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Deux Capitaines D'industrie Se Racontent (French Edition)
Deux Capitaines D'industrie Se Racontent (French Edition)
Deux Capitaines D'industrie Se Racontent (French Edition)
D’INDUSTRIE SE
RACONTENT
Paul K. Fokam
Gervais Koffi Djondo
Afredit
Copyright © 2019 Afredit
LES AUTEURS
CONTENTS
Title Page
Copyright
Epigraph
Avant-propos
Liste des abréviations
Chapitre I: L’entrepreneur africain face au défi d’exister
Chapitre II: J’ai accepté la proposition de mon ami et frère
Chapitre III: L’entreprise, une aventure périlleuse mais ô combien exaltante
Chapitre IV: L’aventure de l’intégration africaine
Chapitre V: LE droit à l’erreur, vecteur du progrès
Chapitre VI: Le chemin de croix de l’entrepreneur en Afrique
Chapitre VII: La justice, un caillou dans la chaussure de l’entrepreneur
Chapitre VIII: La culture, voie de salut du panafricanisme économique
Chapitre IX: L’entrepreneur et l’oppression monétaire en zone franc
Chapitre X: Mes déboires en politique
Chapitre XI: La Commission bancaire d’Afrique centrale : une mission
ambiguë
Chapitre XII: Afriland : naissance d’un champion non désiré
Chapitre XIII: Modèle MC2 au Cameroun : un condamné à mort en sursis
Conclusion
Les conditions d’existence des champions
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AVANT-PROPOS
Nos rencontres ont généralement eu lieu lors des conférences et dans
les halls d’attente d’aéroports. Nos discussions ont souvent porté sur le
devenir de l’Afrique et des Africains, sur le rôle de l’entrepreneur dans le
processus de développement de l’Afrique et surtout sur l’épanouissement de
l’entrepreneur africain dans son continent.
Nous savons que nos expériences sont différentes, de même qu’est
significative la différence d’âge. Mais nos manières de vivre les périlleuses
batailles de capitaines d’industrie africains et de subir les tracasseries de toute
sorte sont si semblables qu’on serait en droit de penser que tout a été conçu
dans un même laboratoire, pour être seulement exécuté par des bourreaux
différents, ici et là sur le continent.
Nos échanges d’expériences de guerriers sur les champs de bataille
économiques nous ont permis de nous rendre compte que, malgré nos légères
différences culturelles, nos réseaux d’information et nos grilles de lecture
différentes, nous ne manquions aucune occasion de puiser des forces dans
nos vécus douloureux respectifs, de nourrir notre capacité à persévérer devant
de nouvelles difficultés, de supprimer le mot échec de notre langage et,
surtout, de nos pensées. Car persuadés que l’échec n’existera que le jour où
nous aurons signé l’acte d’abandon.
Nous avons constaté, à notre plus grande stupéfaction, que la grande
majorité des États africains considèrent que la sécurité militaire et la sécurité
des populations l’emportent sur la sécurité économique de leurs pays et de
leurs citoyens. Quel leurre !
Nous avons constaté tous les deux que les entrepreneurs africains sont
des laissés-pour-compte, alors que leurs homologues des autres continents
sont soutenus de façon permanente par leurs États respectifs.
Nous avons constaté que le capitaine d’industrie africain est souvent en
panne de vision et de persévérance.
Nous avons constaté que l’entreprise africaine fait tous les jours face au
défi d’exister.
Nous croyons que chaque capitaine d’industrie doit penser avant d’agir
afin d’éviter le piège du suivisme et de la justification de l’échec qui
l’empêche d’être lui-même et de mener son navire à bon port, en grand
commandant.
Nous croyons que l’Afrique, aujourd’hui champ de ruine et de misère,
peut être transformée en un îlot de prospérité, en un espace où il fait bon
vivre, par l’action de ses créateurs de richesses tant matérielles
qu’immatérielles. Nous croyons que le capitaine d’industrie, pour survivre,
dans cet espace guerrier, doit vivre en permanence au futur pour être capable
d’anticiper sur les changements des besoins de la clientèle, sur les rapides
transformations inhérentes à ce monde plat.
