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Réflexion sur l'évolution de l'économie contemporaine

haïtienne
Charles L. Cadet et Fritz Jean

Les relations commerciales haïtiano-dominicaines à


l'aube du XXIème siècle
Bénédique Paul

Une lecture décoloniale de l'histoire du peuple haïtien


Jean Casimir

Rôle des femmes dans l'économie haïtienne


Fred Doura
Une lecture décoloniale de l’histoire du peuple haïtien de 1697 à 1915

Jean C A S IM IR

La lecture de l’histoire particulière du peuple haïtien dévoile ce qu’est e peuple, c’est-à-dire la nation
son État, comment il s’articule à son gouvernement et quel est le lieu et
le contenu de sa souveraineté. Adressée au public du pays et secondaire­
L dans sa volonté de vivre (Dus-
1 sel, 2006), émerge dès la fin du
ment à celui de la Caraïbe, cette recherche s’élabore à partir de la pier­ XVIIIeme siècle. 11 prend naissance
re de voûte de la pensée haïtienne, à savoir « tout moun se moun ». De là, avec une majorité de personnes
et pour observer la souveraineté nationale, elle s’en tient au corollaire récemment débarquées d’Afrique et
politique de ce principe fondateur : le peuple souverain répond de lui- une proportion significative de
même ; en créole : « pèp souvren granmoun tèt-li ». Ces postulats privilé­ créoles étroitement liés à elles. Une
violence nue entend forcer cet
gient les interrelations humaines et écartent les propositions qui préten­
ensemble d’individus disparates à
dent situer l’État au sein d’une histoire prétendument universelle.
se plier aux règles de la société de
plantation. Ces personnes ne for­
ment pas un tout homogène et doi­
vent se découvrir les unes les autres
pour entreprendre un effort com­
mun de survie et de ré-existence.
Ces individus isolés structurent peu
à peu des groupements et des com­
munautés qui évaluent les rudes
conditions deHie qui leur sont im­
posées et apprennent à les dépasser.
Ils institutionnalisent, dans le pro­
cessus, des normes et des principes
de solidarité, inconnus tant en Afri­
que qu’en Europe, et s ’instituent en
nation et en peuple. Ils créent des
entités distinctes de la colonie, sou­
veraines et autonomes, qui n’entre­
tiennent que des relations conflic­
tuelles avec le gouvernement du
territoire ou des plantations particu­
lières où elles sont confinées. Pour
les réduire en esclavage, ces autori­
tés publiques et privées, doivent
s’assurer qu’une métropole les sou­
tient d’une façon ou d’une autre.
Elles ne sont pas les autorités du
Rasin, Empreinte magnétique, 2017 peuple naissant qui écîot justement

Notre C ité 95
parce que sous le joug d’une force met une fin aux rivalités des gran­ ser, ses expériences et la mémoire
e x te r n e . L e s c o lo n is é s n ’o n t p a s de des puissances dans la région. En de ses luttes se répètent avec mono­
gouvernement. Ils ont des oppres­ 1915, ils occupent le pays, détrui­ tonie et s’évanouissent sans changer
seurs. sent les efforts d’institutionnalisa­ l’asymétrie constitutive de ce rap­
tion du dialogue social et restituent port : il se fait absorber (manger)
la situation de départ, chapeautant par ceux qui se nourrissent de ses
Les colonisés n ’ont pas le peuple souverain, d’une Adminis­ efforts de survie. Dans la société
de gouvernem ent. Ils ont tration publique à leur service moderne coloniale, sa personne
des oppresseurs exclusif. La France avant 1791 et abusée n’a pas droit à une répara­
les États-Unis après 1915 imposent tion ; elle n’a pas où chercher et
leur histoire à celle du peuple obtenir un redressement, où dialo­
L’on peut choisir l’insurrection haïtien. Entre ces deux dates, les guer et négocier civilement avec les
générale de la Plaine du Nord, le 17 forces populaires déterminent avec auteurs de son malheur.
Août 1791, comme date de naissan­ autonomie l’itinéraire qu’elles
Les personnes qui vivent cette
ce du peuple haïtien. L’Etat qu’il empruntent et demeurent la source
situation se définissent comme des
contribue à mettre sur pied devient première de leur histoire. Elles
malere (De Vastey, 1814). Le mal­
indépendant en 1804. Durant une apprennent à vaincre leur malheur,
heur dont il s’agit est un rapport de
période qui commence avec le à maîtriser leur environnement et à
force stable et sans logique, qui
gouvernement de Pétion (1807), se négocier avec le gouvernement.
échappe à leurs actions et qu’elles
consolide après le suicide d’Henry
ne surmontent que par bonheur,
Christophe (1820), et s’épanouit
c’est-à-dire par un autre accident,
sous la présidence de Geffrard Pour observer la souve­ faste cette fois. La mémoire du rapt
(1859), les détenteurs des rênes de raineté nationale, la pen­ en terre africaine et de la mise en
l’Administration publique font de sée haïtienne s ’en tient au co­
esclavage, jointe au constat de
leur mieux pour la replacer sous la rollaire politique de ce princi­
fragilité face à l’empire colonial
tutelle du gouvernement français. pe fondateur : p èp souvren
exige d’elles une vie parallèle et
Mais, les masses populaires conti­ granm oun tèt-li, privilégiant les
autonome, reconstruite avec les
nuent à exprimer leur orientation interrelations hum aines
leurs, à l’abri de toute participation
autonome dès l’assassinat de
des autorités responsables de leur
Dessalines, avec le mouvement de
inqualifiable adversité.
Goman ; puis avec celui d’Acaau et 1. La souveraineté personnelle et
des Piquets en 1843 ; et elles la communautaire
ratifient durant la prestation de
L ’arrivée de l’Europe dans la Les personnes captives
Sylvain Salnave en 1867. De cette
Caraïbe répond à ses besoins st à ne peuvent se servir du
date à la chute de Nord Alexis en
ses objectifs. Les grands empires systèm e oppresseur esclavagis­
1908, soit durant l’apogée du capi­
déterminent comment profiter de te que pour ré-exister dans une
talisme impérialiste, les composan­
leur Nouveau Monde. Dans la précarité et une instabilité per­
tes de l’Etat -masses rurales, oligar­ pétuelle
Caraïbe, par contre, nous édifions
chies et Administration publique-
notre monde pour satisfaire nos
négocient, avec un certain succès,
besoins. L’Haïtien émerge de son
une forme de gouvernement qui L’esclavagisme et ses opérateurs
combat pour se libérer des autorités
correspond aux caractéristiques et surgissent d’un monde hors de la
politiques et des classes qui ambi­
aux circonstances de leur nation portée des Haïtiens. Les personnes
tionnent de le posséder (littérale­
voguant sur la mer hostile des luttes captives peuvent détruire ce rapport
ment). Il considère ses rapports
inter-impériales. pernicieux par le suicide individuel
avec eux comme un malheur. Tant
La percée hégémonique des États- qu’il cultive cet accident et investit ou collectif, ou se protéger et se
Unis d’Amérique au XXeme siècle ses ressources à vouloir le renver­ défendre tant bien que mal de ses
crimes. Mais, elles ne peuvent se

