Deux Capitaines D'industrie Se Racontent (French Edition)

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D E U X C A P I TA I N E S

D’INDUSTRIE SE
RACONTENT

Paul K. Fokam
Gervais Koffi Djondo

Afredit
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© Tous droits réservés Afrédit


B.P. 11 834 Yaoundé-Cameroun, Tel : 00237 222 202 615, web : www.afredit.com, email :
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La pensée sans action est vide et l’action sans pensée est aveugle.

LES AUTEURS
CONTENTS

Title Page
Copyright
Epigraph
Avant-propos
Liste des abréviations
Chapitre I: L’entrepreneur africain face au défi d’exister
Chapitre II: J’ai accepté la proposition de mon ami et frère
Chapitre III: L’entreprise, une aventure périlleuse mais ô combien exaltante
Chapitre IV: L’aventure de l’intégration africaine
Chapitre V: LE droit à l’erreur, vecteur du progrès
Chapitre VI: Le chemin de croix de l’entrepreneur en Afrique
Chapitre VII: La justice, un caillou dans la chaussure de l’entrepreneur
Chapitre VIII: La culture, voie de salut du panafricanisme économique
Chapitre IX: L’entrepreneur et l’oppression monétaire en zone franc
Chapitre X: Mes déboires en politique
Chapitre XI: La Commission bancaire d’Afrique centrale : une mission
ambiguë
Chapitre XII: Afriland : naissance d’un champion non désiré
Chapitre XIII: Modèle MC2 au Cameroun : un condamné à mort en sursis
Conclusion
Les conditions d’existence des champions
About The Author
About The Author
AVANT-PROPOS
Nos rencontres ont généralement eu lieu lors des conférences et dans
les halls d’attente d’aéroports. Nos discussions ont souvent porté sur le
devenir de l’Afrique et des Africains, sur le rôle de l’entrepreneur dans le
processus de développement de l’Afrique et surtout sur l’épanouissement de
l’entrepreneur africain dans son continent.
Nous savons que nos expériences sont différentes, de même qu’est
significative la différence d’âge. Mais nos manières de vivre les périlleuses
batailles de capitaines d’industrie africains et de subir les tracasseries de toute
sorte sont si semblables qu’on serait en droit de penser que tout a été conçu
dans un même laboratoire, pour être seulement exécuté par des bourreaux
différents, ici et là sur le continent.
Nos échanges d’expériences de guerriers sur les champs de bataille
économiques nous ont permis de nous rendre compte que, malgré nos légères
différences culturelles, nos réseaux d’information et nos grilles de lecture
différentes, nous ne manquions aucune occasion de puiser des forces dans
nos vécus douloureux respectifs, de nourrir notre capacité à persévérer devant
de nouvelles difficultés, de supprimer le mot échec de notre langage et,
surtout, de nos pensées. Car persuadés que l’échec n’existera que le jour où
nous aurons signé l’acte d’abandon.
Nous avons constaté, à notre plus grande stupéfaction, que la grande
majorité des États africains considèrent que la sécurité militaire et la sécurité
des populations l’emportent sur la sécurité économique de leurs pays et de
leurs citoyens. Quel leurre !
Nous avons constaté tous les deux que les entrepreneurs africains sont
des laissés-pour-compte, alors que leurs homologues des autres continents
sont soutenus de façon permanente par leurs États respectifs.
Nous avons constaté que le capitaine d’industrie africain est souvent en
panne de vision et de persévérance.
Nous avons constaté que l’entreprise africaine fait tous les jours face au
défi d’exister.
Nous croyons que chaque capitaine d’industrie doit penser avant d’agir
afin d’éviter le piège du suivisme et de la justification de l’échec qui
l’empêche d’être lui-même et de mener son navire à bon port, en grand
commandant.
Nous croyons que l’Afrique, aujourd’hui champ de ruine et de misère,
peut être transformée en un îlot de prospérité, en un espace où il fait bon
vivre, par l’action de ses créateurs de richesses tant matérielles
qu’immatérielles. Nous croyons que le capitaine d’industrie, pour survivre,
dans cet espace guerrier, doit vivre en permanence au futur pour être capable
d’anticiper sur les changements des besoins de la clientèle, sur les rapides
transformations inhérentes à ce monde plat.
Nous croyons qu’aussi longtemps que l’entrepreneur, principal créateur
de richesses et d’emplois, continuera à être abandonné à lui- même, l’Afrique
ne sera jamais transformée en ce havre de prospérité dont nous rêvons tous,
mais restera un véritable champ de misère où va croupir une armée de
mendiants pourtant assis sur une mine d’or.
Nous croyons que le savoir est non seulement la principale source de
richesse, mais également une source inépuisable de cette richesse, que
l’avenir de l’Afrique passe par un accroissement permanent de savoir, de
savoir-faire et de savoir-être.
Nous croyons tous les deux que l’égocentrisme du monde actuel est la
source nourricière de la violence, du radicalisme et surtout de la
paupérisation.
Nous croyons tous deux que la mondialisation peut être une chance
pour l’Afrique qui a accumulé un retard dans nombre de domaines, car avec
les technologies de l’information et de la communication, le savoir et le
savoir-faire sont mis à la disposition de tous ceux qui veulent les utiliser ou
s’en servir, le savoir et le savoir-faire étant très vite partagés entre plusieurs
milliards de personnes en quelques fractions de seconde.
Nous croyons tous les deux que la plus grande richesse que l’homme
possède se trouve entre les deux oreilles et que, malheureusement, les plus
intelligents d’entre nous, les «savants», n’ont pas pu utiliser plus du tiers de
cette mine durant leurs vies respectives sur terre, malgré les grandes
découvertes qui facilitent nos vies. Par conséquent, l’homme recèle encore
d’énormes potentialités de changement et de croissance.
Nous sommes convaincus tous les deux que l’entreprise est le lieu de
création de richesse par excellence, qu’elle doit être protégée et entretenue.
Qu’elle est abandonnée à elle-même dans ce champ de bataille ouvert qu’est
l’Afrique des anciennes colonies, l’Afrique des damnés de la terre, l’Afrique
dépourvue d’âme et de culture.
Nous sommes convaincus, tous les deux, que le monde économique est
un véritable champ de bataille où se confrontent les armées économiques
(entreprises) de puissance et de taille diverses venant de tous les continents,
que l’entreprise africaine est privée du soutien de son État, pourtant garant de
la sécurité des personnes et des biens dans un espace de souveraineté. Cet
État qui se contente de prélever les impôts en oubliant de protéger l’arbre
fruitier (entreprise) favorise de ce fait le chômage et la paupérisation de son
peuple, mais aussi l’exploitation du continent par des puissances
économiques étrangères, laissant ainsi un continent appauvri, surexploité,
délabré, aux générations futures.
Nous croyons aussi qu’un réveil africain est possible, à condition que
les princes africains se débarrassent de leurs complexes multiformes pour
favoriser la restauration de la dignité africaine, nécessaire à notre propre
existence en tant que continent qui peut peser dans ce monde global.
Malgré l’absence de concertation entre nous dans les années 80, nos
expériences et connaissances respectives nous ont permis de réaliser chacun
en ce qui nous concerne que la banque est le moteur de toute création de
richesse, donc de tout développement économique et qu’elle est le seul
instrument susceptible de libérer les énergies créatrices de chaque Africain et
de tout le continent.
Enfin, notre conviction commune est faite : l’homme est le seul
responsable de sa vie, il est le seul à décider de ce qu’il sera ou de ce qu’il ne
sera pas. Dès lors, l’avenir de l’Afrique dépend de ses fils et filles et non d’un
autre pays, ou d’un autre continent.
Notre agenda commun est de mettre à la disposition des jeunes
générations d’entrepreneurs africains les armes de combat pour exister dans
ce champ de bataille qu’est le monde économique global, dans cette jungle
économique où le savoir est l’arme la plus redoutable, où l’innovation est
l’ingrédient indispensable pour la survie, où aucun répit n’est permis, où
l’éveil est une obligation de survie.
Nous convenons ensemble qu’il n’y aura ni réussite sans échec, ni
victoire sans bataille. Dès lors, le jeune entrepreneur doit s’armer de la seule
certitude que demain est incertain et que la réussite appartient uniquement
aux esprits bien préparés.
Si nous ne portons pas le même jugement sur tous les faits et
événements, nous nous rejoignons en revanche dans l’ambition commune qui
est déroulée dans les lignes qui suivent.
LISTE DES
ABRÉVIATIONS
ADAF : Appropriate development for Africa foundation
AOF : Afrique occidentale française
BAD : Banque africaine de développement
BIAO : Banque internationale pour l’Afrique occidentale
BIDC : Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO
BOAD : Banque ouest africaine de développement
CAMDEV : Cameroon development corporation
CEDEAO : Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest
CEEAC : Communauté économique des États de l’Afrique centrale
CEMAC : Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale
CNOOC : China national offshore oil corporation
COBAC : Commission bancaire de l’Afrique centrale
ETI : Entreprise de taille intermédiaire
FMI : Fonds monétaire international
IATA : International air transport association
ICTSI : International container terminal services
l’OHADA : Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des
affaires
OMC : Organisation mondiale du commerce
ONG : Organisation non gouvernementale
ONU : Organisation des nations unies
OUA : Organisation de l’unité africaine
PAZF : Pays africains de la zone franc
PME : Petite ou moyenne entreprise
SDN : Société des nations
SFI : Société financière internationale
TCS : Tribunal criminel spécial
TIC : Technologies de l’information et de la communication
UA : Union africaine
UBA : United Bank for Africa
UEMOA : Union économique et monétaire ouest-africaine
UMAC : Union monétaire de l’Afrique centrale
UNOCAL : Union Oil Company of California
USAID : Agence des États-Unis pour le développement international
CHAPITRE I:
L’ENTREPRENEUR
AFRICAIN FACE AU DÉFI
D’EXISTER
Par Paul K. Fokam

L’entrepreneur, particulièrement l’entrepreneur africain, est en permanence face au défi


d’exister avec une différence de perception abyssale entre l’Afrique et l’Occident.
En Afrique, lorsqu’il réussit, tout est mis en œuvre pour qu’il échoue. En Occident, lorsqu’un
entrepreneur échoue, tout est mis en œuvre pour qu’il réussisse.
L’entrepreneur africain face au défi
d’exister
Ma conviction est que l’entreprise est la principale source de création de richesse, qu’elle détient
le pouvoir de décider du futur et surtout de transformer la nature, qu’elle reste la meilleure manière de
servir l’Afrique pour restaurer sa dignité.

En 1993, paraissait aux éditions L’Harmattan, mon tout premier


ouvrage au titre très évocateur, L’entrepreneur africain face au défi d’exister.
J’avais mené des enquêtes sur la condition de l’entrepreneur dans certains
pays africains. Ma conclusion était amère, à savoir que l’entrepreneur africain
est un soldat sans arme. Mais, des amis m’avaient dissuadé d’afficher cette
conclusion d’entrée de jeu, à la première de couverture, comme titre de
l’ouvrage. Je m’étais alors contenté d’un titre qui montrait que cet acteur du
monde économique avait son mot à dire, qu’il avait la possibilité de
transformer sa situation déplorable en défi, de chercher en lui les raisons
d’exister, avant d’entrer en guerre, car s’y engager alors que les préalables
n’étaient pas réunis me semblait aller combattre avec son cercueil en main.
Vingt-cinq ans après, au moment où je sollicite mon ami et frère aîné
Gervais Koffi Djondo pour mener une réflexion sur la condition de
l’entrepreneur africain, il me revient à l’esprit cette image du soldat sans
arme qui veut mener une guerre sans avoir préalablement acquis les armes
essentielles que sont le savoir-faire et le savoir-être. Le savoir-faire n’est pas
nécessairement le produit d’une formation classique dans une école
conventionnelle, mais plutôt la résultante d’une formation technicienne
acquise dans le temps et dans l’espace. Le savoir-être, quant à lui, est
l’enracinement dans un contexte culturel et une transformation du mental en
esprit de joker.
Depuis 1993, que de guerres menées sans victoire ! Un an seulement
après la publication de mon ouvrage, l’entrepreneur africain de la zone franc
essuya un revers historique, la dévaluation du franc CFA, qui engendra le
désastre des économies africaines de la zone. Les petites industries
naissantes, déjà fragiles, disparurent. L’inflation détruisit la petite épargne qui
avait été constituée. Le chômage devint endémique.
Depuis 2016, une autre bombe a atterri dans le camp du producteur
africain, qui doit désormais faire face à la concurrence des produits à forte
valeur ajoutée en provenance de marchés hyperindustrialisés, importés sans
droits de douane, dans le sillage des Accords de partenariat économique
signés avec l’Union européenne. Les conséquences de ces Accords sont
multiples : la destruction systématique du faible tissu industriel reconstitué
après le désastre de 1993 ; l’élimination de petites exploitations agricoles ;
l’étouffement de notre agro-industrie, conséquence de l’économie d’échelle
dont jouissent leurs concurrents venus de l’Occident ; création de nouvelles
taxes en compensation des recettes douanières perdues, lesquelles taxes
pèsent sur les épaules de la PME locale, grevant ainsi lourdement les coûts de
production.
Ces Accords de partenariat, au plan stratégique, ont pour but de barrer
la route à la concurrence des pays asiatiques, de certains pays d’Amérique
latine susceptibles d’offrir à l’Afrique des conditions meilleures pour son
développement et pour sa croissance soutenue. Il s’agit de contraindre
l’Afrique à se maintenir dans une pauvreté permanente, d’organiser son sous-
développement perpétuel afin de mieux tirer profit des richesses du sol et du
sous-sol du continent ainsi martyrisé, exploité sauvagement, appauvri et
abandonné ou reconquis.
Le pillage de l’Afrique ne se limite pas à ce qui vient d’être dit plus
haut, il s’étend avec plus d’acuité à la distribution des terres arables. Le
continent africain possède 60% des terres arables non exploitées dans le
monde. Ces dernières années, des pays étrangers ont acheté d’immenses
étendues de terres en Afrique. Quand on sait que ces opérations ont pour but
de nourrir les marchés des pays acquéreurs et non les populations africaines,
il y a lieu de craindre pour le producteur africain ; si rien n’est fait, celui-ci ne
pourra même pas être capable d’accéder aux terres arables pour nourrir sa
population qui progresse rapidement et qui devrait atteindre le cap de deux
milliards en 2050.
En ce qui concerne les appels d’offres internationaux, les conditions
sont toujours définies avec des termes de référence occidentaux. L’une de ces
conditions, la plus flagrante, « l’expérience internationale », exclut de fait le
jeune entrepreneur africain de la course. À sa naissance, comment peut-il déjà
avoir une expérience professionnelle et, au mieux, internationale ? Il ne
pourra jamais remporter de contrat puisqu’il faut bien commencer quelque
part pour un jour disposer d’une première expérience, puis d’une deuxième,
etc. Afin de préserver l’équité, on aurait pu prévoir une clause de cinq ans
d’expérience nationale, sachant qu’une telle condition est plus ou moins
accessible et peut garantir l’espoir d’une compétitivité locale et internationale
dans le moyen terme.
Quand on ajoute à cela le fait que les normes exigibles sont
occidentales, on se rend compte que l’entrepreneur occidental bénéficie de
toutes les conditions favorables pour gagner les marchés chez lui, mais aussi
en Afrique, en excluant toute initiative africaine.
Le plus grave est que la perception de l’entreprise dans son propre
milieu est ambiguë. Une étude que nous avons menée auprès d’un échantillon
de dix mille personnes de moins de 60 ans à travers l’Afrique révèle une
perception impensable de l’entreprise qui peut se résumer en trois grands
mots : cruauté, jungle, esclavagisme.
La société perçoit l’entreprise comme
une cellule cruelle
Mes recherches m’ont permis de réaliser que cette perception est la
résultante d’une série d’idées préconçues qui remontent à l’avènement du
syndicalisme, au XIXe siècle, avec la révolution industrielle, perception
renforcée par les doctrines marxistes et léninistes. En effet, au nombre des
héritages de ces deux figures de la pensée du XXe siècle, l’on peut citer la
structuration de la société en deux composantes : les prolétaires, d’une part, et
les capitalistes, d’autre part. Les prolétaires sont considérés comme le groupe
spolié, tandis que les détenteurs de capitaux sont vus comme les exploitants
de l’homme par l’homme. D’où l’appel de Marx adressé à tous les prolétaires
du monde entier à s’unir pour écraser les capitalistes, appel qui a donné
naissance aux révolutions soviétique et chinoise, donc à un nouveau type de
système économique : l’économie communiste, en réaction à l’économie
capitaliste.
L’économie communiste est basée sur un principe simple : à chacun
selon ses besoins. En réalité, cela veut dire que l’économie, dans un espace
donné, doit pouvoir satisfaire tous les besoins de chaque agent économique.
Quel leurre !
L’économie capitaliste, pour sa part, est basée sur un principe tout à fait
différent : à chacun selon ses efforts. Ce qui correspond le mieux à la réalité
du monde global où la compétition est de plus en plus féroce. C’est ce qui
explique la prééminence du système capitaliste sur le système socialiste et,
surtout, l’introduction d’une grande dose des principes capitalistes dans
l’économie socialiste afin de garantir sa survie.
Dès lors, l’entreprise a cessé d’être une cellule où fourmillent les
différents talents de production de biens communs pour devenir une cellule
de cruauté.
La société perçoit également
l’entreprise comme une jungle
La jungle est une forêt peuplée d’animaux sauvages et féroces où les
plus forts imposent leur volonté aux plus faibles et, au besoin, les dévorent.
Cette perception est si loin de la réalité de l’entreprise qu’elle explique en
partie les raisons de l’échec de l’entreprise africaine. L’entreprise moderne
étant une cellule combattante où abondent divers talents, travaillant pour un
avenir meilleur pour tous et où chacun récolte selon ses efforts.
L’entreprise perçue enfin comme une
cellule esclavagiste
L’esclavage est la forme la plus odieuse d’exploitation de l’homme par
l’homme, et l’Afrique l’a subi pendant plusieurs siècles. Les différentes
formes de ce commerce (transsaharien et transatlantique) ont duré si
longtemps, respectivement 4 et 13 siècles, qu’elles ont laissé des stigmates
dans les consciences.
Dans le cas de l’entreprise, vous avez vous-même rédigé une demande
d’emploi, engagé les démarches nécessaires pour être recruté dans une
entreprise. Dans certains cas, vous êtes passé par les mailles d’un test ou d’un
concours sélectif, dans d’autres, par des démarches et lobbyings importants
pour avoir le poste.
Vous gardez votre liberté d’aller ou de ne pas aller chaque matin au
travail, de démissionner à tout moment avec ou sans préavis. Enfin, vous êtes
protégé par un arsenal juridique qui vous permet d’exprimer votre liberté.
Dès lors, il devient difficile de comprendre le label « esclavagiste » collé au
mot entrepreneur. Malheureusement, c’est un cliché social et l’entrepreneur
doit s’y préparer et ne jamais oublier ce dicton populaire : Si tu fais du bien à
quelqu’un, ou c’est trop ou ce n’est pas assez, et dans tous les cas tu paieras
cher.
Malgré le climat social très au point que j’ai défini au sein de nos
entreprises, malgré les conditions d’épanouissement mises en œuvre, malgré
les conditions de formation et de travail très favorables à la promotion de
chaque individu et du groupe tout entier, l’entreprise a continué à avoir une
mauvaise presse parmi certains employés paresseux et peu productifs et, dans
une certaine mesure, sur le public africain tout entier. Comment est-il
possible qu’une personne ayant ses pleines capacités puisse décider de
détruire sa source nourricière qu’est l’entreprise ?
En réalité, c’est la conséquence d’un environnement façonné par la
facilité, la corruption, le clientélisme politique qui crée artificiellement des
riches sans effort ; qui favorise une société transformée en parc de loisirs, où
les vacances toute l’année sont devenues la valeur cardinale, où le travail est
considéré comme une punition, où la persévérance est considérée comme une
tare. On retrouve ainsi un environnement qui a refusé d’évoluer vers les
changements d’attitude et de mentalité. En effet, on est aujourd’hui à la
troisième génération du concept d’employé. La première génération était
celle de la subordination. La deuxième génération fut celle de la
collaboration. La troisième, celle d’aujourd’hui, est celle du partenariat ; elle
fait de l’employé un partenaire privilégié de l’entreprise. Celui qui doit
partager avec les autres partenaires que sont l’État et les actionnaires, les
fruits de mise en commun des moyens devant accélérer la croissance de
l’entreprise dans un esprit de win win game.
L’Africain est resté à la première génération qui était nourrie de la
pensée communiste en voie de disparition. Mais, tout cela ne doit pas
empêcher un entrepreneur de poursuivre sa mission, de réaliser son rêve. Au
contraire, cela constitue un élément motivant pour exceller dans la recherche
du bien-être commun.
Le deuxième constat est la perception
de l’entreprise par les princes qui
nous gouvernent
L’État africain francophone n’a pas changé sa vision de l’entreprise.
Encore largement tributaires de la mentalité de la fonction publique, les
dirigeants politiques continuent de considérer l’entreprise comme un espace
d’agrégation de la puissance, de telle sorte qu’ils se méfient instinctivement
de tout entrepreneur qui crée des emplois. C’est un dynamisme qui leur fait
peur. Cette perception de l’entrepreneur comme futur concurrent politique,
comme quelqu’un qui va mobiliser de l’argent pour viser le pouvoir politique
est étonnante. Or, l’État est le partenaire superprivilégié des principaux
partenaires que compte l’entreprise moderne, à savoir : les apporteurs de
capitaux (actionnaires), les apporteurs de la force de travail (les employés) et
l’apporteur de sécurité des biens et des personnes (l’État). Aujourd’hui, on
assiste à une perception de l’entreprise privée éloignée de la réalité et nuisible
à la création harmonieuse de richesse dont la nation a tant besoin.
Au-delà de ces mauvaises perceptions,
l’entreprise est un bien commun
En Afrique, l’État, le citoyen, le gouvernement, les employés mêmes de
l’entreprise s’accordent pour la définir comme la propriété exclusive de
l’entrepreneur. L’État ignore totalement que l’entreprise est la source de ses
revenus, que sans elle, il n’aura pas les moyens de remplir ses missions
régaliennes, de payer les salaires de ses fonctionnaires. La sécurité de chaque
citoyen et de ses biens est assurée par l’État, qui ignore que l’entreprise est la
principale source de richesse de la nation, que c’est dans les revenus créés par
l’entreprise qu’il puise les ressources nécessaires pour assurer sa mission de
protection du citoyen et de ses biens. Le salarié de l’entreprise, même en sa
qualité de créancier privilégié, ne se rend pas compte que l’entreprise dans
laquelle il travaille est la source principale de sa richesse. La disparition de
cette entreprise entraînerait la perte totale ou partielle de sa richesse, lui ôtant
de ce fait les moyens de subsistance et le plaisir de jouir de la vie. Elle le
mettrait dans une situation de mendicité permanente ou partielle, lui enlevant
de ce fait sa dignité. Une entreprise qui ferme les portes représente une
tragédie pour toute l’économie. À la source, l’on note le refus de reconnaître
le lien entre la richesse de la nation et l’entreprise.
L’entreprise est la source de toute
richesse
Je propose que l’on change de culture, que l’on voie l’entreprise
autrement. Qu’on la voie simplement comme ce qu’elle est vraiment, c’est-à-
dire la source de la richesse de la nation. Si la richesse de la nation est
composée de l’ensemble des revenus produits, il s’avère que l’entreprise est
la source principale de toute création de richesse. C’est, en fait, ce qui
explique pourquoi les chefs d’État qui se respectent doivent parcourir le
monde entier avec leurs capitaines d’industrie pour soutenir leurs actions
dans le processus de création de richesses. C’est aussi la raison pour laquelle
dans les pays ambitieux, qui comprennent le rôle fondamental de l’entreprise
dans le processus de création globale de richesse, il est difficile voire
impossible d’assister à la fermeture d’une entreprise pour non-paiement
d’impôts. Connaissant son rôle dans la création et le maintien de l’emploi
dans une nation, sa grande contribution dans la formation du revenu national,
les conséquences dommageables pour la paix sociale et la sécurité globale, le
fisc négocie avec l’entreprise l’échéancier de paiement de ses impôts,
donnant ainsi une chance supplémentaire d’éviter la destruction de la richesse
nationale qui aura pour conséquence la réduction du train de vie de l’État et
de chaque citoyen pris individuellement.
Le plus important est que l’entrepreneur prenne lui-même conscience
que l’entreprise est une cellule combattante et que pour réussir, il doit mener
l’essentiel des batailles et les gagner. Pour y parvenir, il faut que la société
entière, toutes les composantes, dans une parfaite synergie, réalise les défis
suivants :
1 / Sortir De L’extraversion Culturelle.
La première source de vulnérabilité de l’entreprise africaine est la
domination culturelle. En Afrique, on assiste à la négation de nos richesses
culturelles, à l’adoption sans critique des « valeurs » culturelles occidentales.
Le bât blesse là où, en plus de l’adopter, nous considérons la culture
occidentale comme l’étalon de mesure de toute valeur culturelle. Or, nous
savons que la culture d’une nation est la source nourricière du progrès, la
fondation de son existence, le matelas sur lequel repose ce progrès.
L’abandon de nos richesses culturelles explique en partie la stagnation du
progrès en Afrique, le retard que nous accusons par rapport aux autres
continents, et surtout la domination continuelle que nous subissons. Cette
mentalité de l’extraversion intellectuelle nous a plongés dans la domination
permanente. Nous continuons de croire qu’un expert européen, chinois ou
américain débarquera et nous conseillera, nous indiquera ce qu’il faut faire ou
ne pas faire. Soixante ans après les indépendances, des institutions
souveraines, aussi sensibles que la présidence de la République ou le
ministère des Finances de certains pays africains continuent de regorger de
conseillers occidentaux. D’aucuns les appellent experts, mais pour être direct,
ce sont des espions en mission. Sous le fallacieux prétexte de la coopération,
ils accomplissent un agenda préventif de toute « déviation » qui pourrait
aboutir à l’affranchissement de l’Africain, donc à la perte de l’influence
occidentale sur la richesse africaine.
C’est encore et toujours notre extraversion intellectuelle qui nous
pousse à nous accrocher à l’aide avec la dernière énergie. Nous avons la
naïveté de croire que l’argent viendra toujours de l’extérieur. Et pourtant,
nous sommes les pays les plus richement dotés, nos sous-sols disposent de
ressources qu’il nous suffit de transformer nous-mêmes en valeur ajoutée.
Nos ressources humaines sont les plus jeunes et les plus dynamiques.
Combien de temps faudra-t-il pour que l’on se rende compte que l’aide
permanente nous plonge dans l’esclavage, dans la négation de nous-mêmes,
dans un fossé sans fond et même sans fonds ?
Les difficultés que rencontrent les entrepreneurs africains sont dues en
grande partie à l’extraversion de la vision politique. Puisque l’on attend tout
de l’extérieur et plus précisément de l’Occident, on n’a pas besoin de
promouvoir des champions, ni de soutenir les PME. Et pourtant, il est
nécessaire d’engager une réflexion de fond sur les conditions de l’existence
de l’entrepreneur africain.
Toute politique de développement économique qui n’a pas pris en
compte le facteur culturel aboutira à l’indifférence, à l’aliénation et aux
dissensions sociales. Ainsi, en Afrique, le peuple est resté en dehors de toute
politique de développement. Les responsables des politiques économiques se
sont attelés avant tout à l’accroissement de la production et des
investissements matériels, sans se soucier des valeurs culturelles qui, seules,
sont susceptibles de donner à la production des biens une base solide et
durable. Le rejet de notre culture est si profond que lorsque l’activité locale
ne peut s’adapter à celle de l’Occident, elle est vite qualifiée de calamité
sociale, de frein au progrès et doit être balayée sans pitié.
C’est ainsi que les tontines au Cameroun, les associations financières
informelles au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Nigeria, au Burundi, en Guinée
ont d’abord été considérées comme un frein au développement du secteur
financier, et de ce fait de toute l’économie. Et du coup, tous les experts
occidentaux s’accordaient pour en recommander la suppression ou
l’interdiction. On a vu depuis lors l’intérêt qu’elles représentent, tout l’argent
qu’elles brassent, au point que les grandes banques occidentales s’y
intéressent enfin aujourd’hui. Mais, dans quel but ? On assiste à de nouvelles
réglementations internationales dont le seul but est d’éloigner ces structures
de leur mission salvatrice de lutte contre la pauvreté en Afrique, car cette
pauvreté est la raison d’être de certaines organisations internationales en
Afrique.
2 / Recadrer Le Rôle De L’État.
Je décriais dans mon ouvrage l’intervention de la bureaucratie administrative
dans le champ de l’entrepreneuriat. Cela n’a pas changé du tout. Malgré la
lourdeur évidente de leurs procédures administratives, les fonctionnaires
continuent de se mêler d’entrepreneuriat. L’accès aux indépendances
politiques des pays africains s’était naturellement accompagné du souci de
mettre fin à la dépendance économique. Les autorités politiques qualifiées
dans ce domaine s’étaient intéressées à l’un des écarts les plus frappants entre
les économies africaines et celles des puissances coloniales : la production
industrielle.
En effet, l’industrialisation en tant que clé de transformation
économique a été le thème soutenant logiquement les efforts de promotion
économique dans l’Afrique des premières décennies après les indépendances.
Pour atteindre cet objectif, les dirigeants ont orienté leurs politiques
économiques vers les industries ou industries « industrialisantes ». Très
capitalistiques et certainement pas adaptées à la situation du marché dans ces
pays, elles ont été sanctionnées par un échec cuisant. Après la période des
ajustements structurels, les pays ont renoué avec les plans économiques, dont
l’industrialisation est l’un des objectifs affichés. Malheureusement, une fois
encore, comme dans les années 70, on pense toujours aux industries lourdes.
On comprend certainement le souci de combler le vide laissé par
l’absence d’une classe d’entrepreneurs. L’État s’est ainsi cru obligé
d’entreprendre dans les secteurs très capitalistiques exigeant une technique
élaborée. Mais, cette politique n’a été qu’un gouffre d’argent. Parce que
l’État a procédé directement, au lieu de faciliter les conditions, de susciter des
vocations entrepreneuriales, en bref, d’armer des soldats économiques.
Toute intrusion directe de l’État dans le champ de l’entrepreneuriat est
révélatrice d’une confusion de rôles qui anéantit l’entrepreneur privé, car du
temps est perdu, des ressources aussi. L’État bénéficie de prérogatives
exorbitantes non seulement parce qu’il est doté du pouvoir législatif et de la
fonction de régulation des rapports sociaux (gestion des conflits sociaux, du
système de protection sociale), mais aussi parce qu’en sa qualité d’État-
entrepreneur, il contrôle plus de 60% du secteur économique et maîtrise de ce
fait le marché de l’emploi et la politique des salaires. II va désormais se
ranger derrière les syndicats ouvriers pour mieux assommer son concurrent
(l’entrepreneur privé).
Alors que la bureaucratie administrative et politique joue les
entrepreneurs sans produire de résultat palpable, le problème persiste d’âge
en âge, à savoir la marginalisation de l’Afrique en matière d’industrialisation.
En 2016, alors que la part du continent dans la démographie mondiale est de
15% et devrait être de 25% en 2050, le continent ne revendiquait que 3,3 %
des exportations mondiales. De plus, la part de l’industrie dans son PIB
n’était que de 10%. Malheureusement, à bien voir, la moitié de ces
exportations est constituée de ressources naturelles. En définitive, le poids de
l’Afrique tout entière dans la production manufacturière mondiale est de
1,1%. En comparaison, celle des pays asiatiques en développement est de
25%.
Dans ses rapports avec l’économie et la société, l’État joue un rôle
ambigu : il est juge et partie. Juge parce qu’il est chargé du maintien du
consensus social entre les différents partenaires sociaux. Mais, l’État est lui-
même entrepreneur. Dans presque tous les pays africains, l’État est le grand
entrepreneur qui contrôle également la justice, possède la puissance publique,
mais aussi entretient un personnel avide ou affamé ; ce qui se traduit sur le
plan pratique par une pressurisation de l’entrepreneur privé du fait d’une
fiscalité trop lourde, inadaptée et mal appliquée.
La corruption est pour le fonctionnaire gourmand une arme redoutable
contre cet entrepreneur en grande majorité illettré et ignorant tout de ses
droits - qui n’existent d’ailleurs qu’en théorie.
Par ailleurs, dans les rapports conflictuels de l’entrepreneur avec la
masse ouvrière, l’Inspection du travail, un service de l’État-entrepreneur,
considère l’entrepreneur privé comme un protagoniste frileux, très attaché à
ses prérogatives et hostile à toute évolution sociale.
La classe patronale privée est considérée comme la classe spoliatrice, la
classe ouvrière comme la classe spoliée, ce qui se solde par des rapports
sociaux conflictuels.
Dans ces conflits, le salarié est toujours considéré comme la victime
des abus patronaux. C’est dans cet esprit qu’un certain nombre de textes
législatifs ont été élaborés, en l’occurrence le code du travail. Les textes sur
les différents congés, le nombre d’heures de travail hebdomadaires, les
heures supplémentaires, les conditions de suppression d’emploi, etc. Ces
dispositions sont une transposition pure et simple de la législation française
conformément aux accords de Brazzaville pris en 1944 sous l’égide du
Général de Gaulle.
Les rapports de l’entrepreneur africain avec l’État n’ont rien de
commun avec les rapports qui devraient exister entre un arbitre et un joueur
avec la particularité ici que l’arbitre est aussi un joueur pivot. Dans ces
conditions, l’entrepreneur privé est plutôt un concurrent de l’État-
entrepreneur et les règles du jeu sont faussées à cause de la partialité de
l’arbitre. Quelques exemples suffisent pour mettre en évidence cette
affirmation : l’interdiction tacite du contrôle fiscal dans les entreprises dont
l’État est actionnaire majoritaire ou détient une minorité de blocage ; les
subventions accordées uniquement aux entreprises publiques ou
parapubliques et l’exemption expresse ou tacite de l’obligation fiscale pour la
presque totalité des entreprises étatiques. En Afrique, en effet, la plupart des
entreprises dans lesquelles l’État a des intérêts bénéficient d’exemptions
fiscales de plusieurs manières.
Premièrement, si le capital est contrôlé par des intérêts étrangers, avec
une participation minoritaire de l’État, et si l’entreprise n’appartient pas au
secteur industriel, un acte spécial va lui accorder des exemptions fiscales pour
une période de 5 à 10 ans. Si elle appartient au secteur industriel, elle va
bénéficier d’exemptions fiscales pour une période comprise entre 15 et 25 ans
avec possibilité de prorogation.
Deuxièmement, si le capital est contrôlé en majorité par l’État en
association avec des intérêts étrangers, l’exemption fiscale est d’office
accordée soit par un texte à caractère individuel, soit tacitement. En tout cas,
peu d’inspecteurs auront l’audace de réclamer des impôts à ces sociétés et si
dans un cas exceptionnel cela se produisait, l’inspecteur concerné recevrait à
sa grande surprise une injonction de surseoir à ses « manœuvres
antipatriotiques ».
Troisièmement, une entreprise publique non seulement ne doit pas
payer des impôts, mais doit recevoir chaque année une subvention de l’État
au nom de « la politique sociale », comme si l’entreprise privée n’avait pas de
rôle social.

3 / Réformer La Fiscalité,
en faire une nécessité et non un fardeau. La fiscalité est un instrument
d’incitation économique qui vise la protection de l’homme et des biens, qui
permet à l’État de remplir son rôle régalien qui est de protéger le territoire.
Or, que constate-t-on dans la réalité ? Que l’entrepreneur africain est miné
par une fiscalité antiéconomique. Ceci parce que la grande majorité des
ministres chargés de la fiscalité considèrent que l’économie est au service de
la fiscalité et non la fiscalité au service de l’économie.
C’est ainsi qu’on a vu apparaître au Cameroun, au Burkina- Faso, en
Centrafrique entre autres, une taxe sur le capital, qui est un moyen de
production en même temps qu’on élaborait des codes d’investissement en vue
d’inciter à l’investissement. Dans presque tous les pays de la zone franc, une
taxe sur les instruments de l’épargne est créée en même temps qu’on
recherche les voies et moyens pour mobiliser une épargne nationale et la
stabiliser, et que les politiques de relance économique sont la préoccupation
essentielle des autorités. Or, il ne fait de doute pour personne que l’épargne
reste la seule source d’investissement et que l’investissement est le moteur
d’une relance économique. Dans les années cinquante, l’Occident a
transformé la société africaine essentiellement épargnante, en une société de
consommation de biens qu’elle ne produit pas et productrice de biens qu’elle
ne consomme pas. Quel paradoxe ! Grâce au recours systématique à
l’assistance technique étrangère pour résoudre la quasi-totalité des problèmes,
pour franchir la quasi-totalité des obstacles, pour apporter la majorité des
solutions à leurs difficultés, les Africains ont œuvré à démolir le vieil adage :
« C’est en forgeant qu’on devient forgeron ».
L’entrepreneur africain est un indésirable, de plus, généralement
considéré comme une sangsue : fraudeur, incivique ; c’est sans doute pour
ces raisons qu’il fait constamment l’objet de contrôles fiscaux alors que son
homologue expatrié y échappe.
La mission première de la fiscalité est de procurer les ressources
nécessaires au financement du service public ; malheureusement, en Afrique,
elle est devenue une arme tranchante mise à la disposition de l’administration
pour réprimer l’entrepreneur.

4 / Combattre Le Complexe Africain Et Le


Prolongement Du Colonialisme.
Rien n’a changé depuis vingt-cinq ans, quand je soulignais que l’entreprise
africaine est généralement installée dans un État de dimension moyenne,
parfois même un micro- État issu du découpage colonial. Les égoïsmes
aidant, il n’a pas été possible de créer un marché commun africain ni au
niveau régional, ni au niveau continental. Il est pourtant facile de constituer
de grands ensembles économiques pour créer un marché vaste pour
l’entrepreneur africain, ainsi que des dynamiques de spécialisation. En
l’occurrence, l’entrepreneur de la CEMAC devrait s’adresser à un marché
global sous régional, à savoir la Communauté Économique des États de
l’Afrique Centrale (CEEAC) qui compte 145 millions de consommateurs. La
CEEAC est l’une des régions les plus dynamiques du continent, avec une
croissance moyenne située autour de 5% depuis 10 ans. Avec $ 120 milliards
d’exportations en 2013, elle représente en moyenne 20% des exportations
africaines. Comme le Cameroun et le Nigeria partagent une frontière
maritime et terrestre de près de 1.500 kilomètres, l’on n’aurait qu’à
additionner le potentiel du marché de la CEEAC (145 millions de
consommateurs) et celui du Nigeria (181 millions) pour obtenir un grand
marché.
Malheureusement, les produits fabriqués dans un pays africain sont en
général rejetés par ses voisins à cause des complexes et des égoïsmes
inavoués, ceci au profit des produits de la firme multinationale européenne,
chinoise ou américaine installée dans un vaste marché national et régional
bénéficiant ainsi des avantages d’économies d’échelle au niveau de presque
toutes les fonctions de l’entreprise : le coût de revient, la fabrication, les
achats, la recherche et le développement, la commercialisation, le réseau de
services, l’utilisation de la force de vente et la distribution !
Dans nos pays, la presque totalité du circuit de distribution est
contrôlée par le capitalisme international. Dès lors, tout nouvel arrivant doit
persuader ces circuits d’accepter son produit, bien qu’il s’agisse de circuits
contrôlés par la concurrence soit directement, soit par le jeu des participations
croisées. Devant cet obstacle majeur, l’entreprise africaine se trouve dans
l’obligation de créer des circuits de distribution neufs ; mission difficile sinon
impossible en raison de la faiblesse de ses moyens financiers, du coût de
location, de la propriété technologique (brevet), du coût de transfert de la
technologie, de la difficulté d’accès aux subventions publiques, etc.

5 / Stimuler L’émulation Grâce À La Promotion


Des Vertus De L’échec.
Selon différents contextes, la réussite et l’échec n’ont pas les mêmes vertus,
ni les mêmes considérations. Dans la société américaine, celui qui n’a pas
échoué deux ou trois fois n’est pas considéré comme un homme mûr pour les
grandes batailles entrepreneuriales. Dans la société française, l’échec poursuit
l’homme presque toute la vie. Dans la société africaine, l’échec met l’homme
presque en marge de la société.
L’Africain et pire, l’entrepreneur africain, qui échoue est stigmatisé.
Mais s’il prospère, doit-il payer un lourd tribut à sa communauté ? La défaite
est une honte personnelle et la prospérité un trophée collectif, un don du ciel
pour la communauté ; en conséquence de quoi il doit en partager les fruits
avec tous. Se soustraire à cette obligation, c’est entraîner la malédiction
collective qui peut aller jusqu’à l’élimination physique. Remplir
convenablement cette obligation en satisfaisant tout le monde, c’est renoncer
d’abord à son développement personnel, au développement de son entreprise
et à sa contribution au développement harmonieux de la nation : il consacre
les fonds nécessaires aux festins, à l’entraide familiale et aux cadeaux divers.
La meilleure attitude reste encore de rechercher l’équilibre entre la
solidarité africaine, d’une part, et, d’autre part, la promotion et le
développement de l’entreprise dont on est responsable.
6 / Faire Du Secteur Informel La Pépinière De
L’entreprise
Aux indépendances, en 1960, les jeunes États africains ont privilégié le
secteur moderne dont la mission première était d’assurer un développement
transféré, c’est-à-dire une transformation de la société par des structures
copiées sur celles des pays développés, juxtaposées aux structures anciennes.
Ce secteur était jugé mieux armé pour entraîner le reste de l’économie et
assurer un développement rapide du continent.
Ce qui crée deux structures économiques indépendantes : un secteur
formel dit moderne et un secteur informel dit traditionnel. Le secteur
informel, pour les uns, l’économie illégale, pour les autres, généralement mal
défini et supposé difficilement saisissable, est présent dans toutes les
branches d’activité et apparaît désormais comme une réalité indéniable et
vivace. Il draine plus de 65% de la population active. Je continue de me
demander comment des activités aussi importantes ne peuvent recueillir que
le mépris des spécialistes. La caractéristique principale du secteur informel en
Afrique est que ses règles de fonctionnement sont issues des valeurs,
coutumes, croyances ancestrales en lesquelles l’Occident voit pourtant la
source de l’immobilisme. Or, telle est la base de la naissance d’une classe
d’entrepreneurs culturellement armés, techniquement entraînés pour soutenir
demain la naissance d’une entreprise africaine capable de rivaliser avec son
homologue occidental. En réalité, il s’agit d’une vraie pépinière que l’État a
intérêt à engraisser, à promouvoir et en favoriser la mutation de l’informel au
formel afin d’agrandir l’assiette fiscale.
Au contraire du secteur informel, le secteur moderne plus technicien,
soi-disant plus efficace, envié, difficilement accessible à cause de ses coûts,
peu adapté aux réalités africaines, est une pure transposition de la société
occidentale dans l’économie africaine, avec des règles et modes de
fonctionnement conformes à la rationalité européenne. Transposition qui s’est
accompagnée d’un refus d’accepter et d’intégrer les valeurs et
comportements africains considérés comme rétrogrades.

7 / Restaurer La Conception Historique De


L’entreprise Africaine : Les Ateliers De Forgeron
L’activité sociale ne peut être dissociée de l’activité économique. On ne
peut pas dépenser ce qu’on n’a pas : il faut d’abord gagner avant de dépenser.
Malheureusement, l’Afrique a importé de l’Occident une culture qui établit
une contradiction entre le social et l’économique. C’est ainsi que de
nombreux acteurs politiques estiment que l’activité économique est distincte
de l’activité sociale. Ils pensent que le social est une source de dépenses,
l’économique une source de richesses.
Ce qui conduit souvent l’État à concentrer l’essentiel de ses efforts sur
le seul plan social, en oubliant que c’est l’activité économique qui est
génératrice de ressources, non seulement pour le financement des activités
sociales, mais aussi pour sa survie même. La conséquence de ce
comportement est que, d’un côté, l’activité économique ne survit pas, et de
l’autre, l’activité sociale ne peut produire les effets attendus. Considérer le
social séparément de l’économique est une idée contradictoire à la culture et à
l’identité africaines. L’Africain a généralement considéré que le progrès
social nourrit le progrès économique. Le grand défi de l’entrepreneur africain
sera de supprimer ces contradictions entre le social et l’économique.
Nous y parviendrons dès lors que les entreprises seront gérées à l’image
des ateliers de forgerons en Afrique, ateliers dans lesquels le maître et les
apprentis forment une communauté d’intérêts pour le bien social de tout le
monde. Dans ces ateliers, il n’y a pas d’heures de travail, le travail n’est pas
seulement un devoir, mais c’est également un divertissement. L’enfant de
l’apprenti est l’égal de celui du maître ; le lieu de formation ou d’initiation est
le même pour tout le monde ; la seule différence résidant dans l’appartenance
à l’un ou l’autre sexe et non à la classe sociale des parents. Il s’agit ici d’une
extension de la sphère familiale.

8 / Faire De L’épargne La Source Nourricière De


Tout Crédit.
Pendant plusieurs décennies, les spécialistes du développement ne se sont
pas préoccupés de la mobilisation de l’épargne dans les pays en
développement sous prétexte qu’en raison de la faiblesse des revenus, il ne
pouvait y avoir d’épargne disponible. Les pouvoirs publics ont continué à
soutenir que les paysans (80 à 90% de la population active) ne pouvaient ni
ne voulaient épargner aussi longtemps que leurs revenus n’auraient pas
atteint un niveau relativement élevé. Ce concept a provoqué l’asphyxie de
l’épargne financière dans la grande majorité des pays aussi bien dans les
zones urbaines que dans les zones rurales, puisqu’aucune mesure incitative
n’y était développée pour drainer l’épargne existante.
Cet abandon de la possibilité de s’assumer et de maîtriser les éléments
de sa politique de développement a mis l’Afrique dans une situation
permanente de mendicité, et son entrepreneur sous la dépendance de son
concurrent étranger. Quel paradoxe !
CHAPITRE II:
J’AI ACCEPTÉ LA
PROPOSITION DE MON
AMI ET FRÈRE
Par Koffi Djondo
J’ai accepté la proposition de mon
ami et frère
Je suis fils unique et orphelin. Mon père s’appelait Pierre Djondo
Afatshao. Ce fut un grand commerçant. Ma mère, Catherine Akwavi, m’a
quitté quand j’avais deux ans. Mon père ne s’est pas remarié. C’est lui qui
m’a gardé avec lui ; je dormais avec lui. Il était mon père et il était ma mère,
il a joué ces deux rôles jusqu’à sa mort en 1957, quand j’avais 21 ans. Il me
donnait tout ce qu’une mère peut donner à son enfant. J’ai grandi en ayant
une vie rythmée par ses activités commerciales d’importation et de vente en
détail. Il importait plusieurs types de produits, notamment de grande
consommation. J’ai été nourri à ce lait du commerce, à cette façon de se
battre pour mériter sa pitance. Tout petit, à la maison, je voyais déjà le
catalogue Manufrance, la première société française de vente par
correspondance créée en 1885 à Saint-Étienne. Cette enfance de solitude,
dans les boutiques et les comptoirs, m’a en quelque sorte préparé au travail
d’accumulation économique. J’ai été initié assez tôt à la responsabilité.
Chaque fois qu’il était temps de faire la cuisine, il me laissait tout seul.
Quand des clients venaient demander à acheter ceci ou cela, je criais, je
l’appelais. Il venait, vendait et puis retournait aux marmites.
Puis est venu le temps de l’école. Il a tenu à me donner une instruction
solide et sérieuse. C’était le parent idéal ; il savait que l’héritage le plus
important qu’un parent puisse laisser à son fils est l’éducation. Je me
souviens qu’il me tenait par la main et me conduisait à l’école tous les
matins. Le dimanche, il me tenait encore par la main, mais nous avions une
autre destination, l’église. Nous ne manquions pas la messe du dimanche.
C’est ainsi que j’ai appris, assez tôt aussi, à réfléchir en chrétien, à avoir de la
place dans mon cœur pour autrui, à ne pas agir pour mon propre bonheur,
mais par amour pour Dieu et les autres. Je deviendrai de ce fait un
entrepreneur soucieux de la société ; les valeurs du christianisme m’ont aidé à
concevoir le travail comme une quête du bonheur social.
Autour de moi, j’étais l’objet de moqueries, tant pour mon statut
familial d’enfant sans mère que pour les activités de mon père ; être
commerçant n’était pas vu comme quelque chose de noble. Mais, ce travail
qui était raillé par beaucoup était effectué avec application par mon père.
Avec lui, tout devait être fait avec sérieux. Du moment où ce sérieux prenait
le dessus sur le type d’activité accompli, je n’avais plus le moindre complexe
d’être le fils d’un commerçant. Sa rigueur était exemplaire ; il vendait
difficilement à crédit, il soignait tout ce qu’il vendait. Tous ceux qui venaient
faire le ménage étaient surveillés pour ne pas toucher aux marchandises, pour
ne rien déplacer, car chaque chose devait rester à sa place.
Rigoureux en tout, mais surtout exigeant envers moi. J’ai reçu de lui
une éducation à la prussienne, la même éducation qu’il a reçue très jeune. Et
je pense que beaucoup de choses sont parties de là, comme mon exigence de
rigueur. Quand mon père mangeait, j’étais debout, à côté de lui, les bras
croisés. Une fois, alors que je somnolais, il m’a mis à genou sur des coques
de palmistes. J’avais les genoux en sang. Il ne tolérait pas le moindre écart de
conduite venant de moi. Il incarnait son époque, c’est-à-dire l’influence
allemande : éduqué à la prussienne, il traitait avec des Allemands, importait
des marchandises d’Allemagne. La ponctualité, le respect de la parole
donnée, l’application au travail. Aujourd’hui, je porte encore en moi cette
rigueur qui m’a façonné et fasciné en même temps. Cette rigueur-là, je la
mettais autant dans les activités commerciales que dans mon éducation
scolaire. Quand je n’allais pas à l’école, je le regardais vendre, encaisser
l’argent, servir, remercier et dire à bientôt. Moi aussi, j’ai appris, de cette
façon, très jeune, à recevoir les gens, à leur donner ce qu’ils veulent, à les
rendre heureux. Petit à petit, j’ai commencé à vendre. Je crois que cette
activité était dans mes veines. J’y ai tout de suite pris goût. Je ne sais pas ce
qui m’a poussé à m’accrocher plutôt au négoce. Après le cycle primaire, je
n’avais plus vraiment envie de poursuivre mes études. Mais, mon père ne m’a
pas laissé la possibilité de placer deux mots. Alors, je l’ai quitté pour suivre
un cycle secondaire à plusieurs kilomètres de notre lieu d’habitation. Je ne
pouvais plus le voir que quand je venais en vacances. Il me ramenait lui-
même. Il n’y avait pas de voiture à ce moment-là ; mais, il avait un vélo. Il
me portait à vélo.
Plus tard, je me suis rendu en France où j’ai suivi des études de
comptabilité à Pigier. C’est à ce moment-là qu’il a quitté ce monde. Je crois
qu’il avait déjà eu le temps, avant sa mort, de m’orienter vers le chemin de la
droiture et des principes. Il avait voulu que je devienne le meilleur comptable
de mon pays. C’est la raison pour laquelle j’ai suivi un cursus de
comptabilité.
Tout de suite après avoir eu mon diplôme, j’ai été recruté comme
expert-comptable de la Régie générale des chemins de fer et travaux publics
du Niger. Par la suite, j’ai été directeur administratif et financier de la société
française Sotra. J’avais un statut d’expatrié et j’étais logé dans une résidence
du quartier réservé aux colons. Mais j’ai découvert la situation déplorable des
travailleurs nigériens. Bien que cadre, je me suis inscrit au syndicat CFTC,
avec pour objectif d’aider mes frères africains qui étaient maltraités dans
l’entreprise. En 1956 est signée la première convention collective de
l’Afrique de l’Ouest. Et je me lie d’amitié avec le syndicaliste nigérien Djibo
Bakary, très proche de Sékou Touré, le leader politique guinéen. Djibo
Bakary m’approche en 1958. Il veut appeler à voter « non » au référendum
sur la Communauté. Le syndicaliste sera par la suite nommé président du
Conseil du gouvernement. Il me consulte régulièrement. Alors que la tension
politique est à son comble, le gouvernement nigérien, réuni un jour au grand
complet, est séquestré pendant quarante-huit heures sur ordre du gouverneur
colonial français. Je me trouvais dans la salle du Conseil des ministres, retenu
avec les membres du gouvernement. Lorsque j’en sors, la Sotra me licencie.
Alors que je veux prendre la direction de mon pays, l’administrateur de la
ville de Niamey, un socialiste français du nom de Joude, me propose de
m’inscrire à l’École nationale de la France d’outre-mer, à Paris. Entre-temps,
le Togo est devenue indépendant. Nous étions quatre Togolais dans cette
école. Sylvanus Olympio est alors président de la République et doit faire
face à une opposition remuante conduite par son beau-frère Grunitzky, qui
compte dans les rangs de son parti mon oncle, Nicolas Djondo. Je suis
informé que le président Olympio demande avec insistance que je sois exclu
de l’École. Ce qui embarrasse les autorités françaises. Je suis reçu par le
président de Gaulle, qui me rassure, et je me vois offrir une bourse pour
l’Institut des sciences sociales du travail. J’y passe un an, de 1962 à 1963.
Après le coup d’État qui entraîne la mort d’Olympio, Grunitzky a pris le
pouvoir et a obtenu mon retour à l’École nationale de la France d’outre-mer.
Lorsque le gouvernement togolais m’a enjoint de rentrer au pays, l’école s’est
interposée en soutenant que j’étais un élève assidu et travailleur, qui méritait
d’aller au bout de son cursus et d’obtenir son diplôme. Je me suis rangé du
côté de l’école, je me suis appliqué. Ayant obtenu mon diplôme, j’ai réintégré
la vie professionnelle, notamment au sein de la compagnie UTA. Je n’y reste
pas longtemps, car au cours d’un séjour à Paris, le président Grunitzky décide
de me ramener avec lui au Togo, où je suis nommé directeur général de la
Caisse d’allocations familiales. Nous sommes en 1964.
Bien que fils de commerçant et moulé aux affaires depuis le jeune âge,
j’ai fait mon entrée dans le monde professionnel par la porte du secteur public
au Niger. J’ai commencé ma carrière dans l’Administration au début des
années 1950 en tant que directeur administratif et financier de la Régie
générale des chemins de fer et des travaux publics. C’était l’époque du grand
vent des indépendances et des espoirs permis. Le continent était en pleine
effervescence. Avec d’autres jeunes gens tout aussi fougueux, j’ai rallié la
cause de l’indépendance. Bien que ce ne fût pas mon pays de naissance, je
me sentais comptable de l’avenir du Niger, qui, du reste, à mes yeux, n’était
qu’un laboratoire pour expérimenter les luttes qui conduiraient à la libération
de tout le continent. J’ai ressenti en Djibo Bakary cette ferveur pour la
libération et nous avons embarqué dans l’aventure syndicale, car le
syndicalisme a précédé l’opposition politique en Afrique. En 1955, j’ai été
l’un des signataires, à Dakar, de la première convention collective du secteur
privé de l’Afrique de l’Ouest.
Arrivé au pouvoir en juillet 1958, Djibo Bakary sera renversé en
octobre. Je retourne au Togo, puis repars en France pour suivre une formation
à l’IHEOM, et ensuite à l’Institut social du travail de l’université de Paris.
Mais, la politique me rattrape. De passage à Paris en 1964, le président
togolais Nicolas Grunitzky me ramène sans discuter au pays et m’ordonne de
prendre la direction de la Caisse des allocations familiales que je
transformerai en Caisse nationale de sécurité sociale. C’est à ce titre que j’ai
créé le système de protection pour les accidents de travail et l’assurance
vieillesse.
Ainsi a commencé pour moi une longue carrière dans l’Administration
publique et le management d’entreprise. À la fin des années 1970, je retourne
dans le privé et deviens le directeur pour le Togo de la Société commerciale
de l’Ouest-africain (Scoa). En 1978, je prends la tête de la Chambre de
commerce et d’industrie du Togo. Je serai à l’initiative de la création de la
Fédération des chambres de commerce d’Afrique de l’Ouest, que je
présiderai de 1978 à 1984. Puis, je serai appelé au gouvernement, devenant
ainsi le premier ministre issu du secteur privé au Togo, non seulement au
Togo, mais en Afrique francophone. De 1984 à 1991, je serai le ministre de
l’Industrie et des Entreprises publiques pour prendre en main les sociétés
d’État dans une situation catastrophique. J’ai créé la première zone franche
industrielle d’exportation en Afrique dans les années 80, avec l’USAID.
Au sein des entreprises privées que j’ai servies ou créées, j’ai donné de
mes tripes. Il s’agit ici de relater ce parcours complexe et de laisser aux
générations actuelles et à venir un témoignage vivant. Au moment où mon
ami et frère Paul Fokam me propose de me livrer en sa compagnie à cet
exercice, je suis un vieil homme plutôt physiquement diminué. J’ai accepté
avec joie sa main tendue. Je partagerai mon expérience, je dirai en quoi a
consisté mon combat, quels ont été mes espoirs, mes attentes voire mes
déceptions. La postérité saura faire le tri, mais pour l’instant, il faut tout
consigner. Du moins tout ce dont je me souviens.
Aujourd’hui, je vis plus que jamais dans le calme absolu. Je n’aime pas
plus l’exubérance qu’hier. Ma discrétion m’a suivi tout au long de ma vie,
j’ai toujours marché sans attirer l’attention, simplement posé des actions et
parlé le langage du pragmatisme. À présent que je suis octogénaire et que j’ai
dépassé l’espérance de vie moyenne de tous les pays africains, je n’attends
plus grand-chose de la vie, j’ai donné ce que je pouvais et j’espère que la
postérité saura donner dix fois ce que je lui ai donné. Je suis invité çà et là à
travers le monde. Malheureusement, je ne peux plus me rendre partout, à
cause de mon état de santé qui ne me permet plus d’effectuer de longs
déplacements. Je me fais représenter. Je suis un grand amateur d’art
traditionnel africain. Voyager procure toujours du bien, cela restaure de l’air
frais dans le cerveau. Voyager est toujours une occasion d’acheter des œuvres
d’art, mais hélas ! à 80 ans, je crois que cela suffit. Je suis moins souvent
dans l’avion qu’au village, pour être au contact de la nature. Cela me permet
de réfléchir à ce qui a été bien fait ou au contraire à ce qui a été mal ficelé.
Cela vous revigore vraiment.
J’ai joué au foot dans ma prime jeunesse. Je me suis cassé la cheville,
puis mon père m’a interdit cette activité. Néanmoins, j’ai continué à pratiquer
le footing. Peu importe le sport que l’on pratique, l’essentiel est que le corps
évite l’inertie. Le sport est important, c’est au moment de la vieillesse qu’on
réalise son bienfait pour la santé. Pour se sentir à l’aise dans ses activités,
l’entrepreneur doit nourrir son corps aussi bien que son esprit. Le rôle de la
lecture est similaire à celui du sport. L’un nourrit le corps et l’autre l’esprit.
Je lis, comme tout le monde, pour percer les secrets de la vie, pour savoir ce
qui s’est passé et voir ce qui peut advenir.
Je voudrais féliciter mon ami et frère Paul Fokam pour tout ce qu’il a
réalisé tout seul, autant dans le secteur bancaire que dans les industries. En
plus de s’investir dans des entreprises, il trouve le temps d’écrire des
ouvrages pour conseiller la jeunesse, lui procurer les armes adéquates pour
aller de l’avant et mener le bon combat pour notre continent.
CHAPITRE III:
L’ENTREPRISE, UNE
AVENTURE PÉRILLEUSE
MAIS Ô COMBIEN
EXALTANTE
Par Paul K. Fokam
L’entreprise, une aventure périlleuse
mais ô combien exaltante
Chacun de nous crée sa propre réalité par sa façon de regarder et d’interpréter les
événements, les personnes et les circonstances de la vie. Chacun peut choisir de ne pas être victime,
d’assumer l’entière responsabilité de son existence, quelles que soient les circonstances de celle-ci.
Pierre Pradervant

