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L’ICÔNE

IMAGE PURIFICATRICE

L’icône envahit notre vie quotidienne. Elle triomphe dans tous les milieux
sociaux, dans la rue, sur le lieu de travail, et jusqu’au cœur du foyer par la presse
et le petit écran. À l’accoutumance et à l’usure qu’elle provoque, ses techniciens
répondent par des formes et des couleurs toujours plus subtiles et insistantes, trop
souvent sans grands égards pour la sensibilité du spectateur qu’il s’agit de happer.
De par sa force de suggestion, l’image peut être utilisée contre l’homme
sans qu’il s’en rende compte. Elle peut modeler sa pensée, enflammer ses
passions, façonner son comportement, en un mot le priver de liberté. Dans notre
société, l’image se substitue de plus en plus au texte. La réflexion tend à céder le
pas aux sensations et surtout au regard. Que l’on songe à l’appât visuel puissant
que représente la rue avec ses vitrines, ses étalages, ses lumières souvent mobiles
et clignotantes! Et que dire de la publicité envahissante axée sur le rendement? Il
faut bien admettre que dès le moment où le profit seul importe, les valeurs
humaines s’estompent, l’appel aux sens grandit. Hautement suggestive en raison
de sa force symbolique et de son impact sur la sensibilité, l’image s’insinue alors
dans les profondeurs de l’être, menaçant du même coup la vie intérieure.
Civilisation de l’image, la société post-industrielle traverse une crise
profonde liée à un matérialisme omniprésent. Notre liberté, au même titre que
celle de l’artiste, nous autorise à transformer le monde à notre image. Si notre
vision est pure, nous spiritualisons tout. Dans le cas contraire, nous restons
prisonniers du poids de la matière, de l’espace et du temps.
Toute la vie spirituelle postule donc un choix entre les deux pôles que sont
la corporisation de l’âme ou la spiritualisation du corps dans la direction indiquée
par l’icône.
Ne faut-il pas admettre que l’exclusivisme rationaliste, scientifique et
mécanique actuel se paie par une atrophie dangereuse des facultés globales dont
les dissociations de la peinture moderne offrent de trop nombreux exemples? La
vision d’un monde transformé en gigantesque poubelle que nous livrent certains
artistes contemporains reflète bien les miasmes de leur inconscient.
“Les âmes se désintègrent, et aussi les visages”, écrit le grand écrivain russe
Nicolas Gogol, qui souligne combien tout artiste est investi d’une mission qu’il
ne saurait ignorer:
L’art nous réconcilie avec la vie. L’art, c’est l’introduction de l’ordre et de
l’harmonie dans l’âme, et non du trouble et du désordre… Si l’artiste n’accomplit
pas le miracle de transformer l’âme du spectateur en amour et pardon, son art
n’est qu’une passion passagère. (Lettre au poète Joukovski)
L’homme est progressivement modelé par ce qu’il contemple.
Lieu de rencontre de la lumière extérieure et intérieure, les yeux représentent la
partie la plus transparente et la plus vivante du corps. Que cette lumière s’éteigne
et c’est la mort.
La lampe du corps, c’est ton œil. Lorsque ton œil est sain, ton corps entier
est aussi lumineux; mais dès qu’il est malade, ton corps aussi est ténébreux. (Luc
11, 34)
Ce verset de l’Évangile selon saint Luc nous ramène à l’icône. Elle est une
purification et un apprentissage qui développe le regard intérieur. Les Pères déjà
[…] reconnaissent dans la vue le premier des sens et dans l’image un moyen de
sanctification de l’âme. Or, l’icône est précisément l’image d’un monde non pas
désincarné dans ce sens qu’il refuserait la création, mais trans-formé, trans-figuré,
rendu transparent par une spiritualisation qui englobe tout le cosmos.
L’icône du Christ, sa face achéiropoiète, se trouve à la base de toutes les
autres représentations du visage humain. Ce visage de Dieu fait homme sacralise
tous les autres visages. Devient, par conséquent, iconoclaste quiconque se refuse
à percevoir un reflet de l’image divine chez l’être humain. C’est Caïn toujours
renaissant.
Il nous paraît justifié d’ajouter ici que la vision essentielle d’un artiste
peintre chrétien ne réside pas dans des formes abstraites, mais bien dans une
redécouverte du visage comme le postule l’Incarnation du Christ, vrai Dieu et
vrai Homme.
En tant que représentation de la Réalité transcendante, l’icône emplit notre
vision d’un univers de beauté. La méditation y trouve un support de premier
ordre. Elle fixe l’esprit sur l’image qui le renvoie et le concentre sur la Réalité
symbolisée.
N’est-ce pas la rencontre du prophète Élie avec Dieu dont parle le Premier
Livre des Rois? “Et devant l’Éternel il y eut un vent fort et violent…: l’Éternel
n’était pas dans le vent. Et après le vent, ce fut un tremblement de terre: l’Éternel
n’était pas dans le tremblement de terre. Et après le tremblement de terre, un feu:
l’Éternel n’était pas dans le feu. Et après le feu, un murmure doux et léger” (1 R
19, 12-13) annonçant la présence de l’Éternel.

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