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COMPLEXES D’ESPÈCES

Destiné aux étudiants de Mastère de Biodiversité & Dynamique des


Ecosystèmes

Faculté des Sciences de Sfax

2014-2015

Mohamed Elyes KCHOUK


Sommaire
COMPLEXES D’ESPÈCES.......................................................................................................I
A. INTRODUCTION.................................................................................................................1
B. GÉNÉTIQUE DES POPULATIONS.........................................................................................2
1. DÉFINITIONS :........................................................................................................................2
2. QU’EST-CE QU’UNE POPULATION ?............................................................................................3
C. ORGANISATION DES COMPLEXES D’ESPECES.....................................................................4
1. INTRODUCTION......................................................................................................................4
2. COMPLEXES D'ESPÈCES : COMPARTIMENTS ET CONTRÔLE DES FLUX DE GÈNES ENTRE COMPARTIMENTS. . .4
3. REMARQUES SUR DIVERS ASPECTS DE LA SPÉCIATION, FRAGMENTATIONS PROGRESSIVES (PAR DISTANCES)
.........................................................................................................................................................25
D. ORGANISATION GÉOGRAPHIQUES DES COMPLEXES D'ESPÈCES ET QUELQUES
CONSÉQUENCES.................................................................................................29
1. DOMESTICATION DES PLANTES ET AGRICULTURES.......................................................................29
2. LES CENTRES D'ORIGINE........................................................................................................32
3. LE COUPLAGE DES FORMES SAUVAGES ET DES FORMES CULTIVÉES..................................................37
4. CONSERVATION - RESERVES....................................................................................................38

Tableaux
TABLEAU 1. LISTE DES PRINCIPAUX CARACTÈRES DISTINGUANT LE MAÏS ET LE TÉOSINTE....8
TABLEAU 2. ESPÈCES DU GENRE TRITICUM ET LEURS FORMULES GÉNOMIQUES (D’APRÈS
MORRIS ET SEARS, 1967)....................................................................................12
TABLEAU 3. CARACTÈRES DU SYNDROME DE DOMESTICATION (D’APRÈS HARLAN, 1992)..31
TABLEAU 4. PÉRIODES DE DOMESTICATION ET PREMIÈRES EXPANSION DE L’AGRICULTURE
...........................................................................................................................32

Figures
FIGURE 1. ARCHITECTURES DU TÉOSINTE ET DU MAÏS (D’APRÈS ILTIS, 1983)........................6
FIGURE 2. ARCHITECTURE DES ÉPIS DE TÉOSINTE ET DE MAÏS (INFLORESCENCES FEMELLES)
D’APRÈS ILTIS (1983)............................................................................................7
FIGURE 3. DIAGRAMME DES 10 CHROMOSOMES MAÏS-TÉOSINTE MONTRANT LA
DISTRIBUTION DES MMLS UTILISÉS PAR DOEBLEY ET AL. (1990) ET LEURS
ASSOCIATIONS AVEC LES CARACTÈES MORPHOLOGIQUES DES 2 ESPÈCES...........9
FIGURE 4. SCHÉMATISATION DES POOLS GÉNÉTIQUES PRIMAIRES (GP-I), SECONDAIRES (GP-
2) ET TERTIAIRES (GP-3) DÉFINIS PAR HARLAN (1971)........................................10
FIGURE 5. ORIGINE PROBABLE DE TRITICUM TURGIDUM ET DE T. AESTIVUM.....................11
FIGURE 6. LES POOLS GÉNÉTIQUES DU BLÉ..........................................................................13
FIGURE 7. SORGHUM BICOLOR (2N=20). SORGHO CÉRÉALIERS AFRICAINS.........................14
FIGURE 8. SORGHUM HALEPENSE (4N=40). SORGHO FOURRAGERS MÉDITERRANÉENS......14
FIGURE 9. SORGHUM ALMUM (4N=40) AMÉRIQUE.............................................................14
FIGURE 10. COMPLEXE DES SORGHOS : SÉPARATION GÉOGRAPHIQUE ET HYBRIDATION...15
FIGURE 11. EVOLUTION DE LA FLEUR DANS LA SECTION DES ALATAE (NICOTIANA)............16
FIGURE 12. NICOTIANA LANGSDORFII.................................................................................16
FIGURE 13. FLEURS DE NICOTIANA LANGSDORFII................................................................16
FIGURE 14. ECHANGES DIRECTS, N. BONARIENSIS FOURNISSEUR DE POLLEN, ET INDIRECTS,
N. LANGSDORFFII FOURNISSEUR DE POLLEN, ENTRE PLANTES DU COMPLEXE
GÉNIQUE DES « ALATAE »..................................................................................17
FIGURE 15. PENNISETUM VIOLACEUM (ADVENTICES).........................................................19
FIGURE 16. PENNISETUM TYPHOIDEUM (AMERICANUM) (MIL À CHANDELLES),.................19
FIGURE 17. ORYZA BREVILIGULATA (SYN. O. BARTHII ; DIPLOÏDE, AUTOGAME, FORME
SPONTANÉE, ADVENTICE)..................................................................................21
FIGURE 18. ORYZA GLABERRIMA (DIPLOÏDE, AUTOGAME, FORME CULTIVÉE)....................21
FIGURE 19. PANICUM MAXIMUM.......................................................................................22
SCHÉMA I.2 : EXEMPLE D'ÉCHANGES GÉNIQUES ENTRE DEUX COMPARTIMENTS DIPLOÏDE
ET TÉTRAPLOÏDE.................................................................................................23
SCHÉMA I.3 : EXEMPLE DE CONTRÔLES HIÉRARCHISÉS........................................................24
SCHÉMA I.4 : EXEMPLE DE DEUX CONTRÔLES NON HIÉRARCHISÉS AVEC QUATRE SOUS-
COMPARTIMENTS REGROUPABLES EN DEUX PARTITIONS DIFFÉRENTES...........24
SCHÉMA I.5 : EVOLUTION D'UN COMPLEXE CONSTRUIT SUR DEUX COMPARTIMENTS
(DIPLOÏDE ET TÉTRAPLOÏDE)..............................................................................26
FIGURE 20. LOCALISATION DES CENTRES MAJEURS DE DOMESTICATION DES CULTURES ET
QUELQUES UNES DES CULTURES DOMESTIQUÉES DANS CHACUN (SOURCE :
GEPTS, 2001)......................................................................................................32
A: CENTRES D'ORIGINE SELON VAVILOV..............................................................................34
B. MÉGACENTRES DES PLANTES CULTIVÉES SELON ZHUKOVSKY.........................................34
C: CENTRES ET NON CENTRES D'ORIGINE SELON HARLAN...................................................34

iii
FIGURE 21. CENTRES D'ORIGINE..........................................................................................34
FIGURE 22. LE GONDWANA : LES MASSES DE TERRE MODERNES ÉTAIENT CRÉÉES À PARTIR
DE L’ÉCLATEMENT DE L’ANCIEN SUPERCONTINENT DU GONDWANALAND, IL Y A
130 MILLIONS D’ANNÉES....................................................................................36

iv
A. Introduction

Définition de Jean Pernès (1984)1 : La Diversité Biologique peut être définie comme étant la
variation présente chez toutes les espèces de plantes et d’animaux, dans leur matériel génétique et dans
les écosystèmes où ils se trouvent.

Définition de la Convention sur la Diversité Biologique CBD (1992) 2 (Article 2. Emploi


des Termes) : Diversité biologique : Variabilité des organismes vivants de toute origine y compris,
entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes
écologiques dont ils font partie; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi
que celle des écosystèmes.

Définition de la « Biodiversité » (Wikipedia 7/10/2014)3: Labiodiversité,néologisme


composé à partir des motsbio(du grec βίος / bios, « vie ») et diversité, est la diversité naturelle des
organismes vivants. Elle s'apprécie en considérant la diversité des écosystèmes, des espèces, et
des gènes dans l'espace et dans le temps, ainsi que les interactions au sein de ces niveaux
d'organisation et entre eux.

Est-ce que la diversité des organismes a une base génétique ?

Si oui, quel est le lien « génétique » entre les différents organismes ?

La diversité peut intervenir à 3 niveaux : La diversité génétique (variation dans les gènes et
les génotypes) ; La diversité spécifique (richesse spécifique) ; et la diversité des écosystèmes
(communautés d’espèces et leur environnement).

La Biodiversité est importante :L'importance de la biodiversité pour l'humanité a été bien


reconnue au cours des dernières décennies et beaucoup pensent que la diversité est essentielle pour
permettre le développement durable des diverses activités humaines. La diversité biologique peut
permettre aux systèmes sociaux et économiques de se développer de manière à permettre aux plus
pauvres de subvenir à leurs besoins alimentaires et nutritionnels et conserver la diversité culturelle des
pays à travers le monde.

Nécessité de coopération internationale :Les ressources biologiques de chaque pays sont


importantes, mais tous les pays ne sont pas aussi dotés les uns que les autres, et la coopération entre
les pays est nécessaire pour la conservation et l'utilisation efficace de notre biodiversité mondiale.

Vision holistique/globale de la Biodiversité  :Au cours des dernières années, il y a une prise
de conscience croissante de l'importance d'adopter une vision holistique de la biodiversité, y compris
la biodiversité agricole, et de relier la conservation à l'utilisation et au développement durable.

Les ressources phytogénétiques sont parmi les plus essentielles des ressources naturelles de
la planète et au cours des 2-3 dernières décennies, d'importants progrès ont été réalisés dans leur
conservation (Frankel et Bennet, 1970; Frankel Hawkes, 1975; Holden et Williams, 1984; Plucknett et
al, 1987; Watanabe et al, 1998; Ramanatha Rao et al, 1999).

1
Jean Pernès (1984) « Gestion des Ressources Génétiques des Plantes. Tome 2: Manuel. ».
2
http://www.cbd.int/convention/articles/default.shtml?a=cbd-02
3
http://fr.wikipedia.org/wiki/Biodiversit%C3%A9

1
Conservation des Ressources Génétiques  :Cependant, la conservation des ressources
génétiques des plantes mérite beaucoup plus d'attention qu'elle n'en reçoit actuellement. Au cours des
dernières années, il y a eu quelques développements positifs, comme l'augmentation des efforts pour
développer des méthodes améliorées de conservation in situ, ce qui permettrait la conservation
dynamique des populations végétales. Cela revêt une importance particulière pour le maintien
effectif des parents sauvages des espèces cultivées.

