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SESSION 2007

France métropolitaine - Antilles - Guyane - Réunion

BREVET DE TECHNICIEN SUPERIEUR AGRICOLE


ÉPREUVE N° 1
EXPRESSION FRANÇAISE ET CULTURE SOCIO-ÉCONOMIQUE

Options : Toutes
Coefficient : 5 - Durée : 4 heures
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Matériel(s) et document(s) autorisé(s) : Aucun


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Le sujet comporte 10 pages

Document principal :
Eric LE BOUCHER, « La vraie crise », Le Monde, 20 novembre 2005.

Documents annexes :

n° 1 : Dominique WOLTON, extrait, Penser la communication, Flammarion, 1997, p 302-305.

n° 2 : Edgar MORIN, extrait, Penser l’Europe, Gallimard, 1987.

n° 3 : Emmanuel TODD, extrait, L’Illusion économique, Folio actuel, 1999.

n° 4 : Alain MINC, extrait, « Si c’était à refaire, je commencerais par la culture »,


La Grande Illusion, Grasset, 1989.

n° 5 : Philippe d’IRIBARNE (dir.), extrait, « un destin multiculturel », Cultures et mondialisation,


gérer par-delà les frontières, Seuil, 1998.

n° 6 : Cahiers EN TEMPS REEL, n°11, octobre 2003.


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SUJET

Quatre points seront consacrés à l’évaluation de la présentation et à celle de la maîtrise des codes
(orthographe et syntaxe)

PREMIÈRE PARTIE (7 points)

Les trois questions ont trait au document principal.

Question 1 (2 points)

Le quatrième paragraphe du texte d’Eric Le Boucher s’ouvre sur la phrase suivante : « La constitution du
marché unique devait ouvrir grand les débouchés, favoriser les économies d’échelles, spécialiser les
entreprises et accélérer la croissance. »
Vous expliquerez cette phrase en mettant en évidence les liens entre constitution du marché unique et
accélération de la croissance et vous préciserez les théories économiques qui justifient cette phrase.
Vous répondrez en dix lignes environ.

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Question 2 (3 points)

Dégagez et reformulez les arguments utilisés par l’auteur pour affirmer que « L’Europe (…) se désintègre ».
Vous répondrez en huit lignes environ.

Question 3 (2 points)

Pour renforcer la vigueur de ses propos et affirmer son point de vue, l’auteur utilise différents procédés
d’écriture.
Vous en identifierez deux et illustrerez chacun d’eux par un exemple pris dans le texte.

DEUXIÈME PARTIE (9 points)

La diversité des cultures en Europe est grande (langues, modes de vie, comportements alimentaires,
formes d’organisations sociales, politiques et religieuses, etc.).
Vous rédigerez un article de trois pages environ pour le journal du lycée prenant position sur la question
suivante :
La diversité des cultures en Europe est-elle un obstacle à la construction européenne ?
Vous veillerez à vous appuyer dans votre développement sur des arguments culturels et socio-
économiques précis.

