Vous êtes sur la page 1sur 3

Directeur de la publication : Edwy Plenel

www.mediapart.fr
1

Cessez-le-feu précaire dans la guerre


commerciale entre les Etats-Unis et
l'Europe
PAR MARTINE ORANGE
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 26 JUILLET 2018

Jean-Claude Juncker et Donald Trump le 25 juillet 2018 © Reuters

Cet accord, selon les deux hommes, doit marquer une «


nouvelle phase » dans les relations entre les États-Unis
et l’Europe. Les deux responsables ont convenu pour
cela d’entamer des discussions en vue de supprimer
tous les tarifs douaniers, appelés à être ramenés à zéro,
toutes les barrières réglementaires et normatives dans
Jean-Claude Juncker et Donald Trump le 25 juillet 2018 © Reuters
Donald Trump et Jean-Claude Juncker se sont les échanges commerciaux entre les deux continents,
entendus mercredi 25 juillet pour ouvrir de nouvelles et d’éliminer toutes les subventions.
négociations commerciales entre les États-Unis et En attendant les conclusions de ces discussions, le
l’Europe. Si cet accord empêche momentanément président américain s’est engagé à renoncer à toute
l’escalade entre les deux continents, il risque de se nouvelle mesure douanière contre les importations
révéler rapidement en trompe-l'œil. Tant l’ambiguïté européennes. Mais il n’a pas parlé de supprimer
règne. celles déjà instaurées sur les importations d’acier et
Le soulagement est général. Alors que les relations d’aluminium depuis juin. Premier résultat concret :
entre les États-Unis et l’Europe n’ont cessé de il ne devrait pas y avoir d’augmentation de 25 %
se dégrader ces dernières semaines, beaucoup des tarifs douaniers sur les importations automobiles
redoutaient l’issue de la rencontre entre Donald Trump européennes début août, comme Donald Trump en
et le président de la Commission européenne, Jean- agitait la menace. La nouvelle a été largement
Claude Juncker, le 25 juillet. D’autant que le président applaudie par l’Allemagne, principal pays menacé
américain, fidèle à sa politique du tweet, avait encore par ces hausses douanières. Le ministre allemand de
fait monter la pression ces derniers jours, continuant l'économie, Peter Altmaier, s’est félicité tout de suite «
de menacer d’imposer de nouvelles augmentations de cette percée qui peut éviter la guerre commerciale
douanières sur les produits européens. À la surprise et sauver des millions d'emplois ».
générale, tout s’est fini par des embrassades entre En contrepartie, l’Europe s’est engagée à augmenter
les deux hommes : un cessez-le-feu avait été conclu immédiatement ses importations de soja produit
dans la guerre commerciale menaçante entre les deux aux États-Unis. Un geste destiné à conforter le
continents président américain : en rétorsion aux hausses
« C’est un très grand jour pour le libre et loyal douanières imposées aux produits chinois, Pékin a
échange », s’est félicité Donald Trump lors de décidé d’arrêter ses achats de soja américain. Depuis,
la conférence de presse commune. « J’étais venu les agriculteurs américains, qui font partie de la
pour faire un deal. Nous avons fait un deal », base électorale de Trump, sont furieux car les prix
enchaînait Jean-Claude Juncker, flattant par ces mots s’effondrent. Pour atténuer le choc, l’Europe se
un Donald Trump qui s’est toujours considéré comme propose donc de se substituer au moins partiellement
un « dealmaker ». à la Chine.