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servir du système oppresseur que D’après l’historiographie officielle, La satisfaction des besoins de la
pour ré-exister dans une précarité et l’habitation saint-dominguoise communauté, au moyen de relations
une instabilité perpétuelle. Si elles semble naître avec la stabilité toute solidaires de réciprocité, prime sur
[ s’assimilent au système, elles martiniquaise des sociétés de les besoins d’accumulation et
deviennent françaises (Julien plantation totales (Beckles, 1984). d’enrichissement individuels de *
Raimond, 1791) et cessent d’être La créolisation des nouveaux venus l’habitation. Ils inaugurent une vie
haïtiennes. La nature perverse du serait automatique et, dans ses rurale complexe qui remplace, là
colonialisme du malheur ne laisse fantasmes, la fonction publique mécanique de l’entreprise moderne
I aucune partie des damnés de la terre assimilerait, en un clin d’œil, les agro-industrielle et son paysage
autre porte de sortie à ses martyrs. deux tiers de Bossales qui compo­ fragmentée (Anglade, 1982); les
[ Son incontournable et incontrôlable sent le troupeau de captifs. familles étendues, les lakou et les
domination s’installe en disgrâce villages remplissent les fonctions de
Dans ce néant de relations avec le
persistante et pérenne. Les Haïtiens renouvellement démographique qui
gouvernement impérial, ces captifs
font partie des damnés de la terre. reviennent à la traite des Nègres de
concentrent leur force pour se con­
la modernité occidentale. Dès 1791,
La Traite négrière fournit à Saint- vertir en peuple souverain et cons­
la population destinée à l’esclavage
Domingue des êtres humains à truire leur modernité à eux. À partir
se met à tisser sa société villageoise
' transformer en esclaves à force de de 1791, ces majorités populaires
et à imposer sa souveraineté,
i tortures et de sévices. La société organisent leur économie et leur
malgré et sans le gouvernement de
coloniale croit disposer des moyens société leur contre-plantation sans
l’État moderne colonial.
de courber ces nègres nouveaux et avoir à en négocier le contenu avec
de les obliger à respecter la loi du les oligarchies. La reconstitution de
| plus fort, tout comme elle le fait leur personne, assaillie par la traite 2. La souveraineté contradictoire
I dans les îles-plantation depuis le négrière et l’esclavagisme, est de l’État moderne colonial
| premier tiers du XVIIeme siècle. Du l’œuvre de relations sociales qu’ils Les sociétés européennes entendent
I coup, cette association d’oppres- élaborent au sein de leur camp de par. souveraineté un pouvoir essen-
I seurs conçoit les insurgés qui concentration. La beauté et la vic­ tiéllement civil, fondé sur la loi et
I rejettent l’esclavagisme en bloc et toire de cette reconstruction l’orien­ sur un rapport au droit. En Améri­
| sur la longue durée, comme des tent vers des buts et des objectifs que et tout particulièrement dans la
I sauvages, et elle les persécute sans aux antipodes de l’ethos de la plan­ Caraïbe, elles utilisent le terme pour
rémission, pour les mêmes raisons tation et du capitalisme que les vic­ traiter de leur souveraineté sur les
I qui l’autorisent à les kidnapper. times de la traite négrière ne com­ territoires conquis. Les références
prennent ni ne peuvent comprendre. aux acteurs colonisés sont retenues
Le marron, c’est-à-dire l’insurgé, le
Encore moins partagent-elles les dans la mesure où ceux-ci contra­
I principal architecte de l’opposition
bases morales du système capitalis­ rie n t leur dessein. L’existence éven­
|| au colonialisme (Madiou,1847,
te. Le peu qu’elles peuvent saisir de tuelle d’un souverain, autre que les
I TII), est exclu de l’histoire de la
cette manière inédite et dépravée de nouveaux propriétaires, est absurde
1 France en Haïti. C’est le marron
vivre qui les assiège de tous côtés, puisqu’elle défie leur droit de
I inconnu, que l’on aurait mieux fait
les invite à s’en éloigner le plus conquête et rend impossible l’admi­
I d’appeler le marron méconnu !
possible et le plus vite possible. nistration du domaine du roi. Le
IL’épopée de Saint-Domingue
I retient les querelles entre royalistes respect de la propriété s’impose
I et républicains, entre affranchis de dans les colonies comme le pivot de
I l’ordre (nés avant 1791) et affran- Dès 1791, la population l’ordre public.
I chis de la crise (d’après 1791), ou destinée à l’esclavage se
Dans ses luttes quotidiennes, le cap­
I entre les noirs et les mulâtres, toute m et à tisser sa société villa­
tif témoigne de l’existence d’une
I problématique semblable, incapable
geoise et à imposer sa souve­
raineté, m algré et sans le gou­ autre logique qui s’oppose à celle
I d’intéresser la population réduite en du roi, donc d’un autre pouvoir,
vernem ent de l ’É tat m oderne
I esclavage (De Vastey, 1814). apparenté à celui des premiers
colonial.

