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1. Voir, par exemple, Catherine Kerbrat-Orecchioni, « L'ironie comme trope », Poétique, 41,
février 1980, p. 108-127; il Ya aussi les numéros spéciaux sur l'ironie de Poétique (36, novembre
1978) et Linguistique et Sémiologie (2, 1976). Pour une perspective plus globale et diachronique,
comprenant le contexte littéraire mais sans discussion détaillée ou analyse particulière, voir les livres
de D. Muecke, The Compass of lrony ; (London, Methuen, 1969) et de Wayne Booth, The Rhetoric
of Irony (Chicago and London, University of Chicago Press, 1974).
2. Par exemple, en plus de Booth et Muecke (n. 1, supra), voir dans le numéro spécial de
Poétique, Beda Allemann, " De l'ironie en tant que principe littéraire », p. 390 et Guido Almansi,
« L'affaire mystérieuse de l'abominable "tongue-in-cheek" », p. 415.
3. Pour une tentative de localisation textuelle de l'ironie par des méthodes différentes, voir
Sharon Adams et Linda Hutcheon, « The Structure of Evaluative Verbal lrony in James Joyce's
"The Boarding House" ", à paraître.
4. Murray Morton, « A Paradise of Parodies », Satire Newsletter, IX, p. 35, et Margaret Rose,
ParodyllMeta-fiction, London, Croom Helm, 1979, p. 27.
Ironie, satire, parodie 141
On n'a commencé à insister que récemment sur le fait que l'ironie verbale
comporte plus qu'une spécificité sémantique, qu'effectivement sa valeur
pragmatique est également importante, et donc qu'elle devrait être incorporée
comme ingrédient autonome dans la définition de l'ironie, et même dans les
analyses textuelles du trope. L'insistance à ce propos de Catherine Kerbrat-
Orecchioni'ê est particulièrement significative étant donné ses travaux précé-
dents, lesquels ont contribué à la valorisation traditionnelle" de la théorie
sémantique de l'ironie comme antiphrase, comme opposition entre ce que l'on
dit et ce que l'on veut faire entendre, voire comme marque de contraste. Freud
aussi attribue la position clef dans la compréhension de l'ironie, et même du
comique en général, à la signalisation d'une différence ou d'une opposition
entre l'effet attendu et l'effet produit. Ce faisant, d'ailleurs, il a relégué l'ironie
à une sous-espèce du comique". Cependant même l'autorisation de Freud ne
nous permet pas de limiter le fonctionnement ironique à une relation
sémantique d'antonymie entre les sens littéral et dérivé: il existe ùne autre
fonction de l'ironie laquelle opère au niveau pragmatique, mais qui le plus
souvent se trouve négligée, comme si celle-ci était vraiment trop évidente pour
mériter quelque considération. Nous verrons en fin de parcours que c'est
précisément dans cette absence de différenciations précises entre les fonctions
sémantique et pragmatique que s'inscrit la confusion taxonomique entre la
parodie et la satire.
La fonction pragmatique de l'ironie consiste en une signalisation d'évalua-
tion, presque toujours péjorative'". La raillerie ironique se présente générale-
ment sous forme d'expressions élogieuses qui impliquent au contraire un
jugement négatif. Sur le plan sémantique, une forme laudative manifeste sert à
dissimuler une censure moqueuse, un blâme latent. Ces fonctions - d'inversion
sémantique et d'évaluation pragmatique - sont toutes deux implicites dans le
mot grec, eirôneia, qui évoque en même temps la dissimulation et l'interroga-
tion, donc un décalage entre significations mais aussi un jugement. L'ironie est à
la fois structure antiphrasique et stratégie évaluative impliquant une attitude de
l'auteur-encodeur à l'égard du texte lui-même. Attitude qui permet et demande
11. Sur cette distance, voir le Groupe Mu, Rhétorique générale, Paris, Larousse, 1970, p. 150.
12. «L'ironie comme trope ", op. cit., p. 110 et 118-122.
13. «Problèmes de l'ironie », Linguistique et Sémiologie, 2, 1976, p. 19. Voir aussi Wayne Booth,
op. cit, p. 10, et D. Muecke, op. cit, p. 15, pour une exposition plus traditionnelle de cette fonction
sémantique.
