le 21 mars, il commence son voyage Bignell l'épreuve de sa vie.L'assistant son dos; après le commencement
de retour avec le reste de ses hommes. qui lui a totalement gâché son de l'hiver, le transport se fit avec
Le 25 mars, ils sont de nouveau à la expédition, celui-là même qu'il vient des sleighs sur les lacs et à travers
ligne de hauteur des terres et, le 8 avril, de secourir en difficulté au lac les montagnes, jusqu'au poste de
après 19 jours, ils arrivent au Poste, Chibougamau, lui tend une enveloppe Mistassini.
terminant cette odyssée d'environ 260 portant le cachet du ministère à Ottawa.
km avec une moyenne quotidienne de «Quant à la perte de temps,
13,7 km. C'est un message laconique dans j'affirme péremptoirement qu'elle
lequel Selwyn destitue l'arpenteur de est due exclusivement à l' obsti­
C'est le début de la saison morte ses fonctions, l u i ordonne d e nat ion et à la désobéissance
du printemps, la fonte des neiges, et il transmettre le commandement à son opiniâtres de M. Low, qui n'a pas
ne reste plus qu'à attendre la venue de assistant et de regagner son domicile à suivi mes instructions.»
l'été.C'est pourtant au même moment, Québec par le plus court chemin; la
le 9 avril, que Low quitte Pointe-Bleue raison invoquée est «la perte de temps Pour le moment, la vie continue et
pour la pénible aventure de remonter et le peu d'ouvrage fait». Il n'y aura les deux hommes doivent cohabiter en
au lac Mistassini. Le lendemain de son jamais d'autre explication et Bignell attendant que les lacs et les rivières
retour, soit le 30 avril, les guides n'aura que son rapport pour se justifier soient navigables, mais il est évident
et donner sa version des que leurs relations demeureront
faits. Lui dont la renom­ glaciales, comme la couche actuelle
mée est établie depuis des cours d'eau. Enfin, le 28 mai, le lac
longtemps, on le renvoie Mistassini est à l'eau claire et Bignell
comme un simple s'embarque en direction du lac Saint­
subalterne au moment où J ean; il est accompagné de quatre
tout était en place pour hommes, deux pour le conduire et deux
procéder à l'arpentage autres qui doivent remonter la rivière
des lacs Alba ne! et Ashuamushuan jusqu'au lac du même
Mistassini, le rêve de sa nom pour récupérer la cache de
vie. Le jeune et préten­ p r o visions laissée là en avril.
tieux Peter Low vient de Malheureusement, il n'en retrouveront
l'obliger à prendre une qu'une partie, car elle a été pillée par
retraite d'une façon des visiteurs probablement affamés
déshonorante. Mortifié, mais sûrement dénués de scrupules.
le vieil arpenteur
n'acceptera jamais cette Le 30 mai, les voyageurs sont au
humiliation. lac File-Axe, le 5 juin à la rivière
Ashuamushuan et le 10 juin au lac
Vo i c i , d a n s s o n Saint-Jean. Ils ont navigué douze jours
rapport, quelques pour couvrir une distance estimée à 339
explications à ce sujet: km, soit 28 km par jour. Tout l'équi­
pement, propriété du gouvernement,
«Les raisons alléguées est laissé à M. John H. Cumming, le
pour me rappeler sont la gérant de la Compagnie de la Baie
perte de temps et le peu d'Hudson à Pointe-Bleue. Le 11 juin,
d'ouvrage fait. Bignell part du lac Saint-Jean et il arrive
à Chicoutimi le lendemain. Le 13, dans
«La distance mesurée est l'après-midi, il prend le bateau et vingt­
de 316 milles, ce qui a quatre heures plus tard, ayant été retenu
nécessité des courses par la brume sur le fleuve Saint­
formant une longueur Laurent, il débarque à Québec. C'était
totale de 1,500 milles. la fin d'un voyage de onze mois moins
Ces courses n'ont pas été cinq jours. Durant ce long périple,
À défaut de motoneiges ou de chiens... continues, comme de l'arpenteur n'avait occupé que
Source: Paul Provencher, Le dernier des coureurs de boi� raison, mais ont été quarante-six jours de son temps et le
Montréal, Les Éditions de l' Homme, 1974, p. 181. occasionnées par les lac Mistassini n'était toujours pas

Saguenayensia- juillet - septembre 1997 13


Avant les motoneiges, la gent canine a rendu de grands services aux explorateurs. C'est probablement avec des chiens loués ou
achetés au Poste de Mistassini que Bignell a fait partager ses provisions jusqu'à la Péribonca.
Source: Société d'histoire de Roberval,fonds Léonce Hamel.

mesuré, pas plus d'ailleurs que le lac Dès le 17 juin, trois jours après qui semble rapetisser les lacs dans le
Albane!. son retour à Québec, Bignell déclare, simple but de le rapetisser lui-même?
dans une entrevue accordée au
Pour Low et Macoun, l'expédition Morning Chronicle, que le lac Albane! C'est ainsi que les discussions
continue. Durant tout le mois de juin, pourrait mesurer de 100 à 120 milles continuent et que le mystère du lac
ils font des observations au sujet de la de longueur. D e plus, selon de Mistassini demeure entier.
météorologie, de la date d'arrivée des nombreux témoignages recueillis
oiseaux, etc. Du 30 juin au 22 juillet, auprès d'Amérindiens familiers des En 1889, les professeurs London
ils complètent l'exploration de McOuat lieux, la dimension du lac Mistassini et MacDonald, de l'Université de
en 1871 avec le tour du lac Mistassini. atteindrait 250 et peut-être 300 milles Toronto, se rendent à nouveau sur les
de longueur. lieux et ils confirment les opinions de
À cette date, la provision de lard Low. Bignell devrait alors encaisser et
étant épuisée, les guides sont décidés à À son retour, Albert Peter Low demeurer silencieux, mais, dans sa
faire la grève mais Low les laisse partir présente une toute autre version: fierté blessée, il croit toujours à un coup
pour le lac Saint-Jean. Il passera donc d'après lui, le lac Mistassini mesure monté contre lui par Selwyn, Low et
un autre mois d'inactivité au Poste. Le environ 100 milles de longueur sur 12 autres à Ottawa. Le 17 septembre 1889,
samedi 22 août, il s'embarque avec de largeur; quant au lac Albane!, il lui dans une longue lettre publiée dans le
Macoun sur un rabaska conduit par confère une cinquantaine de milles de Morning Chronicle, il étaie à nouveau
dix hommes de la Compagnie qui longueur; malheureusement pour ses présomptions35• Le problème ne
viennent d'apporter des provisions Bignell, les approximations du sera pas résolu du vivant de Bignell.
pour M. Miller. Il ne leur faut que douze géologue sont conformes à la réalité.
jours pour atteindre le Fort Rupert et, Le rapport de Low, déposé dès le mois En dépit des arpentages partiels de
après avoir longé la partie sud-est de la d'octobre 1885, quelques jours après A.-E. Lemoine en 1900 et de Harry
Baie James, ils remontent la rivière à son retour, et celui de Bignell, le 5 O'Sullivan en 1906, il faudra attendre
l'Orignal, en Ontario, jusqu'au chemin novembre 1885 confirment leurs la photographie aérienne et l'arpentage
de fer, pour arriver à Ottawa le 2 déclarations précédentes. Il est à de Paul Savard a.g., pour le compte de
octobre, un peu moins de quatre mois remarquer, cependant, que l'arpenteur Henri Bélanger a.g. en 1928, avant de
après le retour de Bignell. n'émet que des hypothèses. Comment connaître la dimension exacte du
peut-il croire Peter Low, un profane légendaire lac Mistassini. Albert Peter
Cette expédition bizarre est enfin en arpentage et qui a toujours semblé Low avait été réaliste avec ses esti­
terminée, mais on n'a pas fini d'en prendre plaisir à le contredire? mations tandis que les présomptions
entendre parler. Comment peut-il croire un adversaire de Bignell étaient erronées; où Bignell

14======================== Saguenayensia- juillet - septembre 1997


avait raison, c'est quand il déclarait tantôt en raquettes, du golfe
que ce grand lac ne formait qu'une du Mexique à la Baie
seule étendue d'eau avec en son milieu d'Ungava et de l'Acadie
un long chapelet d'îles. jusqu'aux montagnes '
Rocheuses, méritent qu'on
Un voyage si éprouvant pour un se souvienne d'eux; c'est la
homme d e 67 ou 68 a ns n'a toponymie qui rappelle leur
vraisemblablement pas abrégé ses mémoire aux générations
jours puisqu'il n'est décédé que le 17 actuelles.
juillet 1902, à l'âge de 85 ans, à sa
résidence de Hedleyville (Limoilou) La plupart des nom­
près de la ville de Québec36 • breux découvreurs venus
au lac Mistassini y ont leur
Pour ce qui est d'Albert Peter Low, nom attaché à une île, une
loin d'être rebuté à la suite de son baie ou une presqu'île.
difficile voyage au lac Mistassini, il a C'est ainsi qu'on y trouve
continué sa carrière d'explorateur en une baie Radisson, une
parcourant le Nord du Québec, presqu'île Louis-Jolliet,
territoire du Labrador, de la Baie d e s î l e s Gu i l l a u m e ­
James, de la Baie d'Hudson et de la Couture, Dablon, Dorval,
Baie d'Ungava. En 1906, il est nommé Chouart, Taché, Verreault, Enjanvier 1962, l'auteurdu présentarticle et son adjoint
directeur de la Commission géologique André-Michaux, Lemoine, Benoît Dufour (à gauche) passent une nuit en forêt
du Canada et sous-ministre des Mines Marie-Victorin et autres. dans un abri de fortune, 50 km à l'ouest de Chapais,
en 1907. À la suite d'une hémorragie Quant à Bignell et Low, eux canton de Laribourde, comté d'Abitibi-Est.
cérébrale en novembre 1907, alors qu'il qui ne pouvaient cer­ Source: Coll. de l'auteur, photographie prise par un
n'a que 46 ans, il doit, partiellement tainement pas être mis en pilote de la compagnie d'aviation Fecteau Air Line.
paralysé et mentalement invalide, parallèle avec Castor et
prendre sa retraite définitive en 1913. Pollux durant leur existence, on a voulu ces dénominations n'a jamais été
Frappé d'une autre hémorragie les unir dans la mort, comme Trinidad confirmée.
cérébrale, après 29 ans d'invalidité, il et Tobago, avec une île et une
décède le 9 octobre 1942, à l'âge de 81 presqu'île portant chacune leur nom; Quand même, un peu au sud du lac
ans37• les deux entités géographiques, Mistassini et traversé par le lac
séparées de 18 km, sont l'une au milieu Waconichi, un canton Bignell3 8 ,
Tous les explorateurs canadiens, du lac et l'autre à la rive sud-est, reconnu depuis 1910, a été désigné en
allant du comte de Frontenac ou appr oximativement à la même 1946 et proclamé officiellement en
d'Iberville à John Bignell, de Louis longitude 73 ° 30' ouest. Comme si le 1965. Dans le même canton, il y a un
Jolliet ou de La Vérendrye à Peter Low, sort s'acharnait à confirmer leur lac et un ruisseau Bignell depuis 1974.
eux qui ont voyagé, tantôt en canot, désaccord, l'acceptation officielle de John Bignell «l'un des meilleurs

En 1840, le peintre Mary Milicent Chapli11; assiste à la confection d'un abri pour passer une nuit en forêt durant l'hiver.
Source: Nos Racines, Saint-Laurent, Les Editions Transmo Inc., 1979, cahier 79, p. 1572.

Saguenayensia- juillet - septembre 1997 15


arpenteurs-géomètres du Canada», lui
qui a fait entre autres l'exploration de
la rivière Saint-Maurice en 1871, a
également mérité l'honneur posthume
d'avoir un lac important à son nom, à
l'extrémité du canton de Laflamme,
entre le réservoir Gouin et le lac Saint­
Jean. Il y a également une rivière
Bignell qui se jette dans la rivière
Godbout sur la côte nord du Saint­
Laurent et qui aurait probablement été
désignée en l'honneur du même
arpenteur39•

Quant à Albert Peter Low, un lac


Low, un peu au nord de la rivière
Eastmain et à 145 km de la Baie James,
rappelle sa mémoire depuis 1942. Il y
a également un mont Albert Low près
du détroit d 'Hudson à la latitude
61 °43'.Probablement en l'honneur du
même grand explorateur, on trouve une L'auteur, Ghislain Gagnon et Roland Bélanger, le 21 août 1993, en pèlerinage à la
avenue Low dans la ville de Baie­ Montagne blanche, devant le légendaire Antre de marbre.
Comeau, une anse Low à l'est de la Source: Photographie de M. Jean Gagnon, président de la Société d'histoire de Roberval.
Baie d'Ungava et un lac Low, 96 km
au nord-est de Shefferville40 • Damase Potvin, «Dans le Nord l'Université Laval, Québec, janvier
immense» et «Ce qu'ont fait autrefois 1965. ANQC, coll. SHS, dossier 2108,
Notes les passionnés de la Science». Extrait pièce 1. Voir aussi Bibliothèque de
du journal La Patrie, vers 1946. l'Université Laval.
New-York Herald, 1889. Traduction Jacques Rousseau,Le voyage d'André 13
Notes de Frank B,ignell recueillies par
publiée par Alphonse Gagnon sous le Michaux au lac Mistassini en 1792, sa fille Garde Eveline Bignell, en
nom de Le mystère du lac Mistassini Jardin Botanique de Montréal, 1948. 1950. Expédition au Grand lac
d év oilé. Voir Gagnon, Études Le Journal de Québec, 4 juillet 1883 Mistassini en 1885. ANQC, coll. SHS,
9

archéologiques et variétés, Montréal, et Le Saguenay, 17 juillet 1883. dossier 719, pièce 34.
Beauchemin, 1913. Jacques Rousseau, «Bataille de 14
La Bibliothèque d'un arpenteur­
John Bignell, le 3 novembre 1885 et sextants autour du lac Mistassini» géomètre était essentiellement
A.P. Low, octobre 1885.Description dans L'Action universitaire, revue constituée d'un volume de tables de
des cantons arpentés et des territoires trimestrielle publiée à Montréal, no logarithmes, de formules astro­
explorés de la Province de Québec, 2, janvier 1948, p. 101. nomiques pour calculer 1'heure, la
publié par ordre de la Législature, Le ministre des Terres de la Couronne latitude, la longitude et 1'azimuth, des
8

1889, pp. 667-695. était alors William Warren Lynch éphémérides du soleil et de différentes
Russel Bouchard,Le dernier des Mon­ dans le cabinet conservateur de John étoiles, une table de l'ascension droite
tagnais, de la préhistoire au début du Jones Ross. Monsieur Taché, et de la déclinaison apparente du
XVI/le siècle, Chicoutimi-Nord, arpenteur-géomètre et arpenteur soleil, l'almanach astronomique de
L'auteur, 1995, pp. 44-45, et 101. fédéral, était également architecte et l'année pour calculer le temps sidéral
Monsieur Gregor Burgess, agent de c'est lui qui avait tracé les plans de (le tout publié à Londres, Washington
la Compagnie de la Baie d'Hudson l 'Hôtel du Parlement, face à la ou Ottawa), divers rapports des
en 1870, aurait déclaré à l'explorateur Grande-Allée, et dont la construction explorateurs ayant auparavant visité
Frank Bignell avoir trouvé autrefois fut terminée en 1887. L'Hôtel du la région et quelques oeuvres
sur les bords du grand lac Mistassini Parlement, témoin de notre histoire, littéraires pour tromper l'ennui des
le squelette d'un poisson appelé Les Publications du Québec, 1996, périodes d'attente.
coucoume (truite de lac) de treize pp. 47-77. 15
Siméon Raphaël, âgé de 79 ans en
pieds (3,96 mètres) de longueur. Le Lettre de Eveline Bignell, le 8 1947, a été interviewé par Jacques
6

grand lac Mistassini, à l'occasion des novembre 1962. ANQC, coll. SHS, Rousseau. Voir «Bataille de sextants
vents d'est, montait parfois de dix­ dossier 719, pièce 42. autour du lac Mistassini», op. cit.,
huit pouces (46 cm) et les Nascapis 10
Biographie de John Bignell. ANQC, p. 102.
de l'endroit prétendaient qu'alors un coll. SHS, dossier 719, pièce 38. 16
En souvenir de l'époque où les
coucoume faisait le tour du lac et Il
Liste des greffes des membres de Montagnais occupaient la côte sud
causait ainsi cette élévation. Notes de l'Ordre des Arpenteurs-géomètres du entre la rivière du Loup et la rivière
Frank l}ignell, recueillies par sa fille, Québec, de 1626 à 1985. Matane, alors qu'ils venaient y
Garde Eveline Bignell, en 1950. Voir Biographie de John George Bignell, exploiter les érablières, faire la chasse
ANQC, coll. SHS, dossier 719, pièce ANQ, Claude Boudreau, Québec. au chevreuil et cueillir de l'écorce de
34. 12
Fa bien Caron, Exploration et bouleaux pour la confection des
Mgr Victor Tremblay, Histoire du géographie, Albert Peter Low dans canots et des wigwams, ils conti­
Saguenay, La Librairie Régionale l' Ungava-Labrador. Thèse présentée nuèrent à fréquenter les lieux jusqu'à
Inc., Chicoutimi, 1968, p. 122. à l'Institut de Géographie de l'avènement du 20e siècle. D'après

16========================= Saguenayensia- juillet - septembre 1997


Exemple d'un rabaska· grand canot d'écorce de bouleaux, mesurant environ 11 mètres de longueur et 1,8 mètre de largeur au centre.
Il servait autrefois au transport du fret. Cette embarcation pouvait porter jusqu'à 7 000 livres de bagages, en plus des dix hommes
à l'aviron.
France Ann Hopkins (1832-1919), à cause du travail de son mari pour la Compagnie de la Baie d'Hudson, a effectué plusieurs
voyages en canot et son expérience person,nelle des descentes de rapides lui a inspiré cette oeuvre en 1879.
Source: Nos Racines, Saint-Laurent, Les Editions Transmo Inc., 1979, cahier 90, pp. 1796-1797.

l'abbé André-Albert DeChamplain 19


En juin, juillet et août 1948, au 21
À l'ère moderne, les nombreuses
(1900-1986), natif de Sainte-Luce, moment où je venais de terminer mes catégories d'huile à mouches ont
licencié ès sciences et professeur au études universitaires, j'ai fait un presque éliminé ce problème qui,
Séminaire de Rimouski durant toute semblable voyage de levé de cours jusqu'au début du vingtième siècle,
s a carrière, les Montagnais de d'eau pour le compte de Paul Savard, faisait endurer le martyre à plusieurs
Betsiamites, avant 1900, venaient arpenteur-géomètre de Québec. forestiers novices.
chaque année dans leurs frêles canots C'était dans la région nord-ouest du 22
A l p h o n s e G a g n o n , Ét u d e s
d'écorce faire un pèlerinage à la bonne lac Saint-Jean, à l'intérieur des archéologiques et Variétés, Librairie
Sainte-Anne de Pointe-au-Père. La cantons de Buade, Bouteroue, Beauchemin,Montréal,1925,p. 159.
pieuse tradition envers la thaumaturge Chateaufort, Cramahé, Huard, 23
Voir «Rivière Témiscamie» dans
a été abandonnée après un naufrage Marquette, Aigremont et Poutrin­ Dictionnaire illustré, noms et lieux
où tous les indigènes pèlerins avaient court. Accompagné d'une équipe de du Québec, C o mm ission de
péri au milieu du fleuve. En attendant Montagnais de Pointe-Bleue, Louis­ Toponymie, 1994.
le temps propice à leur retour d'un Georges Boivin, François Germain, 24
Rapport Bignell,op. cit., pp. 674-675.
voyage qui durait parfois un mois, ils Antonio Siméon, Jimmy Raphaël, Lettre de Eveline Bignell en 1950.
campaient aux îles du Bic. Barthélémy et René Bégin (ces deux ANQC, coll. SHS, dossier 719,
17
En août et septembre 1954, dans le derniers étant dans leur territoire pièce 34.
m ê me secteur des cantons de ancestral de chasse), nous devions Le village cri de Mistassini date de
Villejoin,Bedout,Virot et Deshayes, lever le camp chaque matin et notre 1945 et il a été reconnu comme réserve
j'ai moi-même établi cinquante milles pain quotidien était évidemment la en 1962 (Voir «Mistassini» dans
de ligne en franchissant des caps banique des trappeurs. La seule Dictionnaire des noms et lieux du
fantastiques. différence avec l'époque de Bignell, Québec, op. cit.). Lorsque je m'y suis
18
Le pemmican, viande desséchée, c'est que nous étions entrés en forêt rendu, par avion, en 1968, la chapelle
mélangée à de la graisse d'ours ou par la voie des airs et que des caches était un camp en bois rond de même
autre et préparée pour être conservée, de provisions avaient été distribuées que la plupart des maisons. En 1978,
était le mets principal des voyageurs à différents endroits stratégiques, un an ou deux après la construction
de l'époque du Régime français; cette toujoui:,s au moyen de l'avion. du chemin y donnant accès,le village
denrée du passé n'est disparue des 20
Paul-Emile Farley et Gustave conservait toujours la même apparen­
listes de provisions des explorateurs Lamarche, pères des Clercs de Saint­ ce. Lorsque j'y suis retourné en 1987,
que tout récemment. Voir Nouveau V iateur, Histoire d u Canada, il était devenu une agglomération
Petit Larousse illustré, édition 1929. Montréal, 1933, p. 118. traditionnelle du Québec avec

Saguenayensia- juillet - septembre 1997 17


système d'aqueduc, égouts sanitaires embarquer,pont qu'il fallait transpor- à l'acuité visuelle et à la perception
et pluviaux, maisons modernes, ter pour sortir du lac à son autre des couleurs. (Le quotidienla Presse
épicerie qui vendait des pample­ extrémité. Heureusement, nous du mercredi 16 avril 1997.)
mousses et des oranges de la Floride. n'avions eu qu'une cinquantaine de 35
Alphonse Gagnon, op. cit., pp. 154-
25
Gérald Bernier, Robert Boily, avec la km à parcourir. 167.
participati9n de Daniel Salée, 31
Marcel LeBlanc, «Excursion sur la 36
Biographie de John Bignell,op. cit.
Politique et Economie. Le Québec en route millénaire del'Antre de marbre» 37
Fabien Caron, Exploration e t
chiffres d e 1850 à nos jo urs, dans Saguenayensia, volume 35, nos géographie, op. cit.
Association canadienne-française 3-4 Uuillet-décembre 1993). 38
Je connais bien le canton de Bignell
pour l'avancement des sciences,1986, Jean O'Neil,La Dicte Coste du Nort, pour y avoir décrit une concession
Voir tableau de la page 44. Libre Expression, 1996, p. 36. forestière en 1964 et y avoir préparé
26
De tout temps, pour les explorations 32
RapportBignell,op. cit., pp. 672-673. un plan d'aménagement en plus de
d'hiver, avant l'ère moderne des 33
Partout dans le territoire parcouru, les l'inventaire. Durant ma carrière de
motoneiges, les arpenteurs explo­ brûlis sont nombreux et de jeunes quarante ans d'arpentage et de
rateurs ont utilisé des chiens pour le peuplements venus à la suite du grand foresterie, j'ai évolué à la grandeur
transport de leurs équipements et feu de 1870 accréditent la théorie à du territoire que John Bignell avait
provisions. Il y avait cependant savoir que la pauvreté actuelle de la mis un an à parcourir. Pour des
exception pour les voyages, comme faune du Nouveau-Québec et du compagnies ou des entrepreneurs
ceux de Low et Bignell, qui devaient Labrador serait le résultat de ce forestiers,pour le Service forestier ou
durer un an ou plus; en effet, il n'était terrible incendie. (Jean Provencher, le Service des arpentages du gou-
pas possible des'occuper d'une meute Chronologie du Québec, Boréal, vernement, en plus d'avoir navigué
de chiens durant l'été et de les 1991, p. 126.) sur plusieurs rivières dont l a
transporter en canots. 34
La morsure du froid et le vent d'hiver Betsiamites, j'ai établi des lignes de
27
Les voies principales des chasseurs rendent multicolore le visage de ceux cantons ou de concessions forestières,
du passé étaient la plupart du temps qui circulent sur les lacs et rivières; j'ai fait de nombreux arpentages dont
battues durant l'hiver. C'est ainsi non seulement il devient basané mais celui du chemin allant de la rivière
qu'au début d'avril 1862, l'arpenteur des taches noires, brunes et jaunes Chigoubiche à Chibougamau et au lac
provincial Pascal-Horace Dumais a apparaissent un peu partout. A la fin Mistassini, celui du chemin allant de
facilement trouvé ce qu'on cherchait de mars 1885, c'était sûrement Forestville au lac Cassé; j'ai
depuis longtemps et que les Canadiens l'apparence du visage deBignell,mais également fait l'inventaire forestier
de l'Ancien Régime appelaient «le il ne devait pas être affecté lui-même de tout ce territoire allant même au
chemin des Jésuites». Voir Thomas­ du mal de neige; tous les arpenteurs nord du lac Mistassini dans le bassin
Edmond Giroux et Mgr Victor savent qu'il faut porter des lunettes de la Péribonca.
Tremblay, De Québec au Lac-Saint­ de soleil ditesfamées pour procéder à 39
Dictionnaire illustré, noms et lieux
Jean, publication No 32 de la Société des levés de cours d'eau durant l'hiver. du Québec, op. cit.
historique du Saguenay, 1977, p. 35. C'est cependant depuis 1937 Documents fournis par M. Christian
28
En janvier 1950, dans la Seigneurie seulement qu'existent des lunettes Bonnely de la Commission de
de Grande-Vallée, en Gaspésie, avec Ray-Ban qui filtrent les rayons toponymieduQuébec,le 15mai 1997.
des guides de l'endroit, j'avais fait ultraviolets et infrarouges, sans nuire 40
Ibid.
installer ma tente dans une tranchée
d'où on venait d'enlever un empile­
ment de billots. Ce fut une mauvaise
expérience car le plancher était la terre
gelée et le vent s'engouffrait autour
de l'abri. Pourtant,la tranchée dans la
neige semble normale puisque Paul
Provencher la recommande. Voir Le
Dernier des Coureurs de bois, op. cit.,
p. 56.
29
Un jour des années 1930 qu'un
arpenteur-géomètre,après une longue
expédition, sortait du bois dans un
petit village de la Gaspésie et qu'il
s'informait d'un endroit pour se loger,
le prenant pour un vagabond, on lui
répondit: «Allez donc voir le maire,il
n'a jamais refusé l'hospitalité à
personne!»
30
Jacques Rousseau, «Bataille de
Donohue

St-Félicien inc.
sextants....», op. cit., pp. 109-110.
En mars 1953, dans un territoire du
comté de Pontiac, à l'ouest de la ville
de Maniwaki et avec des Amérindiens
algonquins del'endroit,j'avais dû moi
aussi voyager durant quelques jours
alors que la saison morte nous avait
pris par surprise. Le tour des lacs était
à l'eau claire et il fallait faire un pont
avec des petits troncs d'arbres pour y

18======================== Saguenayensia- juillet - septembre 1997


Est-ce sous le signe du castor ou traite, une église de bois pour un village besoin des Français de pénétrer le
sous celui du bois de pin que Chicou­ en f o r mation e t d ' i m p o s antes territoire du Saguenay, afin d'inciter
timi fut fondé? Est-ce en 1676 avec cathédrales signifiant les espoirs d'une les Montagnais à commercer les
l'établissement d'un poste de traite ou communauté en pleine croissance, la fourrures avec eux plutôt qu'avec leurs
en 1842 avec la construction du premier dignité d'un diocèse et l'affirmation concurrents anglais de l a Baie
moulin à scie que prit naissance la d'une ville sur la voie du progrès. d'Hudson. La stratégie employée est
future métropole régionale? Y a-t-il eu simple: établir un réseau de postes de
coupure entre les deux époques? Peut­ Deux chapelles... traite àl'intérieur du territoire de chasse
on affirmer que Chicoutimi est fondé des pourvoyeurs amérindiens.L'aspect
à une époque ou une autre? La construction d'une première religieux de l'entreprise est explicable
chapelle à Chicoutimi fait suite au également par le désir des commer­
La question, depuis çants d e r e g r o u p e r les
plusieurs décennies, demeure populations autochtones

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en suspens. Certains
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permettent de démontrer une .-
-
raient aussi les relations qui
réelle continuité entre la
mythique période de la traite - ·= -==�_===_=====
'} __ :,'_�_:-- -.·.-=··.··. .·. : ·- ·,=--=- =-==- prévaudraient dans les
relations commerciales. Le
-- ··- ---
des fourrures et celle des poste de traite de Chicoutimi
premiers établissements est établi par les Français en
industriels. Toutefois, une un lieu déjà fort achalandé et
facette historique de Chicou­ ayant une importance notoire
timi traverse les époques et pour les Montagnais, puisque
demeure encore aujourd'hui, c'est sur la rive ouest de la
soit l'organisation religieuse rivière Chicoutimi, à la
de Chicoutimi placée sous le rencontre de celle-ci avec la
patronage de saint François­ rivière Saguenay, que se
Xav ier. Ce patronyme est termine la portion navigable
utilisé la première fois en du Saguenay et le début des
1676 pour d é s i g n e r l e portages sur la r ivière
premier établissement, Chicoutimi. La première
ancêtre de Chicoutimi. Au fil mention qui est faite de
des siècles, tout les temples Chicoutimi dans des textes
qui ont été construits seront nous confirme d'ailleurs
dédiés àce saintpatron.Cette cette particularité. Il s'agit ici
succession de bâtiments des relations écrites par les
témoigne de l'évolution de pèr e s j é s u i t e s Ga b r i e l
Chicoutimi: de modestes Gravure représentant la chapelle du père Laure. Druillet et Jean Dablon qui
chapelles pour un poste de Source: ANQC, coll. de la SHS, carton 1043. accompagnaient, en 1661,

Saguenayensia- juillet - septembre 1997 19


l'expédition de Michel Leneuf de
Lavallière qui essayait de découvrir le
passage vers la baie d'Hudson.
lil.l llll!iti11llîllili: n
« ... Le sixième jour, nous arrivons

ll~~i lîlllll~,1~1IIRIIIIIBBli~lilllllil!
de bonne heure à Chicoutimi, lieu
remarquable pour être le terme
d'une belle navigation et le
•· •·Qtt~~inll~~,;~pi:~~t!!!~tt~Mtn~~n!~••~~§t~R tr1:l~tR:llr!w~û~~µ!J~~t!#~:
:
commencement des portages.»'
Pt~§lP?-~ ntJm,pgf:t~ !~µ,;i êx§ ~~l»l~~til f}!git4=9 PIH~ ç~,~ir; g~ISxHètt2ii)
,tri§ !~ ~?11Ï~lê,~ëî!' êf!î~ttij~~ ijr~~f ~t llllΧ~:i~îi~l~[9 J?li~!~~ll~,~~, l~llt
~gq ~~,JP!'rë~i!:ri~~~ 1r,~~~!~ 119ttf' lm ~f~f~y~J;l: [~!f~~ -tt. /
Effectivement, la route des
fourrures empruntait la rivière çµC>i~i l~ Pltit9P !~ falijçç;gtµpi d~ 1~ 11.l~fil~ f~çqg qµ!pp; 1 ~pqi,~i i~Qtg~$:j
Chicoutimi pour atteindre les lacs
Kénogami et Kénogamichish, puis la

i �ï�1�illfâiê!lfil�fiïtl•tQ��lil
rivière des Aulnaies et la Belle-Rivière,
porte d'entrée du lac Saint-Jean
(Piék8agami). Le site offre des
conditions favorables au déchargement ;�t;11ra11it[i
mtJ
aJ�mIH� i2i2 �Yy.9 i��s� dz ë2�ai�: �n !âB!4; �mijRtp1?1gµ7 ës sp1a r
\f'iitfittt�11f1tl,'ti�1;;���,1tit!ï �i1ï1ï nttt11���1 1
I>9�•.9P1!J��Pt 1f��.
d e s c a n o t s e t d e s bateaux d e
marchandises. La forêt et l a faune
abondantes sont d'autres raisons de
l'établissement du poste à cet endroit. .••. )Ç.a}'}.Ë!•• n.tn�pt' s-2ro:Pt1�211§ g�rtep.t�PilP-9t 9�Bit f-LP.\i•• ge • .•
ce-pays. En 1541 , on le retrouve en tant que Jéga{ou pape a (Joa. dam,·1es
Indes portugaises·~ En dix ans, ·il parcourt l •Extrême-Orient pour propager
Les fouilles archéologiques la religion chrétienne. De 1549 à 1551 t il fonde la communauté chrétienne
effectuées en ces lieux prouvent que le du Japon. François-Xavierparcourtplus de 100 000 km dans des conditions
poste de traite a suivi l'utilisation, extrêmement difficiles pour évangéliser des popul_ations souvent hostiles à
depuis la préhistoire, de ce territoire la doctrine qu'il enseigne. Son zèle extraordinaire l'amène, en 1552, à
par les Amérindiens. Cette continuité organiser un périple en Chine où il mourra le 3 décembre de la même année.
démontre que le commerce des Béatifié en 1619 et canonisé trois ans plus tard, il est l'exemple parlait du
fourrures s'est ajouté à un réseau missionclÏre intrépide, celui qui ne craignait pas de .se rendre aux limites d~
commercial établi longtemps avant monde connu pour faire connaître la religion duÇhrist. François,.,.Xavier
l'arrivée des Européens.2 contribue grandement à donner aux Jésuites leurrép_,utation: de troupe d'élite
de la religion chrétienne et de fer de lance deT:FJg}ise catholique à une
C'est donc à partir du mois de juin époque où l1Eur()pe connaît la remise en quêstio1f de ses institutions
1676 que Charles Bazire, associé de . religieuses et l~.déploiement des idées-protestantes. ·
Jean Oudiette, adjudicataire de la
Ferme du Domaine du Roi, entama les Les successeurs de François-Xavier ne manqueront pas des t inspirer de
travaux de construction du poste de son 7.èle. Nompre de jésuites se rendront, pleins d'enthousiasme; porter la
traite. Arrivés par bateau, les artisans bonne nouvelle en Asie, en Amérique du Sud et même au coeur des forêts
construisent un magasin et une chapelle inhospitalière de la Nouvelle-France.L'Amérique constitue pour les Jésuites
de 30 pieds avec un appartement pour du XVIIe siècle la nouvelle terra incognita à explorer e~ _ à civiliser.
le desservant jésuite de la mission de
Chicoutimi. Les constructions qui
s'érigèrent au mois de juin 1676 sont
relatées par le père François de fait avantageusement à celles du timi est construite sur un rocher de
Crespieul dans le Second registre de Lacq et Cheg8timy Messsieurs de granit dominant le site du poste de
Tadoussac. St Denys, Grand-Ville, de la traite. Nous n'avons que peu de
Montagne. renseignements sur ce premier
«Msr Charles Bazire a fait bastir bâtiment religieux si ce n'est que
une chapelle et place pour le « ... Le 24 juin, le dit Sr de Grand­ quelques bribes d'information
missionnaire à Metabeki8an au Ville designa avec Mr Jean provenant du Second registre de
Lacq St Jean de Peok8agamy et il L a n g l o i s la c h a p p e l l e d e Tadoussac. Ainsi on apprend qu'en
a Journy aux fraix de la Mission Cheg8timy et a bien contribué à 1678, la cloche de la chapelle de
pour les voiages, etc.; item, a fait son avancement par ses soins et Tadoussac est remplacée et l'ancienne
bastir à Cheg8timy par M. Jean bonne conduite et exemple à est transportée à Chicoutimi. La
Laglois une autre chapelle de 30 travailler luy mesme dans les décoration intérieure, le mobilier et les
pieds avec un appartement pour occasions; ce qu'il a voulu encor saintes ornementations sont pour la
le père et petite sacristie; item, une faire pour le cimetière achevé le plupart fournis par les autorités de la
[ c h a p e l l e] p r o m i s e a u x 7me de septembre.»3 traite de Tadoussac. Toutefois, de
Papinachois à laquelle Msr de nombreuses donations provenant de
Courville, capitaine de la barque Terminée à la fin de septembre congrégations religieuses d'Europe et
dit Ste-Catherine, a contribué par 1677, la première chapelle Saint­ de la Nouvelle-France et de généreux
ses soins et autorité, comme ont François-Xavier du poste de Chicou- particuliers viennent combler les

20====================== Saguenayensia- juillet - septembre 1997


besoins de la mission. Les principaux ***
bénéficiaires du lieu de culte, les
Amérindiens, contribuent également La renaissance des
au maintien et à l'amélioration de la postes du Domaine du Roi
chapelle par de nombreux dons en a lieu avec la reprise de
fourrures. l'affermage de la traite de
Tadoussac par François­
«Envoié par Msr Du Linot: un Etienne Cugnet. Doué d'un
soleil [ostensoir] et un ciboire de sens particulier des affaires
cuivre doré. Item un crucifix de et de l'organisation, celui­
cuivre doré et le pieds. Item un c i remet en place les
encensoir et la navette; le tout d iff é r e n t s é l é m e n t s
laissé à Cheg8timy.»4 permettant de donner un
second souffle à la traite des
« ... Anne Ki8astinok8eu a donné fourrures sur le territoire du
une belle peau matachiée à Saguenay. Cette réorgani­
Cheg8timy. Louys Kestabistichit sation favorise la reprise
a donné une peau d'orignal en des missions évangéliques
satisfac tion de sa faute, 7 régulières dans les postes
septembre.»5 du Domaine du Roi. Le père
j é s u i t e Pi e r r e L a u r e
Les premières années du poste de incarne, par son zèle et son
Chicoutimi furent, semble-t-il, dévouement, le nouvel âge
fructueuses. Le zèle du père De d'or des missions sédentai­
Crespieul dans le service religieux qu'il res au Saguenay.
dispensait aux Amérindiens est une des La croix de Lozeau qui ornait la chapelle du père Laure.
principales causes de l'importance du Le siège de la nouvelle Source: ANQC, coll. de la SHS, carton 3833.
commerce qui se faisait à Chicoutimi. mission se trouve à Chi-
coutimi. Le 1er juin 1720, le père Laure un rapport qui porte sur les dix
À la fin du XVIIe siècle, s'amena part de Québec pour Chicoutimi, fort premières années de son apostolat au
une période de décroissance au cours d'un contrat passé avec l'adjudicataire Saguenay. 6
de laquelle le poste de Chicoutimi fut de la traite. Cet engagement lui assure
pratiquement abandonné. La mort du la somme annuelle de 600 livres, une «Sortant de notre cher et paisible
père de Crespieul sonna le glas de la maison à Chicoutimi, le matériel Collège,}'arrive ici. La joie éclata
mission permanente des Jésuites dans nécessaire à la tenue du culte et toutes par plusieurs décharges de fusils.
les postes du Domaine. De brèves les facilités pour la réussite de sa Ces réjouissances mefurent de bon
incursions des missionnaires et de mission sur le territoire du Domaine augure. Mais après avoir pris
longues périodes de complet abandon du Roi. Arrivé à Chicoutimi, le jésuite possession d'une vieille chapelle
vont contribuer à la désertion des postes trouve la mission dans un bien triste toute d é l a b rée, l e p remier
de traite du Saguenay. état. Il en fait d'ailleurs la relation dans spectacle qui parut à mes yeuxfut
des Sauvages ivres à l'excès...»
Ce paragraphe en dit long sur l'état
du poste de Chicoutimi. Ainsi, une des
priorités du père Laure sera de faire
reconstruire un presbytère qui, de toute
évidence, n'était plus en état de
satisfaire les besoins du missionnaire.
De plus, il trouve la vieille chapelle
dans un tel état de délabrement qu'il
serait inutile de tenter de la restaurer.
La décision est prise de reconstruire
une nouvelle chapelle.

«Le 24 septembre 1725,j'allai sur


le Coteau du Portage avec le sieur
Jean-Fra nço i s Monten d re,
commis au dit poste et entre­
preneur, Jean Belaire, maître­
charpentier,Jean Pilotte,les deux
Dorvals et Jean-Baptiste Amelin,
La première église de Chicoutimi, en 1858. où je donnai le premier coup de
Source: ANQC, coll. de la SHS, carton 310. hache pour la nouvelle église, qui

Saguenayensia- juillet - septembre 1997 21


François-Xavier sont suspendus au
dessus de l'autel et dans la voûte.

Pour les besoins du culte, on


retrouve également dans la chapelle un
calice et un ciboire d'argent, un missel
neuf, ainsi qu'un tabernacle avec des
ornementations aux couleurs
chatoyantes.

Si la construction du temple fut


l'oeuvre du personnel du poste de traite,
la décoration intérieure, elle, fut le
résultat des talents d'artiste du père
Pierre Laure. Il a investi sept mois de
travail pour peindre et décorer la petite
église et ce, comme il le mentionne
dans sa relation, à la gloire de saint
François-Xavier. Il réalise également
la sculpture du crucifix de la chapelle,
conservé aujourd'hui au musée de la
maison-mère des Soeurs du Bon­
Pasteur à Québec.9

Cette chapelle traverse les années,


Elle survit au changement de couronne
mais ne résiste pas à l'avance du
peuplement à partir de 1842. Sans nul
doute, c'est elle qui abrite les dévotions
des premiers colons de Chicoutimi.
Toutefois, le bâtiment est vieux et des
rénovations s'imposent. À compter de
1844, les missionnaires oblats tentent
de rétablir la mission de Chicoutimi,
mais sans succès. En 1853, l'abbéJean­
Baptiste Gagnon constate le besoin
pour la population ouvrière du Bassin
de posséder un lieu de culte et propose
de reconstruire la chapelle. Ce projet
ne sera réalisé qu'en 1893 et entre
L'intérieur de la première cathédrale, ainsi décorée à l'occasion du 25e anniversaire temps, en 1856, en même temps que la
de sacerdoce de Mgr F.-X. Belley, en 1900. Compagnie de la Baie d'Hudson ferme
Source: ANQC, coll. de la SHS, carton 9272. ses installations de Chicoutimi, la
vieille chapelle d u père Laure
se trouva levée le 2 8 septembre c hapelle dont la charpente est s'écroule.10
1726. »7 constituée de bois de cèdre blanc
équarri, pièces sur pièces, a une toiture ...une église...
Le nouveau temple, comme le recouverte de planches et de bardeaux,
précédent, est des plus modestes. Les et celle ci est surmontée d'un clocher La chapelle du Bassin n'est pas
détails que nous avons de ce bâtiment muni de deux cloches de fonte et encore tombée que saint François­
nous proviennent des inventaires terminé par une croix de fer surmontée Xavier reprend du service. Cette fois­
dressés par le notaire Jacques Pinguet par un coq en fer-blanc. L'intérieur du ci, ce n'est plus une mission que le saint
en 1733 et Edouard Harrison pour le bâtiment, tout comme le presbytère, jésuite patronne, mais bien une
compte de l'administration des King's est lambrissé de lattes et de plâtre. On paroisse11, témoignage de la croissance
Posts en 1786. Quelques informations apprend également que le plafond est de la colonie de Chicoutimi. Depuis
provenant du registre8 que tenait le père en forme de voûte et que le temple l'arrivée, en 1846, de l'abbé Jean­
Laure viennent compléter les maigres possède un jubé de la même largeur Baptiste Gagnon, le besoin d'un temple
informations qui nous permettent tout que la chapelle. En ce qui concerne le plus spacieux persiste. Certes, il existe
de même de brosser un tableau de la mobilier et l'ornementation, il est depuis 1845 une chapelle dans le
s e c o n de chapelle du poste de mentionné que l'autel est constitué de secteur de Rivière-du-Moulin, mais
Chicoutimi. Longue de 31 pieds et 6 pierre et de bois peint, le retable est cette dernière ne peut desservir l'ilôt
pouces, large de 21 pieds et haute de doré tout comme la voûte. De plus, de peuplement du Bassin. Depuis
11 pieds et 6 pouces, la nouvelle deux grands tableaux représentant saint quelques années, l'installation des

22======================= Saguenayensia- juillet - septembre 1997


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La première cathédrale, alors qu'elle est la proie des flammes, en 1912.
Source: ANQC, coll. de la SHS, carton 621.

La première cathédrale de Chicoutimi, en hiver. Les ruines de la première cathédrale après l'incendie de 1912.
Source: ANQC, coll. de la SHS, carton 130. Source: ANQC, coll. de la SHS, carton 621.

colons déborde les centres de peuple­ pieds de long par 60 pieds de large. Il de trente ans. De simple hameau de
ment d'origine. Quelques maisons ont sera muni d'une tribune, d'une galerie colonisation, Chicoutimi devient en
été construites le long du Saguenay, et d'une sacristie. 14 Signifiant la moins de trois décennies une ville dotée
sur l'actuelle rue Racine. Ainsi, afin transition entre les chapelles des de nombreuses institutions civiles et
de faciliter la fusion des communautés missions amérindiennes et l'église de religieuses. En cette fin de carrière pour
du Bassin et de Rivière-du-Moulin, la nouvelle paroisse, le clocher est l'église Saint-François-Xavier, la
l'abbé Gagnon prend la décision, au surmonté de la croix de fer qui dominait paroisse de Chicoutimi aspire à une
cours du mois de mai 1847, de cons­ la chapelle du père Laure. 15 vocation d'envergure et l'église qui la
truire la nouvelle église au centre de remplace se doit de faire honneur à la
l'aire d'occupation chicoutimienne. 12 Inaugurée le 7 août 1849, la nouvelle vocation épiscopale. Ainsi,
première véritab le église d e la première église n'est plus utilisée à
Les travaux de construction Chicoutimi est à l'image de la jeune partir de 1878 et est démolie le 15 avril
débutent donc à l'automne 1847. Le communauté saguenéenne. D'une 187916 , faisant place à la première
23 septembre de la même année, Mgr grande simplicité et d'une sobriété cathédrale.
Signa y, l'archevêque de Québec, notoire, l'église témoigne de la dureté
confirme la dédicace du temple à saint de la vie de colonisation et de la ...et trois cathédrales
François-Xavier 13 • Déjà en février modestie des ressources matérielles de
1848 le presbytère et l'aménagement la communauté naissante. Par ailleurs, La construction d'une église plus
du nouveau cimetière sont complétés. la construction d'un temple de cette grande et davantage apte à combler les
Les matériaux de construction de envergure, cinq ans après la fondation besoins de la population sans cesse
l'église sont sur place, de telle sorte de la ville, témoigne de la ferveur du grandissante de Chicoutimi s'inscrit
que lorsque le représentant de petit groupe de colons et illustre de égale111ent dans une toute autre réalité
l'archevêque de Québec visite belle façon les priorités de l'époque. pour l'Eglise chicoutimienne. En effet,
Chicoutimi, à la fin du mois de juillet depuis quelques années, il est de plus
1848, il peut noter dans son rapport Cette première église dessert la en plus question de l'ouverture d'un
que le futur bâtiment comptera 105 population de Chicoutimi pendant près diocèse devant couvrir une bonne

Saguenayensia- juillet - septembre 1997 23


24 =========================== Saguenayensia- juillet - septembre 1997
partie du nord-est du Québec. Couvent (actuellement la
Chicoutimi occupe une place de choix rue Bégin). L'ouvrage est
comme futur siège diocésain. Comme à la fois impressionnant
préludeà cette érection,la nomination, et modeste. Impression­
en 1871, du curé Racine au titre de nant par ses dimensions,
vicaire général des territoires du 212 pieds de longueur,85
Saguenay et du Lac-Saint-Jean illustre pieds de largeur et 50 de
bien l'intention de l'archevêque de hauteur. L e clocher
Québec quant au choix du siège du s'élève à 1 70 pieds.
nouveau diocèse. Le curé Racine a L'intérieur est également
grandement contribué à l'élévation remarquable par son
spirituelle de sa communauté. Arrivé arcade, ses deux jubés et
au Saguenay en 1862, il est à même de ses d e u x c h a p e l l e s
constater l'extrême dénuement dans latérales. 18 La nouvelle
lequel vivent ses paroissiens et cible construction est modeste
rapidement les solutionsà adopter pour par la sobriété qu'elle
amé l i o r e r l a s i t u ation. A i n s i , offre au regard. C'est
l'éducation de la population semble ainsi que le pamphlétaire 1
être la meilleure façon d'y parvenir. Il Arthur Buies la décrit: •--......
facilite l'installation des Soeurs du
Bon-Pasteur, à partir de 1864, et en «Ce qui constitue la
1873, il préside à la fondation du beauté monumentale
Séminaire de Chicoutimi, appelé à et la valeur artistique
devenir le fer de lance de la formation de la cathédrale de
de l'élite régionale. Doté de ces Chicoutimi, c'est son
institutions, Chicoutimi s'impose de intérieur, véritable
facto et le curé Racine, fort de ses m o d è l e d e s ty l e
réalisations, de sa connaissance du corinthien l e plus
milieu et de sa popularité auprès de la pur, qui n'a cédé,
population régionale, est le candidat dans aucun des plus
tout désigné comme titulaire du petits détails, aux
nouveau diocèse. r é c l a m a t i o n s du
mauvais goût ni à La deuxième cathédrale de Chicoutimi.
Entre-temps, la question de la cette conception Source: ANQC, coll. de la SHS, carton 115.
nouvelle église fait son chemin. Pour puérile qui fait
le curé Racine, il n'est plus question consister l e beau
de reculer. Chicoutimi doit posséder dans l'accumulation des dorures La pierre bosselée de l'édifice
un temple digne des honneurs qui lui et dans une ornementation criarde provient des carrières locales,excepté
seront éventuellement accordés. autant qu'éxagérée. celle du portail qui vient de Descham­
L'archevêque de Québec le rappelle à beault. L'extérieur est terminé en 1878.
de nombreuses reprises au curé «... [l'église] se divise en trois nefs, On procèdeà la bénédiction de l'église
chicoutimien. Celui-ci hésite,il dispose séparées entre elles par une double le jour même de l'intronisation du curé
de peu de moyens financiers et la rangée de colonnes cannelées, qui Racine au titre de premier évêque de
construction, à compter de 1875, du v o n t s e c o n f o n d r e , p a r l a Chicoutimi. L'église devenue cathé­
nouveau Séminaire met la paroisse perspective, avec les pilastres du drale ne sera complétée à l'intérieur
dans une situation économique c h o e u r , p e n d a n t q u ' e l l e s qu'entre 1890 et 1891. La première
précaire. Qu'à c ela ne tienne, s'élancent légères comme la cathédrale, dont la façade est dirigée
l'archevêque est formel: Chicoutimi prière, libres comme la pensée, et vers l'ouest, fait la fierté de la popula­
doit passer aux actes et se doter d'une vont se couronner, à 50 pieds de tion locale. Au fil des ans, les trois
église de taille. 17 hauteur, de leurs gracieux évêquesqui se sontsuccédé,de concert
chapiteaux aux feuilles d'acanthe, avec la générosité de la population,ont
Les travaux débutent en 1875. Le ornées de légers filets d'or. permis d'acquitter la dette de 18 000$
9 août 1876, Mgr Taschereau préside qui restait à payer des 42 000$ qu'a
à la pose de la pierre angulaire. Les «L'entablement et la corniche, le coûté l'édifice. De plus, le temple
plans du temple sont l 'oeuvre de trône de l'évêque et la chaire sont diocésain voit s'accumuler dans ses
l'architecte de Québec Joseph­ d'une grande pureté de style. On a murs une collection impressionnante
Ferdinand Peachy et la direction des voulu observer les règles du goût, de meubles de grande facture,de toiles
travaux est confiée à la compagnie jusque dans leurs petits détails. de grands maîtres, d'ornements
François Godin & Cie, elle aussi de la C'est ainsi que l'on a donné aux sacerdotaux fastueux et d'un riche
vieille capitale. La construction,quant nefs latérales leurs rangées de pi­ assortiment de vases sacrés.20
à elle,est confiéeà l'entrepreneur local lastres, qui rompent la monotonie
William Warren. Le nouvel édifice est des longs pans, et ajoutent à la ma­ Le 24 juin 1912, c'est la catastro­
situé au coin des rues Racine et du jesté et à la grâce de l'ensemble. »19 phe. Ce qui est considéré comme le

Saguenayensia- juillet - septembre 1997 25


Les sculptures ornant le fronton de la deuxième cathédrale.
Source: ANQC, coll. de la SHS, album 18 X 24, verso du couvert.

symbole de la ville reine du Saguenay plusieurs bâtiments d'importance à preneur Giroux, la nouvelle cathédrale
est la proie des flammes, au grand Chicoutimi, notamment ceux du est ouverte au culte le jour de Noël
désespoir de la population. Entre huit Séminaire, de l'église Sacré-Coeur et 1915 et est bénie solennellement, le 25
et neuf heures du matin, un incendie se de deux des usines de la Compagnie de mai 1916, par l'ancien évêque de
déclare au rez-de-chaussée du luxueux pulpe de Chicoutimi. Ainsi donc, il Chicoutimi, le cardinal Louis-Nazaire
hôtel «Le Château Saguenay». L'élé­ produit les plans d'un édifice Bégin. 22
ment destructeur dévaste plusieurs majestueux où se marient un néo­
b â t i m e n t s d u q u a r t i e r e s t de classissisme XIXe siècle et le style La deuxième cathédrale est érigée
Chicoutimi, incluant la cathédrale. Le Renaissance. Réalisée par l'entre- sur le site de l'ancien couvent du Bon­
feu embrase d'abord le clocher, Pasteur, sa façade est orientée
puis se répand à la toiture avant vers le nord, face à la rivière
de consumer la totalité de l'édi­ Saguenay. Le bâtiment mesure
fice. Quelques objets précieux 256 pieds de longueur et 90 de
peuvent être sauvés. Ainsi, les l a r g e ur . E l l e p o s s è d e des
vases sacrés, les ornements de transepts, c'est-à-dire que les
l'église, quelques peintures, dont chapelles latérales forment deux
un Rubens, sont soustraits à excroissances dans les côtés de
l'incendie. La perte est de taille, la nef, imitant ainsi la croix du
d'autant plus qu'elle s'ajoute à la Christ. À cet endroit, la largeur
destruction du Séminaire, de de l'édifice est de 128 pieds. Au
l'école des Soeurs du Bon­ fronton du portail à trois baies, la
Pasteur, de 104 maisons, hôtels hauteur est de 90 pieds et celui-ci
ou commerces, et jettent sur le est bordé de deux impression­
pavé plus de 200 familles. Les nantes tours de 190 pieds. La
pertes dépassent lourdement le construction se démarque par la
montant des assurances qui est de pureté de son style et par son
85 000$. Mais, dès le lendemain harmonie avec l e p a y s age
du désastre, Mgr Labrecque accidenté de Chicoutimi. En
rassure la population en lui façade, l'église est dominée d'une
promettant la construction d'un croix massive et agrémentée d'un
nouvel édifice encore plus bas relief en terra-cotta repré­
majestueux. 21 sentant le patron de la paroisse,
saint François-Xavier. Cette
*** oeuvre est le fruit du travail des
sculpteurs Delwaide et Goffin de
C'est au cours de l'année Chicoutimi. La pierre de granit
1913 que débutent les travaux de provient de la Rivière-à-Pierre et
construction de la nouvelle la pierre de taille de Saint-Marc­
cathédrale. Les plans de l'édifice des-Carrières. 23
sont l'oeuvre de l'architecte de
Québec René-Pamphile Lemay. L'intérieur du bâtiment est
Ce choix n'est pas un hasard: Le trône de l'évêque de la deuxième cathédrale. saisissant. La voûte principale qui
Lemay à signé les plans de Source: ANQC, coll. de la SHS, carton 115. s'élève à 80 pieds de hauteur et

26======================= Saguenayensia- juillet - septembre 1997


d'acquisition d'un orgue lait, la fumée et les flammes
avec le célèbre facteur de perçaient à travers le parquet
Saint-Hyacinthe, la maison jusqu'à la balustrade, interdisant
C a s a v a n t e t Fr è r e s . toute tentative de sauvetage.
L'instrument est de belle
facture, le buffet est de «Peu de temps après,àl'extérieur,
chêne et de merisier et les la foule attirée par l'alarme,
tuyaux de façade sont devinait qu'elle allait subir la
décorés de couleur et d'or. torture d'assister impuissante àla
Le précieux instrument est destruction du monument qui
acquis pour la somme de faisait l'orgueil du diocèse. Le
7 565$ et installé au cours dévouement de la brigade et de
du mois d'août 1915.25 ceux qui leur prêtaient main forte
restait inutile. On dut se contenter
La joie est grande dans de sauver les registres paroissiaux
la population, lors de la de l'année, qu'un brave alla
bénédiction de la nouvelle chercher par une fenêtre de la
cathédrale en 1916. On sacristie.
vient d'effacer symboli­
quement le souvenir du «Qu e l qu e s m i n u t e s a p r è s
désastre de juin 1912. Les l'alarme, le feu grimpait àla voûte
journaux parlent d'une de l'abside, faisant voler les
véritable renaissance de la verrières en éclat. Tout est bien
Les ruines de la deuxième cathédrale, en 1919. ville et ce «véritable monu­ fini, se dirent les spectateurs. Les
Source: ANQC, coll. de la SHS, carton 951. ment d'art religieux» est un sacrifices de 1912, les longs
témoin pour les siècles à séjours dans l'église temporaire,
celle des bas-côtés à 50 pieds offrent venir du zèle infatigable de l'évêque et le dévouement à l' oeuvre de la
un relief gracieux et une impression de de la population qui l'a secondé. Il nouvelle cathédrale; les joies de
grande richesse à l'ensemble du s'agit d'un fort beau témoignage la bénédiction en mai 1916,
bâtiment. La deuxième cathédrale se d'espérance en l'avenir. Hélas, ces l'apothéose de mai 1917'26,· lafierté
distingue par la présence d'une riche a u g u r e s p r o m e t t e u r s
collection de 44 vitraux commandée n'auront été que de courte
par Mgr Labrecque à Henri Perdriau, durée. Dans la soirée du 15
maître-verrier et directeur-gérant de 1� janvier 1919, la cathédrale
Compagnie de vitraux de Montréal. A est à nouveau la proie des
en croire les nombreuses descriptions flammes. Et les fidèles
qui en sont faites, notamment dans le n'ont d'autre choix que
Progrès du Saguenay et Le Messager d'assister impuissants à la
de Saint-Antoine,24 ces verrières relè­ réédition d'une catastrophe
vent véritablement du chef-d'oeuvre. vécue il y a moins de sept
La plupart représentent les apôtres, les ans. Le Progrès du Sague­
évangélistes, les saints, les bienheureux nay publie un compte rendu
qui font l'objet d'une dévotion parti­ dramatique de l 'événe­
culière dans la région et les écussons ment, la semaine suivante:
de Mgr Racine et de Mgr Labrecque.
Deux autres vitraux représentent des «LA CATASTROPHE
scènes de notre histoire: la première
messe célébrée au Canada, en 1615, et «Tout le pays connait
la bénédiction des Amérindiens à la triste nouvelle: la
Tadoussac par Mgr de Laval, en 1658. fière cathédrale de
Parmi ces vitraux, il faut aussi souligner Chicoutimi est devenue
la présence, dans les transepts, de deux la proie des flammes.
énormes rosaces, intégration har­
monieuse d'éléments gothiques à ce «Jeudi soir, vers dix
bâtiment déjà empreint de différents heures et quart, on
styles architecturaux. téléphonait au presby­
tère: le feu est à la Ca­
Rien n'est laissé au hasard pour thédrale. Les prêtres se
faire renaître dans la population de précipitèrent, suivis de
Chicoutimi le sentiment de fierté qui quelques citoyens. Un ostensoir et un calice datant de l'époque de la
avait été fortement ébranlé par l'in­ Mais on eut tout au plus première cathédrale, mais qui disparurent dans
cendie de 1912. Ainsi, Mgr Labrecque le temps de sonner le l'incendie de la deuxième.
conclut, le 5 septembre 1914, un contrat tocsin: le choeur brû- Source: ANQC, coll. de la SHS, carton 1800.

Saguenayensia- juillet - septembre 1997 27


légitime que les Chicoutimiens
ressentaient chaque fois qu'ils
venaient à leur cathédrale: tous
ces souvenirs affluaient à l'esprit
des assistants pour aller ensuite
rouvrir dans leur coeur la plaie
faite par l'épreuve de 1912. Il
fallait donc recommencer la
période d'organisation!

«Bien des personnes pleuraient.

«Cependant le feu précipitait sa


sinistre besogne. Un peu avant
minuit, il avait ravagé tout l'in­
térieur, et la structure de la claire­
voie s'effondrait lamentablement
produisant par sa chute un épou­
vantable regain d'incandescence.
Du foyer ardent où l'armature en
acier se tordait en crépitant, les
flammes jaillirent vers le firma­
ment allant former, à quelques
centaines de pieds, un dôme
couleur de sang qui s'effrita en L'intérieur de la deuxième cathédrale.
étincelles sur tout le territoire Source: ANQC, coll. de la SHS, carton JO 786.
environnant la cathédrale. Ce fut
le moment critique pour les
maisons avoisinantes.Mais grâce préservée par l'eau d'un réservoir «Le feu, dont on ignorera proba­
aux travaux de sauvetage, le qu'elle renfermait, conservait son blement toujours la cause27, avait
presbytère que l'on vidait de ses dôme. achevé son oeuvre. »28
meubles, et les habitations qui sont
vis-à-vis à la cathédrale purent «Mais voilà que les flammes Encore une fois, les pertes sont
être épargnées.Le foyer se concen­ hésitantes entreprennent dans la énormes, beaucoup déplorent parti­
tra à l'intérieur des murs restés tour de l'est, leur destructive culièrement la perte des magnifiques
debouts. Par intervalles une forte perquisition. Elles m o ntent verrières, mais il s'agit également de
détonation venait effrayer la foule; ravageant tout l'intérieur sur leur tout l'ameublement artistiquement
c'était des pierres qui éclataient passage, s'attardent aux colonnes travaillé: l'autel, le trône, les stalles, la
et dont les morceaux allaient des ouvertures. Un peu après une chaire et l'orgue qui sont perdus. Les
tomber à plusieurs pieds de l'édifi­ heure, leur sinistre opiniâtreté précieux souvenirs des fêtes de 1917,
ce.L'incendie de l'orgue, avec ses avait eu raison de la fière les riches ornements sacrés, les vases
flammes bleues, rouges et vertes construction. Le dôme flambait saints et plusieurs oeuvres d'art, dont
qui s'élançaient en sifflant a tout lentement.Les colonnes protégées le fameux Rubens, sont mis à la liste
abimé le bas-relief dufronton; les par un recouvrement en tôle des pertes. Malgré ce second revers, la
débris jonchent les marches du résistaient... mais elles devaient population de Chicoutimi, par la voix
perron. céder, elles aussi. Bientôt, on vit du Progrès du Saguenay, 29 clame à
le dôme se pencher vers le brasier, nouveau son désir de recommencer.
«Vers une heure, la rage de l'élé­ tenir encore un temps pour
ment destructeur semblait devoir disparaître... Le spectacle était ***
s'apaiser. La cathédrale n'était vraiment lugubre. Cet incendie à
plus qu'une enceinte frémissante cent quatre-vingt pieds du sol Immédiatement après l'incendie,
sous les derniers chocs d'une produisait l'effet d'un gigantesque la décision est prise de reconstruire la
brûlante agonie: aux ouvertures flambeau mortuaire allumé pour cathédrale. On utilise ce qui reste de
béantes du portail et des transepts, éclairer l'agonie de notre chère l'édifice pour jeter les bases de la
des ombres alternaient avec les cathédrale. Découronnée, nouvelle construction. On se sert des
lueurs des flammes fatiguées de ravagée, striée de trainées noires mêmes plans que pour la précédente,
détruire. On pouvait entendre descendant des ouvertures, comme mais ceux-ci sont adaptés par la firme
maintenant les lugubres palpita­ des larmes profond emment d'architecte Lamontagne et Grave!.
tions des pans de couverture en amères, la tour de l'est reste Les travaux de reconstruction durent
feuilles de zinc qui flottaient sous cependant debout: symbole du trois ans et le temple est inauguré à la
la poussée de la chaleur comme courage que les plus dures fin du mois de février 1922. 30 Les
des feuilles de pçipier de soie au épreuves ne peuvent abattre modifications se situent surtout dans
vent. La tour de l'ouest, en partie entièrement... l'aménagement intérieur dont les

28======================= Saguenayensia- juillet - septembre 1997


La troisième cathédrale d e
Chicoutimi a subi a u fil des ans
quelques rénovations et plusieurs
transformations. Citons, entre autres,
les réaménagements qui suivirent le
concile oecuménique de Vatican II
(1962-1965). Dans le but d'assurer le
renouveau préconisé par ce concile, les
églises se dépouillent quelque peu du
faste d'autrefois, de façon à rapprocher
de leurs ouailles les tenants du pouvoir
spirituel. Ainsi, en 1970, le maître-autel
de la cathédrale est remplacé au profit
d'un autel plus modeste faisant face à
l'assemblée. L'on a aussi délaissé la
chaire surélevée qui dominait les
fidèles. Bien qu'inutilisée aujourd'hui,
elle témoigne toujours par sa présence
des coutumes d'antan. Comme monu­
ment, cette chaire est remarquable par
la qualité de sa facture et par l'abondan­
ce des symboles qu'on y retrouve: les
tables de la loi données par Dieu à
L'intérieur de la troisième cathédrale. Moïse, l'oeil de Dieu dans le triangle
Source: ANQC, coll. de la SHS, carton JO 786. représentant la Trinité, la colombe
représentant l'Esprit-Saint, inspirant la
structures sont en grande partie orné des armoiries du diocèse et au parole du célébrant, et l'ange à la
constituées de matériaux ininflamma­ sommet du siège sont sculptés les trompette appelant le peuple de Dieu.
bles. L'église possède une abondance symboles du pouvoir de l'évêque: la
de colonnades où s'entremêlent mitre, la croix, l'étole, la plume et la Conclusion
adroitement différents éléments de crosse. Le trône comporte également
style classique. Les colonnes sont de la représentation d'un pélican, symbole À une époque où la ferveur et la
plâtre avecdes bases en chêne. La voûte du Christ nourricier par la parole pratique religieuse ne sont plus aussi
est constituée de plusieurs couches de divine. ardentes qu'autrefois, de nombreuses
plâtre maintenues par des structures de questions se posent sur l'avenir de tels
métal. La conception et l'aménagement bâtiments. La région du Saguenay­
intérieur de la cathédrale n'ont pas été Lac-Saint-Jean compte un bon nombre
Si l'église ressemble beaucoup à faits au hasard. Tout ce qu'on y d'églises. Plusieurs de celles-ci ne
la précédente, les ornements et le retrouve concourt à mettre en valeur peuvent être entretenues comme elles
mobilier sont entièrement renouvelés. les symboles de la foi catholique et des le devraient; les subsides des différen­
Les vitraux qui faisaient l'orgueil de la fondements de la religion chrétienne. tes paroisses ne suffisent plus à couvrir
précédente sont refaits et représentent Son sous-sol renferme une crypte où les frais d'entretien de ces spacieux
les mêmes sujets. Les fresques ornant sont conservés les corps des évêques édifices. Ainsi, la question de leur
les murs et le plafond sont, pour leur qui se sont succédé à la tête du diocèse, reconversion est à l'ordre du jour. Cette
part aussi, fort impressionnantes. Celle Mgr Dominique Racine (1878-1888), question doit toutefois se poser dans
de la voûte est l' oeuvre de Monti. Cet Mgr Michel-Thomas Labrecque l'optique du respect de la préservation
artiste réalise un tour de force (1892-1927), Mgr Charles Lamarche d'une facette essentielle de notre passé.
remarquable, étant donné les difficultés (1928-1940) et Mgr Georges Melançon Elles doivent perpétuer le souvenir
qu'offre le relief du plafond. Cette (1940-1961). De plus, le 26 février d'une époque où la pratique religieuse
oeuvre représente la Sainte-Trinité 1922, ont été inaugurées les trois était partie intégrante du quotidien de
dans toute sa gloire, entourée de cloches qui se retrouvent toutes dans la population. Elles doivent devenir
plusieurs personnages dont la Sainte­ le clocher droit de la cathédrale. La également des lieux propres à appren­
Vierge, Saint-Joseph et les apôtres. Elle première de ces cloches est dédiée à la dre l'histoire de nos prédécesseurs et
semble reposer en ses quatre coins sur Sainte-Famille, à Saint-François­ de leurs coutumes. En ce qui concerne
la représentation en médaillons des Xavier, au pape Benoît XV et aux trois la cathédrale, il s'agit de la représenta­
évangélistes qui sont les porteurs de la premiers évêques de Chicoutimi; la tion de la continuité de l'histoire de
parole divine. Tout le mobilier de seconde aux curés de la cathédrale qui Chicoutimi. Depuis 1676, un temple
l'église est fait de chêne, donnant à se sont succédé jusqu'en 1922; et la dédié à saint François-Xavier domine
l'ensemble une impression de troisième a reçu les noms de Méridée Chicoutimi et illustre de façon tangible
noblesse. De cet ameublement, il (Méridé Fortin, marguillier en charge l'identité de c ette communauté
convient de signaler le cathedra(trône en 1922) etdeElzéar(Elzéar Lévesque, saguenéenne. Elle est, tout comme le
de l'évêque) qui est l'oeuvre du avocat et maire de la ville de Chicou­ majestueux cadre naturel régional,
sculpteur de Québec, Vallières. Il est timi à cette époque). l'incarnation de la grandeur de la région

Saguenayensia- juillet - septembre 1997 29


et le symbole de la force et de l'esprit passé. Selon les inscriptions qui sont dans Le Messager de Saint-Antoine,
d'initiative de sa population. gravées sur cette croix, elle aurait été Vol.XXI,no9(février 1916),pp. 132-
forgée en 1726. 198.
Notes
16
S.H.S., fondsLéonidas-Bélanger,F2/ 25
Contrat no 660 entre Casavant Frères
111.05. etMgrM.-T.L�brecque,5 sept. 1914,
Relations de la Nouvelle-France, en
17
Marius Paré, L'Église au Diocèse de Archives de!'Evêché de Chicoutimi,
l'année 1661, p. 13, dans Lorenzo Chicoutimi, T.1, Germination et vol. 2, pièce 8.
Angers, Chicoutimi poste de traite Formation(1535-1888),Chicoutimi, 26
Il s'agit ici de la célébration des noces
(1676-1856),Leméac, 1971 p. 12. 1988, pp. 239-242. d ' a r g e n t é p i sc o p a l e s d e M g r
Camille Lapointe, «Les vestiges du
18
Ibid. Labrecque.
poste de Chicoutimi: Des bâtiments,
19
Arthur Buies,Le Saguenay et la vallée 27
Le Messager de Saint-Antoine
des objets, des ossements ... et des du Lac-Saint-]ean,Québec,1896,pp. mentionne,dans son édition de février
hommes» dans Saguenayensia, vol. 156-157. 1919 (vol. XXIV, no 9), que la cause
27,no 4(octobre-décembre 1985),pp.
20
ANQC,fondsMgr-Victor-Tremblay, de l'incendie serait probablement une
184-189. dossier 632, pièce 1. fournaise qui aurait explosé.
Second registre de Tadoussac,(folio
21
LeProgrès du Saguenay,29 juin 1912, 28
«La cathédrale éprouvée de nouveau»
60 recto, 1676), dans Léonidas p. 1. dans Le Progrès du Saguenay, 23
Larouche, Le Second registre de
22
«La nouvelle cathédrale de Chicou­ janvier 1919, p. 1.
Tadoussac (1668-1700), Québec, timi» dans Le Messager de Saint­ 29
Ibid.
P.U.Q., 1972, p. 153. Antoine, Vol. XXI, no 9 (février 30
La troisième cathédrale ne sera
4
Ibid., (folio 57 recto, 1693), p. 145. 1916); « Bénédiction» dans Le Pro­ consacrée qu'en 1972. Comme on ne
Ibid., (folio 60 verso, 1677), p. 154. grès du Saguenay, 1 juin 1916, p. 1. peut consacrer à Dieu qu'une église
Lorenzo Angers,Chicoutimi, poste de
23
Le Messager de Saint-Antoine, Ibid. entièrement payée, le laps de temps
traite (1676-1856), op. cit., pp. 31-
24
« Une visite aux verrières de la Cathé­ entre l'inauguration et la consécration
32. drale de Chicoutimi» dansLe Progrès est très long. La communauté devait
Ibid., pp. 34-35. du Saguenay, 5 janvier 1916; «La payer tout d'abord celle qui avait brûlé
Léo-Paul Hébert, Le troisième re­ nouvelle Cathédrale de Chicoutimi» en 1919.
gistre de Tadoussac (Miscellanorum
Liber), Chicoutimi, P.U.Q., 1976,
340 p.
9
Lorenzo Angers, op. cit., pp. 36-48.
10
Ibid., pp. 112-113.
11
La paroisse Saint-François-X avier de
Chicoutimi ne sera érigée canonique­
ment qu'en 1859.
12
Cette église fut construite un peu au
nord de l'emplacement de l'actuelle
cathédrale.
13
ANQC,fondsMgr-Victor-Tremblay,
dossier 632, pièce 5 (ancienne cote).
14
Russel Bouchard, Histoire de
Chicoutimi, (La fondation 1842-
1893), Chicoutimi-Nord, L'auteur,
1992, pp. 73-76; S.H.S., fonds
Léonidas-Bélanger, F2/1 l 1.05.
15
Cette croix fait présentement partie
de la collection du Musée du Sague­
nay-Lac-Saint-Jean. Elle constitue La troisième cathédrale de Chicoutimi.
une des plus ancienne relique de notre Source: ANQC, coll. de la SHS, carton 959.

30====================== Saguenayensia- juillet - septembre 1997


Introduction Ensuite, sur le plan pétrographi­ foyer,il s'en trouve un. Ils sont littérale­
que,les rives du lac sont composées de ment étagés ou en rangée. Ceux qui se
Dans le cadre d'un cours intitulé nombreux types de roche; surtout des trouvaient plus près de la bordure de la
«Analyse des témoins archéologiques» galets de schiste, d'argilite et de grès forêt ont été moins touchés par la
dispensé par l'Université du Québec à peu consolidé. Par contre, les silex et montée des eaux. En général,les foyers
Chicoutimi, on nous a remis une la calcédoine sont absents. sont sur la grève. Dans les bois,on peut
collection à étudier. Notre équipe a déceler des sentiers sur lesquels la
hérité des artefacts des sites DbEw-1 à Pour ce qui est de la flore,en 1849, nature a repris ses droits et qui
DbEw-11. Cette collection a été re­ à l'arrivée des premiers colons, la forêt conduisent à des campements dont on
cueillie par le notaire J.-Henri Fortin se constituait principalement d'épinet­ retrouve souvent les monticules
lors de certaines expéditions de pêche tes et de sapins et de quelques pins soulevés de 7 à 8 pouces.
sur le lac de la Belle Rivière, au cours blancs. Entre 1850 et 1930, la compa­
des années 1960. En archéologue gnie Price a procédé à deux coupes de M. Fortin caractérise les sites du
amateur averti, M. Fortin a relaté les bois majeures sur le territoire du lac de secteur «R» (lac de la Belle Rivière)
résultats de ses fouilles dans des la Belle Rivière. De plus, pour le comme des sites à outils grossiers et
rapports annuels dès 1964. transport du bois,un barrage a été érigé rudimentaires. Il mentionne aussi que
sur la rivière. La combinaison du beaucoup de spécimens étaient érodés
Contexte culturel et écologique déboisement et de la montée du niveau et que seulement les pièces les plus
moyen du lac a provoqué une descente grosses ont résisté au lessivage des
Les onze sites de la collection se et un lessivage des grèves. grèves. Selon le notaire Fortin, les
trouvent tous sur les rives du lac de la artefacts sont toujours sur la plage,
Belle Rivière. Ce lac se situe sur le Quant à la faune, on suppose, éparpillés autour des feux et dans le
versant nord des Laurentides à une comme le relate Joseph-Laurent lac. Par contre,il n'a jamais fouillé les
latitude moyenne de 48 ° 13' et une Normandin dans son journal de 1732, campements. Dans son rapport de 1964
longitude entre 71 ° 41' et 71 ° 47'. En que le lac regorgeait de truites, que et dans celui sur «un foyer amérindien
ligne directe, le lac se trouve à environ l'orignal abondait dans la région. On du site R», il mentionne:
10 milles au sud-est du lac Saint-Jean, croit également que des bandes de
près des localités de Métabetchouan et caribous desLaurentides fréquentaient «Nous n'avons pas tenté de
d'Hébertville. Ce plan d'eau d'environ le territoire jusqu'en 1910. Apparem­ recherches intensives en forêt car
6 milles de longueur s'élève à une ment, on n'y voyait pas de chevreuils. nous avons la ferme convictionque
altitude de 1 100 pieds. Lors de la fonte Toutes ces informations proviennent les indiens fréquentaient le lac
du glacier, il y a 4 500 à 5 000 ans, son de sources historiques retracées par le massivement en été ... Les groupes
nivea4 s'élevait à au moins 30 pieds de notaire Fortin et qu'il a relatées dans de feux partout autour du lac en
plus. A 5 milles de la plus importante ses rapports. sont un indice. »
terrasse du sud-est du Lac-Saint-Jean
dont l'altitude est de 450 pieds, le lac Les notes du notaire Fortin Il affirme aussi:
de la Belle Rivière n'a pas connu
l'envahissement de la mer Laflamme. Ces fameux rapports de l'archéo- « ... mais nous n'avons pas fouillé
Ce lac est alimenté par deux rivières 1 o gue amateur sont une précieuse un de ces campements en retrait
importantes, la rivière du Milieu et la source d'informations surtout en ce qui de la plage, et ailleurs nous avons
rivière des Joncs dont le plus important concerne les sites et le contexte -de profité de travaux de chemins qui
tributaire est le lac des Cèdres. Quant cueillette des artefacts. Le notaire avaient bouleversé des cam­
à lui, le lac de la Belle Rivière déverse Fortin mentionne que sur les grèves du pements pour nous assurer de
ses eaux, par la rivière du même nom, lac abondent les foyers amérindiens. l ' abs e n c e p r e sq u ' abs o l u e
dans le lac Saint-Jean,à Saint-Gédéon. Partout où il était possible d'établir un d'artefact dans ces campements. »

Saguenayensia- juillet - septembre 1997 31


Ensuite, en ce qui concerne le type lithiques par site et pour
de fouille, l'archéologue amateur l'ensemble des sites,
explique en ces termes: ainsi que la fréquence
des éléments selon leur
«Il serait possible toutefois de typologie.
déplacer d'énormes quantités de
galets et de sable pour retrouver Interprétation
de probléma tiques pièces de Lac
q u a r tzite ou d'autres silex Dès le départ, nous Saint-Jean
étrangers à notre région, surtout avons constaté la
dans les pointes deflèche. Ce serait nécessité de faire une
d'ailleurs un travail de géant. distinction entre les
Ainsi, en présence de tous ces faits sites qui contenaient un
nous nous sommes contentés de grand nombre de pièce
faire de bons plans et de diviser le et ceux qui en avaient
lac en sections, et enfin de beaucoup moins. Nous
recueillir en surface a uta nt avons donc considéré
d'artefacts que possible.» les sites DbEw-1 (33
pièces), DbEw-7 (41
En bref, après avoir considéré pièces), DbEw-8 (29
toutes ces informations, nous pouvons pièces) et DbEw-10 (82
formuler quelques réserves qu'il faudra pièces), comme des
garder à l'esprit lors de l'interprétation sites majeurs. Les sites
des données.D'une part, le notaire For­ moyens sont DbEw-2
tin n'a pas tout ramassé, il a sélectionné (11 pièces), DbEw-4
les pièces les moins érodées ou les plus (18 pièces) et DbEw-5
beaux artefacts (outils). D'autre part, (15 pièces). Et enfin,
l'action del'eau a emporté bon nombre DbEw-3 (7 pièces),
de petites pièces et éclats. Il faut aussi DbEw-6 (2 pièces), Localisation schématique du lac de la Belle Rivière.
mentionner que la collection de J-Henri DbEw-9 (5 pièces) et
Fortin, depuis 1964, a passé entre DbEw-11 (2 pièces) sont des sites 42% de quartz, 41% de quartzite de
plusieurs mains avant d'aboutir dans mineurs. Les sites archéologiques Mistassini, et loin derrière la calcé­
l e s collections d u laborat o i r e majeurs ont été étudiés individuelle­ doine avec 10%. Les autres matières
d'archéologie d e l'Université du ment. Les sites moyens n'offrent pas sont très peu représentées avec moins
Québec à Chicoutimi. Apparemment, de données très représentatives. Nous de 3%.
certaines pièces sont manquantes, si avons utilisé les éléments de ces
l'on compare la description des pièces derniers pour appuyer une vue Cependant, si l'on se penche sur
que fait l'archéologue amateur dans ses d'ensemble des sites et comme point certains sites majeurs, on découvre des
rapports et la collection actuelle. de comparaison avec les sites majeurs. points fort intéressants. Les sites
Les sites mineurs ont très peu d'impact, DbEw-1 et DbEw-8 se ressemblent
Analyse des témoins ils n'ont qu'un poids relatif que s'ils beaucoup en ce qui concerne la
archéologiques sont replacés à l'intérieur de l'analyse fréquence des matières premières. Pour
de l'ensemble des sites. DbEw-1 on retrouve le quartz à 73%,
Cette collection que nous avons le quartzite de Mistassini à 21% et la
étudiée se compose principalement Si l'on regarde la répartition des calcédoine à 6%. En ce qui concerne
d'artefacts lithiques provenant de sept sites autour du lac, on peut constater DbEw-8, les proportions se divisent
sites sur les onze répertoriés. Les que chacun couvre une superficie en 62% de quartz, 35% de quartzite de
artefacts se présentent sous forme de relativement similaire, à l'exception de Mistassini et 4% de calcédoine. Par
nucléus, de débris et d'éclats, certains DbEw-8 qui est environ trois fois plus conséquent, on peut constater que le
utilisés et d'autres retouchés. On grand que les autres. Le notaire Fortin secteur d'approvisionnement en
retrouve aussi un bon nombre d'outils avait divisé la région du lac de la Belle matières premières pour ces deux sites
divers, surtout des grattoirs et quelques Rivière, qu'il appelle le site «R», en est relativement restreint, les matières
pointes. Il y a aussi quelques éclats quatorze sections dont les superficies étant toutes d'origine régionale, dans
d'os, quelques tessons de poteries et étaient similaires. le contexte où, évidemment, on consi­
des pièces historiques. Pour notre tra­ dère local le quartzite de Mistassini
vail, nous avons éliminé l'os et l'histo­ Matières lithiques dont la source se situe à plus de 300 km
rique. Les tessons de poterie ne servi­ au nord du lac de la Belle Rivière. De
ront que comme repères temporels. Étant donné que la majorité des plus, le fort pourcentage de quartz est
Conséquemment, nous avons focalisé artefacts sont des pièces lithiques, la une donnée importante. Le quartz, que
notre étude sur les pièces lithiques. matière première est visiblement la l'on retrouve en grande quantité dans
donnée qui donne le plus d'informa­ la région du Saguenay-Lac-Saint­
Pour notre analyse, nous avons tions. Sur l'ensemble des sites, les Jean est une matière très peu appropriée
retenu la fréquence des matières matières lithiques se répartissent en à la taille d'outils.

32========================= Saguenayensia- juillet - septembre 1997


Il est possible que ces deux sites
soient des emplacements de fin de
saison hivernale. Après une période de
nomadisme temporaire due à la chasse
durant l'hiver, les groupes autochtones
de retour le long du lac de la Belle
Rivière avaient épuisé leurs réserves
de matières premières de qualité. Nous
émettons l'hypothèse que les zones
d'approvisionnement régionales en
matière. lithique n'étaient pas encore
accessibles aux populations à cette
période ou que la période de rencontre
avec d'autres groupes permettant
d'échanger n'avait pas encore eu lieu.
Les occupants étaient donc obligés
d'utiliser le quartz local malgré sa
piètre qualité.
Le site DbEw-10possède un carac­
tère un peu plus varié avec 22% de
quartz, 66% de quartzite de Mistassini,
près de 9% de calcédoine et un faible Du haut vers le bas, de gauche à droite: hache, DbEw-5, argil.; racloir, DbEw-7, quartz;
pourcentage de schistes et de grès. Les pointe, DbEw-10, Qzt Mist.; racloir, DbEw-10, Qzt Mist.; hache, DbEw-10, schiste.
pierres de ce site sont d'origine locale Source: Laboratoire d'archéologie de l' UQAC.
et régionale. Nous remarquons que la
proportion de quartz a diminué compa­ les populations du sud-ouest à la fin de De tous ces outils, les grattoirs, les
rativement aux sites analysés précé­ la préhistoire. pointes et la hache sont les pièces les
demment. Apparemment, les autochto­ plus intéressantes. La hache a été
nes qui ont occupé cet emplacement Étant donné l'état des sites et les recueillie dans le site DbEw-1O. Cette
avaient une plus grande accessibilité circonstances de cueillette des pièce de schiste gris poli est incom­
aux matières lithiques de qualité que artefacts, il faut mettre un bémol à nos plète, il lui manque un fragment latéral.
ceux qui ont fréquenté les autres sites. suppositions. Il serait risqué de De tous les outils de la collection, cette
s'avancer plus à partir de ces données. hache est la pièce la plus grosse. Dans
Le plus intéressant des sites du lac ce même site, on a aussi retrouvé 2
de la Belle Rivière est sans aucun doute Typologie et morphologie pointes; l'une n'est qu'un fragment
le DbEw-7. Il se démarque par sa proximal en quartzite blanc d e
grande variété de matières lithiques Si l'on s'aventure dans la section Mistassini. L ' a u t r e pointe e s t
dont certai nes proviennent d e de la typologie, le premier arrêt se fait également incomplète, cette fois-ci elle
l'extérieur du Saguenay-Lac-Saint­ au niveau des éclats. Dans l'ensemble est incomplète proximalement. Cette
J ean. Dans ce site, la présence de des sites, on retrouve 13 éclats utilisés pointe de quartzite blanc et gris de
q u a r t z i t e de R a m a h d a n s u n e et 21 éclats retouchés. Le site DbEw- Mistassini est problématique. Elle ne
proportion de 10% est un fait sans 10 cumule 8 des 13 éclats utilisés. Pour possède pas de queue et il est difficile
équivalent dans les autres sites. ce qui est des éclats retouchés, on en de déterminer si elle a été taillée ainsi
retrouve 10 dans DbEw-7 et 4 dans ou si elle a été cassée. On suppose
À l'intérieur de ce groupe, le quartz DbEw-1O. Dans ces deux sites, les qu'elle a été cassée puisqu'autrement
n'occupe qu'une infime portion de 5% retouches ont tendance à être droites, comment aurait-elle pu être fixée?
alors que dans les autres sites, il atteint combinées parfois à du concave et du
des valeurs de 22% à 100%. La convexe. Dans le reste de l'ensemble, DbEw-10 a également livré 3
calcédoine est, comparativement aux les retouches sont plutôt concaves ou grattoirs, tous entiers. Deux de ces
autres sites, fortement représentée dans convexes. En général, ces éclats sont outils sont taillés dans du quartzite
le DbEw-7; ce type de pierre constitue taillés dans du quartzite. Les sites blanc et gris de Mistassini. Il semblerait
34 % de l'ensemble. Le schiste et le DbEw-7 et DbEw-10 se rapprochent que l'on ait retaillé ces grattoirs dans
chert se retrouvent à 5% et l'argilite à l'un de l'autre et se distinguent du reste des pierres à fusil ou quelque chose y
2%. Il est évident que les occupants de de l'ensemble à ce niveau des éclats. ressemblant. Ils ont tous deux une
ce site participaient à des réseaux forme discoïde. L'autre grattoir a été
d'échanges car le chert et le quartzite Sur l'ensemble des 245 pièces de fait dans de la calcédoine et possède
de Ramah proviennent des régions du la collection, l'on retrouve 29 outils une forme plutôt trianguloïde.
nord et du sud-est. De plus, les tessons entiers ou fragmentés. Ces outils se
de poterie, dont l'un d'eux est d'après répartissent en 11 grattoirs, 3 pointes, On a également retrouvé 3 grattoirs
les motifs d'origine huronne, indiquent 3 outils indéterminés, 5 pièces entiers sur le site DbEw-1. L'un de ces
que les occupants participaient esquillées, 2 perçoirs, 2 couteaux, 1 grattoirs a été taillé dans du quartzite
également à un réseau d'échanges avec foret, 1 hache et 1 coin. noir et a une forme quadrangulaire. Le

Saguenayensia- juillet - septembre 1997 33


second grattoir de quartzite blanc que le quartz. Les
possède une forme discoïde. Le dernier éclats de calcédoine
plutôt trianguloïde a été fabriqué de sont encore beaucoup
calcédoine. La diversité de la mor­ moins nombreux que le
phologie des grattoirs est particulière quartzite. Cela porte à
à ce site. croire qu'il était plus
difficile à se procurer
Dans l'ensemble, trois autres de la calcédoine, et
grattoirs se démarquent par leur forme qu'elle se transigeait
plutôt inhabituelle. Ces outils recueillis par échange ou encore
dans le site DbEw-7 sont tous taillés qu'on lui préférait le
dans du quartzite blanc de Mistassini. quartzite dont la qualité
L'un de ces grattoirs a une forme est de loin supérieure.
indéterminable, les deux autres sont Il est fort probable que
plutôt ovoïdes. la calcédoine arrivait à
ces sites sous forme Du bas vers le haut, de gauche à droite: couteau, DbEw-1,
Les deux derniers grattoirs de d'outils complets ou Qzt Mist.; perçoir, DbEw-1, Qzt Mist.; grattoir, DbEw-1,
l'ensemble ont été retrouvés dans les sous forme d'ébauches chert; pointe, DbEw-6, chert; racloir, DbEw-6, Qzt Mist.;
sites DbEw-3 et DbEw-5. Le premier assez développées grattoir, DbEw-1, calcédoine; grattoir, DbEw-1, Qzt Mist.
est trianguloïde et taillé dans du qu'il ne restait qu'à Source: Laboratoire d'archéologie de l' UQAC.
quartzite blanc de Mistassini. Le retoucher, et les mi­
second est triangulaire et fabriqué dans nuscules éclisses ont probablement été servaient qu'à s'abriter lors des
du quartz grisâtre. A l'exception des dispersées par les forces de la nature. intempéries.
pièces esquillées et du coin, ce grattoir Par contre, les sites DbEw-7 et DbEw-
est le seul outil de l'ensemble à avoir 10 contredisent un peu cette hypothèse. E n comparant les sites, o n
été fabriqué dans du quartz. Ce n'est que dans ces deux sites que s'aperçoit que les populations qui
l'on retrouve la calcédoine sous forme fréquentaient le site DbEw-7 avaient
Le site DbEw-5 n'a fourni que des de débris, d'éclats et de nucléus. Les des contacts avec l'extérieur de la
pièces de quartz. On pourrait dès lors occupants avaient soit des moyens plus région, comparativement aux autres
croire à un petit atelier de taille. La efficaces de se procurer cette matière, sites qui semblent avoir été occupés
nature des objets découverts semble soit qu'ils n'avaient pas accès à un par des groupes plus isolés. Si les sites
d'ailleurs plaider pour cette meilleur matériau. D b E w -1 à D b E w -11 é t a i e n t
interprétation. En effet, ce site a donné contemporains, les populations qui
des éclats, un éclat retouché, des débris Si l'on regarde l'ensemble, on peut fréquentaient le lac de la Belle Rivière
et des nucléus. Ils ont tenté de le dire que la majorité des sites se étaient bien différentes les unes des
travailler. ressemblent. Il est évident que DbEw- autres. Cela est difficile à croire. Il est
7 se démarque, l'on a affaire à un site plus probable que ces sites ont des
Finalement, l'une des p1eces dont le contexte était différent. On peut époques d'occupation différentes. Si
intéressantes de l'ensemble est la également avancer que DbEw-10 serait l'on se réfère aux tessons de poterie
pointe de chert retrouvée dans le site un intermédiaire entre l'ensemble des retrouvés dans le site DbEw-7, on peut
DbEw-6. Cette pointe entière possède sites et DbEw-7. DbEw-10 peut être situer le site à l'époque historique. Si
une base concave avec encoche, ce qui associé à la majorité des sites par la l'on admet que les sites ont été
permet de la placer dans la classe 8. présence de matières uniquement fréquentés à des périodes différentes,
régionales. Cependant, la quantité de on peut dire que l'aspect du lac de la
Dimensions matières premières de qualité situe le Belle Rivière a évolué à travers le
site entre DbEw-7 et le reste de temps. La région a vu passer des
Étant donné le lessivage des sites, l'ensemble. populations différentes. Il a vu se
il est plus risqué de s'aventurer dans ce développer de nouveaux réseaux
domaine. Mais si l'on garde à l'esprit Conclusion d'échange. Il a subi l'arrivée des colons
que les petits éclats et les petits outils européens et il a souffert du développe­
ont sûrement été emportés par les eaux, Après avoir épluché toutes ces ment industriel. Autour du lac de la
les données peuvent quand même données, l'on peut s'imaginer la vie au Belle Rivière, la flore a changé, la faune
fournir quelques éclaircissements. lac de la Belle Rivière au moment de a changé, les populations ont changé.
Pour ce qui est de l'ensemble des sites, l'occupation des sites par les groupes Et tout continuera de changer. Sans
les classes dimensionnelles d'éclats les autochtones. Il semble que le lac était cela, il n'y aurait pas d'évolution du
plus fréquentes se concentrent entre un endroit très fréquenté, comme le temps, ni passé, ni présent, ni futur; et
200 mm à 800 mm. La classe de 1000 démontre la grande quantité de foyers sans passé, pas d'archéologie.
mm et+ est aussi une classe importante. établis sur ses berges. Les artefacts
recueillis se trouvaient tous autour ou
Combiné à la matière, on peut voir à proximité des foyers. On suppose
que les matières de qualité comme le donc que les activités se déroulaient
quartzite ou la calcédoine présentent sur la plage, autour du feu. Les
beaucoup moins d'éclats ou de débris campements en retrait dans les bois ne

34======================= Saguenayensia- juillet - septembre 1997


Introduction sites archéologiques dont, pour des surface et au hasard des déplacements.
raisons tant historiques que géogra­ La quasi totalité des pièces analysées
Ce travail a été réalisé dans le cadre phiques, plus de 90% se trouvent sur le auraient été trouvées dans des foyers
du cours «Analyse des témoins bassin hydrographique du lac Saint­ (Fortin 1968).
archéologiques» à l'Université du Jean.
Québec à Chicoutimi. Nous avons Analyse des témoins
effectué une analyse lithique tout en Dans le cadre de cet article, deux
assimilant les notions de base del'étude de ces sites ont été étudiés, soit les sites Le site DcEv-6
archéologique. Le matériel étudié a été appelés DcEv-6 et DcEv-8. Au total,
recueilli par un archéologue amateur, ces deux endroits ont livré 485 objets Sur le site DcEv-6, cinquante-neuf
Joseph-Henri Fortin, au milieu des de pierre. Tous deux sont situés à mi­ pièces lithiques, essentiellement des
années 1960 et n'a jamais fait l'objet chemin entre la région du Lac-Saint­ éclats, ont été recueillies. La principale
d'une analyse poussée depuis. Jean et celle du Saguenay à proximité matière première utilisée sur ce site est
du lac Vert, du laç Kénogamishish et le quartz (matériel silicieux générale­
Le but recherché par cet exercice du lac Kénogami. A l'origine, une route ment blanchâtre de qualité variable)
est de tenter de découvrir, par le biais amérindienne en provenance de dans une proportion de 90%. Les autres
des objets lithiques et des outils de l'embouchure de la rivière Chicoutimi matériaux retrouvés sont le quartzite,
pierre, l'identité de ceux qui ont laissé vers le lac Saint-Jean, via la rivière le grès et l'argilite. En terme dimen­
ces témoignages du passé. Nous avons Chicoutimi et le lac Kénogami, traver­ sionnel, la moitié (49%) des pièces de
également tenté de déterminer le sait ce territoire. En 1849, les lieux quartz présentent plus de 1 000 mm2
moment d'occupation des lieux, ainsi furent occupés par les premiers colons de surface, ce qui donne une quantité
que les activités ayant eu cours. Ce arrivés au Lac-Saint-Jean, et défrichés importante de grosses pièces. Seul un
travail ne constitue pas une fin en soi. (Fortin 1968). I l nous semblait fragment d'outil a été découvert sur ce
Il s'agit d'un modeste effort vers une intéressant d'étudier deux sites en site dont l'intérêt repose particuliè­
compréhension plus effective des bordure de cette ancienne route afin de rement sur sa localisation géogra­
processus anthropologiques précédant déterminer l'identité des voyageurs et phique. En fait, 83% des pièces sont
l'arrivée des populations de souche les activités qui y étaient pratiquées. des éclats, les autres sont des nucléus
européenne. et des débris.
À une micro-échelle, le site DcEv-
Contexte géographique et 6 est situé sur une terrasse de 165 mètres Dans le cas des sites archéologi­
historique (550 pieds) au sud-est du lac Vert, à ques régionaux dont le matériel n'est
environ 1,5 kilomètres à l'est du centre pas en soi un bon marqueur chrono-
Le bassin hydrographique du de ski le Mont-Lac-Vert. On y décou­ 1 o giq ue, l'examen des matières
Saguena y-L a c - Saint-Jean est vrit les premières pièces amérindiennes premières utilisées est parfois révé­
délimitée approximativement à l'est en octobre 1965. Quant au site DcEv- lateur de temps et de comportement.
par Tadoussac, à l'ouest par le lac 8, il se situe au nord-est du lac Kénoga­ Ainsi, l'une des façons de déterminer
Nicabau, dans le parc de Chibougamau, mishish, à environ 2,5 kilomètres à les méthodes d'approvisionnement de
au nord par ce même lac et au sud par l'ouest du lac Kénogami et à 4 kilomè­ même que la proximité ou l 'éloi­
le lac Métabetchouan, dans la réserve tres au nord-est du premier site. La gnement des sources de matières
faunique des Laurentides. Pour l'heure, découverte de différentes pièces, dont premières, c'est le coefficient de
cet espace de 80 000 km2 a livré 371 des pièces historiques, a été faite en fractionnement. Celui-ci se calcule en

Saguenayensia- juillet - septembre 1997 35


additionnant le poids de chacune des
pièces et en divisant cette somme par
le nombre total d'objets dans ce
matériel. On parle alors de la moyenne
du poids des objets. Généralement, plus
cette moyenne est élevée, plus il y a de
chances que la source se trouve
éloignée. En effet, la taille des outils,
étape qui génère de nombreux éclats
de petites dimensions, s'effectue à
l'intérieur d'un périmètre limité (tout
au plus quelques centaines de
kilomètres) autour de la source de
matériel. Par la suite, seuls les objets
finis circulent. La moyenne passera
alors d'une m,oyenne peu élevée à une
plus élevée. Evidemment, il s'agit de
corrélations absolues. D'innombrables
exceptions peuvent contredire les ltll
résultats.
Pour DcEv-6, un coefficient de
fractionnement de 56,48 suggère une Objets principaux des sites DcEv-6 et DcEv-8. Dé gauche à droite, du haut vers le bas:
provenance lointaine du quartz. Il faut fragment d'outil poli, argilite; grattoir, chert; grattoir, Qzt Mist.; grattoir, Qzt Mist.;
noter que l'origine géographique de ce grattoir, Qzt Mist.; esquillée, quartz; perçoir, chert; perçoir, calcédoine; perçoir,
m a t é r i a u est p a r t ic u l i è r e m ent calcédoine.
p r o b l é m a tique. D'une part, i l Source: Laboratoire d'archéologie de l' UQAC.
semblerait que le quartz, sous forme
de galet ou de veine, est extrèmement fait sur place. De plus, la faible pro­ Notons finalement la présence
courant sur tout le Bouclier. D'autre portion de fragments et de débris (8%) d'un fragment de percuteur, qui
part, la dimension des pièces qu'on indique, elle aussi, que les pièces sont confirme la présence sur DcEv-6
retrouve occasionnellement nous rend arrivées sur le site DcEv-6 avec une d'activités de réduction de blocs de
perplexes. En effet, jamais au cours de partie du travail déjà effectuée. Toute­ pierre. L'autre outil du site consiste en
nos nombreuses visites sur le terrain, fois, il existe toujours la possibilité que un fragment d'objet poli en argilite.
nous n'avons découvert de galets ou le quartz ait été tiré d'une veine, ce qui Cet outil n'a aucun lien apparent avec
de veines qui, dans leur état naturel, expliquerait la faible présence de les autres objets lithiques. Il pourrait
paraissent exploitables. Les popu­ cortex. Le site DcEv-6 serait alors un indiquer la pratique du travail du bois.
lations préhistoriques auraient-elles petit site de passage où on aurait réduit
épuisé les filons, ou encore obtenaient­ la taille des blocs de matière première En conclusion, si on tient compte
elles le matériau par l'ente mise sans pour autant en arriver à la taille du fait que la méthode de cueillette des
d'autres groupes? des outils proprement dite. pièces excluait vraisemblablement les
petites pièces, il faut conclure que
De fait, 97% des matériaux sont En ce qui concerne la classe DcEv-6 était un site de passage où ne
de provenance indéterminée. Les dimensionnelle, un taux élevé de gros s'exécutait qu'une partie du travail sur
autres matières premières utilisées se éclats engendre trois hypothèses la pierre. Malgré un coefficient de
retrouvent en trop petit nombre pour contradictoires. La première voit dans fractionnement élevé, l'état peu avancé
être représentatives. Malgré tout, ce phénomène la démonstration d'un des grosses pièces qui ont été
notons la présence d'un quartzite site transitoire de débitage secondaire. découvertes tend à suggérer une origine
blanchâtre qui proviendrait des lacs De fait, comme nous l'avons men­ peu éloignée du quartz, principale
Mistassini-Albanel. Le coefficient de tionné plus haut, le premier débitage matière première du site. Par ailleurs,
3,02 de ce dernier reflète relativement ainsi que la taille finale auraient été la classe dimensionnelle et la présence
bien la relative proximité de la source effectués ailleurs. La seconde hypo­ minime de cortex indiquent clairement
de ce matériau ou encore la facilité avec thèse met en cause la méthode de que le débitage qu'on y effectuait
laquelle on pouvait l'obtenir. collecte des pièces archéologiques. En n'était ni primaire ni final.
effet, il a déjà été démontré que Fortin,
Pour en revenir au quartz, la pré­ comme la plupart des archéologues Faute de pièces diagnostiques
sence proportionnellement peu élevée amateurs, avait un goût prononcé pour (outils), il nous est impossible d'être
de cortex sur le quartz (13,2%) pourrait les grosses pièces (Langevin 1990). plus précis quant à la période pendant
indiquer que le débitage des pièces a Finalement, il se pourrait que la matière laquelle ce site a été occupé. Néan­
été fait sur un autre site. En effet, les première, en l'occurrence le quartz, moins, la présence du quartz est eQ. soi
recherches ont démontré que plus le n'ait été utilisée que pour fabriquer des révélatrice de quelque chose. A la
taux de cortex sur les pièces est élevé, outils de qualité moyenne nécessitant grandeur de la région, le quartz est un
plus cela indique que le débitage s'est peu de retouches. matériau généralement très secondaire,

36======================== Saguenayensia- juillet - septembre 1997


pour ne pas dire inexistant. Sa présence
en aussi grande quantité est donc
exceptionnelle, pour ne pas dire
unique. La signification de ce
phénomène ne pourra cependant être
comprise que lorsque plus de sites
régionaux auront été analysés.
Lac
Saint-Jean
Le site DcEv-8

Le site DcEv-8 comporte 424


pièces récoltées en surface. De ce
nombre, 93,4% sont des éclats, 4,0%
des outils (ébauches, grattoirs, per­
çoirs, racloirs et une pièce esquillée),
1,4% des débris et 0,7% des nucléus.
Du côté des matières premières,
nous retrouvons 77,8% de calcédoine,
10,8% de quartz, 10% de quartzite,
1, 1 % de chert et 0,2% de méta­
quartzite. L'analyse des coefficients de
Localisation schématisée du lac Vert.
fractionnement pour chacune des
matières premières suggère que la
calcédoine et le quartzite, avec un ratio présence de cortex nous indique la constitue un autre indice que les outils
respectif de 3,98 et de 3,72, proviennent proximité de la source de matière pre­ ont été fabriqués sur place.
de sources pas trop éloignées. Quant mière, ainsi que les étapes de débitage.
au quartz (ratio de 19,15), il provien­ En théorie, on retrouve du cortex Dans le cas des outils, deux
drait d'une source plus distante. En fait, seulement sur les grosses pièces, ce hypothèses expliqueraient la faible
les sources du quartzite et de la calcé­ qui nous montre qu'on a également présence de pièces brisées par rapport
doine nous sont déjà connues (le lac exécuté les premiers débitages sur aux pièces complètes. On peut d'abord
Mistassini et l'Ile aux Couleuvres, au DcEv-8, du moins en ce qui a trait à la supposer que les matières premières
large de Roberval) alors que le quartz calcédoine. La présence de cortex sur utilisées étaient d'une qualité supé­
provient d'un endroit indéterminé. une forte proportion (29,8%) des petits rieure, moins propices à se casser.
éclats de calcédoine s'explique Cependant, nous retrouvons sur ce site
Règle générale, la présence de gros différemment. En effet, la calcédoine une majorité de calcédoine et de quartz,
éclats suggère une étape peu avancée se retrouve principalement sous forme matières premières réputées pour leur
dans la chaîne technologique qui fait de petits galets dont il est difficile de piètre qualité. Il semble plus probable
passer le bloc de pierre à l'outil fini. détacher des éclats. que les outils retrouvés aient été laissés
Les petits éclats se trouvent quant à sur place parce qu'ils étaient jugés
eux à la toute fin du processus, au mo­ Il appert également que certaines insatisfaisants, ou encore dans le but
ment ou l'objet prend sa forme finale. pièces de calcédoine ont été traitées de revenir les chercher.
Sur DcEv-8, une quantité importante thermiquement. Il est fort probable que
de petits éclats a été recueillie (41,7% ces pièces aient été chauffées afin de En comparant la proportion de
montre une surface égale ou inférieure vérifier leur qualité. En effet, en l'ensemble des matières premières
à 200 mm2 ). Compte tenu que le mouillant d'abord et en chauffant avec celle des outils, on remarque une
matériel a aussi été récolté par Fortin, ensuite la matière, elle éclatera s'il y a différence importante. De fait, la
l'hypothèse du ramassage sélectif présence trop importante de creux. Les calcédoine est fortement représentée à
énoncée plus haut, pour ce qui est du pièces ainsi fracturées seront alors l'intérieur des deux ensembles, mais
site DcEv-6, ne tient plus vraiment. En abandonnées parce qu'impropres à la son importance diminue au niveau des
effet, il n'y a aucune raison pour que taille. outils (elle passe en effet de 77,8% à
Fortin ait agit différemment dans un 61,4%). La proportion du quartz, pour
cas comme dans l'autre. Le ratio débitage/non-débitage sa part, passe de 10,8% à 20,5%. On
consiste en la relation entre les outils peut expliquer cette préférence pour le
Ainsi, la présence de petits éclats finis et les objets qui témoignent du quartz par son potentiel plus intéressant
indique que sur DcEv-8 on a exécuté travail sur la pierre (éc;lats, débris, que la calcédoine. La qualité de la
les étapes finales de débitage, plutôt nucléus). Unnombre élevé,d'outils.par matière est meilleure et il est possible
que les premières étapes. Paradoxa­ rapport aux objets de débitage nous de la retrouver sous de plus gros
lement, lorsqu'on tient compte de la indique que_les outils ont été fabriqués morceaux que la calcédoine.
présence de cortex sur les pièces, on à un autre endroit, alors que le contraire
constate que 33,5% des objets recueillis nous désigne que la taille a été faite sur En somme, le site DcEv-8 est un
sur ce site présentent du cortex. De ce place. Dans ce cas-ci, vu la quantité site où, du moins dans le cas de la
nombre, 97,2% sont en calcédoine. La importante d'éclats, le ratio de 21,3 calcédoine du lac Saint-Jean, toutes les

Saguenayensia- juillet - septembre 1997 ======================== 37


étapes de la taille de la pierre sont Conclusion En conclusion, mis à part le fait
représentées, alors que pour les autres qu'ils sont à proximité l'un de l'autre
matériaux seules les dernières étapes En comparant les deux sites, nous sur l'un des principaux axes de
du travail de la pierre ont été effectuées. distinguons trois points importants. circulation entre le lac Saint-Jean et le
Deux tendances appuient cet énoncé: Saguenay, les deux sites ont peu de
la présence de petits éclats et la 1) Les matières premières utilisées points en commun. De plus, peu
proportion élevée d'éclats par rapport sont différentes. Sur DcEv-6, le quartz d'éléments nous permettent d'évaluer
aux outils. Dans ce cas-ci, les matières est favorisé, alors que sur DcEv-8 la à quelle époque ils se situent. Ils
premières les plus utilisées sont la calcédoine domine. pourraient être contemporains, ou
calcédoine, suivie du quartz et de la séparés de plusieurs siècles.
quartzite. Cependant, l'importance de 2) Les étapes de débitages ne sont
la calcédoine diminue au profit du pas les mêmes. Sur le premier site, on Bibliographie
quartz quand il s'agit des outils finis. y a effectué les étapes médianes de
Ceci est probablement dû au potentiel taille, alors que sur le second site, FORTIN, Joseph-Henri. Sites du Lac-St­
supérieur du quartz. plusieurs étapes sont représentées, Jean volume 2, 1965-1967, pp. 93-
incluant celle de finition. 101.
En terme chronologique, la forte FORTIN, Joseph-Henri. Sites du Lac-St­
proportion de calcédoine plaide pour 3) Finalement, alors qu'on re­ Jean voluTl'}e 6, 1972-1973, p. 18.
un site de la fin de la préhistoire. En LANGEVIN, Erik. DdEw-12: 4000 ans
trouve une petite quantité d'outils sur d'occupat ion s u r l a Gr a nde­
effet, la totalité des analyses effectuées le site DcEv-8, on n'en avait que deux DéchargeduLac-St -Jean, Université
à ce jour semble confirmer que ce sur le site DcEv-6. Dans le même ordre de Montréal, 1990, pp. 38-40 et 80-
matériau jouissait, juste avant la d'idée, on retrouve beaucoup moins 100.
période de contact, d'une grande d'objets sur DcEv-6 (59 contre 424). MOREAU J.-F., Jeannette GIRARD,
popularité. Le site DcEv-8 aurait donc Ce fait confirme notre théorie qui Louise VERREAULT. «Aspects de
été un arrêt temporaire, voire même de affirme que ce site serait un petit atelier la préhistoire de la Péribonca à
quelques jours, le long de la route de taille, peut-être même occupé une l'embouchure du lac Tchitogama»
particulièrement fréquentée après le seule fois. Le site DcEv-8, quant à lui, dans S ag uenayensia, vol. 29, no 3
premier millénaire de notre ère qui pourrait être une cache où aurait été Uuillet-septembre 1987), pp. 4-13.
permettait de rejoindrelelacSaint-Jean entreposée une certaine quantité
ou le Saguenay. d'outils en attente d'un retour éventuel.

Publié par l'Ordre des ingénieurs du Québec,


un ouvrage unique sur les grandes œuvres
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Nombre d'exemplaire(s): x75 $ = (Taxes et frais inclus)

38======================= Saguenayensia- juillet - septembre 1997


A CHEK8TIMP· 4 le 13e de mars 1730.

Mon Reverend Pere5 ,


Ma première année de miffion6 , entre les voyages que je fis a Tad8ffac pour la consolation de mes neophites7 on me
vint chercher un jour pour un malade qui prefsoit n'ayant point encore l'expérience du danger qu'il y avoit a courrir dans
ce fleuve8 capricieux9 je voulu me prefser et quoy que je n'eufse qu '.un vieux canot de 4 placef 11 me fallut marcher la nuit.

Extrait de la «Relation du Saguenay,1720 à 1730,par le R.P.Pierre Laure » dansLes Relations des Jésuites, Ed. Thwaites, 1896-
1901, vol. 68, pp. 34-38. Nous reproduisons intégralement ce texte, sauf pour la lettre f qui, dans le texte remplace la lettre s et
dont nous ne disposons pas d'un équivalent identique sur notre ordinateur.
Pierre-Michel Laure,prêtre,jésuite,missionnaire au Saguenay,est né à Orléans le 17 septembre 1688 et décédé aux Eboulements
le 22 novembre 1738. Pour en savoir davantage sur ce grand missionnaire, voir: «Relation du Saguenay, 1720-1730, par le R.
P.Pierre Laure » dansLes Relations des Jésuites, Thwaites,vol. 68, pp. 24-222;Dictionnaire biographique du Canada, Québec,
P.U.L., 1969, vol. II, pp. 372-374 (une biographie signée par Mgr Victor Tremblay); Lorenzo Angers, «Chicoutimi, poste de
traite, 1720-1740 » dans Saguenayensia, Septembre-décembre 1983, pp. 2-8;Le Saguenay des fourrures, par Russel Bouchard,
p. 163; Antonio Dragon, Trente Robes Noü;es au Saguenay, coll. «Les publications de la Société historique du Saguenay » no
i4,1970,pp. 275-301; Mgr MariusParé,L'Eglise auDiocèse de Chicoutimi; Germination et Formation] 535-1888,Chicoutimi,
Evêché,Tome 1,2éd.,1988,pp. 81-85;Mgr VictorTremblay,Histoire du Saguenay depuis les originesjusqu' à 187Q coll. «Les
Publications de la Société historique du Saguenay », no 21, 4e éd., pp. 177-189.
Selon Mgr Victor Tremblay, la lettre «8 » se prononce «woo », comme le «w » anglais (cf:Histoire du Saguenay, p. 2). Mais
l'explication la plus scientifique nous provient du R. P. Léo-Paul Hébert, c. s. v., suite à ses recherches sur le père Jean-Baptiste
de La Brosse (1724-1782). Le père Hébert a découvert que le père La Brosse a lui-même abandonné le signe «8 » dans les noms
amérindiens pour opter pour «u ». Le signe «8 » serait un diphtongue, une superposition de 1'«u » (upsilon) à l'«o » (omicron).
Comme référence, il cite: Ch. Cucue1,Eléments de paléographie grecque, Paris, C. Klincksieck, 1891, p. 128, et Planche II.
Sur 1 'orthographe du toponyme Chicoutimi,voir Léonidas Bélanger, «Le nom "Chicoutimi" » damSaguenayensia, Septembre­
octobre-novembre-décembre 1963, pp. 129-132.
! Il écrit à son supérieur, le R. P. Pierre de la Chasse.
6 1720.
7 «On a appelé ainfi dans la primitive Églife les nouveaux Chrétiens, ou les Payens nouvellement convertis à la Foi. » Définition
extraite du Dictionnaire de Trévoux, Paris, Chez Laurent-Charles D'Houry, 1762, vol. 3, p. 21.
Une rivière, suivant la définition usuelle, est un cours d'eau qui se jette dans un fleuve. Mais Samuel de Champlain, Jacques
Cartier et les Jésuites nous présentent le Saguenay et le décrivent comme une rivière qui aurait tout d'un fleuve. La définition
du Dictionnaire Trévoux(1762,vol. 2,p. 245) nous aide à comprendre pourquoi on la désigne ainsi: «Abondance ou amas d'eaux
douces qui coulent dans un lit, qui fe rendent dans la mer. »; «On appelle Fleuves, les grandes rivières, & fur-tout celles qui ont
leur embouchure dans la mer, fans tomber dans une autre rivière. »
9 Voir aussi Relations des Jésuites, Québec, Augustin Côté, 1858, vol. II, «Relation au pays de la Nouvelle-France, en l'Année
1652 », pp. 16-17.

Saguenayensia- juillet - septembre 1997 39


Le tems étoit beau et la lune dans son plein ne donnoit aucun signe de bourasque; mes 2 canoteurs Sauvages cependant
s'endormoient. Ennuyé de les reveiller à chaque instant, je les laisse enfin succomber au sommeil prens un aviron nage
gouverne me laissant emporter au fil de la marée qui m'aidoit. A quelque tems delà un de mes hommes se reveille reprend
son aviron, et comme c'eft la maniere def Sauvages souverainement independans entre eux de ne se jamais rien dire en
fait de travail de peur de se choquer, il me pria d'eveiller l'autre. Je le fis et a mon tour acablé de fomeil voyant une heureuse
navigation je m'appuye la tete et les bras sur une des barref du canot. A peine someillois-je que sans n'entendant encor
que quelques mots du manége montagnez10 je cru que mes gens disputoient je me leve, parle et ne vois plus ni ciel ni eau
ni rochers, mais une nuit profonde causée par un orage qui s'etoit élevé soudain au nord-oist. Nous sommes perdus, mon
pere, me crierent ils debarquons vite, mes enfants, leur repliquai-je: aucun debarquement ne paroifsoit tant la nuit etoit
obscure, et outre que nous etions au plus profond du Saguené11 , le nuage s' epaississant s'embloit nous joindre et gronder
derier nous; nous touchions aux rochers par bonheur et sur le premier venu je voulu me sauver; en debarquant le pié me
glisse je tombe à l'eau et le canoteur, qui etoit manchot, de son moignon qui lui valloit une main et qu'il fourra precipitemment
sous mon aisselle me retira et me jeta sur une pointe de caillou. Là nous plaçames notre canot. J'admirai mes 2 Sauvages
qui dormirent tranquillement le reste de la nuit, tandis que je sentois le sang couler d'une jambe qui avoit un peu trop heurté
contre une roche et qu'il etoit impossible de penser faute de feu. Toute ma crainte alors etoit que la tempeste n'emportât
notre canot, car alors que serions-nous devenus, mais la bonté divine eut pitié du pere et des enfants qui n'etoient point
encore murs pour le ciel; l'orage pafsa au large, le jour etant enfin venu, je fus surpris de nous voir dans espece de niche
et ne pus m'empescher de rire de notre heureux malheur. Quoy que la mer toute bafse nous eût laifsé a plus de 10 a douze
piés au dessus d'e l'eau nous descendîmes notre canot la Chapelle1 2 et le reste du bagage par une petite coulée ou nous
glissants doucement nous rembarquames; De la nous arrivames a Tad8fsac1 � le missionnaire y administra les derniers
sacremens au malade Sauvage qui mourut quelques jours apres. Je m'en retournai ensuite a Chék8timi au milieu de la
meme riviere le nord-est accompagné de pluye nous prit si violemment qu'avant de pouvoir joindre terre deux barres du
canot se rompirent, presque submergez je fus sur le point de donner l'absolution a mes deux hommes qui connaifsant
mieux le danger que moy avoient aussi plus de peur et m'exhortaient a leur faire bien prier Dieu. j'avouë que c'est a leur
foy et a leur confiance en la ste vierge et au B Regis14 que nous fumes redevables de notre conservation. Je refserai vite
le canot avec ma ceinture et mes jartières1S,, je gouvernai la voile, nous fendions les lames qui de tems en tems nous
inondaient; Enfin nous gagnames une cabane sauvage ou l'on vuida et racommoda le canot et tandis nous nous fîmes
secher aupres d'un grand feu que ces chers neophites nous firent avec des demonstrations d'une compassion sincere. Ainsi
bien instruit de ce qu'on avoit à craindre dans ce fleuve arrivai-je a mon Eglise1 6, faufsement resolu d'etre plus sage a
l'avenir, je dis faufsement, car en certains cas il est de la prudence de n'en pas trop avoir. La timidité feroit manquer
quelque bonne oeuvre et une heure de retardement a degradé long tems et affame des voyageurs presque dans le port ce
n'est pas qu'il ne faille prendre de sages précaution; La temerité a fait perir icy plusieurs françois et sauvages.

10
Lire manège montagnais. Voici une définition du mot manége tirée duDictionnaire Trévoux (1662, vol. II, p. 787): «Ce mot
s'emploie fort fouvent au figuré. Il fe dit des façons de faire de certaines gens. »
11
Voir Mgr Victor Tremblay, «Le nom "Saguenay" dans l'histoire» dansSaguenayensia, Septembre-octobre-novembre-décembre
1963, pp. 98-103.
12
Suivant leDictionnaire Trévoux(/bid., vol. 1, p. 411 ), le Père Laure parle ici de «l'argenterie que les Rois, les Prélats & les grands
Seigneurs ont pour fervir à leur Chapelle, confiftant en la croix, les chandeliers, le calice, les burettes, le baffin, &c. ».
13
Toponyme d'origine montagnaise qui signifie mamelon.
14
Lire Bienheureux Régis. Il s'agit de saint Jean-François Régis, surnommé 1 'Apôtre du Vivarais, jésuite, né à Foncouverte
(diocèse de Narbonne) en 1597 et décédé en 1640. Béatifié par Clément XI (1716) et canonisé par Clément XII.
15
Jarretières, sorte de liens qui permettaient de retenir les bas qui, dans le cas du Père Laure, remontaient jusqu'au dessus des
genoux.
16
Selon leDictionnaire Trévoux(/bid., vol. 2, p. 33) se dit «auffi pour un Temple confacré à Dieu, deftiné à la célébration du fervice
divin, & ordinairement fous l'invocation de quelque Saint ». Le Père Laure parle donc ici de sa Chapelle à Chicoutimi.

De père en fils...
Georges-Henri Perron, lng. P. . ..constructeurs au
J. -Euclide Perron Fernand Perron, L. Sc. C. Saguenay depuis quatre
André Perron, lng. P. générations.
11 11
LIMITÉE
Denis Perron, lng. P.
Gilles Perron, B.A.A., M.Sc. CHICOUTIMI - TÉi.: 543-0715

40======================= Saguenayensia- juillet - septembre 1997


1
Comptes rendus
Jean Hamelin (dir.), Les Franciscains au Canada, 1890- François d'Assise (1209): l 'Ordre des Frères mineurs
1990, Sillery, Septentrion, 1990, 438 p. (minores). Cet ordre s'est divisé en plusieurs branches au
cours des siècles. Les franciscains d'aujourd'hui sont le
Godefroy-C. Dévo§t, Les Capuçins Francophones du fruit de deux regroupements de réformes surgies au cours
Canada, Montréal, Editions de l'Echo, 1993, 396 p. des siècles et réunies par les papes en 1517 et en 1897. Les
capucins sont une réforme surgie de l' observance en 1528.
En 1890, quelques communautés religieuses viennent
s'établir au Canada parce qu'en France elles sont menacées De plus, sept ans après l'arrivée des observants au
par des lois hostiles. Les franciscains et les capucins sont de Canada, en 1890, le pape Léon XIII se rend à la demande
celles-là. Ils étaient déjà présents au Canada et en Acadie du Général des observants et fusionne plusieurs branches
au XVIIe siècle. Il s'agit donc d'un retour, ou d'une divisées entre elles et amoindries par les persécutions. Cette
restauration de leur ordre, comme ils disent. Ils fêtèrent le fusion, en 1897, ne touche cependant ni les conventuels ni
centenaire de ce retour en 1990, et publièrent à cette occasion les capucins. Ces derniers sont d'ailleurs très nombreux et
les ouvrages mentionnés plus haut. très populaires au XIXe siècle. Avec la fusion de 1897
disparaissent les appellations: déchaussés, réformés,
Leur histoire n'est pas facile à écrire. Aussi, les auteurs observants, récollets. On donne alors à cette fusion le nom
ont-ils senti le besoin d'ajouter à la fin de leur livre plusieurs d' Union léonine. Mais le terme populaire «franciscains» a
pages de glossaire. C'est que franciscains et q�,pucins prévalu au cours du XXe siècle. Il reste donc actuellement
relèvent d'un ordre commun, fondé au Moyen Age par trois branches del'Ordre des Frères mineurs: les franciscains
( appellation populaire), les capucins (appellation populaire
faisant allusion au capuchon) et les conventuels (qui
habitaient les grands couyents). Les conventuels, plus
répandus en Europe et aux Etats-Unis, desservent quelques
paroisses à Montréal.

Les franciscains et les capucins se sont vite recrutés au


pays, grâce à leur séminaire (juvénat). Celui des franciscains
(Collège séraphique) était à Trois-Rivières et est devenu un
noyau de l'Université du Québec au même endroit. Celui
des capucins fut à Ottawa (Collège séraphique) jusqu'en
1952et est maintenant àCap-Rouge (Séminaire St-François).

À Trois-Rivières, les franciscains ont formé des


générations d'hommes qui leur sont reconnaissants
aujourd'hui. Mentionnons les historiens Marcel Trudel et
Jean Hamelin. Ce dernier a accepté de diriger la rédaction
de leur livre, ce qui a donné une histoire davantage vue de
l'extérieur que de l'intérieur, quoique la troisième partie du
livre soit rédigée surtout par des franciscains. La conclusion
(de trente pages) est également rédigée par un franciscain.
Les capucins avaient un des leurs bien disposé, par ses
fonctions de bibliothécaire-archiviste, à écrire leur histoire.
Celle-ci est donc vue davantage de l'intérieur, quoique
l'auteur, Godefroy-C. Dévost, se soit appliqué à faire une
synthèse remarquable des activités pastorales de sa
communauté, aussi bien en pays de missions qu'au Canada.

Les deux auteurs se sont bien tirés de leur tâche difficile.


Les lecteurs qui voudront en savoir plus long pourront
consulter les nombreuses sources bibliographiques signalées
à la fin des chapitres, ou à la fin du livre.

Certains pourront rester sur leur appétit en constatant


que des parties d'histoire de ces deux communautés

Saguenayensia- juillet - septembre 1997 41


manquent, même à l'intérieur de 100 ans. Ou bien, on anciennes bâtisses, établissements ou navires, opérations
constatera que certains religieux méritants n'apparaissent reliées à l'exploitation forestière et à l'agriculture, etc.C'est
pas dans le livre. Une histoire, quoi que l'on fasse, est là toute la beauté de cet ouvrage de 514 pages.
toujours partielle. C'est pour cela d'ailleurs qu'il y a sans
cesse de nouveaux historiens qui apparaissent et, partant Il est aussi intéressant de voir l'évolution de la pensée
d'un même sujet, en révèlent d'autres aspects. C'est ce des auteurs et de la façon dont leur écriture deviendra de
qu'on appelle l'historiographie. plus en plus fine et intéressante. La période 1883-1887 est
d'ailleurs propice à cela. On entrevoit déjà les changements
Il faut être reconnaissant aux auteurs de ces deux livres majeurs qui apparaîtront et qui seront sûrement relatés dans
pour leurs patientes recherches. Ils ont réussi à nous restituer les prochains volumes; arrivée de l'électricité, fondation de
un passé de cent ans (et plus), sous une forme bien illustrée la pulperie, apogée de la puissance de Chicoutimi dans le
et agréable à lire. Les deux livres, sur des communautés cadre régional. Nous attendons donc avec impatience la
frères, permettent une prise de conscience pour leurs parution des prochains tomes, qui devraient se faire au cours
membres. Pour la société desservie, ils permettent de mieux des prochaines années.
comprendre son évolution, en compagnie des fils de saint
François. Dany Côté

Pierre-Maurice Hébert

Russel Bouchard
***
La vie quotidienne
Russel Bouchard,La vie quotidienne à Chicoutimi au temps
des fondateurs. Extraits des mémoires de la famille Petit, à Chicoutimi au temps
1883-1887, Chicoutimi-Nord, L'auteur, 1997, 514 p. des fondateurs
Après la parution d'un premier tome en 1994, l'historien
Russel Bouchard récidive avec la mise sur le marché du
deuxième tome de La vie quotidienne à Chicoutimi au temps
desfondateurs (1883-1887). Il s'agit donc de la suite de la
publication du journal presque quotidien que quelques
membres de la famille Petit de Chicoutimi ont tenu entre
1873 et 1941. Nous ne retracerons pas ici l'histoire fameuse
de ces manuscrits qui sont tombés à la suite de nombreux
hasards entre les mains de M. Bouchard. Disons seulement
que la retranscription et l'annotation des différentes épopées
relatées au fil des ans est un travail sûrement plus long et
compliqué qu'il ne semble.
Toujours édité à compte d'auteur, ce deuxième volume
relate donc une série d'événements relatifs non seulement
à Chicoutimi mais aussi à toute la région, patiemment
colligés par les trois frères Petit. On y parle de choses somme
toute banales, de température, de vie et de mort, de l'arrivée
de visiteurs plus ou moins importants, d'élections, d'allées Extraits des mémoires
et venues mais aussi d'événements qui deviendront de lafamille Petit
historiques ou d'éléments de vie quotidienne, toutes des 1883-1887
informations de première main. L'historien connaît bien la
valeur de documents de ce type, où on retrouve quelques
fois des informations qu'il ne trouverait pas ailleurs dans Chicoutimi-Nord
les documents officiels, les journaux ou les volumes;

42======================== Saguenayensia- juillet - septembre 1997


En Bref...

Décès de Marcel Bouchard temps des fondateurs par Russel qu'il a écrits pour notre revue. Peut­
Bouchard.L'auteur sait tirer partie des être ne savez-vous pas qu'il est d'abord
Le 11 juin 1997, est décédé à l'âge journaux personnels des frères Jean­ un homme de science qui a passé une
de 74 ans et 7 mois monsieur Marcel Baptiste,Ludger et Honoré Petit. Il sait grande partie de sa vie dans le
Bouchard. Personnalité bien connue apporter des commentaires et des laboratoire de recherche de l'Alcan à
dans le milieu des affaires de Jonquière, précisions appropriés, tout en utilisant Arvida. Il s'est aussi beaucoup occupé
monsieur Bouchard était sur le point, des documents comtemporains. La de loisir scientifique, avant et après sa
a v e c d ' a ut r e s p a r t e n a i r e s , d e Société historique du Saguenay se retraite.
concrétiser u n projet qui vise la réjouit d'avoir obtenu une subvention
reconnaissance de celles et ceux qui auprès du ministère de la Culture et C'est à ce titre de scientifique qu'il
ont contribué au développement de des Communications pour la réalisa­ a écrit un volume intitulé La Science;
notre région, désigné sous le nom de tion de ce projet d'envergure. Vous Réflexio ns de la septantaine qui
«Hommage aux bâtisseurs». La pouvez vous procurer ce volume à consiste en une série de réflexions sur
Société historique du Saguenay s'est l'adresse suivante: la beauté de la science et sur les pro­
associée à ce projet d'envergure, car M. Russel Bouchard blèmes auxquels est confronté le
bien des faits et gestes de bon nombre 33, rue Saint-François scientifique par rapport à la recherche,
de ces concitoyennes et concitoyens Chicoutimi-Nord, Qc la spécialisation, la culture, la
font partie de notre histoire. Au nom G7G 2Y5 philo�ophie et la foi.L'ancien directeur
des membres du Conseil d'admi­ Tél.: (418) 543-0962 de l'Ecole française de Rome, Mgr
nistration et du personnel de la Société, Louis Duchesne, disait d'un de ses
nous adressons aux membres de la Un livre du président volumes qu'il était «fait pour les
famille éprouvée nos plus sincères lecteurs ordinaires». C'est ce qu'a
condoléances. Vous connaissez notre président voulu M. Lemieux dans ce petit
par ses éditoriaux et quelques articles volume. On y trouvera cependant des
Anniversaires réflexions très intéressantes et une belle
noblesse de pensée.
Le 350e anniversaire de l'arrivée
de Jean DeQuen au Lac-Saint-Jean et M. Lemieux a donné les droits
le 150e anniversaire de la fondation de d'auteur à trois organismes de loisir
la ville de Jonquière marquent l'année scientifique qui ont bénéficié de son
1997. Nous ne pouvons cependant dévouement. Si le volume vous inté­
passer sous silence le 250e anniversaire resse, vous pouvez le commander, aux
de la construction de la chapelle de prix de 10$ plus 3$ de frais d'envoi, à
Tadoussac en 1747 par le père jésuite l'adresse suivante:
Claude-Godefroy Coquart, le centième Conseil du loisir scientifique
anniversaire de la construction de 414 Collard ouest
l'église de Saint-Gédéon, le centième Alma, Qc
anniversaire de l'érection canonique G8B 1N2
de la paroisse de Saint-Gédéon et le
75e anniversaire de la cathédrale de Roland Bélanger
Chicoutimi.
***
La vie quotidienne à Chicoutimi
au temps des fondateurs Un grand auteur québécois
de Russel Bouchard s'est éteint
Nous encourageons nos lecteurs à Homme de théâtre talentueux et
se procurer un ouvrage unique en son auteur prolifique, le père Laurent
genre dans notre historiographie par la Tremblay, oblat de Marie Immaculée,
richesse de son contenu, soit le s'est éteint paisiblement l e 2 6
deuxième tome d'une série de quatre septembre 1997, à Sainte-Agathe-des­
de La vie quotidienne à Chicoutimi au Monts. Il était âgé de 92 ans. Le père

Saguenayensia- juillet - septembre 1997 43


Laurent représentait le dernier membre haussèrent le niveau d'eau du lac Saint­
d'une belle famille du Saguenay-Lac­ Jean par la construction de barrages à
Saint-Jean qui a contribué de façon Alma, sans se préoccuper des graves
remarquable à promouvoir le goût de préjudices causés aux agriculteurs.
l'histoire, des arts et de la culture. D'ailleurs, le père Laurent décrie sans
ménagement les investisseurs et leurs
En effet, le père Laurent, originaire complices, l e s politi ciens peu
de Métabetchouan, a oeuvré pendant scrupuleux ayant participé à cet
plusieurs années aux côtés de son frère, affrontement, dans son livre le plus
Mgr Victor Tremblay, qui fonda la populaire intitulé «Une poignée de
Sociét� historique du Saguenay en Tremblay». Son dernier ouvrage publié
1934.Ajuste titre, le père Laurent peut en 1988 relate l'histoire du sanctuaire
être considéré comme le pionnier des de Notre-Dame-du-Cap, à Cap-de-la­
pageants ou pièces de théâtre à grand Madeleine, où le père Laurent travailla.
déploiement au Canada français.C'est
lui qui créa le fameux spectacle Également recherché pour ses
présenté sur une scène extérieure, à qualités exceptionnelles de pré­
l'occasion du Centenaire de la région, dicateur, le père Laurent Tremblay,
à Grande-Baie, en 1938. Plusieurs o.m.i., qui vivait depuis quelques
observateurs s'accordent pour dire que années dans la maison accueillant les
l 'oeuvre servit d'inspiration aux réali­ retraités de sa c o m m unauté, à
sateurs de «La Fabuleuse histoire d'un Richelieu, s'était fait oublier, pour ainsi
Royaume», un demi-siècle plus tard. dire. Mais ce grand dramaturge lègue,
néanmoins, un précieux héritage
Membre d'une famille de sept culturel à tous les Québécois. Et c'est
enfants, le père Laurent était le fils tout à l'honneur des gens de sa région
Le père Laurent Tremblay, à l'âge de 20 d'Ariane Ouellet et d' Onésime natale qu'il aimait tant!
ans. Tremblay. Ce dernier a livré, dans les
Source: ANQC, coll. de la SHS, carton années 1920, un long et coûteux Gabriel Berberi,
10265. combat aux industriels étrangers qui journaliste et éditeur

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Tél.: (418) 547-6648 Tél.: (418) 544-9371

44======================= Saguenayensia- juillet - septembre 1997


?îJ� monurii;�ÎJean ÎJeQuen J Î)esbiê.ns
..
onumen
, .

Sa amie
·:. .er1�-:-:. i/: :- .;:'.; ..._.. :·: /:::-: :.:.: ::::-:': .,.;: .

:Rôlµµd Bêlângé.-r .
.Àl'�mbou9h\!r� de làriyière Métabetchouan, àl'intéri:eurdes limites de la �uric;ipalité deDesbiens, sur le route 169,
: . In�t!p4.!yJ1�1 J ' érection de la croix avant
le Ill?.1f�TT1�11tJ�� r>�guyn !�J?pel!7:A l�f9i� le li�P:?e rei:ic?ntr� tt��itt9nn�!ge�?�-
>1� venHe ��-rhi§s�p.nnaire,Ia yisite �hrPè;eD�quen et,·e11fi11,: le'po,êttrqe µ-��!� de�fo . urrûre�.
�- .

J,iSoçiétê�istoriquê clûSaguenay a toujolll's été au coe:ur de: la nhse y:n ya\e\lr de �t.ipiportant sJJe .historique et de
la gqqserva.tiop de la poucb:iË1't�,::quyJ'o9 :i-�tropye à proximité dq qionume,11!, En fait t lys démarçhes de Mgr Victor
.:. Treçiblay remontent àJ930 et, dès Ja fondation de la Société:enJ93'4, ce dgs�ier constituait l'une de ses priorités.
Sµite à l'acquisition des titres de propriété de la Saguenay Power Company et de ia Compagnie Price, la Société
. histor�que du.Saguenay profite du troisième centenaire de la découverte: du lacSaint-Jean pour réaliser le projet d'y ériger
un môhtiment commémoratif�
Use compose des éléments suivants: une large terrasse· en forme d'enceinte, av_ec des escaliers en diverses directions,
évoq{!e le centrt? de ralliement etde traite que ç�r endroit a été de temps immémorial;. au milieu de sa partie monumentale,
• <\ con,���i�� �n b!<J:c�poli�, µr1pylôpe, �y�f�gino�ge pré:�ente àl'un d� s�� �nglê§(SQ,�tpe Ufl��PP&itton, mie croix �rill,nte
. de gr!bif noit; poqr signifier qu'en ce l}eµ la ctoi?C a précédé le missio��tre; l� �tatuè <l�Je�nDeQuen s'y dfesse, simple
et digpe; entre �tje table d'au.teJ en gr*nit et un, bas-relief, qui le tnotitre< accc:m>,pagné de. deux Indiens dans un canot
d t éçgfêé; au frprifon du pap de mur, µij éçùss9n. flçurdelisé, surmonté d'une cguronne a ntique, rappelle que ce coin de
P,Y:§: jJ:;ii(P�t�e êuJ)gajaip�<dµ ;R.qi �t qµ Jégeijgf'ite Roy�ume dMS�gue1'ay.
/ s�: réalisatiÔ� est le fr�it du tra;a.l non seul�ment de Mgr Victor Trembliy et de son ento,,urage, mais aussi de L.
Sorl:>opne (statue deJeanDeQuen), desjum(?lles Ouellette (sculpture du bas-relief),des Atefiers Emile Couture (moulage
dµ:qas-r�lief en alumitµum) et de Polycarpe Moreau (les blocs de granit et les inscriptions qu'ils portent proviennent de
< sa<caqière et de ses· ateliers).
«L'ensemble, au dire de Mgr Victor Tremblay, est d'un très bel effet et cadre parfaitement avec le paysage, qu'il
cgmplète par ses lignes et par lon eXpressron. Il regarde avec un;e majesté sympathique et protectrice la vieille
-: · piJfldriêre 9uit à quelqU,es pàsde"ly!/dre1sésôn humble masure çômmêû�ique témpîn du pâsS:é, »

p�ns le cadre des cél.�bratio:ns dU;3?:0e: �npityrs<1ire de «l'arriv�� çleJe.anDeQm�n au l ct.cSaint-Jean», 1 'ense!llble du
· < · ll}?flµl'.ll�:nt.c9nn�ît ul'le fUil} q:e r�Je,up��:���fnttpfljyure, grâce àdys §?ljve11tiop.s ot>Jenuys du ministère de la Cµlture et
d st :
1:�11���\i1ri��n btt�l�ff!Jii:�#.Îlffl�!�;;�:iiîtû��t ffÎY�i2r�â.ihsP{!��iiî��i�i�i::•[��:�:c1�(;t1: ' ,
inc� â ite chargée du·trava.îl de fa maçqnnerie�
. . l�monuip�pt: àla lJléqigire <.lµ�r�Je�D�Quyn, dans l'esprit de ��r Vict<?fTremblay,faî sait partie d'un audacieux
plan· qydéveloppement subdivisé en trois parcs: un parc de stationnement, un parc historique et un p arc d'agrément et
de repos. Selon le document préparé par Mgr Victor Tremblay, le premier devait se situer à proximité de la route et
• compr�nait une'.maison pour le résida;nt responsal:>le de V ordre et de l'entretien des lieux, tout en étant chargé de l'accueil
<d9s Y!§�fçm;s;Je sçcond renfernuµt lyiV��tige�djtpassé, le
nibritlmërit et lefüûsêe;le derriièf dôfüiâit â.ù4delàûücheritl6.
< dé fèl'? dôrmaht sur le lacSâirit�Je� èt l'emboùêhure de la
rivi�r�Métabètchouan�.La réalisâtiôndècêprojef néëêssitait
:-:-· des!f�yâ-
. ux. copsidétables,J�lsJar��fâû:r<l!i§nèlêJàpqµgrièrè,
·< âês f�S�Èçhês aj;�béolpg\q�es{l 'arij.�p�g�inetlfqe�tef.rai11s
· : acqu\§p� fa $oçiété historiquecfllSagu�riay,la cgnstruction
d'm:ikiosque <J.aii,s le parc de repos,l':in�tallationdel' aqueduc,
la rtalisation :d:un: monutnent; la cons,fruction :d'tmmur d�
. : : proreêfiqn cont�e Vérosion de s berges, la constrµètion d'un ::•
:: débarcadère et d'une route: d�accès au bord de la rivière, la
constrûdionqela maisondugatdien'.résident,·la constniction
d t un musée de caractère régional,•-�t qµoi enc?re.
p�pûvert�r{du <2eritré>d'ijisto�r� etd 'âfchçpl,ôijiéde l�
· Méqt§�tchou�,.::en. __l���i � _quelqu�s p�s. du lp;?PUIJlenh
ffi�Qpy.. !! 99.pcré��aürn
. ·.
q .. fê
. ··.· tµp
\'
. . . .�. : ' . l.'��uti��em�n
. . . \4;MU
. :-:
Pf95Ë!it:
"Du haut de ses pignons,
on admire la beauté des
rivières, responsables de la
venue d'Alcan au Saguenar
Lac-Saint-jean. Ses murs parlent. Ils
racontent des souvenirs d'amitié entre
des travailleurs éloignés de leur
patelin, des visiteurs de la noblesse et
du labeur des homn1:es qui ont
travaillé d'arrache-pied à lui donner
une âme ... "*

Le Manoir du Saguenay demeure là,


présent, comme un symbole des
aspirations d'une entreprise qui
partage son histoire avec celle d'une
région.

" Extrait de la brochure "Le Manoir du Sa~uenay ...


On peut se procurer ce document ainsi que les
trois tomes de "Mission mondiale. histoire d'Alcan ··.
de Dunca11 C. Campbell. e11 communiquant aœc la
Direction des affaires publiques d'Alcan au Saguenay-
Lac-Saint:fean. (4181699-3666.

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