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Actu ❘ REGARDS CROISÉS

Covid-19 :
la solidarité s’impose
face à la crise
La filière des produits de la mer a été sévèrement mise à mal par la crise du Covid-19.
Et l’interdépendance entre maillons de la filière a été plus que jamais ressentie :
si l’un flanche, les autres aussi. Les échanges se sont intensifiés depuis la mi-mars pour
soutenir le marché. Une communication et une solidarité à maintenir dans la durée.

Confinement et crustacés à la poissonnerie


La cabane du pêcheur à Plouha (Côtes-d'Armor).

Première secousse début mars  : la fermeture des marchés à Avec parfois des couacs, comme de la lotte bradée en criée,
l’export, vers l’Italie et l’Espagne. Puis, c’est le choc de l’ar- 70 % tandis que des opérateurs en importent d’Écosse. «  Du pois-
rêt, coup sur coup, des restaurants le dimanche 15 mars et des du volume son étranger rentre en France chaque jour à des prix dérisoires
écoles le lendemain, faisant perdre quasiment tout le marché « normal » débarqué pour être vendu dans les grandes surfaces alors que les bateaux
de la restauration commerciale et collective. Une perte encore la semaine 19 français restent à quai. C’est inadmissible ! », s’insurge Olivier
aggravée par le confinement débuté le 17 mars, mettant près (4 au 10 mai) selon Le  Nézet, président de Breizhmer et du comité des pêches de
d’un salarié du privé sur deux en chômage partiel. Alors que FranceAgriMer Bretagne. D’autant qu’en parallèle, les appels aux consomma-
la pêche débarque enfin de beaux volumes après deux mois (en France teurs pour soutenir la filière se multiplient, avec en première ligne
chahutés par les tempêtes, cette chute brutale des débouchés métropolitaine, la grande distribution, devenue le cœur de l’approvisionnement
fait plonger les prix en criée. Les mécanismes de compensation comparé aux des Français confinés. Les poissonneries souffrent de la raréfac-
des organisations de producteurs tiennent à peine une semaine moyennes tion des places de marché. Pour orienter le consommateur vers les
avant d’abandonner les prix planchers. La plupart des bateaux 2018-2019). points de vente, des sites se mettent en place, comme Allolamer
se mettent à l’arrêt, des criées ferment leurs portes : Dunkerque, et la carte Pavillon France (lire page 17), et Mr. Goodfish lance
Roscoff, Royan, Port-La Nouvelle. Quelques mareyeurs aussi. une campagne de promotion. Les maillons se serrent aussi les
Après ce choc des premiers jours, les trois quarts des côtiers Sur trois semaines, coudes pour obtenir des aides. « Les mareyeurs et poissonniers
reprennent peu à peu la mer. Mais à part quelques-uns par- l’activité s’est ont évité que la pêche s’arrête », défend ainsi le Comité national
tant sur des marées courtes, les hauturiers restent à quai, faute stabilisée à des pêches pour soutenir les demandes d’aides de l’aval.
de marché. «  Nos onze navires sont à l’arrêt, témoignait fin 64 % Confrontée aux soucis d’approvisionnement, la chaîne de l’ali-
avril Soazig Palmer-Le Gall, qui dirige l’Armement Bigouden. mentation tient et réussit à nourrir la nation tout au long de cette
d’une activité
Si on les envoie en mer, le marché va s’écrouler. Il faut qu’au- crise sanitaire exceptionnelle. Beaucoup de témoignages insistent
normale.
cun maillon ne flanche.  » En pêche lointaine, au thon tropi- sur l’importance de l’humain dans ce succès. Il sera intéressant
cal, la relève des équipages, compliquée, attendra mai. La filière d’observer comment cela se traduira dans les relations sociales et
s’adapte  : criées ouvertes en pointillé, mareyeurs en activité négociations salariales. Nombre d’employés continuent ainsi de se
réduite, gestes barrière, distanciation physique, masques tant rendre au travail la « peur au ventre », même si, univers agroali-
attendus. Fin avril, France Filière Pêche en fournit 300 000 aux mentaire oblige, les règles d’hygiène font déjà partie du quotidien.
pêcheurs, mareyeurs, criées, transformateurs et poissonniers Il faut néanmoins faire face à de profondes réorganisations,
détaillants. Surtout, les acteurs de la filière se coordonnent de remédier aux absences, organiser la distanciation physique, jouer
mieux en mieux pour atteindre un fragile équilibre entre offre avec les flux irréguliers de la logistique, faire face aux probléma-
et demande. tiques de conditionnement… La fabrication d’emballages connaît

