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MAUGERI Salvatore, « Chapitre 2.

La motivation chez les classiques », dans :


, Théories de la motivation au travail. sous la direction de MAUGERI Salvatore.
Paris, Dunod, « Les Topos », 2013, p. 25-43. URL :
https://www.cairn.info/theories-de-la-motivation-au-travail--9782100589296-
page-25.htm


Chapitre 2. La motivation chez les classiques
• Salvatore Maugeri
• Dans Théories de la motivation au travail (2013), pages 25 à
43

1 C e qui peut bien conduire l’homme à s’investir dans son travail et de cette façon augmenter
son rendement est, chez Taylor, apparemment clairement établi. Il ne peut s’agir que de la
certitude de gagner plus d’argent – soit par le biais de primes récompensant son ardeur au
travail, soit par le biais d’une promotion, débouchant sur un meilleur salaire. La lecture de Shop
management est à cet égard édifiante (Vatin, 1990). Toutes les citations de Taylor référencées
ci-dessous sont issues de cet ouvrage, sauf indication contraire. On indiquera donc à présent
que les pages de l’ouvrage de F. Vatin. On pourrait relever dix passages où Taylor, très soucieux
de la « stimulation » du travailleur –le terme motivation n’existe pas dans son œuvre –, souligne
combien l’incitation économique est la plus propre à garantir l’implication du salarié (là encore,
c’est commettre un anachronisme que d’utiliser ce terme, mais il traduit bien l’idée que cherche
à exprimer Taylor), et, par voie de conséquence, optimiser les rendements ouvriers. Citons un
exemple :

« J’a&ribue pour une grande part ce succès dans la préven8on des grèves aux salaires élevés que
les meilleurs ouvriers pouvaient obtenir avec les tarifs différen8els et au sen8ment de sa8sfac8on
qu’entre8ent ce système ; mais ce n’est nullement là la raison exclusive. Depuis des années, la
compagnie a eu pour principe de s8muler l’ambi8on personnelle de chacun dans son service par
l’augmenta8on des salaires ou la promo8on à un poste plus élevé, quand il s’en montrait digne et
que l’occasion se présentait. »
(p. 130)
3Ce passage condense en réalité toute la pensée méritocratique de Taylor. Il énonce les deux
principes salariaux fondamentaux de la « direction administrative » qu’il inaugure et qui
résume sa théorie de la motivation :
• l’individualisation des rémunérations, qui prévoit le versement d’un salaire proportionné
au rendement (principe du salaire « différentiel ») ;
• la garantie offerte au salarié taylorisé de gagner plus que dans tout autre système
d’organisation et de pouvoir prétendre à un avancement correspondant à son implication
au travail.

5Il laisse entendre au passage, et contre toute vérité historique (des grèves ayant été déclenchées
dans certaines entreprises où l’on prévoyait d’introduire le scientific management), que son
système est le plus sûr moyen d’atteindre à la concorde sociale, tout en garantissant le
rendement maximal des hommes et des équipements.

I. Les motivations de Taylor

6Le problème fondamental auquel Taylor a cherché à porter remède est celui du conflit d’intérêt
qui à tort, selon lui, oppose les salariés et les directions d’entreprise (Pouget, 1998). De son
passage comme simple ouvrier dans les rangs du salariat, Taylor a retenu les comportements de
« freinage » des ouvriers. Par là, il désignait la propension « naturelle » des salariés à ralentir
les cadences et à réduire volontairement les rendements qu’une « honnête » journée de travail
aurait permis d’atteindre. La raison en même temps que la condition de possibilité de ce
comportement étaient doubles : d’une part, les systèmes de rémunération adoptés, d’autre part,
la méconnaissance des temps de travail de la part du management. Si les ouvriers « freinent »,
c’est avant tout parce qu’ils sont payés majoritairement à la journée, à l’heure ou à la tâche :
quelle raison pourrait bien les pousser à donner le meilleur d’eux-mêmes, dès lors que, quelle
que soit leur production, leur revenu quotidien ne s’en trouverait pas amélioré ? La solution qui
vient immédiatement à l’esprit est évidemment d’introduire un mode de rémunération aux
pièces ou au rendement. Il s’agit, en somme, de proportionner le revenu à la production de
l’ouvrier. Pour cela, il faut cependant que l’employeur ait une idée du « prix de la pièce ».
Combien doit-on rémunérer le salarié pour chaque pièce, chaque tâche, quand on a affaire à des
travaux complexes ? Avant Taylor, le patron ne savait pas répondre à cette question. Il en était
réduit à des négociations incommodes avec ses salariés pour définir la production d’une « loyale
» journée de travail et en déduire les prix de base. Ses interlocuteurs étaient les ouvriers de
métiers, groupés au sein d’une puissante fédération de syndicats. Ceux-ci négociaient
évidemment les tarifs les plus avantageux, en imposant ensuite à leurs subordonnés les rythmes
de travail qu’ils jugeaient convenables. Même si on est capable de faire mieux et plus, il ne faut
en aucun cas le révéler, quand bien même des primes à la production seraient proposées, car le
risque est grand, soit que le nombre d’emplois offerts par une industrie ne diminue du fait de
cette hausse de productivité, soit que les tarifs de base soient révisés à la baisse par un patronat
qui estimerait, a posteriori, avoir été abusé par ses ouvriers au moment des négociations
initiales.

