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Une histoire de l’université

algérienne
Prof Abdelkader Abdellaoui
Ancien directeur du laboratoire de télédétection à Alger
Ancien directeur du CDTA
Ancien Recteur de l’USTO
Ancien directeur du département de géographie Paris 12

abdellaoui.geo@gmail .com
1. Cinquième anecdote : Cela se passait en mars 1990. Le général Larbi Belkheir venait
d’être nommé SG à la présidence de la République en remplacement de Mouloud
Hamrouche. Une semaine après son installation, il me demande de passer le voir. Je
me demandais bien ce qu’il me voulait. Après les salutations d’usage, il me dit : « si
Abdelkader, je pensais que vous étiez physicien ». Je répondis par l’affirmative. Alors,
dans un e attitude décontractée, il me dit : « ha rouh tkarri 3la rouhek ». Réprimant ma
colère et mon amertume, je répondis : « mon général, avec tout le respect que je vous
dois, [en réalité, c’était le respect que je devais à l’institution qu’il représentait] je vous
informe (mais vous le savez surement) que le président des USA a un staff
d’universitaire et de scientifiques qui lui préparent un grand nombre de dossiers et de
suggestions pour ses décisions ». La réponse du général a été si rapide : « Y a si
Abdelkader, rana fi dzair, manach fil maricane ». Ma réponse l’ a été tout autant :
« Alors, mon général, laissez moi aller à l’université ; j’y serai surement plus utile à ma
société ».
2. Sixième anecdote : Cela se passait septembre 1990. j’étais à l’époque Recteur de
l’USTO. Les enseignants avaient lancé une grève à l’échelle nationale. Mais à la rentrée
universitaire, pour ne pas provoquer une année blanche, ils avaient suspendu la grève
pour faire passer les examens de la seconde session. Les étudiants beaux parleurs mais
intéressés par la note à tous prix sans se fatiguer à travailler et à apprendre, ont lancé
une grève avec pour prétexte qu’il ne savaient pas que les enseignants allaient
suspendre leur grève et qu’ils n’avaient donc pas révisé ! À l’USTO, j’avais mis en place
des comités pédagogiques par filière avec pour consigne : si 80% au moins des inscrits
se présentes à l’examen, vous validez ; sinon (si on n’atteint pas cette barre), l’examen
sera reporté. Les étudiants « mouchaouichines » ont continué leur grève avec une
grève de la faim et l’envoi de délégation au ministre. Après de longues discussions
téléphoniques avec le ministre en lui expliquant ce que j’avais mis en place et après
échec de ces discussions, je dis au ministre : « Monsieur le ministre, je vous ai expliqué,
une démarche pragmatique dans l’objet principal est de sauvegarder la qualité de nos
formations ; si vous voulez favoriser ceux et celles qui n’ont pour demande que la note,
faites-le moi savoir par écrit, par fax et je l’afficherai à l’université pour information aux
enseignants, aux étudiants et leurs parents. Deux jours après, il me rappelle en me
disant qu’il avait besoin de moi. Je dis à mon épouse de préparer nos affaires car je ne
reviendrais plus à l’USTO. J’avais préparé ma démission. Le ministre avait préparé mon
remplacement par un collègue que Mr Sellal (à l’époque wali d’Oran) qualifiait de
« Monsieur déménagement ».
Alors, pourquoi ces anecdotes et que pouvons-nous en tirer ?

Ces anecdotes ont été rappelées pour comprendre :