Il y a une reconnaissance du fait que, en fait, les méthodes de conservation in situ et in situsont
complémentaires et la méthode choisie devrait dépendre de l'espèce concernée, et des facteurs tels que
sa distribution et son écologie, ainsi que de la disponibilité des ressources dans les zones où elle se
trouve.

B. Génétique des populations1

1. Définitions :

Génétique mendélienne : La génétique initiée par Gregor Mendel, appelée classiquement


génétique mendélienne, a pour objectif de comprendre le déterminisme et la transmission des
caractères par l'analyse de la descendance d'un croisement contrôlé entre individus de génotypes
différents (proportions des diverses catégories de descendants).

Génétique moléculaire :Après la découverte du support de l'information génétique (ADN), la


génétique moléculaire continue à rechercher les mécanismes fins du déterminisme, de l'expression et
de la transmission des caractères. Elle trouve aujourd'hui de nombreuses extensions avec les
programmes de génomique (séquençage des génomes et identification des gènes) et de protéomique
(inventaire et fonction des protéines d'un organisme).

Génétique des populations :

La compréhension du déterminisme et de la transmission des caractères doit aussi étudier les


individus dans les conditions naturelles où ils sont génétiquement uniques et libres de se reproduire
avec n'importe quel autre individu de la même espèce. Cette partie de la génétique, qui considère les
individus en interactions avec leur environnement, est la génétique des populations.

La Génétique des populations étudie la variabilité génétique présente dans et entre les
populations avec 3 principaux objectifs :

1- mesurer la variabilité génétique , appelé aussi diversité génétique, par la fréquence


des différents allèles d'un même gène.
2- comprendre comment la variabilité génétique se transmet d'une génération à l'autre
3- comprendre comment et pourquoi la variabilité génétique évolue au fil des
générations.

A la différence de la génétique mendélienne, la génétique des populations étudie les


proportions des génotypes au sein d'un ensemble d'individus issus de croisements non contrôlés entre
de nombreux parents.

1
Jean Pernès (1984) « Gestion des Ressources Génétiques des Plantes. Tome 2: Manuel. ».

2
2. Qu’est-ce qu’une Population ?

Une population est l'ensemble des individus de la même espèce qui ont la possibilité
d'interagir entre eux au moment de la reproduction.

La notion de population fait donc appel à des critères d'ordre spatiaux, temporels et génétiques
et résulte du fait que les individus d'une même espèce n'ont pas tous la possibilité de se rencontrer et
de se croiser à cause de l'éloignement géographique et de l'hétérogénéité de l'habitat.

Pool Génétique :La population représente une communauté génétique constituée par


l'ensemble des génotypes des individus qui la composent. La population se caractérise donc par un
génome collectif ou patrimoine génétique, appelé aussi pool génétique qui est la somme des
génotypes individuels pour chacun des gènes.

Chaque génotype individuel est fixé définitivement à la naissance et cesse d'exister à la mort
de l'individu, par contre le pool génétique d'une population présente une continuité à travers les
générations, et peut varier au cours du temps. C'est cette évolution que la génétique des populations
cherche à comprendre.

L’espèce : La population est à distinguer de la notion d'espèce qui rassemble tous les individus
interfertiles même si ceux-ci n'ont jamais la possibilité de se croiser. C'est l'unité d'étude dans de
nombreux domaines des Sciences de la Vie (épidémiologie, évolution, écologie, biogéographie,
biologie de la conservation).

Simple au plan théorique, cette définition est souvent difficile à appliquer aux situations
naturelles. Les limites d'une population sont incertaines et dépendent des caractéristiques intrinsèques
des espèces (répartition spatiale et temporelle des individus, mobilité, mode de reproduction, durée de
vie, socialité, etc.). Lorsqu'une espèce présente de très grands effectifs et occupe un vaste territoire
apparemment homogène, seule l'étude détaillée de la distribution des individus, de leurs
comportements, de leurs déplacements et de leurs génotypes peut permettre de déceler d'éventuelles
discontinuités correspondant à des limites de populations.

L’outil génétique est à la basede toute amélioration des plantes ; le matériel génétique ayant
une valeur effective oupotentielle définit « Les ressources génétiques ».

Ainsi, Génétique des Populations, Améliorations des Plantes et Ressources Génétiques et


diversité génétiquesont des disciplines intimement imbriquées l’une dans l’autre.

C. Organisation des complexes d’especes

1. Introduction

La constitution, la conservation et l'évaluation des ressources géniques ne sont pas des tâches
de collectionneur d'objetou d'œuvres immuables à simplement maintenir, étiqueter et répertorier.

3
La diversité d'un groupe de plantes cultivées donné (par exemple le mil cultivé et les formes
spontanées voisines,ou les caféiers) est une diversité dynamique, mobile, en évolutionsans cesse
recréée, perdue, réorganisée.

L'observateur, l’analyste, décrit à un moment donné un certain nombre de formes qu'il peut
cataloguer. Il peut identifier dans une zone géographique donnéeun nombre de formes plus ou moins
grand, des séparations, plus oumoins nettes entre elles (présence ou non d'intermédiaires).

Il sera conduit à dénombrer des unités taxonomiques qu'il appellerades espèces (avec une
dénomination et des clés de détermination) et des formes intermédiaires qu'il appellera des hybrides
interspécifiques, et à définir ainsi en certains points du globe, des zones de diversité.

Ce n'est qu'en projetant l'idée d'uneévolution, d'une dynamique qu'à ce recueil statique il
feracorrespondre un ensemble de formes en mouvement, organisées sanscesse au cours du temps. Ces
zones de diversité il les verra alorscomme des témoignages de centre actifs de création et d'entretiende
variations par les jeux de l'hybridation et de la sélectionface à un environnement hétérogène et variable
: cette conceptionfera parler de Centres d'origine de la diversité.

1. Complexes d'espèces : compartiments et contrôle des flux de gènes entre


compartiments

Nous devons beaucoup à J.R. HARLAN pour l'importance et l'extension de la notion de « pool
génique »ou « complexes d'espèces ». Ses préoccupations d'analyste del'évolution des végétaux
cultivés l'ont confronté à des situationsoù le vocabulaire taxonomique et la diversité des formes
nepermettaient guère une description aisée des processus de domestication. Nombre des exemples
seront tirés des végétaux anciennement cultivés ; cela ne veut pas dire que l'homme ait été davantage
une accentuation de la sélection naturelle. La domestication a été l'occasion de mettre en lumière, et
nettement,des processus qui nous paraissent de toute façon au cœur de la logique de l'organisation
évolutive des plantes.

1.1. Le complexe Téosinte-Maïs

Le maïs est une plante cultivée (2n=20) qui se croise parfaitement avec une espèce sauvage
appelée « téosinte ». Les botanistes ont distingués deux espèces :

- L’espèce maïs : Zea mays (aujourd’hui Zeamaysssp. mays)

- L’espèce téosinte : Euchlena mexicana (aujourd’hui Zeamaysssp. parviglumis)

Ces deux espèces se croisent parfaitement et l’on observe dans la nature toutes les formes
intermédiaires entre les deux.

Nous citerons le travail extraordinaire de Doebleyet al. (1990)1 sur l’analyse génétique et
morphologique de populations F2 d’un croisement maïs-téosinte quant aux relations génétiques entre
les 2 espèces.

1
John Doebley; Adrian Stec; Jonathan Wendel; Marlin Edwards (1990) Genetic and Morphological Analysis of a Maize-Teosinte F2
Population:Implications for the Origin of Maize. Proceedings of the National Academy ofSciences ofthe United States ofAmerica, Vol.87,
No. 24 (Dec., 1990),9888-9892.

4
1.1.a. Les caractéristiques morphologiques du maïs et du téosinte

Chez le maïs et le téosinte, l'inflorescence qui termine la tige principale (inflorescence


principale) est une inflorescence mâle ou panicule mâle et est appelée “tassel” en anglais (Fig. ). Chez
le téosinte, les branches latérales primaires sont généralement allongées, et les inflorescences
terminales de ces branches (inflorescences latérales primaires) sont normalement mâles (tassels).
Toutefois, chez un maïs typique, la branche latérale est courte, et l'inflorescence latérale primaire est
femelle – c’est l’épi (Fig. ). Les branches latérales courtes de maïs résultent du raccourcissement des
entre-nœuds de la branche latérale plutôt que d'une réduction du nombre d’entre-nœuds. Chez le
téosinte, il y a aussi des inflorescences secondaires latérales (et d'ordre supérieur) qui sont femelles.
Chez le maïs, les inflorescences latérales secondaires femelles peuvent également être présentes, mais
seulement chez certaines races primitives ( Fig . ).

La différence la plus spectaculaire entre le maïs et le téosinte concerne les architectures de


leurs inflorescences femelles (Fig. 2). L’épi du téosinte est composé de 5-10 (ou plus) cupules
distiques (disposées sur deux rangs) en forme de sacs contenant les grains (Fig.2 A et C). La cupule est
formée à partir de l’invagination de l'entre-nœud du rachis. Elle contient un seul épillet sessile dont la
glume extérieure ferme l'ouverture de la cupule, occultant ainsi la vue du noyau. La cupule et la glume
extérieure sont extrêmement dures (endurcies) chez le téosinte. L'épillet unique de chaque cupule
produit un seul grain (figure 2C). Les cupules d'un seul épi sont séparées les unes des autres par des
couches d'abscission qui permettent de séparer les cupules (les désarticuler) à maturité pour leur
dispersion .

L'épi du maïs est également construit à partir de cupules (Fig. 2D). Il est composé de 100
cupules ou plus disposées généralement sur de nombreux rangs (polystiques) qui sont cachés par les
grains (Fig. 2 B et D). Pour le maïs, il peut y avoir 4-10 ou plusieurs rangs de cupules. Contrairement
au téosinte, les cupules de maïs n’enveloppent pas les grains. Les cupules du maïs peuvent être un peu
endurcies, mais les glumes externes sont toujours plus tendres que les glumes très endurcies de l'épi du
téosinte. Contrairement au téosinte, deux épillets sont associés à chaque cupule, l’un est pédicellé et
l'autre est sessile. Ainsi , un épi avec quatre rangs de cupules aura huit rangées de grains (figure 2D) .
La présence de l'épillet pédicellé (ou deux épillets par cupule) chez les épis de maïs représente l'une
des principales différences entre le maïs et le téosinte. Chez la tribu des Andropogoneae (à laquelle
appartient Zea), les paires d’épillet sessile-pédicellé sont la condition commune. On pense que l'épillet
pédicellé a été perdu au cours de l'évolution de l'épi du téosinte, puis restauré à la fertilité au cours de
la transformation du téosinte en maïs (Galinat, 1985 ; comparez avec Iltis, 1983). Les épis de maïs
n'ont pas les couches d'abscission qu'on trouve chez le téosinte , si bien que l'épi reste intact à maturité.

