Vous êtes sur la page 1sur 4

Directeur de la publication : Edwy Plenel

www.mediapart.fr
1

des cannabinoïdes thérapeutiques pour définir une


véritable politique d’usage thérapeutique, cohérente,
Cannabis thérapeutique: «Il n’est pas
sécurisée et bienveillante ».
question de stigmatiser les patients»
PAR LOUISE FESSARD Existe-t-il pour certaines pathologies un consensus
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 1 FÉVRIER 2018
scientifique sur l’efficacité de certains principes
Alors que le ministre de l’intérieur a choisi de actifs du cannabis ?
créer une amende forfaitaire délictuelle pour les Nicolas Authier : Les choses sont en train de se
consommateurs de stupéfiants, le psychiatre Nicolas préciser. En termes de niveau de preuve suffisant, le
Authier, qui préside la commission des stupéfiants et cannabidiol, par exemple, a montré un intérêt dans
psychotropes de l’Agence du médicament, estime que l’épilepsie résistante de l’enfant, ainsi que dans la
le développement des cannabinoïdes thérapeutiques en spasticité de la sclérose en plaques. Une demande
France passera par des médicaments. d’autorisation de mise sur le marché a été déposée
Le médecin psychiatre Nicolas Authier, chef du auprès de l’Agence européenne du médicament en
service de pharmacologie médicale et de la douleur décembre 2017 pour un médicament [l’Epidiolex
du CHU de Clermont-Ferrand, préside la commission – ndlr] à base de cannabidiol dans l’épilepsie
des stupéfiants et psychotropes de l’Agence résistante des enfants. Cette substance possède déjà
nationale de sécurité du médicament (ANSM). Cette une autorisation temporaire d’utilisation (ATU)
commission délivre des avis sur les substances en France. Si le laboratoire l’obtient, ce serait le
psychotropes, qu’elles soient légales ou non. Elle est deuxième médicament à base d’extraits de cannabis
notamment consultée pour le classement de nouveaux qui disposerait en France d’une autorisation de mise
produits apparaissant sur le marché. sur le marché, après le Sativex.
Un autre médicament est disponible en ATU en
France, le Marinol, à base de dronabinol ou
tétrahydrocannabinol (THC) synthétique. Il est utilisé
pour le traitement de certaines douleurs chroniques
résistantes et, dans d’autres pays, dans la prise en
charge des nausées, vomissements et pertes de poids
dans le cancer et l’infection par le VIH. Mais ce ne
sont pas des traitements de première intention, ils sont
donc indiqués après échec des autres médicaments.
Il existe ensuite beaucoup de pistes de recherche,
notamment dans la douleur mais avec un niveau de
Nicolas Authier © DR
preuve encore insuffisant. Bien que l’on parle de
Également directeur de l’Observatoire français
plus en plus de médecine personnalisée, il faut tout
des médicaments antalgiques, Nicolas Authier
de même que les substances actives proposées aux
est favorable au développement en France de
patients bénéficient d’une validation de leur balance
« cannabinoïdes thérapeutiques » sous forme de
bénéfices/risques.
médicaments. Et non sous forme de cannabis brut,
contrairement au choix de l’Allemagne, qui a autorisé Quel est le mécanisme des cannabinoïdes ?
en janvier 2017 la vente sur ordonnance d’extraits de Nous produisons nos propres endocannabinoïdes
cannabis et de fleurs séchées dans ses pharmacies. qui se fixent sur les mêmes récepteurs, CB1 et
Il estime qu’il « serait très intéressant que les CB2, que les substances actives du cannabis. Selon
autorités sanitaires s’emparent de cette question la localisation de ces récepteurs, leur activation
peut avoir un rôle physiologique, toxique, voire