• La situation de l’université algérienne et les phases par lesquelles elle est passée
• Le fait que cette situation n’est pas venue comme cela d’un coup de baguette
magique mais qu’elle est, au contraire, le résultat d’un long processus
• Le fait aussi que les acteurs de cette situation sont multiples :
o Il y a le système de gouvernance dans son ensemble, certes
o Mais il y a nous tous ensemble qui avons contribué, par notre action ou notre
inaction
o Vous, c’est-à-dire : enseignants, étudiants, parents, société. Chacun de nous a
contribué, consciemment ou inconsciemment. Il y a bien sûr celles et ceux
qui ont lutté ou qui luttent encore pour une université de savoir,
d’intelligence et d’ouverture
• Vous autres étudiants, futures élites de la société, avez une très très lourde
responsabilité. La question fondamentale que vous devrez vous poser ne doit pas
être celle de savoir ce que VOUS allez faire ou devenir ; votre question primordiale
devra être : que dois-je laisser à mes enfants ?
L’histoire de l’enseignement supérieur algérien se divise essentiellement en deux phases :
avant et après l’indépendance du pays en 1962 :

1. L’époque coloniale :
• L’université : La première université créée en Algérie fut l’Université d’Alger, fondé
en 1910 avec deux annexes à Oran et Constantine ; l’université d’Alger comprenait
deux départements prestigieux : i) celui des mathématiques et ii) celui de
physique de l’atmosphère
• Les grandes écoles et instituts :
o l’École Nationale Supérieure de Commerce, fondée en 1900,
o l’Ecole Nationale Polytechnique, fondée en 1925
o l’Ecole Nationale Supérieure Agronomique, instituée en 1909.
En1963, l’Algérie ne comptait pas plus de 2500 étudiants.

2. L’Algérie indépendante : de 1962 à 2020, l’université algérienne et le système


global de formation supérieure ont connu de profondes réformes et
bouleversements qui les ont transformés.
Une phase de développement soutenu

• Dès 1969, des instituts (écoles supérieures formant des ingénieurs et des techniciens
supérieurs) de technologie sont créés en rattachement aux différents ministères pour
répondre à la demande pressante en cadres et en techniciens. Nous pouvons citer à titre
d’exemple : le CERI, devenu par la suite (INI) avec un programme de formation innovant
et unique, l’IAP avec ses nombreuses succursales notamment à Hassi Messaoud ; les
ingénieurs et techniciens de l’IAP étaient demandés partout dans le monde !
• La réforme de 1971 : elle avait pour objectif d’opérer un changement profond dans les
fondements mêmes de l’ancien système de formation, de créer une université
authentiquement algérienne et intégrée dans le processus de développement. Une
refonte totale des programmes est mise en place avec pour principales caractéristiques :
diversification, spécialisation, professionnalisation et orientation plus poussée vers
l’enseignement scientifique et technique.
• La formation à l’étranger des années 70 : un vaste programme de formation supérieure
est mis en place pour accompagner le développement et l’algérianisation des structures
et des cadres. Les pays amis avaient reçus de nombreux étudiants algériens dans la
plupart des domaines des Savoirs, notamment techniques mais pas que …
• 1980 : amendements à la réforme de 1971 : restructuration des universités en facultés
et en instituts, mise en place d’un système d’orientation des bacheliers à l’entrée de
l’université et mise en place des formations de courte durée.
La Banque Mondiale note qu’en Algérie, l’accès à l’université est garanti pour
tous, en fonction de leur mérite, conformément aux dispositions de la
Déclaration universelle des droits de l’homme. Ce principe a été et reste un des
fondements de la politique de l’enseignement supérieur en Algérie. Dans ce
domaine, l’accès des femmes aux études supérieures a fait un progrès
important avec le passage de leur effectif de 23% en 1977 à 54% en 1997
Un vaste programme d’accompagnement de l’étudiant est mis en place :
• Bourses d’études
• Logement
• Transports
• Restauration

Mais ce programme ne présente pas que des avantages : au lieu de mettre


l’étudiant dans la situation de la vie réelle, il le transforme
d’entrepreneur en assisté ! L’étudiant considère désormais que c’est un
droit d’être logé, d’être nourri, d’être transporté ; et certains prolongent ce
droit vers celui de réussir sans fournir d’effort, d’avoir automatiquement un
emploi sans faire l’effort d’innover ou de créer.
Une phase de décadence

Elle a commencé avec le programme d’accompagnement de l’étudiant qui a transformé


celui-ci d’entrepreneur en assisté !
L’étudiant considère désormais que c’est un droit d’être logé, d’être nourri, d’être
transporté ; et certains prolongent ce droit vers celui de réussir sans fournir d’effort,
d’avoir automatiquement un emploi sans faire l’effort d’innover ou de créer.