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Actu ❘ REGARDS CROISÉS

Aides aux entreprises


Aides génériques en France
◗ Dispositif de chômage partiel simplifié et renforcé
◗  Délais de paiement d’échéances sociales et/ou fiscales
(report de prélèvements Ursaff, etc. Au 15 mai  :
2 milliards mobilisés)
◗ Prêts garantis par l’État (PGE) jusqu’à trois mois de
chiffre d’affaires (300  milliards d’euros disponibles.
Au 15 mai : 43 milliards mobilisés)
◗ Remises d’impôts directes (examen individualisé)
◗ Médiation pour rééchelonner les crédits bancaires
◗ Appui au traitement des litiges clients-fournisseurs
◗ Marchés publics : pas de pénalité de retard
◗ Aide jusqu’à 5  000 euros aux très petites entreprises,
via le Fonds de solidarité État-régions (7 milliards
programmés, plus de 3 milliards mobilisés au 15 mai)
◗ Plan d’urgence à 4 milliards pour les start-up
◗ Plan de soutien aux entreprises exportatrices
Démarches : Direccte, chambres de commerce et d’industrie
et de l’artisanat, BPI France, ministère de l’Économie…

Plan de relance européen


Thierry Nectoux
Financé par de l’émission de dette, dans le cadre financier
pluriannuel 2021-2027, avec du soutien à l’investissement
public (hausse des fonds structurels) et privé (renforcement
du programme InvestEU).