7Taylor comprend en fait que des normes de travail informelles se mettent en place au niveau
des ateliers et à travers toute l’industrie afin de protéger les salariés contre le comportement
maximisateur des patrons. Ces normes implicites ont comme conséquence première la
limitation regrettable des rendements, mais également, par répercussion logique, la restriction
des revenus ouvriers et des bénéfices patronaux. Taylor veut remédier à cette situation qu’il
juge absurde et se lance alors dans une entreprise de rationalisation « scientifique ». Celle-ci ne
se comprend que si on lui reconnaît la dimension révolutionnaire et quasi-religieuse qu’a voulu
lui donner son auteur : mettre un terme à la défiance, à l’hostilité ancestrale entre patrons et
employés, entre travail et capital, et œuvrer au bien commun de l’humanité. Ainsi, le scientific
management est le moyen conçu pour réconcilier les intérêts des parties centrales de la société
traditionnellement en conflit – et ses deux œuvres phares, Shop Management et Principles of
Scientific Management, seront chargés de le faire savoir.

La méthode taylorienne
8Le fondement de son système est simple : on doit remédier à l’ignorance dans laquelle se
trouve le management des temps de travail ouvriers. Avec l’institution du bureau des méthodes
et la « division verticale » du travail préconisée par Taylor, la direction administrative des
entreprises va s’attacher avant tout à extraire de l’ouvrier la connaissance exacte des procédés
de fabrication et, par là, recomposer « scientifiquement » les activités de production. Le
taylorisme est avant tout une vaste entreprise de standardisation des gestes ouvriers, assortie
d’un chronométrage minutieux de chaque opération, où toute l’activité productive est réduite à
un alphabet rudimentaire organisé par une nouvelle grammaire, sans espace et sans ponctuation.
Le travail ouvrier, parcellisé et intensifié à l’extrême – parce que découpé en tâches spécialisées
affectées d’un temps limite – va constituer la base de l’échafaudage salarial élaboré par Taylor.

9La direction administrative doit veiller à sélectionner les individus pour les conformer aux
exigences du poste à pourvoir, les entraîner aux cadences définies par le bureau des méthodes,
écarter sans ménagement tout individu qui n’atteint pas les standards productifs de base. Pour
les autres, dans la mesure du possible, l’objectif est de personnaliser les rémunérations en les
référant aussi étroitement que possible aux rendements constatés. L’individualisation des
rémunérations assortie du principe de la prime au rendement est en effet le seul principe
indiscutable d’implication aux yeux de Taylor. On peut dire qu’en cela, l’Américain se montre
le digne héritier à la fois de l’anthropologie utilitariste classique et de la tradition protestante à
laquelle il appartient. L’appât du gain, le désir de gagner plus – la maximisation de l’utilité,
pour reprendre la terminologie économique – est à ses yeux le moteur souverain de l’effort
humain, la seule et suffisante raison pouvant conduire un individu à s’impliquer totalement dans
son travail. Taylor ne doute pas que dès lors qu’on met en œuvre les mesures permettant de
distinguer et de récompenser précisément les efforts consentis par chacun dans son travail, sans
confusion possible entre les mérites respectifs, tout individu est porté, spontanément, par la
seule force de sa « nature humaine », à maximiser son revenu. Ainsi, la direction administrative
relèverait du second principe d’implication décrit dans le chapitre 1, auquel on a donné le nom
« d’utilitarisme pauvre ». Le salarié devrait s’investir dans la mission qui lui est confiée par les
seuls attraits du salaire « différentiel », récompensant le mérite personnel, et par les gains
supérieurs qui sont attachés au travail taylorisé, par rapport à tout autre système, sans
considération aucune pour les conditions matérielles de l’activité productive.

2. Les errements sociologiques et méthodologiques du taylorisme


10Ces convictions ont évidemment déjà fait l’objet de nombreux commentaires et il est hors
de propos ici de faire la synthèse des critiques qui leur ont été adressées. Nous ne retiendrons
que celles qui sont susceptibles d’intéresser notre réflexion.

> Une répartition inégale des richesses


11Il faut dénoncer en premier lieu, croyons-nous, les fausses naïvetés sociales, voire «
socialistes », du taylorisme. L’harmonie, la concorde, la coopération spontanée entre ouvriers
et employeurs sont loin d’être le sous-produit mécanique de la direction administrative, dès lors
qu’on souligne que, quelle que soit l’aspiration « révolutionnaire » de Taylor, la question des
conflits inhérents aux rapports de propriétés n’est pas envisagée par le taylorisme. Celui-ci, en
aucun cas, n’entend remettre en question la finalité capitaliste de l’entreprise.

12

« Tous les salariés, précise Taylor, doivent se souvenir que les ateliers existent d’abord et toujours
dans le but de procurer des bénéfices à leurs propriétaires ; ils doivent être pa8ents et ne jamais
perdre ce point de vue. »
(p. 102)
13On ne peut être plus net quant à la question de la fonction sociale de l’entreprise. C’est
vraisemblablement la raison qui explique que, quand bien même l’étude des temps et des
mouvements soit en mesure de tripler, voire de quadrupler, la production journalière d’un
salarié, Taylor n’envisage jamais, au mieux, que le doublement du salaire de l’ouvrier taylorisé.
Un tel arbitraire dans le partage des richesses liées aux gains de productivité ne pouvait que
déboucher sur de nouvelles revendications salariales à mesure même que le taylorisme se
diffusait dans l’industrie et que les avantages du salaire différentiel aux pièces tendaient à se
diffuser à l’ensemble des salariés – le prix du taylorisme, en terme de pénibilité et d’aliénation,
apparaissant alors de plus en plus élevé.