1/3
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
2

La deuxième concession européenne est la promesse Donald Trump sait donc qu’il a la main et il ne
que l’Europe, à l’avenir, achètera beaucoup plus de gaz semble pas du tout décidé à lâcher. Depuis son
naturel liquéfié (GNL) – principalement issu du gaz arrivée à la Maison Blanche, celui-ci ne cesse de
de schiste – en provenance des États-Unis. Là encore, dénoncer les déséquilibres commerciaux en défaveur
c’est une des obsessions de Donald Trump, qui en avait des États-Unis. Après la Chine, l’excédent commercial
fait même un point de fixation au sommet de l’Otan, européen, et en particulier allemand, est devenu son
en reprochant à l’Allemagne de s’approvisionner en obsession. Il se dit déterminé à inverser la situation par
gaz russe et non américain. tous les moyens. Et très rapidement.
Si cet accord empêche momentanément l’escalade En face, l’Europe avance divisée. Et il sera sans
entre les États-Unis et l’Europe, il risque de se doute très difficile de trouver un compromis entre
révéler rapidement en trompe-l’œil. Tant l’ambiguïté les pays qui ont des intérêts très divergents.
règne. Car en marquant un tel empressement auprès Pour l’instant, l’accord provisoire trouvé avec les
de Donald Trump, le président de la Commission États-Unis conforte plutôt les intérêts allemands.
européenne ne peut ignorer qu’il apporte un soutien Outre le fait que l’industrie automobile allemande
significatif au président américain, alors que celui-ci évite immédiatement une hausse douanière sur ses
est vivement critiqué pour sa politique commerciale exportations à destination des États-Unis, elle n’est pas
et pour avoir mis à mal depuis des mois la relation la plus exposée si à l’avenir toutes les importations
privilégiée entre les États-Unis et l’Europe. Et même si automobiles américaines sont sans droit de douane, en
l’urgence commandait – il fallait éviter pour l’Europe raison de ses positions haut de gamme. On ne peut
de nouvelles sanctions commerciales, annoncées pas dire la même chose pour les industries automobiles
comme imminentes, et faire croire un moment encore française et italienne, qui elles se retrouvent en
que tout continue comme avant dans le monde du concurrence frontale avec les produits américains.
libre-échange –, l'Europe a fait de sacrées entorses à Il en va de même pour nombre d’autres secteurs
ses principes. industriels.
Celle-ci a beau s’ériger en championne du La question est encore plus aiguë sur l’agriculture.
multilatéralisme, elle a dans les faits totalement Donald Trump et Jean-Claude Juncker ont évoqué
abdiqué devant Donald Trump, en acceptant de se la suppression de toutes les normes réglementaires
entre les deux continents. Comme lors des discussions
sur le CETA, le traité commercial entre l'UE et le
Canada, désormais mis à mal par le gouvernement
d'extrême droite en Italie, on risque de reparler de
poulets javellisés, de bœuf aux hormones, d’OMG et
placer sur le terrain choisi par le président américain, de bien d’autres choses encore.
celui de la négociation à deux. À la veille de sa « Nous avons des standards sanitaires, agricoles,
rencontre avec Jean-Claude Juncker, le président environnementaux élevés, aussi bien que des règles
américain ne manquait d’ailleurs pas d’acter cette de production auxquelles nous sommes attachés et
victoire dans un de ces tweets dont il a le secret. « Les qui garantissent la protection des consommateurs.
pays qui nous ont tous traité commercialement de L’Europe ne doit pas transiger avec ces normes », a
manière injuste viennent tous négocier à Washington. réagi dès jeudi matin le ministre des finances, Bruno
Cela aurait dû être fait depuis longtemps. Mais comme Le Maire, en demandant que l’agriculture soit tenue à
on dit, mieux vaut tard que jamais. » l’écart des négociations avec les États-Unis et que tout
soit fait dans la clarté.

2/3
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
3

Mais pour l’instant, la clarté n’est guère là. Au- commerce et d’investissement refusé tant par les élus
delà des déclarations de principe, on ne sait américains et les opinions publiques dans nombre
trop quels engagements a pris le président de de pays européens, ou d’autre chose [lire le dossier
la Commission européenne, quelle était l’étendue de Mediapart sur le TTIP] ? Et jusqu’à quelles
réelle de son mandat. S’agit-il de relancer un concessions est prête à aller l’Europe pour aboutir ?
nouveau TTIP, ce partenariat transatlantique de Sans compter que d’un tweet Donald Trump peut tout
chambouler.

Directeur de la publication : Edwy Plenel Rédaction et administration : 8 passage Brulon 75012 Paris
Directeur éditorial : François Bonnet Courriel : contact@mediapart.fr
Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Téléphone : + 33 (0) 1 44 68 99 08
Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Télécopie : + 33 (0) 1 44 68 01 90
Capital social : 24 864,88€. Propriétaire, éditeur, imprimeur : la Société Editrice de Mediapart, Société par actions
Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des simplifiée au capital de 24 864,88€, immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS,
publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. dont le siège social est situé au 8 passage Brulon, 75012 Paris.
Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel Abonnement : pour toute information, question ou conseil, le service abonné de Mediapart
(Président), Sébastien Sassolas, Marie-Hélène Smiéjan, Thierry Wilhelm. Actionnaires peut être contacté par courriel à l’adresse : serviceabonnement@mediapart.fr. ou par courrier
directs et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, à l'adresse : Service abonnés Mediapart, 4, rue Saint Hilaire 86000 Poitiers. Vous pouvez
Marie-Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, également adresser vos courriers à Société Editrice de Mediapart, 8 passage Brulon, 75012
Société des Amis de Mediapart. Paris.

3/3

Vous aimerez peut-être aussi