Nous croyons qu’aussi longtemps que l’entrepreneur, principal créateur
de richesses et d’emplois, continuera à être abandonné à lui- même, l’Afrique
ne sera jamais transformée en ce havre de prospérité dont nous rêvons tous,
mais restera un véritable champ de misère où va croupir une armée de
mendiants pourtant assis sur une mine d’or.
Nous croyons que le savoir est non seulement la principale source de
richesse, mais également une source inépuisable de cette richesse, que
l’avenir de l’Afrique passe par un accroissement permanent de savoir, de
savoir-faire et de savoir-être.
Nous croyons tous les deux que l’égocentrisme du monde actuel est la
source nourricière de la violence, du radicalisme et surtout de la
paupérisation.
Nous croyons tous deux que la mondialisation peut être une chance
pour l’Afrique qui a accumulé un retard dans nombre de domaines, car avec
les technologies de l’information et de la communication, le savoir et le
savoir-faire sont mis à la disposition de tous ceux qui veulent les utiliser ou
s’en servir, le savoir et le savoir-faire étant très vite partagés entre plusieurs
milliards de personnes en quelques fractions de seconde.
Nous croyons tous les deux que la plus grande richesse que l’homme
possède se trouve entre les deux oreilles et que, malheureusement, les plus
intelligents d’entre nous, les «savants», n’ont pas pu utiliser plus du tiers de
cette mine durant leurs vies respectives sur terre, malgré les grandes
découvertes qui facilitent nos vies. Par conséquent, l’homme recèle encore
d’énormes potentialités de changement et de croissance.
Nous sommes convaincus tous les deux que l’entreprise est le lieu de
création de richesse par excellence, qu’elle doit être protégée et entretenue.
Qu’elle est abandonnée à elle-même dans ce champ de bataille ouvert qu’est
l’Afrique des anciennes colonies, l’Afrique des damnés de la terre, l’Afrique
dépourvue d’âme et de culture.
Nous sommes convaincus, tous les deux, que le monde économique est
un véritable champ de bataille où se confrontent les armées économiques
(entreprises) de puissance et de taille diverses venant de tous les continents,
que l’entreprise africaine est privée du soutien de son État, pourtant garant de
la sécurité des personnes et des biens dans un espace de souveraineté. Cet
État qui se contente de prélever les impôts en oubliant de protéger l’arbre
fruitier (entreprise) favorise de ce fait le chômage et la paupérisation de son
peuple, mais aussi l’exploitation du continent par des puissances
économiques étrangères, laissant ainsi un continent appauvri, surexploité,
délabré, aux générations futures.
Nous croyons aussi qu’un réveil africain est possible, à condition que
les princes africains se débarrassent de leurs complexes multiformes pour
favoriser la restauration de la dignité africaine, nécessaire à notre propre
existence en tant que continent qui peut peser dans ce monde global.
Malgré l’absence de concertation entre nous dans les années 80, nos
expériences et connaissances respectives nous ont permis de réaliser chacun
en ce qui nous concerne que la banque est le moteur de toute création de
richesse, donc de tout développement économique et qu’elle est le seul
instrument susceptible de libérer les énergies créatrices de chaque Africain et
de tout le continent.
Enfin, notre conviction commune est faite : l’homme est le seul
responsable de sa vie, il est le seul à décider de ce qu’il sera ou de ce qu’il ne
sera pas. Dès lors, l’avenir de l’Afrique dépend de ses fils et filles et non d’un
autre pays, ou d’un autre continent.
Notre agenda commun est de mettre à la disposition des jeunes
générations d’entrepreneurs africains les armes de combat pour exister dans
ce champ de bataille qu’est le monde économique global, dans cette jungle
économique où le savoir est l’arme la plus redoutable, où l’innovation est
l’ingrédient indispensable pour la survie, où aucun répit n’est permis, où
l’éveil est une obligation de survie.
Nous convenons ensemble qu’il n’y aura ni réussite sans échec, ni
victoire sans bataille. Dès lors, le jeune entrepreneur doit s’armer de la seule
certitude que demain est incertain et que la réussite appartient uniquement
aux esprits bien préparés.
Si nous ne portons pas le même jugement sur tous les faits et
événements, nous nous rejoignons en revanche dans l’ambition commune qui
est déroulée dans les lignes qui suivent.