14. «Tokes and their Relation to the Unconscious », dans The Standard Edition of the Complete
Psychological Works of Sigmund Freud, London, Hogarth Press and the Institute of Psycho-
Analysis, 1953-1974, t. VIII, p. 73 et 173. Freud pense, pourtant, que les besoins d'intentionnalité et
de reconnaissance du récepteur enlèvent à l'ironie le rapport particulier à l'inconscient qu'il accorde
aux mots d'esprit. (Ci-après, toute référence à cette édition des œuvres de Freud sera marquée par
SE.)
15. Sur l'asymétrie ou l'unidirectionnalité de l'ironie, voir Dan Sperber et Dierdre Wilson,« Les
ironies comme mentions », Poétique, 36, novembre 1978, p. 410, et le Groupe Mu, op. cù., p. 139.
Kerbrat-Orecchioni (<< L'ironie comme trope », op. cit.) caractérise ainsi la valeur illocutoire de
l'ironie: « ironiser, c'est toujours d'une certaine manière railler, disqualifier, tourner en dérision, se
moquer de quelqu'un ou de quelque chose . (p. 119).
Ironie" satire, parodie 143
au lecteur-décodeur d'interpréter et d'évaluer le texte qu'il est en train de lire. Il
se peut que l'ironie soit une de ces « promenades inférentielles » d'Umberto
Eco, une de ces actions interprétatives du lecteur, qui est provoquée et même
prévue par la stratégie textuelle", Avant de poursuivre l'interrogation de ce
double fonctionnement de l'ironie (contrastiflévaluatif), il convient d'examiner
de plus près l'intégration de l'ironie verbale en tant que trope dans les discours
parodique et satirique. Il est nécessaire pour cela de préciser la spécificité
structurale et textuelle des deux genres.
16. The Raie of the Reader : Explorations in the Semiotics of Texts, Bloomington and London,
Indiana University Press, 1979, p. 32.
17. Le canon s'instaure notamment avec la déclaration de Julia Kristeva dans Semeiotikê :
recherches pour une sëmanalyse, Paris, Ed. du Seuil, 1969, p. 255. Voir aussi Laurent Jenny, « La
stratégie de la forme », Poétique, 27, 1976,p. 258. Pour un emploi évocateur récent d'une variation
du triangle sémiotique de Pierce (en termes de texte, intertexte et interprétant) par rapport à
l'intertextualité, voir Michael Riffaterre, «Sémiotique intertextuelle: l'interprétant », dans
Rhétoriques, Sémiotiques, numéro spécial de la Revue d'esthétique, Paris, UGE, 10/18, 1979,
p. 132·138.
18. Ames, Iowa, Iowa State University Press, 1967, p. 188; c'est moi qui souligne.
19. Dans The Anatomy of Criticism (1957, reprint New York, Atheneum, 1970), p. 233-234 et
321·322, Northrop Frye aussi fait supposer que la parodie porte sur la forme tandis que la satire est
sociale.
144. Linda Hutcheon
Pour revenir aux rapports entre les deux genres et le trope, il ne faut pas
oublier le double fonctionnement ironique du contraste sémantique et de
l'évaluation pragmatique. Sur le plan sémantique, l'ironie se définit comme
marque de différence de signification, à savoir comme antiphrase. Comme tel,
elle se réalise de façon paradoxale, par une superposition structurale de
contextes sémantiques (ce que l'on dit/ce que l'on veut faire entendre) : il y a
donc un signifiant et deux signifiés. Si nous mettons cette structure en parallèle
avec celle de la parodie, nous nous voyons obligés de constater que l'ironie
opère au niveau microscopique (sémantique) de la même manière que la
parodie opère au niveau macroscopique (textuel). La parodie représente elle
aussi une marque de différence au moyen d'une superposition de contextes. Le
trope aussi bien que le genre rallient la différence à la synthèse, l'altérité à
l'incorporatiorr'", Cette similitude structurale explique l'usage privilégié (au
point de passer pour naturel) de l'ironie comme trope rhétorique dans le
discours parodique. Là où l'ironie exclut l'univocalité sémantique, la parodie
exclut l'unitextualité structurale.