Notre C ité 97
ses subordonnées qui construisent
la colonie et l’Haïti indépendante.
A Saint-Domingue, les planteurs
résidents n’ont pas la force politi­
que et l’envergure observée dans les
petites Antilles, comme la Barbade
ou la Martinique. Le gouvernement
colonial et la bureaucratie appuyés
par le grand commerce de l’export-
import demeurent, certes, les pièces
maîtresses de la discipline requise
pour l’exploitation de la force de
travail, mais ils confient l’ordre
public aux esclaves affranchis,
promus maîtres d’œuvre de la Perle
des Antilles.
L ’histoire de la dernière colonie
française de la Caraïbe évolue en
dents de scie, suivant que les guer­
res en Europe facilitent le contrôle
des mers et la participation de la
métropole au développement éco­
nomique, ou requièrent une plus
grande autonomie des classes sub­
ordonnées d'esclaves affranchis.
Celles-ci excellent dans le maintien
de l’ordre et dans la défense de la
souveraineté de la France, si bien
que les planteurs se vantent de
posséder la plus grande, la plus
riche, la plus peuplée et la plus
paisible des colonies de la région
(Dubois & Geggus, 2006).

Rasirç, Sonner l’angélus, 2009


En A m érique et tout
M M particulièrem ent dans la
Français qui s’établissent à Saint- tée par les grandes compagnies C araïbe, les sociétés européen­
Domingue. Ces marginaux de la commerciales auxquelles sont nes utilisent le term e de souve­
raineté pour traiter de leur
métropole des pirates ou voleurs de confiés les intérêts de la couronne,
souveraineté sur les territoires
grands chemins, des flibustiers, des renverse leurs habitudes. La fronde
conquis
boucaniers, des prostituées, des de ses premiers habitants qui, par la
huguenots et d’autres persécutés suite, socialisent les engagés et les
comme les juifs et les maures, sont captifs, précède l’ordre public colo­
Mais, au faîte de la commotion pro­
en train de se mettre à l’abri de la nial moderne. Ils lèguent leur parler
voquée par la Révolution de 1789,
toute-puissance royale, lorsque la et, avec lui, leur mémoire aux clas­
les grands planteurs se retirent peu
propriété foncière, telle qu’implan­