LISTE DES
ABRÉVIATIONS
ADAF : Appropriate development for Africa foundation
AOF : Afrique occidentale française
BAD : Banque africaine de développement
BIAO : Banque internationale pour l’Afrique occidentale
BIDC : Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO
BOAD : Banque ouest africaine de développement
CAMDEV : Cameroon development corporation
CEDEAO : Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest
CEEAC : Communauté économique des États de l’Afrique centrale
CEMAC : Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale
CNOOC : China national offshore oil corporation
COBAC : Commission bancaire de l’Afrique centrale
ETI : Entreprise de taille intermédiaire
FMI : Fonds monétaire international
IATA : International air transport association
ICTSI : International container terminal services
l’OHADA : Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des
affaires
OMC : Organisation mondiale du commerce
ONG : Organisation non gouvernementale
ONU : Organisation des nations unies
OUA : Organisation de l’unité africaine
PAZF : Pays africains de la zone franc
PME : Petite ou moyenne entreprise
SDN : Société des nations
SFI : Société financière internationale
TCS : Tribunal criminel spécial
TIC : Technologies de l’information et de la communication
UA : Union africaine
UBA : United Bank for Africa
UEMOA : Union économique et monétaire ouest-africaine
UMAC : Union monétaire de l’Afrique centrale
UNOCAL : Union Oil Company of California
USAID : Agence des États-Unis pour le développement international
CHAPITRE I:
L’ENTREPRENEUR
AFRICAIN FACE AU DÉFI
D’EXISTER
Par Paul K. Fokam
3 / Réformer La Fiscalité,
en faire une nécessité et non un fardeau. La fiscalité est un instrument
d’incitation économique qui vise la protection de l’homme et des biens, qui
permet à l’État de remplir son rôle régalien qui est de protéger le territoire.
Or, que constate-t-on dans la réalité ? Que l’entrepreneur africain est miné
par une fiscalité antiéconomique. Ceci parce que la grande majorité des
ministres chargés de la fiscalité considèrent que l’économie est au service de
la fiscalité et non la fiscalité au service de l’économie.
C’est ainsi qu’on a vu apparaître au Cameroun, au Burkina- Faso, en
Centrafrique entre autres, une taxe sur le capital, qui est un moyen de
production en même temps qu’on élaborait des codes d’investissement en vue
d’inciter à l’investissement. Dans presque tous les pays de la zone franc, une
taxe sur les instruments de l’épargne est créée en même temps qu’on
recherche les voies et moyens pour mobiliser une épargne nationale et la
stabiliser, et que les politiques de relance économique sont la préoccupation
essentielle des autorités. Or, il ne fait de doute pour personne que l’épargne
reste la seule source d’investissement et que l’investissement est le moteur
d’une relance économique. Dans les années cinquante, l’Occident a
transformé la société africaine essentiellement épargnante, en une société de
consommation de biens qu’elle ne produit pas et productrice de biens qu’elle
ne consomme pas. Quel paradoxe ! Grâce au recours systématique à
l’assistance technique étrangère pour résoudre la quasi-totalité des problèmes,
pour franchir la quasi-totalité des obstacles, pour apporter la majorité des
solutions à leurs difficultés, les Africains ont œuvré à démolir le vieil adage :
« C’est en forgeant qu’on devient forgeron ».
L’entrepreneur africain est un indésirable, de plus, généralement
considéré comme une sangsue : fraudeur, incivique ; c’est sans doute pour
ces raisons qu’il fait constamment l’objet de contrôles fiscaux alors que son
homologue expatrié y échappe.
La mission première de la fiscalité est de procurer les ressources
nécessaires au financement du service public ; malheureusement, en Afrique,
elle est devenue une arme tranchante mise à la disposition de l’administration
pour réprimer l’entrepreneur.
À la base d’une entreprise solide, il faut une vision, et moi, j’ai décidé,
depuis des années, de prôner un nouveau panafricanisme, le panafricanisme
économique, ceci à travers trois projets d’envergure dont deux sont depuis
lors passés à la phase de matérialisation : Ecobank et Asky Airlines.
