Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
SUJET Voyage Tourisme Et Environnement
SUJET Voyage Tourisme Et Environnement
TOUTES SPÉCIALITÉS
Durée : 4 heures
IINVITATION AU VOYAGE…
Vous rédigerez une synthèse objective, concise et ordonnée des documents suivants :
DOCUMENT 3 : Clément Guillou, « À Punta Cana, le tourisme pèse sur les ressources », Le
Monde, 27 juillet 2022
DOCUMENT 4 : Marina Fabre, infographie réalisée pour le site Novethic.fr à partir des
données de l’ADEME (Agence De l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie), 24 juin
2021
Vous répondrez à cette question d’une façon argumentée en vous appuyant sur les
documents du corpus, vous lectures et vos connaissances personnelles.
L’historien Steve Hagimont analyse, dans une tribune au « Monde », les relations
entre la massification du tourisme et les transformations de l’environnement.
La saison estivale débute et, avec elle, l’espoir de renouer avec les records de fréquentation
touristique de 2019. Représentant alors près de 8 % du PIB français et environ 10 % du PIB
mondial, le tourisme s’est imposé comme un secteur majeur de l’économie contemporaine. En
réponse aux enjeux écologiques présents, à tous les échelons, des entreprises aux organisations
5 internationales en passant par les collectivités et les Etats, les relances post-Covid-19 défendent
un tourisme « durable » dans lequel la croissance des flux internationaux et des revenus serait
découplée d’une empreinte écologique qui, elle, se réduirait.
Tout en précisant que le tourisme est responsable de 11 % des émissions de gaz à effet de
serre en France, le plan de relance du secteur annoncé par le premier ministre en novembre
10 2021 envisage tout de même de consolider la place du pays en tant que première destination
touristique mondiale et de gagner la première place au chapitre des recettes. La « quête
d’authenticité, de proximité » offrirait l’opportunité de « proposer un tourisme durable [qui]
devient un avantage comparatif décisif », « pour ramener vers nous encore davantage de
touristes du monde entier ».
15 L’idée qu’un tourisme bien pensé permettrait de valoriser la préservation de
l’environnement n’est pas si nouvelle. On la retrouve explicitement depuis les années 1960, au
moins. Pour répondre aux inquiétudes liées aux effets environnementaux de la croissance et à
l’urbanisation d’une société perdant ses liens avec la « nature », l’Etat a alors favorisé des
équipements qui devaient attirer et concentrer les touristes tout en évitant l’étalement : les
20 stations nouvelles des côtes languedocienne et aquitaine ou celles consacrées au ski dans les
Alpes. En même temps est engagée la politique des parcs nationaux, pensés pour concilier la
protection de derniers espaces de nature authentique et le développement économique, grâce
au tourisme, dans des régions en déprise. Le tourisme offrant de rémunérer la protection.
Des recherches, à l’exemple de celles de Guillaume Blanc, ont montré la manière dont des
25 logiques proches, appliquées dans les espaces coloniaux et postcoloniaux, ont justifié
l’expulsion des populations vivant dans les zones protégées, offertes à la consommation de
voyageurs issus des classes moyennes supérieures mondiales, dont les modes de vie sont
pourtant à l’origine de la dégradation accélérée de l’environnement terrestre. Le cercle
vertueux de la protection et de la croissance s’est transformé en cercle vicieux de dépossession
30 et de violence, pour un gain écologique finalement difficile à évaluer.
Valorisation et protection de la nature par le tourisme vont en fait dans bien des politiques
et programmes depuis des décennies désormais, en dépit de l’empreinte écologique de
l’activité. L’histoire permet en effet de documenter les transformations successives des milieux
pour les monétiser, sur un marché fortement concurrentiel, dès le XVIIIe siècle. Chemins,
35 routes, urbanisations, jetées, chemins de fer, remontées mécaniques, artificialisation de terres
agricoles, prélèvements divers sur la faune, la flore et les forêts, exposition accrue aux risques
montrent les effets qu’a eus l’admiration de la nature sur les écosystèmes.