> Une vision erronée du rapport au salaire


14Il faut souligner ainsi la pauvreté conceptuelle du salaire différentiel comme facteur
d’incitation : la perspective de gagner plus ne signifie rien en soi. La valeur qu’accorde un
individu à son salaire est toujours tributaire du système des revenus dans lequel il s’inscrit, et
sa représentation subjective de la relation unissant les salaires et les efforts consentis par les uns
et les autres à l’œuvre collective intervient toujours dans l’évaluation de sa propre rétribution.
Ainsi, rien n’indique que le travailleur taylorisé se satisfasse de gagner plus que le travailleur
non-taylorisé pour peu qu’il ait à l’esprit les bénéfices proportionnellement supérieurs qu’il
consent au propriétaire en obéissant aux prescriptions tayloriennes. Une telle remarque est
encore plus vraie à mesure que le taylorisme se diffuse et nivelle les salaires de l’industrie,
anéantissant ainsi l’attrait économique du taylorisme. Même sans cela, le rapport du salarié avec
sa production et son revenu est tellement complexe, fait intervenir tant de paramètres
sociologiques, qu’aucune étude scientifique n’est parvenue en réalité à démontrer l’efficacité
empirique du salaire au rendement – et on le sait depuis bien longtemps (voir Sociologie du
travail, n° 2, 1964), quand bien même cette forme de rétribution se soit imposée quasi
universellement et continue à l’heure actuelle à gagner les faveurs du management.

15D’une certaine façon, on peut dire que le fordisme a constitué une réponse empirique et
institutionnelle à cette complexité. Le fordisme est revenu sur le principe de l’individualisation
des rémunérations. Il a accepté le dialogue avec les syndicats en définissant avec lui des grilles
de qualification et de rémunération, et en retenant finalement le principe de l’indexation des
salaires à la fois sur l’augmentation des gains de productivité et sur l’indice des prix. Il a produit
ainsi un mode de régulation systémique où les représentations sociales du « mérite » semblaient
s’être codifiées et stabilisées de façon consensuelle. Et tout cela au terme d’un processus
conflictuel que le taylorisme n’avait pas su, à lui seul, désamorcer, et qui explosera de nouveau
au tournant des années 1960-1970, quand l’évolution des qualifications, des mœurs, des
identités et de la culture rendra le « compromis fordien » insupportable aux ouvriers. Une telle
évolution souligne bien qu’il ne peut exister, à propos du salaire, comme de toutes les
dimensions du rapport salarial, de relation simple et purement bilatérale entre un salarié et son
employeur, mais une relation forcément complexe et multilatérale où le rapport
salarié/employeur est filtré par l’ensemble des institutions, conventions et réglementations
sociales. Une relation, autrement dit, où dominent les médiations sociales et les représentations
symboliques, c’est-à-dire des construits avant tout collectifs.

3. Un échec scientifique doublé d’un échec pratique


16Ces premières remarques n’épuisent pas les reproches adressés au taylorisme. Dès que les
principes tayloriens ont été connus, de nombreuses critiques se sont abattues sur Taylor à propos
cette fois de sa méthode et de sa prétendue scientificité. On a dénoncé l’absence d’une véritable
théorie de la fatigue, autrement dit d’une physiologie accomplie permettant un calcul pertinent
des temps de travail et de repos ; on a dénoncé le caractère absurde de l’entreprise taylorienne
qui visait à mécaniser l’homme, plutôt que d’inventer de nouveaux procédés de fabrication et
de confier aux machines le soin de réaliser le travail pénible à sa place ; enfin, on a souligné
que Taylor s’était exclusivement intéressé à des activités excessivement simples. Toutes les
opérations complexes échappaient à l’emprise de son système. Qu’il nous suffise d’indiquer
que le taylorisme n’est pas seulement un échec scientifique, il est aussi un échec pratique : les
comportements de freinage collectif n’ont pas disparu avec le taylorisme. Ils ont même été
complétés par des comportements de « coulage » des temps alloués. Comme on vient de le
suggérer, le taylorisme est, dans la grande majorité des cas, à la fois incapable de définir les
temps de travail et encore moins de prescrire les gestes utiles des salariés. Il est par conséquent
dans l’incapacité d’offrir un système de rémunération à la pièce qui entraîne l’adhésion totale
des salariés.