98 R encontre n° 34 / Mars 2018


à peu de l'île, et plusieurs d'entre propriété des prétendus héritiers de bien entendu, d'abonder sur le
eux s'installent sur d'autres terres la France. Les nombreuses prises dégoût qu'en retour ils provoquent
de la région. Parallèlement, les d'arm es préfèrent la devise : Liberté chez ces malheureux et dont
colons Je couleur et les affranchis ou ta Mort, au cri latino-américain: témoigne De Vastey (1814).
conscients de l'accroissement de Terre et Liberté (Castor, 1971:142).
leur force politique, réclament plus L’on ne sait toujours pas s ’ils pen­
de privilèges, ce que Napoléon sent que la terre peut être l’objet L ’É tat au X IX èmc siècle
trouve hautement déplacé. Le pre­ d ’une appropriation privée indivi­ garan tit l ’in tég rité terri­
mier consul leur envoie une armée duelle ou communautaire. toriale, san s q u e les g o u v ern e­
expéditionnaire pour rétablir l’ordre m ents ne p réten d en t g érer la
Finalement, les capitaux, les con­
antérieur à la Révolution française. sou verain eté d ’un É ta t a n ti­
naissances et la technique de
Cette politique débouche sur une p lan tation , a n tico lo n ia liste et
gestion des plantations de denrées
mutinerie de l’armée coloniale an tiraciste
ainsi que le patronage d ’une bour­
régulière. Une coalition des forces
geoisie métropolitaine font défaut
de captifs insurgés et de l’armée
aux oligarchies qui survivent aux Aussi, après l’Indépendance, les
coloniale en rébellion taille en pièce
guerres de l’Indépendance. Elles discours officiels ne laissent pas
les troupes expéditionnaires. Les
sont forcées de s ’accommoder à la transparaître que la victoire sur les
soldats mutinés, transformés en
formule de métayage, destructrice Français demeure le produit du
Armée indigène, s ’installent au
de l’unité de production qu’elles se mariage de raison célébré avec ceux
sommet du gouvernement, et, après
proposent de réactiver. La planta­ qu’une décennie auparavant les
avoir assassiné les leaders des
tion de denrées tropicales d ’expor­ oligarchies locales calomniaient à
insurgés \ ils usurpent le nom de
tation disparait de la géographie du gorge déployée. Ces oligarchies
YÉtat (Constitution de 1817).
pays, et avec elle, la perle des Antil­ masquent le fait que l ’État q u ’elles
Ce gouvernement qui veut être con­ les. La souveraineté contradictoire
croient diriger tient son origine de
nu comme un État se prend pour moderne et coloniale qu’expriment
l’alliance conjoncturelle de deux
une république de propriétaires les gouvernements se plie devant classes sociales qui se méprisent,
(Blancpain, 2Q03). Mais contraire­ celle des insurgés, bandits ou m ar­
s ’ignorent et méconnaissent
ment aux systèmes coloniaux de rons, porte-parole du peuple souve­
mutuellement leurs potentialités.
l’archipel caraïbéen, ces propriétai­ rain. L ’environnement international
Dans leurs relations des faits, elles
res autoproclamés sont incapables de l’époque facilite ce développe­
gardent en mémoire qu’en leur
de faire valoir leur droit de proprié­ ment agricole tourné vers le marché
qualité d ’anciens libres, elles
té, au point de forcer les démunis à interne.
constituent le peloton de tête des
s’embaucher sur leurs domaines. Ils
peuples d ’origine africaine dans
assistent impuissants à l’occupation
3. L’ordre public et la leur marche forcée vers ce q u ’elles
des terres par les insurgés et à leur
communauté internationale * croient être la Civilisation. Elles ne
appropriation du terme habitant,
se gênent pas de justifier l’esclava­
rendant son sens étymologique au L ’histoire des captifs est rapportée ge, l’émancipation qu’elles estiment
mot2. par les colons et les esclaves avoir méritée, ainsi que le système
Pour obliger les cultivateurs, com­ affranchis, responsables de leur colonial dans toute sa laideur et
me ils appellent les habitants, à transformation en esclaves. Dans toute la répugnance q u ’elle provo­
travailler, les gouvernements leur plaidoirie auprès des assem­ que chez la population toute entière.
devraient compter sur une force de blées métropolitaines, ces esclava­
gistes étalent sans ambages L ’État au XIXeme siècle garantit
répression fantastique qui ne
l’ampleur de leur mépris et de leur l’intégrité territoriale, sans que les
pourrait être qu’européenne ou
aversion pour les infortunés qu’ils gouvernements ne comptent sur une
dépendant étroitement des empires
exploitent sans aucune pitié (Julien armée et une police casernées. Ils
européens. Les majorités ne contes­
Raimond, 1791). Ils se gardent, ne sont donc pas à même d ’assurer
tent même pas le soi-disant droit de
l’utilisation du territoire suivant
leurs objectifs déclarés de relance pas d ’organiser et de promouvoir chez la majorité des grands proprié­
de la plantation de denrées d’expor­ les institutions qui accueillent et taires terriens, la vie privée se
tation. Cet objectif s’énonce dans gèrent la vie privée de la popula­ déroule suivant les patrons de
les textes de lois, écrits dans la tion. Celle-ci, antérieure historique­ l’ordre communautaire, seul espace
langue du colon ou plus précisé­ ment et logiquement à la plantation, où sont fournis les services qui leur
ment dans celle des Compagnies n’est ni codifiée ni gérée et, puisque sont nécessaires, s’il faut croire le
commerciales et pour le bénéfice de la plantation de denrées d’exporta­ témoignage de Dessalines que
la métropole, dans la plus pure tion disparaît du paysage national, rapporte Descourtilz (1809 :281).
tradition du XVIIeme siècle. Les elle évolue parallèlement à l’ordre D’ailleurs, suivant Madiou, à
gouvernements, à aucun moment, public, sans interférence de part et l’époque, aucune différence ne
ne prétendent gérer la souveraineté d’autre. sépare les mœurs des populations
d’un État anti-plantation, anticolo­ urbaines et rurales (Madiou,
Bien avant l’établissement du
nialiste et antiraciste (Hector, V:107), les soi-disant francophones
système de plantations, l’ordre des
2006). L’État et les gouvernements et les créolophones. À plus forte
communautés se déroule en langue
évoluent dans des espaces logiques raison, l’usage du français au
créole, évitant autant que possible
dissemblables. XIXeme siècle, restreint au simple
toute contravention avec les affaires
Malgré leur obsession déclarée de contrôle de la circulation des den­
des gouvernements. Cette langue
raccommoder leurs rapports avec rées obtenues dans les fermes
monopolise la vie privée depuis le
Elle déplace les paysannes et à la négociation de
les puissances occidentales, en ces X V I I eme siè c ie .
leur placement sur le marché inter­
temps d’impérialisme triomphant, parlers provinciaux de France, et,
national, est réservé à une infime
ces dirigeants sont, bon gré, mal avec l’afflux massif de captifs
minorité de bureaucrates et leur
gré, mis en demeure d’agencer dans africains, elle finit par accaparer les
famille.
la structure politique réelle une échanges sociaux et par réduire la
place prépondérante aux commu­ sphère d’influence de la langue Néanmoins, au XIXeme siècle, du­
nautés paysannes qui réaménagent française presqu’exclusivement aux rant l’expansion des grands empires
le territoire et se lient les unes aux seules activités de l’administration coloniaux et l’hégémonie de leur
autres en toute autonomie. La publique. Le nombre de gens qui racisme débridé, les lettrés et les
géographie sociale coloniale s’expriment dans le parler de l’île autorités constituées ne se hasardent
qu’héritent les pouvoirs publics de France se limite, de toute éviden­ pas à étaler au grand jour les traits
connaît des esclaves, des cultiva­ ce, à une insignifiante minorité de culturels qui rapprochent le pays
teurs et des marrons ; les paysans bureaucrates et leur famille. des nations ciblées par l’impérialis­
n’existent pas dans cet espace bâti me. Pendant que s’épanouit, sans
pour accueillir la grande culture. La tambour ni trompette, la culture
paysannerie, centrée sur le déploie­ Les autorités haïtiennes nationale locale, cette couche socia­
ment de la vie privée, soustrait des du X IX ème siècle ne se * le prend des airs d’élite et exagère
ressources au développement de m êlent pas d ’organiser et de l’ampleur de la culture latine du
l’économie moderne coloniale. prom ouvoir les institutions pays. Elle s’arrange dans la mesure
Dans l’espace fragmentée de la accueillant et gérant la vie du possible, pour que les étrangers
plantation (Anglade, 1982), les privée de la population qui ne perçoivent que la vie et l’ordre
fonctionnaires n’entendent pas évolue parallèlem ent à l ’ordre publics.
gérer des rapports ville-campagne public
Ce bovarysme opportuniste sert les
semblables à ceux de l’environne­
intérêts de la bureaucratie de scribes
ment rural européen ou latino-
Ce dialecte sert d’abord à entretenir qui vit de la fonction publique en
américain.
le rapport des quelques lettrés des attente de la relance de la plantation
Ainsi, comme aux meilleurs temps grandes compagnies commerciales coloniale. Loin d’affecter ses inté­
de la colonie, les autorités haïtien­ avec la métropole et la communauté rêts, l’analphabétisme et l’illettris­
nes du XlXeme siècle ne se mêlent internationale en général. Même me garantissent son autonomie