À mesure que les marchés touristiques ont crû, les emprises ont, elles aussi,
systématiquement crû. Cela n’échappe d’ailleurs pas aux contemporains tel Elisée Reclus, qui,
40 en 1880, s’inquiète de la multiplication des hôtels et chemins de fer en montagne, ou les
fondateurs de la Ligue de protection des oiseaux, qui, en 1912, mettent en réserve les Sept-Iles
pour protéger les macareux des chasses touristiques. Si les contestations des équipements
touristiques restent longtemps sporadiques, la fin des années 1960 (avec la lutte pour défendre
le parc national de la Vanoise contre les stations de ski voisines) et 1970 voient se multiplier
45 les oppositions à des projets directement ou indirectement touristiques, des hôtels en sites non
bâtis aux aéroports.
À la dénonciation des effets sur les paysages, la faune et la flore se sont ajoutées, depuis
les années 1990, les inquiétudes liées aux émissions de gaz à effet de serre. Car la croissance
du tourisme est structurellement liée à celle de transports émetteurs en CO2. Après les chemins
50 de fer à vapeur, les automobiles et avions ont révolutionné la manière de penser l’aménagement
du territoire autour de routes, de parkings et d’aéroports, concernant y compris les formes
« vertes » du tourisme (tourisme rural, en réserves naturelles). Cette croissance est aussi passée
par l’artificialisation des sols, également alimentée par le développement des résidences
secondaires depuis les années 1960 en France.
55 Le tourisme est en même temps vital dans nombre de territoires où il s’est imposé, parfois
depuis plus de deux siècles, comme sans rival pour créer des emplois et maintenir la population
sur place. Tandis que les sciences sociales pointent l’enjeu de justice avec lequel devrait
composer la transformation du tourisme, l’histoire montre l’importance qu’ont eue certaines
de ses formes dans l’attention portée aux êtres et aux choses. Le tourisme est, possiblement,
60 une voie d’ouverture à la beauté et à la diversité du monde, y compris proche.
Mais le découplage que sa croissance continue imposerait repose sur des ruptures
technologiques dans les mobilités qui ne semblent guère réalistes dans le temps qui reste pour
contenir le dérèglement climatique et l’érosion du vivant. Comme la plupart des secteurs, le
tourisme devrait connaître une mutation radicale, qui sera anticipée et réfléchie ou brutalement
65 subie en raison des différents chocs, climatiques, énergétiques, sanitaires et géopolitiques, qui
viendront assurément.
Depuis la terrasse du club house surplombant piscine et plage immaculée, Jake Kheel passe en
revue les angoisses du moment : les sargasses, ces algues brunes des eaux caribéennes que les groupes
hôteliers tentent d’arrêter au large ; l’eau qui manque en République dominicaine et finira par limiter
la croissance touristique ; les décharges sauvages et les tonnes de déchets quotidiens, que les pouvoirs
5 publics s’avèrent incapables de collecter ; et cet océan « qui [l]’empêche de dormir la nuit » , car le
réchauffement et la pollution des eaux apportent sans relâche de nouveaux défis.
Jake Kheel dirige la Fondation Grupo Puntacana, du nom de l’empire touristique que fonda son
grand-père. Il a peu de raisons de se plaindre, mais quelques-unes de s’inquiéter. Punta Cana, jadis
une jungle inhabitée à la pointe est de la République dominicaine, est devenue un emblème mondial
10 du tourisme de masse et des dégâts environnementaux que provoque son développement anarchique.
Cet Américain élégant, diplômé en gestion environnementale, est décrit comme l’un des esprits
responsables du tourisme dominicain. En corrigeant les excès du siècle passé, il veut aussi préserver
l’avenir du groupe familial. Mais son environnement immédiat résume les contradictions de la
mission. L’accès à l’eau, par exemple. « C’est le principal problème, en raison du manque
15 d’infrastructures de traitement et d’investissements de la part du gouvernement », déplore Jake Kheel.
Derrière lui, un golf entretenu par arrosage automatique continu, où deux amies travaillent leur
gestuelle sur des greens impeccables. La consommation d’eau des hôtels du groupe s’élève à
17 000 mètres cubes par jour – dont 10 000 sont des eaux retraitées.
En République dominicaine, la disponibilité d’eau douce a baissé de 35% entre 1992 et 2014. Si
20 l’agriculture capte les quatre cinquièmes de la manne restante, le tourisme a pris sa part dans la
dégradation de cette ressource : pollution engendrée par les déchets de l’activité touristique,
déforestation et, désormais, intrusion d’eau salée causée par le pompage d’eau douce des hôtels en
bord de mer. Plusieurs régions souffrent déjà d’une pénurie d’eau, dont la frontière avec Haïti, zone
la plus sèche et pauvre du pays. Précisément celle où le gouvernement projette le plus important
25 développement touristique depuis la naissance de Punta Cana, dans un écosystème qui, de l’avis des
spécialistes, supportera difficilement l’arrivée de dizaines de milliers de visiteurs.
« Là-bas, à Pedernales, il n’y a ni eau ni rivières. Pour développer une zone touristique, ce peut
être un problème », souligne Max Puig, ancien ministre de l’environnement et vice-président exécutif
du Conseil national pour le changement climatique (CNCC). « À Punta Cana, la pénurie d’eau passe
30 inaperçue, car tout est vert ! Mais nous avons là un très grave problème d’intrusion saline. On autorise
des hôtels à construire cinq puits, ils en construisent huit. Les sanctions ne suivent pas toujours. »
Le président de la République en personne, Luis Abinader, a été placé à la tête du CNCC. Signe,
souligne M. Puig, de l’importance accordée aux questions environnementales dans le pays. La prise
de conscience est réelle, insiste-t-il, les lois de protection de l’environnement solides, les aires
35 protégées nombreuses, comme les institutions consacrées au sujet. Mais, derrière la façade, « il y a
des problèmes d’application ».
Le Conseil national de l’environnement, créé par une loi en 2000, s’est réuni pour la première
fois… en 2022. Le projet de loi sur l’adaptation au changement climatique, proposé il y a huit ans,
n’a jamais été adopté. Il manque à la fois des moyens et une volonté politique pour faire respecter les
40 lois sur le terrain. L’enquête d’une ONG portoricaine, le Centre de journalisme d’investigation, a
montré l’ampleur des exemptions accordées à l’industrie touristique et des délits environnementaux
tels que la destruction de mangroves et de zones humides, ou la construction à proximité du rivage,
Perte de revenus
Car les atteintes aux mangroves, dunes et autres zones humides, associées à la montée des eaux
et à l’acidification des océans, produisent un cocktail explosif pour le tourisme. La gestion des algues
brunes est à la charge des hôteliers. Tout comme le maintien des plages de sable blanc, dont la surface
70 diminue à vue d’œil en raison de la dégradation de la barrière de corail et des perturbations apportées
à l’écosystème marin. La destruction des protections naturelles face aux événements violents rend les
réparations plus coûteuses, et leur multiplication induit à la fois des coûts et une perte de revenus –
car la saison des ouragans s’allonge. « La vision d’ensemble est effrayante », admet Jake Kheel.
L’héritier du Grupo Puntacana, dont la fondation travaille à reconstruire la barrière de corail, dit
75 faire preuve de pédagogie à l’endroit des mastodontes hôteliers espagnols qui ont conquis les côtes
dominicaines : « On leur explique que ce que l’on fait n’est pas bon pour la nature, mais aussi pour le
tourisme à moyen terme. Ce n’est pas un délire pour sauver la planète. Et ils l’entendent. »
En 2011, une étude du gouvernement dominicain avait estimé le coût, pour les finances publiques,
de l’adaptation du secteur touristique au changement climatique à seulement 780 millions de dollars
80 (731 millions d’euros) d’ici à 2030. « Au regard de ce que le secteur amasse comme richesses, c’est
tout petit, souligne David Arias Rodriguez, un acteur-clé du combat environnemental en République
dominicaine. Les écosystèmes sont proches de l’effondrement et l’industrie touristique, ici, court à sa
perte. » Et la bonne nouvelle ? « Aujourd’hui, elle le sait. »
Clément Guillou, « À Punta Cana, le tourisme pèse sur les ressources », Le Monde, 27 juillet 2022
Marina Fabre, infographie réalisée pour le site Novethic.fr à partir des données de l’ADEME (Agence De
l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie), 24 juin 2021.