17Dans toutes les entreprises du monde, tous les travailleurs, parfaitement conscients de
l’arbitraire des conventions patronales relatives aux salaires et aux primes de rendement, ont
continué à défendre collectivement leur position dans la mécanique de la reproduction du
capital. Des études déjà anciennes montrent comment les travailleurs soumis au principe de la
rémunération au rendement jouent collectivement avec les barèmes tarifaires et les temps
alloués par la direction, non pour maximiser leur revenu, mais pour en garantir la constance sur
le long terme, en freinant systématiquement toutes les tâches qui pourraient être effectuées plus
rapidement (et dont la rémunération de base risquerait d’être ainsi revue à la baisse), et en «
coulant » tout aussi régulièrement les temps alloués par le bureau des méthodes à l’occasion de
chaque nouveau lancement, afin d’obtenir des temps plus à même de favoriser le versement de
primes de rendement. Tout un jeu autour des temps de base se met ainsi en place dans les
ateliers. Ce jeu n’est possible que par le « jeu » même que présente le taylorisme en matière de
fixation des temps. Il s’organise collectivement, à travers de subtiles interactions entre salariés,
ce qui met à mal, une nouvelle fois, l’individualisme supposé du travailleur, en même temps
que son comportement maximisateur.

18Les raisons qui poussent un individu à s’inscrire dans la logique productiviste préconisée par
la direction sont loin d’être toujours purement utilitaristes et individualistes. La recherche
sociologique a démontré que l’ouvrier pouvait apparemment épouser la cause productiviste de
son employeur pour des raisons mêlant attitude de défi à l’égard des normes patronales, volonté
d’échapper au non-sens aliénant du travail parcellisé et éthique professionnelle et personnelle
poussant les ouvriers à fournir du « bon travail », le « bon travail » étant défini ici
quantitativement. Les joutes productivistes auxquelles se livrent les ouvriers pour agrémenter
leur quotidien frustrant et anxiogène sont connues. De même qu’est connu le fait que ces joutes
sont livrées en pleine conscience de leur ambiguïté apparente, laissant à penser que les salariés
« s’investissent » dans leur travail, quand ils ne font que lutter contre l’abattement consécutif à
leurs conditions de travail. Du reste, ces compétitions ne vont pas jusqu’à mettre en question
les normes de rendement imposées par le groupe pour se ménager des marges de manœuvre
vis-à-vis de la direction (Coutrot, 1999).

19Échec scientifique, le taylorisme est donc également un échec pragmatique, visible à travers
la faillite du principe de rémunération au rendement. C’est sans doute la raison pour laquelle le
taylorisme n’a pu se borner à cet expédient pour garantir l’implication des salariés. Comme on
pouvait s’y attendre, Taylor ne comptait en effet pas seulement sur l’intérêt bien compris des
salariés pour susciter l’investissement dans leur tâche. L’appât du gain, il le sentait
confusément, ne constituait pas un facteur motivationnel assez puissant. Il fallait adjoindre à ce
principe quelques soutiens. Un contrôle étroit des salariés, en même temps qu’une pincée de
bienveillance de la part des chefs et un zeste d’enrichissement des tâches devaient à ses yeux
faire l’affaire. C’est assurément par ces aménagements, plus que par la direction administrative
et la rémunération à la pièce, que Taylor se rapproche le plus de l’autre grande figure du
management moderne : Fayol, et, dans une moindre mesure, de Weber, dont l’aspiration
intellectuelle était tout autre.

II. Au-delà de l’intéressement économique

20On connaît les cinq attributions que Fayol réservait à la fonction de direction de l’entreprise
et que résume le titre même de l’ouvrage qui l’a fait reconnaître universellement comme le «
père » de la gestion d’entreprise : Administration industrielle et générale - Prévoyance,
Organisation, Commandement, Coordination et Contrôle (1916). Ces prérogatives du
management sont déclinées à travers quatorze préceptes de direction, dont au moins sept
touchent à la question de la discipline, de l’autorité, de la hiérarchie ou de l’obéissance, en un
mot à l’organisation du pouvoir dans l’entreprise. Autrement dit, les fonctions «
commandement contrôle » semblent hypertrophiées par rapport aux autres prérogatives de la
direction. Cette sensibilité particulière à la question de l’ordre et de la discipline dans les
entreprises est d’une certaine façon également présente dans la définition que donne Weber de
la bureaucratie. On ne va pas ici s’étendre sur les types idéaux webériens de domination,
considérant que cette problématique est suffisamment connue (Weber, 1971). Parmi les trois
grands types de domination, Weber a défini la domination rationnelle légale, mises
concrètement en œuvre dans les bureaucraties. Celles-ci sont régies, nous dit-il, par dix grands
principes, figurant – comme les quatorze « préceptes fayoliens » – dans tous les manuels de
gestion. Le dixième et dernier principe stipule que « l’employé est soumis à une discipline et
un contrôle stricts dans son travail ».

21Comme Fayol, Weber souligne également, bien que dans une moindre mesure, la place
occupée dans la direction des administrations ou des entreprises par la division du travail et
l’importance d’une définition claire de la hiérarchie. Il rappelle les mérites de l’unité de
commandement, s’éloignant en cela de la direction « fonctionnelle » de Taylor, mais en dehors
de ce point, il rejoint les deux autres auteurs sur le fait que les organisations modernes supposent
un contrôle et une surveillance étroite des salariés, ce qui souligne assez que l’adhésion des
individus au but de l’entreprise ne peut être attendue exclusivement d’incitations économiques
ou d’une simple intériorisation des règles fixées par l’organisation. Autrement dit, pour se
garantir l’implication des salariés, et l’exécution optimale de leurs activités, des dispositifs de
surveillance doivent être conçus et appliqués pour soutenir le comportement des individus.

