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Dans ce roman, le lecteur suit Hanta, travailleur qui, depuis trente-cinq ans,
compresse du papier, des montagnes de papier qui lui viennent de partout du
dehors… hors de sa cave où il est installé avec sa presse hydraulique, comme coupé
d’un monde qui pourtant le submerge, l’envahit. Son chef ne voit en ces amas de
papiers que déchets, détritus venus de boucheries, de commerces, de
bibliothèques… d’ici et d’ailleurs, pour être réduits en paquets, compressés, vendus
au poids. Il glisse parfois la tête par la porte qui donne sur les tréfonds où œuvre
Hanta. Ce dernier nous raconte sa vision de ce qu’il vit, là, à Prague, comment,
comme il le répète, il reproduit ses gestes à la presse, combien il découvre le monde
par ces livres qu’il choisit dans la masse informe qu’on déverse dans la cour
donnant sur sa cave. Il boit de la bière pour être plus efficace… plus encore dans les
mots, dans les phrases qui nourrissent son appétit de découverte. Et de ses
trouvailles, il fait des paquets, livres ouverts aux pages qui l’intéressent, dorures et
reproductions d’images apparentes (exemple : des peintures de Van Gogh). Il fait
plus que compresser du papier qu’il enferme dans des fils de fer voués à la
destruction, à l’oubli… il est passionné par ce qu’il crée, attentionné, curieux. Son
comportement exaspère son chef qui le voit perdu dans ces ouvrages qu’il a
aménagé telle une grotte (entouré comme chez lui des livres qu’il sauve de sa
presse). Car là est bien la question pour Hanta d’une accession à quelque chose de
supérieur. Par la lecture, il imagine la présence d’hommes et de femmes… la venue
de penseurs ou de religieux (Lao Tseu, Jésus…) qui se mêlent à ses souvenirs
(anecdotes sur son passé), fictions, rencontres réelles, qui l’accompagnent dans sa
bruyante solitude au fond de sa cave attaquée par les rongeurs dont il imagine la
guerre souterraine… Il évoque ainsi Hegel, Kant, Goethe… Oui, Hanta voit dans ses
paquets compressés l’occasion d’être plus ou mieux qu’un destructeur, de
s’échapper dans un au-delà. Mais, fatalement, il finira sa course, comme déchu, au
fond de sa cave…
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Vincent Bonnefille (2e année) — Fiche de lecture : Une trop bruyante solitude de
Bohumil Hrabal —
loucher sur tes livres […] » (partie I). Il est donc aussi bien question du regard
extérieur vis-à-vis de l’intérêt de la minutie sélective à laquelle s’applique Hanta. En
effet, les livres ne sont pas même vus par les autres comme détenteurs de sens… Il
ne sont que papier, matière et encre ; ils ont perdu leur singularité et sont rendus
au rang de masse de déchet vendue au kilo. Hanta semble donc le dernier de ce
microcosme à voir en ces livres des signes, des mots puis des connaissances... Et
c’est contre cette matière gluante, cette boue (partie V : « Ce papier transformé en
glaise ») qu’il se bat. Les livres sauvés de peu de la disparition l’entourent dans
toute sa vie, et il en fait profiter des professeurs, des penseurs, des amis
(extérieurs)… Ces livres et ce qu’ils contiennent sont toute sa vie, et deviennent
intimement liés jusque dans les images qu’il emploie : « C’est une fois pressés que
nous donnons le meilleur de nous-mêmes » (partie II et repris à la fin de la partie VIII).
En fait, il allie fond et forme : en donnant un sens à son travail, il trouve une forme
plastique telle une projection de sa personne. Il crée des paquets, choisissant leurs
contenus, imaginant même, à sa retraite, en faire une exposition… comme libéré de
sa cave (partie V : « J’avais vu ou vécu, corps et âme, dans ma trop bruyante
solitude, je m’étonnais de constater que le travail me projetait dans le champ de la
toute puissance infinie »). Les livres sont ainsi, même plus que cela… Ils sont la
matière signifiante de ces paquets « mûrement choisis ». Ils changent de statut et
donc d’utilisation, de portée (il parle de ces compressions animant celui qui les
regarde comme le fait une œuvre d’art : « Le spectateur sensible [peut] vivre la
sensation d’être pressé par ma presse mécanique »). Ses paquets ont de ce fait un
autre objet, une autre dimension, une autre portée… Hanta, en créant ses
rapprochements d’œuvres, ses aménagements, fait plus que d’interdire les livres à
l’oubli, il les porte au statut d’objets d’art. Les livres, objets, n’ont plus d’emprise
sur lui (par l’addiction qu’ils lui procurent en lui permettant une ouverture sur des
mondes qui animent sa solitude) mais c’est lui qui en fait des objets extérieurs,
comme une projection de lui-même. Au final, c’est de sa disparition et de celle de
toute une culture, imprimée sur une mémoire de papier, dont il est question : une
génération lui succède et continue sans lui, abandonné dans sa cave avec ses
vécus, ses craintes, ses solitudes… Son œuvre, ses choix de livres, ses prises de
position sont les seules traces de sa sensibilité sur les livres, les savoirs, la vie. Ses
paquets de livres sont donc une recherche de sens ou du moins un acte de refus
dans sa solitude : un moyen d’expression. Tel que le dit son chef vers la fin (partie
VIII) : «Ton cerveau n’est rien d’autre qu’un paquet d’idées écrasées »… Hanta est,
comme il le dit lui-même, « corps et âme » dans son ouvrage.
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