Le panafricanisme économique, c’est le souci de restaurer la réalité
historique de l’Afrique comme une seule et même entité. Les Européens ont
saucissonné l’Afrique à la façon d’un gâteau, sans tenir compte des cultures,
des langues, de certaines familles, etc. Certaines frontières ne sont pas des
cours d’eau, certaines familles ont été divisées. Une partie de la famille
Kanouri se trouve au Cameroun, l’autre au Nigeria. Je parle abondamment du
clivage anglophone/francophone en Afrique parce que c’est la cause de notre
incapacité à nous mettre ensemble. La raison pour laquelle ce clivage n’est
qu’un accident, c’est que les peuples qui ont une culture pragmatique ne sont
pas si différents de ceux qui, de l’autre côté de la ligne de démarcation, sont
francophones et préfèrent la langue de bois. C’est le cas des Ewes ; je suis
Ewe moi-même ; nous avons des frères au Togo et d’autres au Ghana.
Aujourd’hui, de part et d’autre de la frontière, ils ont des mentalités
différentes. C’est la colonisation qui a inculqué des mentalités différentes.
Bien que né à Anneho, au Togo, j’ai suivi une partie de ma scolarité à
Ouidah, au Bénin, et je parle la langue fon aussi bien que la langue ewe, et un
peu moins le yoruba, langue parlée au Nigeria, dont est originaire mon
épouse.
Les Ewes ne sont pas une exception en Afrique. Aujourd’hui, les
Pahouins se trouvent des trois côtés des frontières entre le Cameroun, le
Gabon et la Guinée équatoriale. Ces trois pays appartiennent à la même zone
économique, la CEMAC, mais à voir les escarmouches régulièrement
enregistrées à leurs frontières et les cas de xénophobie, on a bien l’impression
qu’ils sont différents. Et pourtant, c’est le même peuple, lequel a simplement
été divisé artificiellement par la colonisation. Certains Kongo sont du Congo
Brazzaville, d’autres se trouvent en Angola et d’autres encore en République
démocratique du Congo. Nous avons ainsi affaire à trois mentalités politiques
inculquées à un seul peuple divisé eu trois. Il en va de même des Lunda, des
Ovambo. Le cas le plus curieux reste celui de la Gambie, pays anglophone,
taillé dans les entrailles du Sénégal, pays francophone. On y retrouve les
mêmes peuples que ceux du Sénégal : les Sereres, les Peuls, les Wolofs, les
Mandingues, etc.
Les mentalités coloniales nous ont exposés à plusieurs façons de voir.
On ne souhaiterait pas être colonisé, mais quand c’est arrivé, soyons
conséquents. Il nous appartient aujourd’hui de tirer parti de la richesse de ces
expériences, de les soupeser, de les remettre en question. En mettant chaque
expérience sur un bras de la balance, nous pouvons voir ce qui marche mieux
çà et là et nous mettre d’accord. Au lieu de cela, que voyons-nous ? La
Casamance veut son indépendance, à la suite du Somaliland, du Soudan du
Sud, de l’Erythrée. Toujours cette tentation de s’émietter, de s’affaiblir. Si la
guerre du Biafra avait abouti à la sécession, aurions-nous aujourd’hui une
grande puissance africaine pressentie pour être la 9ème puissance
économique mondiale en 2050 ?
Ce fractionnement, cet émiettement d’un seul bloc en autant d’États-
nations a profondément désorganisé et déstructuré notre vie. La balkanisation
de l’Afrique a permis de créer de fausses priorités telles que la protection des
frontières. Pendant ce temps, l’essentiel était oublié, à savoir la production et
l’industrialisation. Le colonisateur a pris la peine de nous diviser pour que
nous ne soyons pas une force de production économique. C’est dans cette
logique de dislocation qu’il a facilement imposé des systèmes économiques
de comptoir. Nous sommes devenus des esclaves, nous travaillons pour les
ravitailler en matières premières. Le fruit de notre labeur est emporté pour
développer leurs pays. Ils fixent le prix de nos marchandises : le cacao, le
manganèse, le coton, l’or, etc. Ils nous imposent leur monnaie que nous
utilisons en tant que locataires. Quand ils en ont envie, ils la dévaluent. Il n’y
a pas de système économique équitable quand c’est l’acheteur qui fixe le
prix. Mais, où est-ce qu’on a vu ça ? dans quel monde ! ça existe chez eux ?
Cela n’existe pas même entre eux.