L’étudiant se rend-il compte


des dépenses, des pertes de
! L’étudiant se
rend-il compte
qu’il participe à
temps, de la pollution, de
la banalisation
l’encombrement des routes ?
du non-travail ?
Une phase de décadence
• 1986 :
o suppression des écoles dépendant des secteurs économiques
o Réunification du système de formation supérieure par la création des
Instituts Nationaux de Formation Supérieure au sein des universités ;
l’université a alors pour mission de former des ingénieurs en cinq années.
On n’oublie que l’université n’a ni les moyens matériels ni les équipes
pédagogiques pour assurer cette formation. Nous avions à l’époque
constaté que des étudiants de l’USTHB en cinquième année d’ingéniorat
en informatique n’ont jamais vu (et encore moins manipulé) un
ordinateur !
• 1998 :
Loi d'orientation de l'enseignement supérieur du 17-08-1998
Une phase de décadence
• 2004/2005 : le système LMD, une expérimentation et un grand gâchis
o Rentrée universitaire 2004-2005 : expérimentation du système LMD dans dix
établissement d’enseignement supérieur ;
o Rentrée universitaire 2005-2006 : le système est généralisé On a laissé coexister
l’ancien et le nouveau système alors que le principe du LMD est de remplacer un
système de formation par un autre
o On a zappé la réflexion sur l’équivalences entre les deux systèmes ; on se
retrouve ainsi à des étudiants titulaires d’un magister (bac+8) à s’inscrire en
master 2 (bac+5)
o Le ministère du travail et de l’emploi n’a pas été associé à la réforme ; se pose
alors la question de savoir comment placer un titulaire d’une licence de trois
années (au lieu de 4 dans l’ancien système)
o On a invité des étranger pour expliquer le LMD ; ne connaissant pas le contexte
algérien, ils ont expliqué le LMD européen !
o De nombreux algériens et maghrébins ont participé à mettre en place dans les
universités françaises ; aucun n’a été invité en Algérie
Une phase de décadence
• En 2003-2004 : le taux d’hébergement dans les résidences
universitaires atteint 50,5% des effectifs totaux et le
nombre de boursiers est de l’ordre de 638 744 étudiants
soit 88,5 %
• la participation de l’étudiant est presque nulle dans le
recouvrement des coûts (par exemple, les frais de scolarité
ne sont que de l’ordre de 200 Dinars par an soit 2,20 €). Le
prix du ticket restaurant n’a pas augmenté depuis des
années ! Et l’étudiant a l’impression de payer son repas !
Est-il seulement conscient du prix d’un repas payé par sa
famille ? La participation au transport est nulle. La
participation au logement est insignifiante
• Cette situation fait qu’une part importante du budget de
l’enseignement supérieur est allouée aux œuvres
universitaires au détriment du volet pédagogique
Une phase de décadence

• En 2022 : l’université est descendue tout en bas de l’escalier


o L’université est de plus en plus déconnectée des
environnements économique, social, politique et
culturel
o Les étudiants ne sont plus des entrepreneurs
o Les enseignants deviennent des carriéristes
o L’Administration universitaire n’a plus de libertés
de choix ; il y a eu certes la mise en place de ce
qu’on a appelé « le projet d’établissement ». Au
lieu que ce projet serve à recruter les dirigeants
universitaire, il ne sert en réalité que comme un
leurre pour affirmer davantage la puissance de
la tutelle qui décide de tout
Questions à vous autres doctorants

Trois questions me paraissent fondamentales :

1. Êtes-vous satisfaits de la situation présentes de


votre université ?
2. Êtes-vous prêts à consentir les sacrifices
nécessaires (notamment en acceptant de jouir de
certains avantages) pour relever votre université
et, par là-même votre société ?
3. Vous sentez-vous capables de relever le défi du
futur : construire une université de savoir,
d’intelligence, de compétences et d’ouverture ?
Questions à vous autres doctorants

Les recherches dans le monde s’orientent désormais (entre autres domaines) vers
l’espace, les biologie et biotechnologie, l’intelligence artificielle, la psychologie sous
tous ses aspects, les neurologies, le changement climatique etc. …

Alors, pensez-vous que ces domaines de


réflexion peuvent intéresser l’université
algériennes et donc vous intéresser ?