Les différences morphologiques importantes entre le téosinte et le maïs, respectivement, sont


les suivants:

(i) deux rangs contre quatre (ou plus) rangs de cupules ;


(ii) les épillets simples contre des jumelés ;
(iii) les glumes extérieures dures contre des tendres ;
(iv) les épis cassants contre des épis solides ;
(v) les inflorescences latérales primaires normalement mâles contre femelles ;
(vi) et des branches latérales primaires normalement longues contre courtes.

5
D'autres caractères, tels que le nombre d'épis par plante ou le nombre de cupules par épi, sont
vraisemblablement des effets secondaires de la domestication, par opposition aux changements
morphogénétiques primaires impliqués dans la transformation du téosinte en maïs.

Figure Architectures du Téosinte et du Maïs (d’après Iltis, 1983)

Inf. P : inflorescence principale ; Inf. LP : inflorescence latérale primaire ; Inf. LS :
inflorescence latérale secondaire ; Br. LP : branche latérale primaire.

6
Figure Architecture des épis de téosinte et de maïs (inflorescences femelles) d’après Iltis (1983)

(A) Epi de téosinte. AB : couche abscissique ; OG : glume externe ; et RA : entre-nœud du
rachis. (B) Epi de maïs. (C-D) coupes transversales schématiques du téosinte (C) montrant 2 rangs de
cupules avec un épillet par cupule, et du maïs (D) montrant 4 rangs de cupules avec 2 épillets par
cupule.

1.1.b. Théories sur l’origine de l’épi de maïs

Deux modèles principaux ont été proposés pour la transformation du téosinte en maïs. Un
modèle prévoit que l'épi du maïs a pour origine une modification de l'inflorescence pistilléedu téosinte
à travers un petit nombre de changements morphologiques clés contrôlés par un aussi petit nombre de
gènes majeurs (Beadle, 1978, 1980; Galinat, 1983, 1985, 1988 ; Langham, 1940):

- le locus trest supposé contrôler le caractère deux rangs (téosinte) contre les quatre rangs
(maïs) de cupules;
- le locus pd, contrôlerait le caractère épillets simples (téosinte) contre épilletsappariées
(maïs);
- le locus Ab (ou Ph et Ri), la présence (téosinte) contre l’absence (maïs) de couches
d'abscission dans l'épi,
- et le locusTu, le caractère glumes dures contre glumes tendres.

En plus de ces gènes majeurs, Galinat (1985) a suggéré que de nombreux gènes modificateurs
ont été impliqués dans la stabilisation de l'expression des gènes majeurs.

7
Un autre point de vue de l'origine de l'épi de maïs considère que l’épi central de l'inflorescence
latérale primaire du téosinte (Fig. 1) a été transformé dans l'épi de maïs par transmutation sexuelle
(Iltis, 1983). Selon cette hypothèse, le principal événement dans l'évolution de maïs a été un
changement dans la sexualité de mâle à femelle à l'extrémité des branches latérales (i.e., les
inflorescences latérales primaires). Cette théorie propose que, parce que les épillets des inflorescences
mâles (panicules) sont en paires sessile-pédicellées et ont des glumes tendres, les épillets appariés et
les glumes douces sont un résultat automatique du processus de la féminisation. Par conséquent, les
locuspd et Tu ne sont pas nécessaires et n'ont joué aucun rôle dans l'origine de l'épi maïs.

1.1.c. Associations entre les Loci de marqueurs moléculaires (MML) et


les caractères morphologiques

Doebleyet al. (1990) ont analysé et mesuré 9 caractères en relation avec les caractères
distinctifs entre les deux espèces (Tableau). Ils ont par la suite déterminé les relations entre ces
caractères et 58 marqueurs moléculaires dont 5 loci d’isozymes (Adk1, Idh2, Idh2, Prx3, Sad1,
etTpi3).

Tableau Liste des principauxcaractères distinguant le maïs et le téosinte


Caractère Description
1 CUPR Nombre de cupules en un seul rang
2 DISA Tendance de l'épi à se désarticuler (échelle 1-10)
3 GLUM Dureté et angle de la glume extérieure (échelle 1-10)
4 LBIL Longueur moyenne des entre-nœuds sur la branche latérale primaire
5 LIBN Nombre de branchesdans inflorescence latérale primaire
6 PEDS Pourcentage de cupules qui n'ont pas l'épillet pédicellé
7 PROL Nombre d'épis sur la branche latérale primaire
8 RANK Nombre de rangées de cupules
9 STAM Pourcentage d’épillets mâles dansl’inflorescence latérale primaire

Des associations significatives ont été trouvées entre les MML et les caractères sur tous les
chromosomes (figure).

Des associations significatives entre les MML et les caractères ont été trouvés sur tous les
chromosomes. Toutefois, les loci chromosomiques ayant les plus grandes valeurs de R² ont une
distribution plus étroite et se trouvent uniquement sur les chromosomes 1 à 4 (figure). De nombreuses
associations avec de grandes valeurs de R² sont concentrées sur le bras long du chromosome 1, qui
montre les effets majeurs pour cinq des neuf caractères. Le bras court du chromosome 5, bien que ne
possédant aucun des facteurs majeurs, a des effets significatifs pour sept des neuf caractères. Les
chromosomes 7 et 10 ont le plus petit nombre d’associations significatives, deux et une,
respectivement.

8
Figure Diagramme des 10 chromosomes maïs-téosinte montrant la distribution des MMLs
utilisés par Doebley et al. (1990) et leurs associations avec les caractèes morphologiques des 2
espèces.

9
1.2. Définition des complexes d'espèces:

Deux plantes appartiennentau même complexe si dans les conditions naturelles elles peuvent,
avec une probabilité non nulle, échanger des gènes par hybridation, soit directement, soit par le relai
de plantes intermédiaires.

Commentaires :

- Cette définition correspond aux pools


géniques primaires et secondaires définis
par HARLAN et DE WET (1971). Elle
exclut les manipulations de laboratoire
type transformation génétique, fusion de
protoplastes, les transferts du type
transformation bactérienne, les
inoculations virales...
- l'existence de plantes relais permet
d'intégrer dans le même complexe des
plantes dont l'éloignement géographique
empêche l'interpollinisation immédiate.
De même des plantes entre lesquelles
existent des mécanismes
d'incompatibilité unilatérale peuvent
indirectement « échanger » des gènes.
- Les taux d'hybridation, ou d'échanges,
peuvent être très faibles (inferieur à 1
°
par exemple) ; une frontière
°°
Figure schématisation des Pools Génétiques qualitative considérable sépare dans ce
primaires (GP-I), secondaires (GP-2) et tertiaires domaine le « 0 » de l’«  » (taux si petit
(GP-3) définis par Harlan (1971) soit-il mais non nul), ceci justifie
d'étudier précisément les barrières
reproductives naturelles.

10
1.2.a. Complexe des blés

Figure Origineprobable de Triticumturgidum et de T. aestivum


*selon toute vraissemblance, une forme cultivée de Triticumturgidum s’est hybridée avec
Aegilops squarrosa pour former l’hybride ABD.

11
TableauEspèces du genreTriticum et leurs formules génomiques (d’après Morris et Sears, 1967)
Espèce(appellation de Bowden) Formule appellation commune
haploïde*
1. Diploïdes:
T. monococcum L. A T. boeoticumBoiss. [T. aegilopoides (Link) Bal.] + T.
thaoudarReut. in Bourg. ex Hausskn.+T.
monococcum L.
T. speltoides(Tausch.) Gren. ex S(=B?) Ae. speltoidesTausch. [Ae. aucheriBoiss. + Ae.
Richter ligustica (Savign.) Cosson]
T. bicorneForsk. Sb(=Bb?) Ae. bicornis (Forsk.) Jaub. &Spach.
l l
T. longissimum (Schweinf. &Muschli S (=B ?) Ae. longissima S. & M. in M. + Ae. sharonensisEig.
in Muschli) Bowden
T. tripsacoides (Jaub. &Spach) Mt(=B??) Ae. muticaBoiss.
Bowden
T. tauschii (Coss.) Schmal. D Ae. squarrosa L., T. aegilops P. Beauv. ex R. & S.
T. comosum (Sibth. &Sm) Richter M Ae. comosa S. & S. + Ae. heldreichiiHolzm.
u
T. uniaristatum (Vis.) Richter M Ae. uniaristata Vis.
T. dichasians (Zhuk.) Bowden C Ae. caudata L.
T. umbellulatum (Zhuk.) Bowden Cu Ae. umbellulataZhuk.
2. Blés Allopolyploïdes:
T. turgidum L.
var. dicoccoides (Körn. in litt. in AB T. dicoccoidesKörn in litt. inSchweinf
Schweinf) Bowden
groupe de variétés AB T. dicoccum etc.
T. timopheevii (Zhuk.) Zhuk.
var. timopheevii AB, Aß ou T. turgidum L. emend Bowden var. timopheeviiZhuk.
AG Bowden f. timopheevii Bowden + var. tumanianii
(Jakubz.) Bowden + T. dicoccoidesvar.
nudiglumisNabalek
var. zhukovskyi (Men. &Er.) AAB, T. turgidum L. emend Bowden var. timopheevii
Morris & Sears, comb. nov. AAßou (Zhuk.) Bowden f. zhukovskyi (Mem. &Er.) Bowden
AAG
T. aestivum L. em. Thell. ABD T. aestivum + autres espèces cultivées
3. Autres allopolyploïdes
T. ventricosum Ces. DMu Ae. ventricosaTausch.
1
T. crassum (Boiss.) Aitch. &Hensl. D M, Ae. crassaBoiss.
D1D2M
T. syriacumBowden DMSl Ae. crassaBoiss. ssp. vaviloviZhuk.
T. juvenaleThell. DMCu Ae. juvenalis (Thell.) Eig.
T. kotschyi (Boiss.) Bowden CuSl Ae. kotschyiBoiss. + Ae. variabilisEig.
T. ovatum (L.) Raspail CuM Ae. ovata L.
u u u
T. triaristatum (Willd.) Godr. &Gren. C M,C MM Ae. triaristataWilld.
T. macrochaetum (Schuttl. & Huet. CuM Ae. biuncialis Vis.
ex Duval-Jouve) Richter
T. columnare (Zhuk.) Morris & CuM Ae. columnarisZhukovsky
Sears, comb. nov.
T. triunciale (L.) Raspail CuC Ae. triuncialis L.
T. cylindricum Ces. CD Ae. cylindrica Host.
* Chaque lettre représente un génome de 7 chromosomes. Les symboles soulignés désignent les génomes connus pour être
substantiellement modifiés par rapport au génome parental.