Les échanges que j’ai eus avec Kwame Nkrumah pendant des heures
m’ont inspiré le panafricanisme économique. J’étais tout jeune et tout
enthousiaste, il parlait et je l’écoutais avec attention. Il était passionné et
optimiste. Il me disait que les Africains sont capables d’accomplir les mêmes
prouesses que les autres. Il faisait preuve d’une culture immense, faisait
allusion à des figures africaines anciennes, de grandes gloires que l’histoire
européenne a condamnées dans l’oubli. Il me recommandait des livres qui
parlent de la grandeur de notre continent. Il magnifiait des héros de
l’humanité qui étaient de race noire : Abraham Hannibal, mathématicien et
ingénieur, ancêtre du grand poète russe Pouchkine. Il me rappelait toutes ces
inventions dues à des Africains. Aujourd’hui, ceux qui ont lu ou écouté
Kwame Nkrumah ont en commun d’avoir été nourris au sein de l’exaltation
de la négritude et nous devons en prendre du grain pour créer et répartir la
richesse, afin que notre dignité nous revienne et que notre nom compte à
nouveau dans le concert des nations.
Les conseils de Kwame Nkrumah n’ont pas cessé de résonner en moi.
J’aimais beaucoup cette grande idée de se mettre ensemble, je pense toujours
à cela. À la création de l’OUA, je me suis dit : voilà un premier pas, mais la
déception a été de taille. Je n’ai pas senti la force des actions dans cette
organisation, bien que politique. Puis, j’ai réfléchi : pour faire partir
l’Afrique, nos économies doivent reposer sur des entreprises de grande taille.
Qui plus est, en voyant nos États pris individuellement, il y a longtemps, je
me suis dit que nous ne pourrons rien faire d’important en restant chacun sur
nos egos nationaux respectifs. Se mettre ensemble, c’est cela, le
panafricanisme et l’intégration africaine. Le continent africain est un bloc, il
est bien uni. La colonisation nous a divisés, elle nous a mis en miettes,
comme un gâteau. Ici, on dit francophones ; là, on dit anglophones, et
ailleurs, on dit lusophones.
Ce que Kwame Nkrumah faisait dans les premières années de la nation
ghanéenne était assez courageux pour l’époque. Cette audace nous parle
aujourd’hui, elle nous a ouvert la voie. Il était combattu ; le coup d’État qui
s’est déroulé alors qu’il était à l’étranger n’était pas tombé du ciel. C’était
prémédité. Les Européens, c’est clair, ont tout fait pour le mettre en porte à
faux avec Houphouët et nous devons tirer des leçons de cet échec du
panafricanisme de la première heure. Les dirigeants peuvent facilement être
manipulés les uns contre les autres, étant donné que le politicien, en Afrique,
regarde généralement ce qui va lui permettre de conserver son pouvoir pour
longtemps. La principale leçon à retenir c’est que sur le plan politique, le
panafricanisme est difficile à implémenter. Alors, il nous reste à nous replier
sur le plan économique pour construire des entreprises panafricaines solides.
Si Ecobank a vu le jour malgré les chantages, les intimidations et les
menaces, et si dans le même temps, l’OUA a été aisément noyautée, de même
que son successeur, l’UA, cela veut dire que nous pouvons réaliser le
panafricanisme économique.
Le panafricanisme économique m’a été inspiré dans un tel contexte où,
victimes du brigandage des étrangers qui nous divisent, nous sommes en
même temps bercés par l’espoir et l’optimisme des panafricanistes politiques
de la première heure. Ceux-là ont pensé l’Afrique à leur façon, à leurs profit
et avantage, mais ceux-ci nous disent que nous ne sommes pas mal partis. À
nous de comprendre ce qui reste à faire. Tant que nous sommes divisés, nous
ferons certes des progrès, mais il restera toujours beaucoup à faire. Pour
commencer à renverser cela, il faut, par le panafricanisme, nous retrouver,
entreprises camerounaises, ivoiriennes qui sont dans certains domaines
d’activité, avec les mêmes opérateurs du Sénégal, du Togo pour nous faire
forts pour qu’ensemble nos moyens, nos efforts portent plus loin, et donnent
plus de résultats. De cette façon, nous parviendrons à désarçonner ceux qui
veulent nous voir divisés.