Bien que la critique littéraire ne néglige pas la fonction pragmatique de
l'ironie, les difficultés de localisation de l'évaluation ironique dans le texte fait
que cette fonction, dans sa contextualisation littéraire, n'a pas été prise au
sérieux. Les théoriciensê! reconnaissent que le degré d'effet ironique dans un
texte est inversement proportionnel au nombre de signaux manifestes
nécessaires pour réaliser cet effet. Néanmoins, il faut que ces signaux existent et
qu'ils existent à l'intérieur même du texte pour renvoyer le lecteur à l'intention
évaluative encodée par l'auteur. Si l'ironie est toujours aux dépens de quelqu'un
ou de quelque chose, c'est de ce fonctionnement pragmatique (et non pas
sémantique) que découle l'adéquation de l'usage que fait le discours satirique de
l'ironie moqueuse, dépréciative.
Autrement dit, c'est dans les deux fonctions complémentaires mais diverses
que se situe le noyau de la confusion terminologique entre la parodie et la satire.
L'utilisation de l'ironie par les deux genres (bien que pour des raisons d'affinités
différentes) facilite la confusion d'un genre avec l'autre; de là le fait que le trope
se voit investi d'une importance décisive par rapport aux distinctions entre ces
deux genres littéraires. Les théories du trope qui se fondent uniquement sur la
spécificité sémantique antiphrastique de l'ironie ne sont pas très utiles pour
l'analyse de textes plus longs que lé mot ou le syntagme. Or, il nous reste
l'orientation pragmatique dont l'intérêt se centre précisément sur l'utilisation du
réseau de communication qu'établit l'ironie.
II
ETHOS IRONIQUE
...............
: :
Bien que ce modèle puisse donner l'impression d'être aussi statique que le
modèle jakobsonien, il doit être envisagé non pas comme représentant trois
cercles entrelacés à partir de centres fixes, mais à partir de centres mobiles.
Ainsi les proportions de l'inclusion commune varieraient selon le texte
considéré. Il faudrait donc commencer par une description de chacun des trois
éthos à un état soi-disant « pur » ou isolé avant de scruter leurs entrelacements
22. Dans la Rhétorique générale, p. 147, l'éthos se définit comme « un état affectifsuscité chez le
récepteur par un message particulier et dont la qualité spécifique varie en fonction d'un certain
nombre de paramètres. Parmi ceux-ci, une grande place doit être ménagée au destinataire
lui-même. La valeur attachée à un texte n'est pas une pure entéléchie, mais une réponse du lecteur
ou de l'auditeur. En d'autres termes, ce dernier ne se contente pas de recevoir un donné esthétique
intangible, mais réagit à certains stimuli. Et cette réponse est une appréciation. »
146 Linda Hutcheon
plus compliqués mais plus usuels dans des contextes littéraires. La simplicité
excessive de la Figure 1 se révélera bientôt illusoire; la figure se transmuera en
une (con)figuration de corrélations dynamiques.
Comme l'ironie, la satire possède un éthos marqué, mais qui est codé encore
plus négativement. C'est un éthos plutôt méprisant, dédaigneux qui se
manifeste dans la colère présumée de l'auteur communiquée au lecteur à force
d'invectives. Cependant la satire se distingue de l'invective pure par le fait de
son intention de corriger les vices qui sont présumés avoir suscité cet
emportement. Cette notion de dérision ridiculisante à des fins réformatrices est
indispensable à la définition du genre satirique. Lorsqu'il s'agira d'examiner
l'entrelacement du cercle de la satire a celui de l'ironie, nous verrons que ces
deux éthos s'unissent avec la plus grande efficacité précisément à l'extrémité de
la gamme ironique où se produit le rire amer du méprisé".
23. C'est la désignation du Groupe Mu dans « Ironique et iconique >>Poétique, novembre 1978,
p.42.
24. Voir l'assertion d'Henri Morier dans son Dictionnaire de poétique et de rhétorique,
1re édition, Paris, PUF, 1961, p. 217 : « Le ton de l'ironie est tantôt faussement enjoué, tantôt
'sifflant, emporté, cassant. C'est que l'ironie est commandée par un sentiment de colère, mêlé de
mépris et du désir de blesser afin de se venger. Ainsi l'ironie appartient à la satire. »
25. SE, t. VIII, p. 68, 189 et 233.
Ironie,' satire, parodie 147
mécanisme qui signale la littérarité de l'œuvre, d'où ses liens avec ce que l'on
appelle l'ironie romantique dans la littérature allemande du XIXe siècle.