Aides spécifiques
une surchauffe, avec 30 % de commandes en plus, selon l’associa- Pêche. Arrêts temporaires indemnisés. Prise en compte
tion Elipso. Les capacités de production destinées aux collectivités +108 % de 30 % du chiffre d’affaires, arrêts de 15 jours minimum,
sont réorientées vers les produits consommés à domicile. La pro- du 12 mars au 31 mai. Financement État-Europe à 25/75,
La progression
pris sur le Feamp (enveloppe de 300  millions d’euros).
duction d’emballages métalliques frôle la rupture et celle du carton du poisson au Aide au stockage par les organisations de producteurs.
est impactée par le grippage de la chaîne de recyclage. rayon surgelé en
Conchyliculture. Feamp  : élargissement de la mesure
Les hausses de prix des matières premières, des transports, de la mars. Les clients 55, qui indemnise les suspensions de récolte en cas de
maintenance ou de l’équipement de protection des salariés, aug- ont fait du stock ! contamination des coquillages. Elle compensera une part
mentent les coûts de production en moyenne de 9 %, constate L’ensemble des pertes du 1er février au 31 décembre.
l’Association nationale des industries alimentaires (Ania). « Plus de des rayons Aquaculture. Le Comité interprofessionnel de
70 % des entreprises affichent une baisse de chiffre d’affaires, traditionnels l’aquaculture (Cipa) en attente de réponse sur une aide
supérieure à 50 % dans 22 % des cas. » Les TPE-PME sont les liée aux assurances pour pertes d’exploitation.
devaient être
plus impactées. Criées. Soutien public sollicité en commun avec l’Union
rouverts pour
Pas de pénurie dramatique en grande distribution, mais les for- des Ports français.
fin mai.
tunes sont diverses selon les rayons. L’Iri observe 25 % de chiffre Mareyage. Report de prélèvements sur les achats en criée
d’affaires en moins au rayon marée sur les cinq semaines du 16 mars Charte aux adhérents d’associations d’acheteurs, grâce à des prêts
au 26 avril. Au bénéfice de l’épicerie salée, qui compte les conserves octroyés par la BPI. En attente  : plan de recapitalisation
Les distributeurs (estimé à 30  millions d’euros), exonérations de charges,
de produits de la mer à + 23 %, et des poissons surgelés, à + 72 %.
discutent aide liée aux assurances pour pertes d’exploitation.
Findus et Thai Union (Petit Navire) appartiennent d’ailleurs au club
d’une série Transformation. Mesures européennes pour
des grands groupes enregistrant les plus fortes progressions.
d’engagements l’agroalimentaire  : aide au stockage privé (retrait
La crise accélère aussi les nouveaux modes de consommation, temporaire des produits du marché durant 2 à 6 mois)  ;
envers la filière,
avec 2,4 millions de nouveaux clients online, mais 3,1 millions de flexibilité pour les programmes de soutien du marché  ;
impliquant une
moins en hypers pour la grande distribution. Nielsen note la forte dérogation temporaire aux règles de concurrence (6 mois).
croissance du e-commerce, du drive, des magasins de proximité et promotion et une
Poissonneries. L’Organisme des poissonniers-écaillers
des marques distributeurs. Des tendances qui s’ancreront à l’avenir ? bonne visibilité
de France (Opef) en attente de réponse sur une aide liée
Demain, producteurs et distributeurs devront répondre aux désirs de des produits de aux assurances pour pertes d’exploitation.
qualité, de relocalisation des consommateurs, mais aussi faire face à la mer français, Restauration. Prolongation des mesures génériques,
la baisse inévitable de pouvoir d’achat. Quels seront les arbitrages ? et des prévisions exonérations de charge, annulations de loyers et projet de
d’achats sur fonds d’investissement dédié. Extension aux fournisseurs ?
Dominique GUILLOT et Solène LE ROUX 19 espèces.

PRODUITS DE LA MER N°201 JUIN-JUILLET 2020 ❘  11 ❘


Actu ❘ REGARDS CROISÉS

Xavier Leduc Christophe Hamel


Président du conseil de surveillance d’Euronor et président Directeur des criées de Cornouaille,
de l’Union des armateurs à la pêche de France (UAPF)* des directeurs et responsables de

“ Nous sommes fiers


de nos marins.“

*avec Bruno Leduc, directeur d’exploitation d’Euronor.