Ayant posé cette base, j’ai ensuite conçu que le plus important se
trouve dans les échanges. S’ils sont facilités, nous avons plus de chances de
réussir nos défis économiques. En Afrique, nous ne nous parlons pas
suffisamment. Nous n’échangeons pas suffisamment de biens entre pays
africains. Et pourtant, tout part de là.
Les échanges commerciaux sont à dominante intrazone en Europe. Les
pays de l’UE sont ceux qui au monde échangent le plus entre eux : 70 % de
leurs échanges commerciaux sont effectués à l’intérieur des frontières de ce
continent. Ce pourcentage est de 55 % en Asie, de 48 % pour l’Amérique du
Nord et 13 % pour l’Afrique. Entre pays africains voisins, nous échangeons
moins de marchandises qu’avec des pays situés à des milliers de kilomètres.
C’est vraiment là la preuve que nous sommes divisés. L’Afrique est le dernier
continent en matière d’échanges intra régionaux. L’Asie et l’Amérique latine
sont sur la voie de l’Europe et de l’Amérique du Nord.
Cette situation où nous n’échangeons rien entre nous arrange les
Européens et les Américains. Cela leur permet de régner sur nous, de couper
nos bois, de puiser notre pétrole, de s’accaparer tout. Nous n’avons ni les
moyens ni la volonté de résister parce que nous sommes divisés. Chaque pays
pris individuellement ne représente rien, à peine une province de chez eux.
Dans ces conditions, je me suis dit qu’il est urgent pour nous de réfléchir
profondément à ce genre de situation. Quelle politique d’intégration africaine
l’Union africaine peut-elle porter alors qu’elle est financée par l’Union
européenne ? C’est comme si tu demandais à un ennemi d’arbitrer vos
querelles familiales. Descendons des nuages, l’UE n’a-t-elle pas très
probablement intérêt que nous soyons divisés, afin que les échanges avec elle
soient toujours plus importants que les échanges entre nous ? Faute d’avoir
pu intégrer l’Afrique sur le plan politique, les Africains peuvent créer des
entreprises qui dépassent les frontières. Là au moins, nous créons un
panafricanisme qui échappe aux financements de l’UE. Pour moi, le
panafricanisme économique est la voie du salut. Il va nous permettre de nous
retrouver, de nous mettre ensemble, d’adopter les mêmes positions,
d’échanger entre nous, de nous comprendre et de nous assister mutuellement.
Dans mon effort de compréhension de notre mal, j’ai également
constaté que la guerre des egos avait fait échec au panafricanisme politique.
Aucun dirigeant n’était assez visionnaire pour regarder loin, et préférer le
continent à son pays. Aucun dirigeant n’était prêt à accepter que les intérêts
du continent passent avant ceux de son pays.
Air Afrique a péri de pareille façon, du fait de l’orgueil des dirigeants.
On a vu les égoïsmes et les individualismes compromettre un projet
d’intégration comme celui-là. On a vu des chefs d’État se retirer du projet et
créer leurs propres compagnies aériennes parce que l’entente, c’était trop
demander. Chacun veut marquer de son empreinte, veut dicter sa loi, imposer
ses règles. Dès qu’il y a un siège à pourvoir dans un projet continental, les
couteaux sortent. Dès qu’il faut installer une institution continentale, chacun
se bat pour que son pays soit retenu. Parfois, faute de consensus, le projet
tombe à l’eau. Malgré le choix opéré dans un effort de consensus, les
désertions et les divisions surviennent. Des gens quittent le navire pour
n’avoir pas pu imposer leurs choix.
Alors, aujourd’hui, nous avons une deuxième chance, c’est la version
économique du panafricanisme. Il se déploie sur le terrain de l’intégration de
l’Afrique, de la facilitation des échanges économiques, de la suppression des
barrières douanières. Comme ça au moins, chacun reste président de quelque
chose, fût-ce un hectare de terrain. J’ai prêché le panafricanisme économique
comme deuxième voie pour parvenir à l’unification de l’Afrique car si nous
ne pouvons pas nous retrouver et parler des États-Unis d’Afrique tout de
suite, au moins, entendons-nous sur des entreprises téléphoniques
d’envergure continentale.