1/4
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
2

potentiellement thérapeutique, sur, par exemple, la Alors qu’une première autorisation de mise
prolifération des cellules, les systèmes respiratoire sur le marché a été délivrée en janvier 2014
et cardiovasculaire, l’inflammation, le système pour le Sativex, ce médicament à base de
immunitaire, le cerveau (plaisir, douleur, appétit, cannabis, destiné à certains patients de sclérose
nausées, etc.). Les cannabinoïdes sont soit activateurs, en plaques, n’a toujours pas été commercialisé.
soit inhibiteurs cellulaires, selon les tissus concernés. Aucun accord n’a été trouvé sur le prix auquel
Le cannabis – avec toutes les molécules qui le il pourra être remboursé. Les associations de
composent – est, lui, considéré comme un dépresseur patients atteints de sclérose en plaques, ainsi
[qui ralentit le fonctionnement – ndlr] du système que le directeur du laboratoire espagnol chargé
nerveux central, donc du cerveau. de sa commercialisation, évoquent une peur des
Pourquoi le cannabis médical est-il toujours autorités françaises.
interdit en France, alors que plus d’une trentaine Je ne peux pas répondre pour les autorités chargées de
de pays en Europe et en Amérique l’ont autorisé la fixation du prix, mais il me semble que du côté de
sous diverses formes ? l’Agence du médicament, tout a été fait pour qu’une
Le terme de cannabis peut être un frein au autorisation de mise sur le marché soit possible, et
développement de son usage à visée médicale. Ce de façon rapide. La ministre précédente [Marisol
qui peut soigner, ce sont certaines molécules extraites Touraine, dont Nicolas Authier a été conseiller –
du cannabis, des cannabinoïdes, utilisées seules ou ndlr] a fait changer la loi pour cela et je n’ai pas
en association, et dont on va optimiser l’usage en ressenti de frilosité dans le milieu médical vis-à-vis
réduisant notamment les risques liés soit au THC lui- du Sativex. Il n’y a d’ailleurs aucune raison, compte
même, soit au mode de consommation comme le joint. tenu de conditions de prescription restreintes et d’une
population concernée plutôt faible. Et, encore une fois,
Il faudrait parler de cannabinoïdes thérapeutiques.
parce que ce n’est pas un médicament qui présente
Cela permettrait aussi de dissocier cet objectif médical
un risque supérieur à des traitements déjà disponibles,
du débat sur la dépénalisation ou la légalisation de
comme certains antalgiques dérivés de la morphine ou
l’usage récréatif du cannabis. Le statut de stupéfiant
psychotropes comme les benzodiazépines.
du cannabis ne doit pas être un frein au développement
des médicaments cannabinoïdes. Nous disposons bien « Il n’est pas question de stigmatiser ces
de médicaments à base de morphine, qui est aussi une patients »
substance stupéfiante et pas moins à risque en cas de Certains de vos patients utilisent-ils du cannabis
mauvais usage que le cannabis. pour se soigner ?
Le véritable défi est de montrer scientifiquement Oui, c’est le cas actuellement pour deux de mes
l’intérêt de ces substances cannabinoïdes actives, de patients dans les suites de douleurs chroniques rebelles
les extraire ou de savoir les synthétiser, et enfin aux autres antalgiques. Ces patients rapportent un
de trouver un mode d’administration sans risque ou soulagement de leur souffrance dans sa globalité, et
à moindre risque. La forme fumée, à travers les notamment sur le plan émotionnel. Nous essayons
joints, est un non-sens d’un point de vue médical ; en priorité de réduire les risques liés au THC et
la vaporisation, avec par exemple des cigarettes à l’inhalation. Je crois que nous pourrions presque
électroniques comme cela se fait déjà, est une première dire que la plupart des usagers qui rapportent un
avancée vers un moindre risque. Mais cela n’est pas usage de cannabis non récréatif sont dans un usage
forcément adapté à des traitements de fond de maladies thérapeutique.
chroniques. Et finalement, ils sont assez nombreux dans ce cas,
à l’utiliser pour soulager certaines souffrances ou
inconforts. Mais cela ne valide pas complètement le