Il est de la plus haute importance de se souvenir que ce type de parodie
révérencielle, de même que le type péjoratif, vise toujours à indiquer une
différence entre deux textes, même là où la « cible» est déplacée. Nous avons
vu que cet acte de séparation, de décalage, s'instaure paradoxalement au moyen
d'une superposition ou d'une incorporation textuelle. On pourrait soutenir que
le pastiche opère de façon analogue, du moins au niveau structural bien qu'il
soit question dans ce cas-là d'un interstyle plutôt que d'un intertexte26 • Mais ce
qui le distingue de la parodie, c'est le fait que dans le pastiche c'est plutôt la
similitude que la différence qui est signalée. Cette même absence de
distanciation différentielle se trouve aussi à l'intérieur d'autres modalités
intertextuelles telles que l'allusion simple, la citation, et l'adaptation. Quoique
l'éthos parodique marqué comme respectueux ressemble plus à un hommage
qu'à une attaque, il y a toujours cette distance critique et cette marque de
différenciation qui existent aussi dans l'éthos marqué comme péjoratif.
C'est pourquoi on devrait distinguer comme étant non marqué l'éthos
parodique : non marqué (comme dans la linguistique) parce que valorisable de
manières diverses. En conformité avec le sens « contre» ou « face à » de para,
on pourrait poser en principe un éthos parodique contestataire, voire
provocateur, lequel serait entièrement en accord avec le concept traditionnel du
genre. Par ailleurs, à partir du sens « à côté de » de para, on pourrait avancer la
possibilité d'un éthos respectueux, surtout en ce qui concerne non seulement la
parodie dans la métafiction postmoderne, mais aussi la parodie liturgique du
Moyen Age, l'imitation comme genre à l'époque de la Renaissance, et peut-être
même le carnavalesque bakhtinierr". On pourrait mentionner ici, à titre
d'exemple, la présence textuelle d'Arioste dans The Faerie Queene de Spenser
laquelle constitue à la fois un hommage au maître et une incorporation qui vise à
le supplanter. Etablir ces deux façons de marquer l'éthos parodique ne sert qu'à
restituer la différenciation pragmatique propre à la rhétorique ancienne où,
pour ne citer qu'un cas, on allait jusqu'à distinguer entre le sarcasme et
l' astysmos.
Il y a un autre moyen de marquer l'éthos parodique: on parle de la parodie
avec un éthos plutôt neutre ou ludique, à savoir au degré zéro d'agressivité, que
ce soit contre le texte enchâssé ou le texte enchâssant. Michael Riffaterre
constate que la syllepse/" est le mécanisme principal de toute production
textuelle; le rapport jeu/trope qu'il suggère pourrait signifier que l'ironie est une
forme sylleptique. Ainsi la moquerie la plus légère dont est capable l'ironie
s'entrelace à l'éthos parodique, lequel serait marqué de façon ludique.
Selon une certaine perspective, peu importe que la parodie soit marquée
pragmatiquement d'une façon ou de l'autre, pourvu que l'on se souvienne
qu'elle n'est jamais structurellement un mode parasitaire. La parodie reste une
forme paradoxale de contraste synthétisant, incorporant; il s'agit même d'une
26. Comme l'a remarqué Daniel Bilous dans un article à paraitre sur la poétique du pastiche.
27. Sur la parodie liturgique, voir a.M. Freidenberg, « The Origin of Parody », dans Henryk
Baran, Ed., Semiotics and Structuralism : Readings from the Soviet Union, White Plains, New York,
International Arts and Sciences Press, 1974, 1975, 1976, p. 282 s. Bakhtine valorise la parodie
carnavalesque qui à son avis renouvelle la forme et l'idéologie, mais il le fait aux dépens de ce qu'il
considère comme purement négatif et formel dans la structure de la parodie dite moderne. Voir
L'Œuvre de François Rabelais et la Culture populaireau Moyen Age et sous la Renaissance, Paris,
Gallimard, 1970, p. 19-20, trad. par Andrée Robe!.
28. Dans« Syllepsis >> communication à la« Modern Language Association of America », San
Francisco, décembre 1979.