Je conçois aussi le panafricanisme économique comme remède au mal
de la déstructuration de nos sociétés africaines d’aujourd’hui. Le malaise est
présent à tous les échelons, du sommet à la base. Le divorce est consommé
entre les groupes qui composent chaque pays. Partout, les nouvelles églises
qui divisent les familles. On a l’impression que des gens bien futés font des
affaires sous le couvert de la Bible. Ce sont des boutiques que chacun crée
pour se faire de l’argent, profitant de la misère des pauvres. Pourtant, nous
sommes les principaux responsables de cette situation parce que nous ne
travaillons pas à l’avènement du développement. Je me suis dit que si
l’Afrique connaît le bon développement, les gens n’iront pas croire aux
balivernes du premier venu. Mais, quel développement peut-on avoir en
Afrique sans intégration ?
Le premier pas du panafricanisme économique, c’est la fusion des
entreprises. Je reste dans le cadre de la téléphonie mobile. C’est bien d’avoir
la concurrence au niveau national. Cela fait baisser les coûts et encourage la
compétitivité. Mais, n’oublions pas que la compétition ce n’est pas entre
entreprises africaines, la vraie guerre économique se déroule sur le terrain du
patriotisme économique et oppose, d’une part, les multinationales étrangères
et de l’autre, les entreprises africaines. Pour être à la hauteur de cette guerre
féroce, ces dernières doivent se serrer les coudes, additionner leurs expertises
respectives et faire bloc. Considérons le marché de la téléphonie mobile en
Côte d’Ivoire, il grouille de nombreux opérateurs, 7 en tout. Il a fallu que le
régulateur tape du poing sur la table et exige la fusion de quatre d’entre eux.
On se rend d’ailleurs compte que le fait d’avoir un nombre si important
d’entreprises n’a pas forcément fait du bien au marché puisque le régulateur
dénonce le non-respect du cahier des charges et la mauvaise qualité du
service. En passant de 7 à 3 ou 4, les entreprises de ce secteur gagneront
davantage et les coûts seront plus réduits pour nous. Les consommateurs
connaîtront une situation plus heureuse.
Pour passer de l’idée à l’acte, j’ai œuvré pour l’intégration économique
africaine sur trois champs qui sont pour moi d’une importance capitale : le
secteur financier, le transport aérien et le transport maritime.
Ces multiples échecs ne l’ont pas anéanti ; il fut élu président des États-
Unis à l’âge de 60 ans. Chaque échec était comme une lime pour aiguiser de
nouvelles armes de combat. Il recommençait toujours plus armé jusqu’à
parvenir au sommet de l’État américain et, à partir de cette position,
accomplir ses deux rêves : l’abolition de l’esclavage et la préservation de
l’Union. La vie d’Abraham Lincoln est un bel exemple de persévérance, de
courage et d’abnégation, mais surtout une démonstration par les faits que
l’échec n’est fatal que si vous l’avez accepté, que si vous avez refusé de le
considérer comme une opportunité de recommencer avec des armes plus
affinées.
Les trajectoires que nous venons d’évoquer ne sont pas linéaires. Elles
se déroulent de façon sinueuse, parfois on a l’impression que c’est la fin. Or,
le protagoniste resurgit. Tel doit être l’entrepreneur africain, un combattant
qui n’a pas d’armes, mais qui ne vend pas sa peau aussi facilement que cela ;
un combattant coupé de sa base arrière, abandonné à lui-même, mais qui
continue de croire qu’il est l’artisan de son destin, qu’il écrira lui-même les
belles pages de son histoire.
Pour me résumer dans ce chapitre, je dis que la guerre économique qui
oppose les parties prenantes sur la scène libérale mondiale ne fait pas de
cadeau à l’entrepreneur africain. Pour autant, il n’y a pas de quoi crier au loup
; il est indispensable, dans des conditions d’apparence aussi inéquitables, de
trouver sa voie et de forcer le passage. Les armes savamment affûtées pour
éliminer l’Africain du champ de bataille économique, à savoir l’absence
d’équité dans les rapports commerciaux et dans les appels d’offres
internationaux, l’arme monétaire avec ses corollaires, les accords de
partenariat, peuvent être compensées par des armes intellectuelles et même
mentales tout aussi puissantes : forger une attitude de gagneur, de guerrier
audacieux ; si l’on te refuse le droit à l’erreur, accorde-toi toi-même le droit à
l’échec ; si quelqu’un te qualifie de nul, prends la liberté d’agir avec
abnégation pour le confondre. Dès lors, tout entrepreneur doit, à défaut
d’avoir une grande ambition, disposer d’un objectif comme boussole de son
action.