1. Contrôles et sanctions
22C’est également indubitablement l’avis de Taylor qui dans Shop Management nous livre par
le menu les mesures de contrôle qu’il a dû prendre pour s’assurer de l’implication « loyale »
des salariées (il s’agissait de femmes) dans le système productiviste qu’il a mis au point dans
un atelier de fabrication de roulements à billes.

23

« S’étant ainsi prémuni contre toute altéra8on de la qualité [par des contre-visites effectuées sur
les vérifica8ons des contrôleuses de premier rang et l’introduc8on, à l’insu des contrôleuses, de
lots de billes défectueuses dûment répertoriés par le contrôleur chef…], on adopta des moyens
efficaces pour augmenter la produc8on. On subs8tua un système perfec8onné de rémunéra8on à
la journée à l’ancienne méthode […]. Une étude montra que les jeunes filles perdaient en
conversa8on une par8e considérable de leur temps. On les empêcha de bavarder pendant le travail
en les plaçant à distance respectable l’une de l’autre. […] Deux pauses de dix minutes chacune leur
furent accordées au milieu de la ma8née et au milieu de l’après-midi ; pendant ces pauses, elles
avaient le droit de se lever et de causer. […] Le travail de chaque ouvrière fut mesuré chaque heure,
et on leur faisait connaître si leur allure de travail était normale ou de combien elles étaient en
retard. […] »
(Va,n, 1990, pp. 71-72)
24Cette citation nous a paru indispensable pour mettre en exergue le véritable « dressage » (le
mot est utilisé par Taylor lui-même à plusieurs endroits) auquel l’auteur a dû se livrer sur la
personne des ouvrières pour accoucher de ces résultats édifiants. Il apparaît clairement que la
stimulation économique à elle seule est parfaitement inopérante, si elle ne se double pas d’un
système disciplinaire particulièrement féroce et impitoyable, en particulier pour celles qui
n’arrivent pas à suivre la cadence. En d’autres termes, la stimulation des salariés dans le système
taylorien, comme pour chacun des représentants de l’école classique, suppose à l’évidence la
mise en place de procédure de surveillance, de contrôle et, naturellement, de sanction, qui n’a
vraisemblablement d’autre justification que de palier l’insuffisance des incitations
économiques. La théorie de la motivation qui se dégage peu à peu de l’école classique se précise
: stimulation économique (primes et promotions) d’un côté, mise en place de dispositifs
disciplinaires, alternant surveillance et sanctions, de l’autre. « Carotte et bâton », pourrait-on
résumer, ce qui cadre parfaitement avec l’autoritarisme et le militarisme de façade de l’école
classique. Ces deux volets, pour centraux qu’ils apparaissent n’épuisent cependant pas la réalité.
Pour être plus précis, il faut encore y ajouter un troisième principe : la bienveillance et la
sollicitude des chefs. Ce que plus tard on appellera la friendly supervision – ce qui souligne à
notre avis la « modernité » de l’école classique. Et c’est encore à partir de Taylor qu’on va
d’abord la mettre en lumière.

Bienveillance, cordialité : antécédents de la friendly supervision


25Si la clé de voûte du système d’administration que propose Taylor est définitivement le «
calcul des temps élémentaires », conçu comme le juge de paix entre salariés et patrons, il n’en
demeure pas moins que le rôle que s’attribue l’expert du bureau des méthodes dans la définition
des cadences et des rémunérations ne s’impose pas à tous comme par enchantement et que la
taylorisation des activités doit s’accompagner, partout et toujours, d’un intense travail de
persuasion et d’encouragement de la part des chefs. Le chef est celui qui doit « être capable
d’entraîner et d’exciter ses ouvriers en travaillant plus vite qu’eux » (p. 76), il doit «
communiquer l’énergie suffisante » à ses subordonnés pour abattre la tâche qui leur est confiée
(p. 82-83). Il doit faire preuve enfin de « bienveillance et de compréhension ». Comme l’écrit
Taylor :
26

« Aucun système de direc8on, quelque bon soit-il, ne doit être appliqué d’une façon sévère ; on
doit maintenir entre les patrons et les ouvriers des rapports convenables ; même les préven8ons
des ouvriers doivent être discutées en causant directement avec eux. »
(p. 130)
27La signification de cette sentence qui fleure bon le paternalisme est encore plus claire dans
la citation suivante :

28

« Le patron qui traverse ses ateliers les mains gantées, qu’on n’a jamais vu se salir et qui parle
toujours à ses ouvriers d’une manière condescendante et protectrice, ou qui ne leur
adresse même pas la parole, n’a aucune chance de pénétrer leurs sen8ments in8mes. »
(p. 130)
29Doit-on encore donner d’autres exemples ? À l’évidence, la question de la prise en compte
du « facteur humain », qu’on croit une invention de l’école ultérieure, est déjà bien présente
dans la doctrine taylorienne.