Il me semble important de se mettre d’accord sur la définition de


l’entreprise afin d’éviter toute interprétation erronée. L’entreprise doit être
comprise comme une cellule de combinaison des facteurs de production
(ressources humaines, ressources matérielles, ressources immatérielles) pour
créer un bien ou un service susceptible de satisfaire un besoin.
Une fois que l’on a défini ainsi une entreprise, demandons-nous les
motivations réelles de l’entrepreneur. Facile à dire a priori : selon l’acception
commune, l’entreprise est faite pour enrichir celui qui l’a créée. Permettez-
moi d’aller à rebrousse-poil de cette perception. La motivation réelle d’un
entrepreneur n’est pas de s’enrichir. Je sais que vous allez me prendre pour
un idéaliste, mais détrompez-vous. Derrière toute bonne et grande aventure
en entreprise, il y a toujours la volonté de répondre à une question simple et
non le simple désir de s’enrichir.
En ce qui me concerne, l’aventure de l’audiovisuel est la résultante
d’un questionnement qui me taraudait l’esprit depuis que j’avais rencontré le
prix Nobel africain de littérature Wole Soyinka. J’estimais personnellement
que son couronnement méritait de faire l’objet d’une médiatisation à même
d’éveiller la fierté en chaque africain. Malheureusement, peu de médias se
sont intéressés à cet événement. De même, en marge d’une conférence
internationale organisée par le chancelier M. Kohl lui-même en Allemagne en
2005, et qui réunissait des sommités africaines de tout bord, j’avais eu
l’insigne honneur d’être le récipiendaire du Prix d’Excellence africaine. La
cérémonie de remise du prix s’était déroulée en présence de nombreuses
sommités allemandes et de chancelleries africaines, de médias africains, de
médias internationaux. Curieusement, excepté TV5Monde, il n’y avait eu
aucune mention de l’événement dans aucun média, y compris les médias
venus d’Afrique. Dès lors, j’avais compris que l’Afrique avait besoin d’une
voix et qu’il était important de la lui donner pour qu’elle puisse exister. Ces
facteurs et bien d’autres m’ont déterminé à mettre en œuvre un instrument qui
donne la vraie image de l’Afrique, qui restaure la dignité de l’Afrique.
Il en est de même de l’idée de créer une banque. Elle naît d’un pareil
déclic, d’un événement curieux et anodin, d’un constat révoltant. En effet,
jeune cadre au sein d’une banque coloniale dans les années 70, je m’étais
rendu compte que chaque fois qu’un entrepreneur africain prenait une
certaine taille, parce que ses affaires prospéraient considérablement, en
comité de direction, nous recevions le mot d’ordre du siège d’arrêter de lui
octroyer des engagements supplémentaires pour soutenir sa croissance, sous
le fallacieux prétexte qu’il ne pourra plus suivre, en raison de son faible
confort intellectuel. Cela n’avait pas attiré mon attention jusqu’au jour où je
découvris un papier dans les documents confidentiels de la Coopération
précisant : Il faut éviter de hisser les commerçants “indigènes” au niveau où
ils seront capables de faire concurrence aux entreprises de la métropole. Dès
lors, j’avais compris la vraie raison qui guidait les instructions reçues. J’avais
alors décidé, malgré les obstacles, de briser cette barrière qui faisait
obstruction à l’éclosion d’une classe d’entrepreneurs africains, engageant une
bataille féroce, mais ô combien exaltante ! Peut-être est-il important de
souligner qu’une fausse idée selon laquelle l’Africain est incapable de gérer
une banque était distillée parmi toute la jeunesse africaine, à tel point que la
conviction de la grande majorité d’entre nous était faite à ce sujet. On avait
fini par se résigner et penser que la banque était une activité réservée aux
Occidentaux, parce que trop complexe pour le cerveau des Africains. Ceux-ci
se contenteront de rester au service de leurs « maîtres » venus de l’Occident.
Leurs « maîtres » prendront en main le secteur bancaire, décideront de qui
faire la promotion, de qui maintenir en l’état, qui éliminer de la scène
économique.
Ainsi, le système bancaire était devenu la chasse gardée des
Occidentaux qui préféraient la banque de rente à la banque de promotion des
entreprises locales. Les mentalités avaient été à ce point imprégnées de cette
répartition des tâches au sein de l’économie des pays nouvellement
décolonisés que des dispositions légales furent prises pour veiller à son
respect, sous la dictée des conseillers techniques, les « maîtres-colons ».
En effet, pour éviter toute surprise qui aurait pu faire tache d’huile, le
texte de loi régissant le secteur bancaire au Cameroun précisait notamment
qu’une banque ne pouvait être créée qu’avec des capitaux publics à
concurrence d’au moins 35% et un capital minimum hors de portée de tout
entrepreneur africain de l’époque.
Le niveau de formation universitaire dans des domaines précis, la
répartition équilibrée du capital en fonction des appartenances
socioculturelles, l’absence d’un soutien solide des États concernés et la
réglementation inadaptée étaient autant d’obstacles à l’éclosion de la banque
africaine.
Pareillement, en discutant avec mon ami et frère aîné Gervais Koffi
Djondo, j’ai compris que l’aventure d’Asky Airlines était née du constat que
les différents États n’étaient pas connectés entre eux, que l’Afrique n’était pas
connectée au reste du monde, que le développement dans un monde aussi plat
passait par cette connexion, que dans les rares cas où cette connexion pouvait
exister à titre exceptionnel, le coût était prohibitif, rendant ainsi les
transactions entre Africains sinon difficiles du moins impossibles. Du reste, il
explique cela dans une section de ce livre.
Les grandes entreprises partent de constats sur la vie de tous les jours et
sont construites étape par étape, au point de se hisser au sommet.
McDonald’s, Microsoft, Google, Zara, Alibaba sont des success-stories
comme il y en a dans l’histoire du capitalisme actuel. Comme toutes les
autres success-stories, elles sont parties d’idées ordinaires, de constats faits
dans des contextes précis par des gens qui avaient envie de résoudre un
problème donné. C’est seulement au fil des années que le travail, la
persévérance et l’endurance aidant, ces entreprises sont devenues des
références mondiales, mais surtout des exemples à suivre et à copier.
McDonald’s
Aujourd’hui, tout le monde connaît la chaîne McDonald’s. En 2013,
elle comptait 34.492 restaurants dans 116 pays à travers le monde pour un
total estimé de 465.000 employés. L’on évalue à 706 le nombre de personnes
se rendant dans un McDonald’s par seconde. Ces chiffres sont
impressionnants. Pourtant, n’oublions pas qu’en 1937, au moment où les
frères McDonald’s décident de se jeter dans la restauration, c’est un stand de
hot dog qu’ils ouvrent. Leur idée c’est de faire manger les gens, tout
simplement. Précisons d’ailleurs que ce n’était pas des hamburgers qu’ils
avaient l’intention de servir aux clients. Pendant 8 ans, les frères McDonald’s
ont tenu un service de restauration classique avant de se rendre compte que
les hamburgers constituaient l’essentiel de leur chiffre d’affaires. Raison pour
laquelle, ils ont fermé le restaurant pour (une nouvelle fois) satisfaire les
gens, c’est-à-dire leur donner ce qu’ils aiment, le hamburger, et qui plus est,
le leur donner là où ils se trouvent. Et ce n’est qu’en 1953 qu’entre en jeu le
système de franchise, qui aujourd’hui explique que McDonald’s se retrouve
dans 116 pays.
Microsoft
Bill Gates est l’un des hommes les plus riches au monde. Il dispose
d’une fortune évaluée à plus de 80 milliards de dollars, selon le magazine
américain Forbes paru en 2015. Mais, souvenons-nous qu’en 1975, au
moment où il se lance dans l’activité informatique, il n’a aucune idée de la
fortune qui serait la sienne à l’avenir. Au contraire, il a une idée en tête :
mettre un ordinateur sur la table de chaque Américain, comme le rappelle si
bien Anna Vital : When Windows launched, Bill visualized a world where
every home had a computer, and that computer was running Windows.
Pourquoi cette idée ? Dans les années 70, les ordinateurs étaient de très
grande taille et seuls les informaticiens s’en servaient. Et encore, pour les
informaticiens, l’utilisation n’était pas aisée, car il fallait garder en tête une
longue liste de commandes. Chaque fois que l’informaticien voulait effectuer
une tâche précise, il saisissait manuellement une ligne de commandes, ce qui
se révélait fastidieux. Dans les années 80, Apple rend l’utilisation de
l’ordinateur simple en lançant une gamme d’ordinateurs personnels équipés
d’une souris et d’une interface graphique. Le Macintosh d’Apple résout le
problème à moitié, car son coût est prohibitif. Dans ce contexte, Bill Gates se
donne le pari de fabriquer des ordinateurs personnels simples d’utilisation
(équipés d’une souris et d’une interface graphique), mais ce qui est le plus
important, à un prix abordable. C’est en satisfaisant le besoin des utilisateurs
que Bill Gates a gagné la fortune que nous lui connaissons aujourd’hui.
Google
Peu de gens se passent de Google de nos jours. Avec 90% des parts de
marché dans le segment des moteurs de recherche et une valorisation
boursière qui a atteint la barre de 1000 milliards de dollars en 2018, Google
s’est imposé à tous. Non seulement, il survole le segment de la recherche sur
Internet, mais il rachète à tour de bras des start-ups dans des secteurs divers
allant de la cartographie à la médecine, en passant par la robotique ou encore
le webmarketing… Larry Page et Sergey Brin, ses promoteurs, sont devenus
des multimilliardaires en dollars. À l’origine de Google, une idée : faciliter la
recherche d’informations sur Internet.
Une fois de plus, il faudrait comprendre le contexte dans lequel émerge
cette idée géniale : dans les années 90, la toile est sur la voie de se
démocratiser, le taux d’utilisation de cette nouvelle ressource est croissant. Il
reste cependant que retrouver une information n’est pas chose évidente. Larry
Page veut aider les internautes à obtenir les résultats les plus pertinents et les
plus exhaustifs possibles lorsqu’ils envoient des requêtes. Au départ du
projet, les promoteurs ont leur foi et leur détermination. Les premiers bureaux
de l’entreprise se trouvent d’ailleurs dans un garage. Mais, peu à peu,
l’entreprise grandit et le besoin d’air nécessite plusieurs déménagements. De
nos jours, Google est devenu le premier empire économique au monde.
Zara
La marque Zara est présente sur les cinq continents et compte 2600
magasins. Son promoteur, Armancio Ortega, est la deuxième fortune
mondiale (2015). Pourtant, ce fils d’un cheminot espagnol n’était que livreur
en 1967, lorsqu’il entreprend d’offrir un cadeau à sa fiancée. Ne disposant
pas d’assez d’argent pour s’acheter un vêtement de luxe disponible dans de
grandes enseignes, il prend la résolution de copier un modèle aperçu dans une
vitrine. Il se met au travail et réussit non seulement à le faire, mais également
à produire plusieurs exemplaires dudit vêtement. Il donne le cadeau à sa
fiancée et fait du porte-à-porte pour vendre les autres pièces. Les femmes
approchées arrachent le produit et en redemandent. Voilà la naissance de la
mode à prix modéré. Aujourd’hui encore, Zara est réputé pour mettre à la
disposition des clients des modèles de luxe à des prix concurrentiels. Comme
il le dit lui-même en 1998, c’est une idée qui a été transformée en empire : Le
désir permanent d’innovation et de perfectionnement avec lequel nous avons
commencé ce projet il y a 36 ans est la motivation qui nous a guidé jusqu’à
l’heure actuelle. Maintenant, nous avons le privilège de voir comment cette
idée originale, à partir de laquelle beaucoup d’autres, avec un esprit ouvert
et créatif, ont émergé et continuent d’émerger, a été transformée en groupe
Inditex.
Alibaba
Alibaba est entré en bourse à New York en 2015, en levant 25 milliards
$ auprès des investisseurs. Par la même occasion, son fondateur, Jack Ma, est
devenu l’homme le plus riche de Chine, avec une fortune estimée à 25
milliards de dollars. Et pourtant, Jack Ma n’est pas informaticien, il est
enseignant de formation, il a également appris l’anglais et a servi comme
interprète aux hommes d’affaires chinois. En 1995, en voyage de travail aux
États-Unis, alors qu’il accompagne des investisseurs chinois, il a ainsi
l’occasion de faire sa première requête sur Internet. Il tape les mots « beer »
et « China ». À sa grande surprise, il n’y a pas de résultat. Il décide alors de
fonder une société qui va rendre disponible le made in China sur Internet.
Cette idée le pousse à agir vite et il crée une première entreprise, puis une
deuxième, sans succès. Mais, il ne désespère pas. En 1997, il lance Alibaba et
cette fois, la mayonnaise prend. Dans une émission sur CNN, il a d’ailleurs
rappelé : La première fois que j’ai utilisé Internet, que j’ai touché le clavier,
je me suis dit : bien, c’est quelque chose en laquelle je crois, c’est quelque
chose qui va changer le monde et changer la Chine.
Ces histoires sont touchantes et enrichissantes à la fois. Celle de Jack
Ma est particulièrement intéressante dans la mesure où elle fait penser au
premier contact des Africains avec Internet entre 1998 et 2000. Alors que des
visionnaires tels que Jack Ma, Jeff Bezos (Amazon), Larry Page (Google),
entre autres, y voyaient un puissant outil pouvant révolutionner leurs pays
respectifs, la plupart des Africains étaient spontanément attirés par les
opportunités de consommation qui y étaient alors offertes, et plus
précisément la consommation des plaisirs à travers des sites de rencontres en
ligne.
Aujourd’hui encore, les situations les plus ordinaires nous invitent à
méditer et à caresser une idée qui peut changer le quotidien de notre famille,
de notre pays, de notre continent. Mais, y sommes-nous attentifs ? Je dirais
non, car ce qui attire notre attention c’est davantage les gains immédiats que
nous pouvons tirer de chaque situation.
L’argent occupe à tort la première place dans notre quotidien. Résultat
des courses : nous ne sommes pas en mesure de forger une idée, de la
transformer en projet et ensuite en entreprise logée dans un garage comme
Google, dans un premier temps. Tout de suite, nous voulons des bureaux dans
un immeuble cinq étoiles. La pauvreté se nourrit de ce genre de réflexion de
court terme. J’invite chaque Africain désireux de changer son environnement
à méditer les révélations de Jack Ma ci-après :
Les trois raisons pour lesquelles nous avons survécu sont les suivantes
: premièrement, nous n’avions pas d’argent ; deuxièmement, nous n’avions
aucune technologie ; troisièmement, nous n’avions aucun plan. Nous avons
utilisé chaque dollar avec attention. Nous avons ouvert le bureau dans mon
appartement et nous l’avons élargi lorsque nous avons levé des fonds de
Goldman Sachs en 1999, puis de Softbank Corporation en 2000.
Combien de « grands » projets se sont transformés en « éléphants
blancs » en Afrique, sous l’inspiration « éclairée » des conseillers
occidentaux ? Nous savons tous que quelle que soit la compétence d’un
Africain, les princes qui nous gouvernent, par complexe ou par peur des
représailles de la « mère patrie », ne font presque jamais recours aux
compétences africaines. Ils soulèvent souvent le fallacieux prétexte d’«
expérience internationale », comme si l’Africain n’avait pas droit à l’erreur.
Comment peut-on refuser le droit à l’erreur aux fils et filles d’Afrique pour le
concéder à leurs concurrents occidentaux ou asiatiques ? Comment est-il
possible de développer l’Afrique sans faire confiance aux Africains ?
Comment l’Afrique peut-elle retrouver sa dignité sans celle de ses enfants ?
Quel est le rêve des princes africains ? Voilà autant de questions que nous
devons nous poser et auxquelles nous devons apporter des réponses pour
espérer transformer notre Afrique en un espace où il fait bon vivre, où des
enfants ne vont plus se retrouver dans le fin fond des océans, sous les ailes
des avions ou perdus dans le désert du Sahara à la recherche d’un eldorado
qu’ils ne verront jamais.
Afin de ne pas vous laisser perplexes devant cette panoplie de questions
sans réponses immédiates, je tiens à proposer des attitudes à acquérir pour
être capable de mener de vraies batailles de capitaine d’industrie dans ce
monde global. Ce sont des armes de combat du vrai chef d’entreprise dans ce
monde plat.
Première Arme : Avoir Un Objectif
La définition d’un objectif clair, précis et quantifiable reste un atout
déterminant. Ceci me permet de vous rappeler cette citation de Sénèque : « Il
n’y a pas de vent contraire pour celui qui connaît sa destination. » L’objectif
ici est comparable à une boussole qui t’empêche de te perdre. Celui qui
s’engage sur le chemin de la création de la richesse gagnerait à rester fidèle à
son objectif. Sur le chemin, des sirènes sont là, avec leurs belles voix. Mais, il
ne faut pas les écouter. Des épines sont là, et vous font mal aux pieds, mais il
faut endurer et avancer.
Deuxième Arme : Rejet De Toute Limite À L’action
C’est vous qui imposez des limites à votre action. Décidez dès
aujourd’hui de franchir l’obstacle que vous croyiez insurmontable. Je peux
garantir qu’avec un peu d’abnégation et de volonté, vous y parviendrez. Quel
que soit l’avenir dont vous rêvez, faites-en une réalité. Transformez vos
collègues en commandos, que leur devise soit : « vaincre ou mourir », car la
mort est une victoire sur la défaite. Vous serez le général de cette armée de
grands guerriers. Refusez de vivre dans le passé, en vous contentant du
souvenir de ce que vous étiez, mais vivre sur ce que vous avez décidé de
devenir.
Nous avons tous fréquenté les bancs d’école ou avons envoyé des
enfants faire leurs classes à l’école conventionnelle. Vous avez certainement
remarqué que nombre de premiers à l’école ne sont pas des exemples de
réussite dans la vie, et pourquoi ?
Deux raisons : d’abord, le système éducatif privilégie la récitation au
questionnement ; il préfère l’accumulation et la mémorisation des faits au
détriment de ceux qui s’intéressent plutôt à la façon dont les faits réagissent, à
leurs conséquences. Une éducation par le questionnement stimule
l’imagination de l’apprenant, le met dans une disposition permanente à se
surpasser, le prépare à affronter les difficultés de la vie. L’éducation par la
récitation prépare l’apprenant à rester simple consommateur des
connaissances.
Ensuite, l’éducation parentale cherche à placer l’enfant dans des
conditions idéales. Or, il n’y a pas de conditions idéales dans la vie. La vie
est faite de hauts et de bas, de victoires et d’échecs. N’avez- vous pas vu un
chef d’État qui quitte le palais présidentiel pour la prison ? Des entrepreneurs
qui font deux fois faillite, recommencent et enfin sont de retour au sommet ?
N’avons-nous pas vu des enfants connaître une enfance très difficile mais
devenir des sommités mondiales ? L’éducation parentale doit préparer
l’enfant à affronter les difficultés de la vie, à lui apprendre à boire de l’eau
sale et de l’eau propre, à manger à sa faim et à rester affamé quand il le faut.
Troisième Arme : L’humilité
Vous qui avez tant peur des critiques, sachez qu’elles sont une chance
inouïe d’avoir de la part de ceux qui vous entourent des positions sincères et
objectives. Sachez qu’elles vous permettent de respecter votre condition
d’humain, c’est-à-dire d’être essentiellement limité. Le seul fait de réaliser
que vous ne savez pas ou que vous savez si peu de choses vous permet de
vous remettre en cause, de chercher à combler vos lacunes, vous mettant en
position de supériorité par rapport à celui qui laisse croire qu’il sait tout alors
qu’il est impossible de tout savoir. Plus vous avancez en connaissances, plus
vous vous rendez compte de votre ignorance.
Dans la pratique, votre humilité en tant que chef d’entreprise doit se
manifester dans votre capacité à accepter votre responsabilité dans les actes
de votre entreprise. Par exemple, si votre projet échoue, ne faites pas porter le
chapeau à vos employés. Si le directeur d’un département loupe une de ses
missions qui entraîne une perte considérable à l’entreprise, ne dites pas que
c’est la faute du chef de département. N’oubliez pas que c’est vous qui l’avez
choisi, même si vous l’avez hérité de votre prédécesseur, vous auriez dû le
changer. Sachez que si vous endossez cette responsabilité, vous vous mettez
en position d’agir vite, de transformer cette mauvaise situation en
opportunité, de gagner la confiance de vos employés et de les mettre en
position d’agir désormais en toute confiance.
Permettez-moi de vous lister quelques excuses courantes en cas d’échec
:
La secrétaire n’a pas bien tapé le texte de mon discours et j’ai fait des
bêtises en le prononçant ;
J’ai besoin d’un meilleur collaborateur ;
Le budget était trop petit, l’objectif ne pouvait pas être atteint avec ce
budget de misère ;
Le système ne permet pas l’éclosion des talents ;
Le consultant a passé mon idée de projet à son ami qui le réalise ; La
banque ou un employé de banque a volé mon idée...
Sur le fait qu’on vole des idées, j’ai personnellement, et ceci pendant
des années, été victime de ces fallacieux prétextes justificatifs de l’incapacité
de certains à avoir le courage et l’abnégation de mener un projet à bon port. À
Afriland First Bank, nous avions mis en place un département de recherche et
promotion de l’entreprise et de l’entrepreneur. Ce département a mis à la
disposition de tout entrepreneur désireux d’engager l’aventure
entrepreneuriale une centaine d’idées de projets qui sont peu utilisées.
Cependant, les idées sont la propriété de tout le monde. Dans la tête de
chacun de nous, il y en a des centaines par minute, elles sont à votre
disposition sur la toile, dans les conférences, dans les salles de classe ou de
cinéma. Le défi à relever, c’est de transformer ces idées en projets et ensuite
les projets en entreprises et enfin des entreprises en success stories.
Il ne se passe pas un jour sans que j’apprenne au Cameroun que je vole
des projets. J’ai fini par en rire. Mais parfois, il me vient l’envie d’expliquer
des choses élémentaires. Quand j’ai inventé le modèle MC2 au Cameroun en
1992, personne ne croyait qu’il existait une épargne dans le monde rural.
Tout le monde soutenait que le pauvre est trop pauvre pour épargner. Or, en
25 ans, plus de 300.000 projets ont été financés dans ce réseau. Une question
simple : à qui profitent ces financements ? Les détenteurs de projets dans les
zones rurales ont eu accès à des financements dans un dispositif spécial alors
qu’ils étaient exclus du circuit de la banque classique.
Toujours dans cette veine, il se raconte qu’Afriland First Bank exploite
le monde rural en collectant l’épargne dans les MC2, qu’elle place auprès de
ses grands clients. Les chiffres parlent : 42,5 milliards FCFA ont été épargnés
par les pauvres en 25 ans au Cameroun. Des crédits ont été accordés pour 157
milliards dans la même période. On constate que l’épargne des pauvres est
inférieure au montant total des crédits qui leur a été accordé. D’où vient la
différence ? Elle est apportée par Afriland First Bank et d’autres banques de
développement internationales. En jargon bancaire, on parle dans ce cas du
mécanisme de refinancement. Les MC2 ont des projets, mais pas assez
d’argent. Afriland First Bank et d’autres banques viennent en appui et
financent lesdits projets.
À quoi sont dues ces accusations si ce n’est à un manque d’humilité ?
Saluer ce qu’autrui a fait de grand et qui a marché est une marque d’humilité.
Loin de saluer ce qui a marché, de disséquer et de comprendre ce qui a
marché dans le but de le reproduire, l’on a tendance à calomnier, à jeter
l’opprobre.
Quatrième Arme : L’erreur Est Formatrice
Celui qui pense qu’il ne peut ou ne doit pas se tromper n’a aucune
chance de réussir. Quelques pensées qui nous confortent dans cette
perception : d’abord, Benjamin Franklin : « Je n’ai pas échoué, j’ai eu
10.000 idées qui n’ont pas marché “ et ensuite Thomas Edison, le plus grand
inventeur de tous les temps, avec à son actif plus de 1000 brevets déposés :
‘Chacune des 200 ampoules qui n’ont pas fonctionné m’a appris quelque
chose dont j’ai pu tenir compte pour l’essai suivant.»
Pour me résumer, permettez-moi de dire qu’on a tort de refuser de se
tromper, car, en réalité, l’expérience est la somme des erreurs passées,
qu’elles émanent de vous ou des autres. Vous avez le devoir et le droit de
vous en servir pour vous améliorer.
Cinquième Arme : La Positivité Est Une Grande
Vertu
Faites un effort pour éliminer le négatif de vos pensées et actions. Cette
positivité permanente doit vous aider à franchir des obstacles. Souvent
considérés comme infranchissables, elle doit vous permettre de cultiver la
persévérance, arme indispensable pour la réussite dans toutes vos entreprises.
S’agissant justement de la persévérance, elle est l’arme de combat la
plus redoutable pour venir à bout de tout obstacle. Elle peut être comparée à
une goutte d’eau qui, tombant au même endroit sur une pierre sur plusieurs
centaines d’années, arrive à percer la pierre comme un jeu d’enfant.
Votre attitude positive vous permettra de trouver dans chaque situation
une opportunité de faire mieux que par le passé. Dès lors, vous devrez retenir
que votre concurrent est une aide précieuse pour votre capacité d’innovation,
c’est-à-dire votre capacité de survie. Pour réussir, vous devrez éviter de
dénigrer vos concurrents. Sachez qu’en les calomniant, vous leur faites une
publicité gratuite, vous jouez contre vos intérêts, croyant nuire à votre
concurrent. Pour mieux enrichir votre connaissance de l’entreprise, souvenez-
vous de ce proverbe africain très illustratif qui dit : « Si vous empêchez votre
frère d’être votre concurrent, c’est votre ennemi qui le sera et vous éliminera.
» cela veut dire que pour votre propre protection, il faut faire de votre
concurrent votre « confrère » afin d’élaborer les meilleures voies pour gagner
ensemble, sans quoi vous allez perdre ensemble.
Chers jeunes et futurs capitaines d’industrie, voilà les armes les plus
importantes pour le combat que vous devez engager si vous rêvez de vivre
dans une Afrique digne et respectée. Cette Afrique-là ne vous sera pas
donnée comme la manne qui tombe du ciel, elle sera ce que vous construirez
de vos mains après l’avoir pensé dans vos cerveaux. Le défi, il faut le relever
!
CHAPITRE IV:
L’AVENTURE DE
L’INTÉGRATION
AFRICAINE
Par Koffi Djondo
L’aventure de l’intégration africaine
« J’aime notre continent et je souhaite qu’il se réveille. Je désire que l’Afrique entre dans un
réel concert du développement. Il appartient à nous, Africains, de faire avancer les choses. Je pense en
premier lieu à l’intégration africaine. C’est pour cela qu’Ecobank est une banque panafricaine et
qu’Asky est une compagnie aérienne panafricaine. Tant que l’Afrique ne comprendra pas l’importance
de son union, pour changer avec le reste du monde, elle ne fera que reproduire le schéma colonial des
États dont les économies sont peu développées et qui se contentent de faibles échanges commerciaux
entre eux. ».
Gervais Koffi Djondo in La Tribune Afrique, janvier 2017

À la base d’une entreprise solide, il faut une vision, et moi, j’ai décidé,
depuis des années, de prôner un nouveau panafricanisme, le panafricanisme
économique, ceci à travers trois projets d’envergure dont deux sont depuis
lors passés à la phase de matérialisation : Ecobank et Asky Airlines.
Le panafricanisme économique, c’est le souci de restaurer la réalité
historique de l’Afrique comme une seule et même entité. Les Européens ont
saucissonné l’Afrique à la façon d’un gâteau, sans tenir compte des cultures,
des langues, de certaines familles, etc. Certaines frontières ne sont pas des
cours d’eau, certaines familles ont été divisées. Une partie de la famille
Kanouri se trouve au Cameroun, l’autre au Nigeria. Je parle abondamment du
clivage anglophone/francophone en Afrique parce que c’est la cause de notre
incapacité à nous mettre ensemble. La raison pour laquelle ce clivage n’est
qu’un accident, c’est que les peuples qui ont une culture pragmatique ne sont
pas si différents de ceux qui, de l’autre côté de la ligne de démarcation, sont
francophones et préfèrent la langue de bois. C’est le cas des Ewes ; je suis
Ewe moi-même ; nous avons des frères au Togo et d’autres au Ghana.
Aujourd’hui, de part et d’autre de la frontière, ils ont des mentalités
différentes. C’est la colonisation qui a inculqué des mentalités différentes.
Bien que né à Anneho, au Togo, j’ai suivi une partie de ma scolarité à
Ouidah, au Bénin, et je parle la langue fon aussi bien que la langue ewe, et un
peu moins le yoruba, langue parlée au Nigeria, dont est originaire mon
épouse.
Les Ewes ne sont pas une exception en Afrique. Aujourd’hui, les
Pahouins se trouvent des trois côtés des frontières entre le Cameroun, le
Gabon et la Guinée équatoriale. Ces trois pays appartiennent à la même zone
économique, la CEMAC, mais à voir les escarmouches régulièrement
enregistrées à leurs frontières et les cas de xénophobie, on a bien l’impression
qu’ils sont différents. Et pourtant, c’est le même peuple, lequel a simplement
été divisé artificiellement par la colonisation. Certains Kongo sont du Congo
Brazzaville, d’autres se trouvent en Angola et d’autres encore en République
démocratique du Congo. Nous avons ainsi affaire à trois mentalités politiques
inculquées à un seul peuple divisé eu trois. Il en va de même des Lunda, des
Ovambo. Le cas le plus curieux reste celui de la Gambie, pays anglophone,
taillé dans les entrailles du Sénégal, pays francophone. On y retrouve les
mêmes peuples que ceux du Sénégal : les Sereres, les Peuls, les Wolofs, les
Mandingues, etc.
Les mentalités coloniales nous ont exposés à plusieurs façons de voir.
On ne souhaiterait pas être colonisé, mais quand c’est arrivé, soyons
conséquents. Il nous appartient aujourd’hui de tirer parti de la richesse de ces
expériences, de les soupeser, de les remettre en question. En mettant chaque
expérience sur un bras de la balance, nous pouvons voir ce qui marche mieux
çà et là et nous mettre d’accord. Au lieu de cela, que voyons-nous ? La
Casamance veut son indépendance, à la suite du Somaliland, du Soudan du
Sud, de l’Erythrée. Toujours cette tentation de s’émietter, de s’affaiblir. Si la
guerre du Biafra avait abouti à la sécession, aurions-nous aujourd’hui une
grande puissance africaine pressentie pour être la 9ème puissance
économique mondiale en 2050 ?
Ce fractionnement, cet émiettement d’un seul bloc en autant d’États-
nations a profondément désorganisé et déstructuré notre vie. La balkanisation
de l’Afrique a permis de créer de fausses priorités telles que la protection des
frontières. Pendant ce temps, l’essentiel était oublié, à savoir la production et
l’industrialisation. Le colonisateur a pris la peine de nous diviser pour que
nous ne soyons pas une force de production économique. C’est dans cette
logique de dislocation qu’il a facilement imposé des systèmes économiques
de comptoir. Nous sommes devenus des esclaves, nous travaillons pour les
ravitailler en matières premières. Le fruit de notre labeur est emporté pour
développer leurs pays. Ils fixent le prix de nos marchandises : le cacao, le
manganèse, le coton, l’or, etc. Ils nous imposent leur monnaie que nous
utilisons en tant que locataires. Quand ils en ont envie, ils la dévaluent. Il n’y
a pas de système économique équitable quand c’est l’acheteur qui fixe le
prix. Mais, où est-ce qu’on a vu ça ? dans quel monde ! ça existe chez eux ?
Cela n’existe pas même entre eux.
Les échanges que j’ai eus avec Kwame Nkrumah pendant des heures
m’ont inspiré le panafricanisme économique. J’étais tout jeune et tout
enthousiaste, il parlait et je l’écoutais avec attention. Il était passionné et
optimiste. Il me disait que les Africains sont capables d’accomplir les mêmes
prouesses que les autres. Il faisait preuve d’une culture immense, faisait
allusion à des figures africaines anciennes, de grandes gloires que l’histoire
européenne a condamnées dans l’oubli. Il me recommandait des livres qui
parlent de la grandeur de notre continent. Il magnifiait des héros de
l’humanité qui étaient de race noire : Abraham Hannibal, mathématicien et
ingénieur, ancêtre du grand poète russe Pouchkine. Il me rappelait toutes ces
inventions dues à des Africains. Aujourd’hui, ceux qui ont lu ou écouté
Kwame Nkrumah ont en commun d’avoir été nourris au sein de l’exaltation
de la négritude et nous devons en prendre du grain pour créer et répartir la
richesse, afin que notre dignité nous revienne et que notre nom compte à
nouveau dans le concert des nations.
Les conseils de Kwame Nkrumah n’ont pas cessé de résonner en moi.
J’aimais beaucoup cette grande idée de se mettre ensemble, je pense toujours
à cela. À la création de l’OUA, je me suis dit : voilà un premier pas, mais la
déception a été de taille. Je n’ai pas senti la force des actions dans cette
organisation, bien que politique. Puis, j’ai réfléchi : pour faire partir
l’Afrique, nos économies doivent reposer sur des entreprises de grande taille.
Qui plus est, en voyant nos États pris individuellement, il y a longtemps, je
me suis dit que nous ne pourrons rien faire d’important en restant chacun sur
nos egos nationaux respectifs. Se mettre ensemble, c’est cela, le
panafricanisme et l’intégration africaine. Le continent africain est un bloc, il
est bien uni. La colonisation nous a divisés, elle nous a mis en miettes,
comme un gâteau. Ici, on dit francophones ; là, on dit anglophones, et
ailleurs, on dit lusophones.
Ce que Kwame Nkrumah faisait dans les premières années de la nation
ghanéenne était assez courageux pour l’époque. Cette audace nous parle
aujourd’hui, elle nous a ouvert la voie. Il était combattu ; le coup d’État qui
s’est déroulé alors qu’il était à l’étranger n’était pas tombé du ciel. C’était
prémédité. Les Européens, c’est clair, ont tout fait pour le mettre en porte à
faux avec Houphouët et nous devons tirer des leçons de cet échec du
panafricanisme de la première heure. Les dirigeants peuvent facilement être
manipulés les uns contre les autres, étant donné que le politicien, en Afrique,
regarde généralement ce qui va lui permettre de conserver son pouvoir pour
longtemps. La principale leçon à retenir c’est que sur le plan politique, le
panafricanisme est difficile à implémenter. Alors, il nous reste à nous replier
sur le plan économique pour construire des entreprises panafricaines solides.
Si Ecobank a vu le jour malgré les chantages, les intimidations et les
menaces, et si dans le même temps, l’OUA a été aisément noyautée, de même
que son successeur, l’UA, cela veut dire que nous pouvons réaliser le
panafricanisme économique.
Le panafricanisme économique m’a été inspiré dans un tel contexte où,
victimes du brigandage des étrangers qui nous divisent, nous sommes en
même temps bercés par l’espoir et l’optimisme des panafricanistes politiques
de la première heure. Ceux-là ont pensé l’Afrique à leur façon, à leurs profit
et avantage, mais ceux-ci nous disent que nous ne sommes pas mal partis. À
nous de comprendre ce qui reste à faire. Tant que nous sommes divisés, nous
ferons certes des progrès, mais il restera toujours beaucoup à faire. Pour
commencer à renverser cela, il faut, par le panafricanisme, nous retrouver,
entreprises camerounaises, ivoiriennes qui sont dans certains domaines
d’activité, avec les mêmes opérateurs du Sénégal, du Togo pour nous faire
forts pour qu’ensemble nos moyens, nos efforts portent plus loin, et donnent
plus de résultats. De cette façon, nous parviendrons à désarçonner ceux qui
veulent nous voir divisés.
Ayant posé cette base, j’ai ensuite conçu que le plus important se
trouve dans les échanges. S’ils sont facilités, nous avons plus de chances de
réussir nos défis économiques. En Afrique, nous ne nous parlons pas
suffisamment. Nous n’échangeons pas suffisamment de biens entre pays
africains. Et pourtant, tout part de là.
Les échanges commerciaux sont à dominante intrazone en Europe. Les
pays de l’UE sont ceux qui au monde échangent le plus entre eux : 70 % de
leurs échanges commerciaux sont effectués à l’intérieur des frontières de ce
continent. Ce pourcentage est de 55 % en Asie, de 48 % pour l’Amérique du
Nord et 13 % pour l’Afrique. Entre pays africains voisins, nous échangeons
moins de marchandises qu’avec des pays situés à des milliers de kilomètres.
C’est vraiment là la preuve que nous sommes divisés. L’Afrique est le dernier
continent en matière d’échanges intra régionaux. L’Asie et l’Amérique latine
sont sur la voie de l’Europe et de l’Amérique du Nord.
Cette situation où nous n’échangeons rien entre nous arrange les
Européens et les Américains. Cela leur permet de régner sur nous, de couper
nos bois, de puiser notre pétrole, de s’accaparer tout. Nous n’avons ni les
moyens ni la volonté de résister parce que nous sommes divisés. Chaque pays
pris individuellement ne représente rien, à peine une province de chez eux.
Dans ces conditions, je me suis dit qu’il est urgent pour nous de réfléchir
profondément à ce genre de situation. Quelle politique d’intégration africaine
l’Union africaine peut-elle porter alors qu’elle est financée par l’Union
européenne ? C’est comme si tu demandais à un ennemi d’arbitrer vos
querelles familiales. Descendons des nuages, l’UE n’a-t-elle pas très
probablement intérêt que nous soyons divisés, afin que les échanges avec elle
soient toujours plus importants que les échanges entre nous ? Faute d’avoir
pu intégrer l’Afrique sur le plan politique, les Africains peuvent créer des
entreprises qui dépassent les frontières. Là au moins, nous créons un
panafricanisme qui échappe aux financements de l’UE. Pour moi, le
panafricanisme économique est la voie du salut. Il va nous permettre de nous
retrouver, de nous mettre ensemble, d’adopter les mêmes positions,
d’échanger entre nous, de nous comprendre et de nous assister mutuellement.
Dans mon effort de compréhension de notre mal, j’ai également
constaté que la guerre des egos avait fait échec au panafricanisme politique.
Aucun dirigeant n’était assez visionnaire pour regarder loin, et préférer le
continent à son pays. Aucun dirigeant n’était prêt à accepter que les intérêts
du continent passent avant ceux de son pays.
Air Afrique a péri de pareille façon, du fait de l’orgueil des dirigeants.
On a vu les égoïsmes et les individualismes compromettre un projet
d’intégration comme celui-là. On a vu des chefs d’État se retirer du projet et
créer leurs propres compagnies aériennes parce que l’entente, c’était trop
demander. Chacun veut marquer de son empreinte, veut dicter sa loi, imposer
ses règles. Dès qu’il y a un siège à pourvoir dans un projet continental, les
couteaux sortent. Dès qu’il faut installer une institution continentale, chacun
se bat pour que son pays soit retenu. Parfois, faute de consensus, le projet
tombe à l’eau. Malgré le choix opéré dans un effort de consensus, les
désertions et les divisions surviennent. Des gens quittent le navire pour
n’avoir pas pu imposer leurs choix.
Alors, aujourd’hui, nous avons une deuxième chance, c’est la version
économique du panafricanisme. Il se déploie sur le terrain de l’intégration de
l’Afrique, de la facilitation des échanges économiques, de la suppression des
barrières douanières. Comme ça au moins, chacun reste président de quelque
chose, fût-ce un hectare de terrain. J’ai prêché le panafricanisme économique
comme deuxième voie pour parvenir à l’unification de l’Afrique car si nous
ne pouvons pas nous retrouver et parler des États-Unis d’Afrique tout de
suite, au moins, entendons-nous sur des entreprises téléphoniques
d’envergure continentale.
Je conçois aussi le panafricanisme économique comme remède au mal
de la déstructuration de nos sociétés africaines d’aujourd’hui. Le malaise est
présent à tous les échelons, du sommet à la base. Le divorce est consommé
entre les groupes qui composent chaque pays. Partout, les nouvelles églises
qui divisent les familles. On a l’impression que des gens bien futés font des
affaires sous le couvert de la Bible. Ce sont des boutiques que chacun crée
pour se faire de l’argent, profitant de la misère des pauvres. Pourtant, nous
sommes les principaux responsables de cette situation parce que nous ne
travaillons pas à l’avènement du développement. Je me suis dit que si
l’Afrique connaît le bon développement, les gens n’iront pas croire aux
balivernes du premier venu. Mais, quel développement peut-on avoir en
Afrique sans intégration ?
Le premier pas du panafricanisme économique, c’est la fusion des
entreprises. Je reste dans le cadre de la téléphonie mobile. C’est bien d’avoir
la concurrence au niveau national. Cela fait baisser les coûts et encourage la
compétitivité. Mais, n’oublions pas que la compétition ce n’est pas entre
entreprises africaines, la vraie guerre économique se déroule sur le terrain du
patriotisme économique et oppose, d’une part, les multinationales étrangères
et de l’autre, les entreprises africaines. Pour être à la hauteur de cette guerre
féroce, ces dernières doivent se serrer les coudes, additionner leurs expertises
respectives et faire bloc. Considérons le marché de la téléphonie mobile en
Côte d’Ivoire, il grouille de nombreux opérateurs, 7 en tout. Il a fallu que le
régulateur tape du poing sur la table et exige la fusion de quatre d’entre eux.
On se rend d’ailleurs compte que le fait d’avoir un nombre si important
d’entreprises n’a pas forcément fait du bien au marché puisque le régulateur
dénonce le non-respect du cahier des charges et la mauvaise qualité du
service. En passant de 7 à 3 ou 4, les entreprises de ce secteur gagneront
davantage et les coûts seront plus réduits pour nous. Les consommateurs
connaîtront une situation plus heureuse.
Pour passer de l’idée à l’acte, j’ai œuvré pour l’intégration économique
africaine sur trois champs qui sont pour moi d’une importance capitale : le
secteur financier, le transport aérien et le transport maritime.