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DOCUMENT PRINCIPAL

La vraie crise de l'Europe


Au Danemark, il est interdit de rajouter des vitamines dans les céréales du petit déjeuner. Les experts
estiment que les petits enfants danois ont déjà des repas multivitaminés et qu'un excès est dangereux pour
leurs petits foies et leurs petits reins. Aux Pays-Bas, seules les vitamines D sont interdites, au motif d'une loi
qui remonte à 1935. En Finlande, toutes les vitamines sont autorisées parce que les médecins jugent qu'elles
sont bénéfiques pour les enfants d'un pays qui manque de soleil.
Kellogg's, le géant américain, se bat depuis huit ans avec les autorités sanitaires de ces pays européens si
proches pour qu'une réglementation commune soit enfin établie. Sans succès. C'est le Wall Street Journal qui
racontait, voilà deux semaines, l'anecdote, en rappelant que le grand marché unique européen est,
normalement, entré en vigueur le 1er janvier 1993. Un même produit doit, depuis, pouvoir se vendre partout.
Il n'en est rien. Le cas des céréales est fréquent. Barrières médicales ou sanitaires, normes d'exception,
protectionnisme, bureaucratie : le marché intérieur européen est loin d'être aussi « unifié » qu'on l'imagine,
douze ans après la signature de l'Acte unique sous la houlette du président Jacques Delors.
Beaucoup a été fait, la Commission estime que le PIB européen est supérieur de 1,8 % à ce qu'il aurait été
sans le marché unique. Deux millions et demi d'emplois ont été créés. Pourtant, l'intégration « toujours plus
poussée » des pays membres, selon le mot de Jean Monnet, n'est encore que très partielle. Pis, elle recule
plutôt ces dernières années sous la poussée des nationalismes revivifiés par le manque de croissance. C'est
toute la stratégie économique de l'Union qui est en question. La crise de sens, le vote non au projet de
Constitution du 29 mai, en voilà la racine mère.
La constitution du marché unique devait ouvrir grand les débouchés, favoriser les économies d'échelles,
spécialiser les entreprises et accélérer la croissance. La création de l'euro, en 1999, devait encore booster le
tout. Les chiffres sont meurtriers : entre 1999 et 2004, le commerce intra-européen a représenté 52,3 % du
commerce total des pays membres, entre 1990 et 1993, il représentait 54,9 %, selon la banque JP Morgan. La
part de l'Europe a baissé ! L'Europe ne s'intègre plus, elle se désintègre.
Et ce n'est pas tout. Elie Cohen, professeur d'économie à l'université Paris-Dauphine, a passé en revue
l'ensemble des dysfonctionnements de cette défaillante « intégration européenne ». Il en tire des conclusions
de destruction massive contre la politique actuelle.
Premier fragment de la bombe du professeur : l'intégration des marchés européens n'a pas été plus rapide
dans ces années récentes que l'intégration mondiale et elle a été inférieure à celle d'une autre zone régionale,
l'Accord de libre-échange nord-américain. On retrouverait la même lenteur européenne en la comparant à la
fulgurante intégration asiatique. En clair, le marché unique, les milliers de directives et tout l'arsenal
juridique, « c'était comme du cinéma », nous dit Cohen. Cela se serait fait aussi vite sans.
Continuons par les prix. Dans le beau plan de la construction communautaire, il était prévu un rapprochement
des prix de vente des produits dans les différents pays membres, puisque chaque consommateur peut acheter
où il veut. Cette « convergence » a été observée. Mais elle s'est stoppée vers 1994, puis les écarts se sont
recreusés depuis 2000, selon les calculs de la Commission.
Troisième fragmentation de la bombe : les résultats des fameuses et controversées politiques « libérales » de
dérégulation et de libéralisation. L'échec le plus important est celui de la directive Bolkestein sur l'ouverture
des services, très mal préparée dans un contexte chauffé à blanc par le référendum. La Commission a dû
reculer alors que l'ouverture des services est essentielle à l'intégration européenne.

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DOCUMENT PRINCIPAL (suite)