12
- Deux plantes interfertiles d'une
même population naturelle
appartiennent évidemment au
même complexe génique ; un
représentant de l’espèce
Aegilops speltoides (diploïde) et
de l'espèce Triticumdurum
(tétraploïde cultivé)
appartiennent au même
complexe génique, bien que
l'hybride naturel triploïde soit
peu fréquent et très peu fertile et
qu'il faille plusieurs (2 à 3)
générations de réhybridation
avec les parents A. speltoides ou
T. durum pour retrouver des
descendants bien équilibrés. Bien
entendu dans ce cas
l'appartenance au même
complexe demande à être
démontrée. Figure Les Pools Génétiques du Blé.

Le Pool Secondaire (GP-2) est très vaste et comprend toutes les espèces
d’Aegilops, de Secale et Haynaldia, plus, au moins, Agropyronelongatum, A.
intermedium, et A. trichophorum. Le Pool Tertiaire (GP-3) comprend plusieurs
espèces d’Agropyron et d’Elymus.

13
1.2.b. Complexe des sorghos

- Deux plantes interfertiles mais complètementséparées géographiquement, sans aucune population


intermédiaire possiblepeuvent cesser d'appartenir au même complexe génique, si les variations
demilieu ne donnent plus l'occasion de les relier
 exemple :
o les sorghos fourragers tétraploïdes méditerranéens, Sorghum halepense ;
o les sorghos céréaliers diploïdesafricains,Sorghum bicolor.

L'homme, par collecteet transport, peut réintégrer dans le même complexe d'espèces des
plantesisolées. Cette situationnouvelle conduira à de nouvelles structures ou une nouvelle
organisation.

Ceci a eu lieu lors de l'introduction en Argentine de Sorghum halepensefourragers tétraploïdes


méditerranéens qui ont été confrontés à des Sorghum bicolorafricains céréaliers diploïdes eux-
mêmes introduits. La création spontanée des Sorghum almumtétraploïdes a ouvert ainsitoute une
cascade de réorganisation des sorghosavec des répercussions majeures sur leur voie
d'amélioration génétique.

Figure Sorghum bicolor (2n=20). Sorgho


céréaliers africains Figure Sorghum halepense (4n=40).
Sorgho fourragers méditerranéens

Figure Sorghum almum (4n=40) amérique

14
Figure Complexe des Sorghos : séparation géographique et hybridation

15
1.2.c. complexe des Alatae(Nicotiana)

- Le complexe génique des « alatae » (Nicotiana) comprend des plantes appartenant à


Nicotiana langsdorffii (diploïdes autogames) et N. bonariensis1(diploïdes
autoincompatibles). Le mécanisme d'incompatibilité unilatérale empêche tout croisement
dans le sens de la pollinisation de N. bonariensis par N. langsdorffii, mais pas
inversement; des hybrides N. bonariensis♂par N. langsdorffii♀ sont produits et leur
descendance peut comporter des plantes pollinisables par N. langsdorffii ; des transferts
géniques spontanés peuvent ainsi avoir lieu (directement, ou indirectement (dans les 2
sens : Figure 7).

Figure Evolution de la fleur dans la section des Alatae (Nicotiana)

Figure Nicotiana langsdorfii Figure Fleurs de Nicotiana


langsdorfii

1
Synonyme :Nicotiana bonariensis var. spathulata Sendtn

16
Figure Echanges directs, N. bonariensis fournisseur de pollen, et indirects, N. langsdorffii
fournisseur de pollen, entre plantes du complexe génique des « alatae ».

L'analyse plus précise de ce processus fait appel à la connaissance précise des gènes
responsables de l'incompatibilité.

Remarque : du point de vue taxonomique ces exemples montrent qu’il n’y a aucune
correspondance simple entre diverses acceptions du mot « espèce » et le mot« complexe ». Le
terme « espèce » ne sera utilisé que pour référence taxonomique et renvoi aux clés de
détermination et sans autre signification.

1.3. Compartiments du complexe d'espèces

Définition : Deux plantes d'un même complexe appartiennent à des compartiments différents
s'il existe entre elles des limitations à la réussite de leur hybridation spontanée.

Commentaires:

- Un compartiment peut être défini comme une population mendélienne1. Nous n'avons pas
choisi cette définition simple et directe pour les raisons suivantes :
1) Elle ne fait que renvoyer à une entité difficile à préciser concrètement en termes de
génétique des populations.
2) Elle interfère avec la notion éco1ogique de population monospécifique qui ne
correspond pas forcément à un seul compartiment. En effet on trouve des populations

1
En termesde génétique, une population est un groupe spatio-temporel d'individus de la même espèce s’intercroisant (METTLER et GREGG,
1969). Quand les croisements ont lieu au hasard on parle de gamodeme (GILMOUR et GREGOR, cf. GILMOUR, 1960), d'unitépanmictique
(WRIGHT), de population mendélienne locale (DOBZHANSKY) ou simplement de dème.

17
naturelles de Panicum maximum qui contiennent en mélange des plantes
taxonomiquement indistinguables, les un diploïdes sexuées et les autres tétraploïdes
apomictiquesfacultatives. Entre ces types de plantes des échanges géniques sont
possibles et efficaces mais extrêmement réduits ; il y a donc deux compartiments
nettement et objectivement définissables et apparemment une seule population du
point de vue écologique.
3) Les modes de reproduction tels que l'autogamie préférentielle 1 ou 1'apomixie
facultative2 ne constituent pas des obstacles absolus à la réussite des hybridations;
l'éloignement géographique progressif (isolement par distance) non plus, mais il ne
s'agit plus là à proprement parler de populations mendéliennes.
- La notion de compartiment est liée à une structure effective du pool génique et des
compartiments peuvent être hiérarchiquement emboités en fonction du degré de limitation
des réussites à l'hybridation; de ce fait, cette notion ne couvre pas des entités rigides et
inamovibles et sont très liées à l'évaluation quantitative des transferts géniques.

Exemples:

- Deux populations mendéliennes partiellement isolées géographiquement, entre lesquelles


quelques échanges peuvent avoir lieu par dispersion lointaine de graines ou de pollens,
constituent deux compartiments d'un complexe d'espèces.
- Pennisetumviolaceum adventices voisins d'un champ de Pennisetumtyphoideum
(americanum) (mil àchandelles), tous deux allogames diploïdes, constituent deux
compartiments distincts et morphologiquement faciles à distinguer. Ils s'intercroisent
pourtant librement et leurs hybrides tout en étant fertiles et bien développés, sont
régulièrement très sévèrement éliminés à chaque génération (ils n'ont pas les
combinaisons de caractères permettant une récolte satisfaisante pour le cultivateur, ils
n'ont pas l'efficacité de la dissémination spontanée de l'adventice). Deux pressions de
sélection différentes maintiennent en un même lieu des formes distinctes qui
s'intercroisent librement mais les échanges sont limités par un décalage léger des
floraisons et par la faible réussite adaptative des hybrides pourtant fertiles et bien
développés.

Figure Pennisetumviolaceum (adventices)


1
Autogamie préférentielle: mode de reproduction par lequel la descendance d'une plante est obtenue en majorité par autofécondation [le taux
d'autogamie, % d'autofécondation, peut dépasser 99% chez certaines plantes pour lesquelles la libération du pollen a lieu à maturité avant
l'ouverture de la fleur hermaphrodite, la partie femelle étant déjà réceptive (cléistogamie)].
2
Apomixie facultative: mode de reproduction par lequel une certaine proportion des descendances est obtenue par développement sans
fécondation d'une oosphère non réduite, le reste de la descendance (en proportion ) est obtenu de façon normalement sexuée (réduction
suivie de fécondation).  est le taux de sexualité.

18
Figure Pennisetumtyphoideum
2n, allogame (americanum) (mil à chandelles),

2n, allogame

- Deux populations adjacentes constituées de plantes d'une même espèce, l'une adaptée à
un milieu riche en résidus miniers, l'autre poussant sur un milieu indemne de ces déchets,
et qui limitent leurs échanges géniques par décalage de leurs périodes de floraison
(sélection disruptive), forment deux compartiments.
- Les Panicummaximum diploïdes sexués forment un compartiment différent des
Panicummaximumtétraploïdes apomictiques; de même les Aegilops speltoidesdes
Triticumdurum.

19
1.4. Contrôles des flux de gènes entre compartiments d'un complexe
d'espèces

Définitions :

- Les flux de gènes résultent des hybridations, directes ou indirectes, ayant lieu entre
plantes n'appartenant pas à un même compartiment. Le transport résulte soit de
migrations de sporophytes (graines, boutures, etc.) soit de migration de pollens.
- Les contrôles des flux de gènes sont les mécanismes qui :
 1) limitent la réussite de l'hybridation entre plantes, soit au niveau de la réalisation
de croisement, soit au niveau du pouvoir reproductif du produit (stérilité, faiblesse de
l'hybride ou de ses descendances). De ce fait ces plantes appartiennent à des
compartiments,
 2) ou modulent quantitativement le taux des échanges (ou flux).
- Le degré de contrôle est le taux d'échanges géniques réalisés entre deux compartiments.

Commentaires :

- Les contrôles apparaissent à la fois comme des obstacles aux échanges (barrières
reproductives par exemple) et les moyens de franchir ces obstacles. Ces aspects négatifs
et positifsjustifient qu'on choisisse de parler de contrôlesplutôt que de barrières
d'isolement (barrières géographiques, barrières reproductives ou barrières de stérilité). En
effet,
 le terme de barrière ne souligne que l'échec des croisements, pas l'existence d'un
certain taux, même faible, d'hybridation (toute hybridation malgré la barrière semble
un accident dû au non fonctionnement de celle-ci).
 le degré souligne, ce qui est essentiel, que le contrôle peut être évolutivement établi
et ajusté. Il est une réponse adaptative ou un élément d'organisation optimisable des
complexes d'espèces.