100 R encontre n° 34 / M ars 2018


relative et son hégémonie. Aussi,
aucun effort ne fait reculer l’anal­
phabétisme, ne fusse qu’à cause du
manque de francophones nationaux,
par pénurie d’étrangers embauchés
à cet effet, ou simplement par
l’inutilité de cette langue pour la
production de la vie matérielle.

4. L’incontournable souveraineté
populaire
En 1791, la nature de l’État colonial
commence à changer. Sa souverai­
neté, définie comme le droit de
propriété de la France, est défiée
par les puissances rivales, ce qui, en
l’affaiblissant, permet aux captifs
d’exprimer de plus en plus ouver­
tement leur opposition. Un ensem­
ble de changements se bousculent à
partir de cette date, tandis que l’ad­
ministration de l’État, le gouverne­
ment, essaie de redresser la barque
en train de faire naufrage. L’éman­
cipation obligée des esclaves ne
pense pas affecter le monopole de
la propriété terrienne ; et les
personnes libérées plus que libres
devraient demeurer indéfiniment
enfermées dans la camisole de force
que leur confectionnent les grands
propriétaires.
Mais au cours de la dernière décen­
nie du XVIIIeme siècle, en raison de
la diminution des activités écono­ va en diminuant, ainsi que les ap­ et articulent, d’ores et déjà, un
miques et de la cessation des arriva­ provisionnements qui accompa­ embryon de paysannerie que je pré­
ges de nègres nouveaux, l’immi­ gnent les activités économiques de fère appeler une contre-plantation.
grant kidnappé (les deux-tiers de la l’habitation. Elle est axée sur la propriété’ fami­
population) de même que Y esclave liale indivise et sur un’système de
Les travailleurs réorganisent leur
créole sont obligés, par les circons­ valeurs orienté vers la protection et
vie privée autour d’un modèle de
tances mêmes, d’accentuer la la régénération de la communauté.
production principalement pour la
production et la reproduction de La production de marchandises
satisfaction de leurs propres besoins
leur personne et de leur vie privée. . poqr en obtenir davantage, qui
(Debien, 1949 & 1974).’ Ils s’exer­
La contribution de la propriété définit le système capitaliste, est
cent à esquiver les restrictions et les
foncière et de l’exploitation de la inconnue dans ce nouveau monde.
obstacles érigés dans le cadre nor­
main-d’œuvre à l’économie du pays
m atif encore en vigueur avant 1791