Télécommunications, énergie, transports, finance ont aussi fait l'objet de politiques communes. Favoriser la
concurrence imposait de faire sauter les monopoles nationaux. Ici, le bilan varie selon le secteur et le temps,
explique M. Cohen. Bruxelles a bien su coordonner la deuxième génération de téléphones mobiles (GSM)
mais a loupé la troisième (UMTS). Dans l'énergie, « les solutions inspirées des Etats-Unis et de la Grande-
Bretagne ont été importées avant d'avoir fait leurs preuves ». Faute d'avoir créé une autorité centrale qui
aurait conduit une politique globale, faute, en particulier, d'avoir imposé la construction de réseaux
d'interconnexion électrique entre les pays, la concurrence reste dans les faits mineure, donc inefficace.
Il en est de même dans les services financiers : Bruxelles, peu calé sur ces terrains très techniques, a confié à
des comités d'experts la définition des politiques et des normes (banques, assurances, marchés). Mais cette
autorégulation par les acteurs n'a pas mieux fonctionné dans la banque que l'absence de régulation centrale
dans l'électricité.
« Aujourd'hui, l'espace européen reste fragmenté, les idiosyncrasies* nationales puissantes et les préférences
collectives hétérogènes, conclut Elie Cohen. La France a résisté à la remise en question de son modèle de
services publics. Chacun fait jouer des mécanismes de contournement et retarde les échéances. Force est de
reconnaître qu'il n'y a toujours pas véritablement de droit européen, de fiscalité européenne, de brevet
européen, d'infrastructures européennes. L'Europe bute sur des obstacles insurmontables pour réaliser le
marché vraiment intégré qu'attendent les consommateurs et les entreprises. »
Quand ils analysent les causes de l'atonie de la croissance en Europe, les économistes citent souvent les
retards dans les « réformes structurelles ». Ils veulent signifier par là la flexibilité du marché du travail, le
financement des systèmes de protection sociale et les réformes de l'Etat devenu impotent. Mais ils citent aussi
toujours la réussite du grand marché. Car les deux sont liés, comme Olivier Blanchard, professeur à l'Institut
de technologie du Massachusetts (MIT), l'a expliqué : les réformes structurelles ont un effet récessionniste
sur l'activité, car elles suppriment des emplois et poussent les ménages à épargner, pas à consommer. Il faut
donc les compenser par un grand marché qui entraîne une baisse des prix des produits, c'est-à-dire une hausse
du revenu des ménages. Faute des avantages du grand marché, les réformes deviennent uniquement
douloureuses, et les politiques reculent. C'est ce qui se passe.

Eric Le Boucher, Le Monde, 20 novembre 2005

* idiosyncrasie : Disposition à réagir à l’action d’agents extérieurs

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DOCUMENT annexe n°1

L'auteur vient de constater que parallèlement à l'élargissement de l'Union Européenne et à la globalisation


des marchés, l'Europe est de plus en plus confrontée aux revendications identitaires des peuples qui la
constituent.