30

« Chaque ouvrier doit être encouragé à discuter avec le supérieur des ennuis qu’il peut avoir à
l’atelier comme au dehors. […] L’occasion que doit avoir chaque individu de s’ouvrir librement
auprès de ses patrons fait l’office d’une soupape de sûreté. […] Ce ne sont pas tant les largesses,
quelque généreuses qu’elles soient, que demandent ou apprécient les ouvriers que les pe8ts actes
de bienveillance et de sympathie personnelle, qui établissent un lien de cordialité entre eux et
leurs patrons. […] L’effet moral de ce système sur les ouvriers est marqué : le sen8ment qu’on leur
fait jus8ce élève leur caractère, les rend droits et loyaux. Ils travaillent avec plus de cœur et sont
plus obligeants les uns envers les autres, comme envers leurs patrons. »
(pp. 130-131)
31Comment de tels propos ont-ils pu être occultés si longtemps par la critique du taylorisme ?
La doctrine centrale de l’école des relations humaines est ici déjà presque complètement
énoncée : la bienveillance, l’ouverture d’esprit, la possibilité qui est faite à l’ouvrier de
s’exprimer sur ses difficultés (on ne parle même pas de les résoudre !) dans et en dehors de son
travail, les dispositions de loyauté, de droiture qu’une telle attitude du management est
susceptible d’induire chez le travailleur, tous ces thèmes nous paraissent sans conteste annoncer
Mayo et ses émules de Harvard. Ce qui motive l’homme au travail, ce qui suscite chez lui les
bonnes dispositions d’esprit, ce n’est pas seulement l’appât du gain, ce ne sont pas seulement
les contrôles et menaces de sanction, c’est également une attitude générale de bienveillance,
d’écoute et de soutien de la part du management. Voilà qui complète singulièrement la théorie
disciplinaire et utilitariste de l’action propre au taylorisme. On retrouve cette même conviction
dans le travail de Fayol, ce qui explique sans doute le rapprochement traditionnel de ces auteurs.
Si le septième précepte fayolien stipule que la rémunération doit être proportionnelle aux efforts
faits pour la firme, rejoignant par là la doctrine individualiste et utilitariste de Taylor, il
considère comme lui que l’équité et la justice doivent être respectées dans les relations entre
les individus. Et celles-ci résultent de l’application des conventions établies. Mais, admet Fayol,
« ces conventions ne peuvent tout prévoir » (incomplétude des contrats, diraient les
néoinstitutionalistes). Aussi, la justice doit être complétée par la « bienveillance du chef. ». Le
chef, encore, et cette faculté particulière qui doit être la sienne de dépasser par son attitude
aimable, compréhensive, prévenante et indulgente, les défiances « naturelles » du subordonné
à son égard, comme à l’égard de la firme qui l’emploie. Chez Taylor, comme chez Fayol, on le
voit, la question des formes du commandement, du leader-ship est tout sauf anodine. Elle
constitue même un paramètre central dans la conduite des hommes et dans l’émergence d’une
attitude positive de leur part vis-à-vis de leur travail. On considère pourtant que cette question
ne sera abordée que par la génération suivante. Il s’agit d’un malentendu, explicable
probablement par la masse écrasante de l’ombre portée du « hiérarchisme » et de l’autoritarisme
de l’école classique.

32Notons avant de finir ce point que, chez Weber, l’attitude personnelle du chef n’est pas
invoquée comme un principe de stimulation des énergies et d’adhésion des individus aux buts
de l’organisation. Cependant, dans la mesure où le chef, dans une bureaucratie, est censé
appliquer un règlement parfaitement mécaniquement, il va de soi que le point névralgique de la
relation salariés/organisation va se déplacer du côté des règles et de leur application. Le salarié
motivé sera, dans une bureaucratie, celui qui aura le sentiment que les règles sont appliquées
avec rigueur et pertinence, c’est-à-dire qui aura la conviction que ce qui a été légalement et
rationnellement planifié est légalement et rationnellement appliqué. L’adhésion de l’individu à
sa fonction et sa motivation à donner le meilleur de lui-même viendraient en somme non pas
seulement des incitations économiques, ni des contrôles, mais du sentiment que les règles sont
bien appliquées. On retrouve en somme, chez Weber, comme chez Taylor et Fayol, à la base
du « conformisme » comportemental de l’ouvrier une dimension symbolique qui n’est plus la
« bienveillance » du chef, mais sa capacité à appliquer, à respecter et à faire respecter un
règlement.

3. Enrichissement des tâches


33Le dernier point que nous voudrions traiter avant de refermer cet examen de l’école classique
d’organisation, concerne avant tout le taylorisme. Il sera traité brièvement dans la mesure où il
touche à des questions qui seront développées dans le prochain chapitre et introduit à ce qu’on
a appelé la « critique externe » du taylorisme. Il s’agit du problème du contenu même du travail.
Taylor lui-même semble avoir conscience des efforts qu’il attend de ses salariés et des effets
d’aliénation que sa direction administrative risque d’entraîner. Plusieurs passages pourraient
être invoqués à l’appui de cette affirmation.