Le choix du terme de "contrôle" est au cœur même de la compréhension de 1 'organisation des


complexes et de la constitution des ressources génétiques. Tout mécanisme d'isolement non régulé et
absolu est une démonstration de la non appartenance à un mêmecomplexe des plantes mises en
présence, c'est un témoignage d'une différenciation évolutive plus ou moins lointaine, irréversible
(sauf manipulations génétiques particulières).

L'intérêt fondamental de l'idée de contrôle et de compartiment est cette distinction entre le


constat d'un échec pur et simple à l’échange génique (existence de complexes distincts), et la mise en
évidence d'une organisation.La notion de compartiment est liée à l'aspect positif de ce contrôle, c'est à
dire à l'existence d'un certain degré de transfert, surtout pas à l'absence d'échanges géniques.

Faute d'une attention particulière, une confusion entre les deux concepts de contrôle et de
barrières d'isolement empêcherait de se donner pour objectif la compréhension de l'organisation des
complexes(deux compartiments étant pris pour deux ensembles, distincts non connectés de façon
coordonnée).

Les analyses del'hybridation introgressive (ANDERSON, 1949) constituent des exemples


d'échanges entre deux compartiments, mais ce n'est que plus tard que les descriptions cohérentes de
l'évolution coordonnée de plusieurs compartiments ont été soulignées par HARLAN (1970).

20
Exemples :

- La situation la plus simple est celle de la séparation géographique de deux populations,


liée à la présence d'une zone inexploitable par les plantes du complexe considéré. La
distance est une limitation dont la genèse est extérieure au complexe, mais le degré
d'échange, ici le taux de migration, est ajustable génétiquement. L'acquisition d'un flux
génique satisfaisant entre les deux compartiments (populations) est liée aux modifications
des pouvoirs de dissémination (légèreté ou prise au vent du pollen, attraction ou transport
animal des graines, etc.).
- Les espèces africaines Oryzabreviligulata (syn. O. barthii ; diploïde, autogame, forme
spontanée, adventice) et Oryzaglaberrima (diploïde, autogame, forme cultivée) du
complexe d'espèces des riz constituent deux compartiments dont les échanges peuvent
être contrôlés par un système génique simple responsable de la faiblesse de leurs
hybrides. Deux locus complémentaires conditionnent cette faiblesse ; certains allèles, en
l'un ou l'autre des locus, n'entraînent pas cette faiblesse. Ils permettent l'obtention
occasionnelle d'hybrides normaux et fertiles ; c'est par la fréquence de ces allèles dans
l'un des compartiments (de l'ordre de 1%) que s'ajuste le degré des échanges.

Figure Oryzabreviligulata (syn. O. Figure Oryzaglaberrima (diploïde, autogame,


barthii ; diploïde, autogame, forme forme cultivée)
spontanée, adventice)

21
- Le degré de ploïdie permet fréquemment la réalisation "sympatrique" 1 de deux
compartiments. Le flux de gènes entre ces deux compartiments est limité par les accidents
méiotiques chez les hybrides triploïdes entre plantes diploïdes et tétraploïdes (s’il s'agit
des degrés 2x et 4x).

GenrePanicum : Les transferts dans les deux sens sont réalisés de façon très diverses, suivant
les complexes d'espèces. Dans le pool Panicum maximum le passage di vers tétra se fait par le biais de
la pollinisation par un pollen 2x (produit par un tétraploïde 4x) d'une oosphère exceptionnellement non
réduite chez une plante diploïde (2x). Le transfert inverse (tétra vers di) se fait par le développement
sans fécondation d'une oosphère exceptionnellement 2réduite produite par les plantes apomictiques
tétraploïdes (phénomène de polyhaploïdisation) (schéma 1.2).

Figure Panicum maximum

1
Allopatrique : en des lieux ou des sites géographiques différents
sympatrique : en un même lieu
parapatrique = en des sites adjacents
2
Dans ce complexe, les diploïdes sont des plantes sexuées, les tétraploïdes sont des apomictiques facultatives.

22
Schéma I.2 : exemple d'échanges géniques entre deux compartiments diploïde et tétraploïde

Chez P. maximum la voie  peut atteindre une fréquence de 1% dans la descendance de


certains diploïdes. La voie  a pu être sélectionnée particulièrement chez un tétraploïde, et atteint 10
% de sa descendance (PERNES et al. 1975).

GenreTriticum : Le complexe Triticum-Aegilops réalise ces transferts par le biais de triploïdes


partiellement fertiles et la réacquisition progressive de la diploïdie ou de la tétraploïdie par
recroisements successifs avec les diploïdes ou les tétraploïdes initiaux.

Résumé des définitions

Le complexe d'espèces est constitué par l'ensemble des plantes susceptibles d'associer, dans
leurs descendances par hybridation, directement ou indirectement, des constituants de leurs génotypes.
Des compartiments sont définis dans ces complexes selon le critère suivant : l'hybridation
(viabilité et fertilité) réussit avec une probabilité supérieure entre plantes d'un même compartiment
qu'entre plantes de compartiments différents. On dit alors qu'il y a un contrôle du flux de gènes entre
les compartiments ; le degré de ploïdie est l'évaluation quantitative du taux d'échanges géniques entre
compartiments. Les compartiments ne sont donc pas étanches, par définition ; différents contrôles de
différents degrés peuvent constituer différentes partitions d'un même complexe (voir schémas I.3 et
I.4) ; ces partitions peuvent être soit des inclusions successives (contrôles hiérarchisés) de
compartiments, soit des intersections (contrôles multiplicatifs ou en compétition). L'organisation et
l'évolution du complexe passe par l'acquisition et la sélection des contrôles conduisant aux partitions
les plus efficaces.

Schéma I.3 : Exemple de contrôles hiérarchisés

Le compartiment diploïde est structuré en deux sous-compartiments Dl, D2, dont les échanges
sont contrôlés par un système de stérilité hybride type O. glaberrima – O. breviligulata et il est couplé
à un compartiment tétraploïde par un contrôle de type Panicum.

23
Schéma I.4 : exemple de deux contrôles non hiérarchisés avec quatre sous-compartiments
regroupables en deux partitions différentes

A : compartiment de l'espèce cultivée couplé au compartiment de l’espèce adventice (contrôle


type Pennisetum par sélection disruptive)

B : compartiment des isolements géographiques (par localité), contrôlé par les potentiels de
dissémination.

Les exemples précédents ne constituent, bien entendu, pas un catalogue complet des différents
complexes d'espèces qui ont été, ou sont étudiés. On voulait, à travers dessystèmes très différents,
montrer une même logique d'organisation pour la comprendre et orienter convenablement les
recherches concernant les ressources génétiques. Des règles simples d'exploration, de collection et
d'utilisation de la diversité génétique de végétaux intéressant devraient en résulter.

2. Remarques sur divers aspects de la spéciation, fragmentations


progressives (par distances)

La notion de pool génique se situe à une charnière entre la génétique des populations et la
macroévolution là où traditionnellement on parle de spéciation. Ce n'est pourtant pas de spéciation
qu'il s'agit ; mais l'organisation en compartiments crée des zones de fragilité où des ruptures
irréversibles sont préférentiellement possibles. L'organisation compartimentée est l'occasion pour que
des chemins évolutifs indépendants soient pris.

La création d'une structure compartimentée est un évènement sympatrique, sélectionné, une


réponse adaptative génétiquement coordonnée. Quand le contrôle des échangesest constitué par une
barrière reproductive, celle-ci n'est pas subie mais établie activement, dans un contexte évolutif qui la
rend désirable, par sélection dans la diversité génétique disponible.

24
Cette organisation sans cesse remaniée au cours de l'évolution constitue un noyau d'une grande
pérennité, qui se déleste régulièrement de compartiments devenus plus ou moins fortuitement
indépendants (à l'occasion de colonisations ou de migrations lointaines, par suite de modifications du
milieu, brusques ou progressives, mais au-delà du domaine où les contrôles sont ajustables).Ce noyau
est l'élément de continuité de l'évolution, il se transforme mais sa structure lui confère une espérance
de vie (une probabilité de survie) incomparablement plus grande que celle des compartiments
marginaux pour lesquels il y a un renouvellement important (séparation, extinction, nouveau délestage
à partir du noyau). La partition en compartiments est source, de stabilité pour le complexe (multiplicité
et diversité sont des gages de stabilité), mais les compartiments eux sont vulnérables.

Des complexes ont été parfois complètement morcelés par les péripéties d'ordre géographique
(failles, dérives des continents,etc.); Si ces évènements ont eu lieu à des époques relativement peu
éloignées (relativement aux changements de structures génétiques), l'action raisonnée de l'homme peut
restituerleur dynamisme. Ce pourrait être le cas ducomplexe des cotonniers dont l'amélioration des
plantes sait dépasser la fragmentation géographique exceptionnelle, apparemment figée et irréversible.

La colonisation étendue à des aires considérables, crée des fragmentations (ou des partitions)
progressives du complexe ; les contrôles des échanges paraissent alors organisés en gradients suivant
les éloignements géographiques des compartiments. Le complexe des caféiers constitue un tel exemple
d'organisation progressive, par distance, des compartiments.

Schéma I.5 : Evolution d'un complexe construit sur deux compartiments (diploïde et
tétraploïde).

25
L'ensemble transforme globalement son phénotype de la forme  à la forme . Des délestages
ont lieu régulièrement au cours de cette évolution à partir de l'un ou/et l'autre des deux compartiments;
des extinctions des espèces délestées et privées des variabilités du complexe ont lieu, et celles qui
survivent restent spécialisées. Le taxonomiste et l'évolutionniste macroscopique enchaineront d'après
les caractères l'évolution temporelle T1  D2 et seront gênés par l'apparente naissance de D2 par
'dépolyploïdisation’ de T1.

26
On peut faire reposer la compréhension de l'organisation des complexes d'espèces sur 5
réflexions portées par des observations bien méditées.

DARWIN, puis VAVILOV, intéressés particulièrement par la domestication des plantes,


introduiront l'élément humain par deux aspects :

1. Même si les formes sauvages initiales dont dérivent les formes cultivées ne sont pas
reconnues ou identifiées par le botaniste, il est impossible de considérer que ces formes
sont d'une rareté extrême ou localisées dans des zones encore inexplorées. C'est l'action
de l'homme qui a conduit leurs transformations à un point tel que la parenté sauvage-
cultivé ne soit plus immédiatement induite. Le plus souvent la difficile identification des
formes sauvages ancêtres des formes cultivées ne résulte pas de leur disparition, ou de
leur absence, mais d'un problème de reconnaissance.
2. L’homme sélectionne, spécialise les plantes pour qu'elles répondent à des conditions
variées de culture ou d'exploitation. Outre la transformation globale de l'état spontané
vers l'état cultivé, il a diversifié les formes cultivées, maintenu et renouvelé
soigneusement cette diversité (seule l'agriculture récente, mécanisée et énergétiquement
gaspilleuse a conduit à la fabrication de variétés uniformes, vulnérables et assistées).