Toute la question est de savoir jusqu'où les facteurs culturels peuvent jouer dans le sens de
l'intégration, et à partir de quel moment ils risquent, au contraire, de devenir un facteur de blocage.
La phrase apocryphe (1) de J. Monnet selon laquelle « si c'était à refaire, il faudrait commencer par
la culture » est aussi fausse aujourd'hui qu'hier. Heureusement que les pères fondateurs ont
commencé par l'économie et les intérêts, et non pas par les valeurs et la culture ; l'Europe n'aurait
sûrement pas réussi à se faire aussi rapidement.
Cependant, il est impossible d'aller plus loin dans l'Europe politique sans réintégrer l'histoire et
ses différences culturelles, tout en sachant qu'elles risquent d'être des facteurs de division.
Véritable quadrature du cercle.
En fait, c'est probablement le rapport à la culture qui sera le point de bascule dans la
construction de l'Europe. Tout passe par elle, mais à une condition, et cela complique un peu le
problème : ne pas en faire un « objet » de politique, comme il y a par ailleurs la politique agricole,
industrielle, urbaine ... L'adhésion des peuples à l'Europe ne dépend pas d'une « politique
culturelle » ambitieuse, mais d'une plus grande prise en compte de ce facteur déterminant et
insaisissable qui mêle styles de vie, traditions, patrimoines, histoire, langues… Sans cette prise de
conscience de l'urgence à intégrer les hétérogénéités culturelles, il se passera pour l'Europe ce qui
se dessine déjà pour le Sud : l'émergence d'un irrédentisme (2) culturel et religieux violent en
réaction à l'insuffisante prise en considération du symbolique. Et dans ce schéma, la
communication, qui est en général facteur de progrès et de diffusion de la culture, peut au contraire
très bien devenir le véhicule de tous les irrédentismes. Les paraboles de satellites, on le voit bien
depuis quinze ans, et demain tous les Internet, véhiculent autant la modernité, l'ouverture ... qu'ils
peuvent relayer la haine de l'autre, de l'Occident. Autrement dit, si la place des phénomènes
culturels n'est pas reconnue pour ce qu'elle est, sans hiérarchie par rapport à un quelconque étalon
de la « modernisation », alors la communication, qui en est généralement son bras armé, peut tout
aussi bien devenir l'instrument d'un redoutable combat idéologique identitaire. La culture est
probablement une cause plus importante de la réussite de l'Europe politique que la monnaie
unique. Mais qui est prêt aujourd'hui à accepter cette évidence tant l'idée banale et fausse selon
laquelle la monnaie unique apportera la croissance, et donc l'unité politique, domine ? La difficulté
du facteur culturel est qu'il ne suffit pas d'en parler, et même de le mettre en avant, pour en être
quitte. II faut au contraire y penser sans cesse, sans le nommer, ou en faire un « objet » de
politique, comme la monnaie, l'industrie, la santé ... D'autant que les inégalités culturelles au sein
de l'Europe de l'Ouest, et entre celle-ci et l'Europe de l'Est, sont tout aussi prégnantes qu'entre le
Nord et le Sud. L'erreur consiste à vouloir partir de la culture pour faire l'Europe politique, sous
prétexte que les deux sont liées; la bonne idée est au contraire de poursuivre par l'économie et la
politique, en sachant que la culture deviendra sans doute de manière silencieuse, mais
déterminante, la cause du succès ou de l'échec du thème central de la gestion de l'altérité.
L'objectif ne consiste donc pas à mettre en avant la culture, mais à intégrer le poids des altérités
culturelles, comme condition de réussite du projet démocratique. Il consiste encore moins à
importer pour l'Europe le modèle du multiculturalisme existant aux États-Unis et qui aurait pour
nature - sous couvert de reconnaître la légitimité des diversités culturelles - de légitimer une sorte
de « différentialisme culturel ». Tout sépare en effet les rapports entre communauté-
différentialisme-universel aux États-Unis et en Europe.

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DOCUMENT annexe n°1 (suite)

Aux États-Unis, les immigrants étaient, en arrivant, sommés d'abandonner leurs cultures, leurs langues, leurs
idées. C'est à ce prix que se faisait l'intégration à la société américaine. Et la perte de leur identité culturelle
antérieure, prix de l'intégration, se retrouvait dans la reconnaissance et la légitimité des communautés
culturelles qui ont toujours gardé un grand poids outre-Atlantique. C'est dans ce rapport particulier
intégration-communauté, sur fond d'une grande violence politique supprimant l'identité, que s'est construite
la société américaine; sans finalement de référence à l'universel. Toute différente est la situation en Europe.
D'abord il ne s'agit jamais d'individus mais de peuples, de nations, qui décident librement de construire un
nouvel espace politique, sans rien renier de leur passé ni de leur tradition, en souhaitant au contraire les
intégrer dans une perspective plus large dont personne ne sait encore s'il s'agira d'une société, d'un État,
d'une confédération ... Ici ce n'est pas l'individu arraché à son cadre religieux, culturel et historique qui
prime, c'est au contraire l'adhésion volontaire de collectivités, sur fond de souvenir de deux guerres
mondiales.
En Europe, l'histoire ne se fait jamais par abandon et rupture des autres histoires, mais par intégration
successive. L'Europe ne jette aucune de ses cultures dans les « poubelles de l'histoire », elle doit les
« intégrer » toutes. Elle n'oublie pas l'histoire et la culture, elle les « accumule ». Et si demain on assiste à un
retour en arrière sous la forme d'une affirmation culturaliste, identitaire, religieuse, violente comme ce fut le
cas en Yougoslavie, ce sera la preuve de l'échec de cette accumulation des histoires. L'appui sur le modèle
américain de type communautaire n'est pas possible pour une autre raison fondamentale : l'absence en
Europe d'un État fort, garant de la puissance symbolique, comme aux États-Unis. C'est la citoyenneté
américaine et le dollar qui ont forgé l'identité américaine, ou plutôt qui ont permis de faire accepter le prix à
payer de l'abandon des identités antérieures. Rien de tel en Europe. Non seulement la forme politique n'a
aucun pouvoir de coercition, et en aurait-elle que cela se heurterait à la réaction de peuples qui ont mis des
siècles à être souverains et entendent le rester, mais en outre l'économie, à travers l'Euro, n'a pas pour un bon
moment, la force de séduction ... du dollar.