34

« Il y a beaucoup de gens qui désapprouveront l’idée générale du service de répar88on du travail


chargé de penser pour les ouvriers et d’un corps de contremaîtres chargés d’assister et de diriger
chaque ouvrier dans son travail. Ces gens se baseront sur le fait que cela ne tend pas à développer
l’ini8a8ve, la confiance en soi et l’originalité des individus. »
(p. 103)
35Sans donc nier totalement ces risques, Taylor souligne cependant les chances qui, grâce à
son système, sont offertes à de nombreux manœuvres d’occuper des places supérieures, voire
de s’élever à un poste de contremaître. Sans discuter la pertinence de ces déclarations
(prophétiques !) touchant au mouvement de qualification/déqualification induite par le
taylorisme, on se contentera de noter qu’elles le conduisent à faire implicitement l’hypothèse
qu’en dehors de l’argent, des contrôles, des sanctions, de l’indulgence et de la prévenance du
chef, le fait pour l’ouvrier de savoir que par son travail et son assiduité, il est en mesure
d’accéder à un poste « supérieur », où il aura l’occasion d’exercer les talents ou qualités que
son maintien dans le poste actuel inhibe, constitue sans conteste un facteur supplémentaire de
motivation au travail (même si cette opportunité est réservée évidemment au manœuvre ou à
un auxiliaire « intelligent »). Ce qui lui permet d’être aussi catégorique n’est pas explicité. Cette
ambition propre à l’ouvrier apparaît de l’ordre de l’évidence, du postulat. Retenons simplement
que c’est cette fois du côté du contenu même des tâches, et non plus seulement du côté des
avantages extérieurs qu’offre un emploi, que Taylor fait reposer ses principes d’incitation.
Cette même idée est exprimée dans le « précepte 13 » de Fayol, relatif à l’initiative, définie
comme « la faculté de concevoir un plan et d’en assurer la réussite », ce qui est une « source de
satisfaction pour l’homme intelligent et doit, selon l’auteur, être stimulé ». On ne s’explique
pas les motifs qui font de la prise d’initiatives une source de satisfaction. Mais pour l’auteur il
ne fait pas de doute qu’il s’agit là d’une amélioration de la condition salariale et par conséquent
un facteur de motivation, parce que facteur de satisfaction au travail. On voit ici que les trois
termes de la triade initiale ont été passés en revue. Notons surtout la convergence de vue, encore
une fois, entre l’Américain et le Français et l’introwduction d’une nouvelle facette de la
motivation chez les classiques, qui, il faut l’admettre, anticipent, sur ce point encore, des
thématiques qui ne seront popularisées que par la génération suivante.