1) L’intégration Africaine Dans Le Secteur


Financier : L’aventure D’Ecobank, Une Grande
Banque Panafricaine
Lors de mon passage à la Chambre de commerce, d’agriculture et
d’industrie du Togo entre 1977 et 1991, l’idée d’une grande entreprise
présente sur tout le continent a commencé à germer en moi. J’ai été président
du Conseil économique et social, poste assez significatif à l’époque, puisqu’il
n’ y avait pas d’Assemblée nationale. Au Togo, nous étions dans un régime
transitoire après le coup d’État de 1963.
C’est également de la Chambre de commerce que j’ai eu à créer la
Fédération des chambres de commerce de l’Afrique de l’Ouest. Pourquoi ?
Parce que j’avais constaté une chose qui m’avait choqué, à savoir que toutes
les chambres de commerce des pays francophones se retrouvaient à Paris
deux fois par an pour parler des problèmes des pays africains. J’ai dit non et
j’ai trouvé que les pays anglophones, à savoir le Nigeria, le Ghana, la
Gambie, la Sierra Leone, le Liberia avaient une structure où ils se
retrouvaient entre eux pour partager et apprendre les uns des autres. J’ai pris
contact avec leur président ; je lui ai dit que nous ne pouvons pas continuer
comme ça, la division de l’Afrique, ça ne profite pas aux Africains. J’ai dit : «
Mettons- nous ensemble pour créer une structure significative pouvant
booster le développement du secteur privé sur le continent. Il faut savoir
s’inspirer de ce qui marche. » J’ai poussé les présidents des Chambres de
commerce de l’Afrique de l’Ouest d’expression française à adhérer à la
fédération que j’avais mise en place. J’ai réussi à les convaincre de laisser
tomber le clivage anglophone/francophone, de regarder les problèmes de
l’Afrique ensemble, dans la même direction.
En 1978, nous créions la Fédération des chambres de commerce de
l’Afrique de l’Ouest. C’est donc tout logiquement que naquit, au sein d’un
ensemble aussi vaste et aussi divers, l’idée de créer quelque chose pour
booster les affaires de l’Afrique. Elle prendra la forme d’une grande banque,
sous mon impulsion et celle de Chief Adeyemi Lawson, alors président de la
Chambre de commerce et d’industrie du Nigeria, paix à son âme ! Nous
avons pris le relais quand Henry Fajemirokun est mort en cours de mandat, le
chef Adeyemi Lawson et moi avons poussé, encouragé, forcé un peu l’idée
qui a finalement pris forme et tout le monde y a adhéré.
Pour moi, ce qu’il y avait derrière ce projet de créer une banque, c’était
la volonté de susciter des échanges entre pays africains, car ces échanges
n’existaient pas. La colonisation avait dressé des mentalités antagonistes çà et
là. Donc, il fallait nécessairement chercher à nous connecter les uns aux
autres et nous avons estimé qu’une banque panafricaine pouvait jouer ce rôle
d’intermédiation, de mise en relation des personnes issues de plusieurs pays
africains pour parvenir à dépasser les clivages hérités de la colonisation.
Je me souviens du premier document du projet d’Ecobank qui mettait
l’accent sur cette vocation. Il mentionnait en exergue que le concept
d’Ecobank est novateur. Des banques internationales de développement
existent dans différentes régions du monde, mais aucune d’entre elles n’est
privée. Les banques privées d’envergure internationale ne sont généralement
pas conçues pour favoriser le développement régional. Une banque privée
ayant pour vocation le développement régional serait une initiative novatrice
méritant un vaste appui.
Au-delà de la nécessité de connecter les Africains, j’étais également mû
par l’idée de sonner le tocsin, mon compère aussi. Nous étions convaincus
que c’était le moment pour l’Afrique de se réveiller, de s’occuper de ses
propres affaires. En ces années-là, la crise économique causée par la chute
des prix des matières premières sur le marché international avait exacerbé le
pessimisme des Africains. Le sentiment d’être condamnés à attendre l’aide de
l’Europe pour résoudre nos problèmes était largement répandu. C’était la
période des ajustements structurels : les entreprises mettaient la clé sous le
paillasson, laissant sur le carreau des chômeurs par centaines. J’ai estimé que
dans un contexte pareil, ceux qui estiment avoir beaucoup reçu doivent
également beaucoup donner. Nous avions estimé que pour beaucoup donner à
l’Afrique, il ne faut pas distribuer un peu d’argent aux chômeurs, visiter des
malades dans les hôpitaux, non, nous avions pensé long terme. Sachant que
nous ne pouvions pas compter sur les autres, nous avions mis sur pied une
équipe pour réfléchir à quelque chose à faire pour garantir le réveil
économique de l’Afrique.
L’idée de créer une banque panafricaine était ainsi née. Nous avons
beaucoup réfléchi sur la démarche à suivre. Il s’agissait de démarrer de façon
sérieuse, de poser une fondation inébranlable et cela passait par une étude de
faisabilité. Je me rappelle que nous n’avions pas hésité à émettre des doutes
sur la pertinence d’une étude effectuée par un cabinet occidental. Imaginez
une chèvre qui demande à son maître de se renseigner pour savoir si elle peut
se sauver et prendre le grand air. C’est évident qu’une telle idée avait de quoi
inquiéter l’ancien colonisateur qui avait misé sur des banques coloniales pour
perpétuer la domination. Alors, une banque créée par des Africains était une
sérieuse atteinte à cette intention d’hégémonie permanente.
En quête d’assistance technique pour le démarrage du projet, nous
avions contacté tour à tour BNP Paribas, la Société Générale, le Crédit
lyonnais. Mais, toutes avaient décliné notre offre. Nous nous étions alors
tournés vers Citibank, qui nous avait proposé une équipe, et en moins d’un
an, en 1985, nous avions monté la banque. Nous avions installé le siège à
Lomé, non pas parce que je suis togolais, mais parce que le Togo est le seul
pays qui ait accepté de nous accorder un statut fiscal de société offshore.
Puis est venue l’étape du lobbying auprès des chefs d’État africains,
ceci pour effectuer un plaidoyer et prévenir des blocages. Ça nous a pris du
temps. Il fallait expliquer le bien-fondé d’une telle initiative. Mais, certains
chefs d’État nous écoutaient avec scepticisme, ne croyant vraiment pas que
nous pouvions tenir la route. L’avantage avec ce projet, c’est que certains y
voyaient un instrument pour consolider leur pouvoir. Nous le savions et nous
prenions des précautions. Mais, il fallait jouer sur cet aspect de la chose, leur
présenter le bien qu’ils pouvaient chacun en tirer, tout en restant assez
vigilants bien sûr, pour que leur intérêt ne compromette pas notre vision. Le
président Eyadema a soutenu à fond le projet Ecobank, en signant un accord
de siège, ce qui était une contribution inestimable. J’ai plusieurs bons
souvenirs du rôle qu’il y a joué, en prenant le téléphone chaque fois qu’il était
question d’aplanir certaines difficultés qu’on pouvait rencontrer dans d’autres
pays. Je me souviens qu’au Nigeria, quand nous avons mis les actions en
vente, nous avons récolté en moins de six mois presque 5 millions de dollars.
Il se posait alors le problème du rapatriement de cette manne vers le siège, à
Lomé. Malgré les différentes démarches, nous n’avons pas réussi à obtenir
l’accord pour ce faire. C’est là-dessus qu’il a envoyé plusieurs délégations
officielles au Nigeria où ça défilait beaucoup sur le plan militaire.
Nous nous sommes heurtés à une difficulté. Quand nous avons
commencé le projet d’Ecobank, nous avons demandé l’assistance technique
de Citibank, pour monter techniquement la banque. Nos amis de Citibank ont
signé un contrat avec nous. Je les ai installés à Lomé. Nous travaillions dans
une ambiance sereine et conviviale, mais la trésorerie est venue à manquer, si
bien qu’à un moment donné, nous avons accusé un retard de paiement. Un
matin, ils sont venus me voir en haussant le ton, menaçant de partir. Vers qui
je me tourne ? Vers le président Eyadema pour qu’on accélère la pression sur
Lagos. Il a alors envoyé délégation sur délégation. Cela a finalement payé.
Grâce à la pression du président Eyadema, nous avons réussi à obtenir le
transfert des fonds à Lomé, ce qui nous a aidés à régler les factures de
Citibank. Lagos n’avait pas tort de freiner des quatre fers, car non seulement
il aurait voulu le siège, mais la législation nigériane en matière de transfert
des fonds n’était pas souple.
Le président Eyadema et le président Houphouët ont souvent agi
ensemble, comme des jumeaux, pour sortir Ecobank de mauvaises passes.
J’avais également souhaité que la Banque de développement de la CEDEAO
fût un actionnaire de référence dans le projet Ecobank, mais nous n’arrivions
pas à asseoir le deal. Les chefs d’État et les ministres des Finances faisaient
tourner le dossier en rond. Là encore, j’ai saisi les présidents Eyadema et
Houphouët. Nous en sommes là lorsque, à l’occasion d’une réunion des chefs
d’État à Lomé, le président Houphouët m’informe, à 7 h du matin, qu’il veut
me voir à 10 h à la Maison du Parti. Je me présente à l’heure indiquée. Je
rencontre dans le couloir le directeur de la Banque d’investissement de la
CEDEAO, c’était un Sénégalais, il s’appelait Mahenta Birima Fall. On nous
fait entrer tous les deux et puis, d’un seul trait, le président Houphouët dit à
Mahenta Fall : Il faut donner 10 millions de dollars pour le capital
d’Ecobank ! 10 millions de dollars, c’est ce qu’Ecobank a demandé à la
CEDEAO et vous n’avez jamais répondu. Alors, donnez ! Voilà comment il
nous a sauvés. Le ton avec lequel il l’avait dit ne laissait pas de place à la
moindre tergiversation. Fall avait compris qu’il ne fallait pas placer le
moindre mot. Quand nous sommes sortis de là, il s’est contenté d’attraper la
tête des deux mains et de me dire : Tu m’as tué, je peux sortir 10 millions de
dollars ? Je mesurais sa peine et son embarras. Je lui répondis : Ils t’ont dit
de sortir 10 millions de dollars, alors, va leur dire que tu ne peux pas sortir
cette somme. Il était fou furieux contre moi, car il ne s’imaginait pas revenant
auprès du président Houphouët pour dire qu’il n’a pas 10 millions de dollars.
Après avoir procédé à toutes les estimations possibles, il me dit : Mon frère,
grand frère, je te donne 5 millions de dollars, je n’ai pas de liquidités pour
sortir ça d’une banque pour toi. Il me demande de ne pas leur révéler le
montant parce que comme Houphouët a insisté sur 10 millions, il ne sera pas
du tout content d’apprendre que la moitié seulement a pu être libérée. De
toutes les façons, 5 millions de dollars valent mieux que zéro.
C’est ainsi que je réussis à obtenir la CEDEAO comme actionnaire de
référence, actionnaire principal. Malheureusement, elle ne nous a jamais
donné les autres 5 millions. Qu’à cela ne tînt, la présence de la CEDEAO
nous évitait les gens des autres banques au Conseil d’administration pour
essayer de faire du mal à Ecobank.
Avec la régulation bancaire dans la sous-région de l’Afrique de l’Ouest,
nous avons eu des difficultés particulières au point de soupçonner une
mainmise de la concurrence, notamment celle des banques françaises,
derrière les agissements de la régulation. Un jour, la Banque centrale, plus
précisément la Commission bancaire, me convoque pour le passage du
contrôle sur place. Dans chacune de ses délégations, il y a toujours un ou
deux Français. Et ils ne sont pas du tout tendres avec nous.
Par exemple, la Commission bancaire a longtemps remis en cause la
souveraineté de l’institution mère qui dispose de l’accord du siège. Elle a
entretenu une confusion pour je ne sais quelle raison. Il est pourtant clair
qu’Ecobank transnational incorporation n’est pas une banque ; c’est une
structure qui crée des banques, les finance, mais, en elle-même, elle n’est pas
une banque. C’est comme n’importe quel fonds d’investissement qui entre
n’importe où pour injecter des capitaux. Entretenir cette confusion a impliqué
quoi ? Cela a impliqué la volonté de soumettre ETI au contrôle de la
Commission bancaire. Donc, elle a longtemps tenu à exercer un contrôle au
niveau de la holding. Chaque fois, je leur ai dit que ça ne se fait pas… C’est
comme s’ils vont contrôler la Société financière internationale sous le
fallacieux prétexte qu’elle dispose d’une succursale ou d’une agence dans le
périmètre de la CEDEAO… Nous avons eu à essuyer plusieurs harcèlements
et je savais qu’il y avait une main noire derrière, pour briser les ambitions des
Africains, afin de maintenir la domination néocoloniale ! Donc, on avait
souvent des problèmes avec eux, les Français étaient derrière, et nous, nous
dépassions ça.
Au départ du projet d’Ecobank, la Société financière internationale n’y
est pas associée. Il importe de fonder le projet d’une entreprise sur la matière
grise, sur l’ingénierie humaine. Ce n’est pas l’argent qui fait l’entreprise a
priori. Quand vous tenez l’idée, ensuite le projet, puis l’entreprise avec les
manuels de procédures, alors vous avez fait un pas en avant. Le besoin de
liquidités naît après tout ça. Si vous dites tout de suite : « J’ai besoin de 10
milliards pour faire une entreprise », je trouve que vous êtes mal parti. C’est
ce qu’il faut comprendre avec le projet Ecobank ; c’est plus tard, quand le
problème de trésorerie s’est posé pour nous, que nous avons pris contact avec
la SFI. Mais, cette dernière était circonspecte et ne demandait pas à croire
instantanément. Le doute était fondé sur un a priori défavorable pour les
Africains alors jugés immatures pour comprendre les arcanes d’une activité
aussi complexe que celle de la banque et de la finance. Concrètement, ils
nous ont suivis certes, mais sans entrer dans le capital tout de suite. Ils nous
ont prêté de l’argent et ont observé notre façon de faire, afin de se bâtir la
conviction que c’est une affaire qui peut avancer. Notre sérieux et notre
détermination à faire quelque chose de solide ont emporté l’adhésion de la
SFI et elle a converti ses prêts en participation au capital.
Mais, est-ce que cela pose un problème d’indépendance que la SFI
soit présente autour de la table d’une entreprise africaine d’envergure ? Je
dirais non, ça ne pose aucun problème d’indépendance a priori. L’entreprise
ne connaît pas la nationalité des capitaux ; elle a besoin de liquidités et d’une
bonne gestion. Les Africains devraient se désolidariser de l’idée d’un
grégarisme économique primaire, qui consiste à se replier sur eux-mêmes et à
faire des projets minuscules qui ne peuvent rien changer au destin de leur
continent, que dire, de leur village. Le capitalisme est producteur de valeurs
quand les idées sont ambitieuses et nourries par une forte liquidité, mais,
surtout quand la gestion se veut rigoureuse et fondée sur la nécessité de
produire du résultat.
Aujourd’hui, plus que jamais, la donne bancaire a évolué, suivant en
cela l’évolution du monde. Au départ, quand nous démarrions le projet, la
mondialisation était déjà là, mais après 25 ans, elle s’est généralisée. Elle est
devenue quelque chose de réel. Si tu veux être une banque qui dépasse les
frontières nationales et continentales, pour rayonner à l’international, tu dois
être dans les mêmes positions vis-à-vis des règles, tu dois offrir la même
sécurité, les mêmes garanties que les banques internationales et cela nécessite
beaucoup de trésorerie.
Avec le fonds PIC d’Afrique du Sud, c’est la même logique. Il faut
suivre l’évolution d’Ecobank pour comprendre qu’elle a très vite grandi. La
phase d’extension du réseau s’est déroulée avec célérité. Il y a une
philosophie derrière. Nous avions l’ambition de connecter l’Afrique pour que
l’épargne collectée là où elle existe puisse servir n’importe où en Afrique où
le besoin de crédit pour financer l’économie s’impose. Avec 36 filiales sur le
continent, Ecobank n’a pas de pareil en matière de couverture bancaire de
l’Afrique. Donc, si vous avez une pareille ambition, sachez que vous aurez
aussi des besoins de trésorerie assez forts. La condition, c’est de préserver
votre vision, de rester fidèle à l’idée qui vous a animé depuis le premier jour.
Il était inévitable que des fonds d’investissement, des fonds de pension et des
fonds de retraite nous rejoignent. Donc, le fonds de pension sud-africain PIC
arrive de la même manière que la SFI, en nous appuyant dans la réalisation de
notre phase d’extension.
La principale menace, en revanche, c’est celle du dévoiement de la
vision qui est le socle d’Ecobank. Si nous ne faisons pas attention, Ecobank
peut facilement changer de main. Après la SFI et Nedbank, Qatar national
bank pèse 23,5% au capital d’Ecobank depuis 2014. Le risque est là, mais
avouons que c’était le prix à payer pour grandir. Nous avons grandi en très
peu de temps et réalisé ce qu’aucune autre banque de ce niveau n’est
parvenue à réaliser en 25 ans. C’est tant mieux pour l’Afrique qui dispose
d’un outil important pour s’affranchir de l’esclavage symbolique, car en
gérant une grande banque, vous montrez à ceux qui vous en disaient
incapables qu’ils ont tort. Vous supprimez l’important stigmate qui fonde leur
prétendue supériorité. Des gestes comme ceux-là, en les multipliant,
l’Afrique finira par briser ses chaînes et sortir de la spirale du complexe
colonial.
Le problème est que les Africains ne voient pas l’intérêt général de
l’Afrique, ils ne voient que ce qu’ils gagnent eux-mêmes, ce qu’ils font, ils ne
voient que leur propre ego ; ils veulent empocher beaucoup d’argent et tout
de suite. C’est dommage ! Ecobank doit être soutenue. Il est possible de
trouver en Afrique des ressources nécessaires pour asseoir sa phase de
consolidation des acquis, car lorsqu’on a grandi en si peu de temps, vient le
temps de s’asseoir et de consolider ce qu’on a effectué. Je crois que cela est
possible, l’Afrique étant un continent fort de ses ressources. La volonté seule
déclenche tout. Qu’attendons-nous pour soutenir Ecobank afin d’éviter
qu’elle soit dévoyée de sa vision ? Dans tous les pays, lorsqu’une entreprise
atteint une taille importante et que son utilité stratégique n’est plus à
démontrer, alors, elle devient un patrimoine et tout est fait pour la protéger.
Souvenons-nous de deux entreprises, l’une chinoise (CNOOC), l’autre
américaine (UNOCAL). Elles entrent en négociation et s’accordent pour que
celle-là rachète celle-ci. Mais, que fait le gouvernement fédéral ? Il intervient
vigoureusement pour interdire la transaction. À l’origine, AIRTEL était
africaine, notamment mauritanienne, et aujourd’hui, elle est devenue une
compagnie indienne. Cela me fait très mal de savoir que rien n’est entrepris
pour protéger les outils de production, les moyens de recherche d’un national
pour les donner à un étranger.
J’insiste pour souligner que le fait pour Ecobank de tomber en d’autres
mains n’est pas le risque le plus grave qui nous guette. Le principal danger,
c’est de voir cette banque abandonner sa vision panafricaine pour servir des
causes autres, des causes qui peuvent se révéler préjudiciables pour le
continent. Vous voulez connecter l’Afrique, mais, finalement, sous vos yeux,
vous voyez que les liens que vous avez tissés entre les différentes parties du
continent deviennent des instruments de flagellation, de division ou
d’assujettissement. Il faut savoir se mettre ensemble, mais il faut surtout
protéger et défendre la vision que nous définissons ensemble.
Un entrepreneur africain qui a de l’ambition aura des peaux de banane
sur le chemin. Il faut le savoir tout de suite pour ne pas être étonné des
pressions et des intimidations venant de cercles de négociateurs français
internationaux qui travaillent à maintenir l’influence française en Afrique.
Être averti que tel est l’un des éventuels obstacles est important car cela
prévient bien des découragements. Il est difficile d’entreprendre en Afrique
francophone à cause de l’emprise de la France qui veut tout contrôler, tout
maîtriser, tout freiner. Ils n’ont pas dérogé au principe de l’intimidation par
rapport à Ecobank. Au moment où je mettais la banque en place, j’ai été
appelé à Paris deux fois par deux banquiers dont je vais taire les noms. J’ai
été soumis à un interrogatoire sur le but de ce projet, sur mes alliés, sur mes
sources de financement… D’ailleurs, ma réputation m’avait précédé car
étudiant à Paris, j’avais milité au sein de la Fédération des étudiants africains
noirs de France. J’avais participé aux manifestations organisées en 1961 pour
exiger l’indépendance de l’Algérie. Ce qui nous a valu d’être arrêtés par la
police et de passer deux jours au commissariat. Et quand j’en fus sorti, mon
bailleur me mit à la porte. C’était une période trouble pour les étudiants
africains à Paris. Il fallait soit accepter la violence exercée par la France et
être en paix, soit la dénoncer et être fiché.
L’on me faisait comprendre que je devais éviter de me précipiter, de me
jeter dans une affaire qui allait mal tourner. Je me souviens de certaines
phrases qui furent prononcées à ces deux occasions : « Vous ne pouvez pas le
faire, les Africains ne sont pas mûrs pour diriger une banque. La banque
c’est compliqué, il faut laisser tomber ça. » Ils sont allés très loin, mais j’ai
résisté. Ils ont utilisé d’autres méthodes, en s’adressant directement à certains
dirigeants de pays de la sous- région Afrique de l’Ouest, leur déconseillant de
nous suivre. Notre initiative était une menace pour les intérêts français dans
ces pays autant que dans la sous-région en général.
Aujourd’hui, je voudrais rester dans les grandes lignes pour parler à la
jeunesse et l’exhorter à être déterminée et persévérante. Je ne crois pas
nécessaire de revenir sur certains détails. Mais, sachons clairement que les
gens ont eu peur pour ma vie. Je n’avais pas imaginé à quel point rêver
l’interconnexion bancaire et économique de l’Afrique représentait une
menace sérieuse pour certains capitalistes étrangers qui avaient fait de
l’Afrique leur terre de chasse, leur terrain conquis et comptaient y régner sans
partage. Aujourd’hui, je suis animé par une réflexion simple : que le projet ait
suivi son bonhomme de chemin au point d’enchanter le continent entier est la
preuve que la difficulté coloniale ne saurait expliquer les échecs des
Africains. Je crois plutôt que par notre persévérance, nous finirons par faire
tomber certaines adversités historiques. C’est en faisant des choses ensemble,
des choses qui marchent, que nous finirons par nous imposer et faire mentir
ceux qui prétendent que les Africains ne peuvent pas faire ceci ou cela.
Pour implémenter la vision du panafricanisme économique, j’ai voulu
donner l’exemple, en mettant ensemble Africains francophones et Africains
anglophones autour du projet « Ecobank ». 30 ans après, que dire ? Je suis
satisfait du chemin parcouru, peu importent les zones de turbulence et les
doutes que l’institution a traversés entre 2012 et 2014. Comme toute
entreprise qui grandit, Ecobank a connu une crise de gouvernance, mais celle-
ci a été gérée de façon responsable, à quelques exceptions près. Il est bien
vrai qu’à Ecobank, tous n’ont pas pris l’ampleur de la crise dès l’abord. Dans
toutes les grandes entreprises confrontées à une situation semblable, les plus
hauts dirigeants démissionnent afin de faciliter la résolution de la crise.
Lorsqu’elle a éclaté à Ecobank, le conseil d’administration s’est réuni quatre
fois sans qu’aucune décision ne soit prise. Il était impensable de continuer
ainsi. À la cinquième réunion, à laquelle j’ai assisté en tant que président
honoraire, j’ai estimé qu’il fallait donner un signal au marché. L’activité
bancaire est d’une sensibilité et d’une délicatesse extrêmes. Je ne pouvais pas
rester indifférent face à tout ce qui se passait. Au regard de la situation
d’alors, il était impératif pour le président de démissionner immédiatement.
Notre institution était en danger et nous devions prendre des mesures
urgentes pour arrêter la crise, prévenir toute dégradation supplémentaire de la
banque et rassurer nos actionnaires, régulateurs, clients et employés. En ma
qualité de cofondateur de cette grande banque panafricaine et de président
d’honneur, j’ai assumé mes responsabilités, afin que l’accalmie revienne. J’ai
écrit au conseil d’administration pour lui demander de prendre la bonne
décision, celle qui s’impose, à savoir la démission de Kolapo Lawson. Celui-
ci a fini par comprendre la nécessité de sacrifier sa position personnelle pour
que l’institution avance sur les rails. Je l’ai appelé, nous avons discuté, il
savait que je lui écrirais une lettre pour demander sa démission. Ce n’est pas
une décision facile à prendre. Mais quand il s’agit d’une entreprise, il faut
savoir quoi sacrifier et quand. Les membres du conseil ont assumé leur rôle et
accepté de faire le nécessaire pour rectifier le tir.
Avant de fermer la page de cette expérience douloureuse, mais
enrichissante, je voudrais déplorer une fois de plus cette tendance que nous,
Africains, avons à nous tromper de guerre. Je le répète, la guerre ce n’est pas
entre nous. Le camp d’en face est soudé, il est gonflé à bloc pour puiser les
ressources chez nous. Et nous, nous nous plaisons à être divisés, nous nous
épanchons dans les media, nous tirons sur nos frères. Sommes-nous
conscients que le fait d’avoir une institution africaine comme Ecobank nous
vaut d’être la cible de ceux qui veulent nous voir divisés et désunis ? C’est
une bonne interrogation, je ne vais pas rentrer dans les détails. Alors,
sachons-nous préserver des rôles judaïques. Pour se tourner vers l’avenir,
Ecobank a tiré des leçons de cette crise. Maintenant, ETI a un nouveau CEO,
Ade Ayeyemi, qui a fait ses classes chez notre partenaire historique Citibank
pendant 27 ans. Le dernier poste qu’il y a occupé était la direction générale
pour l’Afrique subsaharienne. C’est dire s’il prend les commandes d’Ecobank
muni d’une belle expérience. Le conseil d’administration a également été
renouvelé par un comité indépendant. Mais au-delà du changement
d’hommes, des dispositions ont été prises pour éviter à l’avenir ce genre de
crise de croissance ; une charte de la gouvernance en 51 points a été adoptée.
Ce qui m’inquiète d’autre, enfin, c’est la tentative permanente de
politisation du secteur privé, l’intervention des politiques dans les affaires
d’Ecobank. Je me suis battu pour que les chefs d’État aient le moins possible
la mainmise dans le capital, préférant les institutions telles que les banques de
développement, les pensions de retraite et les caisses de sécurité sociale. Tirer
une leçon de tout cela revient à retenir que l’Afrique gagnerait beaucoup si
les gouvernements laissaient le secteur privé faire son travail tranquillement.
Je milite en faveur d’un libéralisme africain exemplaire, fondé sur nos valeurs
culturelles que sont la solidarité et la chaleur.
Il faut se concentrer sur les conjonctures, car les défis ne manqueront
pas. Déjà, la crise du pétrole a lancé un énorme défi à l’économie africaine.
Entre 2014 et 2016, Ecobank a dû subir les contrecoups de cette crise, au
point où, en 2015, elle a réalisé un bénéfice après impôt en chute de 73%.
Cette contre-performance résulte de la réévaluation de ses actifs au Nigeria,
le premier producteur de pétrole en Afrique, qui a été obligé de dévaluer sa
monnaie et qui, malgré cela, est d’ailleurs entré en récession, après avoir
aligné deux taux de croissance annuels négatifs. Il y a là de quoi être inquiet
pour une entreprise qui venait à peine de solder un gros litige qui a menacé
ses fondements. Mais, la leçon est simple : les défis externes sont déjà assez
graves pour que, en interne, nous nous étripions pour savoir qui doit avoir le
dernier mot. Le sort d’un pays africain dépend en partie des facteurs de
gouvernance interne, mais aussi de la conjoncture africaine et internationale.
Ecobank est la banque panafricaine. En cette année 2016, le prix du pétrole
est toujours à la baisse. Le Nigeria n’est pas seulement la première économie
du continent, il en est la première puissance économique. Je le crois en
mesure de sortir de la crise du pétrole. Nous avons tous intérêt à le voir
triompher de cette crise, car il représente 32% des actifs du groupe Ecobank.
Nous avons déjà, dans le passé, connu des situations de conflit dans ce pays.
Cette fois, le problème ne se situe pas au niveau des individus, mais au
niveau de la structure de l’économie qui a vacillé du fait de sa
pétrodépendance. La nouvelle direction générale et son équipe sont sur le
pied de guerre, recherchant les voies et moyens pour juguler les effets de la
baisse des prix du pétrole et de la chute du naira. Je souhaite que la nouvelle
direction générale prenne les choses en main et surtout garde l’ADN
d’Ecobank. Il lui faut traverser ces crises sans toutefois se renier ni renoncer
au panafricanisme. Je souligne ceci dans la mesure où une rumeur persistante
a couru selon laquelle Ecobank se disposait à fermer des filiales africaines
jugées non rentables. Cela est infondé, j’ai parlé avec le directeur général qui
m’a confié que le groupe compte rester fidèle à sa vision du panafricanisme
économique qui consiste à collecter l’épargne là où elle est disponible sur le
continent pour la mettre à la disposition de tout autre pays africain où le
besoin de crédit se fait nécessaire. C’est à ce prix que le continent se
développera de façon équitable. Si la banque se retire des marchés à
rentabilité moyenne, voire faible dès la première crise, il ira de soi qu’elle
aura trahi sa vision et ne méritera plus la confiance de ses clients. Nous
estimons que les pays africains dont la rentabilité bancaire immédiate n’est
pas assurée peuvent tout de même être de bons pôles de croissance
économique future. Il importe d’y rester, de creuser, de bêcher pour que
demain, la croissance arrive et profite à tous. La richesse est créée avant
d’être partagée. Ecobank a une conception globale de la richesse africaine,
voilà pourquoi nous espérons que le Nigeria sortira de cette mauvaise passe,
car s’il éternue, c’est tout le continent qui tousse.
Faute de citer chacun nommément, je voudrais remercier tous ceux qui
ont contribué au développement d’Ecobank, qui ont porté ce projet depuis le
stade de l’idée jusqu’à l’étape actuelle. Pendant cette belle aventure, j’ai été
entouré de gens merveilleux qui ont su se tuer à la tâche, travailler sans
compter les heures qui passaient, se sacrifier sans attendre de contrepartie.
Dans mon jeune âge, j’étais une bête de travail. Je ne connaissais ni la pause
ni le week- end. Ceux qui m’entouraient étaient obligés de suivre ce rythme
infernal. Aujourd’hui, je leur ai passé le flambeau, c’est un cycle, j’ose croire
qu’ils saisiront parfaitement l’opportunité historique de rendre service à
l’unité de l’Afrique, car ce n’est pas Ecobank qui est présent à Londres, à
Paris, en Chine, à Dubaï. C’est l’Afrique. Vive le panafricanisme économique
!
2) Asky Airlines, L’aventure De L’intégration Du
Ciel Africain
Pour comprendre le projet Asky Airlines, il faudrait replonger dans
l’attachement que je vouais à Air Afrique. Cette idée de relier les capitales
africaines avait provoqué en moi une admiration qui n’a eu d’égal que le
traumatisme causé par son échec. Cet échec n’était pas forcément ni
directement le mien, puisque je ne faisais pas partie de l’équipe d’Air
Afrique. Mais, il me rendait plus triste que ceux qui avaient des intérêts dans
cette entreprise. Cet échec m’a suivi partout, comme mon ombre. Chaque fois
que je me trouvais heurté à une difficulté majeure relative à un voyage
difficile à effectuer faute de liaison aérienne, je songeais à Air Afrique et je
pleurais en sourdine.
Au début des années 2000, Air Afrique n’est pas la seule compagnie
aérienne qui disparaissait du ciel africain. Un an après Air Afrique, Nigeria
Airways déposait lui aussi le bilan ; c’était en 2003. Deux ans plus tard,
c’était au tour de Ghana Airways. La chronologie est importante entre la
liquidation d’Air Afrique et la naissance d’Asky Airlines. Air Afrique dépose
son bilan précisément en 2002, laissant un vide dans le ciel africain. À un
moment donné, en Afrique de l’Ouest, on ne pouvait pas facilement aller à
Abidjan, à Dakar, à Ouagadougou à partir d’une autre capitale. Il fallait
absolument attendre toute une semaine pour avoir un avion ou bien l’on se
voyait contraint d’aller à Paris pour être à mesure de rallier une capitale de la
sous-région. À ce point-là, je crois que nous avions atteint le fond de la
bêtise. Se trouver à Abidjan, être obligé de passer par Paris, une ville située à
4900 km, pour rallier Dakar, une ville située à moins de 1800 km ! Pareil
phénomène ne pouvant me laisser indifférent, j’ai décidé qu’il fallait faire
quelque chose. Ce quelque chose a pris le visage, évidemment, d’une
compagnie aérienne panafricaine, dans les règles du secteur privé, qui
échappe à l’emprise des clans de fonctionnaires, avec tout ce que cela
suppose de recrutements complaisants, de gestion tâtonnante.
Conscient de la nécessité de combler ce vide afin de rendre possible la
circulation des personnes et des biens en Afrique de l’Ouest et du Centre, la
Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté
économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de l’Union
économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) organisée à Niamey le
10 janvier 2004 décide de doter l’espace communautaire d’un outil
d’intégration régionale dans le domaine du transport aérien, d’essence privée,
compétitif, rentable et offrant toutes les garanties de sécurité et de sûreté.
Faisant suite à cette décision, le secrétariat exécutif de la CEDEAO, la
Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO (BIDC), la
Commission de l’UEMOA, la Banque centrale des États de l’Afrique de
l’Ouest (BCEAO), la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) et le
groupe Ecobank se réunissent au siège de la BCEAO à Dakar le 29 août 2005
et décident de créer une société en vue de la promotion d’une compagnie
communautaire. En septembre 2005, la Société de promotion d’une
compagnie aérienne régionale, placée sous ma direction est créée pour mener
les différentes études de faisabilité, de marché, et rechercher les différents
partenaires financiers et stratégiques. Plusieurs institutions financières sont
impliquées : Ecobank, naturellement, la BOAD, la BIDC. La SPCAR est
dotée au départ d’un capital de 1,2 million de dollars. Le capital social de la
compagnie sera fixé à 60 milliards de Francs CFA, dont 25 milliards sont
libérés au démarrage. Le partenaire technique est Ethiopian Airlines, qui
détient 25 % des parts, avec un contrat de gestion de cinq ans. Dans le projet
de la compagnie aérienne, SPCAR a joué le même rôle qu’Écopromotion, en
entreprenant toutes les démarches qui ont conduit à la création en novembre
2007 d’African Sky en abrégé Asky.
Une fois de plus, j’invite tous ceux que je peux convier autour de la
table. Chacun met la main au chéquier. Mais, cela ne suffit pas parce qu’on
n’a pas encore couvert toutes les actions. Il faut donc que les autres
compagnies nationales africaines viennent se joindre à nous ou bien qu’elles
nous invitent afin que nous allions nous joindre à elles, pour qu’ensemble
nous soyons plus forts. Quand on voit l’espérance de vie de ces petites
compagnies nationales qui finissent toujours par faire faillite au bout de
quelques années, après avoir englouti des milliards par dizaines, il faut être de
mauvaise foi pour ne pas conclure qu’il ne sert à rien que chaque pays
revendique une compagnie aérienne. Ce sont des compagnies de pacotille.
Elles ne sont pas fortes, elles ont des problèmes de ressources de
développement, de croissance. Il faut qu’on se mette ensemble. Je vois une
seule exception en Afrique de l’Ouest : le Nigeria. Il peut avoir une
compagnie, car c’est un ciel vaste, plus de 180 millions d’habitants, une
économie prospère et dynamique. La classe moyenne grandit. Tout ceci peut
considérablement soutenir des dessertes à l’intérieur qui sont assez
importantes. Mais, pour le reste, il importe qu’ils se mettent ensemble.
Regardez le Togo, le Bénin, le Ghana, une compagnie aérienne nationale
pour chacun d’eux, c’est du bluff. En Côte d’Ivoire, l’économie bouge, mais
de là à justifier une compagnie aérienne nationale, il y a loin de la coupe aux
lèvres. Il n’y a qu’à voir les multiples couacs qui ont émaillé l’existence d’Air
Ivoire. Tantôt elle suspend ses vols pendant plus de cinq ans, tantôt elle est
rebaptisée SN Air Ivoire, avant sa liquidation en 2011. En 2012, Air Côte
d’Ivoire a vu le jour. On espère que les pouvoirs publics se sont fait violence
et qu’ils peuvent désormais éviter que les charges soient supérieures aux
recettes, car voilà le mal de la gestion publique des entreprises. Au
Cameroun, la situation est pareille qu’en Côte d’Ivoire. La perfusion de
Camair a longtemps permis de maquiller le cadavre, mais, finalement, on
s’est résolu à l’enterrer. Mais, si on l’a enterré, on l’a ensuite ressuscité sous
un autre nom. À peine ressuscité, Camair-co souffre déjà des travers qui
minaient sa vie antérieure : avec trois aéronefs, Camair-Co engraisse plus de
720 salariés. Les fonctionnaires africains francophones croient qu’ils peuvent
gérer une entreprise ; leur logiciel est totalement incompatible avec les règles
de gestion efficace. Ils sont formatés dans des écoles d’administration
coloniale pour consommer la richesse. Le problème c’est que pour
consommer, il faut d’abord produire. Vous rassemblez 720 personnes, vous
leur donnez de gros salaires sans vous demander d’où vient l’argent et vous
continuez d’ouvrir le robinet pour faire couler les subventions dans une
entreprise qui cumule 30 milliards de dettes. En matière de transport aérien,
le ratio est de 150 employés pour un avion. Dans le cas de Camair-Co, ce
ratio est dépassé.
Le cabinet Okalla Ahanda & associés, qui a réalisé une expertise à la
demande du PCA de la société en 2015, indiquait dans son rapport d’audit
que la masse salariale de la compagnie est beaucoup trop importante, 3,555
milliards de FCFA, soit 592,5 millions de FCFA par mois au cours du
premier semestre 2015. Le chiffre d’affaires, lui, est à 9,088 milliards de
FCFA au cours de la même période, soit 39,12%, un taux jugé inadmissible
selon les standards internationaux de l’aviation. Entre 2015 et 2016, la dette
de Camair-Co est passée de 30 à 35 milliards FCFA. Le chef de l’État a
validé un plan de restructuration proposé par Boeing consulting, plan qui
s’élève à 90 milliards FCFA. C’est simplement un investissement public de
plus, car d’ici à quelques années, nous serons de retour à la case départ et il
faudra encore injecter de l’argent là-dedans.
Le cas d’Air Sénégal n’est pas différent. Le marché est tout aussi étroit
que dans les pays voisins, mais Dakar tient à voir son drapeau voler dans les
airs. Cependant, la tempête est permanente. La compagnie créée en 1971 a
fait faillite en 2000. Plus tard, en 2001, Air Sénégal International a repris le
flambeau, mais avec le même sort, puisqu’elle a fait faillite à son tour en
2009, date à laquelle Sénégal Airlines voit le jour. Mais, rien ne s’arrange
véritablement. Six ans à peine que déjà la nouvelle compagnie ait supprimé
40% des effectifs et 40% de la masse salariale. Croulant sous une dette
énorme, la compagnie est réduite à une flotte de 2 avions, suite à une dette
accumulée colossale. Je me demande où nous mènera ce va-et- vient de
compagnies nationales qui ne tiennent pas la route, qu’on restructure, ferme,
rebaptise et perfuse à volonté sans aucun succès. Avec tout cela, il ne vient à
l’idée de personne de tirer les leçons des échecs du passé. Tout le monde
avance en recommençant les mêmes erreurs. Au Mali, on est parti de Air
Mali à la Compagnie aérienne du Mali créée en 2005 avant de revenir à Air
Mali en 2009…
Quand nos gouvernants créent des compagnies nationales pour nourrir
leur fierté, sans aucune motivation de succès économique, est-ce qu’ils se
rendent seulement compte que même aux États- Unis, l’État ne gère aucune
compagnie aérienne ? En France, on fait tourner la planche à billets, on
pompe Air France quand il y a besoin de liquidités, mais est-ce que nous,
nous pouvons activer la planche à billets ? Nous avons une monnaie ? Aux
États-Unis, on comptait une dizaine de compagnies, il n’y en a pas plus de
trois de vraiment internationales. En Afrique centrale, l’espoir était permis
avec Air Cemac, mais au dernier moment, ça n’a pas été le cas. Les égoïsmes
ont repris le dessus, le Cameroun a encore fait échouer le projet.
Quand on regarde l’histoire de la compagnie Air France, on se rend
compte que cela n’a jamais été facile. Elle a fait face à plusieurs
conjonctures. Et à chaque fois, la solution a été la fusion avec d’autres
compagnies, soit nationales, soit étrangères, pour être plus forte. D’ailleurs,
rappelons qu’elle naît en 1933 quand le gouvernement impose la fusion des
quatre principales compagnies aériennes françaises d’alors. Entre 1993 et
2003, elle rencontre des difficultés considérables et le gouvernement la
privatise d’abord partiellement et ensuite totalement pour la sauver de
justesse de la faillite. Une fois encore, elle fusionne avec la compagnie
néerlandaise KLM en 2004 pour donner naissance à Air France KLM, une
société holding qui gère deux entreprises différentes. Après cette mégafusion,
Air France devient un géant du transport aérien avec 586 avions en
exploitation, 230 destinations dans 113 pays à travers le monde.
Air France n’est pas un cas isolé. La plupart des géants du secteur sont
nés de fusions. À commencer par le numéro un en Amérique, American
Airlines, né quand American Airlines et US Airways se sont mis ensemble
pour desservir 336 destinations dans 56 pays. C’est après avoir racheté la
compagnie nationale autrichienne Austrian Airlines que Lufthansa est devenu
le numéro un en Europe. En Amérique latine, LATAM Airlines est le leader
du secteur. Mais, il doit sa naissance à une opération de fusion intervenue en
2012 entre les compagnies chilienne LAN et brésilienne TAM.
À l’observation, chaque pays africain veut voir ses couleurs flotter dans
l’air. Cela confère, paraît-il, de la fierté et peut-être un élément de
construction de l’identité nationale. Dans ce cas, il faut éviter de conseiller les
scénarii de fusion aux compagnies aériennes nationales. Par contre, le
transport aérien nécessitant des capitaux colossaux
- les avions coûtent cher –, il faut envisager la piste de l’alliance africaine des
compagnies aériennes. Si la nécessité de sauvegarder la présence du pavillon
d’un pays dans l’air est tellement urgente, il faut explorer cette piste. C’est
une forme de gestion croisée, Camair- Co pourrait ainsi prendre des parts
dans Air Sénégal et vice versa. Elles pourraient signer des accords pour le
partage des codes. Ce que font déjà Asky et Air Burkina. Cela doit se
généraliser. Le partage des bureaux, les achats en commun, etc. Toutes ces
astuces ont pour but de réduire les coûts et de maximiser les profits.
Aujourd’hui, trois alliances se partagent le marché du transport aérien
mondial : Star Alliance, One World et Skyteam. À défaut de créer une
compagnie aérienne africaine, pensons à une alliance panafricaine qui
pourrait regrouper les compagnies nationales publiques et privées. Il suffirait
alors de s’entendre sur les codes de gestion, les mécanismes de contrôle. Les
prises de participation croisées peuvent mettre la pression sur les
gouvernements et entraîner la bonne gouvernance. Malheureusement, pour
parler d’alliance, il faut que les compagnies éclopées et autres morveuses se
soignent d’abord. Sinon, elles vont additionner leurs tares et cela va donner
naissance à un grand malade que l’on va enterrer quelque temps après. Ce qui
est évident, c’est que si deux compagnies africaines dont l’effort de gestion
est convaincant se mettent ensemble et créent une alliance, cela va faire tache
d’huile. Des compagnies du monde entier vont suivre ; le ciel africain est
attirant tant pour les compagnies asiatiques et de l’Orient que pour celles
d’Europe et du Maghreb. Il suffit de trouver des mécanismes de partage des
investissements et des risques pour que les destinations intra-africaines soient
rentables. Il y a plus de candidats aux voyages aériens à l’intérieur de
l’Afrique qu’entre l’Afrique et les autres destinations. À ce jour, il ne sert à
rien à un État de fermer son ciel à la compétition sous le prétexte de protéger
sa compagnie nationale. Il faut entrer dans le train des échanges mondiaux,
en additionnant les potentialités et les forces. Alors, la concurrence euro-
asiatique tant redoutée ne sera pas fatale.
27 compagnies africaines ont déposé le bilan ces dix dernières années.
Une centaine continue de tourner, mais sans être conformes aux exigences
internationales. Voyant tout ce bal de charognards dans le ciel africain, j’ai
personnellement dit qu’il faut faire un geste. L’assistance technique étant
toujours nécessaire, je suis allé voir du côté de la SAA, mais avec les Sud-
Africains, cela n’a pas donné l’air de bien promettre ; leur mode de gestion ne
me plaisant pas, j’ai préféré choisir Ethiopian Airlines comme partenaire
technique, d’abord pour tout ce que j’ai dit plus haut : panafricanisme,
intégration africaine. Nous avons donc préféré ce partenariat Sud-Sud. Et
puis, le capital reste ouvert à tous les pays. Nous avons des actionnaires
togolais, ghanéens, béninois, nigérians, etc. Mais, le problème est que le
transport aérien figure parmi les activités économiques les plus complexes.
C’est une activité qui nécessite un investissement lourd ; l’approvisionnement
en carburant, les assurances, la location ou l’entretien des avions, la moindre
opération se chiffre en milliards. Les États africains pourraient aider à
l’éclosion d’Asky de façon indirecte, en instruisant les entreprises publiques
de rentrer dans le capital ou d’acheter des actions. Ils peuvent aussi faciliter
l’activité sur le plan fiscal. Il existe trop de taxes sur le transport aérien, cela
compromet l’intégration du ciel africain. La fiscalité des États africains est la
plus forte au monde. Si on veut attirer des investisseurs, promouvoir le
tourisme, il faut une politique fiscale qui incite.
Le travail accompli par les équipes dévouées à la tâche a porté des
fruits ; en moins de dix ans, le réseau Asky couvre déjà 22 destinations à
travers 20 pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre. Asky opère actuellement
174 vols hebdomadaires sur ce réseau avec une moyenne de 10 000 passagers
transportés par semaine. Ce réseau est construit autour de son hub de Lomé
qui s’impose progressivement comme un hub régional. Le hub de Lomé offre
la position stratégique d’être pratiquement à mi-chemin entre l’Afrique de
l’Ouest et l’Afrique centrale, offrant ainsi une parfaite interconnexion entre
les deux régions. Le réseau Asky est connecté à celui de son partenaire
stratégique – Ethiopian Airlines – et les horaires sont aménagés de manière à
permettre aux passagers de rallier, le reste du monde avec Ethiopian Airlines
à partir de Lomé.
Asky Airlines conquiert progressivement le ciel international : New
York, Paris, Johannesburg, Beyrouth, Londres, etc. Il s’agit de rester fidèle à
l’idéologie du panafricanisme économique, en poursuivant le partenariat avec
Ethiopian Airlines et en nouant de nouveaux, notamment avec Air Burkina.
Aucun de ces partenariats ne va de soi. Il faut chaque fois accepter de perdre
au change, pour que l’Afrique dans sa globalité gagne. Ce sont des sacrifices
et nous y tenons, car nous avons voulu développer Asky dans la logique de la
coopération Sud-Sud, et cela va marcher. Lorsque nous allons couvrir de
nouvelles destinations, les choses vont certainement aller mieux pour Asky.
Sachons qu’aucune compagnie aérienne n’est à l’abri de problèmes, ce n’est
pas une activité comme les autres. Les charges, les taxes sur les billets sont
les plus élevées au monde. Sur un billet, par exemple, Lomé-Kinshasa-Lomé,
il y a plus de 40% de taxes et frais divers. Nous souhaitons que les
gouvernements africains prennent conscience de cela, nous ne pouvons pas
dire que nous allons développer le tourisme et en même temps soumettre les
compagnies aériennes à la pression fiscale.
La phase d’investissement a été laborieuse. Les chiffres d’Asky
Airlines avaient une bonne évolution depuis 2014. Malheureusement,
l’épidémie d’Ebola est survenue et a eu un impact négatif sur l’activité du
transport aérien dans sa globalité. La compagnie a dû interrompre ses vols
vers certaines destinations, qui présentaient des risques pour tout le monde.
Heureusement, cette épidémie a été maîtrisée. Ce qui a permis le
rétablissement de ces destinations. L’année qui a suivi a été plus heureuse
pour nous, car pour la première fois, nous avons réalisé un bénéfice, et pas
n’importe lequel : 2,2 milliards. Je suis tenté de dire qu’à quelque chose
malheur est bon. En effet, si la baisse du prix du pétrole a donné du fil à
retordre à un bon nombre de secteurs économiques, y compris au secteur
bancaire, elle a partiellement arrangé les affaires des compagnies aériennes
du monde entier. Entre 2010 et 2014, tous les exercices d’Asky Airlines
s’étaient soldés par des pertes essentiellement dues aux investissements. Ce
qui vient de se passer est lié à la décision de restructurer, de réduire les coûts
de gestion, mais aussi et surtout, à la baisse des prix du pétrole. C’est le poste
le plus important des dépenses en matière de transport aérien. Certes, le
résultat paraît énorme, mais il ne compense nullement les pertes enregistrées
lors des cinq dernières années. Il faudrait tenir ce rythme et espérer que la
conjoncture soit plus favorable. Il faudrait aussi maintenir le taux de
remplissage de la compagnie, qui n’a pas connu trop de fluctuations, entre 75
et 80%, et garder le taux de ponctualité. La première chose que les passagers
ont appréciée, c’est la ponctualité. Reste l’appui des décideurs, qui est
toujours attendu en termes de réduction des charges fiscales.
Après tout, une compagnie aérienne africaine rend un service public. Il
n’y a pas de développement économique sans développement du tourisme.
Imaginez le coût économique d’un déplacement Lomé- Cotonou via Paris,
simplement du fait de l’absence d’une compagnie qui relie les capitales
africaines ! C’est énorme ! Imaginez que pour partir de Lomé à Tunis, il faille
passer par Paris, est-ce que l’économie de la Tunisie serait aussi florissante
du fait d’un secteur touristique aussi prospère ?
En conclusion, je me suis déployé dans deux secteurs : la finance et le
transport aérien. Ce sont des secteurs porteurs, mais il y en a d’autres. J’ai
ouvert des pistes de création d’entreprises panafricaines. Il faut continuer à
créer des entreprises qui assurent l’intégration économique de l’Afrique, en
associant autour d’un même projet des ressortissants de pays africains divers.
Dans le secteur des télécommunications, c’est encourageant de voir que MTN
affiche 300 millions d’abonnés et est présent dans 16 pays africains. Au
Nigeria, l’action protectionniste des pouvoirs publics a permis à un industriel
visionnaire comme Aliko Dangote de satisfaire la demande du marché
national en ciment et en sucre, avant de partir à la conquête des autres
marchés africains. J’aime à répéter que les pays francophones doivent aller
apprendre dans cette école pragmatique et patriotique. Mais, MTN est-elle
regardée comme une affaire des Sud-Africains ou des Africains ? La façon
idéale de bâtir une entreprise panafricaine est de mettre des Africains de
divers horizons autour de la table, de parler avec eux et de grandir ensemble.
J’ai bien peur que les success-stories telles que MTN ou Dangote continuent
de prêcher la prédominance de l’Afrique anglophone sur l’Afrique
francophone. Ma crainte n’enlève rien à leur mérite, je souhaite voir les
cloisons tomber et l’Afrique avancer, une et indivisible. Si de puissantes
entreprises nigérianes et sud-africaines émergent, cela ne donne pas
nécessairement à penser que ce rêve s’accomplisse, cela fait a contrario
craindre que le Mali, le Bénin, le Niger ou le Tchad, voisins du Nigeria,
soient encore à la traîne. Et cela crève le cœur.
L’avantage c’est que nous disposons de moyens et de ressources pour
bâtir des structures solides. L’Internet est devenu un carburant pour la vie tant
des particuliers que des entreprises. Ceux qui voyagent en Afrique
expérimentent des difficultés inouïes pour parler au téléphone. L’échange des
données est encore plus exigeant que la voix. Tout cela, il est vrai, est dû aux
barrières réglementaires du fait des monopoles et des taxations. Mais, à
supposer que des entreprises se mettent ensemble, elles couvriront le
territoire, auront un bon réseau et la qualité du service sera impeccable.
Un TGV qui part du Cap au Caire et qui traverse toute l’Afrique serait
un beau projet d’intégration. Dans le secteur de l’audiovisuel, les grandes
nations et les grands blocs fondent de grandes chaines d’information en
continu : l’Amérique a CNN, l’Europe a Euronews, la Russie a Russia Today,
l’Amérique latine a Telesur. Le Qatar a Al Jazzera, l’Arabie saoudite Al
Arabia et l’Afrique ? Rien. Sinon mille petites initiatives personnelles qui
avancent en rangs dispersés, sans produire le moindre impact sur les
consciences. Il faut unir les efforts et produire des images fortes diffusées via
un canal puissant qui inonde le monde entier en apportant un point de vue
africain.
Je pense également aux places boursières comme puissants outils
d’intégration. Je demande pardon à l’Afrique centrale, mais les faits sont
têtus. Comment imaginer un marché aussi embryonnaire et supposer que cela
peut marcher avec deux bourses ? Le Cameroun et le Gabon se sont disputé
le siège de la bourse sous régionale. Le Gabon a imposé Libreville. Par
orgueil, le Cameroun est sorti du projet et a créé sa propre bourse, elle
fonctionne avec trois entreprises cotées. Ce n’est une bourse que de nom.
C’est exactement la même histoire qui s’écrit avec Air Cemac. Les grands
centres commerciaux sont également la preuve que cela avance. S’il est vrai
que la classe moyenne va aller grandissant en Afrique, comment s’imaginer,
en se baladant en Afrique centrale ou en Afrique de l’Ouest, qu’il n’y a pas
de mall1 digne de ceux qu’on voit au Cap ou au Caire ? Évidemment, comme
personne ne peut construire un mall[1] à lui tout seul, il vaut mieux qu’il n’y
en ait pas. C’est désolant ! Le premier pas d’un mall au Togo, je l’ai fait mais
j’ai été combattu par Eyadema, et le projet est tombé dans l’eau.
Je pense enfin à une grande agence de notation financière africaine. Le
constat est évident : les pays et les entreprises africains sont nombreux à être
notés. Les uns et les autres espèrent tirer avantage de notes positives pour
disposer d’une signature internationale captivante. L’intention est louable
dans un contexte de mondialisation des économies et des changes. Mais
comment s’y prend-on ? C’est bien beau de courir chez Fitch Ratings, S&P,
Moody’s en quête d’une note favorable, mais sachons que ces big three sont
de nationalités américaine et anglaise, et qu’ils exploitent les données
collectées pour nourrir et renforcer la compétitivité des entreprises
américaines ou anglaises. Ces dernières années, des scandales ont permis de
lever un pan de voile sur le rôle inavoué des agences de notation dans le
sillage de l’intelligence économique. Aujourd’hui, l’Afrique dispose d’un
tissu économique florissant, rien ne l’empêche de bâtir une entreprise
continentale de rating et de l’imposer sur l’échiquier financier mondial
comme référence en la matière.
CHAPITRE V: LE DROIT À
L’ERREUR, VECTEUR DU
PROGRÈS
Par Paul K. Fokam
Le droit à l’erreur, vecteur du progrès
En Afrique, l’école continue de fabriquer non pas des hommes pensants
mais des êtres capables de bien répéter et d’obéir aux instructions.
Malheureusement, le monde d’aujourd’hui et de demain est réservé à ceux
qui sont capables de remettre en cause de ce qui les entoure.
L’entrepreneur de demain sera uniquement celui qui aura la capacité de
suivre l’évolution de la science et de la technique, la capacité de créer,
d’innover et de s’adapter aux réalités de son environnement. L’exclusion du
droit à l’erreur est la conséquence de cette éducation de récitation dans
laquelle il n’est pas permis de penser autrement que le maître, de contrarier le
maître, de voir différemment des autres au risque d’être taxé de fou ou d’être
exclu de la société. C’est dans ce système que baigne le capitaine d’industrie
africain. Si nous voulons que l’Afrique soit admise à la table de partage du
gâteau qu’est le monde, il est urgent de repenser tout notre système.
Dans mon livre L’entrepreneur africain face au défi d’exister, j’avais
peint l’entrepreneur africain comme un soldat sans arme, qui fait face à des
adversaires puissants, soutenus, armés et aguerris. Aujourd’hui, je suis tenté
de dire que ce soldat possède une arme puissante, mais mal exploitée, à
savoir le mindset, traduit approximativement en français par « l’état d’esprit
». Ce mot anglais est plus à même d’exprimer la force du mental que son
simple équivalent français de mentalité. L’objet de ce chapitre est de révéler
cette arme méconnue, ignorée ou mal exploitée.
Il est venu le temps de construire un nouveau logiciel de l’échec, pour
que chaque enfant africain grandisse en assumant sa responsabilité, en
innovant, en prenant des risques, en ayant le sens de l’initiative, en
considérant l’échec comme une étape importante vers la réussite. Pour cela, il
faut que soient redéfinis quelques concepts importants.
Le succès est une joie instantanée qui se manifeste au moment de la
réalisation d’un objectif prédéfini. De nombreux Africains estiment que le
succès est une fin en soi, qu’il couronne un projet, une entreprise, une
initiative, etc. À partir de là, on peut comprendre la difficulté que les
entrepreneurs africains ont à tenir la dragée haute, à se maintenir au sommet
dès qu’ils y arrivent. Dès la première victoire, ils ont tendance à dormir sur
leurs lauriers. Il faut au contraire savoir que le succès est une étape : après
chaque succès, le plus dur reste à faire. En clair, réussir à se maintenir et à
garder sa position de leader, voilà ce qui est plus important que le succès en
lui-même.
Beaucoup entretiennent une idée catastrophique de l’échec, qu’ils
considèrent comme une fatalité, un mauvais sort jeté sur l’homme. Cette
perception de l’échec nous éloigne de notre raison de vivre qui est
l’excellence. A contrario, une bonne définition de l’échec nous conduit
nécessairement à la victoire finale.
Dans mes cours de leadership et de stratégie, je suggère de considérer
l’échec comme une opportunité de recommencer de façon plus intelligente.
Nous sommes désormais en présence de deux mots diamétralement opposés
(échec et opportunité) mais qui, en réalité, doivent se marier et constituer un
bon tandem pour entretenir l’innovation, la recherche et le progrès. En lisant
ce que les capitaines d’industrie Bill Gates et Jack Ma pensent de l’échec, on
comprend mieux ce changement auquel il est nécessaire de procéder. Le
premier dit : il est important de célébrer le succès, mais il est plus important
de tirer les leçons de l’échec. It’s fine to celebrate success but it is more
important to heed the lessons of failure. Le deuxième : tant que tu
n’abandonnes pas, tu as encore une chance, le plus grand échec c’est
l’abandon. If you don’t give up, you still have a chance, giving up is the
greatest failure. En clair, l’échec n’existe qu’à partir du moment où on a
décidé d’abandonner.
L’entrepreneur africain gagnerait à faire sien le wining spirit. C’est une
arme que personne ne peut lui ôter. C’est une ressource que personne ne peut
dévaluer, une force que rien ne peut diminuer. Face à l’inégalité du combat
sur le plan du commerce international, de la finance en Afrique, des BTP, de
la logistique portuaire et j’en passe, la volonté de renverser la vapeur va
amener l’entrepreneur africain à bousculer les barrières les plus solides.
Si je m’en étais tenu à l’idée dominante dans les années 80, à savoir
que l’Africain est incapable de gérer une banque, incapable de comprendre la
finance, incapable de monter une bonne entreprise et incapable de gérer une
compagnie aérienne ou une compagnie d’assurance, Afriland First Bank
n’aurait pas vu le jour, ces nombreuses entreprises de taille moyenne dans la
sous-région Afrique francophone n’auraient pas acquis leurs lettres de
noblesse, jamais l’Africain ne se sentirait capable d’oser et d’affronter la
concurrence internationale. Si le frère aîné Koffi Djondo s’était laissé
dominer par la pensée populaire, jamais Ecobank n’aurait vu le jour, cette
grande banque qui figure parmi le top 5 des banques panafricaines et qui fait
la fierté de l’Afrique aujourd’hui.
Nos projets ont été spécialement conçus pour démontrer que l’Africain
est capable de faire tout cela. Nous voulions faire savoir qu’il n’y a aucune
différence entre les hommes, quel que soit le continent où ils sont nés, quelle
que soit la pigmentation de la peau. La loi, les circonstances et les usages
étaient contre nous, contre tous les Africains qui auraient pu se jeter dans la
création d’une banque ou d’une entreprise à caractère stratégique.
Dans le cas particulier d’Afriland First Bank née au Cameroun en 1986,
la loi camerounaise exigeait des intérêts publics au moins égaux à 35% dans
le capital d’une banque, sauf dérogation spéciale accordée par le chef de
l’État. Cependant, dans l’exposé des motifs de la loi, le législateur avait en
réalité exigé que les intérêts nationaux soient au moins équivalents à 35%.
Mais, dans la transcription de la loi, avec l’aide de « l’intelligence »
occidentale, l’intérêt national a été transformé en intérêt public national, d’où
la barrière difficilement franchissable par le jeune entrepreneur camerounais,
en raison de l’existence dans tous les ministères de conseillers techniques
offerts gracieusement par le colonisateur et dont la mission officielle était de
« soutenir » le jeune État naissant, mais qui remplissaient une autre mission,
non officielle celle-là : surseoir à l’éclosion d’une classe d’entrepreneurs
africains.
Il importe de revisiter l’expérience de certains entrepreneurs et
entreprises, de certains grands hommes à travers le monde, pour comprendre
que l’échec n’est pas une fatalité, mais une opportunité.
Jean-Samuel Noutchogouin est un entrepreneur majeur de la scène
économique camerounaise qui a connu du succès. En 2015, il a publié son
autobiographie intitulée À la mesure de mes pas. En le lisant, on apprend
qu’il a perdu son père à l’âge de 2 ans et qu’il est allé à l’école à l’âge de 12
ans, pour moins d’une année entière. Malgré cet événement tragique, et
malgré son analphabétisme - il a à peine appris quelques bribes de la langue
française -, il est devenu un capitaine d’industrie qui a inspiré et encadré
d’autres vocations en matière de création d’entreprises.
Comment s’y est-il pris pour surmonter ces deux contrevents ? Il a
développé le sens de l’observation. Chaque activité qu’il a embrassée était
une réponse à un besoin observé dans la société. La première, le commerce
des fagots de bois de chauffe. Il la commence à l’âge de 12 ans, aussitôt qu’il
a quitté les bancs de l’école. Il est question de fournir aux ménages ce dont ils
ont besoin pour préparer leurs aliments. La deuxième relève de l’habitat. Il
remarque que les populations recouvrent les toitures de leurs cases avec des
nattes de raphia. Alors, il se jette dans le commerce des nattes en y
investissant les économies réalisées en vendant du bois de chauffe. Il y
attirera d’autres enfants de son âge qui se mettront également à
l’apprentissage, ce qui permettra de satisfaire un besoin qui était
considérable. Troisième activité : une cantine d’entreprise. Elle se justifie par
le grand nombre des apprentis dans l’atelier. Jean-Samuel Noutchogouin veut
satisfaire le besoin de restauration des apprentis pour qu’ils soient productifs.
Quatrième activité : la lutte contre les chiques qui rongent les pieds de tous.
En effet, à cette période-là, il n’y avait pas de chaussures et il remarque que
tout le monde est en proie à ces parasites dangereux qui constituent un réel
problème de santé publique. Face à cette épidémie, il décide d’agir et
soustrait patiemment les chiques des pieds des enfants. Cette activité sociale
non rémunérée qu’il accomplit consciencieusement lui attirera la
bienveillance de la société. Les clients lui soumettront sans tarder d’autres
besoins : des portes et des fenêtres en tige de raphia, puis des étagères pour la
vaisselle.
On se rend compte qu’au départ, JSN observait son environnement,
décelait des besoins et y apportait des solutions. Peu à peu, c’est la société
qui s’est mise à lui soumettre ses besoins.
Il quitte son village Bandjoun et se rend chez son oncle à Bafoussam, la
« mégalopole » où il apprend le métier de couturier auprès dudit oncle mais,
en même temps, il saisit les opportunités qui se présentent en parallèle :
ranger la vaisselle, fabriquer des étagères, vendre du fil à tresser les cheveux.
La demande d’étagères à vaisselle est si importante qu’il appelle les anciens
compagnons de Bandjoun pour constituer une nouvelle entreprise. Son
activité étant couronnée de succès, il veut aller plus loin. Pour ne pas faire
concurrence à son oncle, il choisit une niche : couturier ambulant. Puis, au fil
des besoins identifiés, infirmier ambulant, déparasiteur d’hommes, de
femmes et d’enfants, voire « infirmier », qui leur administre des injections.
À 15 ans, au plus fort de la lutte coloniale, l’activité vacille à cause du
climat délétère, et la crise alimentaire s’installe. Il entreprend alors un voyage
à Nkongsamba pour acheter du sel de cuisine et des produits alimentaires.
Chemin faisant, il découvre un vivier de carcasses d’automobiles en état
d’oxydation. Voici la cinquième activité : la machine agricole. À la vue de
cette ferraille, il lui revient que la crise alimentaire qui sévit à Bafoussam est
due, entre autres, à l’absence d’outils agricoles, les houes dont disposent les
agriculteurs sont en très mauvais état, ce qui explique la faiblesse du
rendement. Avec les châssis et toute la ferraille qu’il ramène de Nkongsamba,
des forgerons fabriquent des machettes, des houes, des pioches, des pelles,
autant d’outils nécessaires au travail de la terre, ce qui garantit de meilleures
récoltes. La boutique prospère tant et si bien qu’il ouvre une quincaillerie en
bonne et due forme, puis une deuxième, puis une troisième et ainsi de suite,
l’odyssée ne s’arrêtera plus. Après le commerce, il s’est attaqué à
l’immobilier, puis à l’industrie, toujours de la même façon, en observant
autour de lui, en saisissant les opportunités qui se présentaient. Ainsi, une vie
qui était « mal partie » à cause de la perte précoce du père est devenue une
success-story du fait de la pensée positive de l’orphelin qui a compris très
vite qu’il fallait chercher l’opportunité, y compris dans l’échec ou le manque.
D’autres exemples encore : en 1991, les laboratoires Pfizer sont
convaincus d’avoir découvert un médicament contre l’angine de poitrine.
Mais, le test se solde par un échec ; des années de recherche et
d’investissements partent en fumée. Or, ce travail n’était pas vain. La preuve,
le Viagra qui fait son apparition en 1998 a pour principe actif la molécule qui
n’avait pas pu soigner l’angine. Les laboratoires Pfizer voulaient soigner
l’angine, ils ont échoué, ce faisant, ils ont mis au point la petite pilule bleue
dont le succès dépasse les USA pour envahir la planète.
L’iPad a connu du succès depuis son lancement en 2010. Et pourtant, si
Apple s’était fié à l’échec de la tablette lancée en 2002 par Bill Gates, il
n’aurait pas tenté le coup. De même, Microsoft n’a pas baissé les bras après
l’échec de sa première tablette, il a continué de travailler. Il a finalement
refait surface avec une tablette « Surface » et cela a mordu.
Le magazine Management s’est penché sur la question de l’échec et du
succès dans sa livraison d’octobre 2012 et a conclu que le monde se divise en
deux catégories : ceux pour qui l’échec est une fatalité, d’une part, et, d’autre
part, ceux pour qui c’est un tremplin. Selon Harvard Business Review, il faut
trois ratages pour un succès dans le monde de l’entrepreneuriat. En France,
par contre, 57% des managers estiment qu’il est difficile de rebondir après un
échec. Au Japon, c’est encore plus grave. Selon une étude du gouvernement,
28,5% des étudiants avaient tenté de se suicider après un échec scolaire. Près
de 80% des PME sud-africaines déposent le bilan tous les ans.
Pourtant, aux USA, se planter est considéré comme la meilleure façon
de réussir, ainsi que l’affirme la Une du magazine Management. Comment ça
marche ? Le succès est nécessaire, car il est générateur de fierté et de joie.
En revanche, il n’enseigne pas grand-chose. L’échec, lui, est utile, car il fait
naître une véritable sagesse, analyse Charles Pépin dans le dossier de ce
magazine. Une fois la sagesse acquise, on revient mieux armé, car l’échec, en
principe, amène l’individu à se découvrir ou à mieux se connaître. Ainsi, il
devient plus réaliste, plus prudent et mieux outillé pour évaluer les risques.
Steve Jobs a enchaîné des échecs dans sa carrière de capitaine
d’industrie. D’abord, il a abandonné ses études au Reed College au bout de
six mois et a suivi des cours de calligraphie en auditeur libre pendant 18
mois, alors que l’objectif de ses parents était de le voir diplômé d’une
prestigieuse université. Et c’est justement ce cours de calligraphie qui sera la
clé de succès de l’une de ses inventions, le « Macintosh ». Dans son discours
inaugural à Stanford, il déclare lui-même avoir une passion pour l’échec. En
effet, cofondateur de Apple, avec son ami Steve Wozniak, 10 ans plus tard,
avec un succès hors pair, plus de 4 000 employés et 2 milliards de dollars
américains de chiffre d’affaires, Steve Jobs est licencié de la boîte dont il est
le fondateur. Il n’avait que trente ans. Dans une telle situation, celui qui
considère l’échec comme une fatalité se décourage, désespère, voire estime
qu’il ne lui reste que le suicide pour en finir.
Aimant passionnément ce qu’il faisait, il conclut que ce qui lui était
arrivé chez Apple était un simple accident de parcours. Il décida de
recommencer en puisant dans les leçons de son échec chez Apple. Steve Jobs
précise que grâce aux leçons tirées de ses échecs, il avait gagné la liberté de
penser et d’agir, ce qui lui a permis d’être plus créatif, plus productif et plus
ambitieux.
Pendant ce temps, il crée deux sociétés : « Next » et « Pixar ». Pixar est
spécialisé dans la production des films d’animation et est devenu la première
firme mondiale dans son domaine. Avec la technologie développée dans
Next, Apple, pour progresser rapidement, s’est trouvé contraint de racheter
Next, ce qui a permis à Steve Jobs de revenir à Apple nanti d’une position
plus renforcée. La leçon qu’il faut en tirer est que les échecs d’aujourd’hui
préparent les succès de demain. La persévérance et l’amour du travail vous
conduiront toujours vers les sommets.
Mikael Hed, le PDG de Rovio, éditeur de jeux vidéo, s’exprimait ainsi :
« Dans le business, j’ai vite compris qu’on ne pouvait pas fonctionner en
voulant faire plaisir à ses associés ou ses collaborateurs. » En 2005, ce
Finlandais démissionnait de Rovio après avoir passé cinq années à la tête de
cette entreprise qui ne produisait que des bides et dissipait l’argent des
investisseurs. Mikael Hed crée en 2009 une entreprise, « Agry Birds », qui,
en 2011, comptait déjà 1 milliard de téléchargements.
En France, Bruno Bonnel, viré de sa propre boîte par ses actionnaires
en 2007, rachète Robopolis, une boutique de vente de robots à Paris. Il en
fera le premier distributeur français de robots domestiques.
Comment Mandela a transformé les
oppressions subies en opportunités de
combat
Son arrestation en 1956. Mandela ne considère pas son arrestation
comme un échec, mais comme une chance qui lui a été donnée de plaider la
cause de la justice et de l’égalité. C’est ce qu’il fera lors de son procès. Il se
servira de ce procès comme d’une tribune non seulement pour défendre la
non-violence de l’ANC, mais aussi pour dénoncer l’apartheid.
L’interdiction de l’ANC en 1960, une opportunité de combat
pacifique contre l’apartheid. En 1960, 69 personnes sont tuées par la police à
Sharpeville lors d’une manifestation qui n’était pas organisée par l’ANC,
mais par son concurrent, le Pan African Congress. Le gouvernement décrète
l’état d’urgence et bannit l’ANC. Comment Nelson Mandela va-t-il réagir ? Il
va transformer cet échec en opportunité de lutte. Jusque-là, la lutte était
pacifique et non violente. Les événements de Sharpeville offrent le prétexte
de passer de la non-violence à la violence. Mandela et ses camarades entrent
dans la clandestinité et fondent la branche armée du mouvement, l’Umkhonto
We Sizwe, qui organisera des campagnes de sabotages, mais en épargnant les
civils.
Son emprisonnement ressemblait aussi à un véritable échec, car il
semblait signifier que la majorité des Sud-Africains d’origine seront
continuellement dominés par la minorité des émigrés d’Europe occidentale,
que l’Afrique du Sud sera toujours en proie à l’apartheid et que le combat
devrait cesser faute de leader et de combattants.
Son procès (1961 à 1964) : Mandela choisit de plaider coupable et
d’assurer lui-même sa défense, tout en revêtant le costume africain
traditionnel. Son idée est d’utiliser la barre comme une tribune pour
proclamer haut et fort, devant la presse internationale, l’injustice que subit le
peuple d’origine africaine et instruire le procès de l’État afrikaner. Il y obtient
finalement la vie sauve, mais n’échappe pas à la détention à perpétuité.
Mandela ne vit pas cette détention comme la fin de son combat, mais
plutôt comme une nouvelle opportunité. En regardant autour de lui, il
constate qu’il y a matière à combattre. C’est ainsi qu’il organise la lutte pour
l’amélioration des conditions de détention, se dressant contre les autorités
pénitentiaires réputées des plus cruelles.
Nelson Mandela et Govan Mbeki transforment la prison de Robben
Island en une véritable université de l’ANC. Ils initient les prisonniers à la
politique et à la connaissance du mouvement de libération. Mandela transmet
aussi à ses visiteurs des consignes destinées aux membres de l’ANC qui
continuent de militer pour la cause du mouvement dans la clandestinité. Il n’a
pas considéré les années de prison comme un échec en soi, mais plutôt
comme une étape vers la victoire finale : l’abolition de la discrimination
raciale.
À sa sortie de prison, il est élu président de l’Afrique du Sud devenue
une société libre et sans discrimination raciale. Il est aujourd’hui le leader
africain le plus respecté, le plus vénéré dans le monde.
Abraham Lincoln, le plus illustre des
présidents américains
L’histoire d’Abraham Lincoln se résume à ces nombreux échecs qu’il a
surmontés les uns après les autres. Tout avait mal commencé, puisqu’il naquit
dans une famille pauvre et devint très tôt orphelin de mère. Mais, il surmonta
ce handicap et travailla dur. Il s’instruisit lui-même en bon autodidacte et
devint un avocat brillant dont les plaidoyers étaient célèbres. Il affirmait : «
Ce que je veux savoir avant tout, ce n’est pas si vous avez échoué, mais si
vous avez su accepter votre échec. » Lincoln considérait ses multiples échecs
non pas comme la fin ultime, mais comme des passages indispensables pour
apprendre, mûrir et acquérir des armes plus affinées pour les batailles futures.
Pour lui, la vie n’était autre chose qu’un champ de bataille permanent.
Cette attitude d’Abraham Lincoln me rappelle ma devise immortalisée dans
un tableau dans mon bureau : « Le combat nourrit la vie ». Pour moi, tout se
passe comme si le combat est un ingrédient de la vie. Sans combat, la vie
serait fade.
Selon un classement dressé par des historiens pour le magazine The
Atlantic Montly, Abraham Lincoln est l’Américain le plus influent de
l’histoire. Or, c’est aussi celui qui a accumulé le plus grand nombre d’échecs
successifs au cours de sa carrière.
Il perdit sa mère à l’âge de 9 ans.
Il perdit sa sœur à l’âge de 19 ans.
Son premier amour est décédé alors qu’elle n’avait que 22 ans. 3 de ses 4
enfants sont morts très jeunes.
Il fit faillite à l’âge de 31 ans.