Dominique WOLTON, Penser la communication, Flammarion, 1997 p 302-305.

(1) apocryphe : qui n'est pas de l'


auteur auquel on l'
attribue.
(2) irrédentisme : revendication.

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DOCUMENT annexe n°2

Conscience de la diversité

Ainsi la nouvelle conscience européenne est de plus en plus


sensible à la diversité culturelle sans pareille de l'Europe ; elle
comprend que cette diversité constitue son patrimoine; elle conçoit
de mieux en mieux que la culture européenne est une polyculture.
Enfin, selon une prise de conscience en boucle, la conscience de la
richesse que constitue cette polyculture fait prendre conscience de la
menace, et la conscience de la menace fait .prendre conscience de
cette richesse polyculturelle.
La menace est-elle américaine ? Subissons-nous l'homogé-
néisation des mœurs et la standardisation culturelle que répandent
irrésistiblement sur l'Europe jeans, shit, westerns, serials, shows,
hamburgers, coca, pepsi, pampers, self-services, supermarchés ? En
fait l'américanisation est l'aspect le plus imagé et le plus ostensible
d'un processus issu de l'Europe même : celui du développement
capitaliste qui transforme tout ce qu'il touche en marchandise, celui
du développement industriel qui standardise tout ce qu'il intègre,
celui du développement techno-bureaucratique qui anonymise tout ce
dont il s'empare, celui de l'urbanisation à outrance qui désintègre les
anciennes communautés et atomise les existences dans la « foule
solitaire ». Ce processus qui a déjà corrompu et ruiné tant de cultures
dans le monde attaque maintenant nos cultures...

Edgar MORIN, Penser l’Europe, Gallimard, 1987

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DOCUMENT annexe n°3

La vie économique est elle-même fortement japonais et allemand, que les économistes voient et
modelée, régulée par [les ] systèmes décrivent sans pouvoir l'expliquer, n'est pas, pour
anthropologiques, dont chacun constitue un cadre l'anthropologue, un bien grand mystère.
invisible et inconscient dans lequel se meut l'homo L'observation des sociétés paysannes
œconomicus, rationnel et calculateur. préindustrielles permet de saisir, en action dans la
Tout observateur libre des préjugés sent que vie des familles, quelques valeurs fondamentales -
l'atmosphère n'est pas la même dans les pays liberté ou autorité, égalité ou inégalité, exogamie
anglo-saxons, dont la vie sociale est individualiste, ou endogamie - qui définissent le rapport de
et dans des pays comme l'Allemagne, le Japon ou l'individu au groupe et les relations entre individus
la Suède, où les comportements individuels dans le groupe. L' organisation familiale ancienne
s'insèrent dans de fortes contraintes collectives. a bien entendu été modifiée, peut-être même
Au-delà des abstractions de la science détruite par la modernité industrielle et urbaine.
économique, il existe bien plusieurs types de Mais l'hypothèse d'une rémanence de ces valeurs
sociétés capitalistes, dont les principes peuvent et de leurs fonctions de régulation dans les sociétés
être saisis par une analyse des fondements les plus développées est probablement l'une des
anthropologiques de chacune des nations. Partout, plus productives qui soient dans les sciences
un système de valeurs et de mœurs hérité des sociales actuelles.
temps fondateurs définit la forme concrète du Ainsi, on ne peut guère comprendre la violence
capitalisme. J'ai eu l'occasion, dans plusieurs spécifique des réactions de la société française au
livres, de saisir cette matrice anthropologique par processus d'inégalisation des revenus si l'on ne
une analyse des types familiaux des paysanneries sait pas qu'il existe, sur une bonne partie du
traditionnelles, et je montrerai ici la pertinence de territoire national, une valeur anthropologique
ce modèle pour la classification des capitalismes égalitaire indépendante de l'économie.
modernes. La parenté de structure des types