Pensez-vous que vous aurez la capacité de


relever le défi de les aborder ?
L’espoir ………
Les générations algériennes jeunes ont montré tout
au long de notre histoire qu’elles sont capables de
miracles, d’abnégation, de sacrifices dans l’intérêt
national et sociétal. Les exemples sont tellement
nombreux :
• L’opposition à la puissance coloniale a
été menée par une génération jeune
• Les années 60, en tous débuts de
l’indépendance, la jeunesse laghouatie
s’est élevé contre le système unique
pour créer l’Union de la Jeunesse
Estudiantine de Laghouat et se mettre
ainsi en concurrence avec la JFLN,
organisation jeunesse du Parti unique
• Les prémisses du Hirak étaient les
manifestations étudiantes
• Le hirak a été animée par les
générations jeunes, en tout premier
lieu
L’espoir ………

Ces exemples me font espérer …

J’ai pleine confiance que vous avez les capacités, toutes les
capacités de relever tous les défis, de consentir tous les sacrifices,
de réussir tous les projets pour i) construire une université
d’intelligence et de progrès, ii) de mettre en place une société de
savoir, de convivialité, d’entre-aide, de compréhension, iii) de
dépasser les différences pour amener tous les citoyens à s’unir
pour bâtir une Algérie de progrès.

Oui, du haut de mes 77 ans, je garde cet espoir !


Partie mécanique

Partie optique

Partie informatique
esa : Agence Spatiale Européenne
Partie numérique

carcasse

Mémoire
d’ingénieurs en
Algérie (CSTN)

La sonde spatiale Rosetta au dessus de la comète


67P Churyumov-Gerasimenko

1979 : Réalisation d’un


capteur numérique
multispectral calé sur les
bandes du satellite américain
Landsat
Agence Internationale pour le
18
Développement de l'Education quelle université pour l'Algérie – prof Abdellaoui
et de la Coopération
Le comité scientifique européen a décidé la
La vision à long terme … construction de la sonde spatiale Rosetta
Premier atout d’un programme de en 1993 avec l'objectif d'améliorer notre
recherches connaissance du processus de formation du
Système solaire dont les comètes constituent
des vestiges.

La sonde spatiale, d'une masse de


trois tonnes, s'est placée en orbite autour de
la comète puis, après une période
d'observation de plusieurs mois ; elle a
envoyé le 12 novembre 2014 un
petit atterrisseur, Philae, se poser sur sa
La sonde spatiale Rosetta au dessus de la comète
67P Churyumov-Gerasimenko surface pour analyser in situ la composition
de son sol et sa structure.
lancement

1993 2004 2014

décision 21 ans mission

Agence Internationale pour le


19
Développement de l'Education quelle université pour l'Algérie – prof Abdellaoui
et de la Coopération
L’espoir, oui … mais il faudra que vous appreniez
À ne rater aucune occasion d’apprendre

Aucune occasion de diffuser vos connaissances


L’espoir, oui … mais il faudra que vous appreniez

À ne rater aucune occasion pour donner votre opinion


Sans forcément attendre une réponse qui ne viendrait sans doute jamais !
Je voudrais terminer par
cette image : une
conférence dans une
université roumaine. Au
fond, sur le mur, les photos
de ceux qui ont contribué au
développement de
l’université … les profs qu’on
honore en se les rappelant.
L’université algérienne
oublie les siens.
Mais ce sera à vous
d’honorer vos aînés qui
vous auront marqués

Merci pour votre attention

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