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Publié
il y a 5 ans le 17 novembre 2018
Par Ariane Solal
S’il y a bien un poète omniprésent dans le rap français, c’est Baudelaire (c’en est
étourdissant, voir ici pour un aperçu des Fleurs du mal 2.0), tout particulièrement avec la
notion du spleen (voir notre analyse comparée de Baudelaire et du texte culte de Jazzy
Bazz, 64 mesures de spleen).
Il est si souvent cité qu’il éclipse un autre poète connu du XIXème siècle : Arthur Rimbaud.
Pourtant, il a tout pour aller avec le rap, d’où notre projet : réhabilitons Rimbaud !
Qu’il s’agisse de sa vie ou de son œuvre, c’est une source d’inspiration dont les rappeurs français
ne se sont pas encore assez emparés.
Selon Lucio Bukowski, « Si Chopin avait eu une MPC, Baudelaire aurait rappé ». Et Rimbaud
aujourd’hui, est-ce qu’il ferait du rap ?
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• Lucio Bukowski fait plusieurs références aux recueils Illuminations et Une saison
en enfer. Mais c’est un rappeur très littéraire et pointu dans ses références, on ne
peut pas dire qu’il soit représentatif d’une tendance.
• Médine évidemment, dans Clash royal, développe le récit de la relation
Rimbaud-Verlaine tout au long du morceau. Chez Gaël Faye, c’est également
une référence de type biographique que l’on retrouve : « Je trouverai mon
Abyssinie, moi l’Arthur Rimbaud» (car Rimbaud a voyagé dans cette région
d’Afrique).
• Lino le cite dans Cinéma pour aveugles: « Poète illégitime, un peu Rimbaud, un peu
Rocancourt », pour dire que lui-même, en tant que rappeur, est mi-poète
(Rimbaud), mi-escroc (Rocancourt). La référence n’est pas développée au-delà,
comme lorsque Jok’Air dit « J’ai la plume à Rimbaud, j’défouraille comme
Rambo » : le nom de Rimbaud permet simplement de faire référence à un grand
poète, et devient le prétexte d’une paronomase Rimbaud / Rambo. Mais il n’y a
pas de référence particulière à sa vie ou à son œuvre.
• Enfin, il y a le cas de Disiz, qui, dans Poisson étrange, fait référence au célèbre
poème Le Bateau ivre, référence qui entre en résonance avec le sens de son texte,
puisqu’il évoque les boat-people. Mais c’est finalement un cas assez rare : la
plupart du temps, le nom de Rimbaud est cité sans développement, et
quand développement il y a, il concerne plus sa vie que son œuvre.
Rimbaud : la street
Adolescent brillant mais rebelle, Rimbaud fugue de chez lui à plusieurs reprises, et mène la vie
de bohème, ou « la vie d’la ure » comme dirait Jazzy Bazz. Cela le conduit parfois à l’illégalité,
comme il quitte la ferme familiale et se rend à Paris en train, évidemment sans ticket : arrivé à
Gare du Nord, il se fait arrêter pour fraude et emmener en prison, « dans cette putain de maison
d’arrêt ». C’est souvent escorté par des policiers qu’il est ramené à sa mère après ses fugues.
Une fois adulte, quand il arrête la poésie, il fait le tour du monde, et s’implique de nouveau
des activités illégales : trafic d’ivoire et trafic d’armes en Afrique.
L’espace de la rue lui correspond tellement, qu’à la fin des années 70, le street-artiste Ernest
Pignon-Ernest lui rend hommage en placardant des affiches dans les rues de Paris et de
Charleville (ville d’origine du poète). Il modernise l’apparence de Rimbaud, en lui faisant porter
un jean, comme s’il était un adolescent de son temps.
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(!) et blesse son adversaire. Il a pris ce qu’il avait sous la main, peut-être se serait-il emparé
d’une bouteille de parfum s’il s’était trouvé au duty-free d’Orly…
Justement, lors de la polémique liée à l’affaire Booba-Kaaris, un morceau de rap a beaucoup été
cité : Clash royal, de Médine. Ce texte évoque la relation tumultueuse entre Rimbaud et
Verlaine, et cette fois le clash ne vient pas de Rimbaud : c’est Verlaine qui lui tire dessus, comme
le répète le refrain de Médine. Il fait explicitement le parallèle : « c’est le genre de clash qu’on
retrouve dans le rap ». Et surtout, c’est la fin du morceau qui semble prémonitoire, quelques
mois avant la déferlante de clichés dans les médias sur les rappeurs forcément tous violents et
mauvais exemples pour la jeunesse :
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dans des poèmes comme Ma bohème ou Au Cabaret-Vert. C’est ce qu’il vit qui l’inspire, or le
rap est souvent associé (parfois à tort) à une écriture autobiographique.
Tout d’abord, Rimbaud aime provoquer. Dans Vénus anadyomène par exemple, il revisite le
mythe de la naissance de Vénus, déesse de la beauté ; mais il le fait de façon parodique, la
transformant en créature hideuse, avant de faire rimer Vénus avec anus pour clore le poème.
Il exerce sa liberté dans le choix du vocabulaire : il sait adopter un langage soutenu, mais il
introduit aussi de l’oralité avec des onomatopées. Il emploie également du vocabulaire qui n’a
rien de poétique a priori, en allant jusqu’au langage familier parfois. En cela, on peut le
rapprocher des rappeurs qui font entrer le langage oral, de la vraie vie, dans leurs
textes.
La liberté se trouve aussi dans la forme : Rimbaud s’affranchit des conventions et du carcan de
la versification. Il fait plusieurs poèmes en prose ; et même quand il utilise des vers, il ne le fait
pas de manière classique : il crée des ruptures de rythme avec des enjambements (quand la
phrase ne se termine pas à la fin du vers, mais déborde au vers suivant, créant une gêne à la
lecture) : il a un flow particulier.
Sa poésie devient de plus en plus particulière, parfois difficilement compréhensible : l’œuvre de
Rimbaud ne ressemble à rien de ce que l’on connaît, c’est une révolution poétique.
Conclusion
Dans Ma bohème, Rimbaud se présente comme un nouvel Orphée (avec les images
superposées de la lyre et des lacets de chaussures), Orphée étant la figure traditionnelle du poète
par excellence. De la même manière, un rappeur d’aujourd’hui pourrait être perçu comme
un nouveau Rimbaud. C’est toujours le même rapport entre tradition et modernité…