Emmanuel TODD, L’Illusion économique, Folio actuel, 1999

DOCUMENT annexe n°4

Si l'Europe s'était forgé une identité culturelle, comme le souhaitait Monnet au soir de sa vie, le
reste aurait peut-être suivi, l'économie au premier chef. L'inverse n'est en revanche pas vrai : la CEE
n'a jamais provoqué de mouvement culturel et 1992 n'a pas de ce point de vue la moindre signification
pour la culture. Au moment où l'Europe est écartelée entre plusieurs identités, stratégique,
économique, sociétale, ce n'est pas de ce côté-là qu'il faut chercher son épine dorsale. Cette absence se
fait sentir sur un large spectre : la culture traditionnelle évidemment, mais aussi l'enseignement, la
langue et, last but not least, l'audiovisuel. Sur aucun de ces fronts, l'Europe n'a trouvé la moindre
identité. Rien n'est jamais perdu mais l'Histoire, là non plus, ne repasse pas les plats : les positions se
figent, les granits se solidifient, les règles se fixent, les acteurs s'installent. C'est particulièrement vrai
de l'audiovisuel. Le terrain est aujourd'hui en pleine recomposition. Si l'Europe ne se glisse pas par le
chas de l'aiguille, elle aura encore plus de difficultés à le faire demain : à l'instar de l'éducation ...
Faute pour la culture de boucler le troisième cercle, quelle identité reste-t-il à l'Europe des douze pour
devenir un acteur de l'Histoire, entre un séisme stratégique qui bouscule ses fondements et le culte
d'un marché pur et parfait qui ne peut donner davantage que des progrès de productivité ?