Notre Cité 101


Il convient de faire une rieure à l’insurrection de 1791, et se L’incontournable opposition des
distinction entre le ca p tif propose de massacrer les esclaves captifs insurgés au projet moderne/
qui brise ses chaînes et l’escla­ rebelles et de déporter leurs geô­ colonial de société de plantation est
ve ém ancipé ou affranchi liers, les affranchis de l’ordre et dénoncée comme un embarras dans
ceux de la crise, suspectés, à juste la poursuite des efforts d’indépen­
titre, d’être contaminés par le dance. Les fameux Jacobins Noirs
En se dégradant, les relations de mauvais exemple, si ce n’est croient résoudre le conflit par la
travail propres à l’esclavagisme ne d’avoir promu l’insurrection. purge des leaders rebelles qui ont la
produisent pas une évolution au L’exécution des instructions du ferme intention d’implanter les
sein de l’entreprise capitaliste de Premier consul conduit les forces de traditions guinéennes contraires à
celui que le planteur appelle son répression de la colonie à la muti­ toute civilisation, et constituent un
esclave. Lorsque la personne rédui­ nerie, d’où l’alliance qui débouche embarras pour les projets d’indé­
te en esclavage renverse le rapport sur la sécession. Aucune rupture pendance [Madiou (TII, 1847:322),
de force qui l’unit au maître, il ne idéologique relative au mode de vie Ardouin (T2, 1853:361)]. Or, avec
compte pas développer une meilleu­ ne met dos à dos la métropole et les ou sans les leaders insurgés, ces
re forme de subordination. Il imagi­ affranchis. L’alliance des affranchis traditions demeurent la seule forme
ne une autre façon d’exister, tandis et des insurgés demeure une d’économie et de société à observer
que le planteur part investir ses solution pratique qu’aucune pensée dans le XIXème siècle.
capitaux dans d’autres territoires, et commune ne scelle, hormis le
que le serviteur affranchi continue besoin d’éviter un danger de mort.
de rêver à la relance d’une Aux fins de cette alliance, les L ’échec des défenseurs
agriculture désuète, qu’il ne peut affranchis laissent tomber la mise de la production de den­
réactiver. en esclavage des cultivateurs et la rées d ’exportation, Français
Il convient de faire une distinction remplacent par leur enfermement ou esclaves affranchis, ne
entre le captif qui brise ses chaînes sur la plantation, c’est-à-dire par la s ’explique que par l ’am pleur
prétention de les assujettir à la de la souveraineté populaire
et l’esclave émancipé ou affranchi.
Ce dernier est encore un serviteur prison domiciliaire.
qui respecte son maître et sa sou­ Si l’armée expéditionnaire de
L ’indépendance d ’Haïti résulte du
mission est garantie par un mono­ Napoléon ne possède pas la force
mariage de raison entre deux
pole foncier qu’il ne peut pas voulue pour plier celle des insurgés,
classes sociales antagoniques qui
contester. La cérémonie du Bois encore moins peut-on espérer de
s’unissent pour assurer leur existen­
Caïman et l’insurrection qui démar­ meilleurs résultats de son rejeton,
ce pure et simple. Leur alliance
re avec la destruction des propriétés une Armée indigène diminuée.
passagère ne modifie aucunement
coloniales s’imposent en conquête L ’échec des défenseurs de la pro­
leur ignorance réciproque des
de la liberté. Que l’administration duction de denrées d’exportation,
potentialités de chacune d’elles :
coloniale s’efforce éperdument de Français ou esclaves affranchie, ne
l’une indispensable à la production
convertir cette liberté conquise de s’explique que par l’ampleur de la
de la vie matérielle, l’autre indis­
haute lutte en libération ou en souveraineté populaire. On ne
pensable à la négociation avec les
émancipation, ne change en rien sa saurait s’attendre à ce que les
empires coloniaux qui assiègent le
nature. affranchis de l’ordre colonial le
nouvel arrangement -son État et
Les affranchis de la crise, en émer­ reconnaissent et encore moins à ce
son gouvernement- de toutes parts.
geant de ce mouvement, remplacent qu’ils l’institutionnalisent et le
traduisent dans les textes de lois ou Dès 1817, avec la prohibition de la
l’esclavagisme par la militarisation
dans la réalité sociale. La pensée de Traite des Noirs par l’Angleterre, le
de l’agriculture, c’est-à-dire par le
la contre-plantation met en déroute sort des plantations traditionnelles
caporalisme agraire. Leur statut en
la métropole autant que ses fidèles est scellé dans la région caraïbéen-
dépend. Napoléon Bonaparte
zélés ou timorés. ne. A l’impossibilité des gouverne­
entend revenir à la situation anté­
ments haïtiens de s’imposer aux

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nouveaux libres, s’ajoute l’ineffica­ des fils et des filles de l’Afrique. Il l’eau comme quelque chose de
cité de la plantation classique dans ne les convient pas d’attirer les raisonnable.
un XIXeme siècle de développement foudres des fidèles de Gobineau.
Une fois que l’on réalise que la
industriel et de capitalisme impé­
Révolution haïtienne est la transfor­
rial. Les dirigeants de YArmée indi­
mation d’une colonie d’exploitation
gène diminuée n ’ont pas les moyens Les anciens captifs de­ en une société axée sur des structu­
de modifier leur façon de faire la viennent des habitants ; res de peuplement, on est en mesure
politique. Leurs services au main­ leur langage, leurs connaissan­
de codifier les formes de participa­
tien de l’ordre colonial ne sont plus ces, leurs traditions, leur spiri­
tion du peuple souverain dans ses
requis. Seule la position géopoliti­ tualité caractérisent le m ode de
négociations avec les oligarchies et
que du pays est convoitée par les vie national
les instances du gouvernement. Les
empires qui n’ont pas de colonie
structures du peuplement de l’île
dans la région, ce que voient d’un
bourgeonnent et s’imposent durant
mauvais œil ceux qui les ont pré­ Chez les oligarchies comme partout
la décennie qui précède 1804. Elles
cédés. La paysannerie haïtienne dans la population haïtienne, le res­
s’épanouissent sans restriction nota­
profite de leur intermédiation qui pect des traditions locales appar­
ble après cette date. Par la suite, les
protège l’indépendance de l’État et tient à la vie privée de tout un
gouvernements doivent tenir comp­
permet d’atteindre le marché chacun. La société haïtienne vit
te des besoins et des orientations
international. ainsi son long XIXeme siècle dans
que définit la population ou prendre
une convivialité et une tolérance
Deux mémoires s’épanouissent sans note, impuissants, de leurs sempi­
inévitables. Dans la Caraïbe, l’État
s’entrechoquer. Les défenseurs de ternelles fins de non-recevoir.
colonial de plantation institué avec
l’ordre déchu n’ont pas les moyens
la traite négrière, ne peut pas repro­
de matérialiser leurs lubies. À leur
duire sa population au XIXeme
corps défendant, la nouvelle vie Après la révolution, les
siècle. Haïti, où le bonheur vivrier
promue par la société villageoise form es de participation
(Manigat, 2001) et les bourgs-
florissante les absorbe peu à peu. du peuple souverain sont en
jardins (Anglade, 1982) remplacent
Les anciens captifs deviennent des m esure d ’être codifiées dans
cet État colonial avantageusement,
habitants ; leur langage, leurs con­ ses négociations avec les oli­
attire les populations des îles
naissances, leurs traditions, leur garchies et les instances du
avoisinantes qui se démènent dans
spiritualité caractérisent le mode de gouvernem ent
une misère démentielle.
vie national au fur et à mesure
qu’avance le XIXeme siècle.
Désagrégés en une multitude d’in­
Ces deux composantes sont bien
Conclusion : un peuple souverain dividus malheureux et persécutés
forcées de vivre leur mariage de
sans gouvernement sans raison, les Haïtiens se sont
raison, d’un commun accord. En
construits en forgeant des liens de
monopolisant la fonction publique, Le peuple souverain passe inaperçu
solidarité. Leur rupture avec
l’oligarchie continue d’assurer en Haïti, si l’on confond le gouver­
l’Occident est une question d’exis­
l’interface avec le monde extérieur. nement et l’État comme le souhaite
tence et non de conditions d’exis­
Néanmoins sans base économique le colonialisme et la Constitution de
tence. Ils luttent pour ne pas
moderne, elle ne peut offrir les 1807 en son article 6. Dans les
disparaitre, pour sauvegarder la
services sociaux que réclame la vie colonies, la souveraineté concerne
mémoire de leurs victoires quoti­
quotidienne, d’où l’importance des les propriétaires métropolitains et
diennes sur l’infortune et le malheur
traditions guinéennes. Toutefois, en non les colonisés. Ces derniers ne
gratuits. Ils gèrent deux victoires
cette période d ’impérialisme et de peuvent pas mesurer leur pouvoir
séparées : d’un côté, celle de com­
racisme débordants, les oligarchies d’agir à cette aune, surtout si,
munautés structurées, basée sur des
claironnent à qui veut les entendre d’occasion, ils ne conçoivent pas la
relations de solidarité et de récipro­
qu’elles sont les plus occidentaux propriété de la terre, de l’air et de
cité ; et de l’autre côté, celle d’es­