2/4
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
3

cannabis comme un bon médicament et ne permet pas Dans un avis de novembre 2015 sur le cannabidiol,
de réduire les risques associés ou d’homogénéiser les la commission des stupéfiants que vous présidez
pratiques. L’exemple du joint pour s’endormir le soir s’était montrée sceptique sur l’absence d’effet
étant probablement le plus fréquent. Néanmoins, cela psychotrope du cannabidiol. Quelle est votre
ne fait pas pour autant du cannabis (résine ou herbe) un position aujourd’hui ?
bon hypnotique, notamment sur la qualité du sommeil. Pour l’instant, il n’y a pas eu de signaux inquiétants
Il serait très intéressant que les autorités sanitaires remontés du point de vue sanitaire avec le cannabidiol.
s’emparent de cette question des cannabinoïdes Il a forcément un effet sur le système nerveux central,
thérapeutiques pour définir une véritable politique puisqu’il a des effets sur l’épilepsie et sur la douleur,
d’usage thérapeutique, cohérente, sécurisée et et que de nombreux revendeurs lui prêtent des effets
bienveillante. apaisants ou relaxants qui font penser à un effet
Il n’est pas question de stigmatiser ces patients qui anxiolytique. Son mode d’action va d’ailleurs dans ce
cherchent à soulager une souffrance. En pratique, sens. Mais il n’a probablement pas un fort potentiel
il faut actuellement essayer de faire en sorte que à visée d’usage récréatif aux doses habituellement
leur consommation soit à moindre risque et qu’ils utilisées. Il faut aussi rester prudent en l’absence de
ne développent pas de phénomènes de dépendance. niveau de preuve suffisant, car on voit clairement un
Néanmoins, ils peuvent avoir affaire à la justice s’ils business se développer sur cette substance. Il ne serait
prennent leur voiture ou s’ils font pousser chez eux pas acceptable de tromper des patients en souffrance.
des plants, car cela reste interdit. Certains magistrats Les produits, comme certaines huiles de CBD,
peuvent se montrer indulgents sous couvert d’un contenant moins de 0,20 % de THC sont-ils légaux
certificat médical, mais c’est la loterie. Plus nous en France ?
aurons de médicaments commercialisés à base de Non, il n’existe pas de seuil en dessous duquel le
cannabinoïdes, plus cela crédibilisera la démarche de cannabis serait légal. Le THC lui-même est interdit,
ces patients qui consomment à visée thérapeutique. c’est un stupéfiant. La loi dispose que certaines
Pour cela, il faudrait qu’il y ait des recherches plantes de cannabis sont autorisées uniquement à
en France sur ces cannabinoïdes, or il semble visée cosmétique, alimentaire ou vestimentaire, parce
très compliqué pour les chercheurs et chercheuses qu’elles contiennent moins de 0,20 % de THC. On ne
d’obtenir des autorisations. peut utiliser que les fibres ou la graine. Si on fabrique
L’Agence du médicament peut autoriser des un liquide contenant du CBD et du THC, cela devient
recherches sur des produits dérivés du cannabis si illicite. Le CBD lui-même n’est pas interdit, mais il
la sécurité des patients est assurée. Mais ce n’est faut être sûr qu’il y a 0 % de THC dans votre liquide.
pas à l’agence d’initier ces travaux et il est vrai Sauf s’il s’agit d’une préparation pharmaceutique avec
qu’il y a encore assez peu d’équipes de recherche une autorisation de mise sur le marché.
en France qui se sont emparées de la thématique Boite noire
des cannabinoïdes thérapeutiques. Ces substances L’entretien a été relu par Nicolas Authier, qui a précisé
doivent, si elles sont présentées avec des allégations certains points sans modifier le fond.
thérapeutiques, montrer une balance bénéfices/risques
satisfaisante dans l’intérêt premier des patients.

3/4
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
4

Directeur de la publication : Edwy Plenel Rédaction et administration : 8 passage Brulon 75012 Paris
Directeur éditorial : François Bonnet Courriel : contact@mediapart.fr
Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Téléphone : + 33 (0) 1 44 68 99 08
Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Télécopie : + 33 (0) 1 44 68 01 90
Capital social : 24 864,88€. Propriétaire, éditeur, imprimeur : la Société Editrice de Mediapart, Société par actions
Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des simplifiée au capital de 24 864,88€, immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS,
publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. dont le siège social est situé au 8 passage Brulon, 75012 Paris.
Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel Abonnement : pour toute information, question ou conseil, le service abonné de Mediapart
(Président), Sébastien Sassolas, Marie-Hélène Smiéjan, Thierry Wilhelm. Actionnaires peut être contacté par courriel à l’adresse : serviceabonnement@mediapart.fr. ou par courrier
directs et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, à l'adresse : Service abonnés Mediapart, 4, rue Saint Hilaire 86000 Poitiers. Vous pouvez
Marie-Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, également adresser vos courriers à Société Editrice de Mediapart, 8 passage Brulon, 75012
Société des Amis de Mediapart. Paris.

4/4

Vous aimerez peut-être aussi