Alain MINC, La Grande illusion, Grasset, 1989

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DOCUMENT annexe n°5

Une entreprise est marquée par de multiples Les entreprises offrent un laboratoire privilégié où,
traditions, ayant de multiples origines, dont la ayant observé et analysé la rencontre des cultures,
plupart échappent totalement, ou du moins on peut se rendre plus capable de l'organiser de
largement, à l'emprise des responsables. Les manière féconde. Elles ne sont pas pour autant les
cultures nationales, bien sûr, pèsent de tout leur seules, ni même les premières, à être concernées
poids, même là où les plus grands efforts sont par l'existence sur la surface du globe d'une
faits pour créer, au-delà des frontières, une
culture d'entreprise originale. Elles sont loin pluralité de cultures politiques. Nous le sommes de
d'être les seules ; elles ne font en effet que même quand nous cherchons à créer une forme
définir, à grands traits, des manières de vivre d'ordre mondial porteur de coopération pacifique
ensemble d'individus et de groupes qui, restant à entre les nations, à édifier des ensembles
maints égards très différents les uns des autres, supranationaux régis par des règles communes, ou
possèdent leur culture (on dit parfois leur sous- même à gouverner des pays où coexistent des
culture) singulière. Il existe, dans un pays donné, communautés qui n'héritent pas des mêmes
une infinité de traditions propres à des groupes traditions. Nous rencontrons alors la difficulté à
régionaux, ethniques, religieux, sociaux, gouverner des hommes que ne divisent pas
professionnels, de sexe, d'âge, etc. Et chaque seulement leurs intérêts et leurs valeurs, mais la
entreprise est riche d'un vaste ensemble de traits manière même dont ils conçoivent la façon de
culturels liés aux multiples origines des membres faire vivre ensemble ceux dont les intérêts et les
de son personnel.
Si les recettes « universelles » d'une bonne valeurs divergent. Loin de diminuer avec le
gestion, d'inspiration américaine, étaient la pure progrès des idées modernes, cette difficulté ne fait
et simple expression d'exigences d'efficacité que croître. Naguère les empires voyaient
régies par une rationalité strictement technique, coexister, parfois en bonne intelligence, des
ou encore de valeurs communes à l'humanité, communautés qui s'auto-administraient largement
les difficultés à les mettre en œuvre pourraient pour ce qui relève du quotidien de l'existence, en
être attribuées au poids des « conservatismes », étant chacune fidèle à ses propres conceptions,
des « préjugés ». On pourrait interpréter de issues de sa propre culture. Si elles étaient
même les difficultés de coopération lorsque les soumises, les unes comme les autres, à un pouvoir
cultures se rencontrent. Et les dirigeants qui n'émanait d'aucunes d'elles et avait ses propres
pourraient espérer qu'à la longue, à force principes, celui-ci les laissait largement vivre à
d'expliquer, d'éclairer, de témoigner de leur leur guise, du moment qu'elles payaient tribut et
attachement à des valeurs telles que le respect de n'entretenaient pas d'intelligence avec ses ennemis.
chacun ou la volonté de constituer une Quand, au sein d'États-nations étroitement
communauté unie dans un enthousiasme intégrés, la souveraineté du peuple fait référence, il
partagé, ils arriveraient à surmonter ces refus. n'est plus admissible d'être soumis à un pouvoir
Mais quand ceux-ci s'ancrent dans des étranger, d'être jugé suivant une loi qu'on ne
conceptions de la justice, de la dignité, de la ressent pas comme sa loi. Si la loi conçue par des
liberté qui sont loin d'être semblables de par le peuples éclairés n'était que l'incarnation de la pure
monde, c'est se bercer d'illusions que de croire raison, cette exigence démocratique serait un
qu'elles vont disparaître. Il n'est guère sensé de facteur d'unité de l'humanité. A partir du moment
faire comme si on se trouvait dans un monde en où elle est toujours, à quelques égards, une
état d'apesanteur culturelle où la fameuse phrase expression des préjugés d'une communauté, elle
de Pascal, « vérité en deçà des Pyrénées, erreur constitue au contraire un facteur de fragmentation.
au-delà », aurait cessé d'être valide. Les Il nous faut plus que jamais assumer le poids des
entreprises aimeraient sans doute pouvoir se cultures dans notre existence.
débarrasser à bon compte du souci d'avoir à
gérer la diversité des cultures. Faute d'avoir
quelque chance d'y arriver, elles ont un grand
intérêt à la gérer avec compétence.

Philippe d’IRIBARNE, Cultures et mondialisation, gérer par delà les frontières, Seuil, 1998

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DOCUMENT annexe n°6

Parts de marché des films en Europe en 2002

Films américains Films nationaux Autres


Royaume-Uni 83 % 15% 2%
Espagne 75% 14% 11%
Italie 63% 22% 15%
France 56% 34% 10%
Source : Observatoire Européen de l’Audiovisuel

Nombre et origine des films diffusés par les principales chaînes de télévision européennes (non cryptées)

Nombre Américains Nationaux Autres européens


Royaume Uni 15 364 80 % 22 % 5%
Espagne (2002) 13 802 73 % 10 % 10 %
Allemagne (2002) 12 261 52 % 24 % 14 %
Italie (2002) 4 584 47 % 28 % 21 %
France (2002) 1 406 28 % 42 % 16 %
Source : Observatoire Européen de l’Audiovisuel

Cahiers EN TEMPS REEL, n°11, octobre 2003

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