DR

T.N.
Quel a été l’impact du Covid-19 sur proches. C’est assez angoissant d’envoyer Les criées ont-elles beaucoup souffert
l’activité d’Euronor ? des personnes en mer dans ce contexte. de cet épisode ?
Xavier Leduc : On a sans doute été l’armement On a fait de notre mieux, avec bon sens, en Évidemment. Les criées côtières pures vont
qui a mis le plus de produits sur le marché tenant compte des sensibilités. Nous sommes s’en sortir. Concarneau réalise presque un
français durant la crise. La commercialisation fiers de nos marins. Nos clients nous ont tonnage normal. Mais pour les hauturières,
reste correcte, mais des espèces exportées soutenus alors que ce n’était pas gagné au Le  Guilvinec, Roscoff, Erquy… le chiffre
vers l’Espagne et l’Italie ont perdu 75 à 80 % début. Cette belle réactivité de la filière nous d’affaires est à -60  %, -70  % depuis le
de leurs marchés : merlu, lotte, raie. La grande a donné de l’énergie. Et l’administration a été début de la crise. Certaines ont fermé, puis
distribution a favorisé le filet en libre-service : très réactive. rouvert. Aujourd’hui (NDLR, le 15 mai), toutes
merlan, lieu noir, lingue… les criées sont actives, mais avec moins
Avez-vous fait appel aux arrêts de ventes, par exemple deux ou trois par
Bruno Leduc. : L’exploitation de nos trois
temporaires, au chômage partiel ? semaine à Cherbourg au lieu d’une vente
navires de pêche fraîche s’est poursuivie,
en débarquant à Hanstholm (Danemark) et B.L. : Le moins possible, pour des marins et quotidienne. En Cornouaille, nous sommes
en Écosse, avec rapatriement à Boulogne. quelques employés à terre, pour s’adapter en moyenne à 50  % d’activité. Nous avons
Heureusement, des mareyeurs se sont aux changements d’organisation. mis en place du chômage partiel et demandé
accrochés pour maintenir les achats, ce qui a X.L.  : À Boulogne, beaucoup de navires ont des aides spécifiques. Et nous espérons que
évité de jeter du poisson. Et ils ont pu écouler vite repris, faute de visibilité sur les aides. Le les aides du Feamp prévues pour nos projets
notre marchandise à prix correct, en tout cas le gouvernement voulait que ce ne soit pas trop seront maintenues, malgré les besoins pour
lieu noir, vendu plutôt en grande distribution. incitatif pour qu’on approvisionne le marché. les arrêts temporaires et le Brexit.
Pour le divers, on a plus souffert. Même L’UAPF a participé aux discussions sur les
Y a-t-il eu beaucoup de contournements
chose pour le lieu noir surgelé de nos deux arrêts temporaires. La période est trop des criées par les vendeurs ?
chalutiers congélateurs, à cause de l’arrêt de limitée, il n’y aura pas de retour à la normale
la restauration collective. Les commandes tant que les marchés de la restauration et de Finalement, non. Nous en avons beaucoup
se sont arrêtées partout en Europe. Tous les l’export seront bouchés. Et l’indemnisation parlé au début, le passage obligatoire en criée
frigos sont pleins  : Danemark, Allemagne, de 30  % du chiffre d’affaires ne couvre pas était alors évoqué comme la seule solution, au
îles Féroé, Écosse, France… Globalement, les frais fixes de certains bateaux. Ça coûte moins sur certaines espèces. Et on n’en parle
pour la flottille européenne, c’est compliqué peu à l’État, qui n’abonde qu’à 25  %  en plus ! Les navires qui nous avaient contournés
de trouver de la place pour débarquer. Les complément du Feamp. Nous regrettons sont en fait très vite revenus en criée. Mais
prix risquent de chuter. Le plus dur est aussi que les thoniers ne soient pas inclus. nous réfléchissons toujours à cette question en
devant nous, ce n’est pas comme le frais où la Mais ce dispositif a le mérite d’exister et la parallèle, avec le bureau Via Aqua.
sanction est immédiate. France a été pionnière.
Les prix se tiennent-ils ?
Quelles mesures ont été prises à bord Y a-t-il eu des avancées pour mieux À la côtière, les chalutiers à langoustines
des navires ? accorder offre et demande ? s’en sortent bien, mais les grosses tailles
B.L. : On a été proactifs, avec une commande X.L. : Elles ne peuvent pas être équilibrées ne se vendent pas, faute de restauration.
de masques le plus vite possible, pour juste avec un système de prévisions. On ne Les courtes marées de trois à quatre jours
compléter le stock qu’il restait du H1N1. On a peut pas pêcher ce que les gens veulent, il ont permis aux artisans d’obtenir des prix
aussi utilisé des visières, et mis en place une faut vendre ce qu’on a pêché. Et la pêche intéressants, aussi parce qu’ils ne sont pas
procédure, avec prise de température. Puis française souffre de son organisation mal nombreux. Des hauturiers à Loctudy s’en
il y a eu les recommandations officielles, très structurée et plutôt à fibre artisanale. sortent sur des marées normales, car ils sont

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Actu ❘ REGARDS CROISÉS

Peter Samson
président de l’Association
Secrétaire général de l’Union du mareyage français (UMF)
halles à marée (Adrham)