DARWIN avait noté un autre élément de la dynamique des formes cultivées et spontanées.
3. Des plantes, arrivées à un certain état de domestication pouvaient, de façon secondaire,
réacquérir une aptitude a se disséminer spontanément (échappant ainsi à « l'assistance »
de l'homme). Il y a une réversibilité du fait « spontané » ou de réacquisition de
« l'état sauvage ». Ceci peut avoir lieu par la récupération de structures héréditaires
nouvelles propres à l'adaptation spontanée (exemples de mécanismes nouveaux
d'égrenage spontané dans le pool des sorghos, la forme « stapffii »1chez le riz).
On doit à HARLAN un quatrième élément important de cette dynamique de l'alternance des
formes spontanées et des formes cultivées.
4. L'homme a pu conduire en confrontation ces couples de formes (cultivées-spontanées)
identifiables dans une multitude de contextes différents et à travers l'histoire de ses
migrations. La considération de centres d'origines trop ponctuels et localisés doit être
dépassée. HARLAN parle de non centres pour décrire les confrontations spontanées-
cultivées entretenues pour certaines plantes tout au long d'étendues considérables (le mil
ou les sorghos en Afrique par exemple).
Enfin on doit à une certaine génétique des populations moderne l'idée suivante : l’organisation
dynamique des diversités génétiques par des formes couplées et apparemment très différenciées
(malgré l'absence de barrière reproductive intégrale) peut résulter de situations écologiques
indépendantes de l'action domesticatrice directe de l'homme.
5. Des milieux très structurés peuvent permettre cette diversité apparente, discontinue pour
des caractères d'adaptation primordiaux, mais construite de façon stationnaire, à
condition que les flux de gènes et/ou les recombinaisons génétiques soient limitées
(sans être supprimées). « Stationnaire » (équilibre mobile), indique que les « coupures »
observées entre les formes d'adaptation ne sont ni figées, ni irréversibles. Elles sont
entretenues par la confrontation de pressions de sélection dues au milieu et de structures
génétiques gérant les échanges et les recombinaisons.
Des plantes qui n'ont jamais été concernées par l'action domesticatrice de l'homme peuvent
présenter une organisation génétique de leur diversité construite sur un mode dynamique (état
stationnaire). Les concepts figés de l'espèce comprise comme unité taxonomique, reproductive,
adaptative (écologique) ou évolutive ne se prêtent alors pas à l'analyse ou à la restitution de ces
« équilibres dynamiques ». Un autre vocabulaire moins ambigu s’impose pour préserver au concept
1
O. barthii( ??)

27
d'espèce sa seule signification taxonomique : une forme reconnue et désignée, identifiable à l'aide
d'une clé.
Un « vocabulaire » des complexes d'espèces sera donc présenté, puis des méthodes d'analyse
de ces pools et d'identification de leurs structures. Les modèles de sélection permettront d'apprécier la
mobilité de ces structures....
Ce vocabulaire n'est pas destiné à remplacer les termes précis nécessaires pour chaque
description (barrière reproductive, décalage de floraison, stérilité hybride, groupe de plantes
particulier...) mais à montrer que chaque analyse révélera, à travers des modalités biologiques
spécifiques d'un complexe d'espèces donné, un même principe d'organisation. Cette compréhension
facilitée par un vocabulaire le moins restrictif possible aidera l'action des spécialistes des ressources
génétiques confrontés à d'autres plantes.

28
D. Organisation géographiques des complexes d'espèces et
quelques conséquences

Les représentations simplifiées, les outils d'analyses, et les aspects dynamiques des transformations
des populations étant acquis il convient de revenir aux faits accumulés depuis presqu'un siècle sur la
distribution des plantes utiles.

1. Domestication des Plantes et Agricultures

Des restes de plantes cultivées, particulièrement des céréales, ont étédécouverts en plusieurs points
du globe et assez correctement datés: il yavait du blé cultivé, du maïs, du millet, et du riz plusieurs
millénaires avant notre ère (au moins 5000 ans av. J.C.). A ces périodes des sociétés dechasseurs, pêcheurs,
éleveurs, récolteurs itinérants se sont transforméesen sociétés d'agriculteurs. Ces transitions sont difficiles à
imaginer ainsique la vitesse de cette transformation.

Certains admettent que l’acquisition de l’agriculture (imposant la domesticationdes plantes) est une
réponse à deux types de contraintes possibles:

- soit un changement assez radical du milieu (désertification) dispersantle gibier, réduisant les points
de pêche,
- soit un accroissement démographiquedépassant les possibilités offertes par la cueillette.

Les étudesarchéologiques et paléoclimatiques montrent que de tels événements onteu lieu, mais peut-
être se sont-ils produits après les premières domesticationscar comment imaginer que dans l'affolement des
disettes, des famines,l'homme puisse initier une sélection de formes cultivées à partir desformes sauvages et
pressentir que ce sera la solution à ses problèmesurgents.

D'autres pensent que la domestication des céréales aurait pu précéder l'agriculture, elle aurait
répondu à d'autres besoins. En particulier ellesauraient d'abord été le moyen de fabriquer des boissons
alcoolisées (cequi n'étonnera pas nos modernes consommateurs de bière, de « mao-taï » (alcool de sorgho ou
de cinq céréales mélangées), de saké (riz), de whisky(orge) ou de bourbon ... et secondairement, les
contraintes de surpeuplement,la réduction de l'efficacité des cueillettes et de la chasse, auraientconduit à
utiliser ces plantes comme base alimentaire plus directe et à fonder l'agriculture.

Des sociétés intermédiaires, éleveurs itinérants avec des petites périodesde semis et récolte intégrées
dans les parcours, ont été décrites(E. BENNET, de nos jours des nomades d’Afghanistan) ou peuvent
êtresupputés1 (ethnie DAHOUR domestiquant le « millet mongol » au cours du dernier millénaire). De telles
sociétés de transition se seraient sédentariséesen des zones propices. Les conflits très forts entre éleveurs et
agriculteursdans les zones limites de l'agriculture (nord Shensi 2, centre nordSénégal, centre Niger par
exemple) n'aident pas à imaginer ce passagehors de conditions géographiques très particulières ou
indépendammentdes contraintes politiques du monde extérieur. II est plus facile d'imaginerune
transformation de sociétés déjà sédentaires : pêche et cueillette, que lenomade devenant agriculteur. Les
pasteurs nomades exploitent actuellementdes zones particulièrement ingrates, inaccessibles à l'agriculture
etne se sont pas transformés, sous le choc des désertifications, ils ont changé leurs itinéraires.

1
Essayer, d'après certaines données, de prévoir l'évolution d'une situation, la probabilité d'un événement ;
2
Province nord-ouest de la chine ;

29
 La domestication d'une céréale à partir des formes sauvages constitue-t-elleune sélection complexe de
très longue durée? Peut-être la discussionautour des arguments précédents sera-t-elle simplifiée par une
analysegénétique de cette question.

- La domestication ne correspond pas à des changements trèscomplexes.Les premiers blés cultivés


Triticummonococcum diploïde:(Engrain ou épeautre ,einkorn), et Triticumbeoticumtétraploïde
(emmer) n'étaient probablementqu'une spécialisation modérée des formes spontanées diploïdes et
tétraploïdesrespectivement. Les différents niveaux de ploïdie existent dans lecomplexe Triticum-
Aegilops indépendamment et bien antérieurement à ladomestication. De chaque groupe et espèce de
polyploïdes des formescultivées ont été sélectionnées mais la domestication ne consistait pas enla
création de ces polyploïdes. Le Maïs ne diffère génétiquement pas dansson ensemble de la forme
spontanée Euchlenamexicana (téosinte) malgréla spectaculaire dissemblance de leurs épis; le millet
sauvage (Setariaviridis) et le millet cultivé (Setariaitalica) sont deux diploïdes comme le sontles
milsPennisetummollissimum (spontané) et P. typhoides (cultivé). Lesformes spontanées annuelles
pour les riz existaient avant la domesticationet ce n'est probablement que secondairement que des
obstacles reproductifsse sont établis avec les formes cultivées.

- Du point de vue desstructures génétiques il n'existe pas de différences profondes entre lesformes
spontanées et cultivées qui en dérivent. Les complexes d'espècesprofondément compartimentés sont
issus d'une évolution beaucoup plusancienne que la domestication; celle-ci n'a subdivisé et créé que
descompartiments très voisins avec des contrôles de flux de gènes légers(mais suffisants pour assurer
l'originalité morphologique de la forme cultivée).L'analyse fouillée des complexes d'espèces
concerne l'étude del'ensemble des plantes génétiquement connectées, parmi lesquellesl'homme à très
localement assuré une partition complémentaire pour laquelleles contrôles des flux se sont peu à peu
renforcés.

 L'analyse physiologique des capacités de photosynthèse et la simulationde cueillettes soigneuses (et


encore pratiquées parfois) des formes sauvagesmontrent que la domestication n'a pas concerné les
potentiels deproduction. Comment les premiers « domesticateurs » auraient-ils pu suivre untel
caractère? Les caractères possibles (ce que HARLAN appelle « lesyndrome de domestication des
céréales »(Tableau 1)) devaient être évidemment accessiblesà une sélection intuitive améliorant les
conditions de la cueillette(fixation sur les épis des grains à maturité, regroupement des floraisons etde la
maturation par simplification de la morphogenèse du végétal: diminutiondu nombre des épis et
augmentation de leur taille), les conditions de semis et de conservation des semences (accroissement des
réserves dugrain et des réserves glucidiques pour une meilleure compétition à la levée,dormance
limitée) dont la sélection est implicite et automatique dès quedes semences sont constituées, les facilités
de préparation culinaire(grosses graines nues ou à enveloppes légères). Le contrôle génétique deces
propriétés ne requiert des allèles particuliers, initialement, que pour très peu de loci et l'étude des
descendances d'hybrides spontanés xcultivés le confirme. L'acquisition de formes à peu près cultivables
a pu êtretrès rapide dès que l'idée vient de semer les graines des plantes remarquables dont le récolteur
avait constaté l'absence d'égrenage spontané àmaturité. Sur cette amorce des plantessans égrenage
spontané (scrupuleusement protégée), le repérage desautres caractères permet de perfectionner
progressivement la plante, mais l'initiation est déjà faite et l'ardeur du sélectionneur néophyte très
grande (ilne pense qu'à ça) et ses coefficients de sélection sont donc très forts.