Notre Cité 103


internationale d’une part et la vie
privée issue de la société villageoise
d’autre part, reflètent chacune
d’elles un système spécifique de
valeurs, indépendamment du fait
que leurs porteurs peuvent être les
mêmes personnes, surtout dans les
milieux urbains et parmi les oligar­
ques.
De l’exécution de Sylvain Salnave
en 1870 à la chute de Nord Alexis
en 1908, la relation entre les oligar­
chies et le peuple souverain se
stabilise. Elle a l’air d’un laisser-
faire (lese grennen) et rappelle le
dicton très haïtien : Suis ton che­
min, je suis le mien ; je ne te déran­
ge pas, ne me dérange pas (Fè chi-
men w, m ap je pa m ; M pa detou-
nen w, pa detounen m). Elle repose
sur un constat lui aussi consigné
dans un proverbe du pays : La sou­
ris et le chat sont informés, la
barrique de mantègue demeure
intacte (sourit konnen, chat konnen,
barik mantèg-la rete la).

Les oligarchies et les


m asses populaires co­
existent dans une profonde
claves affranchis, axées sur des ef­ totalité de la population captive, m éconnaissance et un profond
forts opportunistes de dépassement elles définissent leur mieux-être mépris de leurs vertus réci­
au sein de la modernité coloniale. dans la gestion de leur vie privée^et proques
secondairement dans leur perfor­
À partir de 1791, le genre et la
mance au poste de travail.
famille, en tant que pivot et noyau
Le droit à l’existence en tant qu’en­
premier de la société sont définis La population destinée à l’esclava­
tités ou classes sociales distinctes
graduellement dans la culture ge, par les chaînes provenant de la n’est pas négociable. Je ne vois pas
opprimée et le système de contre- vie publique et de son insertion comment demander à Sans-Souci
plantation qui fleurissent avec les dans la communauté internationale, ou à Lamour Dérance de devenir
changements. L ’épanouissement de ne saurait endosser avec ses des­ des Créoles, ou à Christophe et à
la vie de tous les jours donne un cendants, les principes colonialistes Pétion de devenir des Bossales. Du
sens à l’existence. Les oligarchies qui les guident. Elle tente de les point de vue de l’État, c’est-à-dire,
d'anciens affranchis entretiennent ignorer ou s’évertue à les esquiver de l’alliance qui conduit à l’Indé­
leur liberté précaire à l’ombre des autant que faire se peut. Les deux
pendance, notre manière de survivre
services publics, loin de la produc­ dimensions à savoir la vie publique dans des circonstances qui nous
tion agricole. Toutefois, comme la et ses rapports avec la communauté dépassent est le seul thème en