“ Connaître le stock flottant


est indispensable.“
“ L’impact a été
violent pour
le mareyage.“

T.N.
seuls à la vente. Les armements hésitent à Dans quelle mesure la crise du Covid-19 comme en restauration, à des exonérations de
envoyer les bateaux en mer. En Bretagne a touché le mareyage ? charges. Et, en commun avec les poissonniers
nord et en Cornouaille, beaucoup sont encore L’impact a été violent début mars à cause et les aquaculteurs, à des aides au titre des
à quai. L’Espagne, l’Italie, n’ont pas rouvert, de la fermeture brutale de débouchés, assurances sur les pertes d’exploitation.
ni la restauration, il y a de quoi être inquiet. sans anticipation possible. Le marché a été
L’Armement Bigouden et La Houle reprennent Les liens avec les autres maillons ont-ils
engorgé, les prix ont chuté, puis jusqu’à 85 % changé ?
progressivement à partir de mi-mai, ajoutant de la flotte a stoppé… Le chiffre d’affaires de
deux bateaux par semaine. Là, la demande nos adhérents a chuté de 80  % de début à Oui, clairement. La communication a été
est un peu plus forte que l’offre, mais il ne fin mars. Le mareyage a quand même tenu largement renforcée aux niveaux national et
faut pas augmenter trop l’offre d’un coup. Il bon, au prix de sa rentabilité, et a contribué régional. Avec des échanges riches au sein
faut informer sur le marché pour permettre à la solidarité au sein de la filière. Mais des du groupe FranceAgriMer quotidiens, puis
la reprise progressive des hauturiers, c’est entreprises trop dépendantes de l’export ou trois fois par semaine. Mais l’organisation du
un ajustement quasi quotidien. À mon avis, fin de la restauration – spécialistes des crustacés, marché se fait plus via des groupes régionaux.
mai, la reprise sera totale. du haut de gamme – ou ne pouvant soutenir Les discussions à France Filière Pêche
la chute de rentabilité ont été contraintes (FFP) ont aussi nourri les engagements des
À quel niveau se fait cet équilibrage ?
de fermer temporairement. Au plus bas, au distributeurs, dont dépend le marché à près
Nous avons des réunions quasi quotidiennes 31 mars, on comptait la moitié des acheteurs de 100  %. Au-delà des annonces, certaines
via FranceAgriMer. Avec le déconfinement, en criée. Depuis avril, le marché s’est stabilisé, enseignes ont payé nos adhérents à la
les maillons se sont encore plus rapprochés. en restant très fragile. Les mareyeurs ouverts semaine plutôt qu’à 30 jours, et ont suspendu
Nous disposons désormais d’une demande sont  désormais à 50  % d’activité et mi-mai, les pénalités logistiques. Sur les volumes,