CHAPITRE VI: LE
CHEMIN DE CROIX DE
L’ENTREPRENEUR EN
AFRIQUE
5) Les articles 30 et 31 du
règlement relatif aux conditions
particulières aux dirigeants
Nous semblent non seulement assez rigides mais inadaptés au contexte
socioculturel dans la mesure où ils imposent des catégories de diplômes
(ceux-ci ne sont pas nécessairement des critères de compétence, mais de
simples présomptions) tels que la licence ou le baccalauréat. En effet, ils ne
prennent pas suffisamment en compte les réalités socio-économiques et
culturelles des zones rurales où le taux de scolarisation est faible, et l’exode
rural des jeunes très poussé du fait des conditions de vie peu attrayantes. En
outre, ils ne semblent pas fondés sur les réalités du secteur de la microfinance
qui, de par le monde, présente des dirigeants aux cursus très variés. Les
principaux réseaux d’Établissements de microfinance opérant dans les zones
rurales camerounaises, à savoir la Cameroon Cooperative Credit Union
League (CamCCUL) et les MC2 comptent des dirigeants qui gèrent depuis
des décennies leurs structures sans problèmes majeurs.
Nous pensons qu’il est plus indiqué de prévoir des mesures
d’accompagnement, en vue de renforcer les capacités des dirigeants, au fur et
à mesure de l’évolution de leurs structures, et faire preuve de beaucoup plus
de souplesse dans l’exigence des diplômes. Si, dans le secteur bancaire
classique aujourd’hui, on peut dénombrer bien des agences de banques à
plusieurs milliards de francs CFA de total de bilan, mais ayant à leurs têtes
des personnes dont les diplômes sont bien inférieurs au baccalauréat,
pourquoi devrait-on être plus exigeant lorsqu’il s’agit des EMF ?
6) Le règlement impose le
recours à des commissaires aux
comptes agréés dès lors que le
total de bilan d’un
établissement de microfinance
dépasse 50 millions de FCFA.
Ce plafond est très bas si l’on considère que la plupart des
Établissements de microfinance en zones rurales n’arrivent à couvrir leurs
charges qu’au bout de cinq ans. Leur imposer des charges supplémentaires de
commissariat aux comptes dont le coût moyen se situe généralement entre 1
et 2 millions de FCFA est, vous nous permettez l’expression, suicidaire.
Il serait plus judicieux à ce niveau de relever de façon substantielle le
plafond pour les établissements qui ne traitent qu’avec leurs membres, et
qu’en deçà, le commissariat aux comptes soit assuré par des mécanismes de
surveillance internes à ces structures, ou de leurs organes faîtiers, s’ils
appartiennent à un réseau, ou tout simplement leurs structures d’appui.
le règlement N° 01/17/CEMAC/UMAC/COBAC du 26
septembre 2017 viole la Constitution camerounaise et
remet en question le vivre ensemble ;
les conditions de notre engagement citoyen à
parrainer les MC2 ne sont plus réunies.
[1]
Centre commercial
[2]
Association d’entreprises ayant pour objet la réalisation d’un projet commun
[4]
Peter Pae in Seoul at ppae1@bloomberg.net
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Paul K. FOKAM
Chercheur en sciences de gestion et cultures africaines, professeur de
stratégie, Paul K. Fokam est aussi connu comme le promoteur de la richesse
en milieux pauvres, promoteur d’entreprises et surtout bâtisseur iconoclaste.
Il a fondé la banque panafricaine Afriland First Bank en 1987. Il est auteur de
plusieurs ouvrages entre autre: Quelle Afrique à l’horizon 2050 ?
L’intelligence économique : une arme redoutable dans la bataille économique
mondiale (version française et en anglaise), Et si l’Afrique se réveillait ?
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Gervais KOFFI DJONDO
Il a consacré ses efforts à relier les pays africains les uns aux autres, d’abord à
travers la banque panafricaine Ecobank qu’il a cofondée en 1986 et dont il est
désormais le président honoraire. Ensuite, sur le plan du transport aérien,
avec la compagnie Asky Airlines dont il est également fondateur et président
honoraire. Il a été le tout premier ministre togolais issu du secteur privé.