Tableau Caractères du syndrome de domestication (d’après Harlan, 1992) 1


Caractère sélectionné
Stade de sélection Général Caractère spécifique Exemples de cultures
Plantule Augmentation de la vigueur des Perte de la dormance des graines Plusieurs cultures
plantules

1
Harlan JR (1992) Crops and Man (Am SocAgron, Madison, WI), 2nd Ed.

30
Système de Augmentation de l’autogamie Tomate
reproduction
Adoption de la multiplication végétative Cassave
Moisson ou après Augmentation du rendement en grain Perte de la dispersion des graines Maïs
moisson
Habitat de croissance plus compact Légumineuses, Maïs
Augmentation du nombre ou de la Blé, orge, maïs
taille des inflorescences
Augmentation du nombre de Maïs, amaranthe
graines par inflorescence
Changement dans la sensibilité à la Légumineuses, riz
photopériode
Couleur, taille, goût, texture Plusieurs cultures
Réduction des substances toxiques Cassave, haricot de Lima

- Si le bilan des millénaires de sélection empirique et les décades récentesd'amélioration des plantes
ont abouti à des plantes cultivées spectaculairementdissemblables des formes spontanées il ne faut
pas cependant conclure que l'initiation de la domestication suppose une conjoncture biologique
exceptionnelle.

L'idée de domestication par contre semble elle rare, mais elle est née àplusieurs reprises et
indépendamment, dans des contextes écologiquesdifférents et avec des complexes d'espèces spontanées
exploitables,variés (Figure 1).

Le grand complexe des Triticum-Aegilops a été plusieurs fois exploité, àpartir de compartiments
spontanés différents. La première idée a dû produireun résultat suffisamment convaincant dans les zones
fertiles irrigablesde Mésopotamie pour qu'elle soit reprise ailleurs de l'Afrique du Nord auTibet.
Le complexe des Oryzaperennis a pu être indépendamment exploité enAfrique (delta central du
Niger), en Chine du nord, aux Indes.
L'idée de domestication a pu passer du blé (Egypte) à d'autrescomplexes (les mils, les sorghos) et
étendre en Afrique ces créations decéréales jusqu'à l'Atlantique.
En Chine, avec le millet, une agriculture de zones sèches très différente aété créée à partir du
complexe des Setaria; les mils des pays du Sahel ontété une réponse analogue à partir des
Pennisetummollissimum.

Le nouveau monde, dans les mêmes millénaires, installait aussi sescéréales (quinoa, maïs, millet (?),
amaranthes) en des zones variées.

Entre -10000 et -3000 avant le temps présent (une fourchette de tempsrelativement restreinte dans
l'histoire de l'humanité), à plusieurs reprises l'idée de domestication a surgi, s'est efficacement appliquée et a
largementcirculé (Tableau 2).

31
Figure Localisation des centres majeurs de domestication des cultures et quelques unes des cultures
domestiquées dans chacun (source : Gepts, 2001)1

Tableau Périodes de domestication et premières expansion de l’agriculture

(source : Gepts, 2004)2

2. Les Centres D'origine

VAVILOV organisa à travers le monde de très nombreuses prospections.En réunissant les


informations acquises, qui concernaient toutes les plantesutiles, il constate que la diversité des formes
cultivées pour chaque espèceet le nombre des espèces cultivées n'étaient pas distribués uniformémentmais
que certaines zones étaient particulièrement riches et assez bienlocalisées géographiquement. Ces centres de
1
Gepts, P. 2001. Origins of plant agriculture and major crop plants. p. 629-637. In: M. Tolba(ed.), Our fragile world: Challenges andpportunities for
sustainable development.EOLSS Publishers, Oxford, UK.
2
Gepts, P. 2004. Crop Domestication as a Long-termSelection Experiment. Plant Breeding Reviews, Volume 24, Part 2, Edited by Jules Janick ISBN
0-471-46892-4 © 2004 John Wiley & Sons, Inc.

32
diversité correspondaientselon lui à des centres d'origine, non seulement des espèces cultivées,mais de
l'agriculture elle-même. Centre de diversité est une observation, centre d'origine est une interprétation.

Ces centres sont classiquement représentés comme l'indique la Figure 2. (Fig. 2a: représentation
simplifiée et plus moderne).
Les caractéristiques de la diversité permettant d'identifier ces centresétaient principalement :
• Hétérogénéités du milieu (diversité des paysages et multiplicité des cycles culturaux
potentiels; diversité des parasites).
• Multiplicité d'espèces voisines de l'espèce cultivée: il existe plusieurs compartiments du
complexe d'espèces concerné.
• Présence d'hybrides interspécifiques: évidence de flux de gènes entre compartiments
(introgressions)
• Diversité des variétés cultivées, variétés polymorphes: polymorphisme intraspécifique et
intrapopulation élevé ;
• Fréquence élevée de caractères à allèles dominants: indication d'un taux d'hétérozygotie
moyen élevé

Des enquêtes ethnographiques et linguistiques, des données archéologiques, l'observation des


multiplicités des usages des plantes permettaient d'adjoindre à l'idée de zone centrale pour les complexes
d'espèces concernés l'idée d'un lieu de domestication initial et encore actif, et de zones de naissance de
l'agriculture c'est-à-dire l'identification de centres d'origine.

Des zones de partition des complexes d'espèces existent indépendamment de l'agriculture, elles sont
plutôt liées à la multiplicité des composantes physiques (reliefs, climats) et biologiques du milieu; il n'est pas
impossible que cette diversité initiale du complexe d'espèces ait favorisé la naissance d'une agriculture en ces
zones, mais, pour des plantes n'ayant pas subi de domestication ancienne marquée, la notion de zone centrale
pour un complexe d'espèces est parfaitement recevable.

33
a: Centres d'origine selon VAVILOV 
I. Sino-Japonais.Contient divers pommiers et poiriers
sauvages résistants aux maladies ; quelques soja résistants
II. indonésien-Indochinois
III. Australien.
IV. Hindoustanien
V. Asie Moyenne
VI. Proche-Orient. Source de blés résistants.
VII. Méditerranéen. Source de résistance de plusieurs
plantes cultivées.
VIII. Africain, y compris l’Ethiopie. Plusieurs concombres
sauvages résistants aux maladies
IX. Euro-Sibérien.
IXa. Microcentre Est Sibérien. Résistance à la rouille vésiculeuse du pin blanc.
X. Central Américain. Résistance à la rouille tardive de la
pomme de terre.
XI. Sud Américain. Foyer de plusieurs variétés de maïs
résistantes.
b. Mégacentres des Plantes cultivées selon XII. Nord Américain. Foyer de tournesols, de vignes, de
Zhukovsky groseilles et autres plantes cultivées résistantes (selon
Leppik1).

c: Centres et non Centres d'origine selon HARLAN


Figure CENTRES D'ORIGINE.

L'aire de répartition d'un complexe d'espèces peut être subdivisée selon les zones suivantes:

Depuis les travaux de VAVILOV, l'aspect très étroitement circonscrit de ces centres d'origine est
quelque peu revu. L'origine des agricultures ne semblent plus devoir être aussi strictement localisée.
HARLAN qualifie de « non-centres » des zones extrêmement étendues (sur des milliers de kilomètres) où
peut s'être produite la domestication d'une plante donnée (le mil ou le sorgho en Afrique de l'Ethiopie à
l'Atlantique). Des grands ensembles géographiques peuvent être décrits ainsi plus grossièrement (Fig. 2b).

1
Leppik, E. E. 1969.The life and work of N. I. Vavilov.Econ. Bot. 23 : 128-32

34
(A) Zones centrales (observation de la plus grande diversité de compartiments du complexe
d'espèces, grand polymorphisme intrapopulation, fortes hétérozygoties moyennes). Dans ces zones centrales
certaines parties très restreintes, parfois certaines populations, mettent en évidence des recombinaisons ou
des flux de gènes inter-compartiments très actifs, des situations d'introgression sont évidentes: ce sont les
microcentres, zones de création active de variabilité.

(B) Zones marginales: le complexe d'espèces n'est plus représenté que par quelques compartiments ;
d'une zone à l'autre ce ne sont pas forcément les mêmes; les populations sont moins polymorphes,
l'hétérozygotie moindre permet l'affichage phénotypique de caractères déterminés par des allèles récessifs.

La collecte des formes effectuées à travers des zones marginales très différentes conduit à une
diversité évidente interzone très grande et une diversité intrazone modérée. Extérieurement cette diversité
artificiellement regroupée en collection paraît plus grande que celle réunie dans une prospection de la zone
centrale. Les potentialités de variabilité de la zone centrale sont masquées par les effets de dominance et les
recombinaisons très actives; l'analyse génétique permet de lire cette variabilité cachée. L'histoire des
migrations vers les zones marginales a assuré une première lecture de cette variabilité en restreignant la
recombinaison au sous-échantillonnage des migrants, en imposant des adaptations précises, en réduisant le
polymorphisme intrapopulation et donc en affichant par homozygotie l'expression des gènes récessifs.

(C) Isolats:

Les zones marginales représentent un isolement partiel pardistance, le flux de migration est encore
abondant, les populations ou lescultures occupent de grands espaces continus. Des migrations
exceptionnelles,des changements de milieu (avancée du désert isolant des oasis,îlots forestiers, îles) peuvent
conduire à des populations d'effectif limitéévoluant sur elles-mêmes, très coupées du reste du complexe
d'espèces.Ce sont des isolats où l'on attend des effets de dérive aléatoire très forts,une diversité très faible, un
polymorphisme intrapopulation réduit, une fortehomozygotie et l'expression de nombreux gènes récessifs. La
spécialisationadaptative à un milieu restreint et la dérive due aux faibles effectifsrendent ces populations
vraisemblablement très vulnérables aux parasitesde la zone centrale. On y trouve des formes cultivées
étranges, originales,très excentriques. Des différenciations du génome importantes peuvents'être produites et
les descendances issues d'hybridations artificiellesentre elles ou avec les formes centrales, peuvent conduire
à des dysharmoniesfonctionnelles marquées. Des stérilités peuvent s'exprimer, elles netémoignent pas d'un
contrôle régulier d'un flux de gène réduit entre compartiments mais elles sont l'expression de l'accumulation
plus ou moinsanarchique de remaniements structuraux, en situation homozygote, différentsd'un isolat à
l'autre.