globalisée à la semaine des GMS, surtout presque tous étaient de retour en criée. c’est compliqué de trouver l’équilibre entre
utile pour les mareyeurs. Et depuis une l’import, pointé du doigt un jour, et une
semaine Prevapport permet de saisir des Quelles aides ont été actionnées, ou pénurie d’apports nationaux le lendemain.
prévisions d’achats, mais c’est encore peu sont attendues ?
Les prévisions d’apports ont-elles aidé ?
utilisé. Nous évoquons les prévisions d’activité Très vite, les associations d’acheteurs (Acapp,
surtout à l’échelon régional. En Bretagne, les Abapp et Boulogne) se sont mobilisées et ont Chacun y a mis du sien  : prévisionnels
organisations de producteurs nous indiquent obtenu des prêts garantis auprès de la BPI, d’activité des organisations de producteurs,
le stock flottant grâce aux logbooks (livres pour 15 millions d’euros. Ils ont permis un suivi quotidien des criées... J’espère que ça
de bord). C’est indispensable. On sait une report des prélèvements pour les achats en restera. Des développements concrets sur
semaine avant les débarques qui se profilent, criée. Et donc le maintien du paiement des Prevapport doivent rendre l’outil plus fiable.
et on affine via Prevapport la veille des ventes. bateaux à deux jours, malgré les difficultés. Et pourquoi pas exhaustif, en ouvrant des
Les halles à marée complètent et diffusent au Nos adhérents ont aussi actionné le chômage flux d’informations existants  ? Il y a aussi
mieux ces prévisions pour éclairer le marché. partiel, le report des prélèvements et les une volonté claire de tous de renforcer le
Chacun a plein d’informations, il faut mieux prêts garantis par l’État. Seules 2 % des rôle des criées dans la première vente.
les exploiter, fluidifier. En tout cas, cette crise entreprises n’y ont pas eu accès. Mais ce Un maillon parfois contourné, et essentiel
a bien remis les halles à marée au centre du ne sont que des reports  ! Pour éviter de à la transparence. Nous défendons
réacteur, avec tous les autres acteurs, et a nombreux dépôts de bilan, nous demandons l’enregistrement en criée obligatoire, voire
permis des échanges directs, francs, de vraies un plan de recapitalisation. L’administration la vente sur certaines espèces. Ces axes de
avancées. J’espère que nous maintiendrons y semble favorable, peut-être via un plan progrès figuraient dans le plan de filière et on
cette cohésion. de relance global  ? Nous appelons aussi, en voit bien la nécessité en temps de crise.