148' Linda Hutcheon
L'état pour ainsi dire « pur» dans lequel on a tenté de décrire chacun des
trois éthos du schéma se présente rarement dans des textes littéraires. Il y a
presque toujours interférence d'un cercle avec les deux autres: d'où les
entrelacements (et les déplacements constants) des cercles. Cependant, il faudra
de suite effectuer une première modification du modèle afin de laisser plus de
place à l'ironie. Cela, sans oublier l'existence, à l'intérieur de l'éthos moqueur
ironique, d'une gamme qui va du rire dédaigneux au petit sourire caché: selon
l'expression du Larousse, « l'esprit français s'entend à manier l'ironie tantôt avec
une énergie mordante, tantôt avec une grâce légère », Là où l'ironie coïncide
avec la satire, l'extrême de la gamme ironique (où se produit le rire dédaigneux)
s'entrelace à l'éthos méprisant de la satire (laquelle conserve toujours son but
correctif). Par exemple, dans le cas des Dubliners de Joyce, l'auteur s'attaque
férocement aux valeurs et aux mœurs irlandaises, mais sans jamais ressentir le
besoin d'articuler directement sa critique. A partir d'une ironie mordante,
l'intention évaluative (donc satirique) se communique au lecteur sans que Joyce
n'ait à la prêcher, ni même à l'énoncer.
A l'autre extrémité de la gamme ironique se trouve le petit sourire de
reconnaissance du lecteur qui se rend compte du jeu parodique - c'est-à-dire
critique en même temps que ludique - d'un auteur tel que Stanislaw Lem : A
Perfect Vacuum 29 contient une série de parodies de conventions littéraires
modernes sous la forme de comptes rendus borgésiens de romans qui n'existent
pas. L'un d'eux présente un certain roman (fictif) publié aux Editions du Midi,
ayant pour titre Rien du tout, ou la Conséquence et pour sujet le manque, le
non-être, la dénégation de tout, c'est-à-dire effectivement « rien du tout »,
Là où s'entrelacent la parodie et la satire, et où habituellement se fait valoir
aussi l'ironie, on aboutit à une reconnaissance de l'intention « dégonflante » de
l'auteur par rapport aux plans littéraire et social. Dans le cas de l'éthos
parodique respectueux, l'entrelacement des cercles peut signifier une dette,
voire une déférence envers le texte parodié et ses valeurs, la « cible» étant au
premier plan au lieu d'être à l'arrière-plan de l'œuvre. Si l'éthos se donne
comme contestataire, le chevauchement de la parodie sur la satire mène plutôt à
un défi ou à une provocation cynique.
Ce cas particulier de l'entrelacement peut suivre deux directions possibles en
raison du fait que la « cible» visée par la parodie est toujours un autre texte ou
une série de conventions littéraires, tandis que le but de la satire est social ou
moral, donc extratextuel. D'un côté, il y a (selon la terminologie de Genette)
un « type» du « genre» parodie qui est satirique mais qui vise toujours une
« cible» intertextuelle; de l'autre, la satire parodique (un « type» du « genre»
satire) laquelle vise un objet hors du texte mais utilise la parodie en tant que
dispositif structurel pour réaliser son but correctif.
Il nous reste à commenter le moment où les trois cercles s'entrelacent
entièrement et en viennent à se superposer parfaitement l'un sur l'autre. C'est le
moment où les deux genres littéraires s'allient et usent pleinement du trope
ironique. Il s'agit potentiellement du point maximal de subversion et donc d'un
29. Traduit par Michael Kandel, 1971; N.Y. et London, Harcourt, Brace and Jovanovich, 1978,
1979.
îronie; satire, parodie 149
moment de surdétermination pragmatique. C'est à ce point que se fait sentir le
surcodage excessif de Don Quichotte, de Tristram Shandy, ou de «A Modest
Proposal » ainsi que des œuvres de Lautréamont.
De cette investigation des états isolés et des entrelacements complexes des
trois éthos, il s'ensuit que le schéma simple de la Figure 1 se transforme en une
configuration plus compliquée, telle que représentée en Figure II :
Figure JI
ETHOS
MOQUEUR
(marqué)
(LUDIQUE)
III
38. Freud, SE, t. VIII, p. 68, 97, 189,200-201 et 233; Ernst Kris, « Ego Development and the
Comic », dans son Psychoanalytic Explorations in Art, 1952, reprint N.Y., Schocken, 1964, p. 216
en particulier.
Ironie, satire, parodie 153
pragmatique d'évaluation de l'ironie moqueuse. En ce qui concerne la parodie,
la question d'agressivité est problématique ou du moins ambiguë, étant donné
les possibilités d'un éthos neutre ou même déférent.
IV
Mc Master University