104 R encontre n° 34 / M ars 2018


discussion, vu notre faiblesse et pied par nos prétendus bienfaiteurs, Bibliographie
! notre fragilité d’origine. Il ne s’agit civilisateurs et amis, nous avons dû ANGLADE. Georges. Atlas Critique d'Haïti,
pas de fusion ou d’intégration, dans à un moment donné manifester Montréal. Groupe d ’Études et de Recherche
Critiques d ’Espace et Centre de Recherches
le système dominant. Simplement notre présence sur l’échiquier poli­ Caraïbes de l'Université de Montréal. 1982.
de ne pas se laisser anéantir par ce tique. B e c k l e s , Hilary, Black Rébellion in Barba-
système. dos, The Strugg/e Against Slaveiy, 1627-
1838, Bridgetown, Antilles Publications.
Les oligarchies et les masses popu­ 1984.
La m odernité haïtienne B l a n c p a i n , François, La Condition des
laires coexistent dans une profonde
est l’articulation particu­ Paysans Haïtiens, du Code noir aux Codes
méconnaissance et un profond ruraux, Paris, Karthala, 2003.
lière des oligarchies et du p eu ­
! mépris de leurs vertus réciproques, C a s t o r , S u z y , La Ocupaciôn Norteameri-
ple souverain, leur dialogue de
et ne sauraient s’attendre à ce que sourds
cana de Haiti y sus consecuencias, México,
Siglo XXI Editores, 1971.
les gouvernements prennent des
D e b i e n , Gabriel, « Aux origines de l’aboli­
mesures pour combler ce vide sur tion de l’esclavage », in Revue d'histoire des
lequel ces propres gouvernements Nous ne sommes pas nés en nous en colonies, tome 36, nos 127-128, troisièmes
et quatrièmes trimestres 1949, pp. 348-423.
s’édifient. Rachitiques bourgeons prenant à la France seulement, mais
D e b i e n , Gabriel, Les Esclaves aux Antilles
de pouvoir impérial, ces gouverne­ en nous mesurant au monde moder­ Françaises (XVIÈme- X V llfme Siècles),
ments sont partie prenante de notre ne/colonial dans sa totalité. Notre Basse-Terre, Fort de France, Société d ’His-
contrat social et ne se proposent pas toire de la Guadeloupe, Société d ’Histoire
souveraineté n ’est pas une donnée, de la Martinique, 1974.
de le gérer. Ce contrat prévoit un un fait accompli. Nous l’avons con­ D u b o i s , Laurent and Garrigus, John D .,
mouvement d’esquive mutuelle et quise. Elle est peut-être un droit à Slave. Révolution in the Caribbean, 1789-
. nécessaire qui peut durer indéfïni- 1804, A B rief History with Documents,
respecter, mais, quant à nous, elle Boston, New York, Bedford/St. Martins,
| ment: le rôle des gouvernements demeure un exploit à parfaire sans 2006.
est d’éluder les demandes popu­ relâche. D u s s e l , Enrique, 20 Tésis de Politica,
laires, non de les satisfaire. (versiôn electrônica) 2006.
Le pays vit ses Temps Modernes. H ector, Michel, « Réflexion sur les
En revanche, la population qui s’est La modernité haïtienne est l’articu­ particularités de la Révolution haïtienne »,
I spécialisé dans la gestion de la pré­ in La Révolution et l’Indépendance
lation particulière des oligarchies et Haïtiennes : Autour du Bicentenaire de
carité depuis les temps de l’escla­ du peuple souverain, leur dialogue 1804, Histoire et Mémoire, Actes du 36cme
vage, Organise l’unique forme de sourds. L ’expérience nous ap­ Colloque de l ’A ssociation des Historiens de
la Caraïbe, Barbade, mai 2004, Bulletin de
d’économie et de société civile qui prend que Bondye bay chen yon la Société d ’Histoire de la Guadeloupe,
l’embrasse dans sa totalité. Elle maliy dèyè tèt-li pou li p a ka niche- Numéro spécial, Novembre 2006, p. 7-13).
laisse aux oligarchies les éventuel­ li3 La plaie - le colonialisme et son Raymond, Réponse aux Considéra­
Ju l ie n
tions de M. Moreau, dit Saint-Méry, Député
les négociations avec les entités gouvernement- ne définit pas le à l'Assemblée Nationale, sur les Colonies :
! internationales et leur marché. En chien. Elle est un inconvénient, tout Paris Imprimerie du Patriote Français, 1791
ce XXIeme siècle, il est de plus en simplement ; un inconvénient ma­ * M. E. Descourtilz, Voyages d'un Naturalis­
plus difficile de demeurer Haïtien, te, et ses observations, Tome troisième,
jeur peut-être, mais secondaire. Elle Paris, Dufart, Libraire-Éd., 1809).
r puisque la communauté intematîo- gêne et incommode, mais n ’indique Thomas, Histoire d'Haïti, Tome
M a d io u ,
F nale est gouvernée de façon à pas le chemin à suivre. II, Port-au-Prince, Imprimerie Jh. Courtois,
» absorber, chaque jour avec plus 1847.
Thomas, Histoire d ’Haïti, Tome
M a d io u ,
I d’avidité, des proportions majeures
V, Port-au-Prince, Éditions Henri Des­
I de nos affranchis. Mais, à l’origine Notes champs, 1988
I nous n’étions pas Haïtiens et nous 1 J ’appelle insurgés ce que l’historiogra­ M a n ig a t , Leslie, Éventail d'Histoire
Vivante d'Haïti, Des préludes à la
j n’avons pas choisi d’être Haïtiens. phie traditionnelle nomme les bandes de
marrons, et mutinés, le secteur de l’armée Révolution de Saint Domingue jusqu'à nos
j|. Pour dépasser notre isolement et coloniale qui s’oppose à l’armée expédi­ jo u rs (1789-1999), Une Contribution à « la
h notre fragilité, nous avons dû créer tionnaire venue de France. Nouvelle Histoire » Haïtienne, Port-au-
Prince, Collection du C h u d a c , 2001.
1 des groupements solidaires, des 2 En espagnol : colono ; en anglais : settler.
I communautés rurales, puis une 3 « Dieu inflige au chien une blessure
derrière la tête pour qu’il ne puisse pas la
1 nation. Foulés quotidiennement au lécher. »

I Notre C ité 105


rencontre
Revue Haïtienne de Société et de Culture
Centre de Recherche et de Formation Économique et Sociale pour le Développement
_ _ _ _ _ _ _ 2, a n g le d e s rues Bailly et Ja cq u e t, D e lm a s 95, Frères, Pétion-Ville, Haïti. H T 6141
C RES FE D info@crefed-haiti.org www.cresfed-haiti.org

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