PRODUITS DE LA MER N°201 JUIN-JUILLET 2020 ❘  13 ❘


Actu ❘ REGARDS CROISÉS

Alexandre Bonneaux Jean Mauviel


Secrétaire général du Syndicat national du commerce Directeur général
extérieur des produits congelés et surgelés (SNCE) de la Maison Chancerelle

“ Chacun doit
bien payer son
fournisseur !  “

Le surgelé a-t-il mieux résisté à la Les mesures d’aides prises par Comment le secteur de la conserve de
crise sanitaire que d’autres segments de le gouvernement ont-elles été à la produits de la mer traverse-t-il cette crise
la filière des produits de la mer ? hauteur ? sanitaire ?
Cela dépend de la typologie-client de nos Le point fondamental sera la reprise de la La semaine qui a suivi le discours
adhérents. Ceux qui travaillent plus avec la restauration. En attendant, de nombreuses d’Emmanuel Macron, tenu le lundi  16 mars,
RHD souffrent beaucoup, avec notamment entreprises ont sollicité les diverses mesures : veille du confinement, a été la plus difficile. Il
une restauration collective réduite au chômage partiel, prêts garantis par l’État… a oublié la pêche, l’agriculture et l’industrie
minimum (hôpitaux…) et une restauration Mais la situation des restaurants ne doit pas en considérant quasiment que tous les
commerciale à l’arrêt. L’activité GMS, perdurer. Nous suivons le dossier de près postes étaient «  télétravaillables  »  ! Or, il
particulièrement au début du confinement, avec l’Association nationale des industries nous fallu organiser la continuité de cette
a, elle, connu une augmentation de volumes, alimentaires (Ania) et nous manquons de industrie alimentaire, décrite ensuite comme
qui décroît néanmoins au fil des semaines. visibilité. Beaucoup espèrent une reprise la seconde ligne.
à partir de juin, tout en appréhendant Après, nous assurons deux activités. La
Les opérateurs ont-ils été confrontés à les réactions des consommateurs et en première est la fabrication et la constitution
des problèmes spécifiques ? n’imaginant pas un marché véritablement d’un stock, d’environ six mois de vente.
Ils ont eu des craintes sur l’approvisionne- retrouvé avant début 2021. La deuxième, son expédition vers les
ment, la capacité à produire des fournis- Nous travaillons aussi à ce que les plateformes de la GMS. D’emblée, les ventes
seurs étrangers confrontés eux aussi à la entreprises les plus directement connectées se sont envolées, avec +40  %, sardine et
pandémie, la fermeture des frontières et avec le marché de la restauration, et qui en maquereau en tête. Et le rythme n’a pas faibli
l’administratif, en lien avec l’enlèvement de sont vraiment dépendantes, bénéficient des durant l’intégralité du confinement.
la marchandise. Mais l’administration a joué aides spécifiques – en termes d’exonérations Sur la production elle-même, nous avons
le jeu et a favorisé la fluidité en acceptant, de charges fiscales et sociales –, qui seront eu la chance de ne pas se trouver dans une
dans un premier temps, de se passer des établies pour ce secteur. période de forte activité, au cœur d’une
documents originaux pour libérer la mar- saison de pêche. Nous étions plutôt sur
chandise. Nous avons aussi eu peur d’être Cette crise pourrait-elle aboutir à de de la fabrication de produits élaborés, ou
nouvelles relations entre les différents à partir de poisson congelé. Néanmoins,
débordés en matière de capacité de stoc-
acteurs de la filière ? l’absentéisme est passé de 10 % à 20 %, et le
kage dans les entrepôts, les produits à desti-
nation de la restauration étant immobilisés et Dans un premier temps, il est important respect des nouvelles règles sanitaires et des
d’autres continuant à arriver. Mais cela s’est de rappeler que chacun doit bien payer nouveaux protocoles (gestes barrière, flux
bien passé. son fournisseur  ! Ce sont les défauts de de personnels, aménagements de postes…),
paiements qui enrayent la chaîne. C’est nous ont amenés à réduire notre productivité
Y a-t-il eu permutation des marchés ? essentiel pour que tout le monde survive. de 30 %.
En termes de consommation, il y a Ensuite, les interrogations portent sur les Hors de la matière première « poisson »,
néanmoins au final et globalement, une relations avec la GMS. Elle reste sur sa ligne avez-vous rencontré des difficultés en
baisse de volumes. Les marchés perdus de ne pas augmenter les prix, alors que le termes d’approvisionnement ?
sur la RHD n’ont pas été intégralement coût des produits, lui, a augmenté. Entre le Sur les ingrédients, nous n’avons pas eu de
compensés par la GMS. Heureusement, de transport (avec une augmentation imposée souci. En revanche, nous allons connaître des
nombreux adhérents sont des fournisseurs et rétroactive, avant un retournement qui n’a tensions sur les boîtes vides dans les semaines
des deux secteurs. Un choix de précaution pas empêché une hausse) et le stockage, les à venir, car les fournisseurs ont eux aussi
qui se révèle judicieux. surcoûts sont nets. épuisés leurs stocks. Nous sommes en boîtes

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Actu ❘ REGARDS CROISÉS

Gaëtan de Lamberterie
Directeur de marché marée chez Carrefour,
Vice-président de France Filière Pêche