A ce tableau simplifié doit s'ajouter le terme de centre endémique quidécrit des zones où les
populations du complexe d'espèces sont installéesde façon stable et ancienne sans que l'analyse des diversités
ait encorepermis de parler de zone centrale, marginale ou d'isolat ancien.

Pour des complexes d'espèces très anciens il est possible que leschangements géologiques du milieu
(éclatement du Gondwana par exemple, Figure 3)ne permettent plus de retrouver précisément cette
organisation dezones centrales et marginales. Le complexe sera éclaté en isolats où lescompartiments seront
complètement coupés les uns des autres. Lecomplexe des cotonniers diploïdes pourrait être de ce genre. Les
grandesmigrations humaines pourraient être à l'origine de nouveaux rapprochementsentre ces compartiments
isolés et des flux de gènes se réorganiser;les cotonniers tétraploïdes pourraient être le produit de tels
mouvements.Les sorghos méditerranéens tétraploïdes ont réintégré ainsi le complexedes diploïdes dans deux
zones marginales (les Indes anciennement, l'Argentineen 1930).

35
Figure Le Gondwana : les masses de terre
modernes étaient créées à partir de
l’éclatement de l’ancien supercontinent du
Gondwanaland, il y a 130 millions d’années

Les complexes récemment étudiés ou en cours d'investigation permettentd'illustrer ces termes (Cf.
Tome 1).
1. Le complexe des maximae (Panicum)paraît correspondre réellementau schéma de base suivant:
une zone centrale en Afrique de l'est avec desmicrocentres constitués par des populations de couplages
sexués diploïdes-apomictiques tétraploïdes; les zones marginales sont très étenduessur l'Afrique; la Côte-
d'Ivoire correspondrait à un centre endémique(faible diversité) mais l'ancienneté de la colonisation a valu à
Panicum maximum le nom d'Herbe de Guinée.
2. Complexe des caféiers: La zone centrale a été probablement morceléeà la suite des disparitions
de forêts et d'extension de savanes dans lesconfins sud: Ethiopie, nord Kenya, nord Ouganda, sud Soudan.
Les zonesmarginales se développent en un vaste continuum couvrant l'Afrique, Madagascarreprésente des
multitudes d'isolats.
3. Complexe du mil à chandelles: Cette céréale a été probablementdomestiquée à plusieurs reprises
sur le « non-centre » s'étendant du Tchadà l'Atlantique; les zones marginales se prolongent jusqu'aux Indes et
enAfrique orientale et australe et des isolats nombreux ont été constitués:isolat en cours de disparition en
Chine, isolats d'oasis du Sahara, deTunisie, du Maroc et d'Espagne.
4. Complexe des riz: au moins 3 domestications indépendantes ont vraisemblablementcréé le vaste
ensemble des riz cultivés asiatiques et africains;les formes spontanées ancestrales ont subi des
différenciationsgéographiques assez marquées avant la domestication (évolution des pérennesallogames vers
les annuelles autogames en particulier). Les domesticationsà partir des formes annuelles autogames ont eu
lieu dans deszones centrales de genèse d'agricultures: au Mali (delta central du Niger),aux Indes et en Chine.
En Afrique des zones marginales ont été biendécrites comme des centres de différenciation secondaire, en
Guinée et enSénégambie. Des échanges comparables entre compartiments cultivés ontlieu en Asie du sud est
(structure de passage javanica entre indica (Indes)et japonica (Chine du Nord) et en Afrique (création d'un
compartiment spontané nouveau (O. stapfii à partir des contacts glaberrima-sativa africain-asiatique).
Indépendamment de la domestication, les formes spontanéesont été évolutivement organisées en un
complexe multispécifiqueencore bien marqué et, postérieurement à la domestication, des formesspontanées
éloignées génétiquement (O. longistaminata) ont été réintégréesdans le complexe.

3. Le couplage des formes sauvages et desformes cultivées

La domestication a créé un compartiment cultivé à partir de compartimentssauvages particuliers.


Cette création s'est faite sans création debarrière reproductive a priori, par le seul jeu de la sélection des
caractèresfavorisant la récolte et l'exploitation de la plante cultivée. L'accumulation deplusieurs gènes
responsables du « syndrome de domestication » n'a puacquérir cependant une certaine stabilité (conduire à

36
des déséquilibresgamétiques stables) qu'en réduisant les recombinaisons et en isolant suffisammentun
compartiment cultivé.

Cet état de confrontation stationnaire de deux compartiments couplésest, en général, fonctionnel


dans les zones d'origine répertoriées pour lesplantes cultivées.

1. Les formes spontanées et les formes cultivées coexistent sympatriquementou parapatriquement 1.

2. les flux de gènes existent entre ces deux compartiments et sontcontrôlés :

 d'une part par des barrières reproductives partielles génétiquementsimples (haricot, riz,
maïs), par des décalages de floraison (mil, maïs), pardes niveaux de ploïdie différents entre
lesquels les flux sont récurrents etsimples (pomme de terre, blé), par des modes de
reproduction différents(autogamie, apomixie) réduisant les échanges (millet, riz, blé, pomme
deterre, Nicotiana, Panicum)
 d'autre part, du fait de l'intervention du cultivateur, qui exclut de sasemence les plantes
n'ayant pas le phénotype cultivé, mais qui tolèresouvent la participation à la pollinisation des
hybrides spontanés entrecultivés et sauvages.

3. Les formes backcross et parfois F2 issues des hybrides « sauvages xcultivés » peuvent avoir un
phénotype cultivé tel que le cultivateur les réintègredans sa variété au cours du choix de ses semences.

Cette situation assure la maintenance du compartiment cultivé pour sonphénotype domestiqué tout
en permettant de faire communiquer pourtoutes les autres caractéristiques d'adaptation, les polymorphismes
générauxentre sauvages et cultivés. Le cultivateur impose une sélection trèsstricte pour les caractères de
domestication; les polymorphismes trèsanciennement stockés dans le compartiment spontané traduisent les
adaptations très larges à l'écosystème (équilibre des diversités parasitaires,enregistrement de toutes les
alternances climatiques, des diversités dessols...). Le flux de gènes, faible mais régulier, des formes
spontanées auxformes cultivées maintient des distances génétiques d'ensemble négligeables;seules sont
affichées les distances pour les gènes du « syndrome dedomestication » (une très petite minorité de loci par
rapport à l'ensemble des loci polymorphes). Les déséquilibres gamétiques (bilans des effetsde sélection et de
la réduction des flux de gènes et des recombinaisons)sont cependant assurés (d'où l'autonomie apparente des
deux compartiments).Les flux de gènes probablement réalisés sont de l'ordre de l ‰.

Ce couplage permet aux variétés traditionnelles de ne pas perdre larusticité ni le potentiel


d'adaptation et de tolérance qu'elles doivent auxformes spontanées. Elles ont ainsi accès à une réserve
génétique presqueinépuisable. La sagesse séculaire des agriculteurs (transmises par mythes,croyances
variées, imposées par la menace des famines ou fruit d'uncertain bon sens) a maintenu ce couplage. Les
formes spontanées réalisentà travers de grosses fluctuations d'effectifs dues souvent à des sélectionsfortes,
l'ajustement de leur polymorphisme génétique au milieu; ellesservent ainsi de relais à la coévolution des
variétés traditionnelles et de l'écosystème. Les formes spontanées sont les véritables réalisateurs
del'adaptation large des variétés traditionnelles. On voit l'importance desenquêtes auprès des cultivateurs qui
permettent d'identifier le plus précisémentpossible la réalité de ce couplage.

4. Conservation - Reserves

Quelques principes résultent naturellement de toutes les descriptionsfaites :

1
Allopatrique : en des lieux ou des sites géographiques différents
sympatrique : en un même lieu
parapatrique = en des sites adjacents

37
1. La planification des collectes doit tenir compte de l'organisation géographiquede la dispersion du
complexe d'espèces étudié. Une bonne prospectionrésulte d'une bonne connaissance et d'une bonne
identificationdes zones centrales, marginales et des isolats. La découverte et l'échantillonnagedes
microcentres apporteront non seulement de la diversité génétiquemais surtout des clés biologiques, propres
aux complexes étudiés,qui permettent l'entretien et la création par recombinaison de cette variabilité.Les
complexes d'espèces doivent être largement définis avec leursrègles de partition et d'échanges géniques entre
compartiments.
2. L'analyse de la variabilité génétique ne peut se limiter aux différencesmorphologiques ou
agronomiques affichées. Les outils de lecture de lavariabilité cachée sont indispensables pour atteindre de
grands potentielsde ressources génétiques.
3. L'identification et la collecte des formes sauvages couplées aux formescultivées est une tâche
fondamentale. La lecture de ce couplage imposel'observation des introgressions sur le terrain (identification
d'hybrides) etdes enquêtes ethnobotaniques auprès des cultivateurs (quelle est leurstratégie de fabrication de
semence, leur attitude vis-à-vis des hybridessauvage x cultivé.. . ?)
4. Les conservations classiques (chambres froides, multiplications végétatives,cultures in vitro) et les
collections en multiplication sexuée contrôléesont deux systèmes gravement défectueux pour la maintenance
des ressources génétiques. Les premières ne suivent pas la dynamique des transformationsdu biotope
(particulièrement l'évolution des agresseurs) et nesont peut être pas génétiquement stables ; les secondes
dérivent fortementet ne savent pas préserver les organisations les plus fonctionnelles despopulations et des
variétés traditionnelles.
La connaissance précise de l'organisation des zones centrales et l'identificationde microcentres
peuvent ouvrir la porte à des conservations dynamiqueset efficaces, et même à des transferts originaux de
polymorphismeadaptatif. Elles peuvent orienter les méthodes d'amélioration des plantesvers la recherche de
structures variétales moins simplistes, plus stables etplus économiques. Les conservations dynamiques
peuvent être le résultatde la mise en place de réserves en des points privilégiés des zones dediversité
(conservation de plusieurs complexes simultanément dans le cadred'agricultures traditionnelles protégées et
largement financées). L'organisationd'un réseau de stations de conservation dynamique simulantdes
couplages sauvages x cultivés en contrôlant les paramètres qui régissentla compartimentation et les flux de
gènes peut être, souvent, plusréaliste. La détermination de ces paramètres et leur mesure constituent unetâche
prioritaire des chercheurs travaillant dans le domaine des ressourcesgénétiques.

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