III. Conclusion

36On vient de voir quels sont les quatre grands facteurs de motivation définis par l’école
classique. Les auteurs de cette école n’ont pas toujours élaboré explicitement ces facteurs, que
nous avons déduits de l’analyse de leurs textes. On peut rétrospectivement saluer la perspicacité
de ces auteurs. Les facteurs retenus couvrent la totalité des types idéaux définis en introduction.
Comme nous pourrons le constater, le management n’a jamais pu totalement s’affranchir des
influences de cette école.
Taylorisme et motivation : une relation impossible ?
Le secteur des transports et de la logis,que, en pleine expansion avec la mondialisa,on,
apporte un démen, cinglant à tous ceux qui affirment que les ra,onalisa,ons tayloriennes du
travail n’ont plus cours dans les entreprises. Au contraire, l’usage intensif des technologies de
l’informa,on dans ce secteur, comme dans beaucoup d’autres, a permis une intensifica,on du
travail et un contrôle accru des salariés, même dans le contexte spa,otemporel spécifique de
ces mé,ers (l’unité de lieu et de temps du travail posté taylorien n’est pas ici concevable). Une
telle situa,on interroge l’intérêt porté par certains managers aux probléma,ques
mo,va,onnelles malgré plus de cent ans de recherche.
Dans les transports, avant le téléphone cellulaire et l’informa,que embarquée, le chauffeur
derrière son volant était, comme il est d’usage de le dire, le seul maître à bord. Dès que les
portes de l’entreprise étaient franchies, il était bien difficile de savoir où se trouvait le camion
et ce que faisait le conducteur. CeUe liberté de manœuvre cons,tuait d’ailleurs un des aUraits
majeurs des mé,ers de la route, une dimension centrale de la mo,va,on à devenir « rou,er
». Aujourd’hui, les grandes floUes de véhicules sont toutes équipées de disposi,fs
de tracking satellitaire. Grâce à un ordinateur embarqué, une antenne et un abonnement à un
service GPS (Global Posi0oning System), la géolocalisa0on des vecteurs rou,ers est devenue
une banalité. Depuis ses bureaux, le préposé à l’organisa,on des flux peut consulter à la
demande son ordinateur, qui lui indique sur une carte, en temps réel, la posi,on de chaque
camion et l’i,néraire emprunté par celui-ci depuis son départ (avec une précision de quelques
dizaines de mètres). Le service offert par les prestataires de télécommunica,on couvre
l’ensemble de l’Europe, pays de l’Est et du Maghreb compris. La machine permet d’envoyer
des messages au conducteur, de lui demander des explica,ons en cas d’anomalie sur le trajet
ou d’arrêt intempes,f, et de lui indiquer l’adresse de rechargement, dès qu’il a vidé le camion.
La feuille de route étant établie, il est impossible d’échapper au contrôle du siège : fini les
par,es de carte entre confrères dans son restaurant favori, en misant sur quelques excuses ad
hoc ou pe,ts expédients de conduite pour raUraper le retard : vitesse, temps de pause,
i,néraire, arrêts, tout est connu et dûment contrôlé par le responsable des trafics qui ne s’en
laisse plus compter par ses subordonnés… Même dans les pe,tes entreprises, la surveillance
salariale s’est énormément développée : le téléphone cellulaire a instauré un lien permanent
entre le siège et ses conducteurs. Un simple SMS permet d’interroger ceux-ci pour connaître
l’état des livraisons et, pour s’assurer de la bonne foi des salariés, un service de tracing est
également proposé par les opérateurs de téléphonie : grâce au maillage territorial des
antennes relais, on est en mesure de localiser avec précision chaque camion à travers tout le
pays. Ainsi, les temps morts dans l’organisa,on des trafics ont complètement disparu. La
liberté de conduite du chauffeur s’est évanouie. Les i,néraires sont balisés, les rendez-vous
avec les clients chargeurs ou des,nataires planifiés avec méthode et tous les aléas de parcours
connus instantanément et corrigés de même. L’éclatement spa,o-temporel du cycle produc,f
ne s’oppose plus à une surveillance étroite des conducteurs. Même loin des yeux du « chef »,
le contrôle est permanent, les temps morts éliminés, l’autonomie salariale vaincue. Dans
certains cas, des capteurs et disposi,fs de monitoring des véhicules permeUent de contrôler
les niveaux de consomma,on de carburant, d’analyser la conduite des chauffeurs et d’apporter
des correc,fs à leur manière de pousser les vitesses, d’accélérer ou de freiner. Taylor n’aurait
pas rêvé mieux.
CeUe même intensifica,on du travail et perte d’autonomie se donne à voir dans les entrepôts
de marchandises, avec peut-être un degré supérieur et une inhumanité effrayante. Dans ces
espaces gigantesques où les palefers des,nés à recevoir les marchandises s’élèvent parfois à
12 mètres de hauteur sur des milliers de mètres carrés, la grande difficulté consiste dans la
connaissance exacte de l’emplacement de chaque paleUe entrée dans le stock. Pour certains
produits périssables (aliments, médicaments, etc.), il faut également connaître la date d’entrée
dans l’entrepôt, afin de livrer aux clients les produits arrivés en premier (c’est le fameux
principe du FIFO : First In, First Out). Les ingénieurs y ont beaucoup réfléchi et ont élaboré de
nombreux ou,ls. Le dernier d’entre eux ne laisse pas d’étonner. Il repose sur le recours à un
logiciel de ges,on des stocks, présidant à l’alloca,on des espaces de stockage au moment où
la marchandise arrive, et son associa,on avec un logiciel de prépara,on de commande qui
organise le ballet des salariés dans les allées de l’entrepôt, à la recherche de la bonne paleUe,
du bon carton sur celle-ci. Autrefois, le préparateur de commande se voyait remeUre un
document papier sur lequel figuraient les « adresses » de prélèvement dans le palefer (les
allées, les niveaux et les alvéoles du palefer sont tous numérotés) : il se présentait avec son
chariot et une paleUe vide à l’adresse indiquée, prélevait la quan,té de marchandise
demandée, rayait de sa liste la ligne de commande et passait à l’adresse suivante. L’exac,tude
et le temps de la prépara,on de commande étaient approxima,fs en raison de l’autonomie
du salarié. Une ges,on par codes à barres a d’abord remplacé le système manuel avec de bons
résultats en terme de produc,vité et de qualité de la prépara,on, mais l’obliga,on de tenir un
« pistolet » pour lire les codes cons,tuait une solu,on incommode. C’est pourquoi on en est
arrivé aujourd’hui au système de radioguidage vocal. Désormais, les salariés sont équipés d’un
casque et d’un micro. Au moment de leur prise de service, un paramétrage du système permet
à celui-ci de reconnaître la voix du salarié et de communiquer avec lui. Dès sa prise de fonc,on,
le salarié devient l’instrument humain de la machine. Celle-ci lui indique au casque l’adresse
où il doit se rendre et le nombre de colis qu’il doit y prélever. À chaque mouvement, le
préparateur doit indiquer vocalement, par des codes préétablis, l’état d’exécu,on des ordres
reçus, la machine indiquant alors la nouvelle adresse de prélèvement. Cet exemple, ajouté à
celui des conducteurs rou,ers, permet de mesurer combien les discours sur la mo,va,on au
travail sont, dans certains secteurs, totalement ineptes. La robo,sa,on de l’homme a été
poussée à un degré supérieur avec les technologies de l’informa,on et de la communica,on.
Même si les « compétences » humaines (la capacité à comprendre des ordres, à s’orienter
dans l’espace, à s’adapter aux circonstances, etc.) restent incontournables dans la bonne
marche des entreprises tout aussi taylorisée soient-elles, il n’en demeure pas moins que de
tels principes d’organisa,on semblent laisser peu de place au travail de la mo,va,on par le
management. En dehors du vieux principe de la prime au rendement, la technologie semble
avoir rendu inu,le la prise en charge de la probléma,que de l’implica,on salariale. Le contrôle
informa,que permet à chaque instant de surveiller la produc,vité des individus. Les
sta,s,ques produites par le système objec,vent les performances de chacun et, par
comparaison, iden,fient sur le champ les « mauvais » salariés. Leur remplacement est ensuite
aussi facile qu’est révocable leur contrat de travail temporaire.

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