“ L’enjeu est
la reconstitution
des stocks. “ “ Il faut maintenir
le dialogue. “

illustrées, et pas étiquetées. Il y aura donc, Comment la crise sanitaire a-t-elle été Au début, face à l’arrêt de la pêche, nous
sans doute, des ruptures sur certaines de nos traversée par la GMS et le rayon marée en étions en manque de matière et nous avons
références. Par ailleurs, pendant le confinement, particulier ? concentré nos efforts pour aider à reprendre
les filières de recyclage des matériaux se La période de stockage du préconfinement, la mer. Il a s’agi d’assurer des débouchés en
sont arrêtées, ce qui posera un problème, en qui a vu une accélération forte des ventes, a, volumes et en prix à des armateurs et des
particulier sur le carton, que nous utilisons au contraire des produits secs et de la viande, mareyeurs. Nous avons réalisé des ventes de
beaucoup. assez peu concerné le rayon marée. Puis le gré à gré avec des partenaires fidèles, en
Considérez-vous désormais être arrivé confinement a abouti à un arrêt extrêmement s’accordant d’une semaine à l’autre  : nous
au bout de cette crise ? brutal des ventes en poissons, coquillages et étions en confiance sur nos apports et les
Aujourd’hui, à la date du 20 mai et après une crustacés, mais aussi des segments importants pêcheurs assurés de la rentabilité de leur
semaine d’arrêt pour maintenance juste après comme les produits élaborés et les sushis. Les marée. Nous avons ainsi travaillé avec l’Apak
le confinement, nous devrions pouvoir repartir trois premières semaines ont été très difficiles. mais aussi avec les mareyeurs d’Océalliance
presque au même niveau que l’année dernière. Le poisson a commencé à repartir de façon notamment.
Maintenant, tout réside dans la capacité de la significative à Pâques. Une reprise confirmée En aval, nous avons donné de la visibilité à
filière pêche à nous livrer de bons volumes de entre les semaines 17 et 19. une quinzaine d’espèces, spécifiques de la
poissons pendant la campagne. Nous sommes Il semble que le Libre-service se soit pêche française. Nous avons fait de belles
dépendants des apports en sardine, maquereau bien tenu ? performances en maquereau, sardine, merlan
et thon, pour reconstituer nos stocks d’ici fin mais aussi sur le chinchard, le rouget, la dorade
La partie LS a en effet progressé tout au long du
novembre. Il faut que la campagne soit bonne grise…
confinement. Les clients ont été plus en confiance
en matière première. Cela a permis d’augmenter les volumes
que vis-à-vis du rayon traditionnel, bien que nous
Les consommateurs ont largement ayons multiplié les actions pour les rassurer, en prévisionnels chaque semaine et une remontée
plébiscité  la conserve. Le secteur est-il mettant en avant tous nos protocoles d’hygiène. des cours qui avaient totalement chuté. La
le « gagnant » de la crise ? flotte a repris confiance en la capacité du
Le LS a aussi un côté pratique pour des clients
Depuis le début du déconfinement, nous marché à absorber des volumes. Aujourd’hui,
souhaitant réduire le temps passé en magasin.
sommes revenus à ce que l’on peut appeler nous ne manquons plus de matière et les
Nos directives nationales visaient néanmoins
des ventes « normales, plutôt bonnes ». Nous prix autorisent des marées rentables. Mais
à maintenir le rayon marée ouvert, malgré les
sommes sur des contrats annuels et l’impact il reste encore une partie de la flotte à quai.
soucis d’effectifs. Cela constituait un service
sur les prix a été nul. Mais la conserve est Pour accompagner son retour, nous allons
indispensable à la filière, puisque les produits
apparue comme une valeur refuge, ce qui continuer à orienter massivement nos achats
de la pêche française sont essentiellement
est très positif. Cette consommation marque auprès de la filière française.
vendus au rayon traditionnel et que le marché
un bon point pour l’avenir. Ce produit a
de la restauration était fermé. Le LS est assez Cette crise a-t-elle modifié les relations
beaucoup d’atouts. Il est riche en apports
fortement tiré par le saumon et le cabillaud, dans la filière ?
nutritionnels, facile à consommer, apporte
importés donc, mais nous avons aussi insisté sur Un dialogue assez intense s’est instauré entre
beaucoup de services et de sécurité. Après,
l’emballage sur place afin d’élargir l’assortiment les différents maillons de la filière, pêcheurs,
nous serons peut-être «  gagnants  » si nous
avec des produits issus de nos côtes, filets et mareyeurs et distributeurs. Nous avons réussi
arrivons à reconstituer nos stocks. Nous ne
poissons entiers. à relancer le marché, même si la situation
sommes pas à l’abri d’éventuelles pertes de
ventes d’ici la fin de l’année, si nous n’arrivons De quelle façon Carrefour s’est engagé reste difficile. Il faut maintenir ce dialogue,
pas à élaborer à temps l’ensemble de nos pour assurer de meilleures ventes dans les d’autant que nous allons avoir à faire face à
références. criées françaises ? une nouvelle étape avec le Brexit.

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