Il fut battu aux élections législatives à 32 ans. Il fit de nouveau faillite à 34


ans.
Il vit mourir son amie à 35 ans.
Il eut une dépression nerveuse à 36 ans.
Il fut battu aux élections locales à 38 ans.
Il fut battu aux élections au Congrès à 43 ans.
Il fut battu aux élections au Congrès à 46 ans.
Il fut battu aux élections au Congrès à 48 ans.
Il fut battu aux élections au Sénat à 55 ans.
Il ne put s’inscrire aux élections à la vice-présidence à 56 ans.
Il fut battu aux élections au Sénat à 58 ans.

Ces multiples échecs ne l’ont pas anéanti ; il fut élu président des États-
Unis à l’âge de 60 ans. Chaque échec était comme une lime pour aiguiser de
nouvelles armes de combat. Il recommençait toujours plus armé jusqu’à
parvenir au sommet de l’État américain et, à partir de cette position,
accomplir ses deux rêves : l’abolition de l’esclavage et la préservation de
l’Union. La vie d’Abraham Lincoln est un bel exemple de persévérance, de
courage et d’abnégation, mais surtout une démonstration par les faits que
l’échec n’est fatal que si vous l’avez accepté, que si vous avez refusé de le
considérer comme une opportunité de recommencer avec des armes plus
affinées.
Les trajectoires que nous venons d’évoquer ne sont pas linéaires. Elles
se déroulent de façon sinueuse, parfois on a l’impression que c’est la fin. Or,
le protagoniste resurgit. Tel doit être l’entrepreneur africain, un combattant
qui n’a pas d’armes, mais qui ne vend pas sa peau aussi facilement que cela ;
un combattant coupé de sa base arrière, abandonné à lui-même, mais qui
continue de croire qu’il est l’artisan de son destin, qu’il écrira lui-même les
belles pages de son histoire.
Pour me résumer dans ce chapitre, je dis que la guerre économique qui
oppose les parties prenantes sur la scène libérale mondiale ne fait pas de
cadeau à l’entrepreneur africain. Pour autant, il n’y a pas de quoi crier au loup
; il est indispensable, dans des conditions d’apparence aussi inéquitables, de
trouver sa voie et de forcer le passage. Les armes savamment affûtées pour
éliminer l’Africain du champ de bataille économique, à savoir l’absence
d’équité dans les rapports commerciaux et dans les appels d’offres
internationaux, l’arme monétaire avec ses corollaires, les accords de
partenariat, peuvent être compensées par des armes intellectuelles et même
mentales tout aussi puissantes : forger une attitude de gagneur, de guerrier
audacieux ; si l’on te refuse le droit à l’erreur, accorde-toi toi-même le droit à
l’échec ; si quelqu’un te qualifie de nul, prends la liberté d’agir avec
abnégation pour le confondre. Dès lors, tout entrepreneur doit, à défaut
d’avoir une grande ambition, disposer d’un objectif comme boussole de son
action.
CHAPITRE VI: LE
CHEMIN DE CROIX DE
L’ENTREPRENEUR EN
AFRIQUE

Par Koffi Djondo


Le chemin de croix de l’entrepreneur
en Afrique
À quoi faut-il s’attendre si, jeune aujourd’hui, en Afrique, on aimerait
se détourner de petits travaux tranquilles de la fonction publique pour se jeter
dans l’entrepreneuriat ? Un diplôme décroché dans une grande école ou dans
une université en poche, il est clair que l’on se nourrit d’ambitions fortes et
de rêves fous. On aimerait changer le monde et refaire Microsoft ou Apple.
Le témoignage d’un aîné qui revendique une expérience de quarante ans en
tant que bâtisseur d’entreprises tombe à propos. Jeunes d’Afrique, sachez que
ce monde est celui de nombreux défis qu’il faut connaître ; de grands
combats qu’il faut se donner les moyens de remporter ; des exigences qu’il
faut s’imposer à soi-même. Ce monde-là, il appartient en premier lieu à ceux
qui savent se montrer audacieux.

1) S’approprier Le Goût Du Risque Et Défier La


Conjoncture
La situation de l’Afrique est une suite de conjonctures. Mais, il ne faut
pas prendre prétexte de cela pour ne pas entreprendre.
Les premiers entrepreneurs africains ont fait le commerce ; c’était dans
la période coloniale. Les colons les ont orientés vers cette activité primaire
pour que l’Afrique reste un centre de la consommation des biens qu’elle ne
produit pas et une productrice de biens qu’elle ne consomme pas, qu’elle ne
transforme pas. Parallèlement au commerce, l’Afrique a été, dans cette
période-là, le terroir de l’expérimentation de projets démesurés, sans aucune
adéquation avec les besoins endogènes. Des projets industriels ont ainsi été
financés par des banques de développement étrangères et leur résultat a été
mitigé, si l’on excepte qu’ils ont laissé d’énormes ardoises pour le
contribuable.
Puis, est venue la deuxième génération d’entrepreneurs, à laquelle
j’appartiens. Je dois dire que ce n’était pas facile. Il fallait renverser la
tendance, imaginer l’Afrique comme un endroit qui produit des idées, qui
prend des décisions et fait ce qu’elle juge favorable pour elle. Il fallait
commencer à remettre en question l’aide au développement qui
s’accompagne de conditionnalités asphyxiantes. Il fallait commencer à
interroger le partenariat mis en place au lendemain des indépendances. Ces
partenariats imposés dans une situation inédite de déséquilibre des parties
manquaient d’équité. Dans notre génération, nous nous posions des
questions. Cela ne pouvait pas plaire. C’est la raison pour laquelle nous avons
été combattus. Voilà la première conjoncture des années 80, les Africains se
réveillent et imaginent leur continent autrement. Mais, cela ne se passe pas
sur du velours. En effet, les années 80 étaient les années noires de l’Afrique
francophone. C’était la période des ajustements structurels, des plans
d’austérité budgétaire qui mettaient les États complètement à genoux. Les
questions de dette, de restructuration étaient posées sur la table et même les
banques, les banques centrales, avaient des problèmes à l’époque.
Les ajustements structurels étaient une bien belle expression pour
signifier la fermeture des entreprises en déficit. Les domaines étaient
sensibles : le chemin de fer, l’électricité, la fourniture d’eau courante, etc. La
Banque mondiale a demandé la fermeture des chemins de fer. Aujourd’hui,
on réveille les chemins de fer et se rend compte qu’on en a besoin pour
interconnecter les villes, les ports et les milieux ruraux reculés des pôles de
production agricole.
Dans un contexte pareil, bien évidemment, collecter l’épargne était une
gageure, pour la simple raison qu’il n’y en avait pas. Ecobank a pris des
risques pour financer des entreprises dans un contexte aussi difficile parce
que nous avions la conviction que la difficulté n’était pas structurelle, elle
était conjoncturelle, en clair. Nous étions optimistes, sachant que la tempête
allait passer. Si Ecobank n’avait pas parié sur l’entreprise africaine, dites-moi
qui l’aurait fait, puisque les filiales des banques étrangères avaient opté, en
Afrique, pour le modèle de la finance de comptoir : collecter des ressources
pour nourrir les crédits sous d’autres cieux ; en Afrique, se limiter à financer
les particuliers avec des crédits adossés sur les salaires, dans la mesure où
c’est tout ce qu’il y a de plus facile.
Nous, entrepreneurs africains de la deuxième génération, avons eu la
lourde charge de combattre les stigmates de la colonisation. Nous avions déjà
compris que les lourdeurs administratives ne sont pas en Afrique autre chose
que la volonté du colon de nous éloigner du sujet. La colonisation nous a
orientés vers l’exploitation des rentes et la bureaucratie plutôt que la création
de l’entreprise. J’ai soutenu dans une interview au journal Afrique
Méditerranée Business en 2015 qu’il fallait décoloniser les mentalités. Je le
crois sincèrement.
La troisième génération des entrepreneurs africains est la plus
chanceuse. Elle connaît moins de conjonctures. Elle dispose des technologies
de l’information et de la communication.
En définitive, mon plus beau souvenir, c’est la naissance d’un projet,
quand tout se met en place ; quand nous avons tenu le premier conseil
d’administration d’Ecobank. Je me souviens aussi du premier vol d’Asky
Airlines. Je nourris en revanche un regret, c’est que plus de cinquante ans
après les indépendances des pays d’Afrique, je n’aie pas vu le décollage que
j’attendais tant et le pire est que je ne peux pas le voir jusqu’à mon dernier
jour, car il n’y a pas d’espoir dans un horizon proche. Cependant, je compte
sur l’entrepreneur africain, je souhaite qu’il prenne la mesure de sa
responsabilité dans l’avenir du continent. Le panafricanisme économique est
une invite des bâtisseurs d’industries à prendre les choses en main, là où les
politiciens ont échoué en préférant chacun sa chefferie. Je leur souhaite d’être
rigoureux, persévérants, droits et justes.

2) Défaire Les Cloisons


Pourquoi faut-il faire tomber les barrières ? Pour avoir un marché vaste,
synonyme de plus de gains, de plus de solidarité ; c’est refuser de se laisser
enfermer dans des cloisons. Au contraire, à la nouvelle génération, je
voudrais conseiller de travailler ensemble et de profiter mutuellement des
forces des uns des autres. Je pense particulièrement au pragmatisme qui est
un atout chez les Africains d’expression anglaise. Il existe une différence
fondamentale entre les pays africains d’expression anglaise et les pays
francophones. Aujourd’hui, les pays anglophones sont en avance sur les pays
francophones en tous points de vue. Il n’y a qu’à regarder la réalité en face.
C’est assez édifiant cette histoire, je dis souvent, vous allez à l’université des
pays francophones, vous interrogez des étudiants qui maîtrisent la profession.
Vous leur demandez qu’est-ce que vous voulez devenir. Ils vous répondront
qu’ils veulent devenir fonctionnaires, ministres. Vous allez dans une
université anglophone, vous questionnez un étudiant du même niveau et il
vous répondra qu’il réfléchit sur ce qu’il va créer et à ce qu’il va mettre en
place pour son entreprise. Pour sortir du piège de l’État-providence, il faut
simplement appliquer les recettes qui marchent chez le voisin. Il faut, pour
nos générations, une ouverture d’esprit et de la flexibilité pour changer le
logiciel qui les a fabriquées. Il faut aussi du courage, ce n’est pas facile de
détruire cette construction de la Fonction publique qui distribue de l’argent
pour embrasser la logique de la création d’entreprise, d’initiative privée tout
court, et c’est la colonisation française qui nous a légué tout cela.
Il existe une chance historique pour les pays anglophones, le joug
colonial s’y est considérablement desserré. Mais, pour les pays francophones,
c’est moins heureux, car la colonisation n’est pas finie du tout. C’est vrai que
la force n’est plus physique, brutale, visible. On ne peut pas prétendre que les
choses ressemblent à ce qu’elles étaient en pleine colonisation. Mais, à
l’observation, la colonisation se poursuit de façon plus raffinée, de façon très
malicieuse, avec le concours des Africains eux-mêmes qui, pour conquérir
des prébendes à la BCEAO ou à la BEAC, s’accrochent et défendent une
monnaie qui est responsable de notre esclavage économique.
Il serait souhaitable que les Africains anglophones acceptent
d’apprendre aux francophones. J’ai constaté chez les Éthiopiens une certaine
fierté qui peut se révéler dangereuse pour l’Afrique prise dans sa globalité.
C’est bien beau de n’avoir pas été colonisé, mais il ne faudrait pas prendre
prétexte sur cet avantage historique pour regarder les autres avec mépris. Je
pense que ceux d’entre nous Africains qui disposons d’atouts considérables
serons jugés à notre humilité, à notre capacité à nous mettre au service de
l’Afrique, en tirant les autres vers le haut. Africains francophones,
anglophones, colonisés, non colonisés, lusophones et hispanophones, nous
devons nous retrouver ensemble pour bâtir des structures fortes, des
entreprises fortes, mettons nos moyens ensemble, quittons chacun sa petite
chapelle dans nos pays respectifs.
La France a émietté l’Afrique de l’Ouest. Regardez le Togo : à peine 8
millions d’habitants, le Niger, l’un des pays les plus pauvres du monde, 18
millions d’habitants, seulement avec 8 habitants au kilomètre carré. Le Bénin,
10 millions d’habitants. Tout cela c’est l’esprit de clocher, le colonisateur
nous a divisés pour mieux nous exploiter, comme cela chacun de nous se bat
pour être un président de quelque chose sans pour autant se demander si cette
chose a seulement un poids comparativement aux autres. En Afrique centrale,
vous avez le Gabon avec 1,8 million d’habitants et le Congo, 4,7 millions.
Quand vous mettez ces deux pays côte à côte, est-ce que cela fait un marché ?
On peut y vendre quoi de bon ? Mais, allez voir si on peut circuler librement
du Cameroun au Gabon. J’accepte bien que chacun de nous veuille être
président, mais au moins laissez tomber les barrières économiques entre les
pays pour que les échanges nous enrichissent. Au lieu de cela, nous érigeons
des barrières commerciales. Il est plus facile de partir du Cameroun pour se
rendre en Guinée équatoriale que de se rendre au Mali. Ça profite à qui ? À
supposer que tu produises un bien quelconque au Cameroun et que tu doives
l’exporter au Gabon. Vu les tracasseries et la corruption aux frontières, tu
seras obligé de vendre cher. Alors, qui va acheter ? Pourquoi le Nigeria est-il
une grande puissance économique en Afrique ? Le facteur démographique y
est pour quelque chose, sinon pour beaucoup. C’est d’abord et avant tout un
grand marché de 180 millions d’acheteurs potentiels, du nord au sud, de l’est
à l’ouest. Supposons que tu vendes le téléphone mobile au Nigeria et que ta
part de marché soit seulement de 5%. Cela fait beaucoup. Or, à l’intérieur de
l’Afrique centrale, tu as une population de 36 millions d’habitants, ce qui ne
fait que le cinquième du marché nigérian. Si en plus de cette faiblesse du
nombre potentiel d’acheteurs, il faut compter avec les frontières
commerciales, les obstructions à la libre circulation des biens et des
personnes, comment pourrons-nous nous tirer d’affaire ?
En Afrique de l’Est, la Tanzanie c’est énorme, c’est 48 millions
d’habitants, le Kenya en compte 47 millions, l’Ouganda 37 millions. Quant
au Burundi, il affiche 10 millions d’habitants, et enfin, le Rwanda, 11
millions d’habitants. Avec tout cela, vous avez des facilités à traverser les
frontières, étant donné que la Communauté économique de l’Afrique de l’Est
a lancé son marché commun en 2010, pour les biens, le travail et les capitaux.
On va d’un pays à l’autre, comme si on partait d’un village à un autre à
l’intérieur du même pays. Regardez ce que ces pays-là sont capables de faire ;
non seulement ils sont ensemble dans une communauté économique, la
Communauté économique de l’Afrique de l’Est, mais ils ont posé depuis
2013 les bases d’une union monétaire. Ils comptent créer une banque
centrale. La plupart de ces pays affichent des taux de croissance du PIB de
l’ordre de 7%. Imaginez toute la communauté unie autour d’une monnaie (le
shilling est africain), une langue commune (le kiswahili) avec des réformes
douanières et une banque centrale ! Ces pays comptent aller plus loin, en
créant une nation appelée la Fédération d’Afrique de l’Est.
La nouvelle génération d’Africains sera panafricaine ou l’Afrique sera
damnée. Il faut qu’en Afrique centrale, les jeunes regardent de près ce qui se
passe en Afrique de l’Est et s’en inspirent au lieu de vivre en vase clos.
J’appelle la nouvelle génération à se situer au-dessus des legs coloniaux, à
être pragmatique. Aujourd’hui encore, dans des pays africains historiquement
liés à la France par la colonisation tels que le Togo ou le Congo, le français
est la langue d’enseignement. Mais, quel anachronisme ! Le français mène à
quoi ? En adoptant l’anglais comme langue de formation, ces pays n’auront
pas seulement compris que l’anglais est la langue internationale la plus
parlée, ils auront ouvert la porte à une autre façon de réfléchir, qui est
pragmatique et directe, et j’insiste pour dire que la façon de raisonner des
francophones est ambiguë, c’est dû à la langue, qui n’est pas directe. Une
langue, c’est une mystique faite de références à des symboles, à des mythes et
je suis désolé d’affirmer, au regard du retard mental des Africains
francophones, que la mystique francophone leur a été contre-intuitive. Ce
n’est pas le fait du hasard si le classement des meilleures entreprises du
continent est dominé par les pays anglophones tels que l’Afrique du Sud ou le
Nigeria. Les pays de l’Afrique du Nord tels que l’Algérie, le Maroc ou
l’Égypte produisent également de grandes entreprises, mais on sait bien que
leur ancrage culturel arabe prend largement le pas sur leur intégration à la
mouvance francophone. J’ai visité le Rwanda à plusieurs reprises et j’ai vu ce
qu’un peuple qui raisonne en anglais peut désormais faire en très peu de
temps. Je suis admiratif des réformes de ce pays qui était ruiné, ravagé,
anéanti par le génocide et qui, aujourd’hui, est devenu un exemple
continental de résilience. J’invite les présidents africains, francophones
surtout, à visiter le Rwanda et à écouter le président Kagamé. L’une des
réformes fondamentales dans ce pays a été de remplacer le français par
l’anglais. Il est allé jusqu’à fermer le centre culturel français. C’est ainsi que
les enfants sont désormais scolarisés en anglais et ne font plus qu’une heure
de cours de français par semaine.
Les Africains francophones ont une culture de l’État-providence ; ils
sont moins portés sur le risque, à l’entrepreneuriat. Dans les pays
anglophones, on est plus ouvert aux discussions et on accepte le succès des
autres. Cette facilité à avancer dans les pays anglophones n’a d’égale que la
réprobation générale que l’on a dans les pays francophones. C’est comme s’il
y avait un frein qui arrête l’initiative. Oui c’est cela les barrières des jaloux.
On a trop de handicaps pour pouvoir s’épanouir à nos frais. Il y a moins
de handicaps dans les pays anglophones, je ne dis pas qu’il n’y en a pas, il y
en a, mais moins.
Les bourses des valeurs des pays anglophones sont bien solides. Et
c’est là un indicateur du dynamisme économique, car ce ne sont pas les
fonctionnaires qui font la bourse, mais les entrepreneurs. Les banques de ces
pays-là sont aussi fortes parce qu’il existe une ferme volonté de promouvoir
l’épargne. On sait bien ce qu’est l’épargne, c’est ce que nous mettons
collectivement de côté pour servir des projets qui vont aider la collectivité
dans son entièreté. Tout cela est dû au fait que la Grande-Bretagne avait
instauré et piloté un système d’administration coloniale indirect qui ne voulait
pas modifier les structures culturelles des colonies. Il y avait une ferme
intention de conduire les pays colonisés vers le port de leur choix. Quand le
moment de mettre un terme à la colonisation est arrivé, l’Angleterre est partie
en instaurant un cadre d’échanges économiques équitables, le
Commonwealth. Or, la France coloniale s’est impliquée directement dans les
affaires africaines. Après la « décolonisation », elle a même refusé de partir.
Elle a voulu poursuivre sa domination autrement, en créant une structure qui,
à l’opposé du Commonwealth, n’a rien d’économique. Voilà pourquoi,
aujourd’hui, dans les pays francophones, il y a de la peine à s’autodéterminer.
On pense à l’aide, à l’assistance. On y parle de « pays amis », de coopération
historique, ce sont des expressions qui montrent que le pragmatisme n’y est
pas pour demain.
Je suppose que la nouvelle génération d’Africains est plus éveillée et
qu’elle peut, de ce fait, facilement échapper aux cloisons
anglophones/francophones. Avec Internet, elle est ouverte sur le monde. En
un clic, elle peut savoir ce qui se passe ailleurs. On ne peut facilement la
tromper, car son univers est plus grand. Voilà pourquoi je dis que cette
génération est chanceuse. Il lui reste à tirer profit de cette chance, pour
rivaliser avec les concurrents d’Amérique, d’Asie et de la zone euro. Quand
je dis qu’il faut décoloniser les mentalités, en réalité, je ne m’adresse plus à
mes pairs ; comme moi, ils ont leur passé devant eux. Non, je m’adresse à
mes enfants, à ceux qui vont créer des entreprises aujourd’hui et demain.
J’entends qu’ils soient totalement décomplexés.
Je voudrais rendre hommage aux Africains qui font déjà ce travail de
décloisonnement sur le continent. Je pense à Toni Elumelu dont la fondation
a initié un vaste programme d’incubation de start- up. Ce qui est
encourageant, c’est que Toni brise les frontières. Les bénéficiaires de son
concours (il y en aura 10 000 en tout) se recrutent partout, non seulement au
Nigeria ou au Ghana, mais aussi au Cameroun, au Togo, en Guinée. En
réalité, le retard qu’accusent les pays africains francophones est dû à la façon
dont ils ont été colonisés. Ils ont simplement eu moins de chance de tomber
sur les Allemands ou les Anglais dont la rigueur et le dynamisme sont connus
dans le monde entier. Mais, tout cela ce sont des expériences accidentelles,
nous devons aller de l’avant. Lorsque des jeunes Africains méritants se
retrouvent à Lagos pour discuter, échanger, apprendre, parler de l’innovation,
alors il y a de fortes chances que le courant passe pour de bon et qu’on en
arrive un jour à oublier que les uns sont anglophones et les autres
francophones. Ce que fait Toni est important. Mais, il ne doit pas être seul.
Suivons-le dans ce sillage. C’est une chose que chacun de nous peut faire à sa
manière, suivant sa taille, suivant sa position.
La principale leçon que j’ai tirée de mon passage à la Chambre de
commerce, d’agriculture et d’industrie, c’est que tout est possible si on se
bouge. Quand une chambre de Commerce s’organise, amène les acteurs
économiques à visiter d’autres pays pour voir ce qui se passe sur les autres
marchés, dans d’autres industries, ça permet d’élargir la vue. Ce genre
d’initiative est nécessaire et peut nous porter loin, car nous serons débarrassés
du diktat historique des partenaires coloniaux qui ont pris l’habitude de nous
traiter sans équité.
J’ai organisé des visites en Asie, en Amérique latine et cela a fasciné
les entrepreneurs togolais. Ils ont été éveillés à la diversité de pratiques des
affaires. Et puis, ils ont signé des contrats de partenariat. Le dynamisme de la
Chambre de commerce peut faire avancer l’économie. C’est elle qui est
responsable du contact permanent entre les entrepreneurs, le ministère du
Commerce, les investisseurs étrangers. Il n’y a pas que les entrepreneurs qui
gagneraient à aller de pays en pays. J’encourage les Chambres de commerce,
d’agriculture et d’industrie à emmener des étudiants pour des voyages à
l’étranger. Il faudrait qu’ils voyagent à l’intérieur du continent, aillent des
pays anglophones vers les pays francophones et vice-versa, pour découvrir et
apprendre.
L’État doit disposer d’un outil qui suit les entreprises de près, qui arrive
à bien connaître leurs problèmes, des fonds de garantie des prêts aux
entreprises gérées par des personnes d’expérience issues du secteur privé. Il
faut un cadre de concertation avec le secteur privé, pour un dialogue
permanent. Ce cadre doit être présidé par le chef de l’État lui-même. On doit
assister, au sein de ce cadre, à l’organisation de rencontres, de partage, une ou
deux fois par an, avec le secteur privé. Cela peut être l’occasion de féliciter
ceux qui créent la richesse. Si le président de la République honore ceux qui
osent, cela permettra aux jeunes de suivre, de croire que c’est possible et aux
fonctionnaires d’arrêter avec la mentalité selon laquelle un entrepreneur est la
cible parfaite de la corruption.
C’est également dans ce cadre que l’on peut mettre sur pied un système
de diplomatie économique. Vous imaginez que lors des voyages à l’extérieur,
nos présidents ne s’entourent que de fonctionnaires qui sont là pour le
tourisme ? Avec Eyadema, on était en Chine, au Japon, en France. J’ai
participé à toutes les réunions, j’ai donné mon point de vue. Est-ce que ce
point de vue était parfois pris en considération ? Peu importe ! Au moins, l’on
savait quelle était mon opinion. La diplomatie politique n’existe pratiquement
plus dans le monde, même avec les grandes nations, l’économie domine tout
désormais. Pour diriger des représentations diplomatiques, il faut désigner
des gens capables de parler du secteur privé et de l’économie dans leurs
missions diplomatiques.
Les cloisons, il y en a aussi entre l’école et le monde professionnel. Il
importe de les abattre également. Les universités gagneraient à faire appel
aux associations de patronat du secteur privé qui donneraient de temps en
temps des conférences à l’attention des étudiants pour susciter en eux l’intérêt
de l’initiative privée. Se plaindre que l’école forme des fonctionnaires, c’est
une bonne chose, mais se jeter dans la bataille pour forcer les choses à aller
dans le bon sens, c’est encore mieux. Il faut susciter l’intérêt de l’initiative
privée auprès des jeunes apprenants afin qu’ils se préparent assez tôt à
prendre des risques.

3) Affronter La Concurrence Des Multinationales


Le christianisme est une bonne spiritualité, il prêche l’amour et le don
de soi, la justice et la fraternité. Malheureusement, associé à la colonisation
comme une arme de conquête territoriale, il a été utilisé dans un sens
déplorable ; le prêtre européen était forcément un agent de la colonisation, car
porteur du message selon lequel la pauvreté est une bonne chose qui ouvre la
porte du paradis. Il livrait au colon le secret de la confession, ce qui
permettait de neutraliser la résistance nationaliste. Les colonisés ont
développé la mentalité de la pauvreté pour viser le salut. Entre-temps, le
colon s’enrichissait en exploitant nos ressources, en achetant notre or, notre
pétrole à vil prix. Le christianisme a porté atteinte à notre façon de voir la
richesse. Nous avons dorénavant peur de créer la richesse, alors que le prêtre
est le bras séculier du capitalisme occidental qui conquiert les territoires et
impose son hégémonie.
Le problème c’est que le christianisme a amené les Africains à
abandonner leurs croyances culturelles en les qualifiant de diaboliques, de
fétichistes et d’idolâtriques. On a prétendu qu’on ne pouvait pas en même
temps être chrétien et pratiquer des traditions ancestrales, donc on ne pouvait
pas aller au paradis. L’abandon de nos traditions nous a causé du mal dans ce
sens que notre culture est bafouée, nous avons dévié à un moment donné avec
ce christianisme des pratiques qui étaient les nôtres. Mais, il faut dire aussi
qu’avec l’évolution du monde, nous avons des pratiques qui ne tiennent plus
debout, qui ne peuvent plus continuer.
Quand nous regardons au fond, nous avons des rites qui se ressemblent
beaucoup, dans lesquels on retrouve les mêmes significations. Chez nous, les
Ewes, quand un membre de la famille meurt, il se passe quelque chose
d’important huit jours après : on verse de l’eau par terre. On fait des
sacrifices et on implore les ancêtres de lui ouvrir le chemin. Ça ressemble un
peu à l’histoire du purgatoire, vous avez des gens là-bas et quand on prie pour
eux, Dieu les accepte au paradis, n’est-ce pas la même chose que le culte des
ancêtres ? Cela veut dire qu’après la mort, il y a un endroit où on s’arrête, où
on passe pour se nettoyer avant de continuer.
Le défi est de libérer les mentalités longtemps obnubilées par le
message du christianisme. Il faut considérer que la richesse est une chose
importante pour l’Afrique. Se jeter dans l’arène de la richesse, c’est accepter
de se frotter à la concurrence des grandes entreprises occidentales. C’est
construire des espaces vastes de création de la richesse, et faire le nécessaire
pour les protéger.
Aujourd’hui, l’entrepreneur africain est appelé à développer
l’intelligence économique pour éviter de voir son information lui filer des
doigts et être exploitée par la concurrence. Mais, le fait est que nous nous
trompons parfois dans l’identification de la concurrence. La concurrence des
multinationales occidentales est la seule qui soit effroyable. Ce sont des
adversaires colossaux et aguerris par une expérience de plus de 100 ans, et
qui, maintenant, se trouvent sur le même terrain économique que des
entreprises africaines jeunes, qui ont 5, 10 ans, 20 ans au plus. Dans tous les
domaines, l’industrie, les services, la logistique et les travaux publics, les
entreprises nationales n’arrivent pas à tenir la course face à ces mastodontes.
Dans le domaine des BTP, le nec plus ultra réside dans la finition. C’est un
élément important pour juger de la qualité des travaux. Les nôtres ne sont pas
encore expérimentés. Et je pense qu’il faut leur permettre de réaliser des
travaux d’envergure moyenne pour s’aguerrir. Sinon ils ne seront jamais
compétitifs. Je crois que les appels d’offres sont taillés sur mesure pour
favoriser les multinationales européennes et américaines. L’élément central
de ces appels d’offres est l’expérience. C’est à se demander si ces
multinationales ont été créées avec l’expérience déjà en poche. Non, elles ont
commencé quelque part, ont trébuché, sont tombées, se sont relevées et ont
appris. Cette trajectoire seule peut octroyer l’expérience.
Le secteur minier est largement dominé par des ancêtres américains et
européens. Tous les projets d’extraction portent la griffe de Glencore, quand
ce n’est pas anglo american ou Rio Tinto. Nous abandonnons ces domaines et
bien d’autres. Dans le domaine de la logistique, la situation est identique.
C’est un marché verrouillé. Quelles sont les chances qu’une entreprise
africaine a de gagner un marché de gestion de plate-forme portuaire face à
Bolloré African Logistics par exemple ? Elles sont nulles. On verrouille tout
et on donne aux étrangers. Quand un marché pareil est lancé en Afrique,
Bolloré a comme concurrent Necotrans. Bolloré règne sur 13 ports africains
mouillés et 25 ports secs. Et pourtant, nos entreprises peuvent déjà faire ce
travail. Ces grandes économies qui se disent libérales pratiquent le
protectionnisme quand cela les arrange et tout le monde le sait.
Aux USA, chantre du libéralisme, le taux d’ouverture des marchés
publics est de 32%.
Le rapport entretenu par les fonctionnaires de certains pays africains est
largement consécutif au dogmatisme mental qui réserve la richesse aux
Blancs et la pauvreté, l’humilité aux Noirs. Voilà pourquoi les grands
chantiers ne peuvent être construits que par des multinationales occidentales,
américaines, à la limite asiatiques. Généralement, en Afrique, la question qui
est posée par les fonctionnaires est de savoir qui va exécuter les marchés en
question puisque, visiblement, aucune entreprise africaine n’est à la hauteur
de le faire, par défaut d’expérience internationale et d’expertise. Mais, la
réponse est toute simple : il faut susciter des champions. Les grandes
entreprises, fussent-elles privées, sont voulues et désirées par l’État qui
travaille de façon décisive pour qu’elles voient le jour, pour qu’elles résistent
à la concurrence internationale, pour qu’elles engrangent des marchés sur le
plan national. N’oublions pas que Dangote Cement est la résultante du
protectionnisme nigérian pratiqué pendant une période déterminée, lorsque le
gouvernement a demandé à Aliko Dangote s’il était en mesure de satisfaire la
demande du marché national. Sa réponse ayant été affirmative, le
gouvernement fédéral a pris une mesure qui mettait un terme provisoire à
l’importation du ciment. Quand la période prévue est passée, l’interdiction a
été levée comme prévu et un géant économique était né. Les accords pour
gérer le commerce international prévoient que dans des situations d’urgence,
lorsqu’un secteur est menacé, il faut appliquer une mesure pour une période
déterminée. Une fois de plus, la leçon magistrale nous vient d’un pays
anglophone. Les États africains doivent se mettre à l’école du
protectionnisme. C’est la seule chose qui vaille. Le libéralisme et les règles
de l’OMC, tout cela, c’est l’évangile officiel. Il faut signer les accords, mais
après, se souvenir que le rôle de l’État est d’amener ses citoyens à se
surpasser, à prendre des risques, à reprendre confiance quand ils l’ont perdue.
Les États africains, malheureusement, se comportent comme s’ils étaient au
service des forces extérieures, des forces qui dictent la loi du marché libéral.
La principale raison du protectionnisme africain est de se prémunir
contre les pressions occidentales. Je me souviens d’une scène vécue au
Sénégal. J’y étais avec mon ami Lawson pour rencontrer le président Diouf,
pour lui parler du projet d’Ecobank. Il y avait de cela quelques heures
seulement que nous avions rencontré le président Houphouët Boigny. Quelle
n’a pas été ma surprise lorsque celui-ci m’a appelé à 2 h du matin et insisté
pour que j’aille le voir à l’instant même. Il m’a dit qu’il envoyait son avion
me chercher et que nous prendrions le petit déjeuner ensemble. Et il a insisté
pour que je vienne seul, sans Lawson. Je plante Lawson et retourne à
Abidjan. À notre rencontre, le président Houphouët Boigny me dit qu’il faut
que ce projet se fasse uniquement à l’intérieur de la zone franc. Je réponds
que c’est un projet qui tombe précisément dans le cadre de la CEDEAO, que
les chefs d’État de la région viennent de mettre en place. C’est seulement
quelques jours plus tard que j’ai compris ce qui s’était passé après notre
passage : un banquier français, ancien directeur général de la BIAO à Dakar,
était venu de Paris et avait demandé au président de faire pression sur nous
pour que le projet soit cantonné à l’intérieur de ce qui était alors le précarré
français, ce qui le rendait facile à contrer.
Nos amis fonctionnaires africains qui décident au sein des commissions
de l’attribution des marchés dans les secteurs des BTP et de la logistique
doivent être conscients de ce genre de pression, mais surtout y résister. Je ne
me suis pas laissé faire, j’ai compris que céder à la tentation serait condamner
le projet à la mort. La philosophie du panafricanisme économique était en jeu.
Malgré ces pressions multiformes, nous sommes responsables de notre
avenir. C’est aujourd’hui que nous devons poser la fondation pour avoir des
entreprises africaines fortes. Ne cédons plus à la clause de l’expérience
internationale car c’est un critère qui protège les intérêts des entreprises
européennes, américaines et asiatiques. Faisons attention à tomber dans ce
piège. Accorder sur un plateau d’argent tous les marchés aux entreprises
étrangères au détriment des nationales est proprement suicidaire. En
définitive, c’est nous- mêmes qui agrandissons le fossé entre les entreprises
étrangères et les entreprises africaines, par notre complexe d’infériorité et
notre manque de vision. Mais, il y a des réglementations qui peuvent être
définies pour booster l’entreprise. Ces fonctionnaires qui demandent où sont
les entreprises africaines capables de réaliser les marchés sont les premiers à
torturer ceux qui veulent créer des entreprises. Pour le moindre papier, ils
multiplient des rendez-vous, des procédures. Il faut voir la façon dont les
gens sont reçus dans les administrations. Les fonctionnaires, ce n’est pas leur
faute. On doit leur inculquer l’importance du secteur privé. Lorsqu’un usager
se présente pour solliciter une information ou un service, il faut être
professionnel et respectueux, car créer une entreprise demande de l’audace,
ce n’est pas à la portée de tout le monde et puis, une fois qu’une entreprise a
vu le jour, elle bénéficie à tout le monde, pas uniquement à son promoteur. Il
faut des réformes pour permettre de créer une entreprise en 48 heures,
pourquoi pas en 24 heures.
En outre, pour préparer les entrepreneurs, il faut inscrire la création
d’entreprise dans les curriculums à l’université. Faire appel à des
entrepreneurs dans des universités et autres grandes écoles permettra de
travailler le cerveau des apprenants, afin de les rendre prêts à affronter le
challenge de l’entrepreneuriat.
Dans le souci de promouvoir le tissu entrepreneurial, de nombreux pays
accordent un sursis aux PME. Or, dans nos pays africains, les PME paient
l’impôt aussitôt qu’elles ont ouvert les portes, peu importe qu’elles aient
réalisé des bénéfices ou pas.
Cela dit, l’entreprise africaine d’aujourd’hui a une chance à saisir, la
chance de la mondialisation. Au niveau des activités telles que
l’agroalimentaire, l’équipement, la grande distribution, les lignes bougent.
Contrairement aux secteurs des BTP et de la logistique maritime encore très
fermés, ici, nous avons enregistré la pénétration du marché africain par des
acteurs non européens. Auparavant, les produits d’origine européenne et
américaine avaient le monopole. Depuis que la Chine s’est installée en
Afrique, la concurrence est devenue rude. Ce qui ouvre à la PME africaine un
horizon vaste, et il lui suffit d’ouvrir l’œil, d’apprendre des nouveaux venus,
de comparer les habitudes des uns et des autres. Il ne faut pas aller à
Shenzhen seulement parce qu’il s’agit d’un marché, d’une source
d’approvisionnement. Il faut se mettre en tête que c’est une école. Comment
la Chine produit, comment elle inonde les marchés ici et là ? Quelles sont ses
astuces ? Se limiter à un simple rôle de commerçant est sans avenir.
En se mettant ensemble, les Africains peuvent créer des consortiums
plus forts, ils peuvent réussir à vaincre la concurrence internationale.
Supposons que le Cameroun exprime un important besoin d’investissement et
le projet est bancable. Que faisons-nous ? ETI vient au secours d’Ecobank
Cameroun, c’est cela l’avantage de se mettre ensemble, d’être gros, d’être
grand, d’avoir des moyens pour justement régler ce genre de problème.
Quand Buns, Sogea Satom ou encore Razel répondent à un appel d’offres de
BTP, c’est du béton, ils ont un dossier solide. Mais pour autant, pourquoi ne
pas mettre des entreprises africaines dans des consortiums pour faire bloc et
rafler la mise ? Le jeune dont je parlais au début de ce chapitre, qui débarque
dans ce monde, veut survivre. Vivre, c’est trop dire. Il n’y a pas de souffle
pour tout le monde ; il préférera la synergie au narcissisme. Sa PME devra
réfléchir sur les synergies face à la concurrence des multinationales parce que
seule, elle ne pourra rien.
Il faudrait également réfléchir sur la dimension concertée de l’action
des Européens et des Américains en Afrique. Tandis que leurs
multinationales avancent sur le terrain économique et que leur religion
chrétienne travaille les mentalités, les ONG agissent sur le terrain de
l’humanitaire. Mais, les ONG ne sont autre chose que le nouveau moyen par
lequel les anciennes puissances continuent de suivre l’Afrique à la trace, de
savoir ce qui s’y passe, d’empêcher ci et de vouloir cela. Il s’agit de fixer les
priorités, de conduire les gens dans des directions précises. Ce sont des
instruments de prospective, il faut préparer l’avenir, faire en sorte que
l’Afrique aille dans la voie voulue à Paris, à Washington, à Berlin, etc. Mais,
la question est la suivante : à Lomé, à Abidjan, à Dakar ou à Libreville, où
veut-on aller ? Regardez ce que font les ONG dans certains villages africains
; elles installent des habitudes de dépendance ; elles creusent des puits ou
construisent des usines de transformation. Cela marche pendant qu’elles sont
là, mais dès qu’elles tournent le dos, les populations n’ont pas les moyens de
continuer. Cela instille dans les mentalités le caractère incontournable de la
coopération, des ONG. C’est néfaste pour notre dignité. Pour créer notre
avenir, il faut sortir de la mentalité de dépendance, de l’aide, de la
coopération. Voilà pourquoi je prône le panafricanisme économique.
4) Faire Du Secteur Privé Le Moteur De Création
De La Richesse
Dans l’œuvre de décolonisation mentale que j’appelle de tous mes
vœux, il faudra que le secteur privé soit au cœur des préoccupations des
pouvoirs publics.
Voyez la jeunesse africaine et tous ces chiffres ahurissants partout en
Afrique, dans tous les États, chiffres concernant le problème de l’emploi. Ce
ne sont pas les pouvoirs publics qui créent les emplois, c’est le secteur privé
qui est pourvoyeur d’emplois dans le monde entier. Donc, dans tous nos pays,
les gouvernements doivent prendre pour partenaire le secteur privé. Et ils
doivent discuter périodiquement avec les responsables du secteur privé pour
qu’ils leur exposent leurs difficultés, leurs problèmes. Le secteur privé ne va
pas forcément demander de l’argent. Mais, il y a des réglementations qui
existent pour créer une entreprise, pour créer quelque chose. Il faut voir la
façon dont les gens sont reçus dans les Administrations. Lorsque quelqu’un
vient chercher de l’information pour créer une entreprise, il faut être rapide
avec lui. La conception répandue, c’est que c’est quelqu’un qui a de l’argent,
il n’a qu’à rester là. Ou bien, on fait des choses pour le décourager et le
démotiver.
On a du mal à donner aux PME/PMI toutes les satisfactions possibles.
Les banques classiques ne sont pas outillées pour accompagner les PME/PMI
parce qu’elles répondent à des normes de régulation rigides de la banque
centrale. Ce qu’il faut faire, c’est créer une structure spéciale dans laquelle
l’État peut mettre 500 millions ou un milliard. Il faut aider les PME, parce
que dans beaucoup de pays, selon les règles légales, elles commencent à
travailler et un an après, elles doivent payer les charges sociales, elles doivent
payer les impôts, comme les grandes entreprises qui existent depuis 10 ou 20
ans et qui prospèrent. Les PME, elles, vont s’endetter pour créer quelque
chose. Cet apport de l’État va les aider et les accompagner. L’État doit
donner un an, ou deux, ou trois à ces PME-PMI pour les aider, pour qu’elles
ne paient pas les charges sociales et les impôts la première année, les
exempter de certaines règles. Ce sera un accompagnement précieux, efficace,
pour aider ce secteur privé. En retour, l’État va constater que les emplois
seront créés. Donc, l’État va gagner plus que les millions qu’il aura mis dans
cette structure. Il faut oser. Le problème de l’Afrique, c’est cela. Il faut oser
des réformes.
Les politiques n’ont pas encore compris que c’est la création de la
richesse qui va développer l’Afrique. Ils pensent plutôt que c’est la politique
qui va tirer l’Afrique vers le haut. Je suis pour que le secteur privé, grand
pourvoyeur d’emplois, soit la priorité numéro un en Afrique. On n’a pas
besoin de porter des lunettes pour le voir. C’est vrai que les autres ne
viendront pas nous le dire puisqu’ils n’ont pas intérêt que nous le
comprenions. Ils font d’ailleurs des efforts considérables pour que le secteur
privé soit toujours exclu de la liste de nos priorités. Mais, comment inverser
cette tendance ?
Les capitaines d’industrie ont le devoir de se battre en matière de
lobbying pour positionner l’entreprise africaine au cœur de tout processus de
développement économique. Les pouvoirs publics ne conçoivent pas
l’entrepreneuriat comme la planche de salut de nos sociétés, car cela ne fait
pas partie de leurs logiciels. En s’organisant comme des forces de
proposition, ceux qui agissent sur le terrain de l’entreprise vont convaincre
les décideurs dans les exécutifs ainsi que les parlementaires de l’importance
de l’entreprise privée.
Pour obtenir leurs lettres de noblesse, les entreprises africaines doivent
être gérées selon les règles de l’art. Il ne faut pas tirer prétexte de ce qu’on est
Africain pour justifier le manque de rigueur ou de responsabilité. Au sein des
équipes, la formation doit être permanente. Envoyer des collaborateurs suivre
un module dans des centres de référence au moins une fois par an est la clé
du succès. Un travailleur qui n’a pas été formé au cours des deux dernières
années est inutile voire dangereux. Dès que l’entreprise atteint une certaine
taille, il devient nécessaire de créer une académie professionnelle pour ses
cadres. J’ai longtemps soutenu cette idée et dès que cela a été possible,
Ecobank l’a mise en œuvre ; elle dispose d’un centre de formation au sein des
locaux à Lomé, centre qui accueille les cadres des 35 pays africains où la
banque est implantée. Cela n’est pas seulement un moment de mise à jour des
connaissances, c’est également une occasion unique de décloisonner
l’Afrique ; réunir en un seul endroit des Tchadiens, des Congolais, des
Nigériens, des Ghanéens, des Ivoiriens et j’en passe, voilà une manière
exceptionnelle de promouvoir le panafricanisme. Cela sème la graine de
l’unité africaine dans les mentalités des jeunes. Je crois qu’il revient aux
entreprises privées de faire tomber les barrières que certains gouvernements
africains érigent entre les pays. Mais, seules des entreprises grandes et fortes
peuvent le réaliser. Une fois de plus, c’est en se mettant ensemble que cela
devient possible.
À partir du moment où je prône des entreprises panafricaines grandes,
il faudrait que les choses s’effectuent dans les règles de l’art. Naturellement,
cela signifie la diminution à sa portion congrue de l’intrusion de la famille
dans la gestion de l’entreprise. Le continent est la nouvelle cellule familiale
dans le panafricanisme économique. C’est l’Afrique qui devient la famille.
Ce n’est plus la famille biologique, trop petite, qui doit motiver le bâtisseur
économique. La famille africaine contient en elle-même les freins à
l’épanouissement de l’entreprise. Le problème est qu’une fois l’entreprise
créée, les membres de la famille demandent à y travailler, même s’ils ne sont
pas compétents. Il faut éviter cette confusion. L’entrepreneur a le devoir
d’être assez ferme pour éviter que des gens qui n’ont pas le profil de l’emploi
s’y retrouvent. D’accord pour embaucher frères et cousins, mais à la
condition qu’ils soient à la hauteur de la tâche. Ce qui doit primer dans le
recrutement, ce n’est pas la confiance, mais la compétence.
Il faut absolument laisser le paternalisme à la maison. Il faut gérer
l’entreprise dans les règles de l’art, la compétence, la discipline, la rigueur.
J’ai appliqué la même discipline dans toutes les entreprises que j’ai dirigées,
à savoir, mettre une croix sur le recrutement de mes propres enfants. Quand
je suis là, mes enfants savent qu’ils ne peuvent pas postuler ; leur présence
suffit pour ouvrir des passe- droits et c’est cela que je veux éviter. Mais, une
fois que je ne suis plus là, ils peuvent se présenter au recrutement. Je ne veux
pas donner l’impression de mélanger les genres, cela porte atteinte au
professionnalisme et à la rigueur.
Généralement, la famille est large et la pauvreté ambiante,
l’entrepreneur est souvent distrait par des cousins, des cousines, des nièces
qui demandent de l’argent. Il faut choisir : soit donner du poisson, soit
apprendre à pêcher. Quand un jeune se présente, je l’envoie chercher du
travail, déposer des demandes par-ci, par-là. La recherche du travail doit être
méthodique et persévérante. Si je lui donne de l’argent aujourd’hui, demain,
que fera-t-il ? Les jeunes se présentent souvent en disant j’ai un projet, je
veux des financements. Ce qui n’est pas interdit, mais je les oriente vers les
services spécialisés, sachant que là-bas, le soi-disant dossier sera évalué de
fond en comble avant toute intervention. L’aide systématique ne peut pas
aider l’Afrique, que ce soit au niveau des États ou au niveau des individus. Je
préfère aider chacun à comprendre le chemin qui mène vers la richesse, ainsi,
il sera autonome et gagnera autant qu’il voudra. Pour ce qui est des
conditions de vie, il est nécessaire de donner un coup de pouce à la
collectivité chaque fois que cela est nécessaire. Cette aide-là, je n’hésite pas à
la donner. Il s’agit de définir les conditions qui peuvent libérer la dignité des
uns et des autres. Les populations de mon village natal, Djondo-Kondji, ont
tous l’eau courante, ils bénéficient de l’éclairage public, d’écoles et de routes
pour rallier les villages voisins.
J’aime partager. Et je connais ce village et les souffrances de ses
habitants. J’ai voulu y apporter du soulagement. Il faut à partir de ce moment-
là que chacun saisisse la perche et s’appuie sur ces conditions pour émerger
et prendre sa route. Il est impensable de conduire un homme à sa destination
finale. Le plus important pour lui serait de le mettre sur le bon chemin ; il
apprendra beaucoup sur la route. Ce n’est pas l’argent l’important. C’est
plutôt aider les autres à réussir. Je le fais et je continue de le faire. C’est mon
idéal.
Cette éducation de création, de prise de risque, d’audace est celle que
j’ai reçue et c’est également celle que j’inculque à mes enfants. Je n’ai pas
hésité à les corriger quand cela était nécessaire. Avec certains discours en
provenance d’Europe sur le châtiment corporel, on se demande ce que nous
serions devenus sans cela. Le laxisme ne peut pas élever un enfant. Quand on
voit ce qui se passe aujourd’hui dans la vie quotidienne, sur le plan moral, le
plan civique, on ne voit plus les choses comme avant. Mes 9 enfants sont tous
dans la vie active aujourd’hui. Et ils m’appellent chaque jour pour me dire
merci, car ils comprennent que sans la chicotte, ils ne seraient pas devenus ce
qu’ils sont aujourd’hui. J’ai puni mes enfants même jusqu’à l’université. Ils
étaient surpris, mais je savais qu’ils comprendraient un jour. Bien sûr que la
chicotte ne suffit pas. Il faut recourir à tous les moyens pour que l’enfant
comprenne, y compris les récompenses, les flatteries, mais si tout cela n’est
pas accompagné de la chicotte, l’éducation est mal partie.
Mes enfants comprennent tellement le bien-fondé de ce que j’ai eu à
leur infliger comme corrections paternelles qu’ils le racontent à leurs enfants
qui sont mes petits-enfants. Et quand ceux-ci viennent me voir, à l’occasion
des congés ou des vacances, ils traitent papi de méchant homme. Mais, je n’ai
plus assez de force pour refaire le même travail sur mes petits-enfants. Or,
mes enfants ne recourent pas à la chicotte aujourd’hui et c’est regrettable. Ils
préfèrent les conduire au commissariat de police. Quelles sont ces âneries-là !
En définitive, c’est par son comportement exemplaire que le bâtisseur
se positionne comme l’apôtre de l’entreprise privée panafricaine. Sa gestion
exemplaire va parler aux pouvoirs publics et aux décideurs. Quand on
consulte la liste des Objectifs du millénaire pour le développement, on a des
choses comme l’élimination de l’extrême pauvreté et de la faim, l’éducation
primaire pour tous, la lutte contre le VIH Sida et le paludisme. Où est la
création d’emplois ? Où est le renforcement du secteur productif ? Où est
l’industrialisation ? Si vous créez des emplois, si vous transformez la matière
première, si vous bâtissez un secteur privé fort, y aura-t-il encore le
paludisme ? Tout le monde sait que le paludisme est la conséquence de la
promiscuité et d’un environnement malsain. Achetez des tonnes de
moustiquaires imprégnées, cela ne changera rien aux marécages qui
continueront de produire des anophèles femelles par milliers. Le mérite des
moustiquaires imprégnées c’est que leur commerce massif enrichit les firmes
occidentales qui les produisent. Et on en aura toujours besoin, car les
marécages sont toujours là. Les objectifs pareils sont à mille lieues de nos
priorités. Ma génération l’avait déjà compris, mais il faut que celle-ci la
combatte. Bill Gates lutte contre le paludisme et Toni Elumelu finance des
start-ups, c’est magnifique. Quelle est la plus grande entreprise américaine et
par ricochet la plus grande entreprise au monde ? C’est Google. Elle est
d’ailleurs suivie par une autre américaine, Apple. Toutes deux sont des
entreprises innovantes, qui n’exploitent pas les ressources naturelles. En
Afrique, c’est Sonatrach qui est la meilleure. Elle est suivie de Sonagol, des
entreprises pétrolières. Avec la baisse des cours du pétrole sur le marché,
elles auront du mal à tenir leur rang. En général, les économies qui ont fondé
leur croissance sur la vente des ressources naturelles sont mises à mal. C’est
maintenant qu’on envisage l’économie autrement. C’est trop tard, le seul
problème c’est que la gestion a une vision de court terme. Les pays qui ont le
pétrole et qui le vendent beaucoup doivent penser comme des pays qui n’en
ont pas.
L’agriculture demeure prioritaire, l’innovation s’ajoute à l’agriculture.
Cultiver la terre et regarder vers l’avenir, voilà ce qu’il faut faire. Les pays
qui ont abandonné l’agriculture une fois qu’ils ont découvert le pétrole dans
leur sous-sol le regrettent aujourd’hui que les prix du pétrole ont baissé. Ils
sont en faillite. Avoir le pétrole ne justifie pas qu’on refuse de diversifier
l’économie. Et même à considérer que le prix du pétrole demeure
éternellement fort, qui en bénéficie vraiment, à part les dirigeants qui ont le
privilège d’être au pouvoir, qui le vendent et font des retombées ce qu’ils
veulent ? Par exemple, ils placent les fonds dans les banques des paradis
fiscaux tandis que le bas peuple ne voit rien. Or, avec l’agriculture, tout le
monde trouve son compte, les produits alimentaires étant abordables.
Je suis fier de la résidence du Bénin que j’ai construite à Lomé sur
mille hectares quand je pilotais la Caisse de la prévoyance sociale. Cela a
réglé beaucoup de problèmes et fait de la capitale une ville avec une
extension vers le nord-ouest. Faire cela n’a pas été facile, le gouvernement
m’avait sermonné, on m’avait appelé à un Conseil des ministres parce que
j’avais réglé tous les propriétaires. Et cela a été un investissement rentable de
la Caisse pour protéger ses réserves. Ces villas ont été louées pendant
plusieurs années et puis vendues à des prix astronomiques.
Passons à la zone franche industrielle, une telle initiative a pour but de
permettre aux entreprises soit de produire soit d’importer dans des conditions
particulièrement bénéfiques, notamment l’exonération des taxes et des
impôts. Une telle incitation a attiré des gens qui avaient de l’argent pour
investir ; je pensais à Dubaï, la plus célèbre des zones franches. C’est comme
des boutiques hors taxe. Ce n’est pas pour les résidents, c’est pour ceux qui
sont de passage, la fonction étant de promouvoir l’activité touristique.
Parallèlement à leur visite, ils prennent des chambres d’hôtel, visitent les
musées, consomment des mets locaux, etc.
Évidemment, c’était la période de l’ajustement structurel où le casse-
tête numéro un, un peu partout, c’était ces entreprises publiques qui
essuyaient des pertes si énormes que la Banque mondiale avait décidé de leur
assainissement en commençant par leur fermeture. C’est sous la pression que
j’ai donc accepté d’entrer au Gouvernement. L’équipe gouvernementale a fait
du bon travail, j’ai nettoyé les portefeuilles du secteur public. J’ai beaucoup
assaini. Ainsi, le ministre ivoirien chargé de la Privatisation est venu passer
une semaine avec moi. D’autres pays nous envoyaient aussi leurs ministres,
je travaillais beaucoup avec la SFI. Là, j’ai eu à créer la première zone
franche d’importation et d’exportation du Togo. J’ai consolidé la gestion des
différentes entreprises publiques que j’ai gardées non seulement avec la
direction structurelle, mais aussi avec le conseil des administrateurs et j’ai
revu leurs salaires. J’ai reconsidéré les choses dans les règles du secteur
privé.
La principale difficulté à laquelle j’ai été confronté en travaillant dans
le secteur public, c’est la mentalité de la non-redevabilité. C’est en fait une
faiblesse de penser que l’on n’a pas besoin d’être responsable, de rendre
compte. Et pourtant, il n’est dit nulle part que le secteur public n’a pas
l’obligation de rendre compte. Mais, c’est le sentiment que j’ai eu lors de
mon passage au milieu des fonctionnaires.
Le dirigeant du secteur privé rend compte à ceux qui ont investi dans le
business. Les fonctionnaires estiment que le bien qu’ils gèrent appartient à
l’État, donc ils peuvent le gérer comme ils le veulent. C’est une erreur. Je ne
me contente pas de l’affirmer. En tant que directeur général de la Caisse
nationale de la sécurité sociale au Togo, j’ai imposé les méthodes de gestion
de l’entreprise privée. Pour instaurer la discipline, j’ai mis en place un
système de pointage. En matière de rigueur, dès qu’un dirigeant arrive, il a
peu de temps pour imprimer sa marque. Il lui faut un acte fort, tout de suite,
pour que chacun comprenne le cap qui est fixé et s’apprête à rentrer dans les
rangs ou à quitter le navire. La gestion des hommes et des biens doit se
soumettre au sérieux. Telle est la raison pour laquelle j’ai mis en place un
système de pointage pour tous les travailleurs, y compris pour moi. Et ça n’a
pas été facile parce qu’à la Caisse, j’avais comme employées la femme du
vice-président, les femmes de ministres et bien d’autres femmes influentes.
Les gens avaient pris des habitudes de libertinage et de laisser-aller. Les
militaires, en particulier, casaient leurs maîtresses dans les services. J’ai sifflé
la fin de la récréation, car pour être rentable, une entreprise, fût-elle publique,
parapublique ou privée, doit être soumise à des règles strictes. On ne peut pas
accepter que des gens soient recrutés sur la base de critères autres que la
compétence.
Cela a fait beaucoup de bruit et tout le monde a vu que j’étais cohérent
et déterminé. Et finalement, tout le monde a pointé, y compris la femme du
vice-président. Je me souviens clairement de la réaction du vice-président. Il
n’était pas content. Mais est-ce qu’un dirigeant qui a des objectifs à atteindre
doit se soucier de l’humeur d’un vice-président ? Quand tu as des objectifs, tu
dois foncer droit devant toi, définir des méthodes de travail, suivre les
équipes, évaluer périodiquement, procéder à des recadrages chaque fois que
cela est possible. Comment faire évoluer les mentalités si ceux qui ont des
idées en place acceptent le nivellement par le bas, cèdent aux caprices de
ceux qui n’ont pas de vision ?
Ce n’est pas la seule réforme que j’ai apportée dans cette entreprise. La
Caisse est une structure liée au secteur privé et qui vit des ressources des
cotisations des employeurs et travailleurs. J’ai créé des pensions des
accidents du travail. J’ai rendu obligatoire la protection contre les accidents
du travail pour toutes les entreprises. J’ai changé le nom de la structure en
1968 pour la rebaptiser Caisse nationale de sécurité sociale. Nous avons trois
régimes : l’allocation familiale, les accidents du travail et la pension vieillesse
obligatoire. J’ai également eu à réaliser un ensemble immobilier sur près de
1000 hectares qui, aujourd’hui, est un lieu pratiquement recherché par les
Togolais qui sont à l’étranger ; c’est en location-vente.
Ma gestion a été tellement impressionnante que, lorsque j’ai quitté la
CNSS en 1974 pour prendre la direction de Paris et retrouver l’entreprise où
j’avais commencé à travailler, le président m’a ramené au pays. Cette fois,
j’ai été nommé à la tête de la Société commerciale Ouest-africaine. J’en étais
le directeur général en charge des activités au Togo, avec également des
missions de supervision et de contrôle des filiales du Bénin, du Niger et du
Burkina Faso. En deux ans, j’ai doublé les chiffres d’affaires. Le groupe
comptait plusieurs surfaces dont une supérette de 400 m2. Il m’est venu une
idée géniale, construire un grand magasin. Je l’ai fait sur 5000 m2. La grande
surface attirait du beau monde. Des Ghanéens, des Nigériens ou encore des
Béninois y venaient assez nombreux. Le samedi était le pic des bénéfices.
Je connais un grand entrepreneur qui a démontré que, sans entrer dans
politique, le bâtisseur d’entreprise peut aider les dirigeants politiques à bien
faire leur travail : Mo Ibrahim. Nous nous sommes vus à New York en 2013,
quand le magazine African Business m’a décerné un prix spécial pour
récompenser ma carrière exemplaire. Nous avons fait connaissance. Je l’ai
félicité. Nous nous sommes revus en 2015 à Genève. J’apprécie le prix qu’il a
initié pour encourager les chefs d’État africains à quitter le pouvoir à la fin de
leurs mandats. C’est une heureuse initiative. C’est un monsieur qui défend
l’Afrique comme il faut.

5) Faire Face Aux Freins Internes


Tout le monde aimerait que je dise que le patron d’une grande
entreprise qui crée des milliers d’emplois et paie des milliards d’impôts est vu
comme un messie. Mais, ce n’est pas vrai, les choses sont tout à fait
différentes. Le monde de l’initiative privée est féroce. En tant que président
du conseil d’administration d’Ecobank, j’ai vécu des moments de discorde
profonde avec le président Eyadema. Nous avons eu à remplacer le directeur
général par un recrutement qui s’est avéré négatif parce que le monsieur
n’était pas à la hauteur de la tâche. Quand le conseil d’administration a décidé
de le faire partir, il s’est allié à deux ou trois administrateurs du Nigeria pour
défendre sa position. Comme si cela ne suffisait pas, il est allé voir le
président Eyadema pour lui dire que s’il faisait tout pour le maintenir aux
fonctions de directeur général d’Ecobank, il obtiendrait tout ce qu’il désire,
mais aussi ce qu’il n’a jamais rêvé d’obtenir d’Ecobank.
Nous étions en plein ajustement structurel. Ce monsieur savait que le
président m’appelait de temps en temps pour réclamer 5 milliards par-ci, 10
milliards par-là, toujours en présence de son Premier ministre. Mais, je lui
répondais naturellement qu’Ecobank ne pouvait pas faire cela, parce que nous
avons le siège ici, certes, mais que je suis obligé d’amener cela au conseil
d’administration. J’avoue que c’était vraiment gênant autant pour lui que
pour moi, parce que pour avoir le siège ici, je m’étais personnellement battu
et il m’avait aidé en signant « l’accord de siège ».
Évidemment, j’étais tenu d’informer le conseil par souci de gestion
rigoureuse et efficace. C’est cela la force du gestionnaire, l’honnêteté qui doit
le guider. Comme ce directeur général avait lu les délibérations
confidentielles du conseil d’administration, il a vu Eyadema pour prétendre
que je suis le méchant, celui qui bloque tous les dossiers. D’où sa proposition
indécente. Alors, Eyadema me demanda plusieurs fois, avec une insistance
qui m’étonna, de le conserver. Ça a été un combat terrible et c’est cela qui a
conduit au redressement fiscal. Quand j’ai obtenu son licenciement, Eyadema
ne l’a pas digéré. Ça a été le déclic du redressement fiscal.
Il est de notoriété qu’en Afrique, les taux d’imposition fiscale sont
parmi les plus élevés au monde. Il faut lever cette barrière à l’échelle de
l’entreprise. C’est une situation anormale. C’est pour cela que je disais que
les gouvernements doivent accorder au secteur privé une place de choix. Il
faut des relations et un partenariat solides entre le secteur public et les
entreprises de façon à adoucir les conditions fiscales. Mais, le problème le
plus préoccupant n’est pas tant le taux d’imposition fiscale, c’est le
comportement des fonctionnaires. Non contents de ne pas respecter le travail
accompli par les entrepreneurs privés, ils activent l’arme fiscale pour les tuer.
Combien d’entreprises ont dû fermer la porte parce que le fisc les a
asphyxiées par le truchement de redressements fiscaux à n’en point finir ?
Mais, l’impôt n’est pas véritablement la seule chose qui soit en cause.
C’est le harcèlement fiscal qui est le grand méchant. Comme le président
Eyadema a constaté que je ne voulais pas reculer ni conserver le directeur
général d’Ecobank, il a prescrit le redressement fiscal. Je disposais d’une
société immobilière, qui louait des appartements, des magasins, des garages.
Quand les promoteurs français de la Scoa avaient décidé de quitter l’Afrique,
ils avaient vendu leurs actifs à des nationaux. Je faisais partie des acquéreurs.
J’en étais le principal d’ailleurs. J’avais fait preuve d’audace en empruntant
de l’argent à la banque pour acquérir un hypermarché, un garage automobile,
ceci longtemps avant le lancement même d’Ecobank.
Pour des raisons d’acharnement personnel, le président a fait voter une
loi qui s’appelait anti enrichissement illicite. En Afrique, le succès est un
délit. Ce n’est pas tout le monde qui vous regarde réussir en souriant. Alors si
vous percez, votre tête va dépasser et il faut la couper, en vous cherchant des
poux dans la tignasse. Maintenant, on met un prétexte politique en place et on
ne cherche pas la réalité. Qu’est-ce qui s’était passé ?
Cette entreprise-là n’a pas eu la chance de tomber au moment où j’étais
dans les bonnes grâces du président Eyadema. Les choses avaient changé. Par
le passé, nous avions fait chemin ensemble. Je fais du reste partie de ceux qui
ont aidé Eyadema après son coup d’État en 1963 à créer un parti politique, le
Rassemblement pour l’union et la réconciliation. Mais, comme je suis de
nature à réclamer le droit à la discrétion, je me suis retiré une fois que tout
était en place. Il a voulu poser un acte fort pour que je comprenne que je
n’aurais jamais dû me retirer.
Eyadema a voulu que je m’investisse à fond en politique, que je finance
le parti, chose que j’ai refusée. Il a plié le petit doigt. Sa colère m’est tombée
dessus à bras raccourcis. Il a ordonné alors un redressement fiscal arbitraire et
exigé 510 millions de FCFA. Comme si cela ne suffisait pas, l’on m’a donné
48 heures pour payer. Quel est ce pays dans lequel un tel montant est exigé à
un entrepreneur en 48 heures ? Ailleurs, tout est fait avec précaution et
flexibilité pour sauvegarder l’entreprise. Mais au Togo, il n’y avait pas de
tact. Une loi est adoptée à la tête d’un client sans négociation. Les gendarmes
ont débarqué, et Dieu merci, je me suis battu pour trouver en 48 heures un
chèque et quand ils sont venus, c’était pour me mettre aux arrêts et me
conduire en prison. Voilà le but de la loi, emmener les gens en prison.
Aucune preuve de l’enrichissement illicite n’est apportée.
La grande surface qui avait coûté presque 600 millions, en 1976, a été
bradée à 125 millions. Le garage, construit sur un hectare, qui avait coûté à
l’époque 700 millions, fut bradé à 400 millions. Or, dans une entreprise,
l’argent n’appartient pas à une seule partie prenante. L’argent vient de la
banque, mais aussi des actionnaires. J’ai donc été obligé d’arrêter les activités
et de fermer boutique. Ce qui m’a le plus chagriné, c’est que la grande
surface a été cédée à un Indien. Nos politiques tuent la poule aux œufs d’or.
Tu obstrues la voie à un entrepreneur national pour ouvrir un boulevard à un
étranger ! J’ai perdu cette affaire comme cela ! Je dirais bêtement,
simplement parce que j’ai refusé de donner de l’argent pour soutenir le parti
au pouvoir. Ce redressement fiscal a été opéré en violation de la loi, car la
période au cours de laquelle l’entreprise allait payer son impôt était en cours.
On ne pouvait donc pas logiquement parler de redressement fiscal. De plus,
la contre-expertise fiscale que j’ai fait réaliser par un cabinet indépendant a
conclu que la somme querellée était de 25 millions de francs au plus,
pénalités comprises, car le redressement en lui-même avoisinait à peine 18
millions.
Voilà ! Les pouvoirs publics auraient dû être mon seul soutien, mon
seul rempart, mais les fonctionnaires, et surtout, les dirigeants politiques ont
été plus implacables que les multinationales européennes contre moi. Parce
que l’entrepreneur manifeste son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique
en fonction, les dirigeants ferment son entreprise, sans aucun souci du
nombre d’emplois en jeu. La raison d’être de mon témoignage est, que les
jeunes sachent que rien ne leur sera donné, qu’ils devront combattre même
contre leurs propres frères qui détiennent le pouvoir politique. Mais, ce n’est
pas une raison pour baisser les bras. Sur-le-champ, des proches m’ont dit de
tout laisser tomber au Togo et d’aller dans un autre pays africain pour
recommencer. Mais, j’ai pris du recul, je n’ai pas écouté ces voix. Je me suis
dit : Si tu y vas et que l’histoire se répète, que feras- tu ? Tu iras de pays en
pays, au gré des déceptions ? À ce sujet, disons que plus le temps passe, plus
j’ai bravé ce souvenir et regardé de l’avant. Voilà pourquoi aujourd’hui, vous
avez Ecobank, Asky Airlines, etc. Il ne faut jamais baisser les bras, pour rien
au monde.
Avec du recul, je voudrais conseiller plus de réalisme à l’entrepreneur.
Des cas d’acharnement pareils, on peut encore en trouver, les dirigeants
politiques en Afrique francophone continuant de regarder les entrepreneurs
comme des menaces, des gens qu’ils doivent soumettre ou tuer. Les
dirigeants politiques des pays africains anglophones sont respectueux de
l’entrepreneuriat, car ils savent ce que vaut l’effort d’entreprendre et de créer
la richesse. En attendant que cela soit le cas dans tous les pays africains, il
faut que l’entrepreneur des pays francophones soit assez discret pour ne pas
afficher un parti pris préjudiciable à certains de ses clients et partenaires,
assez réaliste pour concéder des gestes en direction du pouvoir séculaire,
mais surtout assez déterminé pour ne pas transiger sur certaines questions.

6) Combattre Le Danger Des Phallocraties


Je suis un grand collectionneur d’objets d’art. Il se passe que la
majorité des œuvres d’art disponibles dans mes musées représentent la
femme africaine. Je n’ai jamais fait exprès de préférer des toiles ou des
sculptures qui présentent la femme africaine dans sa beauté et sa splendeur.
Chaque fois que je vais acheter un tableau, je suis motivé par la beauté. Il n’y
a pas longtemps, quelqu’un m’a suggéré, pour avoir fait le tour de mes
musées, d’organiser une exposition sur la femme africaine. C’est à cet
instant-là seulement que j’ai moi-même remarqué que mes musées étaient
dominés par la figure de la femme africaine. Aujourd’hui, quand j’y pense,
j’estime certainement que cela remonte à mon enfance ; je n’ai pas vu ma
mère. J’avais à peine quatre ans quand elle a quitté ce monde. Cela a
constitué un vide de tendresse et d’amour. J’ai l’impression que ce vide me
poursuit. Peu importe, je prends à mon avantage l’amour de la femme
africaine pour constater que dans les milieux politiques et d’affaires en
Afrique, les hommes ont tendance à écarter la femme au prétexte qu’elle ne
peut pas suivre le rythme. Chaque fois que j’en ai eu l’occasion, j’ai insisté
sur le rôle de la femme dans la création de la richesse. Il faut lui donner la
chance de faire ce qu’elle sait faire. C’est une erreur de vouloir se développer
sans elle. Ce que je dis n’a rien à voir avec la mode sur le genre. C’est vrai
que la plupart des projets ne peuvent rouler que si les femmes y sont
saupoudrées. Les financements suivent le respect du genre. Mais, en réalité,
cette façon de faire figurer la femme pour décrocher des financements est une
forme de phallocratie déguisée. À bien y regarder, ces femmes ne sont que
des faire-valoir. Elles ne disposent d’aucun pouvoir de décision ni d’aucune
considération. Dans certains pays, on compte le nombre de femmes à
l’Assemblée nationale, on dénombre les femmes ministres. Mais, on se rend
vite compte que la sélection des femmes a répondu à des critères
phallocratiques ! Généralement, on ne choisit que des femmes susceptibles de
faire de la figuration, des femmes trop heureuses de briller qu’elles n’ont pas
besoin de jouer un rôle de fond.
Alors les femmes, d’abord les 95% qui évoluent dans le secteur
informel. Elles y tiennent courageusement des activités qui font tourner
l’économie et vivre des familles. Il ne faut pas continuer à l’ignorer. Au
contraire, il faut penser à une source de financement adaptée à ce qu’elles
font. Donner l’autonomie financière à la femme africaine c’est relever la
famille africaine.
Qu’est-ce que nous voyons partout dans nos pays africains ? Des
coutumes rétrogrades qui disposent que les femmes n’ont pas le droit
d’hériter, de posséder la terre ou d’acheter des terrains. Non ! Il faut arrêter
cela, la femme a les mêmes droits que l’homme.
J’ai parlé du décloisonnement des sociétés africaines. Mais, les clivages
ne sont pas que linguistiques. Ils tiennent également du fait de mettre la
femme de côté, de la regarder avec commisération, de méconnaître son rôle,
voire son avantage comparatif. Quand j’ai ouvert Goyi Score, 5000 m2 de
surface, je venais de quitter une supérette de 400 m2 et là c’était de jeunes
hommes qui étaient à la caisse et on avait des problèmes sans cesse : des
pertes et des vols de choses qui devenaient assez récurrentes. J’ai donc
rassemblé le personnel sur le chantier du nouveau magasin ; j’ai informé tout
le monde que les jeunes femmes seront désormais chargées de la gestion de la
douzaine de caisses que comptait le supermarché et que je les enverrai en
formation et j’en ai expliqué les raisons. Du coup, les hommes n’étaient pas
contents. L’un d’eux avait pris son courage à deux mains et j’avais d’ailleurs
apprécié ce courage ! Il nous avait fait rire jusqu’aux larmes, en déclarant :
Patron, c’est vrai ce que vous dites, nous prenons de l’argent dans les
caisses, mais quand on prend ça on remet aux femmes.
La femme n’a pas tendance à faire ce genre de chose. Je ne sais pas sur
quel plan nous pouvons l’expliquer, mais je me dis souvent que la femme est
plus soucieuse à partir de son corps. Et cela l’amène à se protéger. Dans
n’importe quel pays, au niveau de n’importe quelle religion, catholique,
protestante et musulmane, pentecôtiste, regardez attentivement, les femmes
sont majoritaires. Plus scrupuleuse, moins audacieuse, elle a plus tendance à
craindre Dieu, à se protéger, à protéger sa famille, ses enfants, son mari.
Nous avons intérêt à nous rapprocher de cet idéal en faisant plus confiance à
la femme. Une société qui veut avancer sans la femme, qui la laisse à la
maison et lui ôte le droit à la parole va diminuer ses chances de réduire la
corruption.
CHAPITRE VII: LA
JUSTICE, UN CAILLOU
DANS LA CHAUSSURE DE
L’ENTREPRENEUR
Par Paul K. Fokam
La justice, un caillou dans la
chaussure de l’entrepreneur
Nous avons relevé dans un chapitre précédent que l’entreprise est la
cellule par excellence de création de richesses. Or, la justice est l’un des trois
piliers de l’entreprise, les autres étant l’homme et la finance. Sans une justice
impartiale capable d’assurer l’équilibre entre prévention, sanction, réparation
et protection des biens et des personnes, aucune entreprise ne peut ni se
développer ni survivre. Pour assurer cette mission, la justice doit être
indépendante, impartiale, rapide et équitable.
De L’indépendance De La Justice
Ce principe garantit aux justiciables que l’acte de juger échappera à
toute pression. Il se traduit par la séparation des pouvoirs. Mais, à l’examen
de la réalité des faits dans la grande majorité des pays francophones
d’Afrique, on s’aperçoit que le pouvoir exécutif domine le pouvoir judiciaire
en ce sens que le président de la République est souvent le président du
Conseil supérieur de la magistrature.
De plus, dans certains cas, le président de la Haute Cour de justice ne
siège pas au Conseil supérieur de la magistrature. Or, cet organe est celui qui
juge, nomme, avance ou révoque les magistrats. Cette suprématie de
l’exécutif sur le judiciaire donne au chef de l’exécutif une influence excessive
sur l’autorité judiciaire. Dès lors, il devient difficile de parler de
l’indépendance du pouvoir judiciaire. Le juge ayant perdu le pouvoir « divin
» que lui attribue la Constitution.
De L’impartialité Du Juge
À côté de l’indépendance de l’institution, il y a une exigence
déontologique et éthique inhérente à toute fonction juridictionnelle. Elle
désigne l’absence de préférence a priori de la part du juge. Celui-ci est ainsi
appelé à éviter d’avoir un parti pris vis-à-vis d’un justiciable, et au détriment
d’un autre. La question est de savoir si le juge possède cette vertu en Afrique.
Rien n’est moins sûr.
La Dépendance De La Magistrature Vis-À-Vis De
L’exécutif
La dépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis du pouvoir exécutif est, à
mon sens, à l’origine de plus de 50% de l’incapacité de la justice à soutenir le
secteur productif des pays africains et donc à favoriser la création de
richesses. Cette dépendance est consacrée dans les pays subsahariens
francophones par l’instauration du poste de procureur de la République dans
les différents tribunaux dont l’avis, sans lier automatiquement le juge, est une
condition sine qua non de la prise de décision par celui-ci. Mais le drame est
qu’il est possible de voir, pour une même affaire, le procureur de la
République prendre trois décisions contradictoires. La première est la
conséquence de l’application stricte de la loi et de son intime conviction, en
déclarant la décision nulle et de nullité absolue. Mais, après l’instruction
reçue de ce qu’on a l’habitude d’appeler la « hiérarchie », le procureur va
totalement changer sa position et dire que la première décision est conforme
sur certains points à la loi et qu’il y a lieu de l’annuler en partie. Lorsque la
partie de la décision considérée à tort comme non nulle revient devant le juge,
le même procureur de la République va, afin d’éviter de trop se contredire,
déclarer la plainte irrecevable. C’est la formule magique pour clôturer le
dossier sans dire le droit. Dès lors, le citoyen qui croyait pouvoir obtenir la
réparation des torts qui lui ont été causés soit par la communauté, soit par un
membre de la communauté est éconduit. La perte de confiance en la justice
naît et grandit ; la paix cède à la violence, à l’insécurité, à la loi du plus fort.
Le pays devient progressivement le nid de toute sorte de sectes extrémistes
qui miroitent aux damnés de la terre le paradis dans l’au-delà. Dans ces
conditions, on ne devrait plus s’étonner de voir transformer un espace
économique hier prometteur en une jungle où il est impossible de développer
des activités créatrices de richesses nécessaires à l’épanouissement de chacun
et de tous. On crée par contre les conditions d’une paupérisation permanente.
La justice qui était supposée garantir la paix et la sécurité dans la nation
devient le rouleau propulseur du désespoir, de la violence et de l’insécurité
généralisée.
L’équité
L’équité peut être définie comme une appréciation juste et sans
équivoque de ce qui est dû à chacun. C’est une forme d’organisation sociale
qui tient compte non seulement des inégalités entre les membres, mais aussi
des besoins vitaux de chaque membre. Elle est indispensable à toute bonne
décision du juge, à l’équilibre, à la paix sociale et au développement
harmonieux des activités économiques. La notion d’équité ne saurait être
confondue avec celle d’égalité qui stipule que les individus ont les mêmes
droits et méritent le même traitement dans la même situation. Dans ce cas, on
ne tient pas compte des différences entre les membres.
Dès lors, on pourrait s’imaginer qu’une institution aussi bien pensée
permettrait de soutenir efficacement l’action de l’entité créatrice de richesses
de la nation qu’est l’entreprise. Malheureusement, l’institution judiciaire,
dans un bon nombre de pays africains, et plus spécialement francophones, est
un véritable caillou dans la chaussure de l’entrepreneur.
Les énormes potentialités économiques dont regorgent la plupart des
pays africains ne peuvent constituer un atout décisif d’attractivité que si la
justice est conduite de façon à protéger l’investissement. En regardant de près
la situation de la justice en Afrique, force est de constater qu’elle est bien
souvent utilisée pour freiner, décourager, voire combattre l’investissement
interne et/ou externe. La justice a une vocation majeure de régulation des
relations économiques dans la mesure où l’entrepreneur, ses partenaires, ses
clients, ses fournisseurs sont appelés à se tourner vers elle pour régler leurs
différends. Si elle ne joue pas ce rôle de régulation de façon efficace, elle
retardera le développement de l’entreprise et donc la création de la richesse.
Pour tout entrepreneur étranger désirant d’investir sur les marchés
africains, les rapports sur les lenteurs judiciaires, les dénis de décision de
justice sont autant de facteurs dissuasifs. Il a la possibilité de déplacer son
investissement vers des cieux plus accueillants. Ce qui n’est pas le cas de
l’Africain qui veut servir sa terre natale, qui veut être utile aux générations
futures. A-t-il le choix de nourrir une terre étrangère au détriment de son
berceau ? A-t-il le choix d’oublier qu’il s’agit du berceau de ses ancêtres et
qu’il doit le transformer en une terre où il fait bon vivre ? Dès lors, on peut
comprendre que l’entrepreneur africain se trouve obligé d’engager une course
de fond avec un caillou dans la chaussure.
Douanes : Tracasseries Administratives Et
Détournement De Biens
Une entreprise industrielle que j’avais créée et qui bénéficiait d’une
exemption des droits de douane à l’importation sur les matières premières a
connu des déboires avec les services de la douane. Sur une position donnée,
l’inspecteur des douanes a refusé d’appliquer la loi et a taxé nos matières
premières au taux de 20%, ce qui donnait un surcoût de plus de 120 millions
FCFA. Ce même inspecteur m’a proposé de lui verser 50 millions pour qu’il
réduise la taxe à 10 millions, ce qui correspond au montant réel que je devais
payer. Lorsque j’ai refusé et ai décidé de payer les 120 millions auprès du
Trésor, il a fait disparaître le dossier. Deux mois sont passés, il se servait du
temps pour faire pression sur moi pour que je le contacte moi-même pour
accéder à sa demande.
Bien entendu, ayant rejeté son offre, il ne me restait qu’une seule
solution, attendre les enchères. Ne pouvant sortir la marchandise parce que
cela aurait exigé le paiement de surestaries rendant le prix trop élevé, j’ai dû
l’abandonner. Et comme c’était une marchandise spéciale, 4 mois après, nous
l’avons achetée aux enchères, par personne interposée, afin d’éviter des
surcoûts inacceptables. Ma plainte contre cet inspecteur s’est soldée par un
non-lieu. Trois autres affaires permettront de mettre en évidence la grosseur
du caillou dans la chaussure de l’entrepreneur africain.
Affaire Excell Travel Tour/Access Bank Côte
D’Ivoire
La société Excell Travel Tour, agence de voyage, était cliente d’Access
Bank Côte d’Ivoire. Dans le cadre de cette relation commerciale, elle a
bénéficié, en dehors de tout engagement écrit, de divers concours financiers,
sous forme de facilités de caisse. Au cours des années 2008 et 2009, ce sont
au total sept facilités de caisse qui lui ont été accordées au cas par cas, tous
des montants inférieurs à 60 millions FCFA. Le mécanisme consensuel qui
induisait ces facilités impliquait, après saisine téléphonique de la société
Excell Travel tour, l’autorisation préalable des gestionnaires d’Access Bank.
Cette autorisation préalable portait notamment sur la date et le montant
du chèque à émettre en règlement d’une opération pour laquelle le solde du
compte était insuffisant. Elle était donnée également sur la base des
promesses de couverture faites par le client. Ce mécanisme aura fonctionné
sans heurts jusqu’à la date du 15 avril 2009, date à laquelle la banque s’est vu
présenter pour encaissement en chambre de compensation par la Citibank
pour le compte de sa cliente IATA, un chèque d’un montant de 299 819 250
F CFA émis par la société Excell Travel Tour.
Toutefois, le solde du compte de la société Excell Travel tour créditeur
ne permettait pas de couvrir le chèque. De plus, le client ne l’avait pas saisie
d’une demande de facilité de caisse. Suite à cet impayé, Access Bank délivre
une injonction valant interdiction bancaire à Excell Travel Tour.
Excell Travel Tour a initié plusieurs actions judiciaires. D’abord devant
le juge des référés. Le client demande la condamnation de la banque à payer
son chèque, sous astreinte pour chaque jour de retard. Le juge des référés
déboute le client de son action, en estimant qu’il n’y a pas de convention de
crédit en place.
Ensuite, au tribunal de première instance d’Abidjan-Plateau. Excell
Travel Tour demande la condamnation de la banque à 700 000 000 FCFA de
dommages-intérêts. Le tribunal estime la demande d’Excell travel tour mal
fondée, la rejette, mais, de surcroît, condamne Excell Travel tour à payer 2
000 000 francs CFA à Access Bank CI à titre de dommages-intérêts pour
procédure abusive et vexatoire.
Excell Travel tour interjette appel contre le jugement n°2851 rendu en
octobre 2010. En raison de la crise politique dans le pays à cette période, l’on
a assisté à la fermeture momentanée de plusieurs établissements bancaires,
dont Access Bank CI. En conséquence, lorsque l’affaire est appelée le 18
février 2011, la banque ne peut pas se rendre à l’audience et présenter ses
moyens de défense. Pourtant, le 29 juillet 2011, la Cour d’appel d’Abidjan
rend son arrêt n°323 qualifié à tort de contradictoire, annulant le jugement du
tribunal et condamnant la banque à payer à Excell Travel Tour la somme de
500 000 000 francs CFA à titre de dommages-intérêts.
La banque se tourne vers la Cour suprême et forme pourvoi en
cassation. Mais, la Cour suprême rejette le pourvoi par arrêt n°394 du 4 juillet
2013. La banque exerce un recours en rétractation devant la Cour suprême
pour obtenir l’annulation de l’arrêt de rejet de la Cour suprême.
Suite à l’arrêt n°394 du 4 juillet 2013 de la Cour suprême, la société
Excell Travel tour pratique une saisie vente en date du 31 juillet 2013 sur les
biens meubles de la banque. Cette saisie porte sur le matériel de travail de la
banque.
Access Bank CI saisit le président de la Cour suprême qui répond le 31
juillet 2013 par une ordonnance de sursis à exécution n° 62/CS/ JP/2013 pour
suspendre l’exécution de l’arrêt de la Cour d’appel. Ce sursis, qui autorisait
également la banque à assigner Excell Travel Tour devant le juge des référés
afin que celui-ci se prononce sur l’exécution en cours, a dûment été notifié à
Excell Travel Tour le jour même.
Le juge des référés annule tous les actes de procédure initiés par Excell
Travel Tour et ordonne la mainlevée de toutes les saisies pratiquées.
Toutefois, sur appel initié par Excell Travel Tour, la Cour d’appel annule
l’ordonnance du juge des référés, et retire tous effets au sursis à exécution
obtenu par la banque contre l’arrêt n°323 de la Cour d’appel.
La banque introduit alors devant le président de la Cour suprême une
nouvelle requête aux fins d’obtention d’un sursis à l’encontre de l’arrêt n°394
du 4 juillet 2013 de la Cour suprême. À l’audience du 6 mai 2014, le
président de la Cour suprême se déclare incompétent pour connaître d’une
telle demande.
La banque est condamnée à payer 500 millions, à Excel Travel Tour
dont le dirigeant a pourtant émis un chèque sans provision et qui devrait,
conformément à la loi, aller en prison. La banque se retrouve ainsi à payer
des dommages-intérêts à un délinquant/faussaire.
Comme si cela ne suffisait pas à ce bandit de grand chemin, une fois
qu’il a fini de dépenser l’épargne du public injustement soustraite de la
banque, il lance un second procès pour complément de dommages. Une fois
de plus, le tribunal lui donne raison. C’est seulement à la Cour suprême que
les juges ont mis fin à cette mascarade judiciaire. La question est de savoir
comment un État dont l’une des missions principales est de protéger le
citoyen et ses biens peut accepter une telle forfaiture de la justice.
Affaire Des Déchets Toxiques
Le 22 mars 2010, le Comité national des victimes des déchets toxiques
(CNVDT), une association, ouvre un compte bancaire dans les livres
d’Access Bank Côte d’Ivoire. À cette même date, dame Awa N’Diaye,
épouse Mbaye ouvre à son tour un compte dans les livres de ladite banque.
Le 24 mars 2010, Access Bank Côte d’Ivoire reçoit sur le compte de la
CNDVT un virement d’un montant de 4,6 milliards en provenance de la
Société Générale de Banque Côte d’Ivoire. Entre le 24 mars et le 27
septembre 2010, la CNVDT émet plusieurs chèques au profit de différents
bénéficiaires qui ont eu pour effet de rendre le compte quasiment débiteur.
Certains de ces bénéficiaires reversent directement les montants perçus de la
CNDVT sur le compte de dame Awa N’Diaye pour un montant total de 2,4
milliards F CFA.
Au moment des faits, Access Bank Côte d’Ivoire est détenue à hauteur
de 96,85% par la société Access Bank Plc, société de droit nigérian, qui en
assurera le contrôle intégral et la gestion jusqu’au 30 octobre 2012, quand,
par acte, elle cède l’intégralité de ses actions à la société de droit suisse
Afriland First Group. La cession étant intervenue dans le secteur bancaire et
ne pouvant prendre effet qu’après l’approbation par les autorités de contrôle
dudit secteur, les parties, par acte en date du 16 novembre 2012, présentent
au ministère de l’Économie et des Finances une demande d’approbation
préalable de la cession.
En novembre 2013, le ministère de l’Économie et des Finances donne
son approbation à la cession. Ainsi, ce n’est qu’à partir de mars 2014 que la
société Afriland First Group par l’intermédiaire de sa filiale Afriland First
Bank Côte d’Ivoire prend le contrôle effectif des activités bancaires
anciennement menées par Access Bank Côte d’Ivoire.
Afriland First Bank Côte d’Ivoire reçoit le 11 avril 2014, l’ordonnance
n°20/14 de non-lieu partiel et de renvoi en police correctionnelle lui
apprenant qu’une procédure correctionnelle avait été diligentée contre Access
Bank.
La même ordonnance indique qu’« Access Bank est devenue Afriland
Bank », et comme tel, Afriland First Bank est inculpée de
« méconnaissance de préventions de blanchiment de capitaux », faits
qui seraient commis par Access Bank courant 2010.
Cependant, le tribunal ne tardera pas à réaliser que l’expression
« Access Bank devenue Afriland Bank » est une incongruité juridique,
car une lecture, même simpliste, des faits n’autorise pas à considérer, en
droit, qu’Access Bank est devenue Afriland Bank.
En effet, il n’est pas contesté qu’Afriland First Bank Côte d’Ivoire a
ouvert ses portes en 2014. Pour réaliser la convention de cession, comme
pour conclure n’importe quel contrat, il faut au préalable que les deux
partenaires au contrat, cédant et cessionnaire, soient des entités juridiques
distinctes, ce qui exclut que l’une devienne l’autre. D’où, il suit qu’Access
Bank n’est pas Afriland Bank. La société Access Bank Plc, mère de la filiale
Access Bank Côte d’Ivoire, auteur présumé des faits reprochés à Afriland
First Bank n’est pas liquidée, elle existe et continue d’exercer; elle est donc
juridiquement responsable de ses actes et faits délictueux. Si Access Bank
était devenue Afriland Bank, comme le prétend le parquet, pourquoi exiger
un agrément à Afriland Bank pour exercer en Côte d’Ivoire ?
Comment Afriland First Bank CI a-t-elle pu commettre une infraction
avant même sa naissance, sachant que c’est l’agrément et rien d’autre, qui
confère à une société sa qualité de banque et constate sa naissance en tant que
banque ?
Le tribunal constatera qu’Afriland First Bank et Acces Bank sont deux
sociétés bancaires distinctes et que dès lors, l’une n’est pas devenue l’autre. Il
renverra les autorités à recadrer leurs poursuites. Le 13 janvier 2015, le juge
prononcera la mise hors de cause de la société Afriland First Bank Côte
d’Ivoire.
Affaire RIGC/État Du Cameroun Ctr Afriland
First Bank Et Ses Cadres
Le 8 juin 2005, Serge Brice Kaptué Tagne ouvre un compte dans les
livres d’Afriland First Bank. Il est le promoteur de la société Cameroon
Development Corporation (CAMDEV). Le 18 août 2005, l’État du Cameroun
- représenté par le ministère des Forêts et de la Faune et le ministère de
l’Économie et des Finances - signe une convention avec la société
CAMDEV.
Selon l’article 7 alinéa 1 de ladite convention, « la société CAMDEV
est tenue d’ouvrir un compte intitulé Projet RIGC auprès d’une banque
agréée par le ministère des Finances ».
Afriland First Bank n’a jamais été partie ni notifiée de cette convention.
La gestion des convenants n’aurait pas été orthodoxe au point où le 3 juin
2011, Denis Bene, cadre au MINFOF, sans aucun mandat, dépose une plainte
avec constitution de partie civile au Tribunal de grande instance du Mfoundi.
Le 15 juin 2011, le même plaignant saisit d’une autre plainte la
Direction de la police judiciaire. Toutes ces plaintes et autres font l’objet d’un
examen par le juge d’instruction du Tribunal de grande instance du Mfoundi.
Ledit juge d’instruction ordonne la jonction des procédures pour connexité.
En décembre 2011, une juridiction spéciale voit le jour, le Tribunal
criminel spécial (TCS), qui est chargé de connaître dans de brefs délais les
crimes de détournement des deniers publics portant sur des montants
supérieurs à 50 millions FCFA. Cette ordonnance est notifiée au ministère
public le 10 octobre 2012. Il en a été de même à Denis Bene, partie civile, le
même jour. Ces deux parties n’ont exercé aucune voie de recours contre
ladite ordonnance.
Le 10 octobre 2012, Serge Brice Kaptue Tagne est renvoyé devant le
TCS pour répondre des chefs d’accusation de détournement des deniers
publics et de tentative d’évasion. Le ministère public cite six cadres
d’Afriland First Bank à comparaître à la barre comme témoins de
l’accusation.
Le 29 novembre 2012, le TCS ordonne une information
complémentaire. Le 10 décembre 2012, le juge d’instruction ouvre une
nouvelle information contre Afriland First Bank S.A. et ses employés, en
violation de l’article 143 du code de procédure pénale qui stipule que le juge
d’instruction ne peut ouvrir une information judiciaire que s’il est saisi par
un acte du procureur de la République.
Ces employés ont été préalablement entendus par son collègue du
Tribunal de grande instance du Mfoundi pour les mêmes faits et se retrouvent
au siège du TCS pendant des semaines, à l’invitation du procureur général
pour leurs témoignages à charge. Leurs avocats saisissent le TCS en
annulation des actes du juge d’instruction. Devant le mutisme du tribunal, ils
dirigent ces récriminations vers la Cour suprême par trois recours, datés des 8
mai et 20 août 2013 devant la section spécialisée-chambre de contrôle de
l’instruction.
Une grande curiosité survient dans ce dossier. Le procureur général
près la Cour suprême, pour la même affaire, donne trois décisions
difficilement compréhensibles.
Fort heureusement, les Juges du siège ne l’ont pas suivi, d’où la
décision du 18 février 2014 par ADD n° 002/ADD/CRIM/TCS, dans laquelle
le TCS rend la décision suivante :
considérant qu’en rendant son ordonnance de renvoi complémentaire,
le juge d’instruction désigné n’a pas rempli la mission à lui confiée et
tendant à éclairer les zones d’ombre qui ont persisté dans l’ordonnance de
renvoi initiale, ordonne (en conséquence) le retour du dossier de procédure à
l’information pour qu’il soit instruit sur les points relevés dans l’ADD n° 001
/ADD/Crim/TCS du 29 novembre 2012.
À la suite de cette autre décision, le même juge d’instruction convoque
encore et entend une partie du personnel comparaissant déjà devant le TCS.
Le 15 mai 2014, la Cour suprême par arrêt n° 033/CCI/ SSP/CS annule «
l’ordonnance de soif informée du 10 décembre 2012 du juge d’instruction du
TCS ainsi que tous les actes subséquents ».
Depuis juillet 2014, les mêmes agents d’Afriland Frist Bank S.A.
suspectés en 2011 et entendus par le Juge d’instruction, témoins de
l’accusation en 2012, accusés en 2013 pour les mêmes faits, ont fait l’objet
d’auditions par les enquêteurs (officiers de police judiciaire) du TCS sur les
mêmes faits jusqu’en février 2016.
Selon l’article 170, alinéa 1 du Code de procédure pénale, lorsqu’un
inculpé a été déjà entendu par un juge d’instruction, il ne peut plus l’être par
la police ni par la gendarmerie sur les mêmes faits.
Ne peut-on pas légitimement penser à un certain acharnement lorsqu’on
sait que le ministère public, le 29 novembre 2012, a requis le refus de
l’information complémentaire suscitée et qu’Afriland First Bank a fait montre
de civisme en versant la somme de 1 738 366 013 FCFA au Trésor ?
Or, malgré cela, les comptes d’Afriland First Bank sont bloqués depuis
le 5 décembre 2012 à la BEAC pour une créance imaginaire de 1 738 363
013 FCFA, en violation du règlement n° 05/CEMAC portant insaisissabilité
des comptes des institutions financières. Le règlement d’une information
judiciaire ne dessaisit-il pas le Juge qui l’a réussi ?
Les avocats des cadres d’Afriland First Bank saisissent le juge des
référés d’heure à heure de Yaoundé centre administratif le 20 décembre 2012
en rétractation, ce n’est que le 16 avril 2014, donc après l’ADD n°
002/ADD/CRIM/TCS du 18 février 2012, soit plus de 16 mois de référés
d’heure à heure, que le juge rend une décision d’arrêt des poursuites pour
détournement des derniers publics. Mais, les poursuites ont toujours cours
contre les cadres d’Afriland First Bank pour les chefs d’accusation de « faux
en écriture publique et authentique ».
Selon l’article 10 alinéa 5, le TCS « […] dispose d’un délai de six (6)
mois pour rendre sa décision. Ce délai peut être prorogé de trois (03) mois
par ordonnance du président du tribunal saisi. ». Or, le procès RIGC et État
du Cameroun contre Afriland First Bank dure depuis 5 ans et la décision
rendue en février 2016 n’est que partielle.
L’indisponibilité et l’absence des cadres à leurs postes de travail pour
une période aussi longue crée un préjudice certain dans le fonctionnement de
l’entreprise. De plus, la publicité insidieuse qui a eu cours dans les médias a
égratigné l’honneur et la considération de personnes qui ont été déclarées
partiellement non coupables. Et l’affaire reste pendante devant les tribunaux,
paralysant ainsi l’entreprise bancaire motrice de l’économie de la sous-
région.
CHAPITRE VIII: LA
CULTURE, VOIE DE
SALUT DU
PANAFRICANISME
ÉCONOMIQUE
Par Koffi Djondo
La culture, voie de salut du
panafricanisme économique
« Dès le début, Ecobank s’est donné pour mission de bâtir une nouvelle Afrique. Cela a donné
à ses employés le sentiment que leur but était bien plus que de faire de l’argent. La banque recherchait
des personnes qui correspondaient à cette culture et avaient la passion de faire la différence en
Afrique... On les appelait “Ecobankers”, pour souligner que travailler à Ecobank, c’était spécial. »
Leif Sjöblom, professeur de gestion financière et Hischam El-Agamy, directeur exécutif
d’IMG, Financial Times.

Les succès rencontrés dans le secteur de la banque et de l’aérien ne


réussissent pas à me faire oublier l’échec que j’ai essuyé dans le secteur du
transport maritime. Je reste sur le regret de n’avoir pas été à la mesure de
mon troisième rêve, celui d’interconnecter l’Afrique par la mer. L’économie
maritime est très importante pour l’Afrique. Je ne pouvais pas ignorer que la
mer est au cœur de la mondialisation, dans la mesure où 90 % des échanges
entre les pays sont assurés par le biais de la mer. L’Afrique dispose
d’énormes ressources naturelles, synonymes de fortes exportations. Elle
compte également une population évaluée à plus d’un milliard, ce qui signifie
un marché de taille, et donc une potentialité d’importation considérable.
Mais, pour autant, le continent ne pèse que 6 % du commerce maritime
mondial, et seulement 3 % du trafic conteneurisé mondial. Ce qui veut dire
que le transport maritime est encore une niche pour le continent. Si on évalue
les tonnes de marchandises qui arrivent d’Asie, d’Europe, d’Amérique, cela
est énorme. Tout cela débarque sur nos ports. Dans ces transports, aucun
intérêt africain n’est à l’œuvre, c’est désolant pour nous, ce sont des pertes
pour l’Afrique.
Parier sur le transport maritime en Afrique, c’est donc,
économiquement parlant, déployer une importante source de croissance qui
peut être portée par l’amélioration des infrastructures portuaires et la
fluidification des couloirs d’échange avec l’hinterland. Sur les 54 pays que
compte le continent, seuls 35 disposent d’une façade maritime. Ils sont très
peu, comme le Togo, à disposer de ports en eaux profondes. Ceci induit la
nécessité de penser le transport maritime au niveau global. C’est là que réside
mon échec. Je pensais personnellement à initier un projet, mais j’ai été
approché par un Nigérian qui avait déjà monté un business plan solide de
compagnie de transport maritime panafricaine. Nous avons alors regardé la
chose sous plusieurs coutures. Évidemment, l’affaire était juteuse, le porteur
de projet maîtrisait le sujet et avait une bonne vision de la solidarité
économique africaine.
Le transport maritime est une affaire aussi complexe que l’aérien, mais
il suffit de peu de temps et l’expertise peut être acquise en la matière. Ce qui
a manqué, ce n’est pas l’expertise, mais la volonté politique et le manque de
financements. Nous sommes allés voir des chefs d’État qui n’ont pas perçu
l’intérêt de la chose. Quant à elles, les banques que nous avons contactées
ayant constaté que les États n’avaient pas donné leur caution au projet, elles
ont refusé de nous suivre, arguant que la contribution des États était
indispensable. La question est donc de savoir quand aurons-nous l’expertise,
alors que nous n’avons pas bénéficié de l’opportunité de commencer. Sans
contribution des États, pas de financement des banques.
C’était pourtant à la fin des années 90, lorsque les États, à la demande
de la Banque mondiale et du FMI, privatisaient les concessions portuaires,
par souci affiché de compétitivité. Mais, il est regrettable que les États
africains aient confondu privatisation et dénationalisation. Il était pourtant
possible de créer des joint- ventures[2] constituées d’entreprises privées
locales et d’opérateurs étrangers. La gestion des ports est passée entre les
mains d’entreprises occidentales, au prétexte que nous ne disposions ni de
fonds ni de l’expertise nécessaires. C’était à se demander si les chefs d’État
africains étaient conscients du caractère stratégique du transport maritime.
Dans les secteurs économiques pointus tels que l’aéronautique ou l’industrie
automobile, l’argument du manque d’expertise peut prospérer. La logistique
portuaire, au contraire, est une activité à la portée des ingénieurs moyens. De
plus, on n’a pas besoin de porter des lunettes pour voir le risque que présente
le quasi-monopole de Bolloré Transport et Logistique dans l’activité de
transport maritime en Afrique, et plus particulièrement, dans le golfe de
Guinée. Les marchandises licites peuvent servir de cache-sexe aux
marchandises illicites, dont les drogues dures, voire les armes à feu. Certains
pays vont plus loin, en lui confiant non seulement des concessions sur
l’exploitation des terminaux à conteneurs, mais également le transport
ferroviaire.
Tant qu’à privatiser, il faut promouvoir les champions locaux. À défaut
de promouvoir les champions locaux, il faut tout au moins diversifier les
sources de risque. La gestion des terminaux portuaires est un objet de souci
pour le continent. Il faut que l’Afrique se rende compte de ce qu’elle fait
vraiment à l’heure actuelle. Elle se laisse encercler par un entrepreneur
étranger qui ne recule devant aucun moyen pour parvenir à ses buts.
L’entreprise de Bolloré est déjà concessionnaire du terminal du port de
Douala au Cameroun, elle a encore raflé le port de Kribi. Et de quelle
manière ? En regardant le magazine Complément d’enquête de France 2
intitulé « Vincent Bolloré, un ami qui vous veut du bien ? », j’ai appris
comme tout le monde que le consortium franco-chinois Bolloré/CMA-
CGM/CHEC (BCC), attributaire en août 2015 du contrat de concession du
terminal à containers du port de Kribi, n’aurait pas retenu l’attention lors de
l’étude des offres. Un membre du comité de passation des marchés a déclaré
à visage masqué sur France 24 que l’offre du Philippin ICTSI et du Danois
Amp Terminals avait retenu l’attention de la commission, mais que des
pressions politiques avaient fait pencher la décision en faveur du consortium
dirigé par Bolloré.
Déjà en 2011, il avait évincé un autre opérateur qui gérait le port de
Conakry, Necotrans, en finançant la campagne électorale d’un candidat à
travers sa filiale Havas Media. Chose qui avait aussi été constatée en 2010 au
Togo. En 2013, alors qu’il détenait déjà la concession du premier terminal du
port d’Abidjan depuis 10 ans, un appel d’offres pour la concession du
deuxième terminal est lancé. Selon les termes de cet appel, le gouvernement
voulait faire jouer la concurrence et éviter un abus de position dominante. Ce
qui fit penser que Bolloré était exclu d’office. Mais à l’arrivée, c’est encore
lui qui remporta le marché, devant le philippin ICTSI, une fois encore. Jean-
Louis Billon, ministre du Commerce, avait dénoncé cette situation en ces
termes :
« L’idée de départ était d’ouvrir à la concurrence le port d’Abidjan et
on finit avec un super monopole multiplié par deux. Ce n’est pas une bonne
chose pour notre économie. On aurait voulu brider l’économie ivoirienne, on
ne s’y serait pas pris autrement. C’est une situation que je regrette
profondément (…) Grâce à ce monopole, Bolloré se permet aussi des
pratiques anticoncurrentielles, comme les ventes liées : l’armateur CMA-
CGM, par exemple, n’a pas d’autre choix que de sous-traiter à Bolloré la
manutention de ses navires. Je me demande pourquoi, chaque fois qu’on
arrive sous les tropiques, on se permet ce qu’on ne ferait jamais chez soi.»
Ces deux options couplées de balayer d’un revers de la main une
gestion concertée de notre domaine maritime et de tout concentrer entre les
mains d’une seule entreprise m’inspire une réflexion économique en termes
de pertes énormes pour les pays africains. Elle pose aussi la question de la
perte de souveraineté, car elle engendre la fragilité. Enfin, elle me pousse à
regretter notre faible attachement à la culture africaine, et l’insuffisance
d’ancrage du libéralisme dans les valeurs de la tradition africaine. Les
échanges économiques, tels que nous les pratiquons, ne sont aucunement
fécondés par nos valeurs ancestrales. Le capitalisme occidental est fondé sur
l’individualisme et une conception personnalisée du succès. Devons-nous
suivre ce rythme, nous qui, dans nos cultures, disposons de valeurs
différentes ?
Nos ancêtres ont toujours présenté le travail comme une valeur de
groupe et non une façon de se distinguer individuellement. Ils nous ont appris
que le succès est une adéquation entre les réalisations de l’homme et
l’équilibre de la communauté à laquelle il appartient. Dans nos cultures, les
valeurs d’honnêteté, de loyauté, la parole d’honneur, tout cela avait du sens,
car celui qui les perdait était exposé à la honte de la communauté. C’est le
regard du groupe qui donnait du crédit. Les valeurs qui fondent le succès,
c’est l’harmonie lisible dans les actions de l’individu.
Un bon entrepreneur africain devrait forcément se connecter à sa
culture. Il lui faut acquérir des outils de gestion moderne grâce à des études
poussées. Il lui faut activer ces outils à l’intérieur de sa culture. C’est la seule
chose qui le reliera à ses ancêtres. Le capitalisme moderne doit être réinventé
grâce à des gestionnaires africains qui disposent, dans leurs cultures, de
valeurs telles que la convivialité et la collaboration. Les Japonais n’ont pas
pratiqué le capitalisme de façon neutre, ils y ont ajouté leur touche, il en va
de même des Chinois et de tous les autres peuples asiatiques.
La culture africaine n’a plus de place dans le cœur de nos enfants. Et
cela est regrettable, c’est la faute des parents. Nous devons intéresser nos
enfants à la culture, à notre culture. La chose la plus importante, ce sont nos
traditions. Il ne faut pas les perdre de vue. Il est absolument nécessaire de les
transmettre à ceux qui prendront le relais demain, quand nous ne serons plus
de ce monde. Pourquoi donc la vision que j’ai développée, à savoir le
panafricanisme économique, tarde-t-elle à prendre vraiment dans les milieux
du capitalisme africain ? C’est simple, nous avons abandonné les valeurs les
plus importantes de nos cultures ancestrales, à savoir la solidarité, le souci du
groupe et la chaleur humaine. Nos parents ne savaient pas avancer seuls, ils
ne savaient pas défendre des intérêts isolés, personnels. Ils faisaient tout
ensemble, partageaient le fruit de leur labeur avec l’ensemble de la
communauté. La façon de construire les concessions était déjà en soi un
hymne à la vie communautaire. Les habitations n’étaient pas
individuellement isolées par des clôtures. C’est l’ensemble de la concession
qui était entouré de haies vives. Les repas se prenaient ensemble. Aujourd’hui
encore, dans certaines communautés au Sénégal, le repas ne se prend pas
comme en Occident ; le plat n’est pas individuel. Tout le monde met la main
dans la même assiette, y compris les « étrangers » de passage. Le thé se
partage. Alors, pourquoi les Africains sont-ils aussi réticents à l’idée de se
mettre ensemble pour bâtir de grands projets dans le domaine du transport
aérien, de la logistique portuaire ou encore de la finance ? Le coût du crédit
sur le marché africain est encore de nos jours fixé par les agences de notation
américaines. Les pays émergents l’ont compris mieux que nous. Après avoir
créé une banque de développement et un fonds de protection des devises, ils
projettent de passer à l’étape de l’agence de notation. Et pourtant, ce sont des
pays disparates, le Brésil est un pays d’Amérique latine, la Chine est située en
Asie comme l’Inde, l’Afrique du Sud en Afrique. Des gens qui n’ont a priori
rien en commun se mettent ensemble et réalisent des prouesses là où nous
sommes non seulement à la traîne, mais encore empêtrés dans des querelles
de leadership. Notre passé commun fait de souffrances et de domination
devrait nous unir. Notre présent, qui est également commun, fait de
marginalisation, devrait nous pousser à agir en rang unique derrière la même
vision et les mêmes objectifs.
Nous devons retourner aux fondements de nos racines et réinterpréter
les valeurs du vivre ensemble. La communauté d’hier, qui jugeait de la
réussite ou non d’un homme, était limitée à la tribu ou au clan. Aujourd’hui,
cette communauté s’est élargie, avec l’entrée du continent dans la
mondialisation ; il faut penser global. Alors que cette communauté est
devenue continentale, nous nous laissons encore distraire par des habitudes
différentes.
Je n’ai pas réussi à contribuer au projet de création d’une grande
entreprise de transport maritime continentale. J’en ressens encore de
l’amertume. Mais, ce qui me fera un jour me retourner dans ma tombe, c’est
la perte de l’âme panafricaine, de ce que j’aurai contribué à bâtir. Pour que
cela n’arrive pas, nos enfants doivent être nourris au lait de la culture
africaine. Hélas ! Quand je rencontre des parents, en Afrique, qui éduquent
leurs enfants dans la langue française ou dans la langue anglaise, cela me fait
douter de notre capacité à nous imposer un jour dans la mondialisation. Dans
ce monde d’accélération des échanges, on ne s’impose que par ce qu’on
apporte de spécifique et on ne résiste que parce qu’on a un solide appui sur
des valeurs culturelles. Nous saurons faire ce, nous saurons faire ça, mais in
fine, nous ne serons pas nous-mêmes. Et il vaut mieux être soi-même que de
savoir-faire ceci ou cela. Ici, j’indexe la fuite des parents devant leurs
responsabilités premières. Quand bien même on envoie des enfants à
l’étranger pour apprendre et que ces enfants ne reviennent pas ou quand ils
reviennent, ils ne savent parler aucune langue de leurs parents. Comment
voulez-vous que ces enfants devenus adultes s’intéressent à l’Afrique,
pensent et réfléchissent à comment chercher son évolution, faire développer
ses atouts ?
Ensuite, il faut ajouter que l’on voit de plus en plus des parents
immigrer dans des villes africaines pour des raisons professionnelles. Leurs
enfants, ils ne les accompagnent pas au village d’origine, ceci est aussi grave,
les enfants restent en ville, ils n’ont aucune connaissance de qui ils sont, d’où
ils viennent.
D’autres parents ont leurs enfants en Europe, et ils vieillissent. Dans les
cultures africaines, les enfants s’occupent des personnes âgées. La solidarité
n’est pas seulement regardée dans le rapport avec les gens de la même
génération, mais aussi à travers les générations. Aujourd’hui, les enfants
émigrent en Europe et envoient de l’argent à leurs parents ou grands-parents.
Mais, l’argent ne fait pas tout, cette attitude pose problème. À ce jour,
l’Afrique n’a pas organisé des pensions de vieillesse où les personnes du
troisième âge sont accueillies et suivies, et elle ne le fera pas, sauf pour trahir
sa culture, sa façon de voir les relations familiales depuis des siècles. Que ces
enfants partis en ville ou à l’étranger à la recherche de conditions de vie plus
enviables rentrent de temps en temps et n’abandonnent pas leurs pays
d’origine ! Ils doivent renouer de temps en temps avec leurs racines et
respirer l’air de leur terroir.
Il ne faut pas chercher trop loin les raisons pour lesquelles nous
sommes les grands perdants des échanges libéraux. Nous sommes assis sur
un vide alors que les autres font le commerce international en s’appuyant sur
leurs cultures respectives. Ils sont forts parce que leurs actes reflètent leur
passé. Les minuscules compagnies aériennes nationales ne sont pas
seulement une logique économique suicidaire, mais relèvent d’un orgueil qui
trahit la culture africaine. Un proverbe africain dit qu’un seul brin de balai ne
peut pas balayer la cour. Parce que nous sommes marginalisés et avons du
retard, nous devons nous mettre ensemble. Mais encore, nous devons nous
mettre ensemble parce que dans nos codes culturels, c’est ensemble que se
conçoivent la conquête et le succès économiques.
Les parents peuvent faire des efforts, mais aujourd’hui, leur éducation
ne suffit plus, il y a l’école, la télévision, l’internet, qui charrient des contre-
valeurs, il faut faire attention à tout cela : les programmes regardés par les
enfants sont-ils de leur âge ? Les enfants voient des drames, des tueries, et en
savent plus long que les parents, il faut faire attention à cela. En même temps,
les TIC sont utiles, il faut surveiller, cadrer, protéger l’enfant. Je constate
aujourd’hui, quand je vais chez des amis, que les enfants ont le portable en
main à table, ne parlent plus aux parents ; ils sont accrochés à leurs
téléphones, cela est dangereux. Ce sont des dégâts et il faut encadrer. Le fusil
ou le couteau sont devenus des choses banales. À notre époque, quand on
voyait un fusil, on courait, on était scandalisé.
Dans mon entourage, j’ai veillé au respect des aînés, des parents, des
personnes âgées. Quand il m’arrive de me retrouver aux côtés de mes petits-
enfants, je prends le temps d’observer, de veiller. Je signale avec fermeté à
leurs parents ce qu’il y a de déviant dans les comportements de leurs enfants.
Il faut dire que les parents sont devenus moins stricts, beaucoup ont
simplement démissionné de leurs responsabilités et se battent jour et nuit
pour travailler. Il faut que l’enfant entende les mêmes sons de cloche à l’école
et à la maison.
Comment inculquer le panafricanisme économique aux enfants dès le
jeune âge ? Il faut les amener à faire des choses ensemble, à la solidarité, leur
montrer que la vie des uns dépend des autres et que personne ne peut rien
faire tout seul. Mais aussi, il faut retourner à la rigueur. Les projets que l’on
fait ensemble sont plus coûteux en sacrifices. C’est l’une des raisons pour
lesquelles les Africains rechignent à avancer ensemble. Ils préfèrent ce qui est
facile, qui ne suppose pas des insomnies ni des privations.
Mes enfants, aujourd’hui, sont soumis au principe de la liberté totale.
La liberté est leur maître. J’aurais souhaité qu’ils prennent des risques, créent
des choses çà et là, comme moi. Hélas ! Ils préfèrent prendre leur direction, je
ne peux pas parier sur l’avenir d’un adulte. J’ai pris une seule décision en ce
qui les concerne, c’est qu’ils ne travaillent pas dans l’entreprise que j’ai
créée, par prudence, pour éviter des risques de confusion des genres. Ils
travaillent pour les autres, ils n’ont pas créé d’entreprise. Il y en a un qui a
tenté une expérience, mais cela n’a pas marché. Il doit prendre cet échec
comme une expérience de gagné et ne pas renoncer.
Dieu m’a donné une chose : c’est la persévérance. J’aime bien foncer,
prendre des risques. Et s’il y a des difficultés, je ne lâche rien. Je suis
convaincu que l’échec ne détermine pas l’avenir d’un homme, ce n’est pas la
fin d’un homme. Un échec, c’est une demi- victoire, qui redynamise, redonne
confiance. On se relève et on repart. Malheureusement, l’éducation à la
prussienne que j’ai reçue de mon père, qui ne tolère pas la facilité ni l’à-peu-
près, se dilue de nos jours dans une éducation moderne très influencée par la
vitesse et la précipitation.
Je fonde un espoir sur les Djondo Fellowship, un projet de nos amis
ghanéens, une sorte de fondation pas courante dans les pays francophones,
mais à laquelle les pays anglo-américains sont habitués, notamment les USA.
Les Ghanéens ont voulu m’honorer à travers cette initiative en lui donnant
mon nom. Il s’agit d’une structure qui sensibilise les entreprises africaines sur
la question de l’entrepreneuriat, de la gestion, de la réussite.
L’ambition de toute entreprise est de se développer. Mais, développer
une entreprise à travers l’Afrique est l’une des choses les plus difficiles à
réussir. La Djondo Fellowship s’attaque aux défis commerciaux auxquels
sont confrontées toutes les entreprises africaines ambitieuses. C’est le lieu,
pour les chefs d’entreprise locaux, de tirer parti de l’expérience d’une équipe
de professionnels expérimentés. Les succès commerciaux de l’Afrique ont
une chose en commun : leur capacité à traverser les frontières. C’est un défi,
mais cela peut être fait et bien fait ; pour preuve, MTN, UBA, Ecobank,
Afriland First Bank, Ethiopian Airlines et Shoprite l’ont fait. La Djondo
Fellowship est fondée sur un postulat simple : utiliser les principes
d’intégration et de panafricanisme pour reproduire les réussites des
entreprises les plus puissantes du continent. J’ai espoir que cette fondation à
laquelle j’ai apporté mon accord saura reconstituer le cordon ombilical des
Africains à leur culture, afin que le succès ne soit plus considéré comme
l’issue d’une course solitaire, au cours de laquelle chacun se bat seul contre
tous, mais comme une base d’intégration continentale.
Le programme Djondo Fellowship est adossé à une université. Le
conseil d’administration est coprésidé par John Kufuor et l’ancienne
présidente de l’Ile Maurice, Ameenah Gurib. L’organe est formé de Didier
Acouetey, président fondateur d’AfricSearch Group, une firme spécialisée
dans la gestion des ressources humaines ; Paul-Harry Aithnard, le Directeur
général d’Ecobank Côte d’Ivoire ; Terhas Asefaw Berhe, fondateur de Brand
Communications, spécialiste des RP ; Donald Kaberuka, ancien président de
la BAD.
CHAPITRE IX:
L’ENTREPRENEUR ET
L’OPPRESSION
MONÉTAIRE EN ZONE
FRANC
Par Paul K. Fokam
L’entrepreneur et l’oppression
monétaire en zone franc
Il est difficile d’analyser efficacement l’oppression monétaire en zone
franc sans se référer au discours d’Ahmed Sékou Touré prononcé en août
1958. Dans ce morceau de bravoure, le leader guinéen rejetait sans appel les
Accords de coopération monétaire de la France avec les pays africains et son
vocabulaire était pour le moins sévère : Nous ne renonçons pas et ne
renoncerons jamais à notre droit légitime et naturel à l’Indépendance (...). Il
n’y a pas de dignité sans liberté ; nous préférons la liberté dans la pauvreté à
la richesse dans l’esclavage. Le général Charles de Gaulle avait considéré ce
refus comme un affront à sa personne et à la France.
C’est justement ces accords de coopération monétaire qui sont à
l’origine de l’impossible décollage des économies africaines de la zone franc,
du retard abyssal dans le développement de l’entreprise africaine, de la
domination du secteur économique par les puissances étrangères. Ce qui
explique que l’oppression monétaire soit plus évidente dans la zone
d’expression française que celle d’expression anglaise grâce au piège
monétaire tendu par le général de Gaulle. Tous les germes de ce piège étaient
déjà dans son discours d’août 1958 dont je vous livre la teneur dans l’encadré
ci-dessous.
Extrait Du Discours Du Général De Gaulle À
Brazzaville Le 24 Août 19583[3]
Pourquoi la France renierait-elle son œuvre africaine en dépit de
certaines démagogies qui ne font que couvrir divers impérialismes ? Non,
cette œuvre, elle ne la renie pas, et elle est prête aujourd’hui à la poursuivre,
quoique certainement dans des conditions tout à fait nouvelles qui sont
imposées par l’évolution des peuples et par le mouvement général du monde
[…]
Quel projet va donc être soumis au choix libre et conscient de tous ?
C’est celui de la Communauté, ce qui est proposé, c’est que la métropole et
les territoires d’Outre-mer forment ensemble une Communauté dans laquelle
chacun aura le gouvernement libre et entier de soi-même, et dans laquelle on
mettra en commun un domaine, qui, dans l’intérêt de tous, comprendra la
défense, l’action extérieure, la politique économique, la direction de la
justice et de l’enseignement, les communications lointaines.
Cette Communauté aura des institutions : le Président de la
Communauté, le Conseil exécutif de la Communauté où se réuniront les chefs
des Gouvernements avec les ministres chargés des affaires communes, le
Sénat de la Communauté formé par les représentants de tous les territoires et
de la métropole, et qui délibérera des Affaires communes ; enfin, une Cour
d’arbitrage, pour régler sans heurt les litiges qui pourraient se produire
entre les uns et les autres.
Cette Communauté, je vais la proposer à tous et à toutes ensemble, où
qu’ils soient. On dit : « Mais nous avons droit à l’indépendance. » Mais
certainement oui ! D’ailleurs, l’indépendance, quiconque la voudra pourra la
prendre aussitôt. La métropole ne s’y opposera pas. Un territoire déterminé
pourra la prendre aussitôt, s’il vote NON au référendum du 28 septembre.
Cela signifiera qu’il ne veut pas faire partie de la Communauté proposée et
qu’il fait, en somme, sécession. Cela signifiera qu’il veut suivre son chemin
isolément, à ses risques et périls. La métropole en tirera les conséquences, et
je garantis qu’elle ne s’y opposera pas.
Mais si le corps électoral dans les territoires d’Afrique vote « OUI » au
référendum, cela signifiera que, par une libre détermination, les citoyens ont
choisi de constituer la Communauté dont j’ai parlé. Alors, cette Communauté
sera instituée, et je crois, je suis sûr, que ce sera pour le bien de tous. Mieux
même, à l’intérieur de cette Communauté, si quelque territoire, au fur et à
mesure des jours, se sent, au bout d’un temps que je ne précise pas, en
mesure d’exercer toutes les charges, tous les devoirs de l’indépendance, eh
bien, il lui appartiendra d’en décider par son Assemblée élue, et, ensuite, par
le référendum de ses habitants. Après quoi, la Communauté en prendra acte
et un accord réglera les conditions des transferts entre le territoire qui
assumera son indépendance, et suivra sa route, et la Communauté elle-même.
Je garantis d’avance que dans ce cas non plus, la métropole ne s’y opposera
pas.
Mais, bien entendu, la métropole, elle aussi, gardera à l’intérieur de la
Communauté, la libre disposition d’elle- même : elle pourra, si elle le juge
nécessaire, rompre les liens de communauté avec tel ou tel territoire, car il
ne peut échapper à personne que la Communauté imposera à la métropole de
lourdes charges, et elle en a beaucoup à porter. Je souhaite de tout mon cœur
qu’elle persévère dans cette Communauté, qu’elle continue à porter ces
charges, qu’elle le puisse et qu’elle le veuille ; mais elle se réservera, elle
aussi, la liberté de ses décisions.
De ce discours, il ressort que l’indépendance des colonies françaises
d’Afrique subsaharienne n’est pas souhaitée par la France. Le général de
Gaulle demande aux pays colonisés de renoncer à l’indépendance pour créer
une communauté et prend des dispositions pour que ceux qui refusent la
communauté subissent des représailles conséquentes et multiformes qui leur
permettront de regretter leur acte. Le président togolais Sylvanus Olympio
sera assassiné à deux jours de la sortie de son pays de la zone franc en 1963.
Les présidents du Niger, Hamani Diori, et de la République centrafricaine,
Barthélémy Boganda, subiront le même sort. Le président malien Modibo
Kéita sera empoisonné. La Guinée sera isolée et combattue à cause de
l’affront opposé par Sékou Touré à de Gaulle en 1958.
Pour revenir au discours de de Gaulle, il est remarquable de voir
comment il exprime sans nuance la pression qu’exerce la conjoncture
internationale sur les puissances coloniales occidentales. On apprend alors
que la France n’octroie pas cette indépendance de gaieté de cœur. D’un côté,
elle ne tient pas à lâcher ses colonies, mais, de l’autre, elle ne veut pas non
plus contrarier l’ONU.
Le général de Gaulle prend la précaution de réserver à la France les
domaines du progrès et de l’indépendance. Ces domaines comprendront la
défense, l’action extérieure, la politique économique, la direction de la justice
et de l’enseignement, les communications lointaines.
L’éducation permettra à la France de s’assurer que l’Africain n’aura
aucune chance de se libérer du fardeau de l’ignorance. C’est ce qui explique
l’éducation de répétition appliquée depuis plus de 80 ans sans modification
malgré le rapide changement dans le monde d’aujourd’hui. La défense pour
mieux soumettre les princes africains qui nous gouvernent. C’est sans doute
la raison pour laquelle il n’y a pas dans les pays africains de la zone franc une
unité de fabrication même d’armes de chasse, encore moins une cartoucherie.
Enfin, la politique économique, qui inclut la monnaie, car la monnaie est l’un
des trois attributs de l’indépendance d’une nation. Le socle sur lequel se bâtit
toute politique économique, le moteur de tout progrès économique et social.
Tant qu’à faire donc, de Gaulle va prendre les devants et suggérer une
pseudo-indépendance dénuée de tout contenu, y compris surtout un contenu
monétaire. La monnaie est réputée être l’attribut essentiel d’une nation
souveraine. Elle est également un instrument primordial de politique
économique. Aurait-on besoin d’expliquer que toute indépendance sans
souveraineté monétaire est un leurre ?
Le général de Gaulle met en évidence que l’indépendance a des
attributs ; or, justement, toute indépendance a trois attributs : le drapeau,
l’hymne et la monnaie. Ne possédant pas la monnaie, force est de conclure
que les pays de la zone franc doivent encore lutter pour leur indépendance
monétaire. Cette indépendance monétaire est un ingrédient indispensable
pour le développement économique. Sans cet instrument, le développement
économique et social devient une mission de plus en plus difficile, avec
l’impossibilité de contrôler les flux de devises et surtout le risque de perdre le
contrôle sur le moteur de toute économie qui est le système bancaire, et pire,
de devenir incapable de générer des flux financiers même dans les villages les
plus reculés. Confier son système financier décentralisé au contrôle de la
communauté internationale équivaut, à mon sens, à un renoncement à sa
propre existence, à la négation de soi.
C’est pourquoi notre argumentation va porter sur le rôle que le
dispositif institutionnel et politique de la zone franc joue dans le péril, voire
le naufrage perpétuel de l’entreprise africaine. Parce qu’ils avaient été signés
entre une partie homogène, souveraine et disposant de la force au moment
des faits – la France – et une partie éclatée, hétérogène, sous domination –
l’Afrique –, les accords de Brazzaville de 1958 ont historiquement planté le
décor d’une compétition inégale.
Remontons davantage le temps (1853) : date de création de la Banque
du Sénégal, l’heure est à la libération des esclaves africains. Les négriers
français ont exigé de la France le remboursement des sommes engagées pour
payer et nourrir les esclaves pendant de longues années. Ne pouvant ou ne
voulant pas les payer, la France décide de créer la Banque du Sénégal qui
permettra ainsi de régler les dettes des anciens propriétaires d’esclaves par un
simple jeu d’écritures dans le compte de chaque propriétaire d’esclaves,
compte ouvert dans les livres de la Banque du Sénégal. Vous avez bien
compris qu’il n’y a pas déboursement effectif de la monnaie. Il me semble
important de préciser qu’à l’époque, la valeur de la monnaie est exprimée en
quantité d’or détenue. En clair, les pièces de monnaie étaient fabriquées en or
et la détention d’une pièce de monnaie équivalait à la quantité d’or détenue.
C’est cette banque qui agissait en qualité de banque centrale pour l’Afrique
jusqu’en 1901, lorsqu’elle devient la Banque de l’Afrique occidentale,
chargée de la prérogative d’émission monétaire pour les colonies de l’Afrique
occidentale.
Le siège de la BAO est fixé à Paris : La première antenne pour
l’Afrique fut créée à Conakry et les autres suivront pour couvrir toute
l’Afrique occidentale et équatoriale française. C’est une banque privée avec
pouvoir d’émission de la monnaie autorisée par l’empereur de France dans le
but de favoriser le commerce entre la métropole et les colonies d’Outre-mer.
Transaction par le troc de matières premières des colonies vers la métropole
et de produits manufacturés de la métropole vers les colonies. La Première
Guerre mondiale stoppe l’expansion de la Banque. Prenant de plus en plus
d’importance, la BAO va devenir une banque d’économie mixte avec une
participation minoritaire de l’État français. Elle va perdre son privilège
d’émission sous l’influence allemande, vainqueur de la première partie de la
Première Guerre mondiale, et va changer de nom pour devenir Banque
internationale pour l’Afrique occidentale.
Ensuite, en 1939, lorsque l’Allemagne prend le contrôle de la France,
elle décide de mettre entre parenthèses la Banque de France, afin de rapatrier
tout le stock d’or qu’elle détient en Allemagne, rendant ainsi le franc français
uniquement convertible par rapport au deutsche mark – monnaie qui avait
cours en Allemagne. Cela permet de faire payer à la France la rançon de la
guerre perdue contre l’Allemagne. C’est ce même principe hérité de la
victorieuse Allemagne qui constitue le fondement de la zone franc née des
accords de Brazzaville. Pour faire payer aux Africains leur refus d’obéir ou
leur audace de réclamer l’indépendance, le sage général de Gaulle a proposé
aux États africains les accords de coopération de Brazzaville.
En 1958, lesdits accords consacrent le changement du Franc des
colonies françaises d’Afrique en Franc de la communauté française
d’Afrique. Malgré ce changement, c’est toujours le même imaginaire qui est
véhiculé par ce sigle qui signifiait initialement Comptoirs français d’Afrique,
un imaginaire de la domination française et de l’infériorité supposée des
Africains. Il consacre l’inéquité des rapports liant une partie (la France) à
l’autre (les pays d’Afrique). L’une est dans la position du père voire du
maître, et l’autre se contente de jouer le rôle d’enfant voire d’esclave,
incapable de s’assumer par lui-même.
Le but essentiel de ces accords de dupes est de vider de leur substance
les indépendances pour lesquelles les pays africains se battent, et qui sont
devenues une exigence de l’ONU. De Gaulle prononcera à cette occasion un
discours dont chaque extrait révèle la ferme volonté de garder la mainmise
sur ces territoires dont il veut faire la chasse-gardée de la France.
Si le corps électoral, dans les territoires africains, vote “oui” au
référendum, cela signifiera que par libre détermination, les citoyens ont
choisi de constituer la Communauté dont j’ai parlé. Alors cette Communauté
sera instituée. On la fera fonctionner. Je suis sûr que ce sera pour le bien de
tous.
Mieux même, à l’intérieur de cette Communauté, a ajouté le général de
Gaulle, « si quelque territoire au fur et à mesure des jours se sent, au bout
d’un certain temps que je ne précise pas, en mesure d’exercer toutes les
prérogatives de l’Indépendance, eh bien, il lui appartiendra d’en décider par
son Assemblée élue et, si c’est nécessaire ensuite, par le référendum de ses
habitants ».
Qu’est-ce que la « Communauté », sinon une injonction de la France ?
Un référendum a-t-il été organisé dans les pays africains colonisés pour
savoir s’ils désiraient sortir de la colonisation pour entrer dans une
Communauté ? Non, la France a pensé à la place de ces pays et, dans sa
magnanimité, elle a estimé que la « Communauté » était ce qu’il y avait de
meilleur pour ces pays. Rappelons que de Gaulle disait par ailleurs qu’entre
États, il n’y a pas d’amitié mais des intérêts. Qui avait intérêt à évoluer dans
la Communauté ? La « Communauté » va soustraire à chaque pays l’attribut
essentiel de l’indépendance, à savoir la monnaie : Si quelque territoire se sent
à mesure d’exercer toutes les prérogatives de l’indépendance, il lui
appartiendra d’en décider. Le discours de Brazzaville permettait au général
de Gaulle de rappeler aux Africains qu’ils sont de « grands enfants » et qu’il
leur faut le soutien permanent de la France, sans quoi ils ne peuvent survivre.
Force est de constater que plus d’un demi-siècle plus loin, les Africains
restent toujours les « grands enfants » du général de Gaulle, incapables de
gérer eux- mêmes leur portefeuille confié au Trésor français et leur monnaie,
le plus grand instrument de politique économique. L’essentiel des accords de
Brazzaville était de créer une zone monétaire dirigée par la France. Ce qui
sera fait le 23 novembre 1972 et le 4 décembre 1973, dates de signature
respectives de la convention de coopération monétaire entre les États
membres de la zone d’émission de la Banque des États de l’Afrique centrale
et la République française, d’une part, et de l’autre, de l’accord de
coopération entre les pays membres de l’Union monétaire ouest-africaine et
la République française. Les autres accords, tel l’accord de défense, avaient
pour but de sécuriser l’accord monétaire afin que personne ne songeât à y
renoncer. Ces accords monétaires comportent quatre grands principes
appliqués envers et contre toute logique économique.

1) La Fixité Des Parités Avec La Monnaie


D’ancrage
La fixité de la parité est une aberration sur le plan économique. La
monnaie, par essence, est un instrument de régulation économique. La parité
de la monnaie permet à l’autorité monétaire de réguler ses flux économiques
avec l’extérieur. En d’autres termes, si l’autorité monétaire veut promouvoir
les exportations, elle mettra le mécanisme en marche pour réduire son taux de
change. Dans le cas où elle veut réduire les importations, elle rendra le coût
de la monnaie plus cher. En l’absence d’une telle flexibilité, force est de
conclure à une impossible compétitivité des pays africains de la zone franc.
2) La Libre Transférabilité
La libre transférabilité est prohibée à l’intérieur des deux zones
UEMOA et CEMAC. Ainsi, pour transférer de l’une vers l’autre et vice
versa, il faut passer par l’euro. Avec les francs CFA de l’Afrique centrale, on
ne peut rien acheter en Afrique de l’Ouest. Tandis qu’avec les euros, on peut
tout faire dans les deux zones et en France. Dès lors, rien d’étonnant que la
France soit le premier partenaire commercial de l’Afrique francophone et que
les échanges soient quasi nuls à l’intérieur des deux zones. Ce dispositif de
libre transférabilité profite surtout aux entreprises européennes installées dans
la zone franc, qui peuvent ainsi rapatrier librement et de façon illimitée
l’épargne collectée sur place, pour le bien des économies européennes, et au
détriment des économies africaines.

3) La Garantie De Convertibilité Illimitée


Cette garantie illimitée est irréaliste et contraignante. Cela suppose que
le Trésor français a des réserves en devises et en stock d’or dans ses coffres
capables de couvrir sa propre monnaie et celle des 15 pays de la zone franc.
Or, la réalité économique est qu’aucun pays au monde n’est capable de faire
face à cette obligation. En général, l’on compte uniquement sur la capacité
d’une économie à faire face à ses obligations sur le moyen terme.
D’ailleurs, le fondement de la dévaluation du franc CFA en 1994
n’était pas tant la situation économique des PAZF (Pays africains de la zone
franc), mais l’incapacité du Trésor français à rembourser à la Banque
d’Angleterre le stock de devises en francs CFA accumulé depuis plusieurs
années. La seule solution était de réduire cette dette de moitié afin d’être
capable d’utiliser le stock de garantie prélevé sur les réserves africaines pour
rembourser.

4) La Centralisation Des Réserves


Cette retenue de garantie a évolué au cours du temps. Au départ, les
avoirs extérieurs en or et en devises des colonies françaises d’Afrique
revenaient de droit à 100% à l’État français. Ce taux de prélèvement des
avoirs extérieurs en devises est progressivement passé à 65 puis à 50% !
Le compte d’opérations joue également un rôle dissimulé. Il permet à la
France d’importer de la zone franc sans débourser de devise, car toutes les
transactions avec ces pays se matérialisent par une simple écriture en débit ou
en crédit sur le compte d’opérations. Sur le plan pratique, quand la France
importe des biens, elle va dans ce compte inscrire le montant de la transaction
précédé du signe plus. En d’autres termes, il n’y a pas transfert de devises
vers le pays exportateur. Quand elle exporte vers les pays de cette zone, elle
inscrit le montant de la transaction précédé du signe moins. Autrement dit,
s’il y avait à payer, ce serait seulement le différentiel. Or, en général, comme
le différentiel est en faveur de la France, celle-ci gagne sur tous les tableaux.
Dans ce système de compte d’opérations logé dans les livres du Trésor
français, l’économie des 15 pays de la zone franc essuie des pertes
considérables à trois niveaux. Premièrement, toutes leurs transactions en
devises sont immédiatement converties en euros, ce qui constitue un premier
volet de perte inhérente à la transaction de change. Lorsqu’ils veulent acheter
en dollars, ils doivent convertir en dollars, ce qui pourra engendrer une
deuxième source de perte seulement dans la manipulation de change.
Deuxièmement, la monnaie est placée au Trésor français, avec un taux de
rémunération très faible (0,3 %) par rapport à ce qu’on pouvait gagner en
plaçant les mêmes avoirs sur le marché monétaire. En comparaison, le taux
de rendement des euro-obligations émis par les États africains varie de 6 à 9
%. Troisièmement, l’absence de formation à la gestion monétaire est, à mon
sens, le plus important, car sans formation on reste un « grand enfant » du
général De Gaulle. Si ces pays disposaient de leurs monnaies propres, ils
feraient des choix, ils les assumeraient, ils échoueraient certainement, mais ils
tireraient de leurs échecs des sagesses pour mieux avancer. Tout se passe
comme si ces pays étaient maintenus dans une impasse pour qu’ensuite on
puisse dire « à raison » qu’ils ne savent pas trouver leur chemin, qu’ils ne
peuvent rien tout seuls, qu’ils ont besoin d’être assistés.
J’ai voulu évoquer la généalogie du franc CFA pour expliquer
l’environnement dans lequel l’entrepreneur évolue. Soldat novice et sans
arme face à des ennemis armés, aguerris et secourus par voies maritime et
aérienne, il ne fera pas le poids. Ses chances réelles de remporter la victoire
finale sont faibles. Comment être compétitif à l’export quand votre
concurrent français fait sortir de votre pays ses marchandises sans débourser
un radis, simplement en inscrivant une écriture dans le compte d’opérations ?
Les exportations d’entreprises françaises installées dans ces 15 pays sont
garanties par la moitié des devises que constituent les exportations africaines.
Il s’agit d’une garantie des États africains au profit d’entreprises privées
européennes alors que l’entreprise africaine doit ouvrir un crédit
documentaire irrévocable et confirmé (garanti par sa banque et par la banque
de son fournisseur).
Pour assurer une promotion sans faille des entreprises de la métropole
et maîtriser ou contrôler la croissance des entreprises locales, il a fallu mettre
en place un instrument de régulation et de contrôle du système bancaire, la
banque étant le moteur de toute économie. Nous nous intéressons
spécialement au cas de la Commission bancaire d’Afrique centrale.
CHAPITRE X: MES
DÉBOIRES EN
POLITIQUE
Par Koffi Djondo
Mes déboires en politique
Je n’ai pas personnellement désiré entrer en politique. Mais la politique
m’a happé.
Tout d’abord, c’est Nicolas Grunitzky qui m’a ramené au Togo,
m’offrant l’opportunité de servir le pays dans un couloir qui n’était pas
politique, mais économique. Ensuite, après le coup d’État, Nicolas Grunitzky
déposé, les nouveaux maîtres de Lomé ne m’ont pas dit un mot, raison pour
laquelle j’ai continué à travailler sereinement à la Caisse de la prévoyance
sociale. Enfin, Eyadema m’a fait changer de couloir, en me nommant préfet
du Golfe : c’était mon entrée dans la scène politique, moi qui me sentais tant
à l’aise dans le couloir économique. Et comme si cela ne suffisait pas, il lui a
fallu aller plus loin pour me hisser à un rang de responsabilité politique plus
élevé, et donc plus risqué, celui de ministre.
Mais, pour comprendre le rapport que j’ai entretenu avec le champ
politique au Togo au cours des trente dernières années, il faut retourner à la
fin des années 60. En tant que membre et président du Conseil économique et
social, je me voyais prêté pouvoir et influence. Surtout qu’à ce moment-là, il
n’y avait pas d’Assemblée nationale. L’institution avait été dissoute au
moment du coup d’État en 1967. Alors, la presse a contribué à nous présenter
comme son substitut. C’est au sein de ce conseil instauré par Eyadema neuf
mois après sa prise de pouvoir, que j’ai été désigné directeur général de la
Société nationale d’investissement. Nous étions des technocrates à côté de
représentants d’administrations publiques diverses. L’opinion a parlé du
groupe des 10, notamment pour nous accorder un rôle important dans la
construction du pays. Nos profils étaient variés et complémentaires, rien que
des hommes, nous voulions travailler à imprimer un souffle nouveau au pays,
contribuer à la réconciliation nationale, les deux coups d’État ayant divisé le
Togo et les rancunes étant tenaces.
Le Conseil économique et social était un organe de réflexion, de débat
et de conception de projets et programmes. Nos brainstormings ont porté,
entre autres, sur un projet de société nationale d’investissement en 1969.
C’est la période à laquelle j’ai pris l’habitude d’être entre deux avions, pour
rencontrer des décideurs, des investisseurs et des prescripteurs à l’étranger,
afin de faire le plaidoyer pour le Togo. C’est à ce titre que j’ai joué un rôle
important dans l’appel de Kpalimé en vue d’un vaste mouvement de
rassemblement. En 1969, j’étais toujours président du Conseil économique et
social. Avec neuf autres personnes qui croyaient à la réconciliation nationale,
nous voulions vraiment conduire notre pays vers un cap. J’ai initié cet appel
pour réunir les Togolais afin que tous nous regardions dans la même
direction. L’appel de Kpalimé a engendré un vaste mouvement national. Les
Togolais se sont levés comme un seul homme pour demander un signe de
réconciliation profonde. De partout, des appels étaient lancés, dans le même
sillage, émanant de toutes les couches socioprofessionnelles. Au lieu d’un
mouvement de réconciliation, c’est un parti politique qui est né, le parti
unique, le Rassemblement du peuple togolais, cette même année de 1969.
Qu’à cela ne tienne, tout aurait pu aller dans le bon sens, car le programme
que nous avions élaboré était consensuel et visait la prospérité de tous les
Togolais. Ce vent a suscité des attentes, mais aussitôt, Eyadema les a trahies
en se tournant vers le modèle zaïrois : un régime tyrannique qui se reproduit
aux dépens du peuple. Enfin opportuniste, Eyadema a récupéré l’appel de
Kpalimé pour en faire la nourriture de son ego surdimensionné.
C’est le 13 septembre 1984 que le président Eyadema m’appelle et
m’annonce qu’il m’a nommé ministre des Privatisation et des Entreprises
d’État. Cela s’était passé sans concertation ni négociation. Quand je suis sorti
de l’entretien avec le président, je me suis rendu sur la tombe de ma mère, je
me suis agenouillé et j’ai pleuré comme un enfant. Dans un contexte où tout
pouvait arriver à tout moment, une nomination n’était pas toujours synonyme
de gloire ; la déchéance pouvait se cacher derrière. Et la suite allait me
donner raison. Comment j’en étais arrivé à être nommé au gouvernement ?
C’est que la Banque mondiale avait, dans le contexte de la crise, conseillé
une cure d’austérité pour l’État : fermeture d’entreprises non rentables,
restructurations, etc. Sachant que j’étais favorable à ces méthodes parce qu’il
n’y en avait pas d’autres dans la situation où se trouvait l’économie du Togo,
l’institution de Bretton Woods a tout fait pour que j’entre au gouvernement.
De plus, les Togolais profitaient du climat autocratique pour multiplier
des délations. Mon succès suscita ainsi la calomnie de personnes que je
connaissais bien. En effet, j’entreprenais des travaux personnels dans ma
région d’origine, Anneho, à mon propre compte, avec mes propres
ressources. C’était précisément ma demeure. Des « frères » jaloux ont envoyé
une lettre anonyme à Eyadema pour lui rapporter que je construisais une
grande maison chez moi au village et que des gens y venaient faire des
travaux, souvent très tard. Il aurait suffi qu’Eyadema ajoutât foi à ces
accusations et conclût que je préparais un coup d’État, mon sort était joué. À
ma grande surprise, il me remit cette lettre de dénonciation et je reconnus la
main d’écriture. Au cours d’une sortie publique, la même semaine, Eyadema
me félicita et me présenta comme un modèle, il dira même que ce que je fais
dans mon village est excellent, qu’il n’y avait rien dans ce village, et le fait
que j’aie commencé à y construire ma maison était à saluer. Il ira plus loin
pour éclabousser le dénonciateur, de façon toujours anonyme, disant
notamment que certains Togolais parlent à longueur de journée, mais ne
daignent rien faire. Il me comparait à ceux-là en soulignant le fait que moi, je
ne parlais pas, j’agissais et les résultats étaient concrets.
Une hirondelle ne fait pas le printemps ; les jours où Eyadema était de
bonne humeur étaient rares. En général, mon séjour au gouvernement s’est
déroulé sous les signes de la turbulence. La brouille avec Eyadema
commence dès que je me montre entreprenant et prends mon travail de
ministre au sérieux. Je prends des initiatives, notamment avec l’USAID,
l’OPICF, pour instaurer une zone franche pour la transformation et
l’exportation au Togo. J’avais étudié les méthodes employées par les pays
asiatiques pour s’industrialiser en une génération, et je voulais les répliquer
au Togo, en créant un environnement favorable aux investissements
nationaux et étrangers. Le Togo était de tous les pays africains celui qui avait
le plus copié la politique de l’authenticité africaine jusqu’à la caricature, et le
culte de la personnalité était à son comble. Eyadema s’attribuait tous les
superlatifs possibles, les Togolais lui rendaient un culte digne d’un dieu
immortel. Cela se traduisait notamment par ce qu’on appelait « des
animations » publiques au cours desquelles tout le monde chantait ses
louanges et dansait des heures durant. Chaque occasion était bonne pour
organiser des animations et le louer. Par mon travail, je visais l’efficacité et
non la roublardise. Cela allait me coûter cher.
À la veille de la visite d’une délégation américaine à Lomé, Eyadema
m’appelle et me fait remarquer qu’il n’y a pas d’animation dans le
programme. Je lui réponds que les Américains ont volontairement refusé
cela, préférant s’en tenir à ce qui faisait l’objet de leur visite. Il s’en offusque
et exige que le ministre de tutelle remette les animations au programme. Ce
qui sera fait. Mais, les Américains ne se rendront pas au lieu des animations.
L’autre événement qui a suscité la colère noire d’Eyadema était cette visite
que j’ai effectuée au Département américain de la justice. Pendant cette visite
à Washington, j’étais en compagnie d’un autre ministre, Barry Moussa
Barqué. Les officiels du Département nous ont chargés de transmettre un
message au président Eyadema : la nécessité de séparer le parti unique et
l’État. Au moment de nous rendre au palais voir le président, Barry Moussa
Barqué s’est débiné, prétextant qu’il était malade. Je m’y suis rendu seul.
Quand je transmets le message à Eyadema, cela suscite son ire, il organise
dare-dare une réunion du bureau politique pour m’accuser d’être de
connivence avec les Américains pour le renverser. Ces deux événements ont
suscité en lui une grande haine pour ma personne. Tout portait à croire qu’il
était décidé à se venger tôt ou tard.
Mais, s’il redoutait mon indépendance d’esprit, il avait aussi l’art de
récupérer le fruit de mes initiatives. Il avait ainsi fait preuve d’un
opportunisme sans égal quand le projet de la zone franche pour la
transformation et l’exportation eut abouti à une conclusion heureuse. Il se
l’était approprié et son cabinet avait organisé une grande marche de soutien
en son honneur. C’était une véritable prouesse d’arracher ainsi l’accord des
Américains, car plusieurs capitales africaines étaient prêtes à accueillir cette
initiative. Eyadema n’en croyait pas ses yeux jusqu’à ce que les Américains
annoncent eux-mêmes qu’ils avaient choisi Lomé pour établir la zone
franche.
Personne à ce moment-là n’aurait imaginé que celui qui avait été à
l’origine de ce projet si grandiose serait jeté en pâture aussi facilement. Or,
c’est ce qui devait arriver en 1991. J’ai dû partir en exil et y rester 3 ans. Les
troubles politiques avaient donné lieu à des scènes de violence à l’encontre de
ceux que le peuple jugeait responsables de ses malheurs, car en tant que
ministre des Privatisations et des Entreprises publiques, j’avais notamment
privatisé, restructuré ou fermé de nombreuses entreprises publiques qui
étaient des gouffres à sous. Mais avais-je le choix ? Toujours est-il que les
vandales ne se posèrent pas cette question en 1991 lorsqu’ils entrèrent chez
moi et saccagèrent tout. Je m’étais caché quand les vandales saccageaient ma
maison, quand ils furent partis, j’appelai le président pour l’en informer. Il
promit d’envoyer un hélicoptère pour me mettre à l’abri, promesse demeurée
sans suite.
À cela devait s’ajouter un autre malheur, le célèbre redressement fiscal
ubuesque dont j’avais été victime. Menacé de mort, j’étais aussi harcelé par le
fisc. J’avais dû payer la somme de 510 millions FCFA pour échapper à la
vindicte d’Eyadema. J’avais quitté le pays pour me réfugier en France, à
Cannes. Eyadema avait initié cette cabale fiscale pour me faire chanter, car il
voulait que je garde à la banque un directeur général incompétent. Je m’étais
refusé à cela pour montrer que l’entreprise signerait sa mort dès lors qu’elle
accepterait de se soumettre au diktat du politique. Je décidai alors de quitter
le pays en traversant le Dahomey, en pirogue, pour le Bénin où je passai la
nuit et ensuite je regagnai Paris par avion. Les événements s’étaient succédé
en trois jours seulement.
J’ai tout bradé aux Indiens, le patrimoine immobilier de la SCOA que
j’avais acquis quand les Français avaient décidé de désinvestir au Togo. Ces
actifs avaient une valeur de 800 millions. Bien sûr, le succès de Goyi Score
m’avait valu bien des rancunes, beaucoup avaient demandé pourquoi c’est à
Djondo que les Français avaient revendu Score. Ils avaient nourri la soif de
revanche. Le jour où Eyadema m’a poussé à le brader, ils étaient
certainement contents ! J’ai rassemblé les fonds issus d’autres braderies, j’en
ai aussi emprunté à gauche et à droite. Puis, j’ai établi le chèque. Il fallait le
faire très vite, car les gendarmes m’avaient donné 48 heures pour réunir cette
somme, espérant que je ne réussirais pas à le faire. Du reste, Eyadema avait
alors réuni ses conjurés et sablait le champagne, m’annonçant derrière les
barreaux. Quand j’ai déposé le chèque sur la table, il était très furieux et n’en
revenait pas que j’aie pu réunir un tel montant en si peu de temps. Il exigea
que le chèque fût établi en son nom personnel, ce que je n’aurais fait pour
rien au monde, car si redressement il y avait, ce devait être au profit du
Trésor et non du chef de l’État.
Mon absence a été préjudiciable à Ecobank qui était encore dans le
berceau. Adeyemi Lawson en hérita de la présidence en mon absence. Mais, à
cause d’une altercation avec les actionnaires au cours d’une réunion, il fit une
attaque cardiaque, tomba malade et fut évacué. Il mourut à l’étranger.
Adeyemi Lawson m’a parlé au téléphone, me rassurant que je pouvais rentrer
au pays, qu’Eyadema lui avait confié que je n’avais pas été chassé du Togo et
que si je rentrais, rien ne m’arriverait. 48 heures après cette conversation,
Chief Adeyemi Lawson a rendu l’âme. Mahenta Birima Fall, fonctionnaire de
la CEDEAO, avait assuré l’intérim. Je suis rentré de mon exil en 1993 et ai
repris mon poste de PCA.
La Fédération des chambres de commerce et d’industrie de l’Afrique de
l’Ouest naît en 1976, à peine un an après la création de la CEDEAO. Son
premier président était le Dr Chief Henry Oloyede Fajemirokun, par ailleurs
président de l’Association nigériane des chambres de commerce, des mines et
de l’industrie, de loin la plus puissante d’Afrique de l’Ouest. Quant à
Eyadema, il avait la fibre panafricaine, il avait à cœur la réussite de
l’intégration sous- régionale, il a reçu les associations des chambres de
commerce en 1978. Un entretien riche au cours duquel il a donné des
garanties, et nous a assurés de son soutien auprès de ses pairs. Mais, un mois
et demie après cet entretien historique, Henry Fajemirokun rend l’âme, à
l’âge de 51 ans. Quelque temps après cette mort qui nous avait laissés sans
voix, se tint ledit sommet. Nous croyions venu le moment de bénéficier de
l’attention promise par le président. Lui qui s’était dit prêt à soutenir les
projets de la fédération en tant que président exécutif n’en fit pas cas dans
son discours, et pire, son discours fut empreint de banalités déconcertantes.
Ce fut la déception, une véritable honte, un scandale. La même année, au
mois de novembre, je devins le président de la Fédération des chambres de
commerce ouest africaines. La vice-présidence fut désormais occupée par un
Nigérian, Chief Adeyemi Lawson, brillant avocat formé à Londres.
Le discours d’Eyadema rempli de futilité fut un électrochoc ! Nous
décidâmes alors de prendre les choses en main. Engager des projets
d’intégration économique de l’Afrique de l’Ouest sans passer par le soutien
des chefs d’État. L’idée est venue de créer des entreprises transnationales
fortes, à la fois sous-régionales et continentales. En y pensant, nous nous
sommes rendus compte, à quel point le défi était immense de bâtir des
entreprises d’une telle envergure. La question du financement se posait avec
acuité. La réflexion nous a alors conduits à élaborer un projet de banque
panafricaine au service d’entreprises continentales. In fine, notre
détermination a permis de retourner la situation et d’obtenir le soutien de ces
hommes d’État qui n’accordaient pas tant d’attention à nos projets.
En somme, mon aventure dans les hautes instances de l’administration
publique et en politique m’a permis de tirer une leçon, à savoir que la priorité
dans une carrière socioprofessionnelle est de se doter d’une bonne formation
et de s’en servir pour se donner les moyens de sa politique. Cela permet
d’octroyer le pain quotidien à sa famille et ainsi de définir les conditions qui
vous permettront de bâtir le reste. La jeunesse doit avoir la préoccupation du
développement économique de l’Afrique. Or, quand on observe le drame des
pays francophones, on se rend compte que la jeunesse s’adonne à la politique
comme si la politique constituait une fin en soi. Je me souviens d’une enquête
que j’ai pilotée dans les universités africaines des pays francophones et
anglophones. Partout où l’équipe est passée dans les pays francophones, en
interviewant des étudiants des niveaux licence ou maîtrise, on recueillait la
même préoccupation : devenir de grands fonctionnaires, des ministres. À
peine 5 % de répondants sur une dizaine de campus visités ont parlé de créer
leurs propres entreprises. Or, dans les universités des pays anglophones, 90 %
répondaient qu’ils voulaient créer ceci, construire cela. Voilà la grande
différence. La colonisation a instillé la politique et la bureaucratie dans la
formation des jeunes, ce n’est pas du tout le cas des pays anglophones où la
créativité personnelle prime. Pour être utiles à leur pays, à leur continent, les
jeunes devront s’armer de savoir et de savoir-faire, et créer des entreprises.
C’est seulement à partir de cette posture qu’ils pourront envisager des
parcours politiques, sachant qu’ils entrent en politique pour servir et non pour
se servir.
CHAPITRE XI: LA
COMMISSION BANCAIRE
D’AFRIQUE CENTRALE :
UNE MISSION AMBIGUË
Par Paul K. Fokam
La Commission bancaire d’Afrique
centrale : une mission ambiguë
À la création de la COBAC en 1992, les États de la sous-région Afrique
centrale et la France s’étaient fixé pour objectifs de remettre les banques
sinistrées en bon état, de rétablir de façon permanente la fiabilité du système
bancaire dans la zone afin de soutenir un développement économique
harmonieux et équilibré.
La première décennie ayant suivi cette réforme apportera une embellie.
En effet, entre 1993 à 2002, le système bancaire fut complètement assaini, le
nombre de banques augmenta, l’économie de la sous-région reprit le chemin
de la croissance. Une certaine harmonie s’établit entre le nouveau système de
régulation et les banques qui renouèrent avec la confiance du public.
Pourtant, le ver était dans le fruit ; les textes adoptés en 1990 étaient des
textes d’exception pour une situation d’exception. Ils garantissaient des
pouvoirs exorbitants au système de régulation communautaire afin de lui
permettre de mettre fin à la crise. Aussitôt la crise résorbée, il importait de
revenir à des conditions sereines à même de garantir notamment les principes
fondamentaux de droit.
Au regard du nombre de procès intentés contre la COBAC et au regard
du nombre sans cesse croissant des administrations provisoires, des
règlements en inadéquation avec la politique de promotion de la croissance
économique et de la protection de l’épargne publique, l’on est aujourd’hui
amené à se poser des questions sur la persistance de ce dispositif d’exception.
Premièrement, la convention créant cette Commission bancaire respectait-elle
la logique fondamentale du droit ? Deuxièmement, cette législation épousait-
elle les normes et pratiques éprouvées à l’échelle internationale et surtout
était-elle adaptée à la promotion économique et sociale de la sous-région ?
Dans ma recherche des réponses à ces deux questions, il m’est apparu de
nombreuses anomalies.

- Première Anomalie : Le Flou Est Entretenu


Sur La Nature De La COBAC
La convention du 16 octobre 1990 portant création d’une Commission
bancaire d’Afrique centrale et son annexe ne précisent pas clairement la
nature de la COBAC. Ce qui a été à l’origine de tâtonnements et de
maladresses préjudiciables aux acteurs du système bancaire. Rappelons trois
cas où ce vide a produit des confusions considérables.
Premièrement, en 2003, lorsque Tasha Lowe Lawrence, démis de ses
fonctions de président du conseil d’administration et de directeur général
d’Amity Bank, saisit la Cour de justice de la CEMAC. Celle- ci accepte de
statuer sur cette décision. Se sentant concernée par la procédure, la COBAC
se rend à N’Djamena, entendant défendre sa décision. La Cour de justice de
la CEMAC lui apprend qu’elle ne saurait se présenter devant elle pour la
simple raison qu’elle a statué comme une juridiction en instance. Et une
juridiction ne saurait se présenter en appel pour défendre une décision qu’elle
a prise en instance. Cette jurisprudence a ainsi permis de conclure que la
COBAC est une juridiction. Or, la convention ne l’avait pas précisé.
Deuxièmement, lorsque les actionnaires d’Amity Bank contestent la
décision de vendre les actifs de leur banque à la Banque atlantique, la
COBAC décide de former tierce opposition. Mais, la Cour de justice de la
CEMAC lui répond qu’elle n’est pas appelée à former tierce opposition
contre une décision qu’elle a elle-même prise.
Troisièmement, en 2006, les actionnaires d’Afriland First Bank
décident par un protocole d’accord de regrouper l’ensemble de leurs actions
dans une seule structure sur une place financière de renom afin d’être
capables d’attirer des investisseurs. Les autorités de la COBAC sont
informées de cette démarche. Les dispositions réglementaires indiquent que
toute cession des parts dans un établissement de crédit doit obtenir
l’autorisation préalable de la COBAC. Afriland First Bank demande cette
autorisation le 4 juin 2008. Le 11 décembre 2009, la COBAC, par décision
D-2009/223, oppose son refus de délivrer une autorisation audit
regroupement d’actionnaires. Selon l’article 44 du règlement n
°02/15/CEMAC/COBAC : « la Commission bancaire dispose d’un délai de
trois mois à compter de la date de réception du dossier complet pour statuer
et notifier sa décision au requérant. À l’expiration du délai imparti, l’absence
de décision de la COBAC vaut autorisation préalable».
La COBAC a mis un an et demi après avoir été saisie pour réagir et
opposer son refus à l’opération.
Se basant sur le règlement en vigueur, Afriland First Group introduit
auprès de la COBAC un recours préalable en annulation de sa décision. La
COBAC rejette le recours gracieux et maintient son refus. Afriland First
Bank et Afriland First Group saisissent dès lors la Cour de justice de la
CEMAC.
La COBAC intervient pour se justifier. La Cour de justice de la
CEMAC reçoit la demande de la COBAC, arguant que ce n’est pas en tant
que juridiction que la COBAC a pris la décision, mais en tant qu’autorité
administrative. Dès lors, elle entend la COBAC.
À partir des deux premiers cas de jurisprudence, la COBAC a compris
qu’elle est une juridiction. Pourtant, la troisième lui apprend qu’elle est aussi
une autorité administrative. Ce flou sur la nature de la COBAC induit un
autre flou : sur sa responsabilité. En tant qu’autorité administrative, la
COBAC rend des décisions qui peuvent être annulées par la Cour de justice
de la CEMAC. En tant que juridiction, la Cour ne répond pas de ses actes.
Mais, qui répond donc des actes de la COBAC ? Cette question est
fondamentale pour des raisons d’équité et de responsabilité, mais également
pour la protection des épargnants et des investisseurs, condition sine qua non
pour un développement soutenu et harmonieux de toute économie.

- Deuxième Anomalie : Non-Respect Du


Principe De La Séparation Des Pouvoirs
La séparation des pouvoirs est un principe fondamental de droit. Elle a
pour but d’éliminer les abus. Or, la Convention du 16 octobre 1990 a confié
les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire à la seule COBAC.
Concrètement, cet organe adopte les normes prudentielles (pouvoir législatif)
; délivre des agréments (pouvoir administratif) ; veille à l’application de ces
normes à travers des contrôles sur place et sur pièce (pouvoir de contrôle) et
sanctionne aussi les écarts (pourvoir judiciaire). Une telle concentration des
pouvoirs ouvre la porte à des comportements abusifs et définit les conditions
d’exercice de l’arbitraire en défaveur des acteurs indésirables du système.
Selon l’article 12 de l’annexe à la convention portant harmonisation de
la réglementation bancaire dans les États de l’Afrique centrale, l’agrément
des dirigeants responsables et des commissaires aux comptes est prononcé
par arrêté pris par l’Autorité monétaire sur avis conforme de la Commission
bancaire. En acceptant de signer l’agrément des dirigeants de banque, le
ministère des Finances n’engage-t-il pas la responsabilité première de l’État
en cas de faillite ? L’avis conforme et préalable de la Commission bancaire
n’engage-t-il pas sa responsabilité en cas de faillite ? Ces questions me
taraudent l’esprit, car en faisant le tour des régulations bancaires dans le
monde, on se rend compte que ce cas est unique, car dans tous les autres cas,
la seule disposition prévue est « l’information préalable ou l’information
immédiate ». Partout dans le monde, l’Assemblée générale des actionnaires
élit les dirigeants responsables et informe le régulateur des choix qui ont été
portés. Le régulateur se contente, quant à lui, de vérifier que le choix opéré
est conforme aux lois et règlements en vigueur. En cas de non-respect de la
réglementation, le superviseur bancaire informe l’organe décisionnel de la
violation de la loi afin de lui permettre de rectifier sa décision. Mais, dans le
cas de la zone CEMAC, il y a deux notions qui équivalent à des décisions :
avis conforme et préalable ou avis de non-objection. Sinon, comment
comprendre le dispositif de l’avis conforme et préalable ou de non objection
qui est une condition sine qua non de la nomination des responsables des
organes exécutifs d’une banque ?
En principe, l’avis conforme n’est pas un acte de gestion, car cet avis
n’engage pas la responsabilité de la Commission bancaire qui l’émet.
Cependant puisque l’avis est non seulement conforme, mais préalable, il
devient une condition pour l’exercice de l’activité, et par ricochet, un acte de
gestion : celui qui nomme endosse la responsabilité de tout ce qui va suivre.
Le règlement COBAC R-2016-02 relatif aux modifications de situation
des établissements de crédit prévoit en son article 24 que la modification de
la structure du conseil d’administration d’un établissement de crédit est
soumise à l’information préalable de la COBAC. La désignation des
administrateurs et le renouvellement de leurs mandats sont soumis à
l’information préalable de la COBAC.
L’article 12 du règlement n°04/08/ CEMAC/UMAC/COBAC relatif au
gouvernement d’entreprise dans les établissements de crédit de la CEMAC
prévoit que la désignation des administrateurs est soumise à l’information
préalable de la COBAC, au moins 15 jours avant la date de la première
réunion à laquelle prendront part les intéressés.
Si elle n’a rien dit au sujet d’un administrateur qui par la suite se
montre défaillant, la COBAC est-elle responsable ? Le règlement 02/14/
CEMAC/UMAC/COBAC relatif au traitement des établissements de crédit
en difficulté dans la CEMAC impose un avis de non-objection de la COBAC
avant l’entrée en fonction de nouveaux administrateurs élus par les
assemblées générales compétentes. Ce qui est une violation de la loi
supranationale qui donne les pouvoirs de gestion au seul conseil
d’administration.
Le problème va plus loin, avec le règlement qui permet à la
Commission bancaire de prendre part à la désignation des membres du
comité d’audit, du responsable de l’audit interne et du responsable du risque
et de la conformité. Selon l’article 31 du règlement COBAC
R- 2016/04 relatif au contrôle interne dans les établissements de crédit
et les holdings financières, le secrétaire général de la COBAC est notifié de la
nomination des membres du comité d’audit avant sa prise d’effet. […] En
l’absence d’objection motivée de celui-ci (le Sg), dans un délai de 45 jours
après sa notification, cette nomination prend effet.
L’article 49 prévoit, quant à lui, que la désignation du responsable de
l’audit interne, qui est un employé de l’établissement assujetti, est soumise au
régime de l’information préalable : Le secrétaire général de la COBAC est
notifié de sa nomination avant sa prise de fonction. […] En l’absence
d’objection du secrétaire général de la COBAC, dans un délai de 45 jours
après sa nomination, cette nomination prend effet.
Quant au contrôleur du risque, sa nomination prévoit, à l’article 55, le
même régime de notification : « Les établissements assujettis désignent un
responsable chargé de veiller à la cohérence et à l’efficacité du contrôle du
risque de non-conformité dont ils communiquent le nom au secrétaire général
de la COBAC. » Toutefois, le délai de 45 jours pour l’avis d’objection n’est
pas prévu.
Pareillement pour le responsable de la gestion des risques prévu à
l’article 57 : Les établissements assujettis désignent un responsable de la
gestion des risques. Sa nomination est notifiée au secrétariat général de la
COBAC.
D’année en année, la COBAC s’arroge le pouvoir de gestion en
participant à la nomination des personnes impliquées dans l’exécutif
quotidien des banques, en exigeant son approbation avant certaines dépenses
ou dérogations dans les actes de gestion quotidienne. Dès lors, la confusion
entre le pouvoir de gestion et de contrôle est établie. Avec tout cela, il est
permis de se poser la question de la responsabilité en cas de faillite d’une
banque, et enfin, la question de fond qui relève du conflit de compétence à
partir du moment où l’organe de contrôle s’arroge les pouvoirs fondamentaux
de gestion.
Conséquences dommageables pour le système financier et pour
l’économie. Ce sont les risques financiers que les États membres et la
CEMAC courent en cas de faillite d’une institution vis-à-vis des actionnaires
et déposants. Tout se passe aujourd’hui comme si toutes les banques étaient
sous administration provisoire. Tout se passe comme si la loi supranationale
OHADA n’existait plus. L’assemblée générale et le conseil d’administration
d’une institution financière n’ont plus de rôle. Puisque c’est la COBAC qui
nomme désormais le conseil d’administration, les directeurs généraux, les
auditeurs externes (avis de non-objection de la COBAC avant la prise de
fonction), les auditeurs internes, avis préalable de la COBAC avant le conseil
d’administration. La plus grande question qui se pose aujourd’hui est qu’en
cas de faillite, qui est responsable : la COBAC, les États membres, le conseil
d’administration ou la direction générale ?
Pour quelle raison la COBAC croit-elle que son immixtion dans la
gestion des banques contribuera à protéger l’épargne publique qui est sa
mission première ? La COBAC a-t-elle été instituée pour gérer les banques
ou pour les contrôler ? Comment, dans ces conditions, éviter les abus de
toutes sortes inhérents à la nature humaine ? Pourquoi cet exemple singulier,
qui n’existe dans aucune autre région du monde, prend-il corps en Afrique
centrale ? Ces abus sont- ils de nature à promouvoir le secteur bancaire
efficacement pour une économie prospère ? Voilà autant de questions sans
réponses qui me taraudent l’esprit depuis un certain temps et qui me rendent
perplexe quant à l’avenir économique de cette sous-région, à l’émergence des
champions économiques de la région, en conséquence à la croissance des
ressources des États membres pour leurs missions régaliennes. Cette
anomalie met dans l’insécurité totale tout investisseur dans le secteur
financier en zone CEMAC, et de fait, hypothèque l’avenir économique de la
zone. Ces dispositifs expliquent en partie le désintérêt de certains groupes
financiers occidentaux de la zone.

- Troisième Anomalie : Les Administrations


Provisoires Sont Inadéquates Et Contestées
Les administrations provisoires de la COBAC se sont révélées
catastrophiques pour les banques du fait de la manière dont elles sont
conduites.
L’annexe à la convention portant création d’une Commission bancaire
en Afrique centrale prévoit, en son titre II, article 14, que « de manière
générale, la nomination d’un administrateur provisoire intervient lorsqu’il y a
carence dans l’administration, la gérance ou la direction de l’établissement ».
La première remarque est que le législateur n’a pas défini ce qu’il
entend par carence de l’administration, gérance ou direction de
l’établissement. Que constate-t-on dans la pratique ? Dans plusieurs cas, la
nomination des administrateurs provisoires par l’organe de contrôle est
sujette à controverse. À titre d’exemple : lorsque la Commercial Bank of
Central Africa (CBCA) et la Commercial Bank of Cameroon (CBC) sont
placés sous administration provisoire en 2009, leurs directeurs généraux
respectifs sont désignés administrateurs provisoires. L’on se demande
comment un dirigeant peut sanctionner une gestion défaillante dont il est
responsable.
On note également le non-respect de la durée légale des mandats des
administrateurs provisoires : le mandat de tout administrateur provisoire est
de six mois renouvelable une fois, selon la convention. Or, que se passe-t-il
dans la réalité ? Les administrateurs provisoires voient leurs mandats
renouvelés plusieurs fois. Martin Luther Njanga Njoh a exercé les fonctions
d’administrateur provisoire de la CBC entre novembre 2009 et juin 2016,
c’est-à-dire 6 ans et demi, ce qui constitue une violation de la réglementation
bancaire. C’est ainsi que de façon permanente, la COBAC viole elle-même
ses propres règlements.
Le fait de nommer des administrateurs provisoires pour des durées
indéfinies s’accompagne d’une gestion à l’emporte-pièce des entreprises
mises sous administration provisoire. Les recrutements de complaisance ainsi
que la rémunération exorbitante figurent au nombre des frasques des
administrateurs provisoires de la COBAC. Plusieurs administrateurs
provisoires nommés par la COBAC touchent des salaires disproportionnés
par rapport à la pratique, au niveau d’activité et à l’état des entreprises qu’ils
sont censés redresser.
Au vu de tout ce qui précède, il est évident que la COBAC court le
risque d’être attaquée en justice pour dommages et intérêts par les
actionnaires d’une institution financière en raison des multiples fautes et abus
commis dans l’exercice de ses missions. Il devient tout aussi facile de
comprendre pourquoi les décisions de la COBAC sont de plus en plus
contestées et attaquées en justice. L’on comprend enfin pourquoi la COBAC
perd 95 % de ses procès devant la Cour de justice de la CEMAC. Par
conséquent, une réforme de cette institution est devenue une nécessité
impérieuse pour la survie du système bancaire de la sous-région. Notons en
passant que la banque est le moteur de toute économie. Si le moteur
s’enrhume, toute l’économie sera grippée.

- Quatrième Anomalie : Une Régulation


Bancaire Qui N’est Pas Au Service De L’économie
Protéger le secteur bancaire signifie-t-il empêcher les ressources
collectées d’être mises au service de l’économie ? La COBAC a une
obsession pour la liquidité. Selon l’article 5 du règlement COBAC R-93/06
relatif à la liquidité des établissements de crédit, les établissements assujettis
doivent, à tout moment, présenter un rapport de liquidité au moins égal à 100
%.
Dans le contexte des années 90, cela s’expliquait ; la sous-région était
en crise et il était urgent de rétablir la stabilité. Il n’existait pas de marchés
financiers, le marché interbancaire était presque nul. La globalisation était à
ses débuts. Deux décennies et demie plus tard, la sous-région voit son secteur
bancaire connaître une phase de relative stabilité, alors que sa croissance est
atone. Conséquence : on devrait s’attendre à plus de souplesse. Mais, la
COBAC continue de serrer la vis.
L’article 4 du règlement COBAC R-14/02 reprend ce ratio à la virgule
près : « Les établissements assujettis doivent, à tout moment, présenter un
rapport de liquidité au moins égal à 100 %. » Ces dispositions ont engendré
de fortes réserves oisives ; on est passé de l’illiquidité à la surliquidité.
Par ailleurs, la protection des ressources signifie-t-elle que l’on mette
les entrepreneurs du secteur banquier en péril ? À bien observer les
interventions de la COBAC et de ses administrations provisoires dans les
Établissements de crédit en zone CEMAC, on se demande si on peut protéger
l’équilibre du secteur bancaire en asphyxiant la banque. En considérant
l’établissement de crédit comme ce qu’il est a priori, à savoir une entreprise,
c’est une porte que l’on ouvre sur la dimension socioéconomique de la
régulation, de loin la plus complète et la plus aboutie. Une banque est d’abord
et avant tout une entreprise. Elle crée des emplois et paie des impôts. Ensuite,
c’est une entreprise particulière, puisqu’elle fait naître, vivre, évoluer,
renaître d’autres entreprises. Si la tendance a été à la répression, c’est que
l’on n’a pas eu conscience que l’effondrement d’une banque implique que
des centaines d’entreprises s’effondreront, avec eux des emplois et des
sources de revenus fiscaux qui tariront.
Pour préserver l’équilibre entre l’économie et la société, il faut que la
répression laisse la place à la pédagogie et à la prévention. Parce qu’elle est
née dans une situation d’illiquidité, la COBAC a centré son action sur la
recherche de la liquidité, à telle enseigne que la surliquidité n’a pas tardé à se
substituer à la liquidité. Mais, la recherche de la liquidité est un objectif
autarcique, c’est-à-dire qu’elle considère le secteur bancaire comme un îlot
plutôt que comme un élément nécessaire à l’équilibre de l’ensemble de la
société. Finalement, la surliquidité dessert la société en panne de richesse.
Mais, à quoi sert-il d’idolâtrer la liquidité si elle ne peut pas nourrir
l’économie ? La stabilité financière ne suffit plus ; la régulation implique, au-
delà de la stabilité financière, une stabilité économique. Nous gagnerions à
relier le secteur bancaire à l’économie et à la société. C’est un chantier sur
lequel doit tabler la COBAC.

- Cinquième Anomalie : Le Contre-Pouvoir De


La COBAC Ne Jouit Pas D’une Prérogative De
Coercition
Au terme de l’article 4 de la convention régissant la Cour de justice de
la CEMAC (CJ/CEMAC), elle [la CJ/CEMAC] est juge en appel et en
dernier ressort des litiges opposant la Commission bancaire de l’Afrique
centrale (COBAC) aux établissements de crédit assujettis. Or, on se rend
compte, en consultant la jurisprudence, que certains arrêts de la CJ/CEMAC
ne sont pas appliqués à cause de l’absence d’une prérogative de coercition.
Un exemple bien précis : dans l’affaire Amity Bank/COBAC, la CJ/CEMAC
a annulé les procédures instruites par la COBAC et ayant finalement conduit
au retrait d’agrément d’Amity Bank au profit de la Banque Atlantique. Mais
sur le terrain, au Cameroun, c’est bel et bien la Banque Atlantique qui
continue d’exercer, avec les fonds de commerce d’Amity Bank. Ce blocage
n’est pas étonnant.
On observe en général que lorsque la Commission bancaire est
condamnée par la CJ/CEMAC, non seulement elle refuse d’appliquer la
sanction, mais aussi, elle met en place de nouveaux règlements dans le seul
but de contourner la recevabilité. Dans d’autres cas, elle organise des
contrôles punitifs pour chercher la petite bête à tous les prix afin d’instruire
de nouvelles affaires.
Comment attendre de la Commission bancaire qu’elle se désavoue elle-
même ? Il faudrait doter la CJ/CEMAC d’un pouvoir de coercition destiné à
lui permettre de veiller à l’application de ses arrêts. Sinon, ceux-ci resteront
continuellement lettre morte. L’une des solutions, en cas de non- application
des décisions par la Commission bancaire, pourrait être de doter la
CJ/CEMAC de la prérogative de prononcer des astreintes lourdes d’une part,
ou, de l’autre, d’ordonner à l’État du lieu d’implantation de l’entreprise
concernée ou à la CEMAC d’exiger l’exécution des décisions.
Le pouvoir exorbitant de la COBAC, sans contre-pouvoir réel ni
possibilité de recours efficace, doublé du statut d’immunité diplomatique,
constitue un obstacle majeur à l’éclosion d’une classe de créateurs de
richesses, pour ne pas dire de champions sous- régionaux.
Mais, la paralysie ne cible pas uniquement le secteur bancaire, elle
s’étend également à la microfinance qui, dans l’esprit et dans la pratique, est
supposée obéir aux règles, us et coutumes de la localité qui l’accueille. La
COBAC s’est, entre-temps, avec la complicité des institutions de Bretton
Woods, arrogé la réglementation du secteur de la microfinance et y a
également imposé des règles rigides. C’est ainsi qu’on assiste à des
règlements qui paralysent l’innovation, qui anéantissent la liberté
d’association, qui rendent rigide le fonctionnement d’une structure dont la
vocation est la flexibilité. Dès lors, il ne faut pas être surpris des résultats
décevants, à quelques exceptions près, enregistrés dans les secteurs de lutte
contre la pauvreté.
Il me semble nécessaire de rappeler que deux approches s’affrontent en
matière de lutte contre la pauvreté : le top-down et le bottom-up. L’approche
top-down est défendue par une partie des spécialistes de la microfinance, des
économistes et des lobbyistes tels que Jacques Attali, président de Planet
Finance, fondée en 1988 et devenue Positive Planète en 2015. Muhamad
Yunus, le fondateur de la Grameen Bank, prix Nobel de la Paix en 2006 pour
ses actions en faveur de l’inclusion financière des pauvres. Cette théorie est
basée sur le principe selon lequel le pauvre est trop pauvre pour épargner, que
dans ces conditions, il lui est difficile voire impossible de prendre son destin
en main. En conséquence, seule l’aide permanente ou le microcrédit peut
l’aider à sortir de cette situation. Ce constat mathématiquement juste conduit
le pauvre à une situation de dépendance permanente qui lui ôte sa dignité, le
condamne à perpétuité à la mendicité.
Dans ces conditions, plus les fonds sont déboursés pour servir la cause
des pauvres, pour soi-disant lutter contre la pauvreté, plus le pauvre s’enfonce
dans l’extrême pauvreté, et plus la misère devient galopante, plus la violence
prend le pas sur la paix. Les campagnes de distribution de microcrédits aux
pauvres du Bangladesh ont été saluées par un enthousiasme inédit. Mais, que
s’est-il passé par la suite ? Des paysans qui n’arrivent pas à rembourser, des
taux d’intérêt qui s’accumulent, les pauvres qui s’appauvrissent, certains qui
se suicident, etc.
La deuxième approche, le bottom-up, commence par le rejet de la
définition de la pauvreté défendue et soutenue par les institutions de Bretton
Woods, lesquelles définissent le pauvre comme celui qui vit avec moins de
deux dollars américains par jour. En réalité, la pauvreté est d’abord
intellectuelle avant d’être matérielle. Dans l’approche bottom-up défendue
par les spécialistes de la microfinance et non du microcrédit, le Dr Paul K.
Fokam, l’initiateur du réseau MC2, définit la pauvreté comme un état de
dénuement intellectuel, matériel et/ou moral qui empêche l’individu de
s’assumer convenablement et de s’intégrer dans la vie sociale, économique,
culturelle ou politique d’une nation. Pour Paul Fokam, cet état peut être total
ou partiel, mais jamais irréversible. Il revient à chaque individu de trouver les
moyens pour s’en sortir.
C’est l’approche que je défends depuis 1989, date à laquelle j’ai
soutenu ma thèse de Doctorat à l’Université de Bordeaux sur le thème de la
création de la richesse dans les milieux pauvres. En son temps, cette thèse
iconoclaste m’avait valu les foudres du jury dans la mesure où la pensée
économique dominante soutenait exactement le contraire. Pour passer de la
théorie à la pratique et mettre à nu la déconnexion des « grands »
économistes qui estimaient que le pauvre est condamné à la pauvreté, je
m’étais évertué à appliquer sur le terrain les conclusions de ladite thèse, en
mettant en place le modèle MC2 dans les milieux ruraux. Après un quart de
siècle, les résultats parlent d’eux-mêmes.
Je me souviens que lors du sommet sur le microcrédit qui s’est tenu à
Washington en 1997 à l’instigation de l’UNESCO, les deux approches
s’étaient affrontées. Pendant ma prise de parole, j’avais fait entendre que la
pauvreté n’est pas une fatalité et que l’aide apportée au pauvre ne le sortira
pas de la pauvreté sans une conversion intérieure de la part de celui-ci, sans
une prise de conscience, sans engagement à prendre son destin en main. Des
années plus tard, l’approche top down qui sert de base à diverses politiques
de lutte contre la pauvreté dans le monde a eu le temps de montrer ses limites.
L’on a donné soit de l’aide soit des microcrédits à des pauvres en espérant
qu’ils s’en tireraient. Les échecs essuyés ou les résistances rencontrées dans
l’éradication de la pauvreté de cette façon dans les milieux pauvres d’Afrique
subsaharienne ou d’Amérique latine sont là pour démontrer que la base était
fausse. Mais, cet échec n’indique pas que la pauvreté est invincible, mais
plutôt qu’il faut cesser de la combattre par l’approche top down. La pauvreté
est d’une complexité incroyable ! Elle comporte une dimension
anthropologique, une dimension économique, une dimension philosophique
voire une dimension sociologique. L’approche top down ne voit que l’aspect
économique.
Les chiffres que publient la Banque mondiale ou le PNUD sont
éloquents en matière de résistance de la pauvreté, simplement parce que
personne ne s’est assuré que le pauvre n’a pas pris conscience de sa
condition, n’a pas décidé d’en sortir, n’a pas admis que le travail crée la
richesse, n’a pas pris la résolution de se mettre au travail. C’est un processus
cohérent. Une fois que l’on a traversé ces étapes, il reste à épargner une partie
de la richesse issue des revenus tirés de son labeur ou même des dons reçus.
Éventuellement de l’épargne de la communauté à laquelle on appartient. Il
faut préciser ici que l’épargne n’est pas seulement fonction du niveau de
revenu, mais également fonction de la volonté d’être maître de son destin, de
changer le cours de sa vie.
Le problème ne se pose pas au niveau de l’épargne mais au niveau de la
volonté d’épargner, il se situe au niveau de la volonté de sortir de la situation
de pauvreté. L’épargne, quel que soit son montant, est le premier pas vers la
richesse, l’aide permanente un véritable somnifère. De la deuxième approche,
nous pouvons conclure qu’à tout individu, on doit donner sa chance de s’en
sortir par lui-même en lui expliquant et en lui faisant découvrir les immenses
capacités qui se cachent en lui, les grandes potentialités qui l’entourent, enfin
et surtout ses grandes capacités managériales et la richesse de sa culture. La
seule approche capable de réveiller un homme semble aujourd’hui être
l’approche bottom-up qui donne à chacun le droit à l’erreur, en fait le droit de
se tromper, car l’erreur est formatrice ; c’est une véritable école. Mais, la
répétition de la même erreur est une faute qui doit être condamnée et
sanctionnée sévèrement. Il me semble important de préciser que tous les
grands systèmes qui ont réussi aujourd’hui (Raiffeisein en Allemagne, Crédit
Agricole en France, les Caisses Desjardins au Canada, le modèle MC2 en
Afrique), et qui font la fierté de leurs pays respectifs, sont fondés sur la
théorie bottom-up.
Au contraire de ces exemples de succès, le modèle top-down qui a été
appliqué dans les politiques de lutte contre la pauvreté s’est malheureusement
soldé par une défaite retentissante. On a fait croire que la richesse tombe du
ciel. L’aide et le crédit peuvent être de puissants vecteurs de pauvreté s’ils ne
reposent pas sur une philosophie d’autodétermination. Cela nous permet de
comprendre que la richesse se crée par le bas, dans les couches sociales, au
sein de la famille, au sein de la PME. Les politiques des industries
industrialisantes ont procédé par cette conception du top down selon laquelle
il fallait faire tomber la richesse du ciel. En effet, la philosophie des
industries industrialisantes part du principe qu’elles permettront de propulser
d’autres industries pour créer un cercle industriel harmonieux. Nous avons vu
les catastrophes qui en ont résulté : des éléphants blancs abandonnés dans la
broussaille. Les projets d’entreprises doivent tenir compte de la loi de
l’évolution : tailler le projet à la mesure de l’environnement ; commencer le
plus bas possible, pour maîtriser les processus ; évoluer doucement et bien
apprendre de ses échecs, se remettre de ses succès, etc. Un tel processus
participe de la création de la richesse et non de la lutte contre la pauvreté.
Or, il se trouve que dans la zone franc, la supervision de la
microfinance est confiée à des structures supranationales qui, désormais,
ont la lourde mission de créer les conditions d’épanouissement de ces
microstructures. Devant une telle incongruité, il est permis de se poser
quelques questions : comment est-il possible de confier un système qui doit
se nourrir essentiellement des us et coutumes d’une communauté donnée à
une superstructure ?
Le fondement de la microfinance, c’est la mutualisation des moyens de
création de la richesse dans des milieux sociaux exclus de la finance
classique. Les personnes concernées sont généralement des populations
démunies. Quand elles se mettent ensemble, c’est pour accomplir ce que
chacune d’elles ne serait pas en mesure de faire prise isolément. Il est vrai
que leur condition de populations défavorisées ne les met pas à l’abri du
contrôle. D’où la nécessité d’une structure qui veille à l’orthodoxie de la
gestion afin d’éviter les abus des biens sociaux et les détournements divers.
La question se pose plutôt au sujet de la nature de cette superstructure qui
tombe presque du ciel. En imposant une organisation de type top-down, les
pouvoirs publics réduisent l’efficacité de cet outil, en l’étouffant avec des
normes qui n’ont rien à voir avec sa spécificité. Ce qui était logique et
naturel, c’était de constituer une structure composée de personnes issues de
ce même milieu, qui partagent les mêmes préoccupations culturelles et les
mêmes exigences éthiques.
Ensuite, comment comprendre que les autorités chargées du
développement communautaire dans une nation donnée aient pu accepter de
démissionner de leur mission ? Serait-ce un aveu d’incapacité ou une simple
démission ? À cette autre question, je convoque le fondement historique de
l’aliénation africaine : l’Africain a été conditionné pour accepter qu’il ne vaut
rien et que la solution à ses problèmes viendra de l’étranger et plus
précisément de l’Occident.
L’aliénation a suscité dans l’organisation sociale une forme d’éducation
caractérisée par la récitation, ce qui est un obstacle à la remise en cause, à la
recherche et à l’innovation. En conséquence, les solutions à nos problèmes
doivent être recherchées dans l’intelligence de la communauté internationale.
C’est ce qui peut expliquer que certains princes vont dire : « Mon peuple a
faim, venez lui donner de l’aide. » Comme si d’autres princes n’avaient pas
leurs propres peuples à nourrir.
Autre question qui découle de cette situation étonnante : comment
croire qu’un étranger puisse apporter des solutions efficaces à nos problèmes
vitaux ? J’esquisse la réponse suivante : le prince étranger s’occupe des
problèmes de sa propre population et les nôtres sont renvoyés aux calendes
grecques.
Enfin, comment autoriser la destruction d’un système ancré dans la
culture ancestrale pour le remplacer par un système importé sans relation
avec le milieu d’implantation ?
Le fait de terminer mes chapitres par le questionnement est la
traduction de mon incapacité à comprendre l’attitude, le comportement et
surtout l’absence de remise en cause des Africains que nous sommes.
CHAPITRE XII: AFRILAND
: NAISSANCE D’UN
CHAMPION NON DÉSIRÉ
Par Paul K. Fokam
Afriland : naissance d’un champion
non désiré
Toute économie aspirant à une croissance soutenue, harmonieuse et
durable est obligée d’avoir un certain nombre de piliers qui la portent. Parmi
ces piliers, trois nous semblent les plus solides pour une économie désireuse
de s’émanciper et de s’affirmer comme un acteur important de la scène
économique régionale ou mondiale. On peut d’abord noter la politique fiscale
attractive, cohérente et durable, ensuite un peuple formé, techniquement au
point, scientifiquement armé et socialement enraciné dans sa culture, enfin et
surtout des champions économiques susceptibles de promouvoir la création
de richesses en quantité suffisante pour permettre à l’État d’avoir des moyens
à la hauteur de ses ambitions et remplir ses missions de protection du
territoire, des biens et des personnes, de donner aux ménages le pouvoir
d’achat nécessaire pour entretenir une demande solvable s’adressant à
l’économie.
La Création D’Afriland
Afriland First Bank est née en décembre 1986, alors que la première
demande a été initiée en 1984. À l’époque, les textes en vigueur au Cameroun
précisaient que, sauf dérogation spéciale du président de la République, une
demande d’agrément de banque ne peut prospérer que si et seulement si les
intérêts publics y sont au moins égaux à 35%. Notre ambition était de créer
un groupe bancaire sans intérêt public. Dans ces conditions, il fallait obtenir
la dérogation spéciale du président de la République, et pour l’avoir, il était
important de disposer de motivations profondes qui devaient aider la plus
haute personnalité de l’État à prendre une telle décision. Or, dans l’exposé
des motifs de la loi, l’obligation d’avoir au capital des intérêts publics n’était
pas présente, mais plutôt l’obligation d’avoir des intérêts nationaux. C’est
lors de la transcription des textes de loi que, pour des raisons difficiles à
comprendre, les intérêts nationaux ont été transformés en intérêts publics.
La rencontre avec le président de la République Paul Biya en septembre
1986 a permis d’obtenir la dérogation spéciale qui a fait avancer le dossier
jusqu’à la signature de la licence en novembre 1986. Ici, une explication
s’impose. Beaucoup de personnes ont l’habitude de s’interroger sur la raison
pour laquelle j’avais décidé de donner le nom « Caisse commune d’épargne
et d’investissement », en abrégé CCEIB. Il y avait deux raisons
fondamentales. La première doit être recherchée dans ma volonté de faire de
cet instrument un support pour l’éducation de mes compatriotes. En effet, je
souhaite faire comprendre que l’épargne est la source nourricière de
l’investissement et qu’ils sont, tous les deux, les premiers pas vers la richesse,
bref, vers l’éradication de la pauvreté.
La deuxième raison relève de ma bonne connaissance de la mentalité
du fonctionnaire de l’époque qui, par ignorance, par complexe d’infériorité
vis-à-vis du Français, par protection de ses privilèges sinon par jalousie vis-à-
vis de son compatriote, ne laisserait pas passer un projet de banque par un
Africain, encore moins un compatriote sans intérêt public qui permettrait de
garder son influence dans cette unité. Dès lors, j’ai décidé de définir l’objectif
sans le nommer, de fournir le contenu en évitant de l’habiller afin de lui
donner plus de chance de gestation et de naissance.
Dès l’ouverture de la première unité à la clientèle en 1987, commence
le parcours du combattant, arrivée d’un conseiller technique du ministère des
Finances, spécialement chargé de tuer le bébé dans l’œuf. Bien des années
après son affectation, il me confiera qu’il avait manqué son objectif et que sa
carrière avait, pour ainsi dire, reçu du plomb dans l’aile.
En 1990, le ministère des Finances impose une augmentation du capital
des banques, de 300 millions FCFA à 1 milliard, avec pour objectif non
déclaré l’élimination des entrepreneurs nationaux qui, espèrent les officiels,
ne pourront pas satisfaire à ce niveau d’exigence en fonds propres. Nous
réussissons quand même à boucler le capital dans les délais.
En 1993, nous reçûmes la première mission de contrôle de la COBAC
qui était composée, entre autres, d’un chef de mission de nationalité
congolaise et d’un membre de la coopération française. Celui-ci demanda à
celui-là de biaiser le résultat de leur contrôle sur place dans le but de mettre
Afriland First Bank en difficulté, ce qu’il refusa. En 1997, la deuxième
mission de la COBAC, dirigée par un expert français, aboutit à des
conclusions de fonds propres négatifs de 5 milliards sans justification et en
violation de tout texte réglementaire. Une contre-expertise menée par un
cabinet indépendant démontrera que le capital est de 612 millions FCFA et
que le déficit à combler n’est que de 400 millions, ce qui avait alors été
comblé sans difficulté.
En 2006, Afriland prend la décision d’assumer une aventure
internationale en créant avec les principaux actionnaires un holding de
portefeuille susceptible de soutenir le développement des unités bancaires et
non bancaires en Afrique et dans le monde. Ces actionnaires sont : le FMO,
un groupe hollandais, SBF, un groupe luxembourgeois et Dr Fokam, leader
d’un groupe africain. Dès lors, commence l’aventure la plus périlleuse.
Les trois partenaires sont animés par la vision d’une banque africaine
de classe mondiale et veulent unir leurs efforts pour doter l’Afrique de
groupes panafricains capables de compétir avec leurs homologues venus
d’Occident. C’est ainsi qu’ils créent Afriland First Group basé à Genève en
raison de la notoriété de cette place financière, de la facilité d’accès aux
financements internationaux, de la nécessité de capitaliser les opportunités
qu’offre une place financière de cette dimension, etc.
L’agrément De L’actionnaire D’AFG
En 2007, le FMO et Dr Fokam rencontrent les autorités de la COBAC
pour leur exprimer leur intention de réorganiser leurs participations. Un
accord de principe leur est donné par les autorités de la COBAC de l’époque.
En début 2008, intervient un changement au niveau des équipes tant à la
Banque centrale qu’à la Commission bancaire. Le 4 juin 2008, le président du
conseil d’administration d’Afriland First Bank saisit le secrétaire général de
la COBAC par une demande de regroupement des principaux actionnaires
dans une seule structure, modifiant ainsi la structure du capital d’Afriland
First Bank, demande introduite à la fois pour Afriland First Bank et pour
CCEI Bank GE.
Le 22 septembre 2008, le secrétaire général adjoint de la COBAC
répond en invitant Afriland First Bank à fournir les informations juridiques
de SBF Finance SA, la structure de l’actionnariat du holding Afriland First
Group et la répartition du capital social d’Afriland First Bank avant et après
le transfert des participations envisagé, informations pourtant déjà transmises
en son temps à la COBAC. Néanmoins, le président du conseil
d’administration d’Afriland First Bank envoie au secrétaire général de la
COBAC un mois plus tard les informations sollicitées, avec en annexe toutes
les pièces demandées.
Trois mois après, Afriland First Group se met en place conformément
au règlement nº02/15/CEMAC/UMAC/COBAC qui stipule en son article 44 :
La Commission bancaire dispose d’un délai de trois (03) mois à compter de
la date de réception du dossier complet pour statuer et notifier sa décision au
requérant. À l’expiration du délai imparti, l’absence de décision de la
COBAC vaut autorisation préalable. C’est 9 mois après la transmission des
informations sollicitées par la COBAC que le secrétaire général adjoint de la
COBAC écrit pour dire que le dossier de regroupement d’actions au sein
d’Afriland First Group est en cours d’instruction par ses services. Au regard
des dispositions réglementaires rappelées ci-dessus, cette lettre était sans
objet. Le regroupement étant considéré comme validé, Afriland First Group
s’était constitué et menait ses activités régulièrement, dans la légalité. Or, la
COBAC notifiera à Afriland First Bank, par décision COBAC D-2009/223,
son refus d’autorisation préalable de modification de l’actionnariat sollicitée
en vue du regroupement d’actions au sein d’Afriland First Group.
Toujours respectueux de la réglementation en vigueur, le président
d’Afriland First Bank adresse une lettre au président de la COBAC à temps,
le 6 janvier 2010, pour solliciter un recours gracieux contre la décision
COBAC D-2009/223 portant refus d’autorisation préalable pour la
modification de la structure de l’actionnariat d’Afriland First Bank. Cette
lettre de recours gracieux fait ressortir d’abord que ce refus est sans
justification aucune et sans base légale, qu’il s’agit de regroupement
d’actionnaires historiques de la banque dans une même structure, à savoir
FMO (Hollande), SBF Finance SA (Luxembourg) et Dr Paul Fokam
(Cameroun) ; ensuite, le coût engendré pour Afriland First Group par le refus
de la COBAC : d’une part, la perte de financements d’environ 50 millions
d’euros qui auraient dû provenir de FMO et de DEG, et d’autre part, le gel du
projet d’entrée de BIO (fonds d’investissement belge) et Zephir Capital au
capital d’Afriland First Group, une entrée qui aurait renforcé la capacité
d’action du groupe. Alors que le coût de restructuration de près de 5 milliards
de FCFA est supporté par le groupe, le 17 mai 2010, la COBAC adresse à
Afriland First Group une lettre pour confirmer la décision COBAC D-
2009/223.
Le Procès
Le 16 juin 2010, Afriland First Bank et Afriland First Group saisissent
malgré eux la Chambre judiciaire de la Cour de justice de la CEMAC contre
la décision COBAC D-2009/223 du 3 décembre 2009, confirmée par lettre
COB/0556 du 17 mai 2010. Le 23 juin 2011 paraît l’arrêt n° 017/2011 de la
Cour de justice de la CEMAC annulant la décision COBAC D-2009/223 du 3
décembre 2009 pour défaut de base légale. Dans le même arrêt, la Cour de
justice de la CEMAC « dit et juge illégal le règlement COBAC R-93/09 du 9
avril 1993 relatif aux modifications de la situation des établissements de
crédit ».
Après cet arrêt de la Cour de justice de la CEMAC, commencent des
mesures de représailles à l’encontre d’Afriland First Group et de ses filiales
en Afrique centrale, à savoir Afriland First Bank et CCEI Bank GE.
Afriland First Bank connaît en l’occurrence une succession de missions
qui nécessitent la mobilisation d’équipes internes, paralysant ainsi la marche
de l’institution. À titre récapitulatif, ci- dessous les différents contrôles
punitifs infligés à la banque.
Thème de la mission Période
Mission de vérification 17 novembre 2011 au 03
février 2012
Mission de vérification et de 09 septembre 2013 au 04
suivi des recommandations octobre
2013
Mission de vérification et de 29 juin 2015 au 16 juillet
suivi des recommandations 2015
Quant à CCEI BANK GE, la COBAC lui sert, le 16 mai 2012, une
injonction par décision D-2012/046 d’apporter des clarifications sur les
conditions dans lesquelles la modification de son actionnariat s’est opérée «
en marge de la réglementation bancaire en vigueur au moment de la
transaction », ce qui constitue un nouvel abus dans la mesure où la demande
avait été introduite à la fois pour Afriland First Bank et pour CCEI Bank GE :
« Nous avons l’honneur de vous prier de bien vouloir nous autoriser à
modifier la structure de l’actionnariat d’Afriland First Bank, et par voie de
conséquence, celle de sa filiale CCEI Bank GE.» En définitive, l’arrêt n
°017/2011 de la Cour de justice de la CEMAC valait tant pour Afriland First
Bank que pour CCEI Bank GE.
La réponse du président de CCEI Bank GE est reçue à la COBAC le 20
décembre 2012 et explique en somme que la modification de l’actionnariat de
la CCEI Bank GE s’est effectuée sur la base de l’arrêt n° 017/2011 de la Cour
de justice de la CEMAC qui « dit et juge illégal le règlement COBAC R-
93/09 du 9 avril 1993 relatif aux modifications de la situation des
établissements de crédit », raison pour laquelle la direction générale de CCEI
Bank GE n’a pas cru devoir solliciter un autre accord préalable de la
COBAC.
Clôture De La Procédure Disciplinaire
Malgré les explications données, le secrétariat général de la COBAC
convoque les dirigeants de CCEI Bank GE en vue d’une audition en
procédure disciplinaire pour avoir agi en marge de la réglementation bancaire
en vigueur. Les commissaires réagissent à un acharnement qui ne s’explique
pas en demandant clairement au secrétariat général de la COBAC de
respecter l’arrêt n°017/2011 de la Cour de justice de la CEMAC et de clôturer
la procédure disciplinaire à l’encontre de CCEI Bank GE.
La COBAC obtempère 8 mois plus tard par la voix de son président qui
envoie la notification de clôture de la procédure disciplinaire ouverte à
l’encontre de CCEI Bank GE relative aux conditions de cession d’une
fraction du capital social à Afriland First Group, mais ouvre une nouvelle
procédure disciplinaire à l’effet de produire, avant le 31 janvier 2015, toute
information susceptible de l’éclairer sur la situation financière et juridique
d’Afriland First Group, cessionnaire, notamment la structure de
l’actionnariat, les statuts authentifiés et les états financiers certifiés d’Afriland
First Group ; le statut et les états financiers certifiés de toutes les entités
détenant une participation dans le capital d’Afriland First Group.
Sommée d’arrêter la procédure disciplinaire, la COBAC se plie mais ne
s’arrête pas en si bon chemin. Elle passe à la vitesse supérieure en
prononçant, à titre conservatoire, jusqu’à la communication des informations
demandées, l’interdiction de distribuer des dividendes, de transférer toute
ressource au profit d’Afriland First Group et de payer les frais d’assistance
technique à Afriland First Group. Ce qui constitue à la fois une violation des
décisions de l’autorité en charge du règlement des conflits entre la banque et
le secrétariat général de la COBAC et un abus de pouvoir dans la mesure où
le président de la Commission disciplinaire est en même temps président de
la COBAC. Par ailleurs, l’interdiction de payer les dividendes de façon
discriminatoire est prohibée par l’OHADA. Il y a lieu de relever que cette
interdiction est sans fondement légal, au regard de la réglementation en
vigueur au 31 décembre 2014. De plus, les informations sur la structure de
l’actionnariat d’Afriland First Group ont été envoyées au secrétariat général
de la COBAC au moment de la demande et par la suite, au moins cinq fois
entre 2008 et 2015, telles que récapitulées dans la lettre
009/FirstBank/PCA/JPF/Gmt/15 du 20 janvier 2015.
Adoption D’un Nouveau Règlement
Pour donner une base légale à la décision prise huit mois plus tôt, le
secrétariat général prépare un nouveau règlement qu’il soumet au Comité
ministériel. Le 27 mars 2015, le Comité ministériel de l’UMAC adopte le
règlement nº01/15/CEMAC/UMAC/COBAC/ CM relatif à la supervision des
holdings financières et à la surveillance transfrontalière. Ce règlement
intervient environ cinq mois après la décision de la COBAC d’interdire la
distribution des dividendes, donc s’apparente totalement à une décision prise
pour donner une base légale à une décision qui était auparavant illégale.
En effet, c’est dans ce règlement, en son article 11, qu’on voit
apparaître la sanction. L’article stipule que seront passibles des sanctions
prévues par la réglementation en vigueur les établissements assujettis et leurs
dirigeants qui contreviendraient au présent règlement. À défaut d’exécution
par la maison mère de l’injonction ou de la sanction infligée par la COBAC,
cette dernière est habilitée à interdire aux établissements assujettis situés dans
la CEMAC la distribution à leur groupe d’appartenance des dividendes et le
remboursement des frais et redevance d’assistance technique, à demander
l’éviction des administrateurs représentant la maison mère et à interdire la
réalisation de certaines opérations avec cette dernière, sans préjudice de
l’application aux filiales de sanctions prévues par l’article 15 de l’annexe à la
convention du 16 octobre 1990 portant création d’une Commission bancaire
de l’Afrique centrale.
Ce règlement est, encore une fois, illégal au regard de la loi OHADA et
des règlements internationaux qui protègent l’investisseur et ses dividendes.
De plus, Afriland First Group qui est un simple investisseur et une simple
société de portefeuille n’exerçant pas d’activité financière, industrielle,
commerciale ou de service, ne peut se voir incluse dans le contrôle d’une
activité bancaire.
Inclusion Illégale D’Afriland First Group Dans Le
Périmètre De Supervision De La COBAC
Se rendant compte qu’Afriland First Group n’entre pas dans le
périmètre de sa propre loi sur la surveillance transfrontalière, la COBAC,
organe de supervision bancaire de la zone CEMAC, adopte le 11 décembre
2015 une décision pour y inclure cette société suisse à travers la décision D-
2015/230. Par souci d’aider à l’avancée d’une supervision bancaire légitime,
Afriland First Group écrit au président de la COBAC le 31 mars 2016 pour
expliquer à quel point une décision de la COBAC visant à inclure
arbitrairement une entité étrangère dans un règlement met en péril la portée
générale de ce règlement. En effet, ni la compétence géographique, ni le
secteur d’activité ne militent en faveur de cette inclusion arbitraire. En
conséquence, Afriland First Group attire l’attention du président de la
COBAC sur le fait que si pour une raison ou une autre, toutes ses explications
et sa volonté manifeste de coopérer ne satisfont pas aux exigences de la
COBAC, elle se trouvera dans l’obligation de mettre ses actions à la
disposition de tout repreneur qui lui conviendrait, avec l’accord des autorités
monétaires des pays concernés.
Afriland First Group reconnaît à la COBAC les prérogatives de réguler
une entité bancaire de sa compétence géographique et de demander des
informations sur les actionnaires des entités bancaires présentes dans sa zone
géographique de compétence. Par contre, aller au-delà pour réguler une entité
qui n’a rien de bancaire, qui est située hors de son espace de régulation et qui
de surcroît est régulièrement régulée dans son espace d’implantation, tout
cela ne peut être qu’une violation du droit.
Mise En Place Du Collège De Supervision
Transfrontière D’Afriland First Group
Malgré ces explications, la COBAC crée ce qu’elle appelle le collège
des superviseurs, organise une supposée réunion du collège des régulateurs
d’Afriland First Group à laquelle cette dernière refuse de participer pour les
raisons suivantes :
Afriland First Group SA, holding simple, n’y a, ni le droit d’exercer
une activité industrielle ou commerciale, ni de service, encore moins une
activité bancaire. Afriland est une société de droit suisse, donc hors de la
sphère géographique de la COBAC. Enfin, les textes fondateurs de la
COBAC ne lui donnent aucun droit extra- territorial.
Pour mener à bien sa mission de ternissement de l’image de marque
d’Afriland First Group et de ses entités, les conclusions de cette réunion sont
publiées sur le site web de la COBAC, ce qui est une autre violation du secret
professionnel. Ensuite, une lettre individuelle est adressée aux principaux
partenaires financiers d’Afriland First Group les informant du non-respect par
Afriland First Group de la réglementation bancaire.
La réalité cachée est qu’il ne faut plus soutenir Afriland First Group.
Les observateurs, en off, se posent de réelles questions : comment un
régulateur peut-il décider de publier de telles informations, d’écrire de telles
correspondances sachant que pour l’intérêt de sa zone, il faut des structures
bancaires fortes, et par voie de conséquence, des actionnaires jouissant d’une
bonne capacité de mobilisation des ressources ?
La sous-région CEMAC ne compte pas d’entreprise de grande taille,
comparée à son voisin nigérian, ou à la CEDEAO, où l’on dénombre les
champions suscités et portés à bout de bras par des dirigeants volontaristes et
clairvoyants. L’Afrique centrale s’interdit d’avoir ses propres institutions de
financement du développement. Pire, elle enchaîne et freine ceux qui tentent
de créer la richesse à un niveau considérable. Il faut craindre que cette partie
de l’Afrique reste une zone d’ombre du progrès économique et social aussi
longtemps qu’il en sera ainsi.
À ce jour, ce dossier reste pendant à la COBAC et cause un grand
préjudice au développement de notre groupe et à son rayonnement
international. Il faut craindre que la main invisible de l’époque reste cachée
dans le placard ou sous le lit. L’Afrique, à la lecture de ces développements,
nous donne le droit de conclure qu’elle a choisi la voie la plus sûre pour se
perdre.
CHAPITRE XIII: MODÈLE
MC2 AU CAMEROUN : UN
CONDAMNÉ À MORT EN
SURSIS
Par Paul K. Fokam
Modèle MC2 au Cameroun : un
condamné à mort en sursis
Au moment où je mets la dernière main à la pâte avec mon frère aîné et
ami Gervais Koffi Djondo, je suis soucieux du sort réservé au modèle MC2
dans la zone CEMAC. Un règlement a été adopté en 2018 par les instances
communautaires pour abattre en plein vol l’initiative qui, depuis 25 ans, crée
la richesse dans les couches défavorisées de plusieurs pays en Afrique. Afin
que la postérité sache que je n’ai pas pris part à la décrépitude actuelle, je
retrace dans ce chapitre la naissance de ce grand mouvement de création de
richesses, ses fondements, ses performances, les raisons de son succès. Je
décline également les risques auxquels le nouveau règlement de la CEMAC
l’expose.
La conceptualisation d’un modèle
iconoclaste
Dans les années 1990, j’ai pris la ferme résolution de m’engager dans la
lutte contre la pauvreté en Afrique. Conscient qu’une action collective et
globale parviendrait plus efficacement à bout du mal de cette pieuvre
tentaculaire, je n’ai eu de cesse de sonner le tocsin. Dieu merci, je ne crie pas
au désert. Depuis le temps, il ne se passe pas de jour sans que des âmes de
bonne volonté me rejoignent dans cette guerre de tous les instants. Loin de
moi la prétention de savoir quelle en sera l’issue, mais au moins, permettez-
moi d’être convaincu que chaque action, chaque effort, chaque bonne
intention compte. Sachons que notre passivité est coupable et que nous en
répondrons devant le tribunal de l’histoire. Je suis habité par la conviction
que la prospérité de l’Afrique dépend de notre engagement collectif à mettre
la pauvreté en déroute, à travailler dès aujourd’hui à l’avènement d’un monde
meilleur en termes d’éducation et de santé.
Malheureusement, il s’avère que les remèdes apportés au mal qu’est la
pauvreté ont été inappropriés. Raison pour laquelle il résiste et s’endurcit.
Depuis les années 50, les États et leurs partenaires au développement ont en
vain défini des stratégies pour réduire le nombre de pauvres dans le monde.
En guise de rappel, en 1990, la Banque mondiale s’est fixée comme objectif
de réduire le nombre de personnes pauvres dans les pays en développement
de 300 millions à l’horizon 2000. Or, justement, en 2000, leur nombre avait
plutôt augmenté de 200 millions. En 2000, l’ONU a adopté une nouvelle
stratégie, approuvée et mise en œuvre par la Banque mondiale, le FMI et
l’ensemble de la communauté internationale. L’objectif visé était de réduire
de moitié, en 2015, le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de
pauvreté. Cependant, comme celles qui l’ont précédée, la nouvelle stratégie a
été également vouée à l’échec parce que principalement exogène et basée sur
des diagnostics superficiels, la pauvreté étant généralement considérée d’un
point de vue matériel uniquement.
Face à ce constat, j’ai décidé d’agir. Tout a commencé en 1989 avec ma
thèse en économie, qui m’a donné l’occasion de soutenir que la pauvreté
n’est pas une fatalité et que le secteur informel est un centre de formation
pour les jeunes entrepreneurs de demain. J’avais alors subi les foudres de la
pensée économique dominante qui prétendait que le pauvre est trop pauvre
pour épargner. Cette doctrine soutenait ainsi qu’il est indispensable de tenir
sa main de façon permanente. J’étais et je reste fermement opposé à cette
dépendance intellectuelle, morale et matérielle.
Pour ce faire, j’ai commencé par redéfinir la pauvreté pour y intégrer à
la fois les facteurs intellectuel, moral et matériel. Ainsi, en lieu et place de la
définition généralement admise qui décrit la pauvreté comme l’état d’une
personne vivant avec moins d’un dollar par jour, j’ai soutenu que la pauvreté
est « un état de dénuement intellectuel, moral et matériel qui empêche
l’individu de s’assumer convenablement et de s’intégrer dans la vie sociale,
économique, culturelle ou politique d’une nation ». Cet état peut être total ou
partiel, mais jamais irrémédiable. J’ai challengé la théorie économique
dominante, en expliquant que quel que soit le niveau de revenus d’une
personne, elle peut épargner. Le pauvre doit comprendre que même s’il gagne
100 francs CFA, il peut choisir de dépenser 99f et épargner 1 f ou de
dépenser 101 francs CFA. Dès lors que vous avez choisi de dépenser
seulement 99 francs CFA et d’épargner 1F, vous avez décidé de transformer
la pauvreté en un triste souvenir. En revanche, si vous décidez de dépenser
plus que votre revenu, vous avez décidé de faire de la pauvreté votre pain
quotidien. En clair, votre situation de pauvre ou de riche dépend de votre
décision et seulement de votre décision.
J’ai conduit une pédagogie patiente autour de la pauvreté intellectuelle
qui est la forme la plus pernicieuse, la plus humiliante et la plus dévalorisante
de la pauvreté. Elle peut être entendue comme l’absence de connaissances
générales et l’incapacité à comprendre et à transformer le monde. C’est, en
d’autres termes, l’incapacité à raisonner logiquement et à améliorer notre vie
grâce à l’utilisation judicieuse de nos ressources innées. La pauvreté
intellectuelle n’est susceptible d’être combattue et réduite à sa plus simple
expression que grâce à un système d’éducation accessible à toutes les classes
de la société et à travers un système d’information de masse qui exploite les
technologies de l’information et de la communication.
J’ai également décrit les conséquences désastreuses de la pauvreté
morale. Celle-ci résulte d’un complexe d’infériorité caractérisé par
l’inhibition des qualités et potentialités de chacun de nous ; la négation de nos
origines ; l’incapacité d’assumer notre propre responsabilité et de trouver des
solutions à nos problèmes, et la tendance à imputer aux autres la
responsabilité de nos échecs personnels. La pauvreté morale résulte
également de la perte de repères fondamentaux, ce qui conduit à la
consécration des possessions matérielles au détriment des êtres humains, de
la matière au détriment du spirituel, bref, c’est le sacrifice de l’éthique qui est
en cause.
Curieusement, toutes ces formes de pauvreté ont fait de l’Afrique leur
lieu de prédilection. Je vous propose donc une définition qui tient compte de
tous ces aspects et qui, à mon avis, permettra de poser un vrai et réel
diagnostic du mal avant de lui proposer l’ordonnance appropriée.
Après le soubassement conceptuel, j’ai mis en place une architecture
fonctionnelle par palier. Tout commence par la sensibilisation, pour informer
et former le pauvre sur ses capacités d’auto-prise en charge. Il est question de
lui faire prendre conscience de trois choses. D’abord, qu’il est pauvre, ensuite
qu’il peut s’en sortir et qu’enfin, il peut s’en sortir seul. En effet, chacun de
nous possède toutes les armes nécessaires pour vaincre toute forme de
pauvreté. Ces armes s’appellent : la décision, la volonté, le travail, la
persévérance.
Le premier pas à franchir pour se libérer de ce fardeau qu’est la
pauvreté est de décider d’en faire un triste souvenir. Cette décision
commence seulement le jour où chacun de nous a décidé d’épargner une
fraction lambda de ses revenus, quelque petits qu’ils soient, car l’épargne a
un effet multiplicateur exponentiel de richesse alors que la dépense a un effet
destructeur exponentiel de richesse.
De ces réflexions a jailli le modèle MC2, un ensemble de microbanques
de développement rural créées et gérées par la communauté dans le respect de
ses coutumes et traditions. L’abréviation, qui s’inspire de la célèbre formule
d’Einstein, signifie que la Victoire sur la Pauvreté (VP) n’est possible que si
les Moyens et les Compétences (C) de la Communauté (C) sont mis
ensemble. Ce qui donne : VP = M x C x C = MC2.
La mise en œuvre du modèle MC2
Trois catégories d’acteurs œuvrent à la mise en place du modèle MC2 :
- Appropriate Development for Africa Foundation
(ADAF)
Il s’agit d’une ONG que j’ai créée en 1990 avec la coopération
allemande, pour soutenir l’action de création de richesses en milieu
défavorisé et participer à la réduction de la pauvreté au Cameroun.
Elle a connu beaucoup de difficultés à son démarrage en raison,
d’abord, de son jeune âge, ensuite du peu de confiance donnée à tout Africain
pour réussir là où les initiatives coloniales produisent des résultats modestes
si ce n’est décevants, conséquence du complexe d’infériorité des Africains
face à l’Européen. Enfin, du peu d’intérêt manifesté par les hauts commis de
l’État à promouvoir la création de richesses en raison de leur méconnaissance
de la source de richesses d’une nation et surtout des sources de revenus qui
permettent de payer leurs salaires. Sinon, comment expliquer qu’à ce jour, et
malgré les succès remportés par le modèle MC2, le décret de sa
reconnaissance d’utilité publique reste attendu, depuis plus de 20 ans, de la
présidence de la République ? Comment expliquer le manque d’attention des
autorités publiques vis-à-vis de cet instrument si capital pour la politique
socio-économique ?
- La communauté locale
Le personnel d’ADAF a été formé pour faire prendre conscience à la
communauté locale de la nécessité d’être et de rester comptable de son destin.
Il s’est évertué à transmettre à tous et à chacun la nécessité de se prendre en
charge, à enseigner le rôle de l’épargne comme premier pas vers la richesse et
surtout du caractère pervers de l’aide permanente.
Le grand problème rencontré est le rejet du diagnostic, le refus
d’accepter la réalité, de voir en la pauvreté une maladie à combattre et non
une punition divine pour la communauté concernée. La gangrène est si
profonde que même au sein de mon équipe de l’époque à Afriland First Bank,
les journalistes embauchés pour amplifier notre message ne voulaient pas
prononcer le mot pauvreté. Tout le monde estimait que cela est très dégradant
pour l’homme, pour sa dignité, que l’écho du mot pauvreté provoquerait le
rejet complet de notre action.
Pour moi, il était impossible de guérir un mal sans le connaître ni
l’accepter. Le pire est que même l’élite supposée mieux éclairée, mieux
nantie, était réticente non seulement à prendre part au combat contre la
pauvreté, mais surtout à y affecter ses ressources financières. Au contraire,
celui qui nous rejoignait avait un objectif opposé au nôtre. En réalité, soit il
avait un objectif politique (utiliser le modèle comme un tremplin vers plus de
strapontins), soit financier (soustraire frauduleusement l’épargne des
pauvres), aussi curieux que cela puisse paraître !
Notre campagne était et reste concentrée sur le rôle de l’épargne
comme premier pas vers la richesse, comme source nourricière de
l’investissement. Nous insistions pour marteler que la culture est le ciment de
tout progrès. Nous soulignions la nécessité de gérer essentiellement sur la
base de nos us et coutumes et mettions en garde contre la tentation de
considérer sa culture comme une sous-culture. Il n’existe aucune culture
supérieure à une autre. En réalité, l’abandon de sa culture est synonyme de
négation de soi. C’est ce qui explique notre volonté d’adapter nos méthodes
de gestion dans les MC2 aux us et coutumes de chaque milieu. Par exemple,
les règles de gestion des MC2 sont basées sur des considérations chrétiennes,
musulmanes ou laïques, selon leur milieu d’implantation. Cette conception
est assez importante pour permettre à la population, souvent illettrée, de
comprendre ce qui se fait, de s’approprier et surtout de mieux s’imprégner de
son utilité.
- L’État
Le mouvement MC2 au Cameroun est une succession d’obstacles avec
comme chef d’orchestre l’État. Dans un premier temps, il a fallu
l’intervention du président de la République pour que le ministre de
l’Économie et des Finances, qui est censé promouvoir la création de la
richesse nationale, accepte de donner l’autorisation pour qu’on l’aide dans la
mission qui est la sienne.
Ensuite, de hauts fonctionnaires ont refusé de participer au financement
du mouvement MC2, arguant qu’il s’agit d’une initiative privée et que l’État
n’est pas qualifié pour soutenir l’action privée. Quelle mauvaise
compréhension du rôle de l’État ! Cette conception erronée du rôle de l’État
était si profonde que durant les dix premières années de vie du mouvement
MC2, l’État n’y a rien investi. Mais, heureusement, il n’a pas imposé de taxe
susceptible de mettre en péril sa survie.
12 ans plus tard, un ministre de l’Agriculture, en la personne de Jean
Nkuété, a trouvé en ce modèle MC2 un instrument qui pouvait lui permettre
d’améliorer sa politique agricole et d’atteindre les populations des zones
rurales. Depuis lors, tous les ministres qui se sont succédé à la tête de ce
département ministériel ont continué à promouvoir le mouvement MC2.
Toujours dans le but de compromettre l’avenir du mouvement, la loi
sur les associations du Cameroun est remplacée par une décision du Premier
ministre, sous l’impulsion des institutions de Bretton Woods, lesquelles n’ont
jamais vu le mouvement d’un œil indulgent. Cette nouvelle loi rendait les
conditions plus difficiles, mais ne remettait nullement en cause la licence du
mouvement octroyée en 1991 par le ministre des Finances. Nous nous y
sommes adapté et avons continué l’expansion du mouvement sur l’ensemble
du territoire.
La longue marche du mouvement MC2
au Cameroun
Le chemin parsemé d’embûches qui a conduit à la mise en œuvre du
mouvement MC2 et à la sortie de plus de 4 millions de personnes de la
pauvreté est une longue histoire éducative pour tous ceux qui veulent
entreprendre dans une zone minée comme la zone CEMAC. Pour y parvenir,
plusieurs batailles doivent être engagées et gagnées. La plus importante de
toutes reste la bataille contre le ministère des Finances.
La curiosité est qu’à l’époque, dans chaque ministère important et
surtout à la présidence de la République, se trouvait un membre de
l’assistance technique française gracieusement offert par la France, « la mère
patrie », pour officiellement aider l’ancienne colonie à prendre les bonnes
décisions dans le sens de son émancipation. En réalité, son rôle secret était de
tout mettre en œuvre pour éviter toute déviation susceptible de nuire aux
intérêts de la mère patrie et surtout capable de propulser le développement.
C’est dans cette optique que le ministère des Finances employait à l’époque
un conseiller français qui répondait au prénom de Georges… Sa mission
secrète était d’empêcher l’éclosion de toute structure susceptible de permettre
au Cameroun une émancipation économique et financière, de tuer dans l’œuf
toute initiative « du caillou ». Ce mot avait été employé par le colonel Jean
Lamberton, commandant des troupes militaires françaises au Cameroun au
moment de l’accession à l’indépendance. Dans la revue de la défense
nationale à Paris, il affirmait notamment que le Cameroun s’engageait sur la
voie de l’indépendance avec un caillou dans la chaussure, les Bamiléké. Ce
qui explique la réticence de Georges au modèle MC2.
La première demande d’autorisation adressée au ministre des Finances
pour mettre en marche le modèle fut introduite en mars 1990. La demande fut
portée disparue deux mois après son introduction. En juin, une nouvelle
demande fut introduite. Malheureusement, elle devait subir le même sort
deux semaines plus tard. Suivant l’avis motivé d’une jeune employée du
ministère des Finances qui était soucieuse du devenir de son pays et
consciente de la volonté de nuire de certains de ses patrons, j’ai introduit une
troisième demande d’autorisation. Cette fois, la jeune compatriote me
conseilla de rencontrer le conseiller technique en charge de l’économie et des
finances, le fameux Georges…
La rencontre eut lieu, je saisis l’occasion pour expliquer que la MC2
n’était pas une banque, mais un support qui serait implémenté dans les zones
rurales avec pour seul but d’y faire reculer la pauvreté extrême.
Curieusement, sa première et unique réaction fut de me demander d’apporter
la preuve que cet instrument n’allait pas servir exclusivement la région
Bamiléké (ma région d’origine). Réaction à laquelle je ne pouvais avoir de
réponse convaincante à partir du moment où la région tant redoutée faisait
partie intégrante du Cameroun. Ma réponse au conseiller fut assez cinglante :
« Monsieur, je crois en mon pays, en sa capacité de trouver des solutions
endogènes au problème de la pauvreté qui devient endémique. Pour tout
citoyen, ce n’est pas une question de choix, c’est un devoir, c’est une
obligation citoyenne. »
Trois mois après ma rencontre avec ce « patron » de fait du ministère
des Finances, pas de réponse à ma requête. La jeune cadre me conseilla de
saisir la présidence de la République. Ce que je fis par courrier en décembre
1990. Dans la correspondance, j’expliquai le modèle, son impact dans la
politique de l’État dans sa quête de réduction de la pauvreté, la capacité du
modèle à unir les forces et moyens des communautés au service de leur
développement, leur répercussion dans la cohésion sociale.
Au milieu du mois de janvier 1991, je fus invité au ministère des
Finances par le conseiller Georges..., qui demandait que je confirme par écrit
que le modèle servirait uniquement aux zones rurales, et surtout à toutes les
zones rurales. À l’issue de cette réunion, j’adressai une lettre à la présidence
de la République pour solliciter son accord en vue de la délivrance de la
licence d’implantation des MC2 dans l’ensemble des zones rurales du pays.
À son tour, la présidence saisit le ministère des Finances qui répondit à
travers la correspondance reproduite en page suivante :
Après l’accord de la présidence de la République, l’autorisation ci-
dessous fut délivrée à CCEI pour sponsoriser l’implantation du modèle au
MC2 Cameroun.
Le modèle MC2 en plein vol en
Afrique
En un quart de siècle, le modèle MC2 s’est imposé comme l’outil de
finance mutualiste autogéré par excellence. Une prouesse en partie liée à sa
philosophie conceptuelle, avec sa flexibilité socioculturelle, assurant son
implantation rapide dans toutes les localités dont les populations ont choisi de
s’engager sur le chemin de la liberté, de la dignité et de la prospérité, sur la
base de leurs valeurs socioculturelles. Le succès de ce modèle au Cameroun a
fondé sa réplication dans plusieurs pays africains. À travers ses différentes
unités, le modèle a permis de toucher plus de 4 millions de personnes
(individus ou associations) en Afrique. Malheureusement, cette opportunité
offerte à l’Afrique par la grâce de Dieu de nous libérer du joug de l’esclavage
risque d’être annihilée au Cameroun par un texte supranational qui a
prononcé son arrêt de mort. Mais cela n’est pas nouveau. Le mouvement
MC2 a été l’objet d’une attention malveillante depuis sa création.
Consciente qu’il faille donner un grand coup de frein au mouvement
afin d’éviter une radiation de la pauvreté au Cameroun qui servirait
d’exemple à des pays d’Afrique, la Banque mondiale, par l’entremise de son
nouveau représentant au Cameroun, M. Ribat, entre en jeu et ajoute une
exigence fondamentale sur la liste des conditionnalités des prêts au
Cameroun : le transfert de compétence de la microfinance à un organisme
supranational, à savoir la COBAC. Malgré mes remarques en ma qualité de
spécialiste internationalement reconnu de la microfinance, malgré les risques
que cela faisait peser sur la politique de réduction de la pauvreté au
Cameroun, malgré mes remarques sur l’incapacité d’un organe supranational
de comprendre et de s’adapter aux us et coutumes des milieux les plus reculés
du pays, la différence de culture d’une région à l’autre, le transfert a été
opéré. Dès lors, le mouvement MC2 a engagé malgré lui la marche vers la
réduction de son efficacité.
Les délais de création d’une unité de MC2 et les conditions de
fonctionnement devinrent difficiles. Le règlement appliqué était dorénavant
trop proche de celui du système bancaire classique : augmentation des coûts
de fonctionnement en raison de nouvelles exigences réglementaires, etc. À
cette époque-là, je décidai d’envoyer une lettre au chef de l’État pour attirer
son attention sur les risques à la fois du transfert de compétence et de
nouveaux textes régissant la lutte contre la pauvreté, dont voici la teneur.
Note à l’attention du chef de l’État sur la réglementation de la
microfinance

Yaoundé, le 19 février 2003

Objet : Contribution à l’amélioration des structures de lutte contre la


pauvreté.

Excellence, Monsieur le Président de la République,

Votre déclaration de politique générale de lutte contre la pauvreté ne


laisse apparaître aucune ambiguïté sur votre volonté et votre engagement à
faire de la microfinance une arme privilégiée dans ce combat. Sur vos hautes
instructions, une déclaration de politique nationale de la microfinance a été
formulée par le Gouvernement en avril 2001, et un comité national de la
microfinance créé. Dans le même sens, un projet d’appui au programme
national de microfinance a été initié en 2002.
Le premier sommet mondial de microcrédit tenu à Washington en
1997, qui a jeté les bases de la microfinance comme instrument privilégié de
lutte contre la pauvreté, avait connu la participation remarquée du Cameroun
à travers le modèle MC2 qui y était présenté.
Le deuxième sommet organisé en 1999 à Abidjan a retenu le modèle
MC2 comme l’une des trois principales innovations du globe dans le secteur
de la microfinance. Le troisième sommet de New York de novembre 2002
nous a permis d’exposer sur la nouvelle approche de financement de
l’agriculture par le modèle MC2. Enfin, nous venons d’être honoré de deux
invitations pour la présentation du modèle MC2 au sommet mondial de la
propriété intellectuelle et au forum sur le financement de l’agriculture
qu’organise l’Agence américaine pour le développement international
(USAID). […] Nous ne manquerons pas de signaler ici que des actions
similaires sont également menées par d’autres structures camerounaises à
l’instar de la Cameroon Cooperative Credit Union League (CamCCUL).
Tous les efforts que nous déployons à vos côtés dans le cadre de votre
combat acharné pour le bien-être des Camerounais ne vous ont à l’évidence
pas échappé, et sur votre haute instruction, le premier prix de lutte contre la
pauvreté nous a été décerné par le Rassemblement démocratique du peuple
camerounais en 1998.
Les facteurs qui précèdent nous réconfortent dans notre volonté et notre
détermination à porter à votre connaissance un certain nombre de facteurs
susceptibles de faire obstacle à cette dynamique que vous avez si bien su
insuffler dans votre quête permanente de développement durable et auto-
entretenu.
Excellence,
Il nous semble que seule la souplesse du cadre législatif peut favoriser
le développement rapide du secteur de la microfinance, et permettre de
nombreuses innovations financières.
Dans des pays tels que l’Allemagne, la France, le Canada et les États-
Unis, la microfinance, à travers le mouvement coopératif et associatif,
constitue depuis le début du siècle dernier l’un des principaux instruments de
développement et de lutte contre la pauvreté, particulièrement dans les zones
rurales et au sein des couches défavorisées. En Allemagne par exemple, 60%
de l’intermédiation bancaire se fait à travers le système coopératif et
mutualiste. Pratiquement tous les agriculteurs, jardiniers et viticulteurs y
compris, 60% des artisans, 75% des commerçants de détail, 90% des
boulangers et bouchers, etc. sont adhérents de coopératives (générées grâce à
des institutions de microfinance). En France, le Crédit Agricole, qui est
aujourd’hui le leader banque du secteur bancaire national et l’une des
institutions les plus respectables à l’échelle mondiale, émane du système
coopératif, en d’autres termes de la microfinance. Ce mouvement s’est étendu
dans les régions d’Amérique latine et en Asie, où l’exemple de la Grameen
Bank est régulièrement cité. Tout ce développement a été rendu possible
grâce à la souplesse des législations, qui laissent une marge de liberté
indispensable à la créativité et à l’innovation.
Au Cameroun, le tout dernier recensement de la Commission bancaire
d’Afrique centrale (COBAC) dénombre près de 800 Établissements de
microfinance (EMF) qui touchent directement environ 300 000 personnes, et
indirectement plus de 2 millions d’autres. Plus de la moitié de ces EMF sont
localisés en zone rurale et constituent aujourd’hui les principaux canaux de
financement de ces zones et de soutien aux activités sociales.
Dans cette dynamique, quelques dérapages ont été signalés çà et là,
plus particulièrement dans le secteur des coopératives d’épargne et de crédit
dites « d’affaires », et présentes essentiellement en zone urbaine. Ce qui a
amené le Premier ministre, sur vos hautes instructions, à mettre sur pied un
cadre juridique assez bien adapté aux réalités économiques et socioculturelles
du Cameroun profond. Ce texte est un environnement juridique qui favorise
la création et l’innovation indispensables au développement de la
microfinance. Il confère le pouvoir de contrôle à la COBAC et non celui de
décision, donnant ainsi à l’Autorité monétaire et à celle chargée de la
politique communautaire et rurale les moyens de leurs actions respectives.
Malheureusement, ce précieux règlement du Premier ministre a été
remplacé par une réglementation supranationale adoptée le 13 avril 2002 sous
le n°01/02/CEMAC/UMAC/COBAC et relative aux conditions d’exercice et
de contrôle de l’activité de microfinance dans la Communauté économique et
monétaire d’Afrique centrale (CEMAC).
Ce nouveau règlement en vigueur concentre à la fois le pouvoir de
décision et de contrôle de la microfinance à la seule COBAC, ôtant ainsi aux
autorités chargées de la monnaie et de la politique de développement rural
toute liberté d’action.
Par ailleurs, cet instrument présente les particularités suivantes :
- Il est calqué sur la réglementation bancaire classique, il prive le secteur de
la microfinance de sa spécificité ;
- Les charges de gestion sont alourdies, pour un secteur qui ne peut survivre
pendant les 3 à 5 premières années au moins que grâce à des subventions ;
- Il éloigne le pauvre rural du centre de décision, ce qui est contraire à votre
politique économique et sociale ;
- Il bloque tout élan de créativité et d’innovation.
Dès lors, la microfinance cesse d’être un instrument de lutte
contre la pauvreté, surtout en zone rurale.
Le Cameroun à lui seul regroupe plus de 80 % des EMF de la zone
CEMAC, et devrait de ce fait s’assurer qu’un règlement mal adapté ne vienne
stopper net les élans de créativité, d’innovation et le développement du
secteur, et ainsi compromettre la mise en œuvre de votre politique de lutte
contre la pauvreté.
Nous avons en son temps saisi le gouvernement et certains bailleurs de
fonds tels que la Banque mondiale, pour leur faire part de nos observations
notamment sur les dangers que présentait ledit règlement encore en
préparation. La version finale adoptée en a malheureusement très peu tenu
compte.
Nous proposons la relecture totale du règlement, et à défaut la révision
des articles présentés ci-après, au risque d’annihiler les efforts des acteurs sur
le terrain et surtout d’invalider votre politique dans ce domaine.

1) Dans l’article 17 du règlement


relatif à l’exercice par les
associations de l’activité de
microfinance, il est stipulé que :
« Les membres de l’association sont solidairement responsables à
l’égard des tiers pour les engagements contractés par l’association. »
« Ils sont tenus de contribuer à l’équilibre de la structure financière de
leur unité »
Cette disposition, qui semble s’appuyer sur la loi française de 1930 sur
les associations et sur la loi camerounaise de 1990, est contraire à l’exposé de
la loi 1990, à travers lequel vous exprimiez votre volonté de permettre à
l’élite camerounaise de participer à vos côtés à la lutte contre la pauvreté. De
nombreuses élites ont répondu à votre appel au Cameroun et se sont lancées
dans cette lutte, à travers la création de nombreuses associations et
organisations non gouvernementales (ONG) de développement pour faire
reculer la pauvreté dans leurs communautés rurales respectives. Nous nous y
sommes personnellement lancé, depuis 1990, dès la promulgation de cette loi,
et depuis lors, nous avons, avec le concours des élites d’une centaine de
communautés rurales, engagé la lutte contre la pauvreté à travers la création
de microbanques de développement rural (les MC2) et de coopératives
féminines qui touchent aujourd’hui directement près de 50.000 familles, soit
plus de 250 000 personnes. Cette disposition du règlement risque de briser cet
élan si rien n’est fait.
En effet, exiger que les membres d’une association soient indéfiniment
(solidairement) responsables du passif de l’association revient à interdire la
vie associative dans ce domaine. Ainsi, une élite ne pourra plus regrouper des
populations afin de les aider à lutter contre la pauvreté, car elle peut être
tenue pour seule responsable de tout ce qui adviendrait dans la vie de
l’association. Ceci va à contre-courant d’une politique efficace de lutte contre
la pauvreté.
Notre proposition d’amendement est la suivante :
Les membres de l’association sont solidairement responsables à
l’égard des tiers pour les engagements contractés par l’association à
concurrence de leurs parts sociales.
Ils sont tenus de contribuer à l’équilibre de la structure financière de
leur entité, au prorata de leurs parts sociales.
2) L’article 20 oblige les
établissements de microfinance
à adhérer à l’association
professionnelle des
établissements de microfinance.
Cet article viole la liberté d’association et semble de ce fait
anticonstitutionnel.

3) Les articles 27 et 32 relatifs


aux conditions particulières aux
organes faîtiers stipulent : «
L’exercice des fonctions
d’organe faîtiers est subordonné
à un agrément de l’Autorité
monétaire, après avis conforme
de la Commission bancaire ».
« La direction de l’organe faîtière est assurée par deux personnes
responsables au moins. Ces dirigeants sont agréés par l’Autorité monétaire,
après avis conforme de la Commission bancaire ».
Ces deux articles violent la liberté d’association, la loi fondamentale,
de plus, constituent un véritable obstacle à l’innovation qui caractérise la
microfinance.
4) Le règlement prévoit en son
article 22 que « l’exercice de
l’activité de microfinance telle
que définie à l’article 1 du
présent règlement est
subordonné à l’agrément de
l’Autorité monétaire après avis
conforme de la Commission
bancaire ».
Ainsi, les EMF, quelle que soit leur taille, doivent obtenir l’avis
conforme de la COBAC avant ouverture. Ceci nous semble dangereux, très
contraignant et coûteux pour de petites structures de développement rural qui,
très souvent, brassent à peine quelques millions de francs CFA. Ainsi, on
court un grand risque d’inhiber les initiatives en zone rurale, d’en freiner le
développement et de compromettre gravement la lutte contre la pauvreté que
prônent les différents gouvernements de la sous-région. Le siège de la
COBAC se situe à Libreville et la cellule d’agrément au ministère des
Finances à Yaoundé. Il sera désormais impossible à la population rurale des
zones reculées de créer une structure de microfinance pourtant indispensable
à leur développement.
Nous suggérons que les agréments ou de simples autorisations pour ces
petits EMF soient délivrés par des structures décentralisées du ministère des
Finances et du Budget, qui disposeraient à cet effet du personnel spécialisé
dans cette nouvelle mission.

5) Les articles 30 et 31 du
règlement relatif aux conditions
particulières aux dirigeants
Nous semblent non seulement assez rigides mais inadaptés au contexte
socioculturel dans la mesure où ils imposent des catégories de diplômes
(ceux-ci ne sont pas nécessairement des critères de compétence, mais de
simples présomptions) tels que la licence ou le baccalauréat. En effet, ils ne
prennent pas suffisamment en compte les réalités socio-économiques et
culturelles des zones rurales où le taux de scolarisation est faible, et l’exode
rural des jeunes très poussé du fait des conditions de vie peu attrayantes. En
outre, ils ne semblent pas fondés sur les réalités du secteur de la microfinance
qui, de par le monde, présente des dirigeants aux cursus très variés. Les
principaux réseaux d’Établissements de microfinance opérant dans les zones
rurales camerounaises, à savoir la Cameroon Cooperative Credit Union
League (CamCCUL) et les MC2 comptent des dirigeants qui gèrent depuis
des décennies leurs structures sans problèmes majeurs.
Nous pensons qu’il est plus indiqué de prévoir des mesures
d’accompagnement, en vue de renforcer les capacités des dirigeants, au fur et
à mesure de l’évolution de leurs structures, et faire preuve de beaucoup plus
de souplesse dans l’exigence des diplômes. Si, dans le secteur bancaire
classique aujourd’hui, on peut dénombrer bien des agences de banques à
plusieurs milliards de francs CFA de total de bilan, mais ayant à leurs têtes
des personnes dont les diplômes sont bien inférieurs au baccalauréat,
pourquoi devrait-on être plus exigeant lorsqu’il s’agit des EMF ?

6) Le règlement impose le
recours à des commissaires aux
comptes agréés dès lors que le
total de bilan d’un
établissement de microfinance
dépasse 50 millions de FCFA.
Ce plafond est très bas si l’on considère que la plupart des
Établissements de microfinance en zones rurales n’arrivent à couvrir leurs
charges qu’au bout de cinq ans. Leur imposer des charges supplémentaires de
commissariat aux comptes dont le coût moyen se situe généralement entre 1
et 2 millions de FCFA est, vous nous permettez l’expression, suicidaire.
Il serait plus judicieux à ce niveau de relever de façon substantielle le
plafond pour les établissements qui ne traitent qu’avec leurs membres, et
qu’en deçà, le commissariat aux comptes soit assuré par des mécanismes de
surveillance internes à ces structures, ou de leurs organes faîtiers, s’ils
appartiennent à un réseau, ou tout simplement leurs structures d’appui.

7) Le règlement, dans son article


63 relatif à l’administration
provisoire, habilite la COBAC à
désigner un administrateur en
cas de carence constatée dans
l’administration, la gérance ou
la direction d’un EMF.
Ici, nous pensons qu’il faudrait établir une distinction entre les EMF
avec statut de société anonyme (catégorie 2), les EMF qui appartiennent aux
membres et ne traitent qu’avec eux (catégorie 1), et les EMF de la première
catégorie affiliés à des réseaux.
Cette disposition, appliquée aux EMF avec statut de société anonyme,
ne souffre d’aucune objection.
Dans les EMF de 1ère catégorie, les membres constituent en fait les
propriétaires des biens meubles et immeubles de l’organisation. Ils n’ont pas
recours à l’épargne publique. L’intervention de la COBAC dans ce cas ne se
justifie pas.
Les organes de l’association doivent pouvoir choisir librement les
administrateurs provisoires qu’ils estiment mieux placés pour agir dans
l’intérêt supérieur du groupe.
Il est à préciser que la plupart des administrateurs provisoires des
banques ont toujours exigé des rémunérations exorbitantes, contribuant ainsi
à la disparition rapide de ces structures.
Excellence Monsieur le Président de la République, nous nourrissons
de fortes appréhensions que le souci, somme toute légitime, d’endiguer et de
contrôler les situations désastreuses observées dans certaines coopératives
d’épargne et de crédit dites « d’affaires » en zone urbaine du Cameroun, par
exemple, ne conduise à la formulation et à l’application des règlements qui
constituent plutôt un frein aux initiatives qui ont jusqu’à présent contribué à
réduire la pauvreté dans nos zones rurales.
Aussi souhaiterions-nous que, sur vos instructions, l’Autorité monétaire
et le Comité national de la microfinance se penchent à nouveau sur ce
règlement, afin de mieux l’adapter aux réalités du terrain.
2017 : un deuxième coup de semonce
Quinze ans après cette première régulation contre-productive passée au
forceps, un autre texte voit le jour au sein de la CEMAC pour donner le coup
de grâce au modèle MC2 en particulier, et à tout le système de microfinance
de première catégorie en général. Il me semble important de signaler à ce
point que les microfinances de première catégorie sont justement celles dont
la mission principale est la lutte contre la pauvreté et plus spécialement dans
les couches les plus défavorisées. Dès lors, on peut s’interroger sur les
raisons profondes de cette nouvelle réforme. Parce que je crois que l’Afrique,
en général, et mon pays, en particulier, ne peuvent pas continuer à vivre sous
le poids de la pauvreté, j’ai décidé de ne pas désarmer. C’est pourquoi
j’essaye tant bien que mal de faire un plaidoyer pour la création de la richesse
malgré les obstacles. C’est ce qui explique la présence, dans ce chapitre, de la
note que j’ai envoyée au Premier ministre du Cameroun, pour expliquer les
risques auxquels s’expose la sous-région si les nouveaux textes
réglementaires étaient adoptés et mis en application. Malgré ce plaidoyer
soutenu par toute la profession, quelle ne fut ma surprise de voir que le 26
septembre 2017, le Conseil des ministres de la CEMAC a adopté ledit
règlement portant sur les conditions d’exercice et de contrôle des
microfinances en zone CEMAC. Ce règlement est entré en vigueur depuis le
1er janvier 2018. J’observe que le règlement 01/17/CEMAC/UMAC/
COBAC non seulement est anticonstitutionnel, mais en plus, il s’attaque
farouchement au fondement de renaissance économique du modèle MC2.
I. De L’anticonstitutionalité Du Règlement
01/17/CEMAC/ UMAC/ COBAC
Un texte législatif a beau être supranational, il n’a point vocation de
violer la Constitution des nations signataires, et encore moins la capacité de
surpasser lesdites Constitutions nationales, lesquelles sont le socle de leurs
souverainetés respectives. Un texte supranational ne pouvant être signé
qu’entre des États préexistants, la suprématie intrinsèque et antérieure de la
Constitution nationale ne saurait être questionnée par une loi postérieure, fût-
elle supranationale, qui a justement besoin de la Constitution pour être signée
et promulguée.
A / La Constitution du Cameroun garantit la propriété privée à ses
citoyens. Celle-ci ne peut être remise en question que pour cause d’utilité
publique ou en cas d’atteinte à l’ordre public. Or, en retirant aux populations
leur propriété que représente la MC2 pour la reverser aux réseaux, le
règlement CEMAC 01/17/CEMAC/ UMAC/COBAC viole la Constitution
camerounaise, ce qui est inadmissible et questionne l’existence même de
l’État. Qu’on se souvienne que partout dans notre pays et de par le continent,
la survie de nos populations doit énormément au fait que l’on a pris
l’habitude de se regrouper pour créer des biens communs appartenant à la
communauté et apportant de la valeur économique à l’ensemble de la
communauté. La micro banque n’est qu’un cas particulier de cette pratique
ancienne. Allons-nous comprendre que nous décidons contre notre propre
Constitution et contre l’une des colonnes de nos sociétés anciennes
(production collective de biens économiques dont les revenus et les risques
appartiennent aux propriétaires), que nous abdiquons de ce que nous sommes
sous le prétexte de respecter des conventions internationales signées sans
discernement ?
B/ La Constitution camerounaise consacre la liberté d’association,
laquelle se décompose en liberté de faire partie d’une association ou pas,
liberté du choix du type d’association, liberté de quitter l’association.
Malheureusement, en ses articles 27 et 33, le règlement CEMAC
01/17/CEMAC/UMAC/COBAC oblige les établissements de microfinance
de première catégorie (dont relèvent les micro- banques MC2) à exercer «
leur activité exclusivement au sein de réseaux ». Une fois de plus, le texte est
anticonstitutionnel. Les créateurs et propriétaires des réseaux seront donc
dorénavant les maîtres des populations locales qui voulaient simplement
prendre leur destin en main en créant leur propre micro-banque et en
assumant les risques et les profits. Or, la Constitution a à la base, pris soin
d’interdire ce genre d’asservissement en rendant libre l’adhésion à un réseau.
C / Future dérive prévisible : le public doit-il se préparer à une
interdiction future des tontines organisées en associations de développement
économique dont la contribution à la prise en charge des membres n’est plus
à démontrer ? Ce modèle d’organisation libre foisonne de part et d’autre du
pays et n’attendrait plus, semble-t-il, que des réseaux faîtiers imposés de
l’extérieur pour le rendre plus efficace pour la bonne marche de notre pays.

II. De L’attente Aux Fondements Du Modèle MC2

A. La culture africaine n’est


plus une ressource pour les
populations des milieux
défavorisés
L’engagement d’Afriland First Bank auprès des populations des
milieux défavorisés repose sur la conviction que les populations africaines
peuvent puiser dans leurs cultures de quoi propulser la création des richesses.
En effet, dans le modèle MC2, les litiges sont réglés au sein du conseil des
sages, qui est une instance composée de personnes reconnues au sein de la
communauté pour leur intégrité et leur impartialité. Cette justice, qui est à
coût zéro, a montré son efficacité dans le réseau des MC2.
Avec la transformation des MC2 en coopératives régies par le droit
OHADA, tout litige sera déporté vers les juridictions appliquant le droit
positif. Ce type de juridiction n’est pas adapté aux populations démunies et
peu éduquées qui puisent des trésors de sagesse dans leurs us et culture pour
aplanir leurs mésententes.
A. L’engagement citoyen
d’Afriland First Bank est
compromis dans son fondement
Notre but était d’amener les couches défavorisées à être actrices de leur
propre développement. Or, le nouveau règlement les pousse à être des
adhérents d’une structure faîtière. L’engagement citoyen d’Afriland First
Bank auprès des couches défavorisées visait à soutenir l’action de l’État dans
la société. Pendant 26 ans, elle a soutenu cette action de façon exemplaire et
aucune des 120 micro-banques MC2 n’a fait faillite.
Au regard de ce qui précède et en résumé, nous considérons que :

le règlement N° 01/17/CEMAC/UMAC/COBAC du 26
septembre 2017 viole la Constitution camerounaise et
remet en question le vivre ensemble ;
les conditions de notre engagement citoyen à
parrainer les MC2 ne sont plus réunies.

Nous prions donc l’État du Cameroun, respectueux de sa Constitution,


de prendre ses responsabilités dans le sens qui lui conviendrait pour l’intérêt
de la population qu’il a la lourde charge de protéger, de sortir de l’état de
dénuement pour la propulser plus haut.
En appliquant cette nouvelle réglementation, les fautes de gestion de
chaque unité impactent automatiquement les autres unités dans toutes les
localités de l’espace concerné. Pire, la difficulté ou faillite de l’organe faîtier
entraîne la disparition en bloc de toutes les MC2 sur l’ensemble du territoire
camerounais.
Ce modèle qui fait ses preuves peut-il survivre à cette mutation ? Avec
cette condamnation à mort, que faut-il attendre sinon une seule alternative : la
mort ou la grâce ? De qui viendra la grâce ?
Ma dernière correspondance au Premier ministre du Cameroun,
M. Philémon Yang, que j’ai rencontré, me permet d’affirmer que le
gouvernement est sensible à la problématique que je pose pour la survie du
modèle. Cette rencontre m’autorise à croire qu’un condamné à mort par
contumace peut bénéficier d’un sursis, en attendant le coup de grâce. J’en
juge par la réunion que nous avons eue dans son cabinet. Étaient présents : les
ministres de l’Économie, des Finances, ainsi que le directeur national de la
BEAC. Nous sommes arrivés à la conclusion qu’il est indispensable que le
Premier ministre saisisse le patron du secteur des finances pour mesurer
l’impact négatif avant décision et application au Cameroun.
En ce moment précis, je nourris l’espoir de voir le mouvement MC2
bénéficier d’un sursis afin que l’intérêt de plus de trois millions de personnes
soit protégé, que notre pays retrouve sa route pour une prospérité soutenue et
endogène.
CONCLUSION
Croissance économique soutenue et
nécessité des champions économiques
Parce que la richesse nationale est la somme des richesses créées par le
secteur privé et le secteur public dans une nation, l’entreprise est la cellule
par excellence de création des richesses. L’État est par définition actionnaire
de toute entreprise créée au sein d’un pays donné. Les recettes de l’État sont
un pourcentage de la richesse nationale.
C’est pour cette raison que chaque fois que l’entreprise est en difficulté,
l’État devrait voler à son secours parce qu’elle est sa mamelle nourricière. Or,
ceci est une réalité seulement dans les pays occidentaux, à des périodes
différentes, comme ce fut le cas aux USA après la crise de 2008. Le
programme de sauvetage des banques américaines s’était élevé à sept cents
milliards de dollars. Le plan avait permis au Trésor et à la Réserve fédérale
de racheter les crédits « toxiques », à l’origine de la crise des crédits
hypothécaires à risque. Ces créances douteuses avaient été placées sous
l’égide d’une structure à part. Les filiales américaines des banques étrangères
avaient aussi bénéficié du dispositif.
Autre exemple : quand le fonds d’investissement italien Enel a fait une
offre d’achat visant GDF/SUEZ, l’État s’y est opposé et a conduit la fusion
GDF/SUEZ, ce qui a donné naissance à Engie, une entreprise dans le capital
de laquelle l’État était actionnaire de 40% en raison son intérêt stratégique.
Dès lors, on peut se poser la question : qu’est-ce qu’un champion
économique ? Nous proposons la définition suivante : un champion est une
institution issue de la volonté commune de l’entrepreneur et de l’État de créer
des conditions optimales d’une croissance économique soutenue.
Une analyse approfondie permet de mettre en évidence l’importance et
le rôle primordial du champion économique dans le processus d’un
développement accéléré. Le Japon et la Corée du Sud en sont les illustrations
les plus patentes. Ces dernières décennies ont vu l’éclosion d’autres
expériences en la matière : le Nigeria, le Maroc.

1) Le Japon Et Les Zaibatsu


C’est le pays qui, historiquement, a prouvé que c’est une méthode qui
marche. L’empereur Hirohito a pris la décision de faire émerger les zaibatsu,
des conglomérats à structure verticale. Il a demandé aux grandes familles de
l’empire de soutenir l’industrialisation du pays en prenant des participations
dans ces entreprises afin qu’elles soient fortes et tirent la croissance,
notamment les mesures de protection douanière et des incitations fiscales.
L’empereur a imposé à ces familles une responsabilité sociale qui a eu
pour conséquence la création et la gestion des écoles techniques destinées à la
formation du personnel des conglomérats, mais aussi à la mise à niveau de
l’ensemble des citoyens de la presqu’île, des hôpitaux universitaires de très
haut niveau afin d’assurer la protection de la santé de leurs employés et des
autres citoyens.
Mitsui, Sumitomo, Yasuda, Mitsubishi sont des conglomérats détenus
par des familles qui ont des participations croisées dans les entreprises qui les
composent. Prenons le cas de Sumitomo pour voir l’expansion tentaculaire
des zaibatsu. Ce conglomérat comporte une entreprise de traitement industriel
des produits chimiques (Sumitomo Chemical) ; une entreprise qui transforme
les métaux (Sumitomo Metals) ; une banque (Sumitomo Bank) ; une
entreprise de pneumatique (Sumitomo Tires) ; une entreprise des solutions
technologiques (Sumitomo drive technologies) ; une entreprise dans le
secteur de l’énergie (Sumitomo Electric) ; une compagnie d’assurance
(Mitsui Sumitomo Insurance) ; une holding financière (Sumitomo Mitsui
Financial Group), etc.
Comme on le voit, les conglomérats sont présents dans divers secteurs
d’activité, y compris dans l’industrie de l’armement. Ce qui suscitera la
méfiance des Américains qui voient en eux une puissance qui risquait de
contrecarrer dans le futur leur domination et d’empêcher qu’ils imposent leur
autorité. D’où leur démantèlement en 1947 par les Américains.
Convaincu de la force de l’idée de l’empereur et de l’impact de cette
idée sur l’évolution économique et sociale du peuple japonais, le
gouvernement crée les keiretsu pour jouer le même rôle que les défunts
zaibatsu. Ils fonctionnent sur le registre de la concentration horizontale :
Nissan, Furukawa, Okura, Toyota, Nakajima. Ce sont des champions
économiques de la deuxième génération ; ils bénéficient aussi du soutien de
l’État japonais.

2) La Corée Du Sud Et Ses Chaebols


En Corée du Sud, sous la colonisation japonaise, le colonisateur a mis
en place un plan pour répliquer l’expérience des zaibatsu chez le colonisé.
Quand le Japon perd la guerre, les Japonais se concentrent sur la
reconstruction nationale. Cette défaite favorise l’indépendance de la Corée du
Sud en 1945. Dès 1962, les chaebols deviennent un instrument de politique
économique nationale. Les chaebols sont conçus pour être de grandes
entreprises, des conglomérats industriels géants. Ils bénéficient d’avantages
accordés par l’État sous la forme d’exonérations fiscales, de prêts bancaires à
taux bonifiés, etc. Le général Park Chung-hee était convaincu que si son pays
disposait de dix grandes entreprises compétitives sur le plan mondial, elles
tireraient l’économie et tout le pays se porterait bien. Samsung, Lotte, LG,
GS, Hyundai, STX, Posco sont les chaebols les plus illustres. Au total, les dix
plus gros chaebols représentent 80% du PIB de la Corée du Sud. La
croissance économique repose sur le succès de Hyundai, de LG Group ou
encore de Lotte entre autres. À lui seul, Samsung pèse pour 20% de
l’économie du pays.
En Corée, la création d’un chaebol était considérée comme un moyen
essentiel d’accélérer le développement économique du pays. Peu de temps
après la prise du pouvoir par un coup d’État militaire en 1963, Park Chung-
hee a lancé un effort de modernisation impulsé par le “capitalisme guidé”
dans le cadre duquel des entreprises sélectionnées par le gouvernement ont
entrepris des projets majeurs, souvent financés par des prêts. Selon la
commission coréenne du commerce équitable, 45 conglomérats
correspondent à la définition traditionnelle du chaebol. Les 10 plus grands
chaebols détiennent plus de 27% des actifs de la Corée du Sud[4].

3) Le Nigeria Et Les Milliardaires De Baba


J’ouvre cette partie sur le Nigeria avec cette boutade d’un internaute
qui m’a impressionné, d’autant plus impressionné que j’y retrouvais des
éléments d’une réalité que m’avait confiée en son temps Olesegun Obasanjo
qui est au cœur de cette élaboration :
Il a voulu 50 milliardaires pour son pays avant de quitter le pouvoir Il
est 3h du matin à Lagos un jour de l’an 2000 quand le téléphone d’Aliko
Dangote sonne :
« Allo c’est le Président, je te réveille ? » Dangote : « Non Baba »
Baba : « Good, je veux te voir à la 1ère heure ici à Abuja, tu pourras
venir ? »
Dangote : « Oui Baba, je serai là In Shaa Allah »
Aussitôt arrivé à Abuja, Dangote est reçu par le président Obasanjo
qui lui dit :
« Aliko, j’ai reçu d’autres entrepreneurs et je vous félicite pour tout ce
que vous faites pour le pays et je vais vous aider.
Avec la Banque centrale, on va capitaliser les banques afin de vous
soutenir.
Je vais m’engager personnellement pour garantir vos projets et je vais
mobiliser aussi les gouverneurs des États afin que vous soyez prioritaires sur
les projets.
Mon objectif est d’avoir 50 milliardaires nigérians dans les principaux
secteurs clés de l’économie du pays avant de quitter le pouvoir »
Le plan de Baba a été mis en œuvre et aujourd’hui l’économie du pays
est contrôlée par les champions locaux dans différents secteurs :
Aliko Dangote : Baba lui a accordé l’exclusivité de la fourniture du
ciment sur une période qui lui a permis d’obtenir une croissance
exponentielle. Aujourd’hui, Dangote Cement est présent dans 14 pays, dont
le Brésil et l’Indonésie. Il fait la fierté de tout le continent. Il coache d’autres
entrepreneurs africains et les accompagne vers la croissance. Dangote Group
pèse 3,1 milliards $ de chiffre d’affaires et Aliko Dangote lui-même dispose
d’une fortune de 10,3 milliards $ (2019).
Mike Adenuga : sa compagnie de télécommunications Globacom
compte 37 millions de clients. Il dispose de 6 permis d’exploitation minière
dans le delta du Niger. Il est la deuxième fortune en Afrique avec 9,2
milliards $ (2019).
Femi Odetola : le serial entrepreneur domine le secteur des
hydrocarbures et de la production de l’électricité avec Forte Oil et Zenon
Petroleum and Gas. Il est aussi présent dans la finance avec une société
d’assurance, Swift Insurance, et un fonds d’investissement, CenterForce Ltd,
une société de transport maritime, SeaForce Shipping Company. Son bunker
à fond plat, d’une capacité de stockage de 16 000 tonnes métriques, a été le
premier du genre en Afrique.
Tony Elumelu : le groupe bancaire UBA dont il est le fondateur est
présent dans 19 pays africains. Sa fondation a investi 100 millions de dollars
dans le programme Tony Elumelu Enterpreneurship Program qui vise à
promouvoir 10 000 entrepreneurs africains sur 10 ans. L’effet multiplicateur
de la promotion des champions garantit la chaîne de la création de richesse.
Cletus Ibeto : importateur de pièces détachées, il a ensuite implanté
une usine de fabrication de pièces détachées au Nigeria avant de diversifier
ses investissements dans l’immobilier, le secteur pétrolier, la fabrication du
ciment.
Pascal Dozie : c’est le fondateur de Diamond Bank, il en a assuré la
présidence jusqu’à sa retraite en 2005, et du fonds d’investissement African
Capital Alliance ; il a également acquis et détenu ADIC Insurance pendant
dix ans. Fondateur et président de Kunoch Limited, une holding financière, il
est aussi un actionnaire de MTN dont il a assuré la présidence.
Folorunsho Alakija, hydrocarbures : en 1990, le gouvernement du
Nigeria décide d’accorder des licences d’exploitation de puits de pétrole à des
Nigérians. Jusque-là, seuls les étrangers en détenaient. Folorunsho Alakija est
parmi les premiers natifs du Nigeria à bénéficier d’une licence. Aujourd’hui,
son puits produit 200.000 barils par jour, l’équivalent de la production du
Cameroun.
Michael Ikhide : en avril 2006, il rachète Nigeria Airways qui était
mise en liquidation. En août de la même année, le gouvernement lui accorde
l’autorisation de voler en direction d’Amsterdam, de Trinidad et Tobago, de
Madrid et de Londres. Aujourd’hui, il dispose d’une flotte de 22 avions. Arik
Air est la première compagnie du pays.
Jim Ovia : fondateur de Zenith Bank, la première banque du marché
nigérian, avec un total de bilan de $ 15.387.000.000. Zenith Bank compte 500
agences au Nigeria et dispose de 5 filiales à l’étranger.
Hajia Shagaya : banquière et pétrolière, elle a fondé Voyage Oil and
Gas Limited et Practoil Limited, l’un des plus grands importateurs et
distributeurs d’huiles de base au Nigeria. Elle est également présente dans
l’immobilier.
Au Nigeria, l’incidence de la promotion des champions nigérians est
déjà visible. Le pays d’Obasanjo a positionné 8 banques nigérianes dans le
classement des 10 premières banques de l’Afrique de l’Ouest et 31
entreprises nigérianes dans le classement des 500 premières entreprises du
continent africain. Ceci est le résultat d’un soutien constant apporté par tous
les gouvernements. Ces capitaines d’industrie ont été propulsés par Obasanjo
qui partait de l’idée que toute entreprise au Nigeria est une propriété de l’État
du Nigeria et de la population du Nigeria dans son ensemble et non de son
promoteur ni de sa famille, que la richesse nationale est la somme des
richesses publiques ou privées. Ses successeurs ont maintenu cette politique
de promotion des champions nationaux. À leur tour, ces champions, à l’instar
de Tony Elumelu, servent d’exemple et de promotion des champions de
demain. Nous sommes en présence d’un cercle vertueux.
On s’aperçoit qu’aucun de ces champions passés en revue n’est issu de
la zone franc. Les politiques publiques des pays de la zone franc ne font pas
état d’une volonté de promotion des champions.
En Guinée, après pratiquement 50 ans de parcours cahoteux, ce n’est
qu’aujourd’hui que le président Alpha Condé commence à poser le vrai jalon
d’une politique de croissance soutenue des champions par la création de la
Banque nationale d’investissement de Guinée.
Nous avons le ferme espoir que les pays comme la RDC, avec le
changement pacifique et la clairvoyance du pouvoir sortant et celle du
pouvoir entrant, la paix retrouvée permettra d’accoucher d’une politique de
production d’entreprises de taille continentale, pourquoi pas mondiale.

4) Le Maroc, Exemple Patent De Diplomatie


Économique
Le Maroc s’illustre en Afrique comme le pays des champions
économiques par excellence : Attijariwafa Bank (8,4 millions de clients, 17
496 emplois directs, présent dans 24 pays) ; Maroc Télécom ( 57 millions de
clients dans 10 filiales en Afrique) ; le fonds d’investissement Al Madar qui
dispose d’une mise de 6,9 milliards dirhams dans des entreprises réparties
dans 24 pays ou encore Akwa Group (un conglomérat englobant 70
entreprises dans des secteurs divers allant du tourisme à la finance en passant
par la presse, les télécom) sont une émanation des rois Hassan II et
Mohammed VI. Celui-ci veille à leur expansion internationale, notamment en
allant de pays en pays pour négocier des contrats pour eux.

5) Zone Franc Ou La Négation Des Champions


La situation des 15 pays africains appartenant à la zone franc se situe à
l’opposé de celle du Nigeria, du Maroc ou de la Corée du Sud. Dans ces pays,
il y a une absence de volonté politique de soutien des entrepreneurs privés
locaux. L’on ne dénombre aucune initiative publique pour la création et la
propulsion d’un champion national. Pire, les entrepreneurs sont combattus et
réprimés par des moyens divers, allant des pressions fiscales à
l’accroissement exacerbé des exigences de fonds propres, en passant par les
régulations à tête chercheuse dans plusieurs secteurs : les marchés publics, les
banques, les assurances, etc. Dans ces pays, les marchés de souveraineté sont
systématiquement attribués aux filiales d’entreprises occidentales.
LES CONDITIONS
D’EXISTENCE DES
CHAMPIONS
Le champion national ne peut éclore que dans un environnement où les
conditions suivantes sont réunies :
- La prise de conscience de ce que l’entreprise, publique
comme privée, est une propriété de l’État ou du continent, un
bien commun et une composante de la richesse nationale ou
continentale.
- La volonté de l’État d’utiliser l’entreprise privée comme
publique pour préserver sa souveraineté.
- La détermination de l’État à accroître de façon
significative sa part du gâteau mondial.
- La détermination de l’État à accroître la compétitivité
nationale et internationale de ses entrepreneurs.
- La volonté de l’État d’exister dans ce monde sans frontière.
- La volonté de l’entrepreneur d’être un acteur significatif
sur la scène nationale, continentale ou mondiale.

[1]
Centre commercial
[2]
Association d’entreprises ayant pour objet la réalisation d’un projet commun

[3] Figaro archives. https//www.lefigaro.fr/histoire/2018/08/23

[4]
Peter Pae in Seoul at ppae1@bloomberg.net
ABOUT THE AUTHOR
Paul K. FOKAM
Chercheur en sciences de gestion et cultures africaines, professeur de
stratégie, Paul K. Fokam est aussi connu comme le promoteur de la richesse
en milieux pauvres, promoteur d’entreprises et surtout bâtisseur iconoclaste.
Il a fondé la banque panafricaine Afriland First Bank en 1987. Il est auteur de
plusieurs ouvrages entre autre: Quelle Afrique à l’horizon 2050 ?
L’intelligence économique : une arme redoutable dans la bataille économique
mondiale (version française et en anglaise), Et si l’Afrique se réveillait ?
ABOUT THE AUTHOR
Gervais KOFFI DJONDO
Il a consacré ses efforts à relier les pays africains les uns aux autres, d’abord à
travers la banque panafricaine Ecobank qu’il a cofondée en 1986 et dont il est
désormais le président honoraire. Ensuite, sur le plan du transport aérien,
avec la compagnie Asky Airlines dont il est également fondateur et président
honoraire. Il a été le tout premier ministre togolais issu du secteur privé.

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