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LECTURE LINEAIRE 8 : Virginie Despentes, Vernon Subutex, 2015

Eléments d’intro
Vernon Subutex est une trilogie de romans polyphoniques écrite par Virginie Despentes dès 2015.
Nous sommes ici dans le tome 1.
Elle est née en 1969 est une autrice majeure de la littérature actuelle qui joue avec la transgression
des limites et donne à voir l’obscénité du monde contemporain et la libération des mœurs. Son style
est simple, efficace et parfois trash.
Le perso éponyme est un disquaire parisien qui est expulsé de chez lui car il a fait faillite. Le roman
raconte la manière dont il vivote et cherche à se faire héberger par ses amis, on rencontre alors une
galerie de perso vraisemblables et actuels. Cette traversée de Paris permet à l’autrice de dresser un
panorama féroce de la société contemporaine obsédée par la vitesse et les sensations fortes. Dans ce
passage, Vernon a été introduit chez une ancienne amie de Kiko, un trader parisien qui possède un
appartement immense et y donne des fêtes immenses. Vernon y fait œuvre de DJ. Kiko apparaît
comme autocentré et se définit par sa vie sans pause et son sentiment de supériorité par rapport aux
autres.

En quoi le monologue intérieur de Kiko révèle-t-il la démesure de l’individu moderne ?

1. Kiko : dieu moderne de la vitesse


2. Le désir de sensations fortes
3. La jouissance d’une énergie sauvage

Mouvement 1 : La force de la vitesse ou une forme de narcissisme déshumanisé


Dès la première phrase, se dégage une impression démiurgique et hyperbolique qui donne le ton du
mouvement : “il voit tout” (adverbe de totalité). La tentative de définition du perso se poursuit par sa
réifiction (transformation d’un Homme en objet), il devient “une surface”, mais les adj “alerte et
sensible”, sonnent comme une tentative de lui donner encore une vague dimension humaine.
“C’est la drogue mais pas seulement - son cerveau est un échangeur géant”. Métaphore à visée
réifiante qui lui confère un désir de toute puissance mais celui-ci est en partie dû et “pas seulement”
par les substances qu’il ingère pour accélérer le monde autour de lui. Les phrases sont courtes et
rapides ce qui donne une dimension de vitesse et de rapidité au texte, le style imite sa manière de
pensée mais également les effets de la drogue sur lui. Le narrateur admet une volonté de précision
par la reprise “comme au centre-ville de Tokyo”, (= hyperbate : ajout d’un élément alors qu’on pensait
la phrase terminée) cette image prend du sens pour le lecteur puisque Tokyo est une ville qui bouge
sans cesse.
Un certain nombre de verbes d’action relient Kiko à son métier de trader. Il se juge supérieur aux
autres, étant simplement “traversé” ce dont témoigne le rythme binaire “Les infos le traversent, il
organise”. Le CCT “toute la journée” montre la répétition et souligne son pouvoir (“des ordres”) sur
les autres et son omnipotence car “il surveille huit écrans en même temps”.
“il est multiplié”, pouvoir mégalomane du perso, obsédé par lui-même.
S’ensuivent une série de comparatifs cherchant à se valoriser le plus possible. On remarque d’abord le
comparatif de supériorité “son cerveau fonctionne cent fois mieux que celui d’un PDG lambda” +
épithète péjoratif “lambda” qui dénigre le chef d’entreprise face à lui.
De plus, la subordonnée comparative à valeur méprisante “ un directeur de banque” “qui monte sur
la montagne sur un âne” témoigne également de cet écart entre eux “tandis qu’il se déplace en
fusée”, l’image de l’âne s’opposant à la fusée et développant le CL de la vitesse.
La mise en emphase (typographique) du temps et de la rapidité ainsi que l’asyndète en gradation
témoigne du fait que le sentiment de puissance de Kiko et son exaltation viennent de sa capacité à
surveiller les marchés simultanément partout sur le globe. Il est emporté par le rythme effréné du
monde et de la Bourse. Le rythme haché du texte reflète sa soif de vitesse. Les verbes d’action qui se
succèdent nous montrent une fois de plus les capacités du perso liées au monde moderne. Il en est la
parfaite incarnation, ce qui donne le vertige au lecteur.
Les trois phrases nominales successives traduisent bien le rapport machinal du perso et sa
désincarnation. “Emetteur - récepteur. Centre de tri intergalactique. Branché sur l’heure du monde”
Les différents CCL de la phrase suivante témoignent du sens de la mondialisation avec l’adverbe
“partout” et la métaphore “Marché”.
“Notre valeur c’est la vitesse, l’ubiquité est notre don” ce chiasme qui fait apparaître la P4 (nous)
résume la pensée de Kiko mais également celle de l’Homme moderne. La vitesse est moins une valeur
qu’une prouesse technique. Kiko se prend pour Dieu lorsqu’il mentionne le don d’ubiquité.
Kiko cherche à s’élever au-dessus des limites humaines grâce au pouvoir de la technologie mais il
perd ainsi une part de son humanité et se coupe totalement des autres.

Mouvement 2 : le désir de sensations fortes


Le deuxième mouvement insiste sur les sensations, en effet Kiko excelle car il a une dimension
instinctive de son travail. A nouveau, il s’assimile à des objets “le bolide”, “la grande aiguille sur la
montre”. Sa rapidité prend une dimension surnaturelle avec le lexique de la vitesse et les comparatifs
de supériorité qui réapparaissent “plus rapide, plus puissant que”. Toutefois, pour conserver cette
énergie hors du commun, le perso recourt à des drogues comme en témoignent “ drogue”, “une
pointe”, “première ligne”, “ce dont il a besoin”, “drogue dure”. Les verbes à connotation méliorative
qu’il utilise comme “il gère” ou “il vaut” expriment la valeur qu’il s’attribue, ainsi que les phrases
minimales. Ces verbes reviennent ce qui montre le contentement de soi. La métaphore filée du surf
“roule”, “crête”, “rouleau”, “surfeur” court sur le passage avec les images du risque et de l’équilibre
dans le but de décrire un perso en quête de sensations fortes qui cherche à vivre intensément et qui
se définit par l’hyperbole “il est un surfeur d’exception”. Il fait de sa vie une prise de risque
permanente. La phrase sans sujet “ne jamais se retrouver sous le rouleau” apparait comme une
maxime avec la négation totale. Enfin, l’énumération de biens matériels qu’il possède achève
d'exhiber la puissance matérielle du perso. Son désir de puissance se mue en désir de possession.
Ainsi, même les femmes deviennent des objets de par leur mise sur le même plan.
L’expression “il pèse” avec le verbe utilisé en emploi intransitif achève l’idée qu’il ne se définit plus
que par ses moyens financiers.
Kiko recherche dans la consommation de drogue, les plaisirs matériels et le rythme des marchés, des
sensations fortes, une exaltation de son énergie vitale.

Mouvement 3 : la toute puissance de l’énergie sauvage


Les premières phrases nous transportent dans les pensées de Kiko et semblent être un monologue
intérieur, du DIL. La vulgarité ainsi que la dislocation de la phrase concourent à nous présenter le
perso.
“c’est sauvage, les filles adorent, elles peuvent se déhancher sévère”, le lexique de l’intensité nous
donne l’impression que pour avoir l’impression de vivre intensément, les convives cherchent à
atteindre par la musique un état de sauvagerie. Une fois encore, les humains se caractérisent par leur
capacité à perdre leur humanité. // La PdC (banquets orgiaques)
“ ce mec est un génie. il l’adore. Il est comme lui dans son ``bizness". Kiko loue le talent de Vernon et
le considère comme son égal dans son domaine mais il s’empresse ensuite de revenir à lui. Il se
compare à un virtuose alors que ce terme musical devrait être attribué à Vernon.
“pilote de bolide, le bolide c’est son propre corps” : les réifications et les métaphores viennent à
nouveau montrer la vision de lui-même qu’à le perso qui se définit comme une machine dont la
vitesse est incontestable, c’est la figure même de la rapidité.
Le terme se termine sur le lexique des sensations, des synesthésies (correspondances entre les 5
sens) rythmées par une allitération en “s”. Le perso semble enfin porté par l’énergie de la musique et
la satisfaction de lui-même. Le rythme de la phrase reproduit le rythme de la musique électronique.
Kiko jouit de l’énergie sauvage de la musique et de la puissance des sensations
CCL
Ce monologue intérieur révèle et incarne la démesure de l’Homme moderne, cherchant à dépasser
les limites et se complaisant dans ce monde duquel la lenteur a été annihilée. La conséquence est un
narcissique extrême et l’impression de solitude qui en découle pour le lecteur. Nous sommes à
rebours de la pensée d’auteurs comme Paul Morand qui dans Eloge du Repos anticipait déjà cette
dégradation de l’Homme et du monde. L’énergie qui se dégage de l’Homme et du monde donne le
vertige au lecteur qui anticipe